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Bacchus, Jésus et la gnose
Anonyme

Tout mythe enferme implicitement la consécration de 1’antique aphorisme : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». ce qui revient à dire que tout mythe est le résumé ingénieux, poétique, imagé d’une double action conjointement accomplie sur plan hylique et sur le plan divin.

Prenons aujpurd’hui pour élucider cette vérité Bacchus et son culte.

Ce mythe, résumons-le d’après le magnifique ouvrage de M. Decharme, sur la mythologie de la Grèce.

Sémélé, fille de Cadmus, est aimée de Zeus qui la féconde en descendant sur elle sous la forme d’une pluie d’or, mais cette mystique communion ne suffit pas aux passionnelles aspiration de Sémélé. Comme la Sophie gnostique, elle veut contempler le Dieu dans la splendeur de sa gloire, au milieu de sa foudre et de ses éclairs. Mais les feux divins l’éblouissent et la consument et, en mourant, elle laisse échapper son fruit que Zeus enferme dans sa cuisse jusqu’à l’époque où l’enfant sera viable. Remarquons, en passant, ainsi que le fait M. Decharme, l’analogie de la naissance de Bacchus avec celle du Soma des Védas, le Soma est, lui aussi, recueilli dans la cuisse d’Indra et son surnom est Vinas, l’aimé comme plus tard Bacchus deviendra Φοῖνοσ, Vinum, le Vin. De Vinos, on peut aussi rapprocher le dorien φιντατοσ, très aimée pour φιλτατοσ

Bacchus, une fois issu de la cuisse de Zeus est confié aux Nymphes de Nysa, d’où il tire son nom grec de Dionysios. Elles l’élèvent au fond d’une grotte tapissée de vignes. Devenu grand, Bacchus goûte au fruit de ces vignes, ses nourrices l’imitent, et les voilà transportées d’une volupté nouvelle, gravissant les collines, pénétrant dans l’épaisseur des taillis, faisant éclater partout leurs cris de joie.

Le plus élémentaire évhémérisme explique le sens matériel de cette légende. Sémélé, c’est la Terre, en qui l’ondée bienfaisante symbolisée par Zeus, vient développer le germe vital de la vigne. Le cep sort du sol, s’élance vers le ciel, mais l’ardeur solaire brûle le sol ; le raisin périrait s’il ne se cachait sous le feuillage et surtout si le ciel ne se couvrait de nuages.

D’autre part, les Nymphes, les Hyades, nourrices de Bacchus, représentent les sèves vivifiantes et peut-être aussi les pluies rafraîchissantes. Quant aux courses de Bacchus à travers le monde, il n’est pas difficile d’y voir le développement successif de la culture de la vigne dans les diverses régions de l’univers.

Jusqu’ici nous n’avons pas, ce semble, quitté le plan hylique ; naissance et culture de la vigne, production d’un breuvage enivrant, etc. Et pourtant, insensiblement, nous arrivons au plan divin. Ouvrons, en effet, le catéchisme gnostique, que notre vaillant coopérateur, l’évêque Sophronius vient de livrer à l’édification des Parfaits. Il y est dit que le Christ, entre autres manifestations, se présente sur la terre sous les apparences de la boisson fomentée. La boisson est le jus fermenté tiré soit des tiges du sarcostemma viminatis, soit des fruits de la vigne. Le sarcostemma était coupé en morceaux ; ceux-ci étaient écrasés dans un mortier au moyen d’un pilon et le jus filtré était placé dans un vase où on le laissait fermenter. Au bout de trois jours, le Soma était prêt. On sait comment se prépare le vin. Or du Soma aussi bien que du vin on tire l’eau-de-vie ou l’eau-de-feu, qui brûle avec flamme. Le vin et le Soma contiennent donc le feu, le Christ. Celui-ci a dit d’ailleurs par la bouche de Ieshu : « Je suis la vraie vigne » et montrant le vin : « Ceci est mon sang ».

Voici d’ailleurs que Bacchus est devenu un Dieu phallique, ainsi qu’il appert de la description que Plutarque nous donne de la Fête des Dionysies, c’est-à-dire une puissance féconde et créatrice, et aussi un Dieu de beauté, de grâce souveraine, de suggestive esthétique, ainsi qu’il résulte de la Fête des Anthestéries, ces pâques fleuries du paganisme. C’est encore un Dieu de bonté, un bienfaiteur de l’Humanité, s’opposant au farouche Arès, ce Démiurge hellénique, ainsi que l’indique S. G. Sophronius :

Né bienfaisant et épris de gloire (de gloire pacifique, il faut entendre) Man (Bacchus) voulut faire participer les hommes aux utiles découvertes dont la cité céleste avait été dotée par les rois et enseigner au monde l’usage du blé et du vin. Il partit donc à la tête d’une armée considérable (une armée d’apôtres, il est à supposer) et visita un grand nombre de peuples, qui le reçurent comme un dieu, puisqu’il apportait partout l’abondance et la joie.

Des influences asiatiques ne tardèrent pas à intervenir, qui transformèrent le concept initial du Dionysios grec en un adolescent aux joues imberbes, au teint délicat, à la figure virginale, qu’encadrent les boucles flottantes d’une chevelure. À voir sa longue robe, sa molle et traînante démarche, sa grâce efféminée, on hésite à lui attribuer la nature masculine. C’est qu’en effet le génie religieux de l’Asie a marqué Dionysios de son empreinte. Il en a fait un dieu à double nature, un symbole de l’Essence divine, qui embrasse tout, qui comprend tout qui se suffit à lui-même une divinité androgyne, comme Siva dans l’Inde où comme Astarté, en Syrie. (Decharme. op. cit.)

Avec cette seconde phase, ou plutôt sous ce second aspect du mythe dionysiaque, nous voyons s’accuser de plus en plus le plan spirituel. Le dieu de Nysa devient une sorte d’incarnation de la Beauté éternelle, un vivant et merveilleux reflet des splendeurs du Plérome. Cette insexualité même, ou, pour mieux dire, cette fusion idéale des deux sexes, c’est le rêve sacré que la Gnose valentinienne formulera dans le dogme de Bythos-Sigé, et dans celui des différentes Syzygies, qui en émanent.

Sans quitter le plan divin, où nous a amené cette épide, nous allons assister maintenant à une quasi-identification de Bacchus avec le Christ. Remarquez que cette nouvelle phase remonte, historiquement, au moins à cinq cents ans avant notre ère, mais cela soit dit, sans vouloir amoindrir les grandes choses de la foi chrétienne. Pour le divin, le temps n’est pas. Dans l’évolution historique, Bacchus a pu précéder Jésus : dans la réalité éternellement fixe de l’Au-delà, les deux ordres de faits se confondent, c’est là une vérité qu’on ne proclamera jamais assez haut, que cette inanité du temps dans le domaine divin.

Poursuivons. Comme le Fils de Miriam, Dionysios a ses souffrances, sa passion, ταπαθηματα αῦτον. Il a été surpris par les Titans qui, jaloux de lui, l’ont mis en pièces. Son cœur, échappé à leurs fureurs, a été recueilli par Pallas, et il est redevenu, au ciel, le centre d’une vie renaissante (Ce détail du mythe dionysiaque a pu par voie d’atavisme, donner naissance au culte moderne du Sacré-Cœur, si mal compris de tous, et principalement de ceux qui le pratiquent.).

De là, la curieuse eucharistie pratiquée en Grèce, dès le temps de Thémistocle, sorte de banquet mystique où les Initiés mangeaient en commun la chair d’un taureau, qui était pour eux le propre corps de Bacchus. Pour comble de similitude, Iacchos qui est un des noms de Dionysios, n’est-il pas la traduction évidente du vocable hébraïque leschou ?

Bacchus, fut ainsi que Jésus, l’objet d’une sorte de culte hystérique de la part des femmes. Ici, nous sortons du plan divin ou plutôt nous touchons à la ligne, ou plan di

vin et plan hylique se copénètrent, à la région vague, où l’érotisme charnel se soude pour ainsi dire à la religiosité mystique dionysiaque, en vertu duquel, comme dit M. Decharme, l’être humain affranchi de la raison, comme d’une entrave, n’obéissant qu’aux palpitations de son cœur et au délire de son cerveau, court se perdre dans l’objet inconnu de son adoration, auquel il abandonne la direction de sa vie et son âme tout entière, ce mysticisme, disons-nous, a sa frappante analogie dans les extases de Sainte Thérèse et de Mme Guyon.

Desmarèts de Saint-Sorlin n’a-t-il pas écrit :

L’âme étant devenue un rien, ne peut rien sentir ; quoi qu’elle fasse, n’ayant rien consenti, elle n’a pas péché. Par une dissolution entière de nous-mêmes, la vertu du Saint-Esprit s’écoule en nous, et nous devenons tout Dieu par une déformation admirable.

Molinos n’a-t-il pas déclaré que les péchés sont une occasion d’humilité et une échelle pour monter au ciel ?

Enfin François de Sales lui-même n’a-t-il pas préconisé l’anéantissement de la volonté comme un idéal de perfection ?

Quant à ces fêtes orgiastiques, au cours desquelles les ménades échevelées déchirent les seins et inondent les chemins de leur sang, n’est-ce pas une réalisation anticipée de ces tendances érotico-mystiques, qui feront surgir tour à tour les Flagellants du moyen-âge, les ascètes des cloîtres et les convulsionnaires de Saint-Médard ?

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Notes

Anonyme, article : « Bacchus, Jésus et la gnose », publ. in L’Écho de l’au-delà et d’ici-bas, 4 (15 Février 1900), pp. 33-35.

► Bimensuel publié de 1899 à 1900, L’Écho de l’au-delà et d’ici-bas était une revue généraliste contenant de très courts articles de personnalités de l’occultisme du XIX aux horizons diverses. Elle continuera sa ligne éditoriale durant l’année 1901 dans La Revue spiritualiste illustrée alors dirigée par François Charles Barlet.

■ L’article à manifestement été écrit par un membre de l’Église gnostique de France, mais manquant d’informations décisives, nous ne préférons pas nous risquer à proposer un nom. Si l’un de nos aimables lecteur dispose d’une information fiable au sujet de l’identité de l’auteur de l’article, nous le remercions d’avance de bien vouloir nous la communiquer.