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Talismans et amulettes
Eugène Defrance

Combien de souverains, chrétiens ou musulmans,
Ont tremblé d’une éclipse ou craint des talismans.

Voltaire.

On peut dire que l’origine des talismans et des amulettes est presque aussi antique que celle de l’homme. Les peuples sauvages et primitifs sont tous porteurs de bijoux divers, anneaux ou colliers, auxquels ils attribuent des vertus préservatrices ou des propriétés médicales. Cependant les auteurs ne sont pas d’accord sur l’étymologie du mot talisman, pas plus que sur son véritable sens. Il en est de même pour celui d’amulette, qui n’est, en somme, qu’un synonyme du premier. Mais l’opinion la plus répandue sur ce point est la même que celle qui caractérise toutes les sciences divinatoires : c’est-à-dire que l’art de confectionner et d’expliquer les talismans dérive de l’étude des influences, autrement dit de l’astrologie. Car il existe cette particularité qui veut que, pareilles aux anciennes sectes philosophiques qui toutes prétendaient sortir de l’Ecole de Socrate, les sciences divinatoires rapportent toutes leurs sources à l’astrologie judiciaire.

Par talisman(1), on comprend généralement des figures, des signes conventionnels, des caractères tracés ou gravés sur une pièce de métal ou de toute autre matière, objet auquel la personne qui le porte reconnaît un pouvoir de protection rattachée aux influences que les corps célestes, peuvent avoir sur les humains, On distingue quatre sortes de talisman :

Les talismans astronomiques et astrologiques (Fig 1.), qui semblent être les plus anciens et dans lesquels on remarque des constellations figurées : étoiles, planètes et signes du zodiaque, avec des caractères grecs ou hébraïques s’y rapportant.

Les talismans magiques, porteurs de ligures extraordinaires, bizarres el allégoriques, accompagnées de mots mystiques, de noms divins et de phrases tirées des livres hermétiques.

Les talismans religieux, composés des reliques de saints divers, de fragments d’habits portés par tel ou tel bienheureux, de médailles bénites et de scapulaires dont je possède une très curieuse collection.

Les talismans mixtes formés de combinaisons mi-religieuses et mi-profanes, dans lesquels on trouve des rébus pris aux trois précédentes catégories et des signes mnémoniques.

Dans toutes les nations on trouve des talismans de formes, de matières el de compositions différentes. Chez les sauvages de l’Amérique du Nord, les sacs à médecines sont des talismans auxquels ces peuplades attribuent l’assurance de la victoire et la préservation de la mort. D’autres peuples, tels les Néo-Calédoniens, portent leurs talismans en bijoux faisant partie de l’ornement de leur personne ; la bague que je présente à mes lecteurs (Fig. 2) en est un intéressant spécimen.

Les musulmans utilisent des talismans faits de versets du Coran brodés sur des étoffes choisies et les peuples du centre africain demandent à leurs devins des amulettes contre la piqûre des serpents et des scorpions, feuilles de papier ou de parchemin dur couvertes de caractères étranges, que ces populations portent suspendues à leur cou, précieusement enfermées dans des petits sacs de peau également décorés. Les plus célèbres talismans anciens sont ceux de l’Egypte et de la Chaldée. Ordinairement ils correspondaient aux septs grands signes planétaires sous l’influence desquels ces régions et leurs habitants étaient placés. Les gens de guerre égyptiens, notamment, portaient l’image du scarabée sacré, symbole vénéré du Soleil dans sa course apparente. Dans l’Inde également les talismans astronomiques et phalliques étaient en vénération depuis la plus lointaine antiquité ; il en a été de même à Rome. Habituellement ces talismans devaient être préparés d’après le rite des mages ou des prêtres bouddhiques, selon le pays auquel appartenait la personne qui désirait ce préservatif ; mais c’était toujours une chose compliquée que la confection d’un talisman, travail auquel la personne intéressée devait elle-même prendre part.

Un auteur anonyme du XVIIIè siècle, cité par Gilbert-Charles le Gendre(2), prétend expliquer par une théorie naturelle la vertu attribuée aux talismans et les justifier de toute superstition. Il estime que dans tout talisman ou amulette, la figure ne joue aucun rôle, qu’elle n’est pas nécessaire et que si elle est de quelque utilité c’est assurément et uniquement celle de désigner les propriétés du talisman. La principale préparation de l’objet, selon cet auteur, réside dans la fusion du métal, car ce sont les talismans en métal qui sont les plus efficaces. Il est indispensable de procéder à celle fusion pendant que l’astre dont on veut conserver les influencés domine au firmament et dans un ciel serein. Alors les influences de cet astre pénètrent dans le métal pendant celle opération et en remplissent tous les pores, de sorte que ce métal, après son refroidissement, conserve dans son ensemble la matière céleste qui s’y sera infiltrée. Il compare les talismans aux pierres d’aimant et suppose que le fluide magnétique circule à l’entour de l’aimant, tout comme l’influence astrale circule autour du talisman. Ce singulier observateur ajoute : La matière de l’astre, qui est alors amassée autour du talisman, ne peut-elle pas être un poison pour les bêtes venimeuses, aussi bien que ses effluves peuvent préserver de maladie une personne placée dans un lieu infect ?

Cette explication se rapproche énormément de celle que nous donne Paracelse. Ce célèbre alchimiste définit les talismans : Des boites où l’on conserve toutes les influences a astrales(3). Le Père Le Brun, assez spirituellement, a critiqué ces vertus protectrices des talismans et amulettes : Il dit, Si ces pièces de métal fondu, sous certaines constellalions célestes pouvoient produire physiquement ces effets protecteurs, donc partout où il se trouveroit du métal fondu sous la constellation requise, l’effet attendu devroit être produit. Or, on peu bien assurer qu’il va depuis fort long-temps à Paris du métal fondu en tout temps et sous toutes les constellations, outre qu’on en fond tous les jours à l’Hôtel de la Monnaie et en vingt autres endroits de la ville ! Douc Paris doit être préservé de touts accidents fâcheux. Car rien ne manque à ce métal fondu, rien que le dessein d’en faire un talisman, circonstance qui, n’étant pas physique, ne peut évidemment pas empêcher d’agir la vertu que la constellation soi disant lui donne !(4).

Jacques Gaffarel, le célèbre docteur en théologie savant orientaliste, mort en 1681, établit les propriétés des talismans sur trois causes principales : l’influence des astres ; la vertu de la ressemblance, et l’expérience(5). Il est vrai que l’œuvre de Gaffarel fut à son tour réfutée par Charles Sorel, qui publia sa critique sous le nom de Delisle, en un livre qui eut à l’époque un certain succès(6). Quoi qu’il en soit, Gaffarel nous a laissé là un singulier document dans lequel nous trouvons des choses bien étranges, telles que deux planisphères où l’on remarque, en lieu et place des constellations habituellement représentées, des assemblages d’étoiles formant des caractères hébraïques exposés d’après le système d’Hamahalzel, traduit du persan en hébreu par Khomer, et que Gaffarel recommande pour la confection des talismans et amulettes.

La théorie de ce théologien a trouvé un écho en Marsile Ficin qui explique aussi à sa manière les propriétés des talismans : L’art, dit cet auteur, donne à la matière un commencement de vertu et de propriété, par une figure semblable à celle du modèle céleste ; De sorte que, lorsque cette matière, ainsi disposée reçoit en elle les qualités actives des influences célestes, elle en est pénétrée, comme le soufre est embrasé par la flamme. Marsile Ficin, qui était un Platonicien distingué, donne à l’appui de sa thèse quelques applications talismantaires de certaines idées dues à Platon et dont on n’aurait peut-être jamais connu la destination réelle sans l’étude de Marsile sur les talismans.

Albert le Grand prétend que les talismans les plus purs sont les talismans astrologiques qu’il ne faut pas confondre, dit-il, avec les talismans dans lesquels entre la magie. La vertu des talismans a également élé soutenue par Plolémée, par Alexandre d’Aphradisée, par Porphire, par les alchimistes Artephius et Thebit, ainsi que par les Platoniciens en général.

Scaliger s’est moqué des faiseurs d’amulettes en une amusante histoire. Il rapporte qu’un certain astrologue savant et docte fondit et fabriqua, avec beaucoup de précautions et de cérémonies bizarres, une figure métallique sous les aspects les plus convenables prescrits par ses rituels magiques, pour chasser les mouches qui emplissaient sa maison. De plus, la fonte de la figure terminée, l’astrologue y grava mystérieusement des caractères spéciaux. Mais il n’eut pas plutôt exposé celte figure sur le bord de sa fenêtre qu’une mouche vînt s’y poser et fit son ordure sur la figure même. J’oubliais de mentionner que quelques auteurs avaient attribué l’invention, des talismans à un Egyptien nommé Jacchis qui vivait sous, le règne de Sennyès. D’autres l’ont rapportée à Nécepsos, autre roi d’Egypte postérieur à Sennyès et qui vivait environ deux cents ans avant Salomon, lequel également nous a parlé des talismans dans son Traité des Sceaux et pierreries. C’est ce Nécepsos qu’Ausone, poète latin du quatrième siècle de notre ère, cite dans une lettre adressée à Saint Paulin au sujet de certains mystères égyptiens.

Pline nous dit que le jaspe verdâtre était porté comme talisman par tous les peuples d’Orient de son époque. D’ailleurs, une opinion qui était très répandue voulait que le colosse, Milon de Crotone, dût toutes ses victoires à la pierre Alectorienne qu’il portait, pierre tirée d’une partie de l’organisme du coq. On attachait aussi au cou des Pharaons un talisman particulier qui devait les empêcher de commettre toute espèce d’injustices. On lit dans Trebellius Pollio, que les Macriens vénéraient tellement Alexandre-le-Grand que tous les hommes de cette famille portaient la figure de ce monarque gravée on or ou en argent dans leurs bagues et les femmes dans leur colliers et bracelets, parce que la conviction populaire était qu’en cas d’accident, cette figure leur viendrait en aide. En France, un culte à peu près semblable s’est répandu à l’époque napoléonienne, pour l’effigie de Bonaparte.

L’Athénien Eudamus, contemporain d’Aristophane, était célèbre par la science qu’il apportait dans la confection des talismans. Un des personnages de la comédie Plutus dit : Je n’ai rien à craindre, je porte un anneau qu’Eudamus m’a vendu lui-même !. Et le scholiaste d’Aristophane dit à propos de ce vers qu’Eudamus faisait des anneaux qui garantissaient des démons et des serpents. Les soldats grecs portaient des petites boites dans lesquelles ils enfermaient des préservatifs contre l’envie, pour se garantir de l’idée de traîtrise.

Jean Malèla, ancien auteur Grec, originaire d’Antioche, nous apprend avec quel cérémonial Apollonius de Thyane prépara un talisman pour chasser les moucherons qui importunaient les habitants d’Antioche : Il fit faire une procession à cheval ; les cavaliers portaient des images de plomb qui représentaient le dieu Mars ; ils avaient une épée et un bouclier attachés mystérieusement et d’une manière uniforme. Enfin tous ensemble ils criaient à différentes reprises : « Que ta ville soit à jamais exemple de moucherons. » Cet historien ne nous dit pas si le procédé a été d’une grande efficacité.

Les habitants de Naples ayant été affligés d’une quantité énorme de sangsues, Virgile jeta dans un puits une sangsue d’or qui, parait-il, en délivra subitement la ville. Je me souviens avoir lu dans un très ancien ouvrage intitulé : Les amusements impériaux, dédié à l’empereur Othon III, qu’un jour Virgile confectionna une mouche d’airain qui, pendant huit années, demeura clouée à l’une des portes de la ville de Naples et empêcha qu’aucune mouche n’y entrât. Selon le même document, Virgile avait également placé sur l’une des portes napolitaines deux statues ayant la vertu des talismans. La première de ces statues était intitulée la joyeuse et belle ; l’autre la triste et hideuse. Si un étranger entrait dans la ville en passant près de la première statue, toutes les affaires pour lesquelles il venait à Naples réussissaient à merveille ; mais elles avaient une issue fatale, si malheureusement il avait, en entrant, frôlé la seconde statue dite la hideuse.

Alexandre Trallien cite un singulier talisman contre la colique, assurant même qu’il en connait les bons effets par sa propre expérience. Il prescrit, pour cela, de graver sur un anneau de fer à huit angles les paroles suivantes : Fui, fui, malheureuse bile, l’allouette te cherche !. Il faut aussi, ajoute ce médecin, travailler à la gravure de ce talisman le 17e ou le 21e jour de la lune et il observe que pour obtenir une réussite parfaite, on doit suivre le sage précepte du divin Hippocrate, c’est-à-dire de ne révéler les mystères de ces choses qu’aux inities et de les cacher soigneusement aux profanes(7). Plusieurs auteurs ont aussi déclaré que le serpent d’airain du grand hippodrome de Constantinople avait été mis là pour éloigner les bêtes venimeuses.

Grégoire de Tours(8) rapporte que de son temps, en nettoyant la Seine a Paris, on trouva des talismans contre les serpents, les souris et les rats, et aussi contre les incendies. Un serpent et un rat d’airain ayant été enlevés de la rivière, la ville fut à plusieurs reprises, dévastée en partie par de violents incendies et les serpents ainsi que toutes sortes de rongeurs incommodèrent péniblement les Parisiens. À ce sujet, Gaffarel dit : Nous soupirons touts les jours les dommages que le feu a dû depuis fait si long-temps en cette ville ! Et auparavent la découverte de ces images merveilleuses, tous ces malheurs y étoient inconnus.

Le Gendre ne sait trop quelle décision prendre sur la valeur des talismans et des amulettes : Ils ont eu tant de réputation dans l’antiquité et même dans les temps modernes, dit-il, qu’il est assez difficile de se persuader qu’aucun d’eux n’ait eu quelque sorte de vertu authentique et qu’il n’y ait pas eu quelque fondement à touts les contes qui ont été débités à ce sujet : car les fables sont presque toujours entées sur quelque chose de vrai. Il paroît donc vraisemblable que, si les talismans ont eu effectivement quelques propriétés, ils agissoient ou par la matière dont ils étoient composés, ou dont ils étoient frottés, ou par des remèdes naturels insérés dans leurs figures concaves, ou enfin par a quelque autre supercherie.

Ajoutons qu’en Grèce on était persuadé que l’athlète qui portait une amulette était invincible, ou du moins à l’abri des enchantements de son adversaire. Les Romains, ainsi que je l’ai dit plus haut, portaient le phallus et aussi d’autres figurines obscènes. Quant aux Hébreux ils avaient leurs phylactères, petites bandes de parchemin chargées de passages de l’écriture sainte, qu’ils s’attachaient à la tête, aux bras et aux mains, ceci en raison du précepte biblique qui leur ordonnait d’avoir constamment la loi sous les yeux. Les talismans sont interdits aux Juifs de par la Mishna ; cependant ils sont tolérés si ces objets viennent d’un homme qui a déjà opère trois guérisons à l’aide de ces amulettes.

Le Thibet, la Chine (Fig. 3), la Tartarie, la russie, abondent en amulettes, enfantées par le chamanisme et le bouddhisme et tous les peuples orientaux en général attachent la plus grande crédulité à ces choses. En Algérie, par exemple, il n’est pas rare de voir un Arabe demander à son marabout un talisman pour son cheval, car les charmes de l’amulette sont encore nécessaires pour préserver le noble animal du coup d’œil de l’envieux que le voyageur est susceptible de rencontrer dans le désert. Au centre de l’Afrique, les mallams ou prêtres musulmans se sont fait une réputation parmi les populations indigènes, pour la fabrication des talismans possesseurs de la conservation de la santé. Ce sont, presque toujours des morceaux de papier bordés de drap rouge sur lesquels sont écrites de courtes sentences de la loi mahométane. Les indigènes les portent au bras gauche et l’on en voit souvent de dix à vingt sur le même, individu.

Tous les nègres oui aussi leurs grigris, nom qu’ils donnent à des objets de natures diverses, mais jugés capables de les protéger contre telle ou lelle atteinte. Parfois c’est un fruit, ou bien une plante, ou encore une figure grossièrement sculptée d’homme ou d’animal. C’est aussi quelquefois des coquilles d’œufs, des araignées, des sauterelles desséchées, des plumes d’oiseaux ou des coquillages de couleurs variées disposés en colliers. Un nègre de Chaadon se croit parfaitement préservé de toute attaque imprévue, en portant sur lui les pattes et la tête d’une grue. Il n’est pas rare non plus de voir en Afrique, disent plusieurs voyageurs, dans les marchés, des amulelles appendues, pour attirer les marchands, empêcher les querelles, les injures et prévenir l’effusion du sang humain. Enfin d’antres talismans ont la propriété de préserver des crocodiles ou des scorpions, et de faire couler l’eau dans les ruisseaux desséchés, tout en y attirant beaucoup de poissons, qu’un autre talisman fera prendre facilement à son propriétaire s’il est pécheur. Les manitous des sauvages de l’Amérique du Nord, les figurines mexicaines représentant des divinités Astèques et Toltèques, celles des Péruviens, de même que les anneaux, les pierres taillées et les boucles de ceinture des insulaires de l’Océan Pacifique, sont autant de talismans divers.

Le Christianisme ne détruisit pas celle pratique curieuse, il ne fit qu’en changer la forme. Mais les talismans les plus connus des premiers siècles de l’Église, ceux des diverses sectes hérétiques qui s’établirent à peu prés en même temps que le Christianisme, sont assurément ceux que produisit le gnosticisme et désignés sous le nom d’abrasax. Ces pierres protectrices représentaient des objets bizarres empruntés, la plupart du temps, à l’art égyptien, avec des inscriptions grecques qui sont restées inexplicables jusqu’à ce jour. Naturellement l’Eglise ne pouvait autoriser ces préservatifs païens ! C’est pourquoi Sainl-Jean-Chrysostôme et les membres du Concile de Laodicée en condamnèrent l’usage ; mais cela fut sans grand effet.

Au Moyen-Age, l’astrologie et la magie étaient deux sources bien propres à la multiplication des talismans et amulettes ; aussi en fabriqua-t-on de toutes sortes à cette époque. Souvent on choisissait alors des objets appartenant à des êtres dont on avait à redouter l’intelligence maligne ou la méchanceté, tels que le crapaud, la peau de loup ou ses dents, celles du renard, des serpents et du chien, et fréquemment encore la fameuse corde de pendu. À ces choses se joignaient celles dont l’origine était réputée diabolique ; débris d’animaux fabuleux, fragments de pierres tombales, terre prise dans un cimetière sur le sépulcre d’un suicidé, linge taché du sang d’une femme adultère morte en couches, ossements et peau d’ENFANTS MORTS-NES ou décédés sans avoir reçu le baptême, etc.(9).

Au quatorzième siècle, les habitants de Toulouse étaient persuadés qu’un monstre parcourait, la nuit, les rues de la ville. De cet animal on faisait une description effrayante et chacun redoutait sa férocité et ses méfaits. Pour remédier à cet état de choses, on fit frapper un jeton-talisman que l’on vendait au public à l’Hôtel de Ville pour se garder contre les attaques du monstre. Ce jeton, qui nous est signalé par de Longpérier, représentait l’animal, qui semble être un ours, et la phrase que l’on devait prononcer si par hasard ou rencontrait l’animal : FUIES, C’EST LA MALLE BESTE !. Les bons Toulousains possesseurs de cette médaille furent convaincus de leur sécurité et tout rentra dans l’ordre et le calme.

Louis XI, avec les médailles de plomb qu’il portait à sou chapeau, a vulgarisé les talismans durant son règne. Aux XVe et XVIe siècles les aventuriers italiens qui vinrent en France à la suite des Médicis accréditèrent, parmi le peuple et les gens de cour, qu’ils avaient puisé dans leurs études philosophiques et astrologiques des connaissances qui leur permettaient la confection de talismans les plus efficaces et cela devint pour eux une véritable industrie. Dans les fondations du château de Montceaux, on a trouve une petite boîte en bois de chêne sculpté contenant deux amulettes que la reine Marie de Médicis y avait fait placer. Delrio rapporte que les reitres venus en France avec le baron Dhona el qui furent taillés en pièces par le duc de Guise, étaient tous porteurs d’amulettes.

Pierre de Bresche, déjà cité, nous donne toute une série de formules pour talismans : Pour la joie, beauté et force du corps, pour guérir la goutte, pour avoir l’esprit plus subtil et la mémoire meilleure, pour causer la division de nos ennemis, pour faire gagner de l’argent aux marchands, etc.

Les talismans astrologiques correspondaient à l’astre sous l’influence duquel un astrologue avait déclaré que la personne destinée à porter le préservatif était placée. Ainsi les talismans de gens placés sous l’influence du soleil devaient être composés d’or, ceux de l’influence lunaire, d’argent ou d’émeraude, etc.

Les pierres précieuses mèmes, ont toujours été réputées comme ayant aussi des vertus particulières, et on les classait dans une catégorie spéciale, dite des talismans naturels. La topaze chassait la mélancolie, le rubis invitait à la continence et assurait la santé tout en procurant la joie, le corail facilitait le sommeil et arrêtait le sang ; de plus les Malais vous assureront que le corail pâlit lorsque l’un de vos amis est en danger. L’émeraude garantissait de l’apoplexie et si elle était portée par une femme vierge, l’émeraude éclatait au moment où cette femme perdait sa virginité ; enfin la sardoine réprimait les désirs charnels(10).

Gustave Flobert nous a laissé dans sa Salammbô une savante énumération des pierres précieuses estimées par les Carthaginois. Le trésor d’Hamilcar contenait, dans des calebasses d’or, les callaïs arrachées des montagnes à coups de foudre, des escarboucles formées par l’urine des lynx et qui rendaient l’esprit joyeux ; des glossopètres tombés de la Lune(11), des tyanes, des sandastrum, des béryls, des céraunies engendrées aussi par la foudre et des calcédoines qui guérissaient des poisons. Il y avait encore les topazes du mont Zabarca pour éloigner la peur, des opales de la Bactriane qui empèchaient les avortements et des cornes d’Ammon que l’on plaçait sous les lits afin d’avoir de bons songes.

Aux XIIe et XIIIe siècles, les pierres précieuses jouissaient encore d’une grande influence. Guevara, le confesseur de Charles V, indique leurs vertus et affirme qu’elles ne peuvent être révoquées en doute. Selon lui, le diamant fortifie le cœur et peut être de grande utilité aux femmes qui sont prêtes d’être mères et l’améthyste s’oppose à l’action enivrante du vin et des poisons. En dehors des pierreries, un talisman qui était très en vogue, à ces mêmes dates, c’est la peau d’une hyène tuée dans un cimetière ; elle avait la propriété de guérir les blessures faites par des armes blanches et les avocals s’assuraient le succès d’un procès en possédant la membrane qui couvre la tête des enfants nouveaux-nés lorsqu’ils sont, en langage vulgaire, nés coiffés.

Parmi les mots que l’on gravait sur les talismans de métal, je dois citer : ABRACADABRA que l’on devait écrire en triangle comme ci-dessous, et qui était considéré comme un talisman général :

Dans d’autres cas, les mots magiques se disposaient en un triangle formant angle droit ; tel était par exemple le mot : AGLA :

A
   A G
      A G L
         A G L A

Le mot Schiauriri s’écrivait dans les mêmes conditions et avait le pouvoir de préserver contre les maux d’yeux et les vertiges.

***

Ces pratiques singulières el ridicules se sont poursuivies jusqu’à nos jours. Certes les progrès de la médecine et de la chirurgie, joints à la propagation de l’instruction, en ont évidemment diminué l’importance. Cependant qui n’a pas entendu dire, par des personnes possédant encore un fond de superstition, que l’opale portait malheur ou bien que les objets piquants et tranchants ne doivent jamais être offerts en cadeaux, parce qu’ils coupent l’amitié ? En outre, il s’est même élevé des discussions sérieuses dont la conclusion était de savoir s’il était nécessaire ou non de laisser propager la croyance attachée aux talismans naïvement reconnus capables de guérir les diverses maladies qui assaillent notre misérable humanité. Nombreux sont les cas, même dans les temps modernes, ou certains talismans ont guéri d’une atteinte physique des malades dont l’imagination était sans aucun doute plus affectée que le reste de leur organisme ! Sur ces faits connus, des médecins, à l’aide de médicaments anodins, ont établi et pratiqué adroitement une méthode médicale purement psychique, qui évidemment a donné des résultats satisfaisants.

Mais ce n’est pas une raison pour continuer l’exploitation publique, qui se manifeste aujourd’hui, par la vente des talismans de chance, des Bijoux mystérieux, des Bagues toutes-puissantes, dont la description et les propriétés sont exposées aux secondes et quatrièmes pages des journaux. J’ai là sous les yeux l’une de ces annonces auxquelles se laissent quotidiennement prendre des naïfs, des désespérés ou simplement des indolents, dénués de toute énergie, de toute activité physique ou morale, apathiques qui s’imaginent qu’une simple bague portée à l’annulaire suffit pour leur procurer la santé, le bonheur et la fortune, alors qu’en réalité il n’y a qu’un moyen d’acquérir ces richesses morales et matérielles : le travail ardent et consciencieusement honnête !

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Notes de Auteur

1. Pierre de Bresche : Traité des Talismans, curieux ouvrage (in-12) publié à Paris en 1671. (Collection de l’auteur).

2. De plusieurs divinations (Tome 4, page 141) publié à Paris ou 1735 (Collection de l’auteur).

3. Paracelse. Philosophiae sagacis (livre 1). Collection de l’auteur. Édition de Francfort : 1603, dix volumes in-4°.

4. Histoire critique des pratiques superstitieuses qui ont séduit les peuples et embarassé les savants. Très curieux ouvrage publié pour la première fois en 1702 (1 volume in-12). Après la mort du Père Le Brun, survenue le 6 janvier de l’année 1729, l’abbé Bellon publia une seconde édition cette étude, revue et augmentée de notes savantes (1732. Volumes in-12). La citation ci-dessus est extraite de cette seconde édition, tome 1, page 375. (Collection de l’auteur).

5. Curiositez inouÿes sur la sculpture tatismanique des Persans, horoscope des patriarches et lecture des étoiles. Ouvrage rare et curieux, publié pour la première fois en 1629 (1 volume in-8°), et qui valut à Gaffarel une poursuite dovant le tribunal de Sorbonne. (Collection de l’auteur). J’ai déjà eu l’occasion de citer cet ouvrage dans le chapitre consacré a la Nécromancie. (Édition de Hambourg).

6. Talismans ou figures faites sous certaines constellations publié a Paris en 1638, 1 volume in-octavo (Collection de l’auteur).

7. Œuvres d’Alexandre Trallien (livre 10).

8. Grégoire de Tours. Livre 8, chapitre 33.

9. Des divers moyens de préservation constante et naturelle. Manuscrit anonyme de la fin du XVIIe siècle, composé de cent huit feuillets, parchemin.. (Collection de l’auteur).

10. Théophraste. Voir son Traite des pierreries et les Livres de Cardan qui contiennent les vertus attribuées à dix-neuf sortes de pierres.

11. C’est dans l’île de Ceylan que l’on trouvait les plus belles pierres lunaires, aux bords d’un lac situé aux Moon-Plains, paysage alpestre d’une, grande beauté que les voyageurs modernes ne manquent pas de visiter. Dans la ville d’Anuradhapura, l’ancienne capitale de Ceylan, on montre, au temple de Dalada, un seuil de porte composé d’une pierre lunaire remarquablement sculptée. Au XVIIIe siècle on désignait ces pierres sous le nom de sélénites et Mizaull dans ses SECRETS DE LA LUNE, publiés à Paris en 1751 (un volume in-8°), nous donne la description d’une pierre lunaire qu’un de ses amis offrit au petit-fils de Jacques II d’Angleterre, le Prince Charles-Edouard. Selon le même auteur, le pape Léon X avait en sa possession une PIERRE LUNAIRE qui se transmuoit de couleur bleue ou blanche, selon les changements et mutations de la Lune.

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Notes

Eugène Defrance, article : « Talismans et amulettes », publ. in Les Forces mentales, 11 (Novembre 1907), pp. 321-336.

Les Forces mentales est une revue mensuelle publiée toute l’année de 1907 et portant sur le magnétisme et la psychologie.