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Prières de Louis-Claude de Saint-Martin


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
Louis-Claude de Saint-Martinpubl. 1807Littératurepubl. FranceThéosophieNon applicable

► Ce texte sur la prière ainsi que le recueil de prières qui suivent et qui ont été tirées d’un ms. de l’auteur, ont été publiées en 1807 à la fin du second tome des Œuvres Posthumes consacrées à Louis-Claude de Saint-Martin.

🕮 Ouvaroff, ref.149 (Œuvres Posthumes).


Texte : én. de Œuvres Posthumes, 1807. | bs. Bibliothèque municipale de Lyon (Lyon, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre Lien vers l’œuvre

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La Prière

Si la nature est comme l’initiation de toutes les vérités, la prière en est comme ta consommation, parce qu’elle les renferme toutes en elle. Et pourquoi renferme- t-elle en elle toutes les religions ? C’est qu’elle imbibe notre âme de ce charme sacré, de ce magisme divin qui est la vie secrète de tous les êtres, de ce magisme qui explique la diversité des religions des hommes, et qui justifie même leurs transports pour les différentes clartés qui ravissent leur esprit, puisque ce magisme, qui n’est autre chose que l’admiration, nous le rencontrons partout où nous trouvons Dieu ; enfin de ce magisme qui nous fait traverser les dangers sans les voir, supporter les fatigues sans les sentir, qui verse la paix, j’allais dire presque le plaisir sur nos maux et sur notre mort même, en donnant dans ces cruels moments à notre être impérissable, des activités enchanteresses qui le portent à son terme comme par un indéfinissable prestige, et en lui dérobant pour ainsi dire les périlleux sentiers que nous avons nécessairement à parcourir, et en lui montrant physiquement que tous nos mouvements et tous nos pas se faisant dans la carrière de la vie, notre mort elle-même doit nous offrir ce caractère ; n’être pour nous qu’une des floraisons de l’admiration, et de nous paraître que le sommet de cet édifice de la génération que nous devons bâtir pendant tout le cours de notre existence.

Mais quand est-ce que la prière atteint réellement ce terme sublime ? C’est lorsque nous parvenons à faire des prières qui prient elles-mêmes en nous et pour nous, et non pas de ces prières que nous sommes obligés d’étayer de tous les côtés, en les puisant dans des formules ou dans de puériles et scrupuleuses habitudes ; c’est quand nous sentons que Dieu n’habitant que dans ses œuvres, comme font tous les êtres, et que ses œuvres étant esprit et vie, nous ne pouvons espérer qu’il habite en nous, qu’autant que nous serons devenus esprit et vie ; c’est-à-dire, qu’autant que chacune de nos facultés sera devenue une des œuvres de Dieu.

Hélas ! Les hommes sont loin d’être assez heureux pour s’élever à la hauteur de cette ineffable religion de la prière, ils ne s’élèvent pas même jusqu’à la hauteur de la religion de l’intelligence, et ils sont si livrés au sensible,

pour ne pas dire au matériel, que sans la religion des faits ou des prodiges, il est presqu’impossible d’avoir accès jusqu’à leur âme et de réveiller en eux le principe de la vie ; il faut même pour leur bien, commencer à les traiter en ennemis, avant de songer à les traiter en frères. Cependant, c’était le corps des frères qui devait faire l’œuvre. Où sont-ils, ceux qui ne demandent plus des miracles, comme il fut reproché aux Juifs, mais qui même ne se bornent point comme les Gentils, à chercher la sagesse de l’esprit, mais qui se plongent assez dans cet abîme immense de la prière, pour éprouver en effectivité que tout ce qui ne tient pas à cette active et vivante religion, n’est qu’un fantôme ? Où sont-ils, ceux qui reconnaissent combien le goût du merveilleux absorbe et cache pour nous les merveilles que nous pourrions rencontrer dans la prière ? Où sont-ils, ceux qui prennent la ferme résolution de demeurer dans le temple du Seigneur, jusqu’à ce qu’ils sentent que le temple du Seigneur vienne demeurer en eux ?

L’éternelle sagesse divine maintient toutes les productions de l’éternelle immensité dans leurs formes, dans leurs lois et dans leur vivante activité : l’air opère le même effet sur tous les êtres de la nature : car sans lui toutes les formes se dissoudraient ; la prière a la même destination et le même emploi par rapport à l’homme ; elle doit faire descendre son poids sur toutes les facultés qui composent notre existence et les maintenir dans tout leur jeu ; comme l’universelle puissance pèse sans cesse sur tous les êtres et les presse de manifester la vie qu’ils ont en eux.

Cette sagesse éternelle est l’air que Dieu respire ; elle est une dans ses mesures : ce qui fait que ta forme de Dieu est éternelle : elle n’a rien à combattre ni aucuns travaux à supporter, comme cette sagesse temporelle dont nous avons besoin pendant notre voyage dans les régions mixtes. Voilà le modèle de notre prière qui n’obtient rien, si elle n’a pas acquis ce caractère d’unité active qui la porte au-dessus du temps et la rend comme le canal naturel des merveilles de l’éternité : car c’est elle qui, en pressant ainsi tous nos canaux spirituels, les épure de toute leur corruption et les met en état de recevoir tous les trésors qu’ils doivent nous transmettre.

Lorsque nous disons dans le Pater, que votre nom soit sanctifié, nous ne faisons qu’invoquer l’accomplissement de cette loi. L’âme est le nom de Dieu : or, si nous obtenons que le nom de Dieu soit sanctifié en nous, dès l’instant le canal des merveilles de l’éternité s’ouvre pour nous, et ces merveilles peuvent se répandre non seulement sur nous, mais encore sur toute l’immensité qui nous environne. Car c’est en nous unissant avec tous les élus de Dieu, tous les patriarches de Dieu, tous les apôtres de Dieu, que nous pouvons dire notre Père dans le sens le plus sublime, parce que par là nous sommes leurs frères, et nous participons à toutes leurs œuvres. Ces merveilles ne s’arrêtent plus, dès qu’elles se sont une fois ouvert l’accès en nous, et parce que nous sommes alors initiés au mouvement divin, à ce mouvement qui ne s’interrompt jamais, parce qu’il est le fils du désir et que le désir est la racine de l’éternité. Or, ce mouvement divin en nous ne se trouve que dans le repos absolu de notre être, et par la cessation de toutes les tempêtes où nous vivons dans la région du temps. Oh ! combien serait grand, redoutable et superbe un homme qui n’aurait pas résumé le péché ! Il n’y a pas de forces, de lumières et de vertus qui ne se trouvassent en lui. Mais quelle douleur pour l’homme de sentir qu’il ne peut espérer de prier à son aise et en pleine liberté, qu’autant que l’univers entier sera dissous ; de sentir que tout ce qui l’environne, tout ce qui l’approche, tout ce qui le constitue aujourd’hui est un obstacle à la prière.

Aussi que l’homme s’étudie, avant de proférer la prière du Centénier : Dites seulement une parole, etc. Car malheur à cet homme si cette parole se disait avant qu’il fût prêt à l’entendre ! elle ne se prononcerait que pour l’effrayer et pour le perdre. Qui est-ce qui est en état d’écouter et d’entendre retentir à son oreille la parole du Seigneur ?

Voici ce qu’elle doit être la parole du Seigneur, pour celui dont la prière a pris possession. Il la rencontre partout cette parole : il la rencontre à toutes les heures cette parole, parce que comme il n’y a point de temps pour l’esprit, il n’y a point non plus de lieu pour l’esprit. Le temps et l’espace ne sont-ils pas proportionnels ?

Terre, arrête-toi ; deux, suspendez votre voix, et toi, prince des ténèbres, éloigne-toi et précipite-toi dans tes abîmes. Car un homme va prier, et il va prier jusqu’à ce qu’il se sente arrivé à cette région où l’homme est

perpétuellement tourmenté par la poursuite et l’importunité de la prière et de la parole.

Nous ne devrions faire à Dieu que des prières de remerciement et ne jamais lui rien demander : car il donne toujours, et ne donne que ce qui est toujours parfait et toujours excellent. Il donne des abondances de délices et de faveurs dans le temps même que nous sentons par nos souillures ne mériter que des punitions, et ne devoir attendre que des supplices.

Les malheureux hommes savent cela, et ils ne cessent de faire mourir Dieu ; c’est-à-dire de l’empêcher de percer en eux, et par là de se manifester hors d’eux. Car si notre bonheur est de connaître Dieu, le bonheur de Dieu est d’être connu, et tout ce qui s’oppose à ce bonheur est une mort pour lui. Pleurons, pleurons sur les péchés des hommes et sur les nôtres. Faisons en sorte de sentir combien Dieu nous aime, et pour l’engager à nous faire sentir combien il nous aime, promettons-lui que nous travaillerons à le manifester, et ne nous donnons point de repos que nous ne lui ayons tenu parole.

Allons même dans notre pénitence et dans le sentiment de notre ingratitude envers lui, jusqu’à nous dévouer, sans regret, et même avec plaisir, aux souffrances, aux dangers, aux craintes de tous les genres ; c’est-à-dire soumettons-nous avec délice aux châtiments et aux punitions que nous avons tous si justement mérités. Châtie-moi, Seigneur, parce qu’alors tu seras près de moi. Car la principale prière que nous devrions faire, et la principale œuvre à laquelle nous devrions travailler, serait de demander à Dieu la passion exclusive de le chercher, de le trouver, d’être uni à lui et de ne pas nous permettre un mouvement qui ne dérivât de cette passion-là, puisque cette voie nous amènerait à être véritablement l’image et la ressemblance de Dieu, en ce que nous ne ferions plus rien, nous n’aurions plus une seule pensée, une seule floraison en nous, qui ne fût précédée et ne sortît directement de la sainte parole intérieure et divine, comme rien n’existe dans tous les univers des esprits et des mondes qui ne soit continuellement précédé de l’éternelle et universelle parole génératrice et créatrice de toutes choses. L’amour s’est fait notre frère ; disons-lui : descends dans mon cœur, comme un médecin habile et expérimenté, et prononce sur le traitement qui convient à mes plaies ;

quelqu’amer, quelque douloureux qu’il soit, je m’y soumettrai avec joie, puisque c’est le seul moyen que j’aie pour recouvrer la santé. Je serai tranquille entre tes mains, puisque tu me précéderas dans mon supplice ; je serai tranquille entre tes mains, parce que tu m’aimes ; je serai tranquille entre tes mains, parce que tu es puissant, et que tous les maux, tous les dangers, tous les ennemis s’anéantiront pour moi à ta seule présence.

Mais ce n’est point assez de demander à Dieu de descendre dans nous, nous n’avons rien fait s’il n’y reste pas, et voilà le plus grand malheur dont les hommes sont journellement les victimes : car Dieu descend

journellement en eux ; mais journellement ils l’en laissent ressortir, ou plutôt ils le font ressortir eux-mêmes et semblent pour ainsi dire ne pas s’en apercevoir.

Hommes, ranimez vos espérances, rappelez-vous que Dieu s’est fait organe en votre place, (comme il se voit dans la 7e religion ou les traditions) ; rappelez à Dieu sa propre parole par laquelle il a dit qu’il se faisait organe à votre place : dites-lui que ses paroles ne peuvent point passer et importunez-le jusqu’à ce que vous sentiez qu’il se soit réellement fait organe pour vous dans toutes vos facultés ; c’est alors que vos joies, votre paix et votre triomphe seront assurés ; et ne vous a-t-il pas dit : heureux celui qui persévérera jusqu’à la fin ! Or, avant d’appliquer ce passage à la fin universelle des choses, ne devez-vous pas l’appliquer d’abord à la fin de chacune de vos œuvres spirituelles-particulières que vous ne devriez jamais abandonner que vous ne les eussiez portées par votre persévérance jusqu’à cette fin, ou à ce divin résultat qui seul peut vous payer de vos travaux et vous dédommager de vos peines au centuple.

Demandez donc sans cesse à ce Dieu qu’il se crée lui-même en vous, en miséricorde, en force, en amour, en charité, en résignation, en confiance, en douceur, enfin en toute la nature primitive de notre être : car telle devait être la manifestation et l’activité continuelle de notre substance divine ; demandez-lui toutes ces faveurs-là, dussiez-vous être tourmenté comme lui de l’impatience de la justice, de cette impatience dont il nourrit l’âme du prophète et fait que l’âme du prophète est une mer agitée et grosse, qui ne peut avoir aucun repos.

Comment l’âme du prophète ne serait-elle pas tourmentée de l’impatience de la justice ? Il sent que le réel, le saint, le vrai sont, qu’ils sont là, qu’ils y sont toujours, et que, cependant, il est détenu comme un esclave et comme un être dont on se joue au milieu du faux, de l’apparent et de l’illusoire.

Mais voici les progressions diverses de l’homme selon les divers degrés où il est placé, soit par sa faute, soit par ordre. L’homme qui aime le péché craint tout et répugne à toutes les souffrances ; l’homme qui hait le péché ne redoute aucune de ces souffrances ; l’homme qui fait pénitence de son péché les supporte avec résignation et même avec joie ; l’homme qui fait pénitence pour les péchés des autres et pour le grand crime désire ces mêmes souffrances avec ardeur et elles sont sa consolation ; l’homme du torrent ne connaît pas ces utiles progressions : son corps prend trop d’esprit pour que son esprit puisse prendre du corps.

La prière est une végétation, car elle n’est que le développement laborieux, progressif et continuel de toutes les puissances et de toutes les propriétés divines- spirituelles et naturelles, temporelles, corporelles, glorieuses de l’homme, qui ont toutes été réservées et ensevelies par le péché.

Aussi tu ne pourras jamais connaître la prière de la pénitence, que tu n’aies parcouru le vaste champ de la nécessité du premier homme, de celle de la nature immortelle, spirituelle, pensante et parlante, de ton horrible privation qui te démontre si évidemment une punition, par conséquent une faute, et par conséquent une justice antérieure à toi ; tu ne pourras jamais connaître ta purification vive et réelle, que tu n’aies passé par cette pénitence ; tu ne pourras jamais connaître ta régénération qu’après avoir subi cette vive purification ou cette pénitence, qui, par tes pleurs, te produit le Baptême de l’eau qui lave toutes les souillures ; tu ne pourras jamais exercer les œuvres et les dons de l’esprit, que tu n’aies été réinstallé dans tes puissances par ta régénération ; tu ne pourras jamais enseigner, que tu n’aies passé par l’exercice de tes œuvres et des dons de l’esprit ; tu ne pourras jamais enseigner sûrement et utilement par écrit, que tu n’aies enseigné par les entretiens et les discours ; tu ne pourras jamais profiter de la lecture des bons ouvrages, que tu n’aies enseigné toi-même par les entretiens et les discours ; tu ne pourras jamais trouver du repos à ton esprit, que tu ne sois rempli de la lecture des bons ouvrages. Cela t’indique quelle est l’immensité du domaine de la prière, et en même temps quelle est la grandeur du travail qu’elle t’impose ; car dans ce tableau, il n’y a pas un degré qui n’attende ton activité pour te rendre son fruit, afin que tu n’oublies pas que tu es un extrait vif d’une source vive, et qu’à son image tout doit naître de toi, pour que cela te compte et que cela te reste. Dieu est un roi qui entre toujours dans son royaume et qui n’en sort jamais. Il est pour l’âme humaine comme un époux tendre et attentif qui veille avec un soin continu, pour épargner à son épouse chérie non seulement les maux et les dangers, mais même la moindre fatigue.

Magnifique Dieu de ma vie, transforme tous les êtres qui composent le temps, qu’ils deviennent les lumières de ton temple éternel, qu’ils deviennent les organes de tes saints cantiques, et qu’ils disent tous ensemble, et sans jamais s’interrompre un instant : magnifique Dieu de ma vie, magnifique Dieu de ma vie, magnifique Dieu de ma vie, tout est en toi, tu es en tout, et rien ne se connaît, ne s’aime et n’est heureux que par ta vie et que dans la vie. Il n’y a que ton esprit de vie qui crée des esprits en nous, et qui nous remplisse de ces êtres immortels et éternels. La loi de Moïse n’était qu’un reflet de ton esprit, aussi ne créait-elle en nous que des puissances passagères : c’est toi qui crées en nous une abondante immensité de tes puissances permanentes et la plénitude de tes esprits.

La prière est la principale religion de l’homme, parce que c’est elle qui relie notre cœur à notre esprit ; et ce n’est que parce que notre cœur et notre esprit ne sont pas liés que nous commettons tant d’imprudences, et que nous vivons au milieu de tant de ténèbres et de tant d’illusions. Quand, au contraire, notre esprit et notre cœur sont liés, Dieu s’unit naturellement à nous, puisqu’il nous a dit quand nous serions deux assemblés en son nom, il serait au milieu de nous, et alors nous pouvons dire, comme le réparateur : mon Dieu, je sais que vous m’exaucez toujours. Tout ce qui ne sort pas constamment de cette source est au rang des œuvres séparées et mortes ; et même les œuvres de l’esprit qui peuvent s’opérer par cette source en nous, comme étant son organe, ne nous paraissent pas comparables à cette union ; mais le moyen d’être préservé de l’orgueil dans ces sortes d’œuvres est de nous tenir perpétuellement les yeux tournés vers cette source, parce qu’alors nous sentons que nous ne travaillons qu’à sa glorification, au lieu que quand nous puisons des œuvres de l’esprit dans des voies et dans des intentions externes, nous sentons que nous travaillons à notre propre glorification.

La prière relie notre esprit et notre cœur à Dieu, et quand elle a ouvert en nous le foyer divin, nous nous sentons réchauffés, animés et vivifiés par toutes les puissances divines ; toutes les bases de l’alliance se posent en nous, tous les patriarches, tous les prophètes du Seigneur, tous les apôtres font chacun leurs fonctions en nous ; ils ne font toutes ces fonctions en nous que parce que l’Esprit-Saint les fait lui-même en eux ; et toutes ces diverses fonctions s’opèrent en nous dans une liaison délicieuse et une harmonie qui nous peint la sainte fraternité de tous ces élus de Dieu, et leur zèle ardent et mutuel d’avancer en nous l’œuvre de Dieu ; ils ne nous présentent cette sainte harmonie que parce qu’ils sont eux-mêmes dirigés et influencés par l’harmonie de l’unité, etc.

J’ai dit et écrit que notre prière ne devrait être qu’une action de grâce continuelle, cela ne nous surprendrait point si nous réfléchissions à notre situation dans ce monde : nous devrions tous, en effet, composer notre prière, ou notre continuelle action de grâce, de la liste des grâces préservatrices que nous recevons. Chacun ne devrait s’occuper que de l’énumération des maux qu’il ne souffre pas, des tribulations qu’on lui sauve, des privations qu’on lui épargne. Chacun pourrait étendre infiniment le ps. 43 : car ce ne sont plus les miséricordes faites à nos pères que nous pourrions raconter comme le faisait le chantre juif, mais ce sont ces miséricordes qui nous ont été et qui nous sont faites journellement à nous- mêmes. Si chacun suivait cette voie, il sentirait bientôt la joie, la paix, la consolation ; et la main suprême et miséricordieuse irait jusqu’à le garantir même des maux considérables qui paraissent inévitables à notre nature, mais qui, cependant, ne nous arrivent guère que par nos fautes et nos imprudences. Mais pour en venir à ce point de sublimité où peut nous porter la prière, il faut l’acheter au prix des douleurs de l’enfantement ; c’est par là que le

souvenir nous reste du prix qu’il nous a coûté, et que ce trésor devient ainsi pour nous le prix de l’amour.

Nous apprenons même là un grand secret qui est que Dieu nous regarde quelquefois dans notre travail et dans les douleurs de notre prière, comme une mère regarde son enfant, lorsqu’il est en combat avec les puériles angoisses de son âge et avec les petits simulacres de dangers auxquels elle l’expose pour le former et lui faire développer ses forces. Dieu, comme cette mère, sait bien que son amour va couronner nos efforts, il se plaît même dans son amour à nous voir nous agiter ainsi dans la crainte de diminuer à nos yeux la valeur de ce trésor qui est notre seul bien ; il veut que nous le gagnions par nos sueurs, quoiqu’il soit bien déterminé à nous l’accorder, et cette victoire sur notre cœur est une douce conquête dont il se réjouit d’avance en secret ; c’est ainsi qu’au milieu de notre liberté même, nous ne sommes que les organes et l’exécution de ses divins desseins, dont les mobiles primitifs restent toujours cachés dans ses mains ou plutôt dans son cœur ; en même temps, c’est ainsi que nous sentons avec surprise, et au moment où nous nous y attendons le moins, combien ses plans sont doux et ses moyens remplis d’une sagesse toujours neuve et merveilleuse. Car sa divine industrie fait qu’il nous menace de maux apparents pour nous amener à la crainte et à la prière de supplication, et qu’il nous délivre continuellement de maux réels pour nous amener à l’amour et à la prière d’actions de grâce.

Les avantages de ce fils de l’amour, ou de ce feu vivant et animant qui doit finir par nous embraser, sont innombrables ; et le principal de ces avantages est de nous préserver des coups de l’ennemi dans tous les genres : car, lorsque le feu de l’amour est allumé dans tout notre être, l’ennemi a beau nous frapper, il ne frappe pas sur nous, il ne frappe plus que sur la colère qui est comme retranchée de nous, c’est-à-dire qu’il se frappe lui-même et s’inflige à lui-même sa propre punition.

Ce feu de l’amour arrête tellement les puissances de l’ennemi que les magiciens de Pharaon n’eurent plus la force d’imiter les prodiges de Moïse, depuis qu’à la demande du roi d’Égypte, il eut prié pour la cessation de la plaie des grenouilles (qui était la 3e). En effet, qui est- ce qui peut te résister, homme, si tu as le bonheur de prier, jusqu’à ce que tu sentes ton feu d’amour ou ta sainte éternité se mouvoir en toi ! N’oublie pas que non seulement tu dois être une opération de Dieu, mais que cette opération de Dieu doit être continuelle et de tous les instants. Oh Dieu ! Fais donc qu’à chaque acte de mes désirs, je fasse passer un peu de toi dans le monde ! Nous n’avons pas d’autre emploi que d’être pour ainsi dire les colporteurs de ce Dieu dans le monde, et les hommes le prouvent dans toutes les circonstances de leur vie ; c’est-à-dire qu’ils prouvent sans cesse qu’ils n’inventent rien : car lorsqu’ils racontent des faits de l’esprit, ils ne sont pour rien dans la certitude des faits qu’ils racontent ; lorsqu’ils comprennent des vérités intéressantes, leur intelligence n’est pour rien dans la justesse de ces vérités qu’ils comprennent, lors même qu’ils font des actions bonnes, humaines, généreuses, leur action n’est pour rien dans la sainteté et l’équité de la loi éternelle qui ordonne de pareilles actions. Ainsi la mémoire de l’homme n’est que le colporteur de la certitude des faits ; son intelligence n’est que le colporteur de la justice et de la loi qui est au-dessus de lui. Cependant, plus il emploie de ses facultés à ce commerce, plus il l’augmente, et en même temps, plus il étend sa propre existence ; on voit aussi que plus il met du sien dans ce commerce, plus il est digne de notre reconnaissance et des récompenses de l’universelle justice, parce qu’il augmente par là nos propres richesses et la gloire de son maître, en en manifestant les divines merveilles. En effet, dans l’ordre commun, l’homme intelligent est supérieur à l’homme qui raconte, et l’homme qui agit est supérieur à l’un et à l’autre ; parce que de même que le principe des choses serait comme nul pour nous, s’il ne les eut transformés en œuvres, de même, l’homme n’est pas un être complet, s’il ne porte pas le développement et l’usage de ses facultés jusqu’à l’action.

Il nous est dit dans l’Apocalypse 13, 8 et 9 : La bête sera adorée par tous ceux qui habitent la terre, et dont les noms ne sont point dans le livre de vie de l’agneau qui a été immolé dés le commencement du monde. Que celui- là entende qui a des oreilles.

C’est ici que l’homme apprend par où il doit commencer pour porter le développement de sa prière et l’usage de ses facultés jusqu’à l’action ; s’il veut que son édifice ne soit point fondé sur le sable, il doit réfléchir que l’œuvre particulière de l’homme est une imitation de l’œuvre générale ; qu’ainsi il n’obtiendra pas le but de ses œuvres s’il ne commence par répéter en lui l’immolation de l’agneau, parce que l’œuvre particulière de l’homme doit aussi lui enfanter un monde, c’est-à-dire une universelle opération spirituelle affranchie de toute opération terrestre de volonté humaine, et que, par conséquent, l’agneau doit être aussi immolé en lui dès le commencement de ce monde particulier qui doit être pour lui une œuvre complète ; mais comme nulle immolation particulière ne peut se faire en lui que par son union à l’immolation de l’agneau universel, il apprend là le seul moyen qu’il ait de s’inscrire à la fois, et dans son propre livre de la vie, et dans le livre de vie par excellence : c’est-à-dire à quelle condition il se peut préserver de l’adoration de la bête, car tout ce qui ne tient pas à ces deux livres de vie, tient à la bête. Voilà je crois de quelle oreille on doit entendre ce passage. Notre corps animal n’est pas la bête, quoiqu’il y soit lié ; aussi devrions-nous nous promettre de ne jamais rien accorder à cet animal si voisin de la bête, que nous n’eussions auparavant et à chaque fois obtenu et senti la nourriture de notre esprit.

Dieu suprême ! II n’y a que toi qui puisses te servir de prière à toi-même, et ce n’est qu’en te rencontrant toi- même dans notre prière que tu peux te payer et être content. Mais aussi, ce n’est que quand tu t’es ainsi rencontré toi-même en nous, que nous pouvons nous croire régénérés et prononcer avec transport et une joyeuse confiance : Consummatum est.

Mais ces joies sont encore bien loin d’être permises à l’homme ; il faut auparavant qu’il les gagne par les sueurs continuelles de son sang et de son esprit. Il faut d’abord qu’il souffre pour ses propres péchés ; il faut qu’il entende en soi la voix redoutable de ses péchés, voix mille fois plus effrayante que celle de tous les maux de la terre ; il faut qu’il sente l’horreur d’avoir pu scandaliser l’Être saint et juste par excellence, et qu’il se souvienne de ce que dit l’Écriture : malheur à celui qui aura scandalisé le moindre de ses petits. Par conséquent, quel malheur pour celui qui a scandalisé le plus grand de tous ! II faut qu’il se fasse circoncire dans toutes les parties de son être, et qu’il souffre comme les Sichimites les suites douloureuses de l’opération pendant plusieurs jours ; il faut qu’il mesure la miséricordieuse justice de ce Dieu outragé qui, malgré que nous l’ayons scandalisé jusque dans son centre divin, ne nous punit, ou plutôt ne cherche à nous corriger que par des tribulations terrestres et des afflictions corporelles, toutes choses que nous ne devrions pas regarder comme des afflictions, puisque la privation de tout ce qui tient au temps, et puisque la mort elle-même sont tellement inévitables, que ce n’est point à toutes ces choses-là que la sagesse pense lorsque elle nous recommande de faire pénitence ; bien moins encore est-il question des afflictions humaines qu’une apparente injustice peut attirer sur nous : car lorsque les afflictions nous arrivent, et que nous serions tentés de dire que nous ne les avons pas méritées, songeons que Dieu pourrait nous dire : quand vous m’avez blessé dans mon amour par votre insouciance, dans ma vérité par vos mensonges, dans ma sainteté par vos souillures, avais-je mérité tous ces outrages ? Et cependant je les ai soufferts et je les souffre tous les jours ; il faut que, quand il aura ainsi senti la douleur pour ses propres péchés, il s’ouvre aux douleurs que le réparateur a supportées et qu’il supporte sans cesse pour les péchés des autres hommes ; il faut qu’en se présentant pour entrer au service de ce bon maître, il se livre avec zèle et ardeur à partager ses fatigues et ses souffrances ; il faut qu’il sente que ce maître incompréhensible dans son amour, est mille fois plus affligé des maux terrestres et spirituels que les hommes se font entre eux, qu’ils ne peuvent jamais l’être eux-mêmes ; il faut qu’il s’afflige avec lui, qu’il souffre pour le soulager, si cela se peut, qu’il aperçoive que ce maître divin est consolé en partie de ses souffrances par les triomphes que l’éternelle justice ne peut manquer de remporter et qu’elle remporte en effet tous les jours ; mais que la vraie manière de servir ce bon maître, ce serait de travailler à le consoler dans son amour, en cherchant à lui ouvrir les cœurs de ceux qu’il a bien voulu nommer ses frères : car il n’a que la soif des âmes, et c’est de cette soif-là que nous devons travailler sans cesse à nous remplir, si nous voulons devenir ses frères et ses coopérateurs. Il faut qu’il sente que toutes les abominations, erreurs et illusions auxquelles les hommes se sont livrés, se livrent et se livreront jusqu’à la fin des temps, sont autant d’épines et de poignards qui déchirent te cœur de ce bon maître, et qu’en entrant à son service, tel est le traitement qu’il doit attendre, et le pain quotidien qu’il doit manger. Car il ne peut ouvrir les yeux sur aucun objet de la nature, sur aucun homme, et encore moins sur aucune femme, qu’il ne rencontre un sujet de douleur et d’affliction spirituelle dont le cœur de notre maître est bourrelé depuis le commencement des siècles : telle est la vie du véritable disciple de ce véritable maître, et telle est la véritable prière.

J’ai dit plus haut que nous devrions demander que Dieu et la prière se priassent eux-mêmes en nous. J’aurais pu ajouter que, puisqu’il nous est dit que quelque chose que nous demandions au Père en son nom, nous l’obtiendrions, il faudrait que nous eussions l’industrieuse foi de le demander lui-même en son nom, afin qu’il ne pût pas se refuser à notre prière. L’Écriture nous dit que le Saint-Esprit prie sans cesse en nous par des gémissements ineffables. Si cela est, nous n’aurions donc autre chose à faire que de ne pas empêcher ce Dieu lui- même de se prier ainsi en nous : car, s’il se priait partout en nous et dans toutes les facultés de son être, nous serions alors le véritable rien que nous devons être à son égard, et nous ne ferions qu’entendre continuellement les diverses et divines prières qu’il ferait en nous et pour nous, et nous n’en serions que l’objet, que les témoins et les signes vivants pour en instruire les régions externes. Voilà le véritable abandon : voilà cet état où notre être est continuellement et secrètement amené de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, et si on ose le dire, du néant à l’être ; passage qui nous remplit d’admiration, non seulement par sa douceur, mais bien plus encore parce que cette œuvre reste dans la main divine qui l’opère, et qu’heureusement pour nous, elle nous est incompréhensible, comme toutes les générations dans toutes les classes le sont aux êtres qui en sont les agents et les organes : oui, le bonheur de cette ignorance en nous est tel que s’il était possible qu’on nous offrît la connaissance et la clef de notre génération divine, nous aurions grand tort de ne pas la refuser. Car si cet être est tout, où pourrait-il aller pour se corrompre ? Où pourrait-il aller qu’il ne se rencontrât lui-même, c’est-à-dire qu’il ne rencontrât la vérité et ta perfection ! Quant à sa propre génération éternelle et divine, ne croyons pas jamais atteindre à la connaître en réalité effective, quelques sublimes idées que les profondeurs de la sagesse puissent nous en donner. Car il y a un magisme universel sur toutes les générations, elles le sentent toutes, et ne se comprennent pas. Je ne crains pas même d’avancer que

Dieu se ravit perpétuellement dans sa propre génération, mais que s’il la comprenait, elle aurait un commencement, puisque sa pensée serait antérieure à cette génération ; enfin, si l’être connaissait sa propre génération, il n’y aurait plus de magie, et s’il n’y avait plus de magie, nous aurions de la science à la vérité, mais nous n’aurions plus de plaisir.

Quand nous avons le bonheur de parvenir à ce sublime abandon, le Dieu que nous avons obtenu par son nom, selon sa promesse, ce Dieu qui se prie lui-même en nous, selon sa fidélité et son désir universel, ce Dieu qui ne peut plus nous quitter, puisqu’il vient mettre son universalité en nous, ce Dieu, dis-je, ne fait plus de nous que comme l’habitacle de ses opérations. Ainsi, avec ce Dieu, nous n’avons plus de souillures à craindre, parce qu’il est la pureté, qu’il la porte partout, et que rien ne le peut tacher ; nous n’avons plus à craindre les attaques de l’ennemi, ni démonial, ni astral, ni terrestre, parce qu’il est la force et la puissance, et que toutes les puissances viennent se briser devant lui ; nous n’avons plus d’inquiétudes à avoir ni pour notre marche, ni pour nos discours, ni pour nos besoins, parce qu’il se trouve lui- même dans toutes ces choses, et qu’il a la plénitude de tous les moyens pour y suffire : ce qui nous peint la force et la vérité des paroles qu’il disait à ses apôtres, en leur recommandant de ne se mettre point en peine des soins de leur vie, etc. comme font les païens.

En effet, si nous avons le bonheur qu’en demandant notre Dieu lui-même par son nom, il vienne s’établir en nous, il ne tardera pas à y opérer un autre prodige qui assurera d’autant plus notre félicité : car si nous voyons que dans Isaïe, Jérémie, Amos et dans d’autres prophètes, il jure par son nom, par sa droite, par son âme, de briser la force du pain, de renverser les villes coupables et de ne plus se souvenir des peuples criminels : combien plus sera-t-il prêt de jurer par son nom, par sa droite, par son âme, de ne plus nous abandonner, de ne plus se séparer de nous, puisqu’il ne le pourrait sans se séparer de lui-même ? Combien plus sera-t-il désireux de jurer toutes ces choses en son nom, par son amour, que de jurer le contraire en son nom, par sa colère ? Or, s’il nous était donné qu’une si éminente faveur nous fût octroyée, qu’elle ne devrait pas être notre espérance et notre sécurité, puisque Dieu, qui défend de prendre sa parole en vain, ne pourrait sûrement pas prendre en vain lui-même sa propre parole, et qu’alors toutes ses promesses ne pourraient manquer d’avoir leur effet, ni toutes ses miséricordieuses bénédictions de nous suivre et de nous accompagner partout. Souvenons-nous qu’il a donné sa parole au réparateur, et qu’il ne la pourra jamais oublier ; souvenons-nous qu’il a dit que partout où nous serions deux ou trois assemblés en son nom, il serait au milieu de nous. Or, nous pouvons non seulement rassembler notre cœur et notre esprit en son nom, mais y rassembler aussi toutes nos facultés, notre foi, notre justice, notre amour, notre piété, notre dévouement, etc.

Heureux donc l’homme que la Divinité daigne choisir, pour en faire un temple où elle vienne s’invoquer elle- même par son propre nom et y jurer en son propre nom qu’elle veillera sur ce temple, et qu’elle l’emploiera à l’exécution et à l’accomplissement de tous ses desseins ! Il doit s’attendre à des travaux pénibles et à un grand asservissement aux ordres de son maître ; mais outre que cette fidélité et cette exactitude sont indispensables, même dans l’ordre humain, combien les douceurs et les récompenses qu’il doit attendre de celui qui l’emploie, ne seront-elles pas au-dessus des services qu’il lui rendra ! Ces douceurs peuvent s’étendre au point que l’homme n’ait plus besoin de demander à ce Dieu de venir l’invoquer en lui dans son propre nom ; mais que ce Dieu d’amour et de désir y vienne de lui-même et sans attendre la supplication de l’homme qui alors n’a d’autres prières à faire que des prières d’actions de grâce et de jubilation. On n’a plus même besoin de lui dire, comme l’Écriture : priez sans cesse, car le toujours demeure en lui, et n’y peut demeurer sans prier, et sans faire jaillir universellement son éternel désir ; c’est-à-dire sans faire pleuvoir sur nous, et faire couler dans nous des flots de mondes spirituels et des nombres toujours innombrables d’univers divins. Car s’il a dit qu’il voulait être servi en esprit et en vérité, et que c’était ces serviteurs-là qu’il aimait, ne devons-nous pas être plus que sûrs qu’il se servira lui-même en nous en esprit et en vérité, puisqu’il ne peut manquer d’être fidèle à sa propre loi, fondée non seulement sur son invariable exactitude, mais encore plus sur ce qu’il ne peut manquer de s’aimer lui-même et d’agir avec lui-même en esprit et en vérité, conformément à son propre amour.

Mais cette prière qu’il fait en nous est douloureuse, comme celle que nous faisons nous-mêmes, puisqu’il s’agit là d’une renaissance ; ne sentons-nous pas des douleurs au physique dans ceux de nos membres qui sont amputés ? Nous devons en sentir aussi au spirituel quand l’action se développe en nous et se porte à ceux de nos membres spirituels à qui le péché a fait subir l’amputation. Eh bien, le réparateur doit subir de semblables douleurs et de bien plus considérables encore, quand il cherche à s’introduire en nous ! Car nous sommes tous autant de membres de ce grand Être, que nos souillures ont comme retranché de lui, et comme il cherche à s’introduire universellement dans tous ses membres, on doit voir quelle est l’étendue de l’œuvre douloureuse qu’il fait en nous, puisqu’il veut bien y devenir lui-même le fruit de sa propre pénitence ; mais on doit voir aussi quelles doivent être nos espérances, lorsqu’il veut bien venir lui-même faire pénitence en nous, puisqu’il lui doit être impossible de résister et de ne pas se rendre lui-même à sa propre pénitence.

Homme, tu as vu que le réparateur voulait bien venir faire pénitence en nous ; tu vois qu’il cherche à reproduire de nouveau tous nos membres, malgré les douleurs vives que cette œuvre lui occasionne ; tu vois qu’il veut bien devenir le fruit de sa propre pénitence. Ces ineffables et incomparables bienfaits ne suffisent-ils pas pour que tu lui demandes, lorsqu’il t’aura guéri, la grâce d’entrer pour quelque chose dans son affliction, relativement aux souillures et aux ténèbres des autres hommes.

Ce n’est rien encore que d’entrer ainsi dans son affliction et de partager les douleurs que l’humanité aveugle et égarée lui fait souffrir ; il faut que le jugement de l’espèce humaine entre également en nous et nous en fasse sentir toute l’étendue et toute l’horreur. Bien plus, il faut que nous en sentions comme l’exécution pour le général, comme nous le sentons pour l’individu lors de notre pénitence particulière, et lors des douleurs que notre être spirituel éprouve pour régénérer ceux de nos membres qui sont amputés. C’est là ce qui constitue le véritable état prophétique.

Mais cette œuvre est si importante que tu dois te garder de la désirer avant que tes substances soient assez pures et assez fortes pour la supporter : à plus forte raison cette précaution est-elle indispensable avant que tu demandes au grand Être de se prier lui-même en toi : car il ne peut y avoir de sympathie qu’entre des êtres analogues. Mais aussi, dès que tu veilleras constamment et diligemment sur toi, sois sûr que ce grand Être ne tardera pas à venir se convoquer en toi lui-même à la prière : et ce sera là le signe de ta régénération. Car cette régénération ne peut avoir lieu qu’autant que le cours progressif de toutes les élections et de tous les points de toutes les alliances est accompli en nous, puisque ce n’est qu’alors que la parole éternelle du Père rentre en sa libre opération en nous et se fait entendre à notre esprit avec toutes les douceurs qu’elle engendre.

C’est alors que tu sentiras ce que c’est que la vraie foi qui n’est autre chose que de regarder Dieu comme le propriétaire de la maison que tu lui cèdes par le pacte que lui et toi font ensemble ; que par conséquent, tu dois lui laisser pleine et entière liberté d’user à son gré de tout ce qui compose cette maison ; enfin, que cette vraie foi consiste en ce qu’il n’y ait pas un seul point de toi-même que tu te réserves et où tu conserves la moindre propriété, puisque c’est Dieu-même, sa volonté, son opération, son esprit qui doivent occuper et remplir tous ces points qui te constituent, attendu qu’étant devenus sa propriété, ils ne peuvent plus être la tienne. Tâche surtout de sentir que tu ne peux rien, si tu ne procèdes, c’est-à-dire si tu n’es pas continuellement engendré de Dieu, car Dieu ne peut vivre et opérer que dans son propre désir : voilà pourquoi l’homme n’est rien tant qu’il n’est pas universellement la floraison ou l’explication active du désir de Dieu : voilà pourquoi aussi quand il est juste, Dieu même ne lui résiste pas, parce qu’il n’est juste, qu’autant que Dieu habite en lui et le justifie. Mais pour arriver à ce haut terme, il y a un antérieur à passer, c’est celui de l’emploi déterminé de toutes les puissances de notre volonté. Car on sent si bien dans l’œuvre que notre volonté est une puissance que l’on éprouve physiquement, que l’on veut que nous voulions, tant la loi est attachée au jeu des sentiers qu’elle s’est tracés. Aussi devrions-nous prier toujours, ou absorber le temps dans notre prière, si nous voulons rétablir nos analogies avec Celui qui est sans temps ; aussi devrions-nous nous coller inséparablement et sans interruption à ce nom profond qui veut être lié inséparablement à tout, puisque sans cette source, il ne peut rien y avoir de régulier et de participant à ta lumière ; aussi devons-nous faire des efforts constants et perpétuels pour que ce nom radical ne se sépare pas de nous un seul instant, puisque rien dans nos œuvres spirituelles, sociales, intellectuelles, morales, naturelles, corporelles, ne peut être légitime et garanti de nos propres reproches, qu’autant que toutes ces œuvres sont l’effet positif et le résultat même de ce grand nom.

Mais une merveille qu’il ne faut pas dire trop haut, c’est que l’homme prie toujours, lors même qu’il n’en sait rien ; et les prières qu’il fait avec connaissance ne sont que la production de celles qu’il ignore : elles ne sont que l’écoulement de ce fleuve éternel qui s’engendre en lui : elles n’ont pour objet que de vivifier tous ses membres, tous ses sentiers et par lui toutes les régions, afin que la vie soit partout.

Cependant, si à cette prière secrète et inconnue, il ne joint pas ses prières actives et volontaires, cette prière secrète ne lui sert de rien, et sa propre paix ou la paix qu’elle engendre, revient sur elle.

Prière 1

Source éternelle de tout ce qui est, toi qui envoies aux prévaricateurs des esprits d’erreur et de ténèbres qui les séparent de ton amour. Envoie à celui qui te cherche un esprit de vérité qui le rapproche de toi pour jamais. Que le feu de cet esprit consume en moi jusqu’aux moindres traces du vieil homme, et qu’après l’avoir consumé, il fasse naître de cet amas de cendres, un nouvel homme sur qui ta main sacrée ne dédaigne plus de verser l’onction sainte. Que ce soit là le terme des longs travaux de la pénitence, et que ta vie universellement une transforme tout mon être dans l’unité de ton image, mon cœur dans l’unité de ton amour, mon action dans une unité d’œuvres de justice, et ma pensée dans une unité de lumières. Tu n’imposes à l’homme de grands sacrifices que pour le forcer à chercher en toi toutes ses richesses et toutes ses jouissances, et tu ne le forces à chercher en toi tous ces trésors, que parce que tu sais qu’ils sont les seuls qui puissent le rendre heureux, et que tu es le seul qui les possède, qui les engendre et qui les crée. Oui, Dieu de ma vie, ce n’est qu’en toi que je peux trouver l’existence et le sentiment de mon être. Tu as dit aussi que c’était dans le cœur de l’homme que tu pouvais seulement trouver ton repos ; n’interromps pas un instant ton action sur moi, pour que je puisse vivre, et en même temps pour que ton nom puisse être connu des nations ; tes prophètes nous ont enseigné que les morts ne pouvaient te louer ; ne permets donc jamais à la mort de m’approcher : car je brûle de rendre ta louange immortelle, je brûle du désir que le soleil éternel de la vérité ne puisse reprocher au cœur de l’homme d’avoir apporté le moindre nuage et causé la moindre interruption dans la plénitude de ta splendeur. Dieu de ma vie, toi que l’on prononce et tout s’opère, rends à mon être ce que tu lui avais donné dans son origine, et je manifesterai ton nom aux nations, et elles rapprendront que toi seul es leur Dieu et la vie essentielle, comme le mobile et le mouvement de tous les êtres. Sème tes désirs dans l’âme de l’homme, dans ce champ qui est ton domaine et que nul ne peut te contester, puisque c’est toi qui lui as donné son être et son existence. Sèmes-y tes désirs, afin que les forces de ton amour l’arrachent en entier aux abîmes qui le retiennent et qui voudraient l’engloutir pour jamais avec eux. Abolis pour moi la région des images ; dissipe ces barrières fantastiques qui mettent un immense intervalle et une épaisse obscurité entre ta vive lumière et moi, et qui m’obombrent de leurs ténèbres. Approche de moi le caractère sacré et le sceau divin dont tu es le dépositaire, et trans-mets jusqu’au sein de mon âme le feu qui te brûle, afin qu’elle brûle avec toi, et qu’elle sente ce que c’est que ton ineffable vie et les intarissables délices de ton éternelle existence. Trop faible pour supporter le poids de ton nom, je te remets le soin d’élever en entier l’édifice, et d’en poser toi-même les premiers fondements au centre de cette âme que tu m’as donnée pour être comme le chandelier qui porte la lumière aux nations, afin qu’elles ne restent pas dans les ténèbres. Grâces te soient rendues, Dieu de paix et d’amour ! Grâces te soient rendues de ce que tu te souviens de moi, et de ce que tu ne veux pas laisser languir mon âme dans la disette ! Tes ennemis auraient dit que tu es un père qui oublie ses enfants, et qui ne peut pas les délivrer.

Prière 2

J’irai vers toi, Dieu de mon être ; j’irai vers toi, tout souillé que je suis ; je me présenterai devant toi avec confiance. Je m’y présenterai au nom de ton éternelle existence, au nom de ma vie, au nom de ta sainte alliance avec l’homme ; et cette triple offrande sera pour toi un holocauste d’agréable odeur sur lequel ton esprit fera descendre son feu divin pour le consumer et retourner ensuite vers ta demeure sainte, chargé et tout rempli des désirs d’une âme indigente qui ne soupire qu’après toi. Seigneur, Seigneur, quand entendrai-je prononcer au fond de mon âme, cette parole consolante et vive avec laquelle tu appelles l’homme par son nom, pour lui annoncer qu’il est inscrit dans la milice sainte, et que tu veux bien l’admettre au rang de tes serviteurs ? Par la puissance de cette parole sainte, je me trouverai bientôt environné des mémorials éternels de ta force et de ton amour, avec lesquels je marcherai hardiment contre tes ennemis, et ils pâliront devant les redoutables tonnerres qui sortiront de ta parole victorieuse. Hélas, Seigneur, est-ce à l’homme de misère et de ténèbres à former de pareils vœux et à concevoir de si superbes espérances ! Au lieu de pouvoir frapper l’ennemi, ne faut-il pas qu’il songe lui-même à en éviter les coups ? Au lieu de paraître, comme autrefois, couvert d’armes glorieuses, n’est-il pas réduit comme un objet d’opprobre, à verser des pleurs de honte et d’ignominie dans les profondeurs de sa retraite, n’osant pas même se montrer au jour ? Au lieu de ces chants de triomphe qui autrefois devaient le suivre et accompagner ses conquêtes, n’est-il pas condamné à ne se faire entendre que par des soupirs et par des sanglots ? Au moins, Seigneur, fais-moi une grâce, c’est que toutes les fois que tu sonderas mon cœur et mes reins, tu ne les trouves jamais vides de tes louanges et de ton amour ; je sens, et je voudrais ne jamais cesser de sentir, que ce n’est point assez du temps entier pour te louer ; et que, pour que cette œuvre sainte soit accomplie d’une manière qui soit digne de toi, il faut que tout mon être soit saisi et mû par ton éternité ; permets donc, ô Dieu de toute vie et de tout amour, permets à mon âme de chercher à fortifier sa faiblesse dans ta puissance ; permets-lui de former avec toi une ligue sainte qui me rende invincible aux yeux de mes ennemis, et qui me lie tellement à toi par les vœux de mon cœur et du tien, que tu me trouves toujours aussi ardent et aussi empressé pour ton service et pour ta gloire, que tu l’es pour ma délivrance et pour mon bonheur.

Prière 3

Epoux de mon âme, toi par qui elle a conçu le saint désir de la sagesse, viens m’aider toi-même à donner la naissance à ce fils bien-aimé que je ne pourrai jamais trop chérir. Dès qu’il aura vu le jour, plonge-le dans les eaux pures du baptême de ton esprit vivifiant, afin qu’il soit inscrit sur le livre de vie, et qu’il soit reconnu pour jamais comme étant au nombre des fidèles membres de l’Eglise du Très-Haut. En attendant que ses faibles pieds aient la force de le soutenir, prends-le dans tes bras comme la mère la plus tendre, et préserve-le de tout ce qui pourrait lui nuire. Epoux de mon âme, toi que l’on ne connaît jamais, si l’on n’est humble, je rends hommage à ta puissance, et je ne veux pas confier à d’autres mains que les tiennes, ce fils de l’amour que tu m’as donné. Soutiens-le toi- même, lorsqu’il commencera à former ses premiers pas. Quand il sera dans un âge plus avancé et susceptible de l’entendre, instruis-le de l’honneur qu’il doit à son père, pour qu’il obtienne de longs jours sur la terre ; inspire-lui le respect et l’amour pour la puissance et les vertus de celui qui lui a donné l’être. Epoux de mon âme, inspire-moi la première à nourrir continuellement ce fils chéri de ce lait spirituel que tu formes toi-même dans mon sein ; que je ne cesse de contempler dans mon fils l’image de son père, et dans son père l’image de mon fils, et de tous ceux que tu peux engendrer en moi dans le cours non-interrompu de toutes les éternités. Epoux de mon âme, toi que l’on ne connaît jamais, si l’on n’est sanctifié, sers à la fois de mentor et de modèle à ce fils de ton esprit, afin que dans tous les temps et dans tous les lieux, ses œuvres et son exemple annoncent et manifestent sa céleste origine ; tu poseras ensuite toi-même sur sa tête la couronne de gloire, et il sera pour les peuples un monument éternel de la majesté de ton nom. Epoux de mon âme, telles sont les délices que tu prépares à ceux qui t’aiment et qui cherchent à s’unir à toi. Périsse à jamais celui qui voudrait m’engager à te préférer un autre époux ! Epoux de mon âme, prends-moi toi-même pour ton propre fils ; que lui et moi nous ne fassions qu’un à tes yeux, et verse abondamment sur l’un et sur l’autre, les grâces que nous ne pouvons tous deux recevoir que de ton amour. Je ne puis plus vivre, si tu n’accordes à la voix de mon fils et à la mienne de s’unir ensemble pour chanter éternellement tes louanges, et pour que nos cantiques soient comme des fleuves intarissables engendrés sans cesse par le sentiment de tes merveilles et de ton ineffable puissance.

Prière 4

Seigneur, comment oserais-je me regarder un instant sans frissonner d’horreur sur ma misère ! J’habite au milieu de mes propres iniquités qui sont les fruits de mes abus dans tous les genres, et qui sont devenus comme mon vêtement ; j’ai abusé de toutes mes lois, j’ai abusé de mon âme, j’ai abusé de mon esprit, j’ai abusé et j’abuse journellement de toutes les grâces que ton amour ne cesse journellement de répandre sur ton ingrate et infidèle créature. C’est à toi que je devais tout offrir et tout sacrifier, et je ne devais rien offrir au temps qui est devant tes yeux, comme les idoles, sans vie et sans intelligence, et cependant je ne cesse d’offrir tout au temps, et rien à toi ; et par là je me précipite d’avance dans l’horrible abîme de la confusion qui n’est occupée qu’au culte des idoles, et où ton nom n’est pas connu. J’ai fait comme les insensés et les ignorants du siècle qui emploient tous leurs efforts pour anéantir les redoutables arrêts de la justice, et faire en sorte que cette terre d’épreuve que nous habitons ne soit plus à leurs yeux une terre d’angoisse, de travail et de douleur. Dieu de paix, Dieu de vérité, si l’aveu de mes fautes ne suffit pas pour que tu me les remettes, souviens-toi de celui qui a bien voulu s’en charger et les laver dans le sang de son corps, de son esprit et de son amour ; il les dissipe et les efface, dès qu’il daigne en faire approcher sa parole. Comme le feu consume toutes les substances matérielles et impures, et comme ce feu qui est son image, il retourne vers toi avec son inaltérable pureté, sans conserver aucune empreinte des souillures de la terre. C’est en lui seul et par lui seul que peut se faire l’œuvre de ma purification et de ma renaissance ; c’est par lui que tu veux opérer notre guérison et notre salut, puisqu’en employant les yeux de son amour qui purifie tout, tu ne vois plus dans l’homme rien de difforme, tu n’y vois plus que cette étincelle divine qui te ressemble et que ta sainte ardeur attire perpétuellement à elle comme une propriété de ta divine source. Non, Seigneur, tu ne peux contempler que ce qui est vrai et pur comme toi ; le mal est inaccessible à ta vue suprême. Voilà pourquoi l’homme méchant est comme l’être dont tu ne te souviens plus, et que tes yeux ne sauraient fixer, puisqu’il n’a plus aucun rapport avec toi ; et voilà cependant cet abîme d’horreur où je n’ai pas craint de faire mon séjour. Il n’y a pas d’autre alternative pour l’homme : s’il n’est perpétuellement plongé dans l’abîme de ta miséricorde, c’est l’abîme du péché et de la misère qui l’inonde ; mais aussi, il n’a pas plutôt détourné son cœur et ses regards de cet abîme d’iniquité, qu’il retrouve cet océan de miséricorde dans lequel tu fais nager toutes tes créatures. C’est pourquoi je me prosternerai devant toi dans ma honte et dans le sentiment de mon opprobre ; le feu de ma douleur desséchera en moi l’abîme de mon iniquité, et alors il n’existera plus pour moi que le royaume éternel de ta miséricorde.

Prière 5

Ôte-moi ma volonté, Seigneur, ôte-moi ma volonté ; car si je peux un seul instant suspendre ma volonté devant toi, les torrents de ta vie et de ta lumière entreront en moi avec impétuosité, comme n’y ayant plus d’obstacle qui les arrête. Viens m’aider toi-même à briser ces funestes barrières qui me séparent de toi ; arme-toi contre moi-même, afin que rien en moi ne résiste à ta puissance, et que tu triomphes en moi de tous tes ennemis et de tous les miens, en triomphant de ma volonté. Ô principe éternel de toute joie et de toute vérité, quand est-ce que je serai renouvelé au point de ne me plus apercevoir moi-même que dans la permanente affection de ta volonté exclusive et vivifiante ? Quand est-ce que les privations en tout genre me paraîtront un profit et un avantage, en ce qu’elles me préservent de tous les esclavages, et me laissent plus de moyens de me lier à la liberté de ton esprit et de ta sagesse ? Quand est-ce que les maux me paraîtront une faveur de ta part, comme autant d’occasions de remporter des victoires, et de recevoir de ta main les couronnes de gloire que tu distribues à tous ceux qui combattent en ton nom ? Quand est-ce que tous les avantages et les joies de cette vie, me paraîtront autant de pièges que l’ennemi ne cesse de nous dresser pour établir dans nos cœurs un Dieu de mensonge et de séduction, en place du Dieu de paix et de vérité qui devrait toujours y régner ? Enfin, quand est-ce que le saint zèle de ton amour et l’ardeur de mon union avec toi me domineront jusqu’à donner avec délices ma vie, mon bien-être et toutes les affections étrangères à ce but exclusif de l’existence de l’homme qui est ta créature, et que tu as chéri jusqu’à vouloir l’aider par ton exemple, en te donnant toi-même tout entier pour lui. Non, Seigneur, celui qui n’est pas emporté par ce saint dévouement n’est pas digne de toi, et il n’a pas encore fait le premier pas dans la carrière. La connaissance de ta volonté et le soin du serviteur fidèle de ne jamais s’en séparer un seul instant, voilà l’unique et véritable lieu de repos pour l’âme de l’homme ; il ne peut en aborder sans être sur le champ rempli de délices, comme si tout son être était renouvelé et revivifié dans toutes ses facultés, par les sources de ta propre vie ; il ne peut s’en écarter, sans se voir sur le champ livré à toutes les horreurs de l’incertitude, des dangers et de la mort. Hâte-toi, Dieu de consolation, Dieu de puissance ; hâte-toi de faire descendre dans mon cœur un de ces purs mouvements divins pour établir en moi le règne de ton éternité, et pour résister constamment et universellement à toutes les volontés étrangères qui viendraient se réunir pour le combattre dans mon âme, dans mon esprit et dans mon corps. C’est alors que je m’abandonnerai à mon Dieu dans la douce effusion de ma foi, et que je publierai ses merveilles. Les hommes ne sont pas dignes de tes merveilles, ni de contempler la douceur de ta sagesse et la profondeur de tes conseils ! Mais suis-je digne moi-même de prononcer de si beaux noms, vil insecte que je suis, et qui ne mérite que les vengeances de la justice et de la colère ? Seigneur, Seigneur, fais reposer un instant sur moi l’étoile de Jacob, et ta sainte lumière s’établira dans ma pensée, comme ta volonté pure dans mon cœur.

Prière 6

Ecoute, mon âme, écoute, et console-toi dans ta détresse : Il y a un Dieu puissant qui veut se charger du soin de guérir toutes les plaies. Il est le seul, oui, il est le seul qui ait ce suprême pouvoir, et il ne l’exerce qu’envers ceux qui l’en reconnaissent comme le possesseur et comme le jaloux administrateur. Ne va point à lui sous un déguisement comme la femme de Jéroboam, que le prophète Akia accabla de reproches ; vas-y plutôt avec l’humilité et la confiance que doit te donner le sentiment de tes effroyables maux, et de l’universelle puissance de celui qui ne veut point la mort du pécheur, puisque c’est lui qui a créé les âmes. Laisse au temps accomplir sa loi sur toi, dans tout ce qui tient au temps ; n’accélère point son œuvre par tes désordres ; ne la retarde point par tes désirs faux et tes vaines spéculations qui sont le partage de l’insensé. Mais uniquement occupé de ta guérison intérieure et de ta délivrance spirituelle, rassemble soigneusement le peu de forces que chaque degré du temps développe en toi ; sers -toi de ces secrets mouvements de la vie, pour te rapprocher chaque jour de plus en plus de celui qui voudrait déjà te posséder dans son sein, et te faire partager avec lui, la douce liberté d’un être qui jouit pleinement de l’usage de toutes ses facultés, sans jamais connaître aucun obstacle. Dans les moments où ces heureux élans s’empareront de toi, soulève-toi sur ton lit de douleurs, et dis à ce Dieu de miséricorde et de toute-puissance : Jusqu’à quand, Seigneur, laisserez-vous languir dans l’esclavage et dans l’opprobre, cette antique image de vous-même que les siècles ont pu ensevelir sous leurs décombres, mais qu’ils n’ont jamais pu effacer ? Elle a osé vous méconnaître dans ces temps où elle habitait dans la splendeur de votre gloire ; et vous, vous n’avez eu autre chose à faire, que de fermer sur elle l’œil de votre éternité ; et dès l’instant elle s’est trouvée plongée dans les ténèbres, comme dans un abîme. Depuis cette lamentable chute, elle est devenue journellement la risée de tous ses ennemis ; ils ne se contentent pas de la couvrir de leurs dérisions ; ils l’infestent de leurs venins ; ils la chargent de chaîne s, pour qu’elle ne puisse pas se défendre, et pour qu’ils aient plus de facilité à diriger sur elle leurs flèches empoisonnées. Seigneur, Seigneur, cette longue et humiliante épreuve n’est-elle pas suffisante, pour que l’homme reconnaisse ta justice et rende hommage à ta puissance ? Cet amas infect des dédains et des mépris de son ennemi, n’a - t- il pas séjourné assez longtemps sur cette image de toi-même pour lui dessiller les yeux, et la convaincre de ses illusions ? Ne crains-tu pas qu’à la fin ces substances corrosives n’effacent entièrement son empreinte, et la rendent absolument méconnaissable ? Les ennemis de ta lumière et de ta sagesse ne manqueraient pas de confondre cette longue chaîne de mes opprobres avec ton éternité même ; ils croiraient que leur règne d’horreur et de désordre est la seule et réelle demeure de la vérité ; ils croiraient l’avoir emporté sur toi et s’être emparé de ton royaume. Ne permets donc pas, ô Dieu de zèle et de jalousie, que ton image soit profanée plus longtemps. Ta propre gloire me touche encore plus que mon propre bonheur qui ne serait pas fondé sur ta propre gloire. Lève-toi de ton trône immortel, de ce trône où repose ta sagesse, et qui est tout resplendissant des merveilles de ta puissance ; entre un instant dans la vigne sainte que tu as plantée de toute éternité ; prends un seul grain de ce raisin vivifiant qu’elle ne cesse de produire ; presse-le de ta main divine, et fais couler sur mes lèvres le jus sacré et régénérateur qui seul peut réparer mes forces ; il humectera ma langue desséchée ; il descendra jusque dans mon cœur ; il y portera la joie avec la vie ; il pénétrera tous mes membres ; il les rendra sains et robustes, et je paraîtrai vif, agile et vigoureux, comme je l’étais le premier jour que je sortis de tes mains. C’est alors que tes ennemis, déçus dans leurs espérances, rougiront de honte, et frissonneront de frayeur et de rage, de voir que leurs efforts contre toi auront été vains, et que ma sublime destinée aura atteint son accomplissement, malgré leurs audacieuses et opiniâtres entreprises. Ecoute donc, ô mon âme, écoute et console-toi dans ta détresse : Il y a un Dieu puissant qui veut se charger du soin de guérir toutes les plaies.

Prière 7

Je viens me présenter aux portes du temple de mon Dieu, et je ne quitterai point cette humble place de l’indigent, que le père de ma vie ne m’ait distribué mon pain de chaque jour. Le voici qui s’avance, ce pain de chaque jour ; je l’ai reçu, je l’ai goûté, et je veux annoncer sa douceur aux races futures. L’éternel Dieu des êtres ; le titre sacré qu’il a pris pour se faire connaître aux nations visibles et invisibles ; celui qui s’est fait chair ; l’esprit de celui au nom de qui tout doit fléchir le genou au ciel, sur la terre et dans les enfers : voilà les quatre éléments immortels qui composent ce pain de chaque jour. Il se multiplie sans cesse comme l’immensité des êtres qui s’en nourrissent, et à quelque terme que parvienne leur nombre, ils ne pourront jamais en diminuer l’abondance, ni se trouver dans la disette ; ce pain de chaque jour a développé en moi les germes éternels de ma vie et les a mis à même de faire passer dans mon sang la sève sacrée de mes racines originelles et divines. Les quatre éléments qui le composent ont fait disparaître du chaos de mon cœur les ténèbres et la confusion ; ils y ont rétabli une vivante et sainte lumière, au lieu de la froide obscurité qui l’enveloppait ; leur force créatrice m’a transformé dans un nouvel être, et je suis devenu le dépositaire et l’administrateur de leurs saints caractères et de leurs signes vivifiants. Alors, pour manifester la gloire de celui qui a choisi l’homme comme son ange et son ministre, je me suis présenté à toutes les régions ; j’ai considéré et comme passé en revue tous les ouvrages de ses mains, et j’ai distribué sur chacun d’eux ces caractères qu’il avait imprimés sur moi pour les transmettre à toutes ses créatures, et pour leur confirmer les propriétés et la puissance du nom qu’elles avaient reçues. Je n’ai point borné mon ministère à agir ainsi sur les ouvrages réguliers de l’éternelle sagesse ; je me suis approché de tout ce qui était difforme, et j’ai laissé tomber sur ces fruits du désordre les signes de justice et de vengeance attachés aux secrets pouvoirs de mon élection. Ceux de ces fruits que j’ai pu arracher à la corruption, je les ai offerts en holocauste au Dieu suprême, et j’ai composé mes parfums des pures louanges de mon esprit et de mon cœur, afin que tout ce qui respire reconnaisse qu’à ce seul Dieu suprême sont dus tous les hommages, toute la gloire et tous les honneurs, comme étant l’unique source de toute puissance et de toute justice ; et je lui ai dit dans les transports de mon amour : Heureux l’homme, puisque tu as bien voulu le choisir pour en faire le siège de ton autorité, et le ministre de ta gloire dans l’univers ! Heureux l’homme, puisque tu as permis qu’il sentît jusque dans les profondeurs de ton essence, la pénétrante activité de ta vie divine ! Heureux l’homme, puisque tu as permis qu’il osât t’offrir un sacrifice de reconnaissance puisé dans le sentiment ineffable de toutes les vertus de ta sainte universalité.

Il ne vous a pas traitées ainsi, puissances terrestres, puissances de l’univers : il vous a rendues les simples agents de ses lois et les forces opérantes de l’accomplissement de ses desseins ; aussi n’y a-t-il pas un être dans la nature, n’y a-t-il pas un être parmi vous qui ne le seconde dans son œuvre, et qui ne coopère à l’exécution de ses plans. Mais il ne s’est point fait connaître à vous comme le Dieu de paix et comme le Dieu d’amour ; et, lors même qu’il vous donna l’existence, vous étiez encore assez agitées par les suites de la rébellion, puisqu’il recommanda à l’homme de vous soumettre et de vous dominer. Bien moins encore, puissances perverses et corrompues, vous a-t-il traitées avec les mêmes faveurs dont il lui a plu de combler l’homme. Vous n’avez pas su conserver celles qu’il vous accorda par votre origine ; vous avez eu l’imprudence de croire qu’il pouvait y avoir pour vous un plus beau sort, un privilège plus glorieux, que d’être l’objet de sa tendresse, et dès lors vous n’avez plus mérité que d’être l’objet de sa vengeance. C’est l’homme seul à qui il confie les trésors de sa sagesse ; c’est dans cet être, selon son cœur, qu’il a mis toute son affection et tous ses pouvoirs. Il lui a dit en le formant : "Répands sur tout l’univers l’ordre et l’harmonie dont je t’ai permis de puiser les principes dans ma propre source ; il ne peut me connaître que par la régularité de mes œuvres et la fixité de mes lois ; il ne peut être initié dans les mystères de mon sanctuaire ; il n’a en lui que la mesure de mes puissances, c’est à toi de les exercer dans tous ses domaines, puisque c’est par les actes seuls de mes puissances qu’il peut savoir qu’il y a un Dieu. Pour mes ennemis, lance sur eux tous les traits de ma colère, ils sont encore plus loin de moi que les puissances de la nature, et la sainteté de ma gloire ne me permet plus de me manifester à eux que par le poids de ma justice. Toi seul, homme, toi seul réuniras désormais aux dons de mes puissances et de ma justice, celui de pouvoir sentir les vivantes délices de mon amour, et de les faire partager à ceux qui s’en rendront dignes. C’est pour cela que je t’ai formé seul à mon image et à ma ressemblance ; car l’être qui n’aime point, ne pourrait pas être à mon image. C’est de ce trône sacré où je t’ai placé, comme un second Dieu, que je verrai se répandre sur tout ce qui est sorti de mes mains, les divers attributs de mon être, et tu me seras cher au-dessus de toutes les productions, puisque si je t’ai choisi pour être mon organe universel, il n’y aura plus rien de moi qui ne soit connu."

Souverain auteur de mon esprit, de mon âme et de mon cœur, sois béni à jamais dans toutes les régions et dans tous les siècles, pour avoir permis que l’homme, cette ingrate et criminelle créature, pût recouvrer des vérités aussi sublimes. Il s’en était rendu indigne par son crime ; et si le souvenir de ton antique et sainte alliance n’eût engagé ton amour à les lui rendre, elles seraient demeurées éternellement perdues pour lui. Louanges et bénédictions à celui qui avait formé l’homme à son image et à sa ressemblance, et qui, malgré tous les efforts et les triomphes des enfers, a su le réhabiliter dans sa splendeur, dans la sagesse et dans les félicités de son origine. Amen.

Prière 8

Unissons-nous, hommes de paix, hommes de désirs ; unissons-nous pour contempler dans un saint tremblement l’étendue des miséricordes de notre Dieu, et disons-lui en commun que toutes les pensées des hommes, tous leurs désirs les plus purs, toutes leurs actions les plus régulières, ne pourraient ensemble approcher du moindre acte de son amour. Comment pourrions-nous donc exprimer cet amour, lorsqu’il ne se borne point à des actes particuliers et d’un moment, mais qu’il développe à la fois tous ses trésors, et cela d’une manière constante, universelle et imperturbable. Oui, Dieu de vérité et de charité inépuisable, voilà comment tu en agis journellement avec l’homme ! Qui suis-je ? Un vil amas de dégoûtantes ordures qui ne répandent en moi et autour de moi que l’infection. Eh bien ! c’est au milieu de cette infection que ta main infatigable se plonge sans cesse, pour trier le peu qui reste encore en moi de ces éléments précieux et sacrés dont tu formas ton existence. Telle que cette femme soigneuse qui dans l’Evangile consume sa lumière, pour retrouver la drachme qu’elle a perdue, tu ne cesses de tenir tes lampes allumées, et tu te courbes continuellement jusqu’à terre, espérant toujours que tu vas retrouver dans la poussière cet or pur qui s’est échappé de tes mains. Hommes de paix, comment ne contemplerions-nous pas dans un saint tremblement l’étendue des miséricordes de notre Dieu ? Nous sommes mille fois plus coupables envers lui, que ces malfaiteurs, selon la justice humaine, qui sont conduits au travers des villes et dans les places publiques, couverts de tous les signes de l’infamie, et que l’on force de confesser hautement leurs crimes aux pieds des temples et de toutes les puissances qu’ils ont méprisées. Nous devrions comme eux, et avec mille fois plus de justice qu’eux, être traînés ignominieusement au pied de toutes les puissances de la nature et de l’esprit ; nous devrions être amenés comme des criminels devant toutes les régions de l’univers, tant visibles qu’invisibles, et recevoir en leur présence, les terribles et honteux châtiments que méritent avec justice nos effroyables prévarications ; mais au lieu d’y trouver des juges redoutables, armés de la vengeance, qu’y rencontrons-nous ? Un roi vénérable dont les yeux annoncent la clémence, et dont la bouche ne cesse de prononcer le pardon pour tous ceux qui seulement veulent bien ne point s’aveugler au point de ne se pas croire innocents. Loin de vouloir que nous portions plus longtemps les vêtements de l’opprobre, il ordonne à ses serviteurs de nous rendre notre première robe, de nous mettre un anneau au doigt et des souliers à nos pieds, et, pour le déterminer à nous combler de pareilles faveurs, il suffit que, comme de nouveaux enfants prodigues, nous reconnaissions ne pas pouvoir trouver dans la maison des étrangers le même bonheur que dans la maison de notre père. Hommes de paix, comment ne contemplerions-nous pas dans un saint tremblement l’étendue de l’amour et des miséricordes de notre Dieu ! et comment ne formerions-nous pas une sainte résolution de rester à jamais fidèles à ses lois et aux bienfaisants conseils de sa sagesse ? Non, je ne peux aimer que toi, Dieu incompréhensible dans ton indulgence et dans ton amour ; je ne veux plus aimer que toi, puisque tu m’as tant pardonné ; je ne veux plus trouver d’autre lieu de repos que le sein et le cœur de mon Dieu. Il embrasse tout par sa puissance, et quelque mouvement que je fasse, je trouve partout un appui, un secours et des consolations, parce que sa source divine verse partout à la fois tous ces biens. Il s’élance lui-même dans le cœur de l’homme, il ne s’y élance pas une seule fois, mais constamment et par des actes réitérés. C’est par là qu’il engendre et multiplie en nous sa propre vie, parce qu’à chacun de ces actes divins, il établit en nous des rayons purs et extraits de sa propre essence, sur lesquels il aime à se reposer, et qui deviennent en nous les organes de ses générations éternelles. De ce foyer sacré, il envoie dans toutes les facultés de notre être de semblables émanations qui, à leur tour, répétant sans cesse leur action dans tout ce qui nous compose, multiplient ainsi continuellement notre activité spirituelle, nos vertus et nos lumières. Voilà pourquoi il est si utile de lui élever un temple dans notre cœur. Ô hommes de paix, ô hommes de désirs, unissons-nous pour contempler dans un saint tremblement l’étendue de l’amour, des miséricordes et des puissances de notre Dieu.

Prière 9

Seigneur, comment nous serait-il possible ici-bas de chanter les cantiques de la Cité sainte ? Est-ce du milieu des torrents de nos larmes que nous pouvons faire entendre les chants de la joie et de la jubilation ? Si j’ouvre la bouche pour en former les premiers sons, les sanglots m’oppressent et je ne puis laisser échapper que des soupirs et que les accents de la douleur ;et souvent même ces sanglots s’étouffent dans mon sein, ou bien nulle oreille charitable n’est près de moi pour les entendre et m’apporter du soulagement. Je me sens accablé par l’étendue et la longueur de mes souffrances, et le crime ne cesse de se présenter à moi, pour m’annoncer que dans un instant la mort va le suivre et glacer tout mon être par la froideur de ses poisons ; déjà elle s’est emparée de tous mes membres, et je touche au moment d’être délaissé comme le cadavre qui vient d’expirer, et que les serviteurs abandonnent à la putréfaction. Cependant, Seigneur, puisque tu es la source universelle de tout ce qui existe, tu es aussi la source de l’espérance ; et si ce rayon de feu ne s’est point encore éteint dans mon cœur, je tiens encore à toi, je suis encore lié à ta vie divine par cette immortelle espérance qui découle continuellement de ton trône. J’ose donc t’implorer du sein de mes abîmes ; j’ose appeler à mon secours ta main bienfaisante pour qu’elle daigne s’employer à ma guérison. Comment est-ce qu’elles s’opèrent les guérisons du Seigneur ? C’est par la docile soumission aux sages conseils de ce médecin divin. Il faut que je prenne avec reconnaissance et avec un ardent désir, le breuvage amer que sa main me présente ; il faut que ma volonté concoure avec celle qui l’anime pour moi ; il faut que la longueur et les souffrances du traitement ne me fassent pas repousser le bien que veut me faire ce suprême auteur de tout bien ; il se pénètre du sentiment de mes douleurs, je n’ai autre chose à faire que de me pénétrer du sentiment de son charitable intérêt pour moi. C’est par là que la coupe du salut me sera profitable ; c’est alors que ma langue reprendra sa force, et que je chanterai les cantiques de la Cité sainte. Seigneur, quel sera mon premier cantique ? Il sera tout entier à l’honneur et la gloire de celui qui m’aura rendu la santé et qui aura opéré ma délivrance. Je le chanterai ce cantique depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher ; je le chanterai par toute la terre, non seulement pour célébrer la puissance et l’amour de mon libérateur, mais pour communiquer à toutes les âmes de désir et à toute la famille humaine, le moyen certain et efficace de recouvrer à jamais la santé et la vie. Je leur apprendrai que par là, l’esprit de sagesse et de vérité se reposera sur leur propre cœur, et les dirigera dans toutes leurs voies. Amen.

Prière 10

Auras-tu la force, ô mon âme, de contempler l’énormité de la dette que l’homme coupable a contractée envers la Divinité ? Mais, si tu as eu celle de te livrer au crime, tu peux bien en considérer toute l’horreur. Mesure donc par la pensée le champ du Seigneur ; rappelle-toi que l’homme devait en être le cultivateur ; tâche de te faire une idée de l’immensité des fruits qui auraient dû s’y produire par tes soins ; songe que toutes les créatures qui sont sous le ciel attendaient de ta soigneuse culture leur subsistance et leur soutien ; songe que les champs du Seigneur attendaient de toi leur ornement et leur parure ; songe que le Seigneur lui-même attendait de ta vigilance et de ta fidélité, la gloire et la louange que devait lui attirer l’accomplissement de ses desseins ; songe que toutes ces choses devaient s’opérer par toi sans aucune interruption. Tu es tombé, tu as laissé l’ennemi prendre empire sur toi et corrompre tes voies. Dès l’instant, tu as rendu stérile la terre du Seigneur ; tu as plongé le cœur de Dieu dans la tristesse. Dès ce même instant, tu as comme tari la source de la sagesse et de la moisson dans ce bas monde ; et, depuis cette fatale époque, tu arrêtes chaque jour toutes les productions du Seigneur ; contemple à présent l’énormité de ta dette ; contemple l’impossibilité où tu es de l’acquitter, et frissonne jusque dans les derniers replis de ton être. Tu dois les fruits de chaque année, depuis le moment de ton infidélité ; tu dois la dîme de toutes les heures qui se sont écoulées depuis l’heure fatale ; tu dois tout ce que ces mêmes fruits et cette même dîme auraient rapporté dans les mains où tu aurais dû les déposer ; tu dois tous les fruits que tu empêcheras de croître jusqu’à la consommation des siècles. Quel est donc l’être qui n’aurait pu jamais t’acquitter envers la justice éternelle, envers cette justice dont les droits ne peuvent s’abolir et dont les plans ne peuvent manquer d’arriver à leur terme et à leur accomplissement ? C’est ici, Dieu suprême, que se manifestent les torrents de ta miséricorde et l’abondance intarissable de tes éternels trésors ; ici, ton cœur divin s’est ouvert sur ta malheureuse créature, et non seulement ses redevances ont été acquittées, mais elle s’est trouvée encore assez riche pour pouvoir venir au secours de l’indigent. Tu as dit à ton verbe de venir cultiver lui-même le champ de l’homme. Ce verbe sacré, dont l’âme est l’amour, est descendu vers ce champ frappé de stérilité. Il a consumé par le feu de sa parole toutes les plantes parasites et vénéneuses qui s’y étaient semées ; il y a semé en place le germe de l’arbre de vie ; il a ouvert les canaux des fontaines salutaires, et les eaux vives sont venues l’arroser ; il a rendu la force aux animaux de la terre, l’agilité aux oiseaux du ciel ; il a rendu la lumière aux flambeaux célestes, le son et la voix à tous les esprits qui habitent la sphère de l’homme ; et il a rendu à l’âme de l’homme cet amour dont il est lui- même la source et le foyer, et qui a dirigé son saint et admirable sacrifice. Oui, éternel Dieu de toute louange et de toute grâce, il n’y avait qu’un être puissant, comme ton fils divin, qui pût ainsi réparer nos désordres et nous acquitter envers ta justice. Il n’y avait que l’être créateur qui pût payer pour nous ce que nous avions entièrement dissipé, puisqu’il fallait pour cela qu’il se fît une nouvelle création. Puissances universelles, si vous vous sentez si disposées à chanter ses louanges, pour vous avoir rétablies dans vos droits, et pour vous avoir rendu votre activité, quelles actions de grâces ne lui dois-je donc pas, pour s’être lui-même rendu caution de toutes mes dettes envers lui, envers vous, envers tous mes frères, et pour les avoir acquittées ? Il est dit de la femme pénitente, que parce qu’elle avait beaucoup aimé, on lui avait beaucoup pardonné. À l’homme on lui a tout remis, on a tout payé pour lui, non seulement avant qu’il ait commencé d’aimer, mais même lorsqu’il était plongé dans les horreurs de l’ingratitude et comme glacé toute entiers maintenant à celui qui a commencé par nous pardonner tout. Chaque mouvement de notre Dieu doit être un mouvement universel, et qui se fasse sentir dans toutes les régions de tous les univers. Qu’à l’exemple de ce Dieu suprême, l’amour fasse un mouvement universel dans tout notre être, et embrasse à la fois toutes les facultés qui nous composent. Amen.