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Recueil de paroles de Maître Hagakure
葉隠聞書 (Hagakure Kikigaki)


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
Jocho Yamamoto
comp. Tashiro Tsuramoto
ecr. 1709/1716Littératureecr. Kumamoto (Japon)MoraleNon applicable

► La totalité du texte étant très importante, la version présentée ici est composée de 95 morceaux choisis traitant explicitement du "devoir du samouraï" par André Louka pour la première (et donc partielle) édition française de l’ouvrage. Nous avons occulté les sentences au-delà de la neuvième afin de respecter les droits d'auteur de M. F. Duvauchelle. Par ailleurs, le manuscrit original n’ayant jamais été retrouvé, il n’existe que des copies incertaines tant sur l’exhaustivité que sur le sens du fait des aléas des retranscriptions. Pour une version complète, 𝕍 la trad. de Sébastien Raizer (Hagakuré : le livre secret des samouraïs) parue en 2011 chez l'éditeur indépendant dédié aux sous-cultures : Camion Noir.

◆ Le nom "Hagakure" signifie "caché derrière les feuillages" on explique ce nom par le fait que Yamamoto se soit retiré dans une hutte ainsi que pour le fait qu’il faisait parti du clan Saga dont le château était derrière des arbres touffus.

◆ Le moine Tsuramoto transmit contre la volonté de Yamamoto les notes qu’il prit lors de ses nombreux entretiens avec lui aux guerriers de Saga. Le texte fut jalousement gardé par le clan jusqu’à l’ère Meiji (1868).

◆ Le livre fut connu en occident au travers de l’étude de l’écrivain Yukio Mishima dans son ouvrage Le Japon moderne et l’éthique samouraï.


Texte et traduction : du Japonais au français, M. F. Duvauchelle, 1984, PSI

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1.

J’ai découvert que la voie du Samouraï réside dans la mort. Lors d’une crise, quand il existe autant de chances de vie que de mort, il faut choisir immédiatement la mort. Il n’y a là rien de difficile ; il faut simplement s’armer de courage et agir. Certains disent que mourir sans avoir achevé sa mission, c’est mourir en vain. Ce raisonnement que tiennent les marchands gonflés d’orgueil qui sévissent à Osaka n’est qu’un calcul fallacieux, qu’une imitation caricaturale, de l’éthique des Samouraïs.

Faire un choix judicieux dans une situation où les chances de vivre ou de mourir s’équilibrent est quasiment impossible. Nous préférons tous vivre et il est tout à fait naturel que l’être humain se trouve toujours de bonnes raisons pour continuer à vivre.

Celui qui choisit de vivre tout en ayant failli à sa mission encourra le mépris et sera à la fois un lâche et un raté.

Celui qui meurt après avoir échoué, meurt d’une mort fanatique, qui peut sembler inutile. Mais il ne sera, par contre, pas déshonoré. Telle est en fait la voie du Samouraï.

Pour être un parfait Samouraï, il faut se préparer à la mort matin et soir et même toute la journée.

Quand un Samouraï est constamment prêt à mourir, il a acquis la maîtrise de la Voie et il peut sans relâche consacrer sa vie entière a son Seigneur.

2.

Certains sont nés capables d’agir avec sagesse quand l’occasion le requiert. D’autres se voient contraints de rester éveillés de longues heures, en proie à l’angoisse, avant de découvrir la solution correcte du problème posé. Toutefois, même si ces différences innées sont dans une certaine mesure inévitables, tout un chacun peut développer des dons de sagesse insoupçonnés en adoptant les quatre vœux.

Il semblerait que, quels que soient les dons personnels, quelle que soit la difficulté du problème, tout le monde puisse y apporter une solution grâce à une réflexion suffisamment longue et sérieuse.

Tant que l’on fonde son raisonnement sur son « Moi », on est à la rigueur prudent et astucieux mais on n’est pas sage.

Les êtres humains sont insensés et il leur est difficile de se départir de leur « Moi ». Malgré tout, un individu confronté à une situation ardue a de grandes chances de trouver une solution, s’il parvient à s’abstraire momentanément du problème, à se concentrer sur les « quatre vœux » et à abandonner son « Moi ».

3.

Nous possédons bien peu de sagesse, toutefois nous avons tendance à nous y référer pour résoudre nos difficultés. Du fait que nous nous préoccupons surtout de nous-même, nous nous détournons de la Voie du Ciel et nos actions deviennent mauvaises. Aux yeux des autres, nous sommes minables, faibles, limités et totalement inefficaces. Quand nous nous sentons inaptes à la compétence véritable, il se révèle préférable de faire appel à quelqu’un de plus sage. N’étant pas personnellement impliqué, il peut se révéler un juge éclairé - puisqu’il n’a aucun intérêt propre -. Il sera en mesure de conseiller le choix le plus judicieux.

Si nous observons un homme qui prend ses résolutions de cette remarquable façon, nous savons qu’il est résolu, autonome, digne de foi et enraciné dans la réalité. Sa sagesse, nourrie des conseils d’autrui, peut se comparer aux racines d’un grand arbre au feuillage épais et touffu.

Il y a des limites à la sagesse de l’être humain, arbrisseau fragile secoué par le vent.

4.

Réprimander et corriger quelqu’un pour ses erreurs est important. Cet acte essentiellement charitable est la première obligation du Samouraï.

Mais il faut s’efforcer de le faire de façon convenable. Il est, en effet, aisé de trouver des qualités et des imperfections dans la conduite d’un tiers. Il est également facile de le critiquer. La plupart des gens s’imaginent que c’est par gentillesse qu’ils disent aux autres ce qu’ils ne désirent pas entendre et si jamais leurs critiques sont mal accueillies, ils considèrent qu’ils sont incurables.

Une telle façon de penser est déraisonnable. Elle donne d’aussi mauvais résultats que si on mettait délibérément quelqu’un dans l’embarras ou que si on l’insultait. Elle n’est souvent qu’une mauvaise manière de sortir ce que l’on a sur le cœur.

La critique ne doit intervenir qu’après avoir discerné si oui ou non la personne l’acceptera, qu’après s’en être fait une amie, qu’après avoir partagé ses intérêts et s’être comporté de façon telle qu’elle nous accorde son entière confiance, afin qu’elle ait foi en toutes nos paroles. C’est ensuite qu’intervient le tact. Il faut sentir le bon moment et la bonne manière d’exercer sa critique - par missive ou au retour d’une réunion particulièrement agréable -. Il faut commencer par faire état de ses propres imperfections puis amener l’interlocuteur à comprendre, sans prononcer plus de mots qu’il n’est nécessaire.

Il faut louer ses mérites ; s’efforcer de l’encourager, de préparer son humeur ; le rendre aussi réceptif aux observations que l’homme assoiffé l’est à l’eau. C’est alors qu’il faut corriger ses erreurs.

La critique constructive est délicate.

Je sais d’expérience, que les mauvaises et anciennes habitudes, ne cèdent pas sans contrainte. Il me semble que l’attitude la plus authentiquement charitable consiste, pour tous les Samouraïs au service d’un Daimyo, à être bienveillants et amicaux les uns pour les autres, à corriger mutuellement leurs erreurs pour mieux servir ensemble le Daimyo. En embarrassant volontairement quelqu’un, on ne fait rien de constructif. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?

5.

Le langage militaire emploie les termes de "Samouraï éclairé" et de "Samouraï ignorant".

Un Samouraï qui a attendu d’être aux prises avec des situations difficiles pour apprendre à s’en sortir n’est pas éclairé. Un Samouraï qui se préoccupe à l’avance de toutes les situations et solutions possibles est sage. II sera dès lors capable d’y faire face brillamment lorsque l’occasion se présentera.

Quoi qu’il en soit, un Samouraï éclairé est celui qui se préoccupe des détails de l’action, avant l’heure. Un Samouraï imprévoyant laisse, au contraire, la pénible impression de patauger dans un imbroglio désordonné et sa réussite ne ressortit que d’une chance anormale. Seul un Samouraï négligent n’envisage pas toutes les éventualités avant le moment de l’action.

6.

Je ne partage pas l’avis de celui qui préconise une constante et stricte autorité. Comme dit le proverbe : ‘Le poisson ne vit pas en eau claire’.

C’est le goémon qui lui permet de se cacher en un lieu isolé pour se développer pleinement jusqu’à sa maturité. C’est quand on sait passer sur les détails et ne pas prêter l’oreille aux plaintes mineures que l’on est capable de procurer la sérénité aux êtres qui nous servent. La compréhension de ce principe est essentielle à qui veut comprendre le caractère et le comportement d’autrui.

7.

Alors que le Seigneur Mitsushige n’était encore qu’un enfant, on lui demanda de lire un passage d’un livre du Moine Kaion ; il appela les autres enfants et les acolytes pour leur dire « Veuillez, je vous prie, approcher et écouter. Il est très difficile de lire quand il n’y a presque personne pour écouter ». Le prêtre fut impressionné et dit aux fidèles : « C’est dans cet esprit qu’il faut faire toutes choses ».

8.

Lorsque je me suis adressé à Yasaburo pour prendre exemple de son art calligraphique, il me dit : « On devrait écrire en caractères suffisamment larges pour qu’un seul recouvre toute la feuille, avec assez de vigueur pour la déchirer.

L’habileté en calligraphie dépend de l’esprit et de l’énergie avec lesquels elle s’exécute. Le Samouraï doit agir sans hésitation, sans avouer la moindre fatigue ni le plus léger découragement jusqu’à l’achèvement de sa tâche. C’est tout » et il se mit à écrire.

9.

J’ai l’impression que les jeunes Samouraïs d’aujourd’hui se sont fixés des objectifs pitoyablement bas. Ils ont le coup d’œil furtif des détrousseurs. La plupart ne cherchent que leur intérêt personnel ou à faire étalage de leur intelligence. Même ceux qui semblent avoir l’âme sereine ne montrent qu’une façade.

Cette attitude ne saurait convenir.

Un Samouraï ne l’est véritablement que dans la mesure où il n’a d’autre désir que de mourir rapidement - et de devenir un pur esprit - en offrant sa vie à son maître, dans la mesure où sa préoccupation constante est le bien-être de son Daimyo à qui il rend compte, sans cesse, de la façon dont il résout les problèmes pour consolider les structures du domaine. Ainsi Daimyo et serviteurs doivent-ils être semblablement déterminés. Il est donc indispensable de posséder une résolution si inébranlable que personne, ni même les Dieux et les Bouddhas, ne puissent vous faire dévier du but fixé.