La Vierge du Monde🔗 catalogues
Κόρη κόσμου (Kórê kósmou)ⁱ, Minerva Mundiⁱ
Auteurs | Dates | Type | Lieu | Thèmes | Statut |
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𝔏 Hermès Trismégiste | ecr. ‹ VI ? ≈ II – III. | Littérature | ℙ Égypte ℙ Grèce | Hermétisme | ✑ |
► L’intégralité de l’ouvrage étant perdu, ces fragments nous sont parvenus grâce à Jean Stobée.
► Le texte est traduit par Patrizi en 1591 sous le titre de Minerva Mundi.
Traduction 2 : Louis Ménard
⟴I
.... Ayant ainsi parlé, Isis verse d’abord à Hôros le doux breuvage d’immortalité que les âmes reçoivent des Dieux, et commence ainsi le discours très sacré :
Le ciel couronné d’étoiles est superposé à l’universelle nature, ô mon fils Hôros, et il ne lui manque rien de ce qui compose l’ensemble du monde. Il faut donc que la nature entière soit ornée et complétée par ce qui est au-dessus d’elle, car cette ordonnance ne pouvait aller du bas vers le haut. La suprématie des plus grands mystères sur les plus petits est nécessaire. L’ordre céleste l’emporte sur l’ordre terrestre comme étant absolument fixe et inaccessible à l’idée de la mort C’est pourquoi les choses d’en bas gémirent saisies de crainte devant la merveilleuse beauté et l’éternelle permanence du monde supérieur. Car c’était un spectacle digne de contemplation et de désir, que ces magnificences du ciel, révélations du Dieu encore inconnu, et cette somptueuse majesté de la nuit, éclairée d’une lumière pénétrante quoique inférieure à celle du soleil, et tous ces autres mystères qui se meuvent dans le ciel en périodes cadencées, réglant et entretenant les choses d’ici-bas par d’occultes influences. Et tant que l’ouvrier universel ne mettait pas de terme à celte crainte incessante, à ces recherches inquiètes, l’ignorance enveloppait l’univers. Mais lorsqu’il jugea bon de se révéler au monde, il souffla aux Dieux l’enthousiasme de l’amour, et il versa d’ans leur pensée U splendeur que contenait sa poitrine, pour leur inspirer d’abord la volonté de chercher, puis le désir de trouver. et enfin la puissance de redresser.
Or, mon enfant merveilleux, Hôros, ce n’était pas dans la race mortelle que cela pouvait arriver, car elle n’existait pas encore, mais dans l’âme en sympathie avec les mystères du ciel. C’était Hermès, la pensée universelle. Il vit l’ensemble des choses, et ayant vu, il comprit, et ayant compris, il avait la puissance de manifester et de révéler. Ce qu’il pensa, il récrivit ; ce qu’il écrivit, il le cacha en grande partie, se taisant avec sagesse et parlant à la fois, afin que toute la durée du monde à venir cherchât ces choses. Et ainsi, ayant ordonné aux Dieux, ses frères, de lui servir de cortège, il monta vers les étoiles. Mais il eut pour successeur Tat, son fils et l’héritier de ses sciences, et peu après Asclèpios,[2] fils d’Imouthè, par les conseils de Pan et d’Héphaïstos, et tous ceux à qui la souveraine Providence réservait une connaissance exacte des choses du ciel. Hermès donc s’excusa devant tout ce qui l’entourait de ne pas livrer la théorie intégrale à son fils, à cause de sa jeunesse. Mais moi, m’étant levée, j’observai de mes yeux, qui voient les secrets invisibles des origines,[3] et j’appris à la longue, mais avec certitude, que les symboles sacrés des éléments cosmiques étaient cachés près des secrets d’Osiris. Hermès remonta au ciel après avoir prononcé une invocation et des paroles. Il ne convient pas, ô mon enfant, de laisser ce récit incomplet ; il faut te faire connaître les paroles d’Hermès lorsqu’il déposa ses livres ; les voici : « O livres sacrés des immortels, qui avez reçu de mes mains les remèdes qui rendent incorruptibles, restez à jamais à l’abri de la corruption et de la pourriture, invisibles et introuvables pour tous ceux qui parcourront ces plaines jusqu’au jour où le vieux ciel enfantera des instruments dignes de vous, que le créateur appellera les âmes. » Ayant prononcé ces imprécations sur ses livres, il les enveloppa dans leurs bandelettes, rentra dans la zone qui lui appartient, et tout resta caché pendant un temps suffisant.
Et la nature, ô mon fils, était stérile jusqu’au moment où ceux qui ont reçu l’ordre de parcourir le ciel, s’avançant vers le Dieu roi de toutes choses, lui dénoncèrent l’inertie générale et la nécessité d’ordonner l’univers. Cette œuvre, nul autre que lui ne pouvait l’accomplir. «Nous te prions, disaient-ils, déconsidérer ce qui existe déjà et ce qui est nécessaire pour l’avenir. » À ces paroles, le Dieu sourit, et il dit à la nature d’exister. Et sortant de sa voix, le Féminin s’avança dans sa parfaite beauté ; les Dieux avec stupeur contemplaient cette merveille. Et le grand ancêtre, versant un breuvage à la Nature, lui ordonna d’être féconde ; puis, pénétrant tout de ses regards, il cria : « Que le ciel soit la plénitude de toutes choses, et l’air et l’éther. » Dieu dit et cela fui. Mais la Nature, se parlant à elle-même, connut qu’elle ne devait pas transgresser le commandement du père, et s’étant unie au Travail, elle produisit une fille très belle, qu’elle appela l’Invention, et à laquelle Dieu accorda l’être. Et ayant distingué les formes créées, il les remplit de mystères et en accorda le commandement à l’Invention.
Et ne voulant pas que le monde supérieur fût inerte, il jugea bon de le remplir d’esprits, afin que nulle partie ne restât dans l’immobilité et l’inertie ; et il employa son art sacré à l’accomplissement de son œuvre. Car, prenant en lui-même ce qu’il fallait d’esprit et le mêlant d’un feu intellectuel, il y combina d’autres matières par des voies inconnues. Et ayant opéré l’union des principes par des formules secrètes, il mit ainsi en mouvement la combinaison universelle. Peu à peu, du sein du mélange sourit une matière plus subtile, plus pure, plus limpide que les éléments dont elle était née. Elle était transparente, et l’ouvrier seul la voyait. Bientôt elle atteignit sa perfection, n’étant ni liquéfiée par le feu, ni refroidie par le souffle, mais possédant la stabilité d’une combinaison particulière, ayant son type et sa constitution propre. Il lui donna un nom heureux, et d’après la similitude de ses énergies, il l’appela Animation. De ce produit il forma des myriades d’âmes, employant la fleur du mélange au but qu’il se proposait, procédant avec ordre et mesure, selon sa science et sa raison. Elles n’étaient pas nécessairement différentes, mais celte fleur, exhalée du mouvement divin, n’était pas identique à elle-même ; la première couche était supérieure à la seconde, plus parfaite et plus pure ; la seconde, inférieure, à la vérité, à la première, était très supérieure à la troisième, et ainsi jusqu’à soixante degrés fut complété le nombre total. Seulement Dieu établit cette loi que toutes fussent éternelles, comme étant d’une essence unique, dont lui seul détermine les formes. Il traça les limites de leur séjour dans les hauteurs de la nature, afin qu’elles fissent tourner le cylindre selon des lois d’ordre et de sage direction pour la joie de leur père.
Alors, ayant convoqué dans ces magnifiques régions de l’éther les êtres de toutes natures, il leur dit : « O âmes, beaux enfants de mon souffle et de ma sollicitude, vous que j’ai fait naître de mes mains pour vous consacrer à mon monde, écoutez mes paroles comme des lois : Ne vous écartez pas de la place qui vous est fixée par ma volonté. Le séjour qui vous attend est le ciel avec son cortège d’étoiles et ses trônes remplis de vertu. Si vous tentez quelque innovation contre mes ordres, je jure par mon souffle sacré, par cette mixture dont j’ai formé les âmes, et par mes mains créatrices, que je ne tarderai pas à vous forger des chaîne s et à vous punir. »
Ayant ainsi parlé, le Dieu mon maître mêla le reste des éléments congénères, la terre et l’eau, et prononçant quelques paroles mystiques et puissantes, quoique différentes des premières, souffla dans le mélange liquide le mouvement et la vie, le rendit plus épais et plus plastique, et en forma des êtres vivants de forme humaine. Ce qui restait du mélange, il le donna aux âmes plus élevées qui habitaient la région des Dieux, dans le voisinage des étoiles, et qu’on nomme les Démons sacrés. « Travaillez, leur dit-il, mes enfants, produits de ma nature ; prenez le résidu de mon œuvre, et que chacun de vous fabrique des êtres à son image ; je vous donnerai des modèles. » Et prenant le zodiaque, il ordonna le monde conformément aux mouvements animiques, plaçant les signes d’animaux après ceux de forme humaine. Et après avoir fourni les forces créatrices et le souffle générateur pour l’universalité des êtres à venir, il se retira, promettant de joindre aux œuvres visibles un souffle (in)visible et un principe reproducteur, afin que chaque être engendrât son semblable sans qu’il fût nécessaire d’en créer sans cesse de nouveaux.[4]
— Et que firent les âmes, ô ma mère?
Et Isis dit : Elles prirent le mélange de la matière, ô mon fils Hôros, et commencèrent à réfléchir et à adorer cette combinaison, œuvre du père, puis elles cherchèrent de quoi elle était composée, ce qui n’était pas facile à découvrir. Alors, craignant que cette recherche n’excitât la colère du père, elles se mirent à exécuter ses ordres. Elles prirent donc la couche supérieure de la matière, celle qui était la plus légère, et eu formèrent la race des oiseaux. La combinaison étant devenue plus compacte et prenant une consistance plus épaisse, elles en firent les quadrupèdes. L’une partie plus dense, et qui avait besoin d’un milieu humide pour y nager, elles firent les poissons. Le résidu, étant froid et pesant, fut employé par les âmes à la formation des reptiles.
Alors, ô mon fils, fières de leur œuvre, elles ne craignirent pas de transgresser la loi, et, malgré la défense, elles s’écartèrent des limites prescrites. Ne voulant plus rester dans le même lieu, elles s’agitaient sans cesse, et le repos leur semblait la mort. Mais, ô mon fils, ainsi que me l’a dit Hermès, leur conduite ne put échapper aux regards du Dieu seigneur de toutes choses ; il songea à les punir et à leur préparer de dures chaîne s. Le chef et le maître de l’univers résolut donc de fabriquer l’organisme humain pour la punition des âmes ; et m’ayant appelé près de lui, dit Hermès, il paria ainsi : « O âme de mon âme, pensée sainte de ma pensée, jusqu’à quand la nature d’en bas restera-t-elle triste? Jusqu’à quand les créations déjà nées resteront-elles inertes et sans louanges? Amène-moi donc tous les Dieux du ciel. » Ainsi parla Dieu, dit Hermès, et tous se rendirent à ses ordres. «Regardez la terre, leur dit-il, et toutes les choses d’en bas. »
Ils regardèrent aussitôt, et comprirent la volonté du prince, et lorsqu’il leur parla de la création de l’homme, leur demandant ce que chacun pouvait donner à ceux qui allaient naître, le Soleil répondit : « Je prodiguerai ma lumière. » La Lune promit d’éclairer après le Soleil. Elle ajouta qu’elle avait déjà créé la Crainte, le Silence, le Sommeil, ainsi que la Mémoire, qui devait être inutile aux hommes. Kronos annonça qu’il était père de la Justice et de la Nécessité. Zeus dit : « Pour épargner des guerres perpétuelles à la race future, j’ai engendré la Fortune, l’Espérance et la Paix. » Arès dit qu’il était déjà père de la Lutte, de l’Ardeur impétueuse et de l’Émulation. Aphrodite ne se fit pas attendre : « Pour moi, dit-elle, ô maître, je leur donnerai le Désir, et j’y joindrai la Volupté et le Sourire, afin que la punition destinée aux âmes nos sœurs ne soit pas trop dure. » Ces paroles d’Aphrodite furent accueillies avec joie, ô mon fils. « Et moi, dit Hermès, je donnerai à la nature humaine la sagesse, la tempérance, la persuasion et la vérité.[5] Je ne cesserai pas de m’unir à l’Invention. Je protégerai toujours la vie mortelle des hommes nés sous mes signes ; car le créateur et le père m’a attribué dans le zodiaque des signes de sagesse et d’intelligence, surtout quand le mouvement qui y ramène les astres se trouve en rapport avec l’énergie physique de chacun. »
Le Dieu maître du monde se réjouit en entendant ces choses, et ordonna que la race humaine fût produite. « Pour moi, dit Hermès, je cherchai quelle matière il fallait employer, et j’invoquai le monarque. Il ordonna aux âmes de donner le reste du mélange. Et l’ayant pris, je le trouvai absolument sec. Alors j’employai une grande surabondance d’eau, afin de renouveler la combinaison de matière, de façon que le produit fût résoluble, faible et impuissant, et que la force ne s’ajoutât pas en lui à l’intelligence. J’achevai mon ouvrage, et il était beau, et je me réjouissais de le voir ; et d’en bas j’appelai le monarque pour le contempler. Il le vit et fut réjoui. Et il ordonna que les âmes fussent incorporées. Et elles furent saisies d’horreur en apprenant leur condamnation. »
Leurs paroles m’ont frappée. Écoute, mon fils Hôros, car je t’apprends un mystère. Notre aïeul Kaméphès le tient d’Hermès, qui écrit le récit de toutes choses, et moi je l’ai reçu de l’antique Kaméphès, lorsqu’il m’admit à l’initiation par le noir ;[6] reçois-le de moi à ton tour, ô merveilleux et illustre enfant.
Les âmes allaient être emprisonnées dans les corps : les unes gémissaient et se lamentaient : ainsi, quand des animaux sauvages et libres sont enchaînés, au moment de subir la dure servitude et de quitter les chères habitudes du désert, ils combattent et se révoltent, refusent de suivre ceux qui les ont domptés, et, si l’occasion s’en présente, les mettent à mort. La plupart sifflaient comme des serpents ; telle autre jetait des cris aigus et des paroles de douleur, et regardant au hasard en haut et en bas : « Grand ciel, disait-elle, principe de notre naissance, éther, air pur, mains et souffle sacré du Dieu souverain ; et vous, astres éclatants, regards des Dieux, infatigable lumière du soleil et de la lune, notre première famille, quel déchirement et quelle douleur! Quitter ces grandes lumières, cette sphère sacrée, toutes les magnificences du pôle et la bienheureuse république des Dieux, pour être précipitées dans ces viles et misérables demeures! Quel crime avons-nous donc commis, ô malheureuses! Comment avons-nous mérité, pauvres pécheresses, les peines qui nous attendent? Voilà le triste avenir qui nous est réservé, pourvoir aux besoins d’un corps humide et dissoluble. Nos yeux ne distingueront plus les âmes divines. À peine, à travers ces cercles humides, apercevrons-nous en gémissant le ciel, notre ancêtre ; par intervalles même nous cesserons de le voir. [C’est la lumière qui fait voir ; les yeux par eux-mêmes ne voient rien, dit Orphée].[7] Par notre funeste condamnation, la vision directe nous est refusée ; car nous ne pouvons voir qu’à l’aide de la lumière ; ce sont des fenêtres que nous avons, et non des yeux. Ce sera aussi une peine pour nous d’entendre dans l’air le souffle fraternel des vents sans pouvoir y mêler le notre, qui aura pour demeure, au lieu de ce monde sublime, l’étroite prison de la poitrine. Mais toi, qui nous chasses et nous fais descendre si bas de si haut, mets un terme à nos peines, seigneur et père, devenu si vite indifférent à tes œuvres ; fixe-nous une limite, daigne nous adresser quelques dernières paroles, pendant que nous pouvons encore voir l’ensemble du monde lumineux. »
Cette prière des âmes fut exaucée, mon fils Hôros ; car le monarque était présent, et, s’asseyant sur le trône de la vérité, voici ce qu’il leur-dit : « O âmes, vous serez gouvernées par le Désir et la Nécessité ; ce seront après moi vos maîtres et vos guides. Ames soumises à mon sceptre qui ne vieillit pas, sachez que tant que vous serez sans souillure, vous habiterez les régions du ciel. S’il en est parmi vous qui méritent quelque reproche, elles habiteront le séjour qui leur est destiné dans des organes mortels. Si vos fautes sont légères, délivrées du lien des chairs, vous retournerez au ciel. Si vous vous rendez coupables de quelques crimes plus graves, si vous vous détournez de la fin pour laquelle vous avez été formées, vous n’habiterez ni le ciel, ni des corps humains, mais vous voyagerez désormais dans des animaux sans raison. »
Ayant dit ces choses, ô mon fils Hôros, il leur donna le souffle et parla ainsi : « Ce n’est pas au hasard que j’ai réglé votre destinée ; elle sera pire si vous agissez mal ; elle sera meilleure si vos actes sont dignes de votre naissance. C’est moi, et non un autre, qui serai votre témoin et votre juge. Reconnaissez que c’est pour vos fautes antérieures que vous allez être punies et enfermées dans les corps. La renaissance sera différente pour vous, comme je vous l’ai dit, dans des corps différents. La dissolution, c’est un bienfait c’est le bonheur d’autrefois. Mais si votre conduite est indigne de moi, votre prudence devenue aveugle et vous guidant à contresens vous fera prendre pour un bienfait ce qui est un châtiment, et redouter un sort meilleur comme une cruelle injure. Les plus justes parmi vous se. rapprocheront du divin dans leurs transformations, et seront parmi les hommes des rois justes, de vrais philosophes, des fondateurs et des législateurs, des devins véridiques, des collecteurs de plantes salutaires, des musiciens habiles, des astronomes intelligents, de savants augures, des sacrificateurs expérimentés, toutes fonctions belles et bonnes ; parmi les oiseaux, d’es aigles, qui ne chassent ni ne dévorent ceux de leur espèce et ne laissent pas attaquer devant eux les espèces plus faibles, car la justice sera dans la nature de l’aigle ; parmi les quadrupèdes, des lions, car c’est un animal fort, qui n’est pas dompté par le sommeil, qui dans un corps mortel se livre à une gymnastique immortelle, et que rien ne fatigue ni n’endort ; parmi les reptiles, des dragons, parce que c’est un animal puissant, vivant longtemps, innocent et ami des hommes ; il se laissera apprivoiser, n’aura pas de venin, et, quittant la vieillesse, se rapprochera de la nature des Dieux ; parmi les poissons, des dauphins, car cet animal, ayant pitié de ceux qui tombent dans la mer, les portera à terre s’ils vivent encore, et s’abstiendra de les manger s’ils sont morts, quoique étant le plus vorace de tous les animaux aquatiques. » Ayant ainsi parlé, Dieu devint une intelligence incorruptible.
Après cela, mon fils Hôros, il s’éleva de terre un esprit très fort, dégagé de toute enveloppe corporelle et puissant en sagesse, mais sauvage et redoutable.[8] quoiqu’il n’ignorât pas ce qu’il demandait, voyant que le type du corps humain était beau et auguste d’aspect, et s’apercevant que les âmes allaient entrer dans leurs enveloppes : Quels sont ceux-ci, dit-il, ô Hermès, secrétaire des Dieux? — Ce sont les hommes, dit Hermès. — C’est une œuvre hardie de faire l’homme, avec ces yeux pénétrants, cette langue déliée, cette ouïe délicate pour entendre même ce qui ne le regarde pas, cet odorat subtil, et dans les mains ce toucher pour s’approprier toutes choses. O générateur, juges-tu bon qu’il soit libre de soucis, ce futur explorateur des beaux mystères de la nature? veux-tu le laisser exempt de peines, celui dont la pensée atteindra les limites de la terre? Les hommes arracheront les racines des plantes, étudieront les propriétés des sucs naturels, observeront la nature des pierres, disséqueront non seulement les animaux, mais eux-mêmes, voulant savoir comment ils ont élé formes. Ils étendront leurs mains hardies jusque sur la mer, et, coupant le bois des forêts spontanées, ils passeront d’une rive à la rive opposée pour se chercher les uns les autres. Les secrets intimes de la nature, ils les poursuivront jusque dans les hauteurs et voudront étudier les mouvements du ciel. Ce n’est pas encore assez ; il ne reste plus à connaître que le point extrême de la terre, ils y voudront chercher l’extrémité dernière de la nuit. S’ils ne connaissent pas d’obstacles, s’ils vivent exempts de peine, à l’abri de toute crainte et de tout souci, le ciel même n’arrêtera pas leur audace et ils voudront étendre leur pouvoir sur les éléments. Apprends-leur donc le désir et l’espérance, afin qu’ils connaissent aussi la crainte des accidents et des difficultés, la douloureuse morsure de l’attente trompée. Que la curiosité de leurs âmes ait pour contrepoids le désir et la crainte, le souci et l’espérance vaine. Que leurs âmes soient en proie aux amours mutuels, aux espoirs, aux désirs variés, tantôt satisfaits, tantôt déçus, afin que la douceur même du succès soit un appât qui les attire vers de plus grands maux. Que le poids de la fièvre les accable et brise en eux le désir. »
Tu souffres, Hôros, en écoutant le récit de ta mère? L’étonnement et la stupeur te saisissent devant les maux qui s’abattent sur la pauvre humanité? Ce que tu vas entendre est plus triste encore. Les paroles de Mômos plurent à Hermès ; il trouva que l’avis était sage et il le suivit : « O Mômos, dit-il, la nature du souffle divin qui enveloppe tout ne sera pas inerte. Le maître de l’univers m’a chargé d’être son intendant et son pourvoyeur. Le Dieu au regard pénétrant observera et dirigera toutes choses ; [Adrastée.[9]] et moi je fabriquerai un instrument mystérieux, une règle inflexible et infranchissable à laquelle tout sera soumis, depuis la naissance jusqu’à la dernière destruction, et qui sera le lien des choses créées, Cet instrument gouvernera ce qui est sur la terre et tout le reste. » C’est ainsi, dit Hermès, que je parlai à Mômos, et déjà l’instrument agissait. Aussitôt après les âmes furent incorporées, et je fus loué pour mon œuvre.
Et le monarque convoqua de nouveau l’assemblée des Dieux. Ils se réunirent et il leur parla ainsi : « Dieux qui avez reçu une nature souveraine et impérissable, et la direction de la grande éternité, vous dont la fonction est de maintenir à jamais l’harmonie mutuelle des choses, jusqu’à quand gouvernerons-nous un empire inconnu? Jusqu’à quand ces choses seront-elles invisibles au soleil et à la lune? Que chacun de nous travaille pour sa part à la création.
Effaçons par notre pouvoir cette cohésion inerte. Que Le chaos devienne une fable incroyable pour la postérité. Commencez les grandes œuvres, je vous dirigerai. »
Il dit, et aussitôt l’unité cosmique, encore obscure, fut divisée, et dans les hauteurs apparut le ciel avec tous ses mystères. La terre, encore instable, s’affermit sous la lumière du soleil et apparut avec tous les riches ornements qui l’enveloppent. Car tout est beau aux yeux de Dieu, même ce qui semble laid aux mortels, parce que tout est fait d’après les lois de Dieu. Et Dieu se réjouit en voyant ses œuvres en mouvement, et saisissant à pleines mains les trésors de la nature : « Reçois-les, dit-il, ô terre sacrée, reçois-les, ô vénérable qui vas être la mère de toutes choses, et que rien ne te manque désormais! » Il dit, et ouvrant ses mains divines, il répandit dans le réservoir universel tous ses trésors. Mais ils étaient encore inconnus ; car les âmes, nouvellement enchaînées et ne supportant pas leur opprobre, voulaient rivaliser avec les Dieux célestes, et fières de leur noble origine, se vantant d’avoir Je même créateur qu’eux, se révoltaient, et prenant les hommes pour instruments, les opposaient les uns aux autres et suscitaient des guerres intestines. Et ainsi, la force opprimant la faiblesse, les forts brûlaient et massacraient les faibles, et les vivants et les morts étaient précipités des lieux sacrés.
Alors les éléments résolurent de se plaindre devant le monarque de l’état sauvage des hommes. Et le mal étant déjà très grand, les éléments s’avancèrent vers le Dieu créateur et se plaignirent en ces termes ;[10] le Feu fut admis à parler le premier : « O maître, dit-il, ouvrier de ce monde nouveau, toi dont le nom mystérieux parmi les Dieux a été jusqu’ici vénérable pour tous les hommes, jusques à quand, ô Démon, as-tu décidé de laisser la vie humaine sans Dieu? Révèle-toi au monde qui t’appelle, corrige la vie sauvage par l’initiation de la paix. Accorde à la vie des lois, accorde à la nuit des oracles, remplis tout d’heureuses espérances ; que les hommes redoutent le jugement des Dieux, et nul ne péchera plus. Que les crimes reçoivent leur juste punition, et on s’abstiendra de Tin-justice. On craindra de violer les serments, et la folie aura un terme. Enseigne-leur la reconnaissance des bienfaits, afin que je fournisse ma flamme aux libations et aux sacrifices, et que de l’autel montent vers toi des fumées odorantes. Car maintenant je suis souillé, ô maître, et la témérité impie des hommes me contraint à brûler les chairs. Ils ne veulent pas me laisser dans ma nature, ils altèrent et corrompent ma pureté. »
L’air dit à son tour : « Je suis corrompu par les exhalaisons des cadavres, ô maître, je deviens pestilentiel et insalubre, et je contemple d’en haut des choses que je ne devrais pas voir. » L’eau reçut ensuite la parole, ô mon fils magnanime, et paria ainsi : « O père, créateur merveilleux de toutes choses, Démon incréé, auteur de la nature qui engendre tout par toi, ordonne aux eaux des fleuves d’être toujours pures ; car aujourd’hui les fleuves et les mers lavent les meurtriers et reçoivent les victimes. »
La terre parut enfin, ô mon glorieux fils, et parla ainsi : « O roi, chef des chœurs célestes et seigneur des orbites, maître et père des éléments qui font tout grandir et tout décroître, et dans lesquels tout doit rentrer, la foule impie et insensée des hommes me couvre, ô vénérable ; car je suis, par tes ordres, le siège de tous les êtres, je les porte tous et reçois en moi tout ce qui est tué. Tel est maintenant mon opprobre. Ton monde terrestre qui contient tout est privé de Dieu. Comme ils n’ont aucun sujet de crainte, ils transgressent toutes les lois et font passer sur mes épaules toutes sortes d’œuvres mauvaises. En moi rentre pour ma hou te, ô seigneur, tout ce que produit la pourriture des corps. Moi qui reçois tout, je voudrais aussi recevoir Dieu. Accorde cette grâce à la terre, et si tu ne viens pas toi-même, car je ne puis te contenir, qu’il me vienne du moins un saint effluve de toi. Que la terre devienne le plus glorieux des éléments, et puisqu’elle seule donne tout à tous, qu’elle puisse s’honorer d’avoir reçu tes dons. »
Ainsi parlèrent les éléments, et Dieu, remplissant l’univers de sa voix sainte : « Allez, dit-il, enfants sacrés, dignes de la grandeur paternelle, n’essayez pas de rien innover, ne refusez pas à ma création votre ministère. Je vous enverrai un effluve de moi-même, un être pur qui inspectera tous les actes, qui sera le juge incorruptible et redoutable des vivants ; la justice souveraine s’étendra jusque sous la terre, et chaque homme recevra ainsi la récompense méritée.» Et ainsi les éléments mirent un terme à leurs plaintes et chacun d’eux reprit ses fonctions et son empire.
— Et ensuite, ô ma mère, dit Hôros, comment la terre a-t-elle obtenu cet effluve de Dieu? — Je ne raconterai pas cette naissance, dit Isis ; je ne dois pas, ô puissant Hôros, exposer l’origine de ta race, de peur que les hommes ne connaissent dans l’avenir la génération des Dieux. Je dirai seulement que le Dieu souverain, le créateur et l’artiste du monde, lui accorda enfin, pour un temps, ton père Osiris et la grande Déesse Isis, pour apporter les secours attendus. Par eux la vie atteignit sa plénitude, les guerres sauvages et meurtrières eurent un terme ; ils consacrèrent des temples aux Dieux leurs ancêtres et instituèrent des sacrifices. Ils donnèrent aux mortels la loi, la nourriture et le vêtement. Ils liront, dit Hermès, mes écrits mystérieux, et, en faisant deux parts, garderont les uns et graveront sur des colonnes et des obélisques ceux qui peuvent être utiles aux hommes. Instituteurs des premiers tribunaux, ils ont fait régner partout l’ordre et la justice. À eux se rattache la foi des traités et l’introduction dans la vie humaine de la grande religion du serment. Ils ont enseigné comment on doit ensevelir ceux qui ont cessé de vivre Ils ont interrogé les horreurs de la mort ; ils ont reconnu que le souffle du dehors aime à revenir dans les corps humains, et si la voie du retour lui est fermée, il produit une défaillance de la vie. Instruits par Hermès, ils écrivirent sur des colonnes cachées que l’air est rempli de démons. Instruits par Hermès des lois secrètes de Dieu, eux seuls ont été les précepteurs et les législateurs des hommes et leur ont enseigné les arts, les sciences et les bienfaits de la vie policée. Instruits par Hermès des liens sympathiques que le créateur a établis entre le ciel et la terre, ils ont institué les représentations religieuses des mystères célestes. Considérant la nature corruptible de tous les corps, ils ont créé l’initiation prophétique, afin que le prophète qui va élever ses mains vers les Dieux fût instruit sur toutes choses, afin que la philosophie et la magie servissent à la nourriture de l’âme, et que la médecine guérît les souffrances du corps.
Ayant accompli toutes ces choses, ô mon fils, et voyant le monde arrivé à sa plénitude, Osiris et moi nous fûmes rappelés par les habitants du ciel. Mais nous ne pouvions y revenir sans avoir évoqué le monarque, afin que cette vision remplît l’espace et que s’ouvrît pour nous la voie heureuse de l’ascension, car Dieu aime les hymnes. — O ma mère, dit Hôros, apprends-moi cet hymne, afin que moi aussi j’en sois instruit. — Écoute, mon fils, dit Isis……
⟴II
O mon fils magnanime, si tu veux savoir autre chose, interroge-moi. Et Hôros dit : O ma mère vénérable, je veux savoir comment naissent les âmes royales. Et Isis dit : Voici quel est, mon fils Hôros, le caractère distinctif des âmes royales. Il y a dans l’univers quatre régions que gouverne une loi fixe et immuable : le ciel, l’éther, l’air et la terre très sainte. En haut, dans le ciel, habitent les Dieux, gouvernés, comme tout le reste, par le créateur de l’univers. Dans l’éther sont les astres que gouverne le grand flambeau, le soleil ; dans l’air sont les âmes des démons gouvernées par la lune ; sur la terre sont les hommes et les autres animaux gouvernés par celui qui de son temps est le roi. Car les Dieux eux-mêmes engendrent les rois qui conviennent à la race terrestre. Les princes sont les effluves du roi, et celui qui s’en rapproche le plus est plus roi que les autres. Le soleil, plus près de Dieu que la lune, est plus grand et plus fort qu’elle, et elle lui est inférieure par le rang comme par la puissance. Le roi est le dernier des Dieux et le premier des hommes. Tant qu’il est sur la terre, il ne jouit pas d’une divinité véritable, mais il a quelque chose qui le distingue des hommes et qui le rapproche de Dieu. L’âme qui est envoyée en lui vient d’une région supérieure à celle d’où partent les âmes des autres hommes. Les âmes destinées à régner descendent sur la terre pour deux raisons. Pour celles qui ont vécu sans reproche et qui ont mérité l’apothéose, la royauté est une préparation à la divinité. Pour les âmes divines qui ont commis une légère infraction à la loi intérieure et sainte, la royauté atténue le châtiment et la honte d’une incarnation ; leur condition, en prenant un corps, ne ressemble pas à celles des autres, elles sont aussi heureuses que lorsque elles étaient affranchies. Quant aux variétés de caractère des rois, elles ne tiennent pas à leurs âmes, car toutes sont divines, mais à la nature des anges et des démons qui les assistent ; car les âmes destinées à de telles fonctions ne descendent pas sans cortège et sans escorte. La justice céleste sait les traiter comme il convient, tout en les éloignant du séjour de la béatitude. Lors donc, ô mon fils Hôros, que les anges et les démons conducteurs sont guerriers, l’âme prend leur caractère et oublie le sien propre, ou plutôt le laisse de côté jusqu’à un nouveau changement de condition. Si ses guides sont pacifiques, elle-même suit sa course en paix ; s’ils sont amis des jugements, elle aime à juger ; s’ils sont musiciens, elle chante ; s’ils aiment la vérité, elle est philosophe. C’est une nécessité pour les âmes de suivre les goûts de ses conducteurs ; en tombant dans l’humanité, elles oublient leur propre nature, et en même temps qu’elles s’en éloignent elles se rapprochent de ceux qui les ont enfermées dans un corps.
— Ton explication est complète, ma mère, dit Hôros ; mais tu ne m’as pas encore appris comment naissent les âmes nobles.
— Il y a sur la terre, ô mon fils, des gouvernements différents : il en est ainsi parmi les âmes ; elles occupent des lieux différents, et celle qui sort d’un lieu plus glorieux est plus noble que les autres. De même, parmi les hommes, celui qui est libre est plus noble que l’esclave. Les âmes élevées et royales dominent nécessairement les autres.
— Comment les âmes naissent-elles mâles ou femelles?
— Les âmes, mon fils Hôros, sont congénères entre elles, comme venant d’une même région où le créateur les a modelées ; il n’y a parmi elles ni mâles ni femelles, cette distinction n’existe qu’entre les corps et non entre les incorporels. Si les unes sont plus énergiques, les autres plus molles, cela tient à l’air où tout se forme ; cet air est le corps qui enveloppe l’âme ; c’est une combinaison formée de terre, d’eau, d’air et de feu. Dans les femelles le mélange contient plus de froid et d’humide que de sec et de chaud ; l’âme qui y est renfermée est humide et disposée à la mollesse. Le contraire arrive dans les mâles ; il y a plus de sec et de chaud, moins de froid et d’humide ; aussi dans les corps ainsi formés les âmes sont-elles plus vives et plus énergiques.
— Comment naissent les âmes sages, ô ma mère? Et Isis répondit : L’organe de la vue est enveloppé de tuniques ; quand ces tuniques sont épaisses et denses, la vue est obtuse ; si elles sont fines et subtiles, la vue est pénétrante. Il en est de même de l’âme ; elle a aussi ses enveloppes, qui sont incorporelles comme elle. Ces enveloppes sont des airs qui sont en nous ; quand ils sont subtils, clairs et transparents, alors l’âme est perspicace ; quand, au contraire, ils sont denses, épais et troubles, alors elle ne voit pas loin et ne distingue, comme dans les mauvais temps, que ce qui est devant les pieds.
Et Hôros dit : Pour quelle cause, ma mère, les hommes qui sont hors de notre terre très sainte ont-ils l’esprit moins ouvert que ceux, de notre pays? Et Isis répondit : La terre est au milieu de l’univers comme un homme couché sur le dos et regardant le ciel ; ses différentes parties répondent aux membres humains. Elle tourne ses regards vers le ciel comme vers son père, afin de suivre dans ses changements les changements du ciel. Elle a la tête placée du côté du midi, l’épaule droite vers le vent d’est, la gauche vers le vent lybien, les pieds sous l’Ourse, le pied droit sous la queue, le pied gauche sous la tête de l’Ourse, les cuisses sous les régions du ciel voisines de l’Ourse, le milieu du corps sous le milieu du ciel. La preuve, c’est que les méridionaux qui habitent du côté de la tête ont une belle tête et de beaux cheveux ; les orientaux ont les mains hardies à la lutte et sont de bons archers, ce qui tient à la main droite ; les occidentaux sont fermes et se battent de la main gauche, les fonctions que les autres attribuent au côté droit appartiennent chez eux au côté gauche ; ceux qui sont sous l’Ourse se distinguent par leurs pieds et par la beauté de leurs jambes. Ceux qui habitent un peu plus loin de l’Ourse, dans le climat de l’Italie et de la Grèce, sont remarquables par la beauté des cuisses et des reins, et de là vient la tendance qu’ils ont à préférer les mâles. Cette partie du corps étant la plus comme elle est de nature divine, même sous cette enveloppe elle lutte et pense ; mais ce ne sont pas les pensées qu’elle aurait si elle était dégagée du corps. Et si ce corps est troublé et bouleversé par la maladie ou la frayeur, l’âme elle-même est ballottée comme un homme au milieu des flots…....
⟴III
…………....— Tu m’as donné d’admirables explications, ô ma très puissante mère Isis, sur la merveilleuse création des âmes par Dieu, et je suis rempli d’admiration ; mais tu ne m’as pas encore appris où vont les âmes dégagées des corps ; je veux contempler ce mystère et n’avoir que toi à remercier de cette initiation. Et Isis dit : Écoute, mon fils, car cette recherche très nécessaire tient une place importante et ne peut être négligée ; voici ma réponse :
O grand et merveilleux rejeton du grand Osiris, il ne faut pas croire que les âmes, en sortant des corps, se répandent confusément dans le vague de l’air et se dispersent dans l’ensemble du souffle infini, sans pouvoir revenir dans les corps en restant les mêmes, ni retourner dans leur premier séjour. L’eau puisée d’un vase ne peut retrouver le lieu qu’elle occupait, elle n’a pas une place particulière, elle se mêle à la masse de l’eau ; mais il n’en est pas ainsi des âmes, ô très sage Hôros. Je suis initiée aux mystères de l’immortelle nature, je marche dans le champ de la vente et je te révélerai tout sans rien omettre. Je te dirai d’abord que l’eau est un corps sans raison, composé d’une foule de particules fluides, tandis que l’âme, mon fils, est une chose personnelle, œuvre royale des mains et de l’intelligence de Dieu, marchant par elle-même dans l’intelligence. Ce qui vient de l’unité et non de la différence ne peut se mêler à autre chose, et pour que l’âme soit unie au corps, il faut que Dieu soumette cette union harmonique à la nécessité.
Les âmes ne retournent donc pas confusément et au hasard dans un seul et même lieu, mais chacune est envoyée à la place qui lui appartient. Gela résulte même de ce qu’elle éprouve lorsque elle est encore dans l’enveloppe du corps, chargée d’un poids contraire à sa nature. Écoute cette comparaison, ô très cher Hôros : suppose qu’on enferme dans une même prison des hommes, des aigles, des colombes, des cygnes, des éperviers, des hirondelles, des moineaux, des mouches, des serpents, des lions, des léopards, des loups, des chiens, des lièvres, des bœufs, des moutons, et aussi quelques-uns des animaux amphibies, comme les phoques, les hydres, les tortues et nos crocodiles ; puis, que tous soient mis en liberté au même instant. Tous s’échapperont à la fois : les hommes iront vers les maisons et les places publiques, l’aigle dans l’éther, où sa nature le porte à vivre, les colombes dans l’air voisin, les éperviers dans l’air supérieur, les hirondelles dans les lieux habités par les hommes, les moineaux vers les arbres fruitiers, les cygnes dans les lieux où ils pourront chanter, les mouches à proximité de la terre, jusqu’où s’étend l’odeur de l’homme, car le propre de la mouche est de vivre de l’homme et de voler près de la terre ; les lions et les léopards vers les montagnes, les loups dans les solitudes ; les chiens suivront la piste des hommes, les lièvres gagneront les bois, les bœufs iront dans les champs et les prairies, les moutons dans les pâturages, les serpents dans les cavernes de la terre ; les phoques et les tortues rejoindront leurs semblables dans les gouffres et les courants, pour jouir à la fois, conformément à leur nature, du voisinage de la terre et de celui de l’eau. Chaque animal retournera, conduit par son discernement intérieur, dans le séjour qui lui convient. C’est ainsi que chaque âme, qu’elle soit humanisée ou qu’elle habite la terre dans d’autres conditions, sait où elle doit aller ; à moins que quelque fils de Typhon ne vienne dire qu’un taureau peut vivre dans les eaux ou une tortue dans les airs. Si donc, même plongées dans la chair et le sang, elles ne s’écartent pas de la règle, quoiqu’elles soient punies, car l’union avec le corps est une punition, combien s’y conformeront-elles davantage, une fois délivrées de leurs chaîne s et rendues à la liberté!
Or, voici quelle est cette règle très sainte, qui s’étend jusque sur le ciel, ô très illustre enfant : Contemple la hiérarchie des âmes ; l’espace entre le sommet du ciel et la lune est occupé par les Dieux, les astres et le reste de la providence. Entre la lune et nous, mon fils, est le séjour des âmes. L’air immense, que nous nommons le vent, a en lui-même une route d’une certaine grandeur dans laquelle il se meut pour rafraîchir la terre, comme je le dirai plus tard. Mais ce mouvement de l’air sur lui-même ne gêne en rien les âmes et ne les empêche pas de monter et de descendre sans obstacle ; elles coulent à travers l’air sans se mêler et sans se confondre avec lui, comme l’eau à travers l’huile. Cet espace, mon fils, est partagé en quatre parties et en soixante subdivisions. La première partie, à partir de la terre, comprend quatre régions et s’étend jusqu’à certains sommets ou promontoires au-dessus desquels sa nature l’empêche de s’élever. La seconde partie comprend huit régions dans lesquelles se produisent les mouvements des vents. — Sois attentif, mon fils, car tu entends les mystères ineffables de la terre, du ciel et de tout le fluide sacré du milieu. — C’est dans la région des vents que volent les oiseaux ; au-dessus il n’y a pas d’air mobile et il n’existe aucun animal. Cet air néanmoins a le privilège de s’étendre avec tous ses animaux dans les régions qui lui sont propres et dans les quatre régions de la terre, tandis que la terre ne peut s’élever dans celles de l’air. La troisième partie comprend seize régions remplies d’un air subtil et pur ; la quatrième en comprend trente-deux, dans lesquelles l’air, tout à fait subtil et transparent, laisse distinguer au-dessus la nature ignée. Tel est l’ordre établi en ligne droite de haut en bas sans confusion ; quatre divisions générales, douze intervalles, soixante régions, et dans ces soixante régions habitent les âmes, chacune selon sa nature. Elles sont constituées de même, mais il y a entre elles une hiérarchie ; plus une région est éloignée de la terre, plus les âmes qui l’habitent sont élevées en dignité.
Il me reste à t’expliquer, ô très glorieux Hôros, quelles sont les âmes qui se répandent dans chacune de ces régions, ce que je ferai en commençant par les plus élevées.
⟴[De l’Empsychose et de la Métempsychose].
L’espace qui s’étend entre la terre et le ciel est partagé en régions, mon fils Hôros, selon la mesure e : l’harmonie. Ces régions ont reçu de nos ancêtres différents noms ; les uns les appellent des zones, les autres des firmaments, d’autres des enveloppes. C’est là qu’habitent les âmes dégagées des corps et celles qui n’ont pas été encore incorporées. Les places qu’elles occupent répondent à leur dignité ; dans la région supérieure sont les âmes divines et royales. » Les âmes inférieures, celles qui volent près de la terre, sont tout à fait dans le bas, les âmes moyennes dais les régions moyennes. Ainsi, mon fils, les âmes destinées au commandement partent des zones supérieures, et quand elles sont délivrées c’est là qu’elles retournent, ou même plus haut encore, à moins qu’elles n’aient agi contrairement à la dignité de leur nature et aux lois de Dieu ; dans ce cas, la providence d’en haut les fait descendre dans les régions inférieures selon la mesure de leurs fautes, de même qu’elle conduit d’autres âmes, moindres en puissance et en dignité, des zones inférieures vers un séjour plus élevé. Car là-haut sont deux ministres de la providence universelle, l’un est le gardien des âmes, l’autre leur conducteur, celui qui les envoie et les classe dans les corps. L’un les garde, l’autre les relâche, selon l’ordre de Dieu.
Ainsi une loi d’équité préside aux changements qui s’accomplissent là-haut, de même que sur la terre elle modèle et construit les vases dans lesquels sont enfermées les âmes. Elle est assistée de deux énergies, la mémoire et l’expérience. La mémoire veille à ce que la nature conserve et maintienne chacun des types originels tel qu’il a été établi là-haut ; l’expérience a pour fonction de fournir à chacune des âmes qui descendent le corps qui lui est approprié, de façon que les âmes vives aient des corps vifs, les âmes lentes des corps lents, les âmes actives des corps actifs, les âmes molles des corps mous, les âmes puissantes des corps puissants, les âmes rusées des corps rusés, enfin que chaque âme ait le corps qui lui convient ; car ce n’est pas sans but que les animaux ailés sont couverts déplumes, que les animaux raisonnables sont doués de sens supérieurs et plus fins, que les quadrupèdes sont munis de cornes, de dents, de griffes ou d’autres armes, que les reptiles ont reçu des corps onduleux et flexibles et, de peur que l’humidité de leurs corps ne les rendît trop faibles, ont été armés soit de dents, soit d’écailles pointues ; aussi résistent-ils mieux que les autres à la crainte de la mort. Quant aux poissons, qui sont timides, ils ont reçu pour demeure un élément où la lumière est privée de sa double activité ; car dans l’eau le feu ne peut ni éclairer ni brûler. Chacun d’eux nageant à l’aide d’écaillés ou d’épines, fuit où il veut, et sa faiblesse est défendue par l’opacité de l’eau. Ainsi les âmes sont enfermées dans des corps semblables à elles : dans les hommes les âmes douées de jugement, dans les volatiles les âmes sauvages, dans les quadrupèdes les âmes sans jugement dont la force est la seule loi, dans les reptiles les âmes rusées, car ils n’attaquent pas l’homme en face, mais en se plaçant en embuscade ; les poissons reçoivent des âmes timides et tout ce qui ne mérite pas de jouir des autres éléments.
Dans chaque classe d’animaux il s’en trouve qui transgressent les lois de leur nature. — Comment, ma mère, dit Hôros? Et Isis répondit : Par exemple, un homme qui agit contre la raison, un quadrupède qui se soustrait à la nécessité, un reptile qui oublie sa ruse, un poisson qui perd sa timidité, un oiseau qui renonce à son caractère sauvage. Voilà ce qu’il y avait à dire sur la hiérarchie des âmes, sur leur descente, et sur la création des corps.
O mon fils, il se trouve dans chacune des classes quelques âmes royales ; il en descend de divers caractères, les unes ignées, les autres froides, les unes orgueilleuses, les autres douces, les unes habiles, les autres maladroites, les unes paresseuses, les autres actives. Cette diversité tient aux lieux d’où elles partent pour descendre et s’incorporer. De la zone royale partent les âmes royales ; il y a plusieurs royautés : celles des âmes, celles des corps, celles de l’art, celles de la science, celles des vertus. — Comment, dit Hôros, appelles-tu ces rois?[12] — O mon fils, le roi des âmes qui ont existé jusqu’ici est ton père Osiris ; le roi des corps est le prince de chaque nation, celui qui la gouverne. Le roi de la sagesse est le père de toutes choses ; l’initiateur c’est le Trismégiste Hermès ; à la médecine préside Asclèpios, fils d’Héphaïstos ; la force et la puissance sont sous l’empire d’Osiris, et après lui, sous le tien, mon fils. La philosophie dépend d’Arnébaskènis ; la poésie encore d’Asclèpios, fils d’Imouthè. En général, si tu y réfléchis, tu reconnaîtras qu’il y a beaucoup d’empires et beaucoup de rois.
Mais le chef suprême appartient à la région supérieure, les royautés partielles répondent aux lieux d’où elles sont sorties. Ceux qui viennent de la zone du feu travaillent le feu, ceux qui viennent de la zone humide vivent dans les lieux humides. De la sphère artistique et savante naissent ceux qui s’occupent d’art et de science ; de la sphère inerte ceux qui vivent dans l’inertie et l’oisiveté. Tout ce qui se fait et se dit sur la terre a sa source dans les hauteurs, d’où les essences nous sont dispensées avec mesure et équilibre, et I il n’y a rien qui ne vienne d’en haut et qui n’y retourne.
— Explique-moi ce que tu dis, ô ma mère. Et Isis répondit : La très sainte nature a mis dans les animaux une marque évidente de ces rapports. Le souffle que nous aspirons de l’air supérieur, nous l’exhalons pour l’aspirer encore, et il y a en nous des poumons pour opérer ce travail ; quand ils ferment les ouvertures destinées à recevoir le souffle, nous ne restons plus ici-bas, nous nous en allons. Il y a encore, ô mon fils glorieux, d’autres accidents qui détruisent l’équilibre de notre combinaison.
— Quelle est donc cette combinaison, ô ma mère? — C’est la réunion et le mélange des quatre éléments ; il s’en dégage une vapeur qui enveloppe l’âme, se répand dans le corps et communique son caractère propre à l’un et à l’autre. Ainsi se produisent les différences dans les corps et dans les âmes. Si le feu domine dans la composition du corps, l’âme, déjà naturellement ardente, en reçoit un surcroît de chaleur qui rend l’animal plus énergique et plus fougueux, et le corps plus vif et plus actif. Si c’est l’air qui est en excès, le corps et l’âme de l’animal sont par cela même légers, mobiles et inquiets. Un excès d’eau rend l’âme douce, affable, facile, sociable et disposée à plier, parce que l’eau se mêle et s’unit à tous les autres objets, les dissout si elle est abondante, les mouille et se répand sur eux si elle est en petite quantité. Un corps amolli par trop d’humidité offre peu de résistance, une légère maladie le dissout et en relâche peu à peu le lien. Si l’élément terrestre est dominant, l’âme de l’animal est obtuse parce que le corps manque de subtilité ; elle ne peut se faire jour à travers l’épaisseur des organes, elle reste en elle-même, entravée par le poids qu’elle porte ; le corps est solide, mais inerte et lourd ; il ne peut se mouvoir qu’avec effort.
Mais si les éléments sont dans un juste équilibre, l’animal est ardent à l’action, léger pour le mouvement, d’un contact facile et d’une constitution robuste· De la prédominance de l’air et du feu naissent les oiseaux, qui se rapprochent des éléments dont ils sont sortis. Une grande proportion de feu unie à un peu d’air et à une égale quantité d’eau et de terre produit des hommes, et l’excès de la chaleur devient de la sagacité, car notre intelligence est une sorte de feu, qui ne brûle pas, mais qui pénètre. D’un excès d’eau et de terre avec une quantité suffisante d’air et peu de feu se forment les quadrupèdes ; ceux qui ont plus de feu sont plus courageux que les autres. Une proportion égale d’eau et de terre produit les reptiles, qui manquent d’audace et de franchise parce qu’ils sont privés de feu ; l’abondance d’eau les rend froids, l’abondance de terre les rend lourds et lents, le défaut d’air leur rend le mouvement difficile. De beaucoup d’humidité avec un peu de sécheresse naissent les poissons ; l’absence de feu et d’air les rend timides et les dispose à se cacher, l’excès d’eau et de terre les rapproche par une parenté naturelle de la terre dissoute dans l’eau.
L’accroissement proportionnel des éléments qui composent les corps amène ceux-ci à leur croissance et en arrête le développement quand la mesure est atteinte. De plus, ô mon fils très aimé, tant que l’équilibre persiste dans la combinaison primitive et dans la vapeur qui en est formée, c’est-à-dire tant que la proportion normale de feu, d’air, de terre et d’eau n’est pas dépassée, l’animal reste en état de santé Mais si les éléments ne restent pas dans la mesure fixée à l’origine (je ne parle pas ici d’un surcroît d’activité ni d’un accroissement résultant d’un changement de classe, mais d’une rupture d’équilibre, de l’excès ou de la diminution du feu ou des autres éléments), alors l’animal est malade ; si l’air et le feu, qui sont de la même nature que l’âme, prédominent, l’animal sort de son état normal par la surabondance des éléments destructeurs des corps. Car l’élément terrestre est la pâte du corps, et l’humidité qui s’y répand contribue à la rendre compacte ; c’est l’élément aérien qui nous donne le mouvement, et c’est au feu qu’est due l’activité générale. Cette vapeur produite par l’union et la combinaison des éléments se mêle à l’âme par une sorte de fusion, et, en l’entraînant avec elle, lui imprime son caractère propre, bon ou mauvais. L’âme garde son rang en demeurant dans cette association naturelle ; mais si un changement se produit soit dans l’ensemble de la combinaison, soit dans une de ses parties ou de ses subdivisions, la vapeur, en s’altérant, altère les rapports de l’âme et du corps ; le feu et l’air, qui tendent vers le haut, entraînent l’âme, qui leur est congénère, la partie aqueuse «t terrestre, qui tend vers le bas comme le corps, s’appesantit sur lui.