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Hymnes homériques🔗 cataloguesEntrée Data.Bnf Rechercher sur Sudoc Rechercher sur Openlibrary Rechercher sur Worldcat
Ὁμηρικοὶ ὕμνοι (Omêrikoí ýmnoi)


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
attr. Homère-VILittérature (poés.)GrèceReligion

► Ce célèbre recueil de poèmes épiques en hexamètres, vraisemblablement composé par divers auteurs mais attribué à Homère quant au style est une source importante pour la mythologie grecque.

■ Comme ces hymnes sont une compilation, elles n’ont pas d’organisation primitive, sauf à considérer le classement de Pisistrate et Solon. En conséquence, nous avons réorganisé les hymnes d’une façon qui nous semble opportune pour nos lecteurs.


Texte et traduction : du grec ancien au français moderne, Charles-Marie Leconte de Lisle in Odyssée ; Hymnes ; Epigrammes ; Batrakhomyomakhie, 1868. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France

Texte et traduction : du grec ancien au français moderne, Ernest Falconnet in Les Petits poèmes Grecs, 1838. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France

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Traduction 1 : Leconte de Lisle

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Traduction 2 : Ernest Falconnet

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I - Rhéa

À la Mère des Dieux

Chante-moi un hymne à la Mère de tous les Dieux et de tous les hommes, Muse harmonieuse, fille du grand Zeus ! Le son des krotales et des tympans lui plaît, et le trépignement des pieds, et le hurlement des loups, et le rugissement des lions féroces ; et les montagnes sonores lui plaisent, et les gorges boisées.

Et je te salue ainsi par mon chant, toi et toutes les Déesses.

À la mère des dieux

Muse à la voix mélodieuse, fille du grand Jupiter, chante la mère de tous les dieux et de tous les hommes ; elle que charme le bruit des cymbales et des tambourins, le doux frémissement des flûtes, le rugissement des loups, des lions sauvages, les montagnes retentissantes et les vallons aux épais ombrages.

Je vous salue donc dans ces chants, ô mère des dieux et de toutes les déesses ensemble.

II - Gaïa

À Gaia, Mère de Tous.

Je chanterai Gaia, Mère de tous, aux solides fondements, très antique, et qui nourrit sur son sol toutes les choses qui sont. Et tout ce qui marche sur le sol divin, tout ce qui nage dans la mer, tout ce qui vole, se nourrit de tes richesses, ô Gaia !

De toi viennent les hommes qui ont beaucoup d’enfants et beaucoup de fruits, ô Vénérable ! Et il t’appartient de donner la vie ou de l’ôter aux hommes mortels.

Il est heureux celui que tu honores avec bienveillance dans ton cœur, et toutes choses lui abondent. Son champ est toujours fertile, ses prés sont pleins de bétail et sa demeure est pleine de richesses.

Ceux que tu honores règnent par des lois justes, sur les villes où abondent les belles femmes ; ils ont les richesses et la félicité, leurs fils se glorifient des joies de la jeunesse ; et leurs filles vierges, le cœur joyeux, forment des chœurs heureux et dansent sur les molles fleurs de l’herbe. Et telle sera la riche destinée de ceux que tu honoreras, ô Déesse vénérable !

Salut, Mère des Dieux, Epouse d’Ouranos étoilé ! Donne-moi avec bienveillance, pour ce chant, une douce nourriture. Je me souviendrai de toi et des autres chants.

À la mère de tous

Je célébrerai la Terre solide, mère antique de toutes choses, nourrice de tous les êtres épars sur le monde. Ils vivent tous de vos largesses, qu’ils rampent sur le sol, qu’ils habitent la mer ou qu’ils volent dans les airs. C’est par vous, déesse vénérable, que les hommes ont une nombreuse famille et qu’ils jouissent des fruits abondants, car c’est vous qui donnez et soutenez la vie des faibles mortels. Ceux que vous honorez sont heureux : toutes choses leur sont accordées avec largesse. Leurs champs sont couverts de moissons, leurs troupeaux se multiplient dans les pâturages ; leurs maisons regorgent de biens ; leurs villes fécondes en belles femmes obéissent à de sages lois ; partout la richesse et la félicité les accompagnent. Ô déesse auguste, divinité bienfaisante ! La jeunesse et les plaisirs animent les enfants de ceux que vous protégez. Leurs jeunes filles joyeuses forment des chœurs, et, couronnées de roses, conduisent leurs danses dans les prairies couvertes de fleurs.

Salut, ô mère des dieux ! épouse du ciel étoilé, daignez, dans votre bienveillance pour mes chants, m’accorder une vie heureuse ; je ne vous oublierai jamais, et je vais dire un autre chant.

III - Zeus

À Zeus

Je chanterai Zeus, le meilleur des Dieux, le plus grand, qui tonne au loin, puissant, accompli, et qui a de fréquents entretiens avec Thémis qui s’incline, assise auprès de lui.

Sois propice, Kronide qui tonnes au loin, très auguste, très grand !

À Jupiter

Je chanterai Jupiter le plus grand et le plus illustre des dieux, Jupiter dont la foudre retentit au loin, dieu puissant par qui tout s’accomplit, et qui donne à Thémis, assise près de lui, des conseils pleins de sagesse.

Soyez-nous propice, très grand et très illustre fils de Saturne

IV - Poséidon

À Poseidaôn

Je commence à chanter sur Poseidaôn, le grand Dieu, qui ébranle la terre et la mer stérile, qui possède Aigas et le Hélikôn.

Les Dieux t’ont partagé les honneurs, ô toi qui ébranles la terre ! Ils t’ont fait dompteur de chevaux et sauveur de nefs.

Salut, Poseidaôn qui entoures la terre, Bienheureux, aux cheveux bleus, ayant un cœur bienveillant, et qui secours les marins !

À Neptune

Chantons d’abord Neptune, dieu puissant, roi des mers, qui fait trembler la terre et la mer inféconde, qui règne sur l’Hélicon et sur l’immense ville d’Aigues. Neptune, vous avez reçu des Immortels le double honneur de dompter les coursiers et de sauver les navires.

Salut, Neptune, à la chevelure azurée, dieu fortuné, que votre cœur bienveillant protège les navigateurs.

V - Héra

À Hèrè

Je chante Hèrè au thrône d’or, que Rhéiè a enfantée, Reine immortelle, illustre par sa beauté sans égale, femme et sœur de Zeus qui tonne dans les hauteurs, glorieuse, et que tous les Dieux heureux, dans le large Olympos, honorent et vénèrent autant que Zeus qui se réjouit de la foudre.

À Junon

Je chante Junon au trône d’or, la fille de l’illustre Rhéa ; Junon, reine immortelle, douée d’une beauté ravissante, épouse et soeur du redoutable Jupiter, elle que tous les habitants fortunés de l’Olympe honorent à l’égal de Jupiter lui-même, le maître de la foudre.

VI - Athéna (1)

À Athènè

Je chanterai Pallas Athènaiè, puissante protectrice des villes, et qui s’occupe, avec Arès, des travaux guerriers, des villes saccagées, des clameurs et des mêlées. Elle protège les peuples qui vont au combat ou qui en reviennent.

Salut, Déesse ! Donne-moi la bonne destinée et la félicité.

À Minerve

Je commencerai par chanter la terrible Pallas Minerve, gardienne de nos cités, qui se plaît avec le dieu Mars aux fatigues de la guerre, aux ruines des villes, au tumulte des armes, aux dangers des batailles, et qui étend sa protection sur le peuple, qu’il marche au combat, ou qu’il en revienne.

Salut, déesse, accordez-nous la fortune et le bonheur.

VII - Athéna (2)

À Athènè.

Je commence par chanter Pallas Athènaiè, Déesse illustre, aux yeux clairs, très sage, au cœur indomptable, vierge vénérable, protectrice des villes, vigoureuse, que le prévoyant Zeus enfanta lui-même de sa tête auguste, couverte d’armes guerrières d’or et resplendissantes, et que tous les Immortels contemplèrent avec admiration.

Devant Zeus, elle jaillit impétueusement de la tête immortelle, brandissant sa lance aiguë, et le grand Olympos fut ébranlé sous le bond de la Déesse aux yeux clairs, et, autour, la terre retentit horriblement, et la mer fut ébranlée, bouleversant ses eaux pourprées ; mais l’abîme salé s’apaisa aussitôt, et l’illustre fils de Hypériôn arrêta ses chevaux aux pieds rapides jusqu’à ce que la Vierge Pallas Athènaiè eût enlevé ses armes divines de ses épaules immortelles, et le très sage Zeus s’en réjouit.

Et je te salue ainsi, fille de Zeus tempétueux ! Je me souviendrai de toi et des autres chants.

À Minerve

Je chanterai d’abord Pallas Minerve, déesse illustre, féconde en sages conseils, portant un cœur inflexible, vierge vénérable, gardienne des cités, divinité forte, que le prudent Jupiter fit sortir de sa tête vénérable, toute vêtue d’armes de guerre, étincelante d’or.

En présence du dieu de l’égide, Minerve s’élança de la tête divine en brandissant une lance aiguë ; le vaste Olympe fut ébranlé par la puissance de Minerve, la terre en poussa de grands cris, la mer se troubla, ses vagues profondes furent soulevées, l’onde amère resta suspendue. Le fils brillant d’Hypérion arrêta pendant longtemps ses coursiers fougueux, jusqu’à ce que Pallas eût rejeté de ses épaules les armes divines. Jupiter plein de prudence en fut réjoui.

Salut, fille puissante du dieu de l’égide, je ne vous oublierai jamais, et je vais dire un autre chant.

VIII - Apollon

À Apollôn.

Je me souviendrai toujours de l’Archer Apollôn, et je ne l’oublierai jamais, lui que les Dieux eux-mêmes redoutent, quand il marche dans la demeure de Zeus ; et, certes, tous se lèvent de leurs sièges à son approche, quand il tend son arc illustre.

Lètô reste seule auprès de Zeus qui se réjouit de la foudre. Elle détend le nerf, elle ferme le carquois, et, l’ayant retiré des robustes épaules du Dieu, elle suspend l’arc le long d’une colonne de la demeure paternelle, à un clou d’or ; et, conduisant Apollôn, elle le fait asseoir sur un thrône.

Et le Père, glorifiant son cher fils, lui donne le nektar dans une coupe d’or ; puis les autres Dieux s’asseyent, et la vénérable Lètô se réjouit parce qu’elle a enfanté un fils, puissant archer.

Salut, ô heureuse Lètô, car tu as enfanté d’illustres enfants, le Roi Apollôn et Artémis joyeuse de ses flèches, celle-ci dans Ortygiè et celui-là dans l’âpre Dèlos, étant courbée auprès de la grande montagne et de la colline de Kynthios, sous un palmier, le long de l’Inôpos.

Comment te louerai-je, toi, le plus digne de louange ? C’est par toi, ô Phoibos, que les chants sont inspirés, soit sur la terre ferme qui nourrit les génisses, soit dans les îles. Les hauts rochers te chantent, et les sommets des montagnes, et les fleuves qui roulent à la mer, et les promontoires qui avancent sur la mer, et les ports.

Certes, d’abord, je dirai comment Lètô t’enfanta, joie des hommes mortels, étant couchée près de la montagne de Kynthios, en une île âpre, dans Dèlos entourée des flots. Et, des deux côtés, l’eau noire heurtait la terre, poussée par les vents qui soufflaient harmonieusement.

Élancé de là, tu commandes à tous les hommes mortels, à tous ceux que renferment la Krètè et les Dèmes Athènaiens, et l’île Aigina, et Euboia illustre par ses nefs, Aigas, Eirésia et Péparèthos sur les bords de la mer, et l’Athôs Thrèkien, et les cimes du Pèlios, et Samos Thrèkienne, et les monts Idaiens couverts de forêts, et Skyros, et Phokaia, et la haute montagne d’Autokanè, et Imbros bien peuplée, et l’inaccessible Lemnos, et la divine Lesbos, terre de l’Aioliôn, et Khios, la plus fertile des îles de la mer, et la rocheuse Mimas, et les cimes de Korykos, et l’éclatante Klaros, et la haute montagne d’Aisagiè, et l’humide Samos, et les hauts sommets de Mykalè, et Milètos, et Koôs, ville des hommes mortels, et la haute Knidos, et Karpathos battue des vents, et Naxos, et Paros, et la rocheuse Rainaia.

En tous ces lieux, au moment d’enfanter le divin Archer, Lètô erra, demandant si l’une de ces terres voulait servir d’abri à son fils ; mais toutes furent saisies de terreur, et aucune, quelque fertile qu’elle fût, ne voulut accueillir Phoibos.

Et la vénérable Lètô, ayant enfin abordé à Dèlos, elle l’interrogea et lui dit ces paroles ailées :

— Dèlos, si tu veux être la terre de mon fils Phoibos Apollôn et le placer dans un riche temple, aucun autre ne t’abordera, ni ne te priera, et je ne pense pas que tu sois désormais riche en bœufs et en brebis. Tu ne porteras point de vignes et tu ne produiras point les plantes innombrables ; mais, si tu possèdes le temple de l’Archer Apollôn, tous les hommes t’apporteront des hécatombes, et ils se rassembleront ici, et l’immense odeur des sacrifices t’enveloppera, aussi longtemps que tu nourriras le Roi ; et les Dieux te garderont d’une domination étrangère, car ton sol n’a point de fertilité.

Elle parla ainsi, et Dèlos se réjouit, et elle lui répondit :

— Lètô, très illustre fille du grand Koios, j’accueillerais volontiers ta race, le royal Archer, car je suis en mauvaise renommée auprès des hommes, et je serais ainsi plus honorée ; mais je redoute ce qu’on dit, ô Lètô, et je ne te le cacherai point. On dit qu’Apollôn doit être orgueilleux et qu’il sera un rude Prytane des Immortels et des hommes mortels sur la terre féconde. C’est pourquoi je crains beaucoup, dans mon esprit et dans mon âme, que, dès qu’il aura vu la lumière de Hèlios, il méprise l’Ile, parce que je suis une terre stérile, et que, me frappant du pied, il me pousse dans la haute mer, où les grandes eaux pleines de violence m’inonderont toujours. Alors, il s’en ira vers une autre terre qui lui plaira mieux et où on lui bâtira un temple dans un bois sacré d’arbres épais. Et les Polypodes et les noirs Phoques feront de moi leurs demeures caverneuses, étant négligée de la foule des hommes. Mais tu me rassureras, Déesse, si tu jures par le grand Serment, qu’il construira ici son grand temple où sera l’Oracle des hommes, mais de tous les hommes, car il est très célèbre.

Dèlos parla ainsi, et Lètô jura le grand Serment des Dieux :

— Que Gaia le sache, et le large Ouranos supérieur, et l’eau souterraine de Styx ! Et c’est le plus grand serment qui soit pour les Dieux heureux. Certes, le temple parfumé de Phoibos sera toujours ici, et il t’honorera par-dessus toutes les îles.

Et, après qu’elle eut juré et prononcé toutes les paroles du Serment, Dèlos se réjouit de la naissance de l’Archer Apollôn.

Et neuf jours et neuf nuits Lètô fut tourmentée des douleurs désespérées de l’enfantement. Et toutes les Déesses étaient autour d’elle, et les plus illustres, Dionè, Rhéiè, et Thémis qui suit les traces, et la sonore Amphitritè, et les autres Immortelles, sauf Hèrè aux bras blancs qui était assise dans les demeures, de Zeus qui amasse les nuées.

Seule, Eileithia, qui soulage les douleurs, ne savait rien. Et elle était assise au faîte de l’Olympos, sur des nuées d’or, car Hèrè aux bras blancs l’avait retenue par jalousie, Lètô aux beaux cheveux allant enfanter un fils irréprochable et puissant.

Et les Déesses envoyèrent Iris, de l’île aux belles demeures, afin d’amener Eileithia, lui promettant un grand collier noué de fils d’or et long de neuf coudées. Et elles lui ordonnèrent de l’appeler à l’insu de Hèrè aux bras blancs, de peur que celle-ci, par ses paroles, la détournât de venir.

Et, dès que la rapide Iris aux pieds prompts comme le vent les eut entendues, elle partit en s’élançant et traversa rapidement l’espace. Et quand elle fut arrivée dans le haut Olympos, thrône des Dieux, elle appela aussitôt Eileithia à la porte des demeures, et elle lui dit en paroles ailées et pressées tout ce que les Déesses qui ont des demeures olympiennes lui avaient ordonné de dire, et elle persuada son cœur dans sa chère poitrine.

Et toutes deux partirent, semblables par leurs pieds à des colombes timides. Et, quand la libératrice Eileithia arriva à Dèlos, alors l’enfantement saisit Lètô, et elle était près d’accoucher. Et elle jeta ses bras autour du palmier, et elle ploya ses genoux sur la molle prairie, et la terre sourit au-dessous d’elle, et l’Enfant jaillit à la lumière, et toutes les Déesses hurlèrent de joie.

Puis, elles te lavèrent dans une eau claire, Archer Phoibos, chastement et purement ; et elles t’enveloppèrent dans un vêtement blanc, léger et beau, qu’elles entourèrent d’une ceinture d’or. Et sa mère ne donna point sa mamelle à Apollôn à l’épée d’or, mais Thémis lui offrit de ses mains immortelles le nektar et l’ambroisie désirable, et Lètô se réjouit parce qu’elle avait enfanté un fils, puissant archer.

Mais, ô Phoibos, après avoir goûté la nourriture immortelle, la ceinture d’or ne put te contenir palpitant ; aucun lien ne te retint plus, et tous furent rompus ; et Phoibos Apollôn dit aussitôt aux Immortelles :

— Qu’on me donne la kithare amie et l’arc recourbé, et je révélerai aux hommes les véritables desseins de Zeus.

Ayant ainsi parlé, l’Archer Phoibos aux longs cheveux descendit sur la terre aux larges chemins, et toutes les Immortelles étaient stupéfaites, et Dèlos se couvrit tout entière d’or, en voyant le rejeton de Zeus et de Lètô ; et elle se réjouit, parce que le Dieu l’avait choisie pour sa demeure parmi toutes les îles de la terre ferme, et l’avait préférée ; et elle fleurit comme le faîte d’une montagne sous les fleurs de la forêt.

Et toi, Archer Apollôn à l’arc d’argent, tantôt tu gravissais le rocheux Kynthios, tantôt tu fuyais les îles et les hommes, car tes temples et tes bois sacrés aux arbres épais sont nombreux, et les hauts rochers te sont chers, et les sommets des grandes montagnes, et les fleuves qui roulent à la mer. Mais c’est à Dèlos que tu charmes le plus ton âme, ô Phoibos. Là, pour toi se réunissent les Iaones aux tuniques traînantes, avec leurs enfants et leurs femmes ; et, se souvenant de toi, ils se réjouissent, quand ils célèbrent des Jeux, par le pugilat, la danse et le chant.

Si quelqu’un survenait tandis que les Iaones sont ainsi rassemblés pour toi, il croirait que ce sont autant d’Immortels à l’abri de la vieillesse. Et il admirerait leur grâce à tous, et il serait charmé, en son âme, de contempler les hommes et les femmes aux belles ceintures, et les nefs rapides et leurs nombreuses richesses, et, par-dessus tout, un grand prodige dont la louange ne cessera jamais : Les Vierges Dèliades, servantes de l’Archer Apollôn.

Elles louent d’abord Apollôn, puis Lètô et Artémis joyeuse de ses flèches. Puis, elles se souviennent des hommes et des femmes antiques, et, chantant un hymne, elles charment la race des hommes. Elles savent imiter les voix et les rhythmes de tous les peuples, et on dirait entendre une seule voix, tant elles accordent parfaitement leur chant.

Allons ! par Lètô, Apollôn et Artémis ! salut à vous toutes ! Et souvenez-vous de moi plus tard, si quelqu’un d’entre les hommes terrestres, un étranger malheureux, survient et vous interroge ainsi :

— Ô jeunes filles, quel est cet homme, le plus harmonieux des Aoides, qui reste ici et que vous écoutez avec un grand charme ?

Alors, répondez-lui, pleines de bienveillance :

— C’est un homme aveugle. Il habite la rocheuse Khios, et tous ses chants seront les meilleurs dans l’avenir.

Et nous, errant parmi les villes bien peuplées des hommes, nous porterons notre louange sur toute la terre, et tous nous croiront, car nous aurons dit la vérité. Et moi, je ne cesserai jamais de louer l’Archer Apollôn à l’arc d’argent qu’enfanta Lètô aux beaux cheveux.

Ô Roi ! tu possèdes la Lykiè, et l’aimable Mèoniè, et la maritime Milètos, ville désirable ; mais tu commandes par-dessus tout à Dèlos entourée des flots.

Et le fils de l’illustre Lètô, faisant résonner sa kithare creuse, et couvert de vêtements ambroisiens et parfumés, s’avance vers la rocheuse Pythô ; et à l’aide du plektre, sa kithare d’or rend un son harmonieux.

De là, comme la pensée, s’élançant de la terre vers le grand Olympos, il entre dans la demeure de Zeus, au milieu de l’assemblée des autres Dieux, et, aussitôt, les Immortels ne songent plus qu’à la kithare et au chant. Et toutes les Muses, répondant de leur belle voix, célèbrent les dons ambroisiens des Dieux et les misères des hommes, que ceux-ci reçoivent des Dieux immortels, vivant désespérés et insensés, et ne trouvant de remède ni à la vieillesse, ni à la mort.

Mais les Kharites aux beaux cheveux et les Heures bienveillantes, Harmonie, et Hèbè, et Aphroditè, fille de Zeus, dansent, se tenant par la main, et, avec elles, danse aussi, non point laide et petite, mais admirable par la grandeur et par la beauté, Artémis, joyeuse de ses flèches et l’égale d’Apollôn. Et, avec elle, dansent aussi Arès et le vigilant Tueur d’Argos.

Et Phoibos Apollôn fait résonner magnifiquement sa kithare, et l’éclat de ses pieds et l’éclat de sa belle tunique l’enveloppent de splendeur, et Lètô aux cheveux d’or et le sage Zeus sont très charmés, dans leur cœur, de voir leur cher fils jouant avec les Dieux immortels.

Comment te louerai-je, toi, le plus digne de louange ? Te louerai-je au milieu de tes épouses et dans ton amour, quand tu aimas ardemment la Vierge Azantide, en même temps que le divin Iskhys Elasionide aux beaux chevaux ? Ou quand tu luttais avec Phorbas, fils de Triopos, ou avec Erekhteus, ou avec Leukippos, ou avec la femme de Leukippos, à pied ou sur ton char ? Et, cependant, Triopos n’était point absent. Ou te louerai-je, Archer Apollôn, quand tu marchais sur la terre, cherchant où tu rendrais ton oracle aux hommes ?

Et, d’abord, tu descendis de l’Olympos dans la Piériè, et tu traversas le Lektos sablonneux et la Hémathiè et Perrhaibes, et tu parvins promptement à Iolkos, et à Kénaios et à Euboiè illustre par ses nefs. Et tu t’arrêtas dans la plaine de Lélas, mais il ne te plut point dans ton cœur d’y bâtir ton temple et d’y planter tes bois sacrés.

Et, de là, Archer Apollôn, ayant passé l’Euripos, tu gravis la divine montagne verdoyante, et tu t’en éloignas rapidement vers Mykalèssos et Teumessos pleine d’herbe, puis vers la terre Thèbaine couverte de forêts. En effet, aucun mortel n’habitait encore la sainte Thèbè ; il n’y avait encore ni sentiers, ni routes, sur la terre Thèbaine féconde en blé, mais elle était couverte de forêts.

Et tu t’en éloignas, Archer Apollôn, et tu parvins à Onkhestos, bois sacré et magnifique de Poseidaôn, où le cheval récemment dompté souffle, accablé de travail, en traînant les beaux chars. Et le conducteur, quoique plein d’adresse, marche, sautant du char à terre ; et les chevaux, n’ayant plus de conducteur, traînent le char vide. Et s’ils le conduisent dans le bois sacré, on les suit et on les dételle. Et, selon le rite primitif, on prie le Roi Poseidaôn ; et la Moire conserve le char pour le Dieu.

Et tu t’éloignas de là, Archer Apollôn, et tu parvins au Kèphissos au beau cours qui, de Lilaiè, roule ses belles eaux. Puis, le traversant, ô Archer, ainsi que la fertile Okhaléè, tu parvins à Amartos pleine d’herbe. Et là, tu vis Delphousè, terre tranquille qui te plut pour y bâtir ton temple et y planter tes bois sacrés. Et tu t’arrêtas près d’elle, et tu lui dis :

— Delphousè, je pense bâtir ici un temple illustre, oracle des hommes qui m’y sacrifieront toujours de parfaites hécatombes. Et ceux qui habitent le gras Péloponnèsos, ou l’Europe, ou les Iles entourées des flots, viendront m’interroger, et je prophétiserai en paroles véridiques, rendant mes oracles dans le temple opulent.

Ayant ainsi parlé, Phoibos Apollôn posa les larges et longues fondations du temple. Mais, voyant cela, Delphousè, irritée dans son cœur, lui dit :

— Royal Archer Phoibos, je mettrai quelques paroles en ton esprit. Puisque tu penses bâtir ici un temple illustre, oracle des hommes qui, toujours, t’y sacrifieront de parfaites hécatombes, je te dirai ceci ; garde-le dans ton esprit : Le trépignement des chevaux rapides te troublera, et celui des mulets abreuvés dans mes fontaines sacrées. Ici chaque homme aimera mieux regarder les chars bien faits et entendre le trépignement des chevaux rapides que regarder le grand temple et les richesses qui y seront. Mais, si tu te laisses persuader, ô Roi, car tu es plus fort et meilleur que moi, et ta force est très grande, bâtis à Krissè, sous la gorge du Parnèsos, là où les beaux chars ne courront point, où le trépignement des chevaux aux pieds rapides ne résonnera point autour de l’autel bien construit. Les races illustres des hommes y amèneront des présents à Io-Paian, et tu recevras, joyeux dans ton esprit, les beaux sacrifices des hommes voisins.

Ayant ainsi parlé, elle persuada son esprit, afin qu’il y eût gloire sur la terre pour elle-même, Delphousè, et non pour l’Archer.

Et tu t’éloignas de là, Archer Apollôn, et tu parvins à la ville des Phlégyens injurieux qui habitaient, sur la terre, n’ayant nul souci de Zeus, dans une belle vallée, auprès du lac Kèphisos. Et de là, gravissant rapidement la montagne, tu parvins à Krissè, sous le neigeux Parnèsos, au pied d’une cime tournée vers Zéphyros. Et, au-dessus, se dresse le rocher, et, au-dessous, s’étend une vallée creuse et âpre ; et, là, le Roi Phoibos Apollôn pensa bâtir un temple désirable, et il dit ces paroles :

— Je pense bâtir ici un temple illustre, oracle des hommes qui m’y sacrifieront toujours de parfaites hécatombes. Et ceux qui habitent le gras Péloponnèsos, et l’Europe, et les îles entourées des flots, viendront m’interroger, et je prophétiserai en paroles véridiques, rendant mes oracles dans le temple opulent.

Ayant ainsi parlé, Phoibos Apollôn posa les larges et longues fondations du temple, et, sur ces fondations, Trophonios et Agamèdès, fils d’Erginos, chers aux Dieux Immortels, construisirent le seuil de pierre, et, autour, les innombrables races des hommes bâtirent le temple en pierres taillées, afin qu’il fût éternellement illustre.

Et il y avait, auprès, une source aux belles eaux, où le Roi fils de Zeus tua, à l’aide du nerf solide de son arc, un dragon femelle, monstre énorme, long et horrible, qui, sur la terre, faisait des maux sans nombre aux hommes, et, autant qu’à eux, à leurs brebis aux longs pieds, car c’était un fléau sanglant.

Et, autrefois, l’ayant reçu de Hèrè au thrône d’or, elle nourrissait le farouche et horrible Typhaôn, fléau des mortels ; que Hèrè enfanta jadis, irritée contre le Père Zeus, quand le Kronide engendra de sa tête la très illustre Athènè. Et, aussitôt, la vénérable Hèrè, irritée, dit aux Dieux immortels assemblés :

— Écoutez-moi, vous tous, ô Dieux, et vous toutes, ô Déesses, puisque Zeus qui amasse les nuées, le premier, me fait injure, à moi dont il a fait sa femme et qui suis chaste. Maintenant, il a engendré sans moi Athènè aux yeux clairs, qui est très illustre entre tous les Immortels heureux, tandis que mon fils Hèphaistos, que j’ai enfanté moi-même, est débile et a les pieds tournés ; car, l’ayant saisi de ses mains, il l’a jeté dans la mer large ; mais la fille de Nèreus, Thétis aux pieds d’argent, le reçut et le mena à ses sœurs. Ô funeste et plein de ruses, tu devrais plaire autrement aux Dieux heureux ! Et maintenant que médites-tu encore ? Comment as-tu osé engendrer seul Athènè aux yeux clairs ? Est-ce que je ne puis plus enfanter, moi qui suis appelée tienne, cependant parmi les Immortels qui habitent le large Ouranos ? Maintenant, je vais tenter quelque chose, afin qu’il naisse de moi un fils qui domine parmi les Dieux immortels, sans que j’aie souillé ton lit sacré ni le mien. Et je ne coucherai point dans ton lit, et, loin de toi, j’irai vers d’autres Dieux immortels.

Ayant ainsi parlé, irritée, elle s’éloigna des Dieux. Et aussitôt, la vénérable Hère aux yeux de bœuf pria, et, frappant de sa main la terre, elle dit :

— Écoutez-moi maintenant, Gaia, et toi, large Ouranos supérieur, et vous, Dieux Titans qui habitez sous terre autour du grand Tartaros et de qui sont nés les hommes et les Dieux ! Écoutez-moi tous maintenant, et donnez-moi un fils, sans Zeus, et qu’il ne lui soit point inférieur en force, et qu’il le surpasse même, autant que Zeus au large regard l’emporte sur Kronos.

Ayant ainsi parlé, elle frappa la terre de sa main vigoureuse, et la terre qui donne la vie trembla ; et, voyant cela, Hèrè se réjouit dans son cœur, car elle pensa que son désir était accompli. Et, dès lors, jusqu’à la fin de l’année, elle ne vint point au lit du très sage Zeus, et elle ne s’assit point auprès de lui sur le beau thrône où, auparavant, elle méditait de sages desseins ; mais elle resta dans ses temples fréquentés par de nombreux suppliants ; et, là, la vénérable Hère aux yeux de bœuf se réjouit des sacrifices offerts.

Enfin, après les nuits et les jours, et le retour des saisons et de l’année, elle enfanta un fils dissemblable aux Dieux et aux hommes, le cruel et horrible Typhaôn, fléau des mortels. Et la vénérable Hèrè aux yeux de bœuf, l’ayant saisi aussitôt, donna le monstre au monstre.

Et le Dragon femelle le prit, et il fit de grands maux aux illustres races des hommes. Et elle, à celui qu’elle rencontrait elle apportait son jour fatal, avant que l’Archer Apollôn lui eût lancé un trait vigoureux. Et, consumée de douleurs amères, elle gisait, haletante, étendue sur la terre. Puis, poussant une clameur immense et violente, elle se tordit avec fureur sous les bois, et, toute sanglante, elle rendit l’esprit. Et Phoibos Apollôn, se glorifiant, dit :

— Maintenant, pourris, là, sur la terre qui nourrit les hommes. Tu ne vis plus et tu ne seras plus le fléau des hommes qui mangent les fruits de la terre qui nourrit tout, et ils amèneront ici de parfaites hécatombes. Ni Typhœus, ni la lugubre Khimaira n’éloigneront de toi la triste mort ; mais, ici, la noire terre et l’infatigable Hypériôn te pourriront.

Il parla ainsi en se glorifiant, et les ténèbres couvrirent les yeux du Dragon femelle. Et, depuis, ce lieu fut nommé Pythô, parce que la force sacrée de Hèlios y avait pourri le monstre ; et le Roi fut nommé Pythien, parce que, là, la force aiguë de Hèlios avait pourri le monstre.

Et alors Phoibos Apollôn reconnut dans son esprit que la source aux belles eaux l’avait trompé, et, irrité, il alla vers Delphousè, et il arriva promptement, et, debout auprès d’elle, il lui dit :

— Delphousè, il n’était pas dans ta destinée, ayant trompé mon esprit, d’écouler plus longtemps, dans ce lieu désirable, ta belle eau limpide. Voici que ma gloire éclatera ici et non la tienne seule.

Il parla ainsi, et le royal Archer Apollôn poussa le rocher d’où jaillissait l’eau et en cacha le cours. Et il bâtit un temple, dans un épais bois sacré, près de la source au beau cours ; et, là, tous les hommes font des vœux au Roi, le nommant Delphousien, parce qu’il a humilié le cours sacré de Delphousè.

Et alors Phoibos Apollôn songea dans son esprit quels hommes il initierait à ses mystères, afin qu’ils fussent ses ministres dans la rocheuse Pythô.

Songeant donc à cela dans son esprit, il vit sur la mer pourprée une nef rapide où étaient des hommes braves et nombreux, des Krètois de Knôssos, ville de Minôs, habiles aux sacrifices du Roi et qui révèlent les volontés de Phoibos Apollôn à l’épée d’or, quelque chose qu’il dise, quand il rend ses oracles du milieu d’un laurier, sous le Parnèsos. Et ils naviguaient sur une nef noire, pour leurs affaires et leurs besoins, allant à la sablonneuse Pylos, vers les hommes Pyliens.

Et Phoibos Apollôn, au devant d’eux, sauta dans la mer, semblable à un Delphin, et entra dans la nef rapide où il gisait, monstre énorme et horrible. Et aucun d’eux ne le reconnut dans son esprit, et il s’agitait de tous côtés, ébranlant les bois de la nef ; et tous, muets et pleins de crainte, restaient assis dans la nef. Et ils ne détachaient point les manœuvres sur la nef noire et creuse, et ils ne serraient point la voile de la nef à poupe noire ; mais ils naviguaient, assis aux avirons comme auparavant. Et le violent Notos poussait par l’arrière la nef rapide, et ils passèrent devant Maléia, et la terre Lakonide, et la haute ville de Hélos, et Tainaros, lieu de Hèlios qui charme les hommes, où les illustres brebis aux laines épaisses du Roi Hèlios paissent toujours et possèdent un lieu désirable.

Et ils voulaient, en ce lieu, arrêter la nef et en sortir pour admirer ce grand prodige et voir de leurs yeux si le monstre resterait sur le pont de la nef creuse, ou s’il bondirait dans l’eau de la mer qui nourrit beaucoup de poissons. Mais la nef bien construite n’obéissait pas aux avirons, et elle continua sa route le long du gras Péloponnèsos, et le royal Archer Apollôn la dirigeait aisément à l’aide du vent.

Et la nef, faisant sa route, parvint à Arène, à la désirable Argyphéè, à Thryos où est le gué de l’Alphéios, à Aipys bien peuplée, à la sablonneuse Pylos où sont les hommes nés Pyliens ; puis, elle longea Khalkis, et Dymè et la divine Elis où commandent les Epéiens ; puis, ayant passé Phèra, poussée par le vent favorable de Zeus, la haute montagne d’Ithakè leur apparut du milieu des nuées, et Doulikhios, et Samè, et Zakynthos couverte de forêts.

Mais, quand la nef eut passé tout le Péloponnèsos, le golfe immense de Krissè, qui termine le gras Péloponnèsos, leur apparut ; et le grand vent Zéphyros, par la volonté de Zeus, souffla impétueusement de l’Aithèr, afin que la nef achevât rapidement son chemin sur l’eau salée de la mer.

Et ils naviguaient, revenant du côté d’Éos et de Hèlios, conduits par le roi Apollôn, fils de Zeus ; et ils arrivèrent au port de Krissè qui abonde en vignes ; et la nef, en marchant, rasa les sables.

Et le royal Archer Apollôn sauta de la nef, semblable à un astre au milieu du jour, et d’innombrables étincelles jaillissaient de lui, et la splendeur en montait jusque dans l’Ouranos. Et le Dieu pénétra dans le sanctuaire, vers les trépieds vénérables ; et il y mit le feu, manifestant ses signes ; et l’éclat de la flamme enveloppa Krissè tout entière. Et les femmes des Krissagones et leurs filles aux belles ceintures hurlèrent au choc de Phoibos, et une grande terreur saisit chacune d’elles.

Puis, le Dieu, d’un bond, vola de nouveau, comme la pensée, sur la nef, semblable à un homme jeune et robuste, dans sa première puberté, avec une flottante chevelure sur ses larges épaules. Là, il leur dit ces paroles ailées :

— Ô Étrangers, qui êtes-vous ? D’où venez-vous sur les routes humides ? Naviguez-vous pour un négoce, ou à l’aventure, comme des pirates qui vagabondent sur la mer, exposant leur vie et portant les calamités aux autres hommes ? Pourquoi restez-vous stupides et ne descendez-vous point à terre, après avoir déposé les agrès de la nef noire ? Telle, en effet, est la coutume des hommes industrieux, quand, arrivés de la haute mer sur leur nef noire, ils touchent la terre, accablés de fatigue. Aussitôt le désir de la douce nourriture saisit leur esprit.

Il parla ainsi, et il inspira l’audace à leur âme, et le chef des Krètois lui répondit :

— Étranger car tu n’es point semblable aux mortels, ni par le corps, ni par la beauté, mais tu ressembles aux Dieux immortels, salut ! Réjouis-toi, et que les Dieux te rendent heureux ! Mais dis-moi la vérité, afin que je la sache. Quel est ton peuple ? Quelle est ta terre ? Quels hommes t’ont engendré ? Ayant d’autres pensées, nous naviguions sur les grandes eaux, vers Pylos, venant de la Krètè où nous nous glorifions d’être nés. Et maintenant nous sommes venus ici contre notre gré, avec notre nef, par d’autres routes et d’autres chemins, et désirant le retour. Mais un des Immortels nous a conduits ici contre notre gré.

Et l’Archer Apollôn, leur répondant, dit :

— Étrangers, certes, vous habitiez auparavant Knôssos couverte de forêts, mais voici qu’aucun de vous ne retournera plus vers sa ville aimable et ses belles demeures et sa chère femme ; et vous garderez ici mon temple magnifique honoré par la foule des hommes. Et moi, je me glorifie d’être Apollôn, fils de Zeus. Je vous ai conduits ici sur les grandes eaux de la mer, ne vous voulant point de mal ; mais vous garderez ici mon temple magnifique honoré par la foule des hommes. Et vous connaîtrez les volontés des Immortels, et, par la volonté des Dieux, vous serez sans cesse honorés tous les jours. Mais, allons ! obéissez promptement à ce que je vais dire. Serrez d’abord la voile à l’aide des courroies, et traînez la nef rapide à terre. Enlevez de la nef égale le chargement et les agrès, et bâtissez un autel sur le rivage de la mer. Puis, allumant du feu et sacrifiant les blanches farines, priez, debout autour de l’autel. Et, de même que j’ai bondi de la noire mer sur la nef rapide, semblable à un Delphin, de même vous me nommerez, en priant, Delphien ; et l’autel Delphien lui-même sera toujours illustre. Prenez ensuite votre repas auprès de la nef noire et rapide, et faites des libations aux Dieux heureux qui habitent l’Olympos. Et, après que vous aurez assouvi le désir de la douce nourriture, venez avec moi, et chantez Io-Paian, jusqu’à ce que vous soyez arrivés au lieu où vous garderez le temple magnifique.

Il parla ainsi, et ils le craignirent et ils obéirent. Et d’abord ils serrèrent la voile et délièrent les avirons ; et, abattant le mât à l’aide de câbles, ils le couchèrent sur l’avant ; puis, ils descendirent eux-mêmes sur le rivage de la mer, et ils traînèrent à terre la nef rapide, vers le haut des sables, et ils la soutinrent avec de longs étais. Puis ils firent un autel sur le rivage de la mer, et, allumant du feu et sacrifiant de blanches farines, ils prièrent, comme il l’avait ordonné, debout autour de l’autel.

Ensuite, ils prirent leur repas auprès de la nef noire et rapide, et ils firent des libations aux Dieux heureux qui habitent l’Olympos. Puis, ayant assouvi le désir de boire et de manger, ils se mirent en chemin, et le Roi Apollôn, fils de Zeus, les menait ; et il avait une kithare dans les mains, et il en jouait admirablement, et les Krètois, étonnés, le suivaient vers Pythô, chantant Io-Paian, comme ont coutume de chanter les Krètois dont la Muse divine remplit la poitrine de doux chants.

Et, d’un pied infatigable, ils gravirent la montagne, et ils parvinrent au Parnèsos et au lieu désirable qu’ils devaient habiter à l’avenir, étant honorés par la foule des hommes. Et le Dieu qui les conduisait leur montra le sol et le temple opulent. Et leur âme fut émue dans leurs chères poitrines, et le chef des Krètois, lui répondant, dit :

— Ô Roi, puisque tu nous as conduits loin de nos amis et de la terre de la patrie, ainsi qu’il a plu à ton cher cœur, nous te demandons de nous dire comment nous vivrons maintenant. Cette terre n’est point fertile en vignes et n’a point de prairies de façon que nous en puissions vivre et, en même temps, être utiles aux hommes.

Et, en souriant, Apollôn, fils de Zeus, leur répondit :

— Hommes insensés, misérables, avides d’inquiétudes, de douleurs amères et de gémissements de cœur, je vous dirai aisément la vérité et je la déposerai dans votre esprit. Que chacun de vous ait dans sa main droite un couteau pour égorger sans cesse les brebis. Toutes les choses que m’amèneront les races illustres des hommes vous seront offertes abondamment. Gardez le temple et accueillez les hommes qui s’assembleront ici, et surtout observez ma volonté, soit qu’il vous soit dit une parole vaine, soit qu’on vous outrage, ce qui arrive aux hommes mortels. Ensuite, vous aurez d’autres maîtres auxquels vous serez toujours soumis par nécessité. Toutes ces choses te sont dites ; garde-les dans ton esprit.

Et toi, je te salue, fils de Zeus et de Lètô ! Et je me souviendrai toujours de toi et des autres chants.

À Apollon

Je n’oublierai point Apollon qui lance au loin ses flèches, Apollon qu’honorent les dieux quand il s’avance dans le palais de Jupiter. Dès qu’il s’approche, dès qu’il tend son arc redoutable, toutes les divinités abandonnent leurs sièges. Latone seule reste aux côtés du roi de la foudre. Elle relâche la corde ; elle ferme le carquois, de ses mains elle enlève l’arc des fortes épaules d’Apollon et le suspend, par une cheville d’or, à la colonne de son père. Puis elle le conduit sur un trône superbe.

Jupiter accueille son fils et lui présente le nectar dans une coupe d’or : tous les Immortels reprennent ensuite leurs places, et l’auguste

Latone est fière d’avoir enfanté ce fils illustre qui porte un arc redoutable.

Salut, mère fortunée, ô Latone ! Vous avez donné le jour à des enfants glorieux, le grand Apollon et Diane qui se plaît à lancer des flèches ; elle naquit dans Ortygie, lui, dans l’âpre Délos, lorsque vous reposiez sur les hauteurs du mont Cynthus, auprès d’un palmier et non loin des sources de l’Inope. Comment vous honorer dignement, ô Phébus, digne des plus grandes louanges. C’est à vous qu’on attribue de toutes parts les lois de l’harmonie, soit sur le fertile continent, soit dans les îles. Vous aimez les rochers, les âpres sommets des hautes montagnes, les fleuves qui se précipitent dans la mer, les promontoires penchés sur les flots, et les vastes ports de l’océan. Latone vous enfanta le premier, ô vous, qui charmez les mortels ! Elle était alors couchée sur le mont Cynthus dans une île sauvage, dans la maritime Délos, où le flot bleuâtre, poussé par la douce haleine des vents, vient se briser sur le rivage. C’est de là que vous êtes parti pour régner sur tous les hommes, sur tous ceux que renferment la Crète, la ville d’Athènes, l’île Égine, l’Eubée, célèbre par ses vaisseaux, Aeges et Pirésie et Péparèthe, voisine de la mer, l’Athos de Thrace, les sommets élevés du Pélion, la Samothrace, les monts de l’Ida couverts d’ombrages, Scyros, Phocée, la montagne élevée d’Autocane, Imbros aux riches palais, Lemnos d’un abord si rude, la divine Lesbos, séjour de Macare, descendant d’Éole ; Chio, la plus féconde de toutes les îles qui sortent du sein des mers, la pierreuse Mimas, les hauteurs du Coryce, la brillante Claros, la vaste montagne d’Esagée, l’humide Samos, les sommets élevés de Mycale, Milet, Cos, ville des Méropes, la haute Cnide, Carpathe, battue des vents, Naxos, Paros et Rhénée, hérissée de rochers. Latone, près d’accoucher d’Apollon, fut obligée de parcourir toutes ces contrées pour en trouver une qui voulût offrir un asile à son fils : mais toutes furent saisies de crainte et de terreur et nulle n’osa, quoique fertile, recevoir Apollon. Enfin, la vénérable Latone arriva à Délos et s’adressant à celte île elle prononça ces paroles :

"Délos, donne un asile à mon fils, place-le dans un temple somptueux. Nul, jusqu’à ce jour, n’approcha de tes bords et ne t’adressa ses vœux : ni troupeaux de bœufs, ni troupeaux de brebis ne t’enrichissent : tu ne produis pas de vignes, tu ne produis aucune espèce de plante. Mais bâtis un temple au puissant Apollon et aussitôt tous les hommes rassemblés en foule t’immoleront des hécatombes ; ce roi te fécondera toujours, les dieux te protègeront, et quoique ton sol ne soit pas fertile, les étrangers t’apporteront des sacrifices dont la fumée s’élèvera vers les cieux."

Elle dit. Délos, remplie de joie, lui répondit en ces mots :

"Latone, fille illustre du grand Céus, c’est avec plaisir que je recevrai à sa naissance le dieu qui doit un jour lancer au loin ses flèches ; car il est vrai que je suis méprisée des mortels et alors, au contraire, je serai comblée d’honneurs. Mais je redoute une parole, ô Latone ! et je ne vous la cacherai point : on dit qu’Apollon deviendra terrible ; que sa domination s’étendra sur les Immortels et les faibles humains habitants de la terre féconde. Je crains donc au fond de mon âme que lorsque ce dieu verra les rayons du soleil il ne me méprise, moi qui suis stérile, et que, me frappant du pied, il me précipite dans les abîmes de la mer. Alors un flot en tourbillonnant m’engloutirait tout entière et pour toujours. Lui, cependant, irait chercher une contrée plus agréable pour y posséder un temple et des bois sacrés, et alors les polypes construiraient leurs demeures sur mon sol, les noirs phoques y bâtiraient leurs habitations pendant l’absence des peuples. Je me rends cependant à vos désirs, ô déesse, si vous consentez à jurer avec serment qu’en ces lieux Apollon batira son temple magnifique pour être l’oracle des hommes, puisque dans la suite ce dieu doit être honoré sous plusieurs noms par tous les mortels."

Ainsi parla Délos : alors Latone prenant la parole prononça ainsi le serment terrible des dieux :

"Je le jure maintenant par la terre, par les cieux élevés et par l’onde souterraine du Styx, serment le plus redouté des dieux immortels : ici seront pour toujours l’autel odorant et le chant consacré à Phébus, et lui t’honorera plus que toutes les contrées."

Dès qu’elle a prononcé ce serment, Délos se réjouit de la naissance du dieu qui lance au loin ses traits. Alors pendant neuf jours et pendant neuf nuits, Latone fut déchirée par les cruelles douleurs de l’enfantement. Toutes les déesses les plus illustres sont rassemblées autour d’elle. Dionée, Rhéa, Thémis qui poursuit les coupables, la gémissante Amphitrite, toutes, à l’exception de Junon aux bras d’albâtre : celle-ci resta dans le palais du formidable Jupiter. Cependant la seule Ilithye, déesse des accouchements, ignorait cette nouvelle ; elle était assise au sommet de l’Olympe dans un nuage d’or et fut retenue par les conseils de Junon qui ressentait une fureur jalouse parce que Latone, à la belle chevelure, devait enfanter un fils puissant et irréprochable.

Alors pour amener Ilithye, les autres déesses envoyèrent de Délos la légère Iris en lui promettant un collier mêlé de fils d’or et long de neuf coudées. Elles lui recommandent surtout de l’avertir à l’insu de Junon, de peur qu’elle ne l’arrête par ses paroles. Iris, aussi prompte que les vents, ayant reçu cet ordre, s’élance et franchit l’espace en un instant. Arrivée à la demeure des dieux sur le sommet de l’Olympe, elle appela Ilithye du seuil du palais et lui redit fidèlement toutes les paroles comme le lui avaient recommandé les habitantes des célestes demeures. Elle persuada l’âme d’Ilithye et toutes deux s’envolent semblables à de timides colombes. Lorsque la déesse qui préside aux enfantements arriva à Délos, Latone était en proie aux plus vives douleurs. Sur le point d’accoucher, elle entourait de ses bras un palmier et ses genoux pressaient la molle prairie. Bientôt la terre sourit de joie ; le dieu paraît à la lumière ; toutes les déesses poussent un cri religieux. Aussitôt, divin Phébus, elles vous lavent chastement et vous purifient dans une onde limpide et vous enveloppent dans un voile blanc, tissu délicat, nouvellement travaillé qu’elles nouent avec une ceinture d’or. Latone n’allaita point Apollon au glaive étincelant. Thémis, de ses mains immortelles, lui offrit le nectar et la divine ambroisie. Latone fut alors comblée de joie d’avoir enfanté ce fils vaillant qui porte un arc redoutable.

Mais vous, ô Phébus ! à peine eûtes-vous goûté la céleste nourriture, que les ceintures d’or ne purent retenir votre impétuosité : les liens ne vous arrêtent plus, vous déchirez vos langes. Soudain le brillant Apollon dit aux déesses :

"Qu’on me donne une lyre harmonieuse et des arcs recourbés et désormais je révélerai aux hommes les oracles certains de Jupiter."

En parlant ainsi, Phébus, à la forte chevelure, et qui lance au loin ses traits s’avançait fièrement sur la terre féconde. Les déesses étaient frappées d’étonnement. Délos paraît couverte d’or à la vue du fils de Jupiter et de Latone. Elle se réjouit que ce dieu puissant l’ait choisie entre toutes les îles pour y fixer sa demeure et que son cœur l’ait préférée. Elle brille d’un vif éclat comme le sommet de la montagne couronnée des fleurs de la forêt.

Ô divin Apollon, vous qui portez un arc d’argent et lancez au loin vos flèches, tantôt vous gravissez les rochers du Cynthius, tantôt vous visitez les hommes et les îles qu’ils habitent. Des temples nombreux et des bois ombragés s’élèvent en votre honneur. Vous aimez les rochers, les âpres sommets des montagnes et les fleuves qui se précipitent dans la mer. Mais, ô Phébus, Délos est le lieu le plus cher à votre cœur ; c’est là que se réunissent les Ioniens à la robe traînante avec leurs enfants et leurs épouses vénérables : c’est là qu’ils essaient de vous charmer en se livrant aux combats du pugilat, de la danse et du chant. Si quelqu’un voyait les Ioniens rassemblés, il les dirait immortels et exempts de vieillesse. Le cœur se réjouit en voyant ces héros gracieux, leurs femmes ornées de ceintures, leurs vaisseaux rapides et leurs trésors abondants. Mais il est encore un grand prodige dont la gloire est impérissable, ce sont les filles de Délos elles-mêmes, prêtresses du dieu qui lance au loin ses traits. Elles célèbrent d’abord la gloire d’Apollon, puis elles rappellent Latone et Diane jalouse de ses flèches ; elles chantent aussi les héros anciens et leurs épouses et charment la foule des humains. Elles savent imiter les danses et les chants de tous les peuples. On dirait que chacun d’eux parle lui-même, tant ces belles voix imitent facilement leurs accords.

Soyez-nous favorables, Apollon et Diane. Salut à vous, ô leurs prêtresses. Ressouvenez-vous de moi dans l’avenir, et si jamais parmi les hommes quelque voyageur malheureux vous interroge et vous dit :

"Jeunes filles, quel est le plus illustre des chanteurs qui fréquentent cette île ? Lequel vous charma davantage."

Pleines de bienveillance pour moi, puissiez-vous répondre :

"C’est le chanteur aveugle. Il habite dans la montagneuse Chio : ses chants conserveront une éternelle renommée dans les siècles futurs."

Quant à moi, je redirai votre gloire par toute la terre jusqu’au sein des villes populeuses : les hommes seront convaincus, car c’est la vérité.

Non, je n’oublierai point Apollon qui lance au loin ses traits. Je chanterai le dieu qui porte un arc d’argent, le dieu qu’enfanta Latone à la blonde chevelure (1)…

Ô Apollon, qui possédez la Lycie, l’agréable Méonie et l’aimable ville de Milet, située au bord de la mer, vous étendez aussi votre puissance sur Délos, qu’entourent les ondes. Le fils de la blonde Latone, faisant résonner une lyre harmonieuse, s’avance vers l’âpre contrée de Pytho, revêtu d’habits immortels et tout parfumé d’essences ; son archet d’or fait rendre à l’instrument les sons les plus mélodieux. Puis abandonnant la terre, il s’élève jusqu’à l’Olympe, et, rapide comme la pensée, pénètre dans les demeures de Jupiter pour se rendre à l’assemblée des dieux ; aussitôt les Immortels consacrent tous leurs instants au chant et à la lyre. Toutes les Muses font entendre leurs voix mélodieuses : elles chantent l’éternelle félicité des dieux et les souffrances des hommes qui vivent dans l’erreur et la faiblesse, sous la domination des Immortels, et ne peuvent trouver aucun asile contre la mort, aucun remède contre la vieillesse. Les Grâces, à la chevelure superbe, les Heures bienveillantes, Hébé, l’Harmonie, et Vénus la fille de Jupiter forment les chœurs des danses en se tenant par la main ; une divinité grande et admirable à voir et qui certes n’est pas une faible déesse, Diane, heureuse de ses flèches et la sœur d’Apollon, les accompagne d’une voix mélodieuse. Mars et le meurtrier vigilant d’Argus se joignent à ces jeux. Enfin le brillant Apollon lui-même joue de la lyre en marchant dans la splendeur de sa grâce et de sa fierté. Il brille d’une vive lumière, l’éclat de ses pieds et de sa longue tunique rayonne au loin. Latone à la blonde chevelure et le puissant Jupiter ressentent une vive joie dans leur âme en voyant leur fils se mêler ainsi aux jeux de la troupe immortelle.

Comment vous comblerai-je d’assez d’honneurs, ô vous digne des plus grandes louanges ? Chanterai-je vos plaisirs et vos amours lorsque, pour vous unir à la jeune Azantide, vous luttâtes avec le noble Ischys, vaillant cavalier issu d’Élation ? ou bien avec Phorbas, fils de Triopée, avec Érechtée, avec Leucippe et son épouse, vous à pied, lui monté sur un char ? … Ou bien dirai-je, ô Apollon, toutes les contrées que vous avez parcourues cherchant un lieu propice pour rendre vos oracles aux mortels.

D’abord en quittant l’Olympe, vous êtes venu dans la Piérie, dans Lectos, dans Émathie, dans le pays des Éniens et parmi les Perrhèbes ; vous avez visité Iolchos et Cénée, promontoire de l’Eubée, célèbre par ses navires. Vous êtes resté quelque temps dans les champs de Lélanté, mais votre cœur ne trouva pas ce pays assez beau pour y bâtir un temple au milieu d’un bois ombragé. De là, vous avez franchi l’Euripe, divin Apollon ; vous avez traversé une montagne verdoyante ; vous êtes parvenu en peu d’instants à Mycalesse et jusque dans Teumèse aux gras pâturages. Enfin vous êtes arrivé à Thèbes dont le sol était couvert de bois. Les hommes n’habitaient point encore la ville sacrée de Thèbes ; ni chemins, ni sentiers ne traversaient alors cette vaste plaine fertile ; on n’y voyait qu’une forêt immense.

Divinité puissante, vous n’avez pas tardé à quitter ces lieux ; vous êtes venue dans Oncheste, où s’élève le bois sacré de Neptune. C’est là que le jeune coursier nouvellement dompté respire fortement de ses naseaux après avoir traîné le char magnifique. Le conducteur habile s’élance à terre et abandonne le char qui poursuit sa course. Désormais sans guide, les chevaux s’emportent avec rapidité. S’ils arrivent jusqu’au bois ombragé, des serviteurs détellent les coursiers dont ils prennent soin et rangent le char en l’inclinant. Ainsi fut établie cette fête dans l’origine. Ensuite les peuples implorent Neptune pour que le Destin conserve le char de ce dieu.

Bientôt vous avez abandonné ces lieux, divin Apollon ; vous êtes arrivé sur les bords riants du Céphise qui roule ses ondes limpides loin de Litée. Vous avez franchi la ville d’Ocalie aux nombreuses tours, et vous êtes parvenu dans les prairies d’Aliartes près de la fontaine Telphouse. Ce lieu était propice pour construire un temple et planter un bois ombragé. Vous vous êtes alors approché de la fontaine et vous lui avez adressé ces paroles :

"Telphouse, j’ai résolu de bâtir en ces lieux un temple superbe pour y rendre mes oracles aux mortels. Ils m’immoleront de magnifiques hécatombes et viendront, me consulter de tous les lieux de la terre, du fertile Péloponnèse, de l’Europe ou des îles. Je leur ferai connaître à tous un avenir certain et je rendrai des oracles dans ce temple somptueux."

En parlant ainsi, Apollon posait les fondements d’un temple vaste et solide. Delphuse l’ayant vu s’irrita jusqu’au fond de l’âme et fit entendre ces paroles :

"Écoutez-moi, puissant Phébus qui lancez au loin vos traits, je veux déposer une parole en votre sein : vous avez résolu de construire en ces lieux un temple superbe pour rendre vos oracles aux mortels qui viendront vous immoler d’illustres hécatombes. Mais sachez-le et retenez bien ce discours dans votre pensée : vous serez sans cesse troublé par le bruit des coursiers rapides et des mules qui viendront se désaltérer à mes sources sacrées. Ici les hommes préfèrent le spectacle des chars solides et le bruit des coursiers qui fendent l’air à l’aspect d’un temple spacieux et renfermant d’abondantes richesses. Laissez-vous donc persuader, illustre divinité, bien plus grande, bien plus puissante que moi, et dont la force est immense ; et construisez un temple à Crisa dans une vallée du Parnasse. Là jamais on ne voit de chars magnifiques ; le bruit des rapides coursiers ne retentira jamais autour de votre autel magnifique. Les mortels viendront offrir leurs sacrifices au divin Iè Paean ; vous, le cœur plein de joie, vous recevrez leurs pompeuses offrandes."

Par cet habile discours Telphouse persuada le dieu qui lance au loin ses traits. Elle voulait conserver et ne pas se laisser ravir par Apollon la gloire de régner sur cette contrée.

Vous avez donc quitté ces lieux, ô puissant Apollon, et vous êtes venu dans la ville des Phlégiens, hommes pleins d’audace, méprisant Jupiter, qui habitent une riche vallée prés du lac Céphise. Vous avez monté en courant jusqu’au sommet de la montagne, vous êtes arrivé à Crisa sur le neigeux Parnasse, à l’endroit où cette montagne est battue du souffle du zéphyr. Là, de vastes rochers qui pendent sur l’abîme forment une vallée âpre et profonde ; le brillant Phébus conçut le dessein d’y construire un temple magnifique et prononça ces paroles :

"J’ai résolu de bâtir en ces lieux un temple superbe pour y rendre mes oracles aux mortels. Ils m’immoleront de magnifiques hécatombes et viendront me consulter de tous les lieux de la terre, du fertile Péloponnèse, de l’Europe ou des îles. Je leur ferai connaître à tous un avenir certain et je rendrai des oracles dans ce temple somptueux."

En parlant ainsi le divin Apollon jeta les fondements de son temple vaste et solide. Sur ces fondements Agamède et Trophonius, tous deux fils d’Ergine et chers aux dieux immortels, posèrent le seuil. Les nombreuses tribus des hommes bâtirent avec des pierres polies un temple qui devait être à jamais célèbre. Près de ce temple était une fontaine limpide où Apollon tua de son arc redoutable une hydre énorme, affreuse, monstre sauvage et altéré de sang qui accablait de maux nombreux les hommes et les troupeaux de brebis. Autrefois cette hydre, protégée par Junon au trône d’or, avait nourri l’infâme Typhon, la terreur des mortels, ce fils de Junon, qu’elle avait enfanté dans son indignation contre Jupiter lorsqu’il conçut dans son cerveau l’illustre Minerve. Pleine de courroux l’auguste Junon adressa ce discours aux immortels assemblés :

"Écoutez-moi, dieux et déesses, le formidable Jupiter est le premier qui me méprise après m’avoir choisie entre toutes pour être son épouse vertueuse. Loin de moi maintenant, il a conçu la superbe Pallas, célèbre entre toutes les déesses fortunées, tandis que mon fils Vulcain aux pieds mutilés est né le plus faible de toutes les divinités ; moi-même quand je lui donnai le jour, je le saisis et je le précipitai dans la vaste mer ; mais la fille de Nérée, Thétis aux pieds d’argent, le reçut et le nourrit avec ses sœurs. Ah ! Jupiter devait honorer plus dignement les dieux. Insensé ! perfide ! quel autre dessein médites-tu donc maintenant ? Comment seul as-tu pu concevoir la pensée d’enfanter la belle Minerve ? N’aurais-je pu l’enfanter aussi, moi, nommée ton épouse par tous les Immortels qui règnent dans les cieux ? Hé bien ! moi aussi je veux employer toute mon habileté pour qu’il me naisse un fils qui soit célèbre entre tous les dieux ; je n’outragerai ni ta couche ni la mienne, je ne partagerai point ton lit, et quoique éloignée de toi je vivrai parmi les dieux immortels."

Elle dit, et s’éloigne des dieux, le cœur dévoré de chagrin. Aussitôt l’auguste Junon forme des vœux, et de sa main frappant la terre elle prononce ces paroles :

"Écoutez-moi, Terre, Cieux élevés, et vous dieux Titans, qui dans des abîmes horribles habitez au fond du Tartare, vous qui avez donné naissance aux dieux et aux hommes, écoutez-moi tous maintenant, et procurez-moi sans l’aide de Jupiter, un fils dont la force ne lui soit pas inférieure, mais qui soit aussi supérieur à Jupiter que Jupiter est supérieur à Saturne."

Junon parle ainsi et frappe le sol d’une main vigoureuse ; la terre féconde en est ébranlée, et Junon se réjouit dans son âme car elle pense que ses vœux sont exaucés. Durant une année entière elle ne partagea pas la couche de Jupiter, et comme autrefois ne prit point place sur le trône magnifique d’où souvent elle dicta de sages conseils ; mais elle resta dans les temples remplis de ses nombreux adorateurs ; elle se plut à recevoir leurs sacrifices. Les jours et les mois s’étant écoulés et les heures dans leur cours ayant amené le terme de l’année, cette divinité enfanta un fils différent des dieux et des hommes, l’horrible et funeste Typhon la terreur des mortels. Junon prenant ce monstre dans ses bras le porte à l’hydre épouvantable ; celle-ci le reçut. Cette hydre causait des maux innombrables aux humains ; quiconque s’offrait à sa vue trouvait la mort, jusqu’au moment où le puissant Apollon la frappa d’une flèche terrible. Alors l’hydre en proie aux plus vives douleurs, respirant à peine, se roule sur le sable, pousse d’affreux sifflements, se tord en tous sens, se précipite au milieu de la forêt ; et dans son souffle empesté exhale sa sanglante vie. Cependant Apollon s’écriait dans la joie de son triomphe :

"Que ton corps desséché pourrisse sur ce sol fertile ; tu ne seras plus le fléau des mortels qui se nourrissent des fruits de la terre féconde et ils viendront m’immoler ici de magnifiques hécatombes ; ni Typhée, ni l’odieuse Chimère ne pourront t’arracher à la mort, mais la terre et le soleil dans sa carrière céleste feront pourrir ici ton cadavre."

Ainsi dit Apollon fier de sa victoire. Une ombre épaisse couvre les yeux du serpent ; échauffé par les rayons du soleil il tombe en pourriture. Voilà comment cette contrée prit le nom de Pytho : les habitants donnèrent au dieu le nom de Pythien, parce qu’en ces lieux le soleil de ses rayons dévorants a pourri ce monstre terrible. Apollon s’apercevant alors que la brillante fontaine l’a trompé, plein de courroux, se rend près de Telphouse et lui adresse ces paroles :

"Telphouse, tu ne devais point me tromper pour régner seule sur cette charmante contrée où s’écoulent tes ondes limpides ; je veux que ma gloire brille en ces lieux et non la tienne seulement."

Le puissant Apollon précipite aussitôt sur la fontaine le promontoire et ses roches élevées ; il cache sa source et construit un autel au milieu d’un bois sacré non loin des eaux murmurantes. Les peuples le surnommèrent Telphousien parce qu’il enleva tous les honneurs a la fontaine sacrée de Telphouse.

Cependant le divin Apollon réfléchissait au fond de son âme quels hommes seraient ses ministres pour le servir dans l’âpre Pytho.

Tandis qu’il agite ces pensées dans son sein, il aperçoit sur la vaste mer un vaisseau rapide ; dans ce vaisseau se trouvaient beaucoup d’hommes pleins de courage, des Crétois arrivant de Cnosse, ville de Minos, destinés à offrir un jour des sacrifices à la divinité, à publier les oracles du brillant Apollon au glaive d’or, lorsqu’il annoncera ses prophéties immortelles dans les vallons du Parnasse. Ces Crétois, dans l’intention de faire le négoce et d’amasser des richesses, voguaient sur leur léger navire vers la sablonneuse Pylos et les hommes qui l’habitent. Apollon les ayant découverts se précipite dans les ondes et, sous la forme d’un dauphin, se place sur le navire comme un monstre immense et terrible. Aucun des nautoniers ne le remarqua, aucun ne l’aperçut, mais chaque fois que le dauphin s’agitait, il remuait toutes les poutres du vaisseau ; les matelots tremblants restaient assis et gardaient le silence ; ils ne tendaient point les cordages, ils ne déployaient pas les voiles, mais ils naviguaient toujours dans la même direction où d’abord ils avaient été lancés à force de rames. Notus, de son souffle impétueux, poussait avec force le rapide navire. D’abord ils doublèrent le cap Malée, côtoyèrent la Laconie, Hélos située sur les bords de la mer et le pays du soleil fécondant, Ténare, où paissent toujours les troupeaux du puissant Soleil, qui règne seul dans cette charmante contrée.

C’est la que les Crétois voulaient arrêter leur vaisseau, et voir, en descendant, si le monstre resterait sur le pont du navire, ou s’il se plongerait dans l’onde poissonneuse : mais le vaisseau aux larges flancs refuse d’obéir au gouvernail ; il continue sa route en côtoyant le

fertile Péloponnèse. Le puissant Apollon de son souffle le dirige sans effort ; le navire poursuit sa course rapide, il passe devant Arène,

l’agréable Thryos où l’Alphée offre un gué facile, devant la sablonneuse Pylos et les hommes qui l’habitent. Il franchit Crune, la Chalcide, Dyme, et la divine Élide où règnent les Épéens. Après avoir franchi les rivages de Phère, on vit se dessiner au sein des nuages la haute montagne d’Ithaque, Samé, Dulichium, et la verte Zacynthe. Puis le navire ayant côtoyé tout le Péloponnèse, on découvrit le vaste golfe de Crisa, qui lui sert de limite. En cet instant un vent violent et serein, le zéphyr, obéissant à la volonté de Jupiter, se précipite des cieux, afin que le vaisseau fende plus rapidement de sa proue les flots salés de la mer. En ce moment, les Crétois se dirigent vers l’aurore et le soleil. Un dieu les guide, c’est Apollon, fils de Jupiter : ils arrivent bientôt dans l’heureuse Crisa, fertile en vignes ; ils entrent au port, le large vaisseau s’enfonce dans le sable.

Apollon s’élance aussitôt du navire, pareil à un météore qui paraîtrait en plein jour : mille rayons lui forment une auréole, et sa splendeur monte jusqu’aux cieux. Le dieu pénètre en son sanctuaire au milieu des trépieds sacrés.

Lui-même brille d’une vive flamme, signe de sa présence, et son éclat se répand sur foule la ville de Crisa : les épouses des Criséens et leurs filles aux belles ceintures jettent vers le ciel un cri religieux à l’apparition d’Apollon. Chacun est saisi de crainte. Aussitôt Phébus, rapide comme la pensée, s’élance sur le navire sous les traits d’un héros vigoureux et vaillant, resplendissant de la fleur de l’âge, et sa chevelure flottant sur ses larges épaules ; alors il s’adresse aux Crétois et leur dit ces paroles :

"Qui donc êtes-vous, ô étrangers ? De quels pays venez-vous à travers les plaines liquides ? Est-ce pour vous livrer au commerce ou bien errez-vous au hasard comme des pirates, jouant leur vie et fendant la mer, pour surprendre et ravager les nations lointaines ? Pourquoi rester ainsi immobiles et tremblants, ne pas descendre à terre et ne pas enlever les agrès du navire ? C’est cependant ainsi que font les nautoniers lorsque, après les fatigues d’une longue traversée, ils touchent enfin aux rivages : car alors ils éprouvent un vif désir de prendre une douce nourriture."

Par ces paroles le dieu renouvelle leur courage, et le chef des Crétois lui répond en ces mots :

"Étranger, qui par votre figure et votre taille ne ressemblez point aux hommes, mais aux dieux immortels, salut ! Soyez comblé de félicité et que les habitants de l’Olympe vous accordent tous les biens. Parlez-moi avec sincérité et faites-moi connaître ce peuple et ce pays. Quels hommes sont nés en ces lieux ? Nous désirons aller à Pylos. Nous sommes partis de la Crète où nous nous glorifions d’être nés, et nous avons franchi les vastes mers. Maintenant, impatients du retour, c’est malgré nous que notre vaisseau nous a conduits en ces lieux par une autre route et par d’autres chemins. Une divinité nous a amenés ici contre notre volonté.

- Étrangers, répondit le grand Apollon, ô vous qui jusqu’à ce jour avez habité Cnosse, couronnée de forêts, vous ne reverrez plus cette ville aimable, vous ne reverrez plus vos riches demeures ni vos épouses chéries, mais vous resterez ici pour garder mon temple, et vous serez honorés par de nombreux mortels. Je suis le fils de Jupiter, je me glorifie d’être Apollon : c’est moi qui vous ai guidés en ces lieux, à travers les mers immenses sans mauvais dessein, mais afin que vous soyez les gardiens de mon temple et que vous receviez les hommages de tous les peuples. Vous connaîtrez les desseins des dieux, et par leurs volontés vous serez à jamais comblés d’honneurs. Mais obéissez de suite à mes ordres, pliez les voiles, tirez le navire sur le rivage, enlevez promptement les richesses et les agrès qu’il contient, et construisez un autel sur le bord de la mer. Puis vous allumerez le feu, vous y jetterez la blanche fleur de farine et vous prierez en vous tenant debout autour de l’autel : vous implorerez Apollon Delphien, parce que c’est moi qui, sous la forme d’un dauphin, ai dirigé votre vaisseau à travers les flots azurés : l’autel, qui recevra de même le nom de Delphien, subsistera toujours. Préparez le repas près du navire et faites des libations en l’honneur des dieux immortels de l’Olympe. Quand vous aurez pris abondamment la douce nourriture, vous m’accompagnerez en chantant Iè Paean jusqu’à ce que vous arriviez aux lieux où s’élèvera mon riche temple."

Il dit. Les Crétois obéissent à l’ordre qu’ils ont entendu : ils plient les voiles et détachent les câbles ; ils abaissent le mât en le soutenant avec des cordages, puis ils se répandent sur le rivage de la mer. Ils tirent le navire dans le sable, l’étaient avec de larges poutres et construisent un autel sur la grève. Ils allument le feu, ils y jettent la blanche fleur de farine et prient debout autour de l’autel, ainsi que le dieu l’avait ordonné. Tous ensuite préparent le repas non loin du navire et font des libations en l’honneur des habitants fortunés de l’Olympe. La faim et la soif étant apaisées, ils quittent ces bords. Le fils de Jupiter, Apollon, les précéda, tenant une lyre dans ses mains et la faisant résonner en accents mélodieux : il s’avance avec une démarche haute et fière. Les Crétois l’accompagnent jusque dans Pythos en chantant Jè Paean ; car tels sont les Péans des Crétois, hymnes sacrés, chants sublimes qu’une muse leur a inspirés. Sans nulle fatigue ils franchissent à pied la colline et parviennent bientôt sur la riante colline du Parnasse, où le dieu devait habiter et recevoir les hommages de tous les peuples de la terre. Apollon, qui les conduit, leur montre les riches parvis du temple. Leur âme est émue dans leur poitrine, et le chef des Crétois, interrogeant le dieu, lui adresse ces paroles :

"Roi puissant, vous nous avez conduits loin de notre patrie et de nos amis, c’est là votre volonté ; mais désormais comment subsisterons-nous ? Nous vous supplions de nous l’apprendre. Ces lieux ne produisent ni vignobles agréables, ni fertiles pâturages, ni rien de ce qui peut rendre heureux dans la société des hommes."

Apollon lui répond aussitôt avec un doux sourire :

"Hommes faibles et infortunés, pourquoi donc abandonner ainsi votre âme aux soins, aux travaux pénibles, aux noirs chagrins ? Je vais vous donner un conseil facile à suivre ; conservez-le dans votre souvenir. Chacun de vous, tenant un glaive dans sa main droite, immolera tous les jours une brebis, car vous aurez en abondance les victimes que viendront m’offrir les différents peuples du monde. Soyez donc les gardiens de ce temple ; accueillez les hommes qui se réuniront ici par mon inspiration, lors même que leurs actions et leurs paroles seraient choses vaines ou même seraient une injure, comme il arrive souvent aux faibles mortels. Ensuite viendront d’autres hommes qui vous serviront de guides : vous leur serez soumis par nécessité. Crétois, je t’ai dit toutes ces choses : que ton âme les conserve dans son souvenir."

Salut ! ô fils de Jupiter et de Latone ! je ne vous oublierai jamais ; et je passe à un autre chant.

IX - Apollon (2)

À Apollon

Phoibos, le cygne, à la vérité, te chante harmonieusement, volant de ses ailes sur les bords du Pènéîos tourbillonnant ; mais l’Aoide aux douces paroles, qui tient la kithare sonore, te chante toujours le premier et le dernier.

Et je te salue ainsi, ô Roi ! Et je t’apaise par mon chant.

À Apollon

Ô Phébus, le cygne vous célèbre dans ses chants mélodieux, lorsque agitant ses ailes, il s’élance sur le rivage prés du Pénée, fleuve rapide ; c’est vous que le poète sur sa lyre sonore chante toujours le premier et le dernier.

Salut, ô grand roi, puissé-je vous fléchir par mes chants.

X - Muses et Apollon

Aux Muses et à Apollon

Je commencerai par les Muses, par Apollon et par Zeus. En effet, les Aoides et les Kitharistes, sur la terre, viennent des Muses et de l’Archer Apollon ; mais les Rois viennent de Zeus. Et il est heureux celui que les Muses aiment ! Une voix suave coule de sa bouche.

Salut, enfants de Zeus ! Donnez l’honneur à mon chant, et je me souviendrai de vous et des autres chants.

Aux Muses et à Apollon

Je chanterai d’abord les Muses, Apollon et Jupiter. Des Muses et d’Apollon sont nés sur la terre les chanteurs et les joueurs d’instruments, de Jupiter sont nés les rois. Heureux celui qui est chéri des Muses, une douce voix coule de ses lèvres.

Salut, enfants de Jupiter, prêtez quelques charmes à mes accents : je ne vous oublierai pas et je vais dire un autre chant.

XI - Artémis (1)

À Artémis

Chante Artémis, Muse, la sœur de l’Archer, la Vierge qui se réjouit de ses flèches, nourrie avec Apollon, et qui, ayant fait boire ses chevaux dans le Mélès plein de joncs, pousse rapidement son char d’or, à travers Smyrnè, sur Klaros où croissent les vignes, et où Apollon à l’arc d’argent est assis, attendant la hasseresse qui se réjouit de ses flèches.

Et je te salue ainsi de mon chant, toi et toutes les Déesses. Mais je te chanterai d’abord, et je commencerai par chanter ce qui vient de toi ; puis, ayant commencé par toi, je passerai à un autre hymne.

À Diane

Muse, chante Diane, la soeur du dieu qui lance au loin ses traits, vierge qui met tout son bonheur dans ses flèches, vierge issue du même sang qu’Apollon. Précipitant ses coursiers dans les ondes du Mélès bordé de roseaux, elle traverse rapidement sur son char étincelant d’or les plaines de Smyrne et de Claros, fertile en vignes, où repose Apollon en attendant sa soeur qui se plaît à lancer des flèches.

Diane et toutes les autres divinités, réjouissez-vous à ma voix ! C’est par vous que j’ai dû commencer, déesse puissante ; maintenant, après vous avoir célébrée, je chanterai un autre hymne.

XII - Artémis (2)

À Artémis.

Je chante Artémis au fuseau d’or, tumultueuse, vierge vénérable, qui perce les cerfs, qui se réjouit de ses flèches, sœur d’Apollon à l’épée d’or, qui, par les montagnes boisées et les sommets battus des vents, se charme par la chasse, tend son arc tout en or et lance des traits mortels.

Les cimes des hautes montagnes tremblent et la forêt sombre résonne de la clameur des bêtes fauves. Et la terre frémit, et la mer poissonneuse, tandis que la Déesse au cœur ferme, allant de tous côtés, détruit la race des bêtes féroces.

Mais, quand la Chasseresse qui se réjouit de ses flèches s’est ainsi charmée, ayant détendu son arc, joyeuse, elle va dans la grande demeure de son cher frère Phoibos Apollon, vers le riche peuple des Delphiens, afin de former le beau chœur des Muses et des Kharites.

Là, ayant suspendu l’arc flexible et les flèches, vêtue de riches parures, elle commande et mène les chœurs.

Et toutes, faisant entendre leur voix divine, louent Lètô aux beaux talons, parce qu’elle a conçu des enfants qui sont les premiers des Immortels en pensées et en actions.

Salut, enfants de Zeus et de Lètô aux beaux cheveux ! Je me souviendrai de vous et des autres chants.

À Diane

Je célèbre Diane aux flèches d’or. Sœur d’Apollon au glaive étincelant, elle se plaît au tumulte de la chasse, et pleine de joie elle perce les cerfs de ses traits. Sur les montagnes, sur les sommets battus des vents, jouissant de tout le bonheur de la chasse, elle tend son arc brillant et lance au loin des flèches dont les coups sont mortels. Les montagnes élevées sont ébranlées jusque dans leurs cimes, et les halliers de la forêt tremblent avec horreur à la voix des bêtes féroces ; la terre et la mer poissonneuse en frémissent ; la déesse, remplie d’un noble courage, vole de toutes parts et renverse la foule des monstres farouches. Cependant, meurtrière des animaux féroces, Diane livre son cœur à la joie ; elle détend son arc flexible et se rend dans la vaste demeure de son frère le brillant Apollon, au sein des fertiles campagnes des Delphiens, en conduisant le chœur des Muses et des Grâces. Là, elle suspend son arc et ses flèches, revêt une brillante parure et marche radieuse en guidant les danses des Nymphes. Celles-ci d’une voix divine célébrant la belle Latone et disent comment, par la volonté des dieux, elle donna le jour à des enfants fameux entre tous par leurs illustres travaux.

Salut, enfants de Jupiter et de la blonde Latone, je ne vous oublierai jamais, et je vais dire un autre chant.

XIII - Aphrodite

À Aphroditè

Muse, dis-moi les travaux d’Aphroditè d’or, de Kypris, qui donna aux Dieux le doux désir, et qui dompta les races des hommes mortels, et les oiseaux aériens, et la multitude des bêtes sauvages que nourrit la terre ferme, et celles que nourrit la mer. Tous ont le souci de Kythéréiè à la belle couronne.

Mais il y a trois Déesses dont elle n’a pu fléchir l’âme et qu’elle n’a pu tromper. D’abord, la Vierge Athènè aux yeux clairs, fille de Zeus tempétueux. En effet, les travaux d’Aphroditè d’or ne lui plaisent point ; mais ce sont les guerres qui lui plaisent, et le travail d’Arès, et les combats et les mêlées, et aussi les illustres ouvrages. La première, elle enseigna aux hommes terrestres ouvriers à faire des chars de combat et des chariots ornés d’airain ; et elle enseigna aux jeunes vierges, dans leurs demeures, à faire d’illustres ouvrages, et elle inspira leur esprit.

Jamais, non plus, Aphroditè qui aime les sourires ne dompta la bruyante Artémis au fuseau d’or. En effet, les arcs lui plaisent, et le meurtre des bêtes sauvages sur les montagnes, et les Lyres, et les danses, et les hurlements sonores, et les bois sombres, et une ville d’hommes justes.

Jamais, non plus, les travaux d’Aphroditè ne plurent à la vénérable Vierge Histiè, qu’engendra la première le subtil Kronos, et qui fut ensuite vénérée par la volonté de Zeus tempétueux, et que recherchèrent Poseidaôn et Apollon. Mais elle ne voulut pas, et elle refusa fermement, et elle jura un grand serment qui s’est accompli, ayant touché la tête du Père Zeus tempétueux, de rester toujours vierge et la plus noble des Déesses. Et le Père Zeus lui fit un beau don, au lieu des noces : elle possède la graisse des victimes offertes, assise au milieu de la demeure. Dans tous les temples des Dieux elle a d’abord droit aux honneurs, et de tous les Dieux elle est la plus honorée parmi les hommes mortels.

Aphroditè n’a pu fléchir l’âme de ces trois Déesses, ni les tromper ; mais aucun des autres Dieux heureux et des hommes mortels ne lui échappa. Elle dompta l’esprit de Zeus qui se réjouit de la foudre, lui qui est le plus grand et qui a reçu les plusgrands honneurs. Autant de fois qu’elle le voulut, elle trompa cet esprit sage, et elle l’unit aisément à des femmes mortelles, à l’insu de Hèrè, sa sœur et sa femme, qui est d’une grande beauté, la plus belle entre les Déesses Immortelles. Le subtil Kronos et Rhéiè enfantèrent cette très illustre Déesse, et Zeus aux pensées éternelles en fit sa femme vénérable et sage.

Mais Zeus inspira à l’âme d’Aphroditè elle-même le doux désir de s’unir à un homme mortel, afin qu’elle éprouvât le lit d’un homme, et qu’Aphroditè qui aime les sourires ne dît pas en se glorifiant et en riant, parmi les Immortels, qu’elle avait uni les Dieux aux femmes mortelles qui enfantaient des fils mortels avec les Dieux, ni qu’elle avait uni des Déesses aux hommes mortels.

C’est pourquoi il lui inspira le doux désir d’Ankhisès qui, alors, errait sur les sommets de l’Ida aux sources sans nombre, paissant ses bœufs, et semblable par la beauté aux Immortels.

Et dès qu’Aphroditè, qui aime les sourires, l’eut vu, elle l’aima, et le désir saisit violemment son âme. Et s’étant rendue à Kypros, elle entra dans le temple odorant de Paphos, où sont le bois sacré et l’autel divin. Après être entrée, elle ferma les portes brillantes. Là, les Kharites la baignèrent et la parfumèrent d’huile ambroisienne qui sert aux Dieux éternels, ambroisienne, divine, et qui lui avait été offerte en sacrifice.

Puis, ayant mis de beaux vêtements autour de son corps et s’étant parée avec de l’or, Aphroditè qui aime les sourires partit de l’odorante Kypros pour Troie ; et faisant rapidement son chemin par les hautes nuées, elle parvint à l’Ida, où abondent les sources et les bêtes fauves.

Et elle marcha droit à l’étable, à travers la montagne, et, autour d’elle, les loups gris, les lions terribles, les ours, et les léopards légers insatiables de cerfs, allaient en remuant la queue. Et, en les voyant, elle était charmée dans son esprit, et elle mit le désir dans leurs poitrines, et tous, à la fois, s’accouplèrent dans les vallons ombragés.

Et elle s’arrêta elle-même aux solides cabanes de bergers, et elle trouva dans les étables, seul, loin des autres, le héros Ankhisès qui avait reçu des Dieux la beauté. Tous les bergers avaient suivi les bœufs dans les gras pâturages, et il était resté seul à l’étable, marchant çà et là et faisant sonner sa kithare avec force. Et la fille de Zeus, Aphroditè, s’arrêta devant lui, semblable par la stature et la beauté à une vierge indomptée, afin qu’il ne fût point saisi de terreur en la voyant.

Et Ankhisès, l’ayant vue, la contempla, admirant sa beauté et sa stature et ses riches vêtements. En effet, elle était enveloppée d’un péplos plus splendide que l’éclat du feu, et elle avait des bracelets flexibles, et des épingles brillantes, et, autour de son cou délicat, de très belles chaînes d’or qui étincelaient comme Sélènè sur son beau sein et qui étaient admirables à voir. Et le désir saisit Ankhisès, et il lui dit :

— Salut, Reine, une des Bienheureuses, qui viens ici ! Artémis, ou Lètô, ou Aphroditè d’or, ou la noble Thémis, ou Athènè aux yeux clairs, ou quelqu’une des Kharites qui accompagnent tous les Dieux et sont appelées Immortelles ; ou quelqu’une des Nymphes qui habitent les belles forêts, ou de celles qui habitent cette belle montagne, ou les sources des fleuves, ou les grasses vallées ! Pour moi, sur les hauteurs, en un lieu découvert, je t’élèverai un autel et je t’y sacrifierai abondamment et à toute heure ; et toi, dans un esprit bienveillant, accorde-moi d’être illustre parmi les Troiens, fais-moi une postérité florissante, que je vive bien et longtemps, que je voie la lumière de Hèlios, et que, riche parmi les peuples, je parvienne au seuil de la vieillesse !

Et Aphroditè, la fille de Zeus, lui répondit :

— Ankhisès, le plus illustre des hommes nés sur la terre, je ne suis pas une Déesse : pourquoi me compares-tu aux Immortelles ? Je suis mortelle, et une femme m’a enfantée. Mon père se nomme Otreus, si toutefois tu as entendu ce nom, et il commande sur toute la Phrygiè aux solides murailles. Je sais votre langue aussi bien que la nôtre, car une nourrice Troienne m’a nourrie dans nos demeures et m’a élevée toute petite, m’ayant reçue de ma chère mère. C’est pour cela que je sais notre langue et la vôtre. Et, maintenant, le Tueur d’Argos à la baguette d’or m’a enlevée du milieu d’un chœur de la bruyante Artémis au fuseau d’or. Nous jouions là, un grand nombre de nymphes et de vierges valant beaucoup de bœufs, et une multitude nous entourait. C’est de là que m’a enlevée le Tueur d’Argos à la baguette d’or. Et il m’a emmenée à travers de nombreux travaux d’hommes mortels et de lieux ni cultivés, ni bâtis, que hantent seules les bêtes fauves mangeuses de chairs crues, dans les sombres gorges. Et il ne m’a point laissée toucher de mes pieds la terre qui donne la vie ; et il me disait que j’étais appelée, épouse vierge, au lit d’Ankhisès, et que de beaux enfants devaient te naître de moi. Puis, ayant ainsi parlé, le puissant Tueur d’Argos retourna parmi la Race immortelle. C’est pourquoi je suis venue vers toi, car la nécessité m’a contrainte. Mais je te supplie par Zeus et par tes parents illustres, car des parents indignes n’eussent point engendré un tel fils, conduis-moi, indomptée et vierge encore, à ton père, à ton illustre et sage mère, à tes frères de même sang que toi. Je ne leur serai point une belle-sœur indigne, mais digne d’eux ; et ils sauront si je serai une femme digne de toi, ou non. Envoie promptement un messager chez les Phrygiens qui ont des chevaux de poil varié, afin qu’il parle à mon père et à ma mère inquiète. Et ils t’enverront beaucoup d’or et de vêtements tissés, et tu recevras de nombreux et beaux présents. Et, toutes ces choses une fois accomplies, célèbre nos noces heureuses et honorables aux yeux des hommes et des Dieux immortels.

La Déesse, ayant parlé ainsi, mit dans son cœur le doux désir, et le désir saisit Ankhisès, et il lui dit :

— Si vraiment tu es mortelle, si une femme t’a enfantée, si ton père illustre est Otreus, comme tu le dis, et si tu es venue ici par l’ordre du Messager des Dieux, de Hermès, tu seras toujours appelée ma femme. Aucun des Dieux ni des hommes mortels ne m’empêchera de m’unir à toi d’amour, maintenant et aussitôt, même quand l’Archer Apollôn me lancerait, de son arc d’argent, ses traits amers ! Je consentirais même, ô femme semblable aux Déesses, à descendre aux demeures d’Aidès, après être entré dans ton lit !

Ayant ainsi parlé, il lui prit la main, et Aphroditè qui aime les sourires le suivit, détournant la tête et baissant ses beaux yeux, vers le lit bien dressé où se couchait le Roi, et qui était fait de tapis laineux et recouvert de peaux d’ours et de lions rugissants qu’il avait tués lui-même sur les hautes montagnes.

Étant montés tous deux sur le lit bien construit, Ankhisès enleva d’abord du corps d’Aphroditè sa parure éclatante, les agrafes et les flexibles bracelets, et les épingles, et les colliers. Il détacha la ceinture et ôta les vêtements merveilleux, et il les déposa sur un thrône aux clous d’argent. Et c’est ainsi que, par la volonté des Dieux et par la destinée, un mortel coucha avec une Déesse immortelle, mais ne le sachant pas.

À l’heure où les bergers ramènent à l’étable, des pâturages fleuris, les bœufs et les grasses brebis, alors Aphroditè versa le doux sommeil à Ankhisès, et la noble Déesse, reprenant ses beaux vêtements, et s’en étant revêtue entièrement, se tint auprès du lit, touchant de sa tête le haut de la demeure bien construite. Et la beauté immortelle de ses joues resplendissait, et c’était bien Kythéréiè à la belle couronne. Et, l’éveillant, elle lui dit :

— Lève-toi, Dardanide ! Pourquoi dors-tu d’un sommeil aussi profond ? Dis-moi si je te semble telle que tu m’as vue d’abord.

Elle parla ainsi, et, se réveillant, il l’entendit aussitôt. Et voyant le cou et les beaux yeux d’Aphroditè, il trembla, et, détournant les yeux, il couvrit son beau visage d’une couverture, et il la supplia, et il lui dit ces paroles ailées :

— Aussitôt, Déesse, que je te vis de mes yeux, j’ai reconnu que tu étais Déesse ; mais tu ne m’as point dit la vérité. Je te supplie par Zeus, ne permets pas que je vive plein de faiblesse parmi les hommes ; aie pitié de moi, car celui qui a couché avec les Déesses immortelles ne garde pas longtemps la vigueur de la jeunesse.

Et la fille de Zeus, Aphroditè, lui répondit :

— Ankhisès, le plus illustre des hommes mortels, rassure-toi, et ne crains rien dans ton esprit. Ne redoute aucun mal de moi, ni des Dieux heureux, car tu es cher aux Dieux. Tu auras un fils qui régnera parmi les Troiens, et toujours des fils naîtront de ses fils. Et son nom sera Ainéias, car j’ai ressenti une douleur terrible d’être entrée dans le lit d’un homme mortel. Et les hommes mortels de votre race seront, toujours et surtout, proches des Dieux par la beauté et par la stature. Le très sage Zeus a enlevé, à cause de sa beauté, le blond Ganymèdès, afin que, se mêlant aux Dieux, il leur versât le vin dans la demeure de Zeus. Et il est admirable à voir, honoré de tous les Immortels et puisant d’un kratère d’or le nektar rouge. Mais Trôs avait une grande douleur dans sa poitrine, et il ne savait pas où la divine tempête avait emporté son cher fils. Et il le pleurait tous les jours, et Zeus eut pitié de lui, et il lui donna, pour prix de son fils, des chevaux aux pieds rapides, de ceux qui portent les Immortels. Il les lui donna, et le Messager tueur d’Argos lui apprit, selon la volonté de Zeus, que son fils était immortel et ne devait plus vieillir. Et, après avoir écouté le message de Zeus, il ne gémit pas davantage, et, joyeux dans son esprit, il se fit porter par les chevaux rapides. De même, Eôs au thrône d’or enleva Tithôn, homme de votre race, semblable aux Immortels. Elle alla demander au Kroniôn qui amasse les nuées qu’il fût immortel et qu’il vécût toujours, et Zeus consentit par un signe de tête, et il accomplit son désir ; mais la vénérable Éôs, l’insensée ! ne songea pas dans son esprit à demander pour lui la jeunesse et à le soustraire à la cruelle vieillesse. Aussi longtemps qu’il posséda la jeunesse chère à tous, charmé par Eôs au thrône d’or, née au matin, il habita, aux limites de la terre, sur les bords de l’Okéanos ; mais, dès que les premiers cheveux blancs se répandirent de sa belle tête, et que sa barbe fut blanche, la vénérable Éôs s’éloigna de son lit. Et elle le nourrit cependant, dans sa demeure, de froment et d’ambroisie, et elle lui donna de beaux vêtements. Mais quand il eut atteint l’odieuse vieillesse, sans pouvoir remuer ses membres ni se lever, Eôs pensa que le mieux était de le déposer dans la chambre nuptiale dont elle ferma les portes brillantes. Là, sa voix coule, inentendue, et la force n’est plus qui était autrefois dans ses membres flexibles. Je ne te désirerais point tel parmi les Immortels et devant vivre toujours ; mais si tu devais vivre toujours beau comme te voilà, et si tu étais appelé mon époux, jamais la lourde douleur n’envelopperait mon esprit. Cependant la vieillesse impitoyable t’ensevelira promptement, elle qui assiège tous les hommes, cruelle et lourde, et que les Dieux ont en haine. À la vérité, une grande injure me sera faite désormais, à cause de toi, parmi les Dieux immortels qui craignaient auparavant mes paroles et mes desseins, parce que je les avais tous unis à des femmes mortelles, et que ma volonté les avait tous domptés. Maintenant, il ne me sera plus permis de leur rappeler cela, puisque moi-même j’ai commis une grande faute, une action mauvaise et intolérable, et que j’ai erré dans mon esprit. Voici que je porte un enfant sous ma ceinture, m’étant unie à un homme mortel. Dès qu’il aura vu la lumière de Hèlios, les Nymphes montagnardes aux larges seins le nourriront, elles qui habitent cette montagne grande et divine et qui n’obéissent, ni aux mortels ni aux Immortels, mais qui vivent longtemps, mangent l’ambroisie et dansent en chœur avec les Immortels. Les Silènes et le vigilant Tueur d’Argos s’unissent à elles, d’amour, au fond des fraîches cavernes. Les sapins et les chênes élevés, nés en même temps qu’elles sur la terre qui nourrit les hommes, croissent, grands, beaux et florissants, sur les hautes montagnes, et les Nymphes les nomment les bois sacrés des Immortels, et jamais les hommes ne les coupent avec le fer. Mais quand la Moire de la mort s’approche d’eux, les beaux arbres se dessèchent d’abord, leur écorce se corrompt et leurs rameaux tombent, et, en même temps, l’âme des Nymphes abandonne la lumière de Hèlios. Elles garderont et nourriront mon fils, et, quand il sera pris par la jeunesse chère à tous, les Déesses te l’amèneront et te montreront ton enfant. Mais, moi-même, afin de me souvenir de tout, je viendrai t’amenant ton fils dans sa cinquième année. Et dès que tu auras vu cette fleur de tes yeux, tu te réjouiras, car il sera semblable aux Dieux. Et tu le conduiras aussitôt à Ilios battue des vents ; et si quelqu’un d’entre les hommes mortels te demandait quelle mère a porté ton cher fils sous sa ceinture, souviens-toi de répondre comme je te l’ordonne. Dis-leur que c’est le fruit d’une Nymphe à la peau fraîche comme la rose, qui habite la montagne couverte de bois. Car, si tu dis la vérité, si tu te vantes comme un insensé de t’être uni d’amour à Kythéréiè à la belle, Zeus irrité te frappera de la blanche foudre. Tout est dit, garde mes paroles dans ton esprit, contiens-toi, ne me nomme pas, et crains la colère des Dieux.

Ayant ainsi parlé, elle retourna dans l’Ouranos battu des vents.

Salut, Déesse qui commandes à Kypros bien bâtie ! Ayant commencé par toi, je passerai à d’autres hymmes.

À Vénus

Muse redis les travaux de la blonde Vénus, déesse de Chypre : c’est elle qui fait éclore de tendres désirs dans le sein des dieux, qui soumet à ses lois les mortels, les oiseaux légers habitants de l’air, tous les monstres, et ceux du continent et ceux de la mer ; c’est elle, douce Vénus, couronnée de fleurs, c’est elle qui courbe sous ses travaux tout ce qui respire.

Mais il est trois divinités inflexibles à ses séductions et dont elle ne peut fléchir le cœur. Minerve aux yeux d’azur, fille du redoutable Jupiter, repousse les travaux de la blonde Vénus. Ce qu’elle aime, ce sont les guerres, les fatigues de Mars, les combats, les batailles, les charmants tissus. La première, elle enseigna les arts aux mortels, elle leur enseigna à façonner les chariots et les chars étincelants d’airain. C’est elle qui, dans l’intérieur des palais, apprend aux jeunes vierges à se servir de l’aiguille et forme leurs mains à ces ouvrages délicats.

Vénus au doux sourire n’a pu soumettre à l’amour Diane qui porte des flèches d’or et qui chérit la chasse tumultueuse. Elle aime les arcs dont la flèche rapide atteint une proie sur les hautes montagnes, les lyres, les chœurs des danses, les cris des chasseurs, l’obscurité des profondes forêts et la cité des hommes justes.

Les travaux de Vénus ne sont point agréables à Vesta, vierge vénérable, la première enfantée par le rusé Saturne, et la dernière selon les volontés du puissant Jupiter. Apollon et Mercure désiraient épouser cette auguste déesse, mais elle ne voulut pas y consentir ; elle s’y refusa constamment, et, touchant la tête du dieu puissant de l’égide, cette déesse fit le grand serment qu’elle a toujours tenu de rester vierge dans tous les temps. Au lieu de cette hyménée, son père la gratifia d’une belle prérogative : au foyer de la maison elle reçoit toutes les offrandes des prémices ; elle est honorée dans tous les temples des dieux ; elle est pour les mortels la plus auguste des déesses.

Le cœur de ces divinités a été inflexible à Vénus : elle n’a pu les séduire ; aucun autre ne se soustrait à Vénus, qu’il soit dieu ou mortel. Elle égare même la pensée de Jupiter, roi de la foudre, le plus grand des dieux honoré par les hommes les plus illustres. Elle trompe à son gré cet esprit plein de prudence, l’unit à des femmes mortelles et lui fait oublier Junon, sa sœur et son épouse, qui par sa beauté l’emporte sur toutes les déesses. C’est cette divinité glorieuse qu’enfantèrent Saturne et Rhéa. Jupiter, dans la sagesse de ses conseils, a choisi cette noble épouse, habile dans les plus beaux ouvrages.

Cependant Jupiter inspira au cœur de Vénus le désir ardent de s’unir avec un mortel, pour qu’elle ne fût pas affranchie des plaisirs terrestres ; car souvent parmi les Immortels elle se vantait avec un malin sourire d’avoir uni les dieux à des femmes qui concevaient des fils sujets à la mort, et d’avoir uni des déesses à des hommes. Jupiter inspira donc au cœur de Vénus de vifs désirs pour Anchise, qui pour sa beauté ressemblait aux Immortels, et qui faisait paître ses troupeaux sur le sommet de l’Ida, source d’abondantes fontaines.

À peine la belle Vénus eut-elle aperçu ce berger qu’elle en devint, éprise. Le désir le plus ardent s’empara de son âme. Elle prend aussitôt son vol, se dirige à Chypre et pénètre dans le temple parfumé qui s’élève à Paphos. C’est là qu’un autel toujours chargé de parfums s’élève dans un champ réservé pour elle : dès que la déesse est entrée, elle ferme les portes brillantes ; les Grâces s’empressent de la baigner et de verser sur elle une huile divine, odorante, destinée aux dieux immortels, et qui ajoute à leur beauté. La déesse du sourire revêt son beau corps d’habits magnifiques, se pare de tous ses bijoux d’or, et abandonnant les retraites embaumées de Chypre, elle se hâte de franchir les hautes régions des nuages pour se rendre à Troie. Elle arrive bientôt sur l’Ida, source d’abondantes fontaines, retraite des bêtes sauvages, et se dirige droit à la bergerie à travers les montagnes. Les loups cruels, les lions acharnés à dévorer leur proie, les ours, les agiles panthères, insatiables de carnage, suivent ses traces d’un air caressant : son âme s’en réjouit ; elle remplit d’ardeur ces monstres sauvages, et tous aussitôt dans la profondeur des vallées vont s’unir à leurs compagnes.

Cependant la déesse arrive près des cabanes solidement bâties : elle aperçoit près des étables et resté seul loin des autres le berger Anchise que sa beauté rendait semblable aux dieux. En ce moment tous les bergers faisaient paître les bœufs dans de fertiles pâturages. Lui, près des étables, resté seul, errait au hasard en jouant de la lyre. Vénus, la fille de Jupiter, s’arrête devant lui : elle prend la taille et la forme d’une jeune vierge, pour qu’en la reconnaissant il ne soit pas effrayé ; le héros est frappé de surprise et d’admiration à la vue de cette beauté, de cette taille et de ses superbes vêtements. Sa tête était couverte d’un voile plus brillant que l’éclat de la flamme ; elle portait des bracelets recourbés et de riches pendants d’oreilles. Autour de son cou s’arrondissaient de superbes colliers d’or ; sur sa poitrine magnifique une parure admirable à voir brillait comme les rayons de la lune. Anchise est aussitôt pénétré d’amour ; il s’adresse en ces termes à la déesse:

"Salut, ô reine ! Sans doute vous habitez les palais des dieux, que vous soyez Diane ou Latone, ou la blonde Vénus, ou la vénérable Thémis ou Minerve aux yeux d’azur. Peut-être même êtes-vous l’une des Grâces qui vivent avec les dieux et que nous nommons immortelles. Peut-être êtes-vous l’une des nymphes habitant cette agréable forêt, ou bien l’une de celles qui demeurent sur cette belle montagne aux sources des fleuves, et parmi les humides prairies. Je vous construirai un autel sur un tertre élevé dans le bois le plus apparent d’Ida, et dans tous les temps je vous immolerai de superbes victimes. Soyez donc pleine de bienveillance pour moi : faites que je sois un héros illustre parmi les Troyens, que ma postérité soit florissante dans l’avenir, que moi-même je jouisse longtemps encore des lumières du soleil, que comblé de biens parmi les peuples j’arrive au seuil d’une longue vieillesse."

Vénus, fille de Jupiter, lui répond en ces mots :

"Anchise, le plus illustre des mortels nés sur la terre ; pourquoi m’égaler aux divinités ? Je ne suis point une déesse : je suis une mortelle : la mère qui me donna le jour est mortelle aussi ; mon père est l’illustre Otrée ; vous devez le connaître : il règne sur toute la Phrygie aux fortes murailles. Je sais également bien votre langue et la mienne : une Troyenne m’ayant reçue de ma tendre mère m’éleva dans notre palais et me prodigua ses soins dès ma plus tendre enfance. Ainsi, je parle également bien et votre langue et la mienne. Mercure à la baguette d’or vient de m’enlever à un chœur que conduisait Diane armée de flèches et qui se plaît au tumulte de la chasse. Nous étions là plusieurs nymphes et plusieurs vierges aux riches dots : nous jouions ensemble en formant un grand cercle. C’est là que m’a saisi le meurtrier d’Argus : il m’a conduit à travers les champs cultivés par les mains des hommes à travers les terres incultes et désertes qu’habitent les bêtes sauvages au sein des vallées ténébreuses : mes pieds semblaient ne pas toucher la terre. Il m’a dit que j’étais destinée à partager la couche d’Anchise, que je serai son épouse fidèle, et que je lui donnerai de beaux enfants : après m’avoir montré votre demeure et révélé ces oracles, le meurtrier d’Argus est retourné dans l’assemblée des Immortels ; moi cependant, j’arrive auprès de vous, guidée par l’inflexible nécessité. Mais je vous en supplie à genoux, Anchise, au nom de Jupiter et de vos illustres parents, car un héros tel que vous n’est pas né de mortels obscurs, conduisez-moi vierge et sans avoir goûté l’amour auprès de votre père, de votre mère prudente et de vos frères nés du même sang que vous, afin qu’ils voient si je suis destinée à faire une digne épouse. Envoyez aussi un rapide messager chez les Phrygiens aux nombreux coursiers pour prévenir de vos desseins mon père et ma mère que j’ai laissés dans l’affliction. Ils vous donneront de l’or en abondance et de somptueux vêtements ; vous recevrez d’eux des présents nombreux et magnifiques. Ces devoirs accomplis, nous célébrerons un mariage désiré, qui sera honorable aux yeux des hommes et des dieux immortels. "

En parlant ainsi, Vénus répand un vif désir dans l’âme du berger. L’amour pénètre le cœur d’Anchise, qui répond par ces mots :

"Si vous êtes une mortelle, si vous êtes issue d’une femme, si, comme vous me le dites, l’illustre Otrée est votre père, si c’est par la volonté de Mercure que vous venez en ces lieux, vous serez dans tous les temps appelée mon épouse : nul des Dieux et des hommes ne m’empêchera de m’unir de suite d’amour avec vous ; Apollon lui-même devrait-il me percer de ses flèches terribles, je consentirais, femme semblables aux déesses, je consentirais après avoir partagé votre couche à descendre dans le sombre royaume de Pluton."

En prononçant ces paroles il saisit la main de la déesse. Vénus au doux sourire se détourne, baisse ses beaux yeux et se glisse timidement dans la couche superbe. Elle était formée de tapis doux et délicats, des peaux d’ours et de lions rugissants tués sur les hautes montagnes. Tous deux étant montés sur cette couche, Anchise détache la brillante parure de Vénus, les bracelets arrondis, les boucles d’oreilles et les colliers ; il dénoue sa ceinture, enlève à la déesse ses vêtements superbes et les place sur un siège enrichi de clous d’argent. Ainsi, par la volonté des dieux et des destins, un homme sans le savoir reposa dans les bras d’une immortelle.

À l’instant où les pasteurs ramenant des pâturages émaillés de fleurs les bœufs et les grasses brebis les reconduisent à l’étable, Vénus répand sur Anchise le plus doux, le plus profond sommeil et reprend ses vêtements magnifiques. Ainsi vêtue, la puissante déesse s’arrête à l’entrée de la bergerie : sa tête touche le sommet de la porte ; son visage rayonne d’une beauté divine, beauté qui n’appartient qu’à Cythérée couronnée de violettes. Elle réveille aussitôt Anchise et lui dit :

"Fils de Dardanus, lève-toi ; pourquoi rester ainsi plongé dans le sommeil ? considère mes traits et dis si je te parais telle que j’étais lorsque tes yeux m’ont vue pour la première fois."

À ce discours, Anchise se réveille ; mais dès qu’il aperçoit le cou et les yeux de Vénus, il est saisi de crainte et détourne la vue : puis, se couvrant le visage de sa tunique, il implore la déesse en ces mots :

"Divinité puissante, dès que je vous ai vue je vous ai reconnue pour une déesse : vous ne m’avez pas dit la vérité ; mais je vous en conjure à genoux, par Jupiter, dieu de l’égide, ne permettez pas que je vive misérable parmi les hommes ; prenez pitié de moi, car la vie n’est pas longue pour l’homme qui s’est uni d’amour aux déesses.

- Anchise, héros plein de gloire, lui répond la fille de Jupiter, rassure-toi ; que ton esprit cesse de se troubler : tu n’as rien à craindre ni de moi ni des autres divinités, car tu es aimé des dieux. Un fils te naîtra qui régnera sur les Troyens ; ses enfants engendreront à jamais d’autres enfants. Il portera le nom d’Énée, parce que je souffre une douleur terrible pour avoir reposé dans les bras d’un mortel : ceux de ta race seront illustres entre tous : ils égaleront presque les dieux par l’intelligence et la beauté. Ainsi jadis Jupiter enleva le blond Ganymède à cause de son admirable beauté, pour le mettre au rang des divinités et pour être l’échanson des dieux dans le palais de Jupiter, et depuis il est honoré de toute la céleste assemblée quand il puise le rouge nectar dans un cratère d’or. Cependant Tros, ignorant en quel lieu la tempête avait emporté son fils, éprouvait un chagrin profond : ses gémissements étaient continuels. Jupiter en eut pitié ; il lui donna pour la rançon de son fils des coursiers rapides destinés à porter les dieux. Tel fut le présent de Jupiter. Par son ordre, Mercure le messager des dieux, lui annonça en outre que ce fils était pour jamais affranchi de la vieillesse et de la mort. Tros, ayant reçu le message de Jupiter, cessa de gémir ; son âme ressentit une joie extrême, et dans son bonheur il poussa dans la plaine ses coursiers aussi rapides que le vent. De même encore, la brillante Aurore enleva un de vos aïeux, Tithon, semblable aux divinités. Elle se rendit ensuite auprès du redoutable Jupiter, et lui demanda que son époux fût immortel et vécût éternellement. Jupiter lui promit de réaliser ses désirs. Insensée ! La vénérable Aurore ne songea pas à assurer à son époux une jeunesse éternelle et à lui épargner les chagrins de la vieillesse. Tant qu’il fut à la fleur de l’âge, il habita les bords de l’Océan aux extrémités de la terre, à coté d’Aurore, la fille du matin ; mais quand la blancheur vint argenter ses cheveux et sa barbe épaisse, l’Aurore abandonna la couche de Tithon ; elle continua cependant, à le nourrir de pain et d’ambroisie dans ses demeures, à lui fournir des vêtements magnifiques. Mais quand arrivé aux derniers termes de la vieillesse il ne pouvait plus ni mouvoir, ni soulever ses membres, voici le parti qui parut le meilleur à Aurore : elle le plaça dans une chambre dont elle ferma soigneusement les portes : là sa voix ne peut presque se faire entendre ; il n’a plus ce qui animait jadis ses membres agiles.

"Je ne veux donc point te mettre au rang des dieux pour te rendre immortel et te faire vivre à jamais. Mais tant que tu seras comme aujourd’hui dans l’éclat de ta beauté et de la noble taille, tu seras appelé mon époux, nul chagrin n’obscurcira ton esprit plein de sagesse. Enfin le jour viendra où tu seras soumis à la froide vieillesse, triste sort de tous les humains, à la vieillesse importune et pénible que les dieux mêmes ont en horreur ; alors dans l’assemblée des dieux j’éprouverai à cause de toi une honte éternelle. Auparavant ils craignaient mes discours et mes conseils, car je les avais tous soumis, je leur avais inspiré le désir de s’unir à des femmes mortelles ; mais ma bouche n’osera plus se glorifier en leur présence, parce que j’ai commis une grande faute, une faute irréparable ; mon âme est tombée dans l’erreur : je porte un fils dans mon sein pour avoir reposé dans les bras d’un homme. Dès que cet enfant verra la lumière, il sera élevé par les nymphes agrestes aux larges tuniques, elles qui habitent cette haute et divine montagne et ne suivent ni les dieux ni les hommes ; cependant elles jouissent d’une longue vie, elles se nourrissent d’ambroisie et forment de belles danses avec les dieux. Les silènes et le clairvoyant Mercure s’unissent d’amour avec elles dans les grottes profondes. Quand elles viennent au monde, la terre féconde produit aussitôt les pins et les chênes à la haute chevelure, arbres verdoyants : ils s’élèvent dans leur magnifique vigueur sur les montagnes escarpées où ils forment le bois sacré des Immortels, et les hommes ne les frappent jamais de la cognée. Lorsque vient pour eux la destinée de la mort, ces beaux arbres se desséchant, leur écorce se pourrit autour du tronc et leurs branches tombent ; alors la vie les quitte, ils ne jouissent plus de la clarté du soleil. Telles sont les nymphes qui élèveront mon fils. Quand il atteindra l’âge heureux de l’adolescence, ces divinités t’amèneront l’enfant pour te le montrer. Cette jeune fleur pénétrera ton âme d’une vive allégresse (il ressemblera aux dieux), et tu conduiras cet enfant bien-aimé dans la superbe ville d’Ilion. Là, si quelqu’un t’interroge et te demande quelle mère le porta dans son sein, souviens-toi de répondre comme je vais te l’ordonner :

"On dit qu’il est né d’une de ces belles nymphes qui habitent la campagne ombragée des forêts."

Si dans un moment d’imprudence tu leur disais que tu t’es uni d’amour à la belle Cythérée, Jupiter, furieux, t’écraserait de sa foudre brillante. Tels sont mes ordres : garde-les dans ton âme, ne me nomme jamais et crains la vengeance des dieux immortels."

À ces mots elle revole à l’instant dans les cieux élevés.

Salut, ô déesse qui régnez sur la charmante contrée de Chypre : je vous ai célébrée d’abord et maintenant je vais dire un autre hymne.

XIV - Aphrodite (2)

À Aphroditè

Je chanterai Aphroditè, belle, vénérable, qui a une couronne d’or, à qui ont été données en partage les citadelles de la maritime Kypros, où la force humide du souffle de Zéphyros la porta, dans la molle écume, sur l’eau de la mer aux bruits sans nombre.

Et les Heures aux bandelettes d’or l’accueillirent avec bienveillance et la couvrirent de vêtements ambroisiens. Et elles mirent sur sa tête ambroisienne une belle couronne d’or bien travaillée, et, dans ses oreilles percées, des fleurs de laiton et d’or précieux. Et elles ornèrent son cou délicat et sa blanche poitrine des colliers d’or dont elles-mêmes, les Heures aux bandelettes d’or, étaient ornées, quand elles s’unirent au chœur aimable des Dieux, dans les demeures de leur père.

Et l’ayant ainsi ornée sur tout son corps, elles la conduisirent aux Immortels. Et ceux-ci, l’ayant vue, la saluèrent et lui tendirent les mains, et chacun désira la prendre pour femme encore vierge et la conduire dans sa demeure. Et ils admiraient la beauté de Kythéréiè couronnée de violettes.

Salut, douce comme le miel, aux paupières arrondies ! Donne-moi la victoire dans ce combat, et orne mon chant ! Et moi, je me souviendrai de toi et des autres chants.

Je chanterai la belle Vénus à la couronne d’or.

Elle a pour empire les bords de file de Chypre, où le souffle humide du zéphyr la transporte sur une molle écume à travers les vagues mugissantes de la mer. Les Heures aux riches bandeaux la reçoivent avec allégresse et l’ornent de vêtements divins : sur son front immortel elles placent une belle couronne d’or admirablement travaillée, dans ses oreilles percées des bijoux d’orichalque, enrichis d’or pur ; elles environnent son cou délicat d’un collier d’or qui retombe sur sa blanche poitrine, admirable collier que portent les Heures elles-mêmes quand elles se rendent aux danses des dieux et dans le palais de leur père. Sa toilette achevée, elles conduisent cette déesse dans l’assemblée des immortels. Ceux-ci la saluent et lui présentent la main. Chacun d’eux désirerait conduire en sa demeure cette aimable vierge pour en faire son épouse, tant Cythérée couronnée de violettes leur semble digne d’admiration.

Salut, déesse au regard séduisant, au doux sourire : accordez-moi la victoire dans ce combat, protégez les accents de ma voix : moi, je ne vous oublierai pas et je vais chanter un autre hymne.

XV - Aphrodite (3)

À Aphroditè.

Je chanterai Kythéréiè née dans Kypros et qui fait de doux présents aux mortels. Son visage charmant sourit toujours, et elle porte la fleur aimable de la jeunesse.

Salut, Déesse qui commandes à Salamis bien bâtie et à Kypros entière ! Donne-moi un chant qui charme, et je me souviendrai de toi et des autres chants.

À Vénus

Je chanterai Cythérée, née dans l’île de Chypre : elle comble les mortels des plus douces faveurs ; sur son doux visage elle porte toujours un aimable sourire et la fleur de la beauté.

Salut, ô déesse qui régnez sur la belle Salamine et dans toute l’île de Chypre, prêtez à ma voix votre charme infini ; jamais je ne vous oublierai et maintenant, je vais chanter un autre hymne.

XVI - Arès

À Arès

Très puissant Arès, fardeau des chars, au casque d’or, au grand cœur, porte-bouclier, sauveur de villes, armé d’airain, aux bras vigoureux, infatigable, puissant par ta lance, rempart de l’Olympos, père de l’heureuse guerrière Nikè, auxiliaire de Thémis, tyran des révoltés, chef des hommes justes, porte-sceptre du courage, roulant dans le cercle enflammé de l’Aithèr, parmi les sept astres mouvants, là où tes chevaux flamboyants te portent toujours, au-dessus du troisième orbite ! entends-moi, allié des mortels, qui donnes l’audacieuse jeunesse, qui répands d’en haut la douce lumière et le courage guerrier sur notre vie ! Puissé-je détourner l’amère lâcheté de ma tête, et contenir l’impétuosité trompeuse de l’âme, et réprimer la violence du cœur qui me pousserait à d’horribles combats !

Mais toi, ô Heureux ! donne-moi le vrai courage, afin que je reste sous les lois inviolées de la paix, ayant échappé à la mêlée des ennemis et aux Kères violentes.

À Mars

Mars puissant, qui sous ton poids fais plier un char, toi dont la tête est armée d’un casque d’or et le bras d’un bouclier, dieu magnanime au bras vigoureux, sauveur des cités, divinité cuirassée d’airain, rempart de l’Olympe, père de la Victoire dans une guerre équitable, soutien de Thémis, terreur de tes ennemis, chef des hommes vertueux, roi de la force, qui roules dans les airs un cercle lumineux au milieu des sept planètes, où t’enlèvent sans cesse d’ardents coursiers au-dessus du troisième orbite, exauce mes voeux, ami des héros, source d’une jeunesse audacieuse. Répands sur ma vie du haut des airs, et la douce clarté et la force martiale ; que je puisse éloigner de ma tête l’amère douleur, réprimer par ma prudence l’impétuosité trompeuse de mon âme, et retenir la fougue de mon courage qui me pousse à la guerre cruelle ; accorde-moi, dieu fortuné, de vivre sous des lois pacifiques en évitant l’impétuosité des guerriers et la mort violente.

XVII - Hermès

À Hermès

Muse, chante Hermès, fils de Zeus et de Maia, qui règne sur Kyllènè et l’Arkadia abondante en troupeaux, très utile messager des Immortels, qu’enfanta Maia, la vénérable Nymphe aux beaux cheveux, après s’être unie d’amour à Zeus.

Loin des Dieux heureux, elle habitait un antre sombre où le Kroniôn s’unit, au milieu de la nuit, à la Nymphe aux beaux cheveux, afin que le doux Hypnos enveloppât Hèrè aux bras blancs, et qu’ils pussent se cacher des Dieux immortels et des hommes mortels. Mais quand la volonté de Zeus eut été accomplie, et quand le dixième mois fut marqué dans l’Ouranos, Maia mit au jour, et des œuvres merveilleuses apparurent. Et elle enfanta alors un fils subtil et éloquent, voleur, ravisseur de bœufs, conducteur de songes, éclaireur de nuit, gardien de portes, et qui devait promptement manifester d’illustres travaux parmi les Dieux immortels.

Né au matin, il joua de la kithare au milieu du jour, et, le soir, il vola les bœufs de l’Archer Apollôn. Et la vénérable Maia l’enfanta le quatre du mois.

Dès qu’il eut jailli du corps immortel de sa mère, il ne resta pas plus longtemps couché dans le berceau sacré ; mais, se levant, il chercha les bœufs d’Apollôn. Puis, sortant de l’antre élevé, et, ayant trouvé une tortue, il posséda une richesse infinie.

Certes, Hermès construisit le premier la tortue sonore qui s’offrit à lui auprès des portes de la cour, paissant, devant la demeure, l’herbe fleurie, et marchant lentement. Et le fils utile de Zeus, l’ayant vue, rit, et il dit aussitôt :

— Voici qui me sera très profitable et qui n’est pas à dédaigner. Salut, être aimable, compagne qui excites aux danses et aux festins et qui m’es apparue heureusement ! D’où viens-tu, beau jouet, tortue qui vis dans les montagnes, à l’écaille variée ? Mais, t’ayant prise, je t’emporterai dans ma demeure. Tu me seras utile, et je ne te mépriserai point, et, d’abord, tu vas me servir. Il vaut mieux être dans la demeure, car il est dangereux de rester dehors. Certes, vivante, tu seras un remède à beaucoup de maux ; et, si tu meurs, tu chanteras alors admirablement.

Ayant ainsi parlé, il l’enleva de ses deux mains, et il entra aussitôt dans la demeure, portant l’aimable jouet. Et, là, avec un burin de fer brillant, il arracha la vie à la tortue montagnarde. De même qu’une rapide pensée traverse l’esprit d’un homme agité par de nombreuses inquiétudes, ou que des rayons jaillissent des yeux, de même l’illustre Hermès parla et agit en même temps. Il fixa des tiges de roseaux, coupées à diverses longueurs, et il les fit passer à travers le dos de la tortue ; puis, il tendit, autour, avec adresse, une peau de bœuf ; et il adapta les deux bras et le chevalet, et il tendit ensuite sept cordes harmoniques en boyaux de brebis.

Puis, ayant construit l’aimable jouet, il fit résonner chaque note à l’aide du plektre ; et la tortue, sous sa main, résonna, sonore ; et le Dieu, excité par son œuvre, chanta admirablement. De même, des adolescents, dans l’âge fleuri, se piquent les uns les autres par des railleries au milieu des repas.

Et il chantait Zeus Kronide et Maia aux belles sandales, quand ils se charmaient de leur amour, et sa propre naissance ; et il annonçait son nom illustre, et il célébrait les compagnes et les belles demeures de la Nymphe, et les trépieds et les bassins durables.

Il dit ces choses, mais il eut d’autres pensées dans son esprit. Et il déposa la lyre creuse sur le berceau sacré. Puis, désirant des chairs, il sauta de la demeure odorante sur une colline, méditant dans son esprit une ruse profonde, telle que les voleurs en méditent à l’heure de la nuit noire.

À la vérité, Hèlios tombait, sous la terre, dans l’Okéanos, avec ses chevaux et son char ; et Hermès parvint en courant aux montagnes ombragées de la Piériè, où les bœufs immortels des Dieux heureux ont leurs étables et paissent les prairies non fauchées et désirables.

Alors, le fils de Maia, le vigilant Tueur d’Argos, sépara du troupeau cinquante vaches mugissantes, et il les chassa, vagabondes, par un endroit sablonneux, ayant effacé leurs traces, car il n’oubliait pas son art rusé. Et il tourna les sabots de devant en arrière, et ceux de l’arrière en avant, et lui-même marchait à reculons. Et il jeta aussitôt ses sandales sur le sable de la mer, et il en tressa d’autres, incroyables et merveilleuses, enlaçant les rameaux des tamaris et des myrtes. Puis, ayant lié ce faisceau de feuillage frais, il attacha sans crainte, sous ses pieds, ces sandales légères avec leurs feuilles. Et, portant ces sandales, l’illustre Tueur d’Argos s’écarta de son chemin en quittant la Picriè, et, bien que se hâtant, prit la plus longue route.

Et un Vieillard, travaillant dans un riche verger, le vit comme il gagnait la plaine par les herbages d’Onkhestos ; mais le fils de l’illustre Maia lui dit le premier :

— Ô Vieillard, qui creuses la terre autour des arbres, en courbant les épaules, certes, tu récolteras beaucoup, quand tous auront porté leurs fruits ; mais ne vois pas ce que tu vois, n’entends pas ce que tu entends, et tais-toi, puisque ton propre bien n’a pas souffert.

Ayant ainsi parlé, il poussa les fortes têtes des vaches. Et l’illustre Hermès traversa beaucoup de montagnes ombragées, et de vallées sombres, et de plaines désirables. Et déjà la divine nuit noire qui l’aidait s’était presque écoulée, et déjà la divine Sélènè, fille du Roi Pallas Mégamide, était montée sur la hauteur, quand le puissant fils de Zeus poussa dans le fleuve Alphéios les vaches au large front de Phoibos Apollôn. Et elles parvinrent, infatigables, à une grande étable et à un lac, devant une belle prairie.

Là, ayant rassasié de bonnes herbes les vaches mugissantes qui mangeaient le lotos et le souchet mouillé de rosée, il les poussa toutes ensemble dans l’étable.

Puis, il amassa beaucoup de bois, et il chercha l’art du feu. Ayant pris un beau rameau de laurier, qu’il pela à l’aide du fer, il le frotta de la paume de sa main, et une chaude vapeur s’en échappa. Hermès prépara d’abord les choses du feu, puis le feu. Il déposa dans une fosse creuse beaucoup de bois sec et épais, et une haute flamme brilla, faisant jaillir le crépitement du foyer brûlant.

Tandis que la force de l’illustre Hèphaistos brûlait, il entraîna hors de l’étable, vers le feu, deux vaches mugissantes aux pieds flexibles, car sa vigueur était très grande. Et il les renversa toutes deux, haletantes, sur le dos ; et, les courbant, il les roula et les égorgea ; et, passant d’un travail à un autre, il coupa en morceaux leurs chairs chargées de graisse. Puis, les ayant traversés de broches de bois, il rôtit les chairs et le dos honorable, et le sang noir qui est dans les entrailles. Et tout cela était étendu sur la terre.

Puis, il étala les peaux sur une âpre roche, comme maintenant encore, quand on les coupe après les avoir longtemps préparées, afin qu’elles puissent durer impunément ; puis, Hermès, plein de joie, retira les viandes grasses et les mit en un endroit plat, et les divisa en douze parties devant être tirées au sort, attribuant à chacune un grand honneur.

Alors, l’illustre Hermès désira une portion sacrée des chairs, et leur odeur le troubla, bien qu’il fût immortel. Mais son cœur généreux n’obéit point à son grand désir, et il ne les fit point passer par son gosier sacré. Et il déposa, dans la haute étable, la graisse et les chairs abondantes ; et il les déposa aussitôt, en signe de son action récente ; et il amassa du bois sec, et l’ardeur du feu dévora promptement et entièrement les pieds et les têtes.

Après que le Dieu eut accompli ces choses selon le rite, il jeta ses sandales dans l’Alphéios aux tourbillons profonds, et il éteignit le feu ; et, pendant le reste de la nuit, il dispersa la cendre noire.

La belle lumière de Sélènè brillait, et, au matin, Hermès revint aux divins sommets Kylléniens ; et, dans sa longue route, aucun des Dieux heureux ne le rencontra, ni des hommes mortels, et les chiens n’aboyèrent point. Et le fils très bienveillant de Zeus, s’étant courbé, entra dans sa demeure par la serrure de la porte, semblable à une vapeur ou à un souffle d’automne, et, marchant sans bruit, il parvint au riche temple de l’antre, et il ne faisait point de bruit sur le sol, comme il arrive d’habitude.

Puis, l’illustre Hermès entra rapidement dans le berceau sacré, enveloppant ses épaules de ses langes, comme un enfant nouveau-né. Et il se coucha, repoussant de ses mains, en jouant, la couverture jusqu’à ses jarrets, et tenant sa chère tortue dans sa main gauche. Mais le Dieu ne put pas se cacher de la Déesse sa mère, qui lui dit :

— Pourquoi ceci, plein de ruse et revêtu d’impudence ? D’où viens-tu à cette heure de la nuit ? Je pense que, même les flancs entourés de longs liens, même saisi par les mains du Lètoïde qui t’emporterait dans ses bras, tu te glisserais de nouveau ! Certes, ton père t’a engendré pour être un grand souci aux hommes mortels et aux Dieux immortels !

Et Hermès lui répondit par ces paroles rusées :

— Ma mère, pourquoi me surveilles-tu ainsi comme un enfant nouveau-né qui, dans son esprit, connaît très peu le mal, timide et craignant les réprimandes de sa mère ? Mais, songeant à toi et à moi, je me servirai d’un art qui est le meilleur de tous, et nous ne resterons pas ici, comme tu l’ordonnes, seuls, entre les Dieux immortels, sans présents et sans nourriture. Il vaut mieux demeurer tous les jours avec les Immortels, dans la richesse et l’abondance, et possédant de nombreuses moissons, que d’habiter cet antre obscur. J’obtiendrai, moi aussi, comme Apollôn, l’honneur des sacrifices. Si mon père ne me le donne pas, je tenterai de le posséder, et je puis devenir le prince des voleurs. Et si le fils de l’illustre Lètô me poursuit de ses recherches, je pense qu’il lui arrivera une chose pire. J’irai à Pythô, j’entrerai de force dans la grande demeure, et là, je volerai en quantité les trépieds brillants et les bassins, et l’or, et le fer éclatant, et de nombreux vêtements, et tu le verras, si tu veux.

Et ils se parlaient ainsi, le fils de Zeus tempétueux et la vénérable Maia. Et voici qu’Eôs, née au matin, sortant du cours profond d’Okéanos, apporta la lumière aux hommes mortels. Mais Apollôn, étant parti, parvint à Onkhestos, bois sacré et charmant du retentissant Poseidaôn qui entoure la terre, et il y trouva le vieillard décrépit qui travaillait à la haie du verger, près de la route. Et l’illustre fils de Lètô lui dit le premier :

— Ô vieillard, qui tailles les buissons d’Onkhestos plein d’herbe, je viens ici, cherchant les troupeaux de la Piériè. Toutes les bêtes sont femelles, et toutes ont des cornes recourbées. Un taureau noir paissait seul, à l’écart du troupeau, et quatre chiens terribles les suivaient, pleins du même zèle, comme des hommes. Les chiens et le taureau m’ont été laissés, chose admirable ! mais toutes les vaches ont disparu, à la dernière chute de Hèlios, de leur molle prairie et de leur doux pâturage. Dis-moi, vieillard très âgé, si tu as vu un homme faisant route avec ces vaches.

Et le vieillard lui répondit par ces paroles :

— Ô ami, certes, il est difficile de dire toutes les choses qu’on voit de ses yeux, car beaucoup de voyageurs passent par le chemin, les uns cherchant à faire le mal, et les autres le bien ; et il est difficile de dire ce que pense chacun d’eux. Pour moi, tout le jour, jusqu’à la chute de Hèlios, j’ai creusé autour du clos de vigne verdoyante, et j’ai vu un enfant, ô très cher, mais je ne le sais pas d’une façon certaine, j’ai vu un enfant qui suivait des vaches aux belles cornes. Il tenait une baguette, et il marchait en faisant des détours, et il les poussait à reculons, et elles avaient la tête en face de la sienne.

Le vieillard parla ainsi, et Phoibos Apollôn continua très rapidement sa route. Et il vit un oiseau aux ailes étendues, et, aussitôt, il connut le voleur fils de Zeus Kroniôn. Et le Roi Apollôn, fils de Zeus, s’élança impétueusement vers la très divine Pylos, cherchant ses vaches aux pieds flexibles, et il couvrit ses larges épaules d’une nuée pourprée. Et l’Archer trouva ses traces, et il dit ceci :

— Ô Dieux ! certes, je vois de mes yeux un grand prodige. Ces traces sont celles des vaches aux cornes dressées, mais voici qu’elles sont tournées de nouveau vers la Prairie d’Asphodèle ; et ces pas ne sont ni ceux d’un homme, ni ceux d’une femme, ni de loups aux poils gris, ni d’ours, ni de lions. Ils ne ressemblent point non plus à ceux d’un taureau au cou épais, qui aurait laissé de telles traces d’un pied rapide. Ruse d’un côté de la route, et ruse plus grande de l’autre côté.

Ayant ainsi parlé, le Roi Apollôn, fils de Zeus, partit, et il parvint à la montagne de Kyllènè couverte d’une forêt, et à la retraite rocheuse et sombre où la Nymphe ambroisienne avait enfanté le fils de Zeus Kroniôn. Et une douce odeur se répandait par la montagne divine ; et, là, de nombreuses brebis aux longues jambes paissaient l’herbe.

Alors, l’Archer Apollôn descendit rapidement sur le seuil de pierre, et entra dans l’antre sombre. Mais, dès que le fils de Zeus et de Maia vit l’Archer Apollôn irrité à cause de ses vaches, il s’enfonça dans ses langes parfumés, de même que la cendre du bois cache de nombreux charbons. Ainsi Hermès, ayant vu l’Archer, se cacha de lui. Et, dans le même moment, il ramassa sa tête, ses bras et ses pieds, appelant le doux sommeil, comme on fait, revenant de la chasse et s’étant baigné. Et il tenait sous son aisselle la tortue récemment travaillée.

Mais le fils de Zeus et de Lètô reconnut sans se tromper l’illustre Nymphe montagnarde et son petit enfant plein de ruses subtiles ; et, regardant dans tous les coins de la grande demeure, il ouvrit, ayant pris la clef brillante, trois endroits secrets pleins de nektar et de douce ambroisie. Et il y avait aussi là beaucoup d’or et d’argent, et beaucoup de vêtements de la Nymphe, de pourpre ou d’argent, ainsi qu’il y en a dans les demeures sacrées des Dieux heureux. Et le Lètoïde, ayant cherché dans tous les coins de la grande demeure, parla ainsi à l’illustre Hermès :

— Ô enfant, qui es couché dans ce berceau, dis-moi promptement où sont mes vaches, ou nous allons nous quereller à l’instant, ce qui ne sera pas convenable. En effet, je vais te jeter dans le Tartaros noir, dans les ténèbres affreuses de la mauvaise mort. Et ta mère ni ton père ne te rendront à la lumière, et tu vagabonderas sous la terre, chef d’un petit nombre d’hommes.

Et Hermès lui répondit en paroles rusées :

— Lètoïde, quelle parole rude as-tu dite ? Pourquoi es-tu venu chercher ici tes vaches agrestes ? Je n’ai rien vu, ni rien appris ; je n’en ai point entendu parler, je ne puis t’en rien dire, et je ne gagnerai point de récompense pour les avoir retrouvées. Je ne ressemble point à un homme vigoureux voleur de bœufs. Ce n’est pas là mon affaire, et j’ai d’autres soucis. Je m’inquiète du sommeil, du lait de ma mère, d’avoir des langes autour de mes épaules, et de prendre des bains tièdes. Prends garde qu’on t’entende et qu’on sache d’où vient cette querelle. Ce serait, certes, un grand prodige pour les Immortels qu’un enfant nouveau-né traversant le portique avec des bœufs agrestes ! Tu as parlé en insensé. Je suis né d’hier, mes pieds sont tendres et la terre est dure. Mais, si tu le veux, je jurerai la tête de mon père, ce qui est un grand serment, que je n’affirme point que je sois coupable et que je n’ai vu personne voler tes vaches, si ce sont des vaches, car en voici la première nouvelle pour moi.

Il parla ainsi, faisant briller ses yeux sous ses paupières, fronçant les sourcils, regardant çà et là et sifflant longuement, comme s’il avait entendu une vaine parole. Mais l’Archer Apollôn, souriant doucement, lui dit :

— Ô petit enfant, menteur et plein de ruse, puisque tu dis de telles choses, certes, je pense que tu pénétreras très souvent dans les riches demeures, et que, pendant la nuit, ayant dévalisé sans bruit la maison, tu feras coucher plus d’un homme sur la terre. Certes, tu affligeras ainsi de nombreux bergers de brebis, dans les vallées de la montagne, quand, désirant des chairs, tu rencontreras des troupeaux de bœufs ou des troupeaux de brebis. Mais, allons ! de peur de dormir ton dernier et suprême sommeil, sors de ce van, Compagnon de la nuit noire. Tu auras du moins, et désormais, cet honneur parmi les Immortels d’être appelé toujours le Prince des voleurs.

Ayant ainsi parlé, Phoibos Apollôn, prenant l’enfant, l’emporta. Mais, en même temps, le puissant Tueur d’Argos songea dans son esprit, et, tandis que les mains l’enlevaient, il envoya un augure, misérable serviteur de son ventre, insolent messager ; puis il éternua fortement. Et dès qu’Apollôn l’eut entendu, il jeta à terre l’illustre Hermès, et il s’assit devant lui, malgré son désir de marcher, et, réprimandant Hermès, il lui dit :

— Rassure-toi, fils de Zeus et de Maia, enveloppé de langes ! avec ces augures je retrouverai bientôt les fortes têtes de mes vaches, et tu me conduiras toi-même.

Il parla ainsi, et le Kyllénien Hermès se leva de nouveau avec rapidité. Et, marchant avec peine, il poussa de ses mains, vers ses deux oreilles, les langes qui enveloppaient ses épaules, et il dit :

— Où m’entraînes-tu ainsi, ô le plus violent de tous les Dieux ? Certes, c’est parce que tu es irrité à cause de tes vaches que tu me maltraites ainsi. Ô Dieux ! que la race des bœufs n’a-t-elle péri ! Je n’ai pas volé tes vaches, et je n’ai vu personne, si ce sont des vaches, car en voici la première nouvelle pour moi. Rends-moi justice et reçois-la de Zeus Kroniôn.

Et ils se parlaient ainsi, l’un après l’autre, et hautement, ayant chacun un sentiment contraire, Hermès le solitaire et l’illustre fils de Lètô. Et celui-ci disait la vérité et n’accusait pas injustement l’illustre Hermès au sujet de ses vaches ; et le Kyllénien, à l’aide de ses paroles flatteuses et de ses ruses, voulait tromper le Dieu à l’arc d’argent ; mais le dissimulé avait rencontré le rusé.

Hermès allait rapidement sur le sable, et derrière lui venait le fils de Zeus et de Lètô. Et les fils illustres de Zeus parvinrent bientôt aux sommets de l’Olympos odorant, auprès du Père Kroniôn. Là, les plateaux de la Balance les attendaient tous deux.

Et une grande rumeur se répandit dans l’Olympos neigeux, et les incorruptibles Immortels se rassemblèrent dans les gorges de l’Olympos. Et Hermès et Apollôn à l’arc d’argent se tenaient devant les genoux de Zeus, et Zeus qui tonne dans les hauteurs interrogea son illustre fils et lui dit :

— Phoibos, d’où amènes-tu cette capture de prix, cet enfant nouveau-né ayant l’aspect d’un héraut ? C’est une affaire difficile qui se présente dans l’assemblée des Dieux.

Et le royal Archer Apollôn lui répondit :

— Ô Père, tu vas entendre une parole qui n’est pas ordinaire, toi qui me réprimandes comme si j’étais le seul pilleur. Ayant franchi un grand espace, j’ai trouvé, sur la montagne de Kyllènè, cet enfant, effronté voleur, tel que je n’ai point vu son semblable, ni parmi les Dieux, ni parmi les hommes, tous, tant qu’ils sont, mangeant sur la terre. Ayant volé mes vaches dans la Prairie, il les a poussées, sur le soir, vers le rivage de la mer aux bruits sans nombre, et il les a conduites droit à Pylos, et leurs traces étaient pleines de ruse, et, certes, admirables, et elles étaient l’œuvre d’un Daimôn illustre. En effet, la poussière noire montrait les pas des vaches tournés vers la Prairie d’Asphodèle, et lui-même, rusé outre mesure, ne marchait ni sur les pieds, ni sur les mains, dans ce lieu sablonneux ; mais par une précaution singulière, il laissait de telles traces sur la route qu’on eût dit qu’il marchait sur de jeunes chênes. Aussi longtemps qu’il s’avança dans ce lieu sablonneux, il laissa ouvertement toutes ces traces sur la poussière ; mais, quand il eut franchi la grande route de sable, la trace des vaches et la sienne propre devinrent invisibles sur un sol plus dur. Et un homme mortel le vit, poussant rapidement vers Pylos la race des vaches aux larges fronts. Les ayant donc tranquillement enfermées, et ayant accompli çà et là tout ce qu’il avait médité dans le feu de l’action, il se coucha dans son berceau, semblable à la nuit noire, au fond des ténèbres de l’antre obscur ; et l’aigle même au regard aigu ne l’eût point aperçu. Et il se frottait souvent les yeux de ses mains, en méditant des ruses ; et, aussitôt, il dit précipitamment :

— Je n’ai rien vu, ni rien appris ; je n’en ai point entendu parler, je n’en puis rien dire, et je ne gagnerai point de récompense pour les avoir retrouvées.

Ayant ainsi parlé, Phoibos Apollôn s’assit, et Hermès, à son tour, lui répondit, parlant au Krôniôn qui commande à tous les Dieux :

— Père Zeus, certes, je te dirai la vérité, car je suis véridique et je ne sais point mentir. Il est venu vers moi, cherchant ses vaches aux pieds flexibles, aujourd’hui, au lever de Hèlios ; et il n’a point amené de Dieux immortels, comme témoins ou spectateurs. Et il m’a ordonné par violence de lui indiquer les choses, me menaçant beaucoup de me jeter dans le large Tartaros, parce qu’il possède la tendre fleur de la glorieuse puberté, tandis que moi je suis né d’hier, et il le sait bien, et je ne ressemble pas à un homme vigoureux voleur de bœufs. Crois-moi, — en effet, tu te glorifies d’être mon cher père, — je n’ai point poussé les vaches dans notre demeure. Que je sois riche aussi sûrement ! Je n’ai point passé le seuil. Et je te dis ceci véridiquement. Je révère beaucoup Hèlios et les autres Daimons, et je t’aime, et je crains celui-ci. Tu sais toi-même que je ne suis point cause de tout ceci. Et je ferai le grand Serment : Non ! par les portiques bien construits des Immortels ! Et moi, un jour, je lui vaudrai cette querelle injurieuse, bien qu’il soit vigoureux. Et toi, viens en aide aux plus jeunes.

Le Kyllénien tueur d’Argos parla ainsi en clignant les yeux, et il avait ses langes sur les bras, et il ne les rejeta pas. Et Zeus rit beaucoup en voyant cet enfant plein de ruse nier adroitement et habilement, au sujet des vaches ; mais il leur ordonna de chercher d’un commun accord, et à Hermès de conduire, et de montrer, en toute innocence d’esprit, le lieu où il avait caché les fortes têtes des vaches. Et le Kroniôn fit un signe de tête, et l’illustre Hermès obéit, car la volonté de Zeus tempétueux persuade aisément.

Et les illustres fils de Zeus se hâtèrent tous deux, et ils parvinrent à la sablonneuse Pylos, et au gué de l’Alphéios, et aux champs et à la haute étable, là où le butin avait été enfermé vers la nuit.

Et, alors, Hermès entra dans l’antre de pierre, et il en poussa à la lumière les fortes têtes des vaches. Mais le Lètoïde, regardant de loin, reconnut les peaux de vaches sur la roche élevée, et, aussitôt, il interrogea l’illustre Hermès :

— Comment as-tu pu, plein de ruse, couper la gorge de deux vaches, étant un enfant qui vient à peine de naître ? Moi-même je suis étonné de ta force. Il ne faut pas que tu grandisses davantage, Kyllénien, fils de Maia !

Il parla ainsi, et il tournait de ses mains de fortes branches d’osier ; et celles-ci, sous ses pieds, prenaient racine en terre, là même, bien qu’entrelacées ; et il en arriva autant à toutes les vaches, par la volonté du subtil Hermès. Et, voyant cela, Apollôn fut saisi d’admiration ; et le puissant Tueur d’Argos regarda de côté tout autour de lui, les yeux pleins de feu et désirant se cacher.

Mais, le voulant ainsi, il apaisa très aisément le fils de l’illustre Lètô, car il était puissant. Saisissant la tortue de la main gauche, il en essaya le son avec le plektre, et la tortue résonna admirablement sous sa main. Et Phoibos Apollôn rit, joyeux, et le son charmant pénétra son esprit, tandis qu’il, écoutait de l’âme. Et le fils de Maia, rassuré, et jouant de la douce lyre, se tenait à la gauche de Phoibos Apollôn. Et, faisant vibrer fortement la kithare, il chanta à son tour, et sa voix aimable s’éleva.

Et il chanta les Dieux immortels et la terre ténébreuse, et comment les choses furent faites au commencement, et comment chacun fut partagé par le sort. Et il chanta Mnemosynè par-dessus toutes les Déesses, la mère des Muses, car elle était échue au fils de Maia. Et l’illustre fils de Zeus chanta ensuite les autres Dieux immortels, chacun selon son rang, et comment ils étaient nés ; le tout admirablement, et faisant résonner la kithare sous ses mains. Et un immense désir s’éleva dans l’âme d’Apollôn, et il dit à Hermès ces paroles ailées :

— Tueur de vaches, rusé travailleur, compagnon des repas, tu possèdes là quelque chose qui vaut cinquante bœufs. Je pense que nous sortirons tranquillement de querelle. Et maintenant, dis-moi, rusé fils de Maia, si tu as fait cette chose admirable après ta naissance, ou si quelqu’un d’entre les Immortels ou les hommes mortels t’a fait ce présent illustre et t’a enseigné le chant divin ? Mais j’écoute cette voix nouvelle et admirable, et je pense qu’aucun des hommes ni aucun des Dieux qui ont des demeures Olympiennes ne te l’a enseignée, excepté toi-même, ô menteur, fils de Zeus et de Maia ! Quel est cet art ? Cette Muse qui guérit les inquiétudes amères ? Et cette habileté ? En effets ces trois choses sont réunies, pour la joie, le désir et le doux sommeil. Moi qui suis le compagnon des Muses Olympiades, qui prends soin de leurs chœurs et de l’illustre règle des vers et du chant fleuri et de l’aimable accord des flûtes, jamais mon âme n’a été plus pénétrée que par ces sons, tels que ceux des jeunes hommes dans les festins. Je les admire, ô fils de Zeus, et comme tu fais vibrer doucement ta kithare. Et, maintenant, puisque, bien que tout petit, tu possèdes un art illustre, je vous dirai la vérité à toi et à ta mère. Oui ! par cette lance de cornouiller, certes, je te conduirai illustre et heureux parmi les Immortels, et je te ferai de magnifiques présents, et je ne te tromperai jamais.

Et Hermès lui répondit par ces paroles rusées :

— Tu me le demandes, ô Archer, et moi je ne refuse point de t’enseigner mon art. Tu le sauras aujourd’hui. Je veux être bienveillant pour toi en pensée et en paroles, car tu sais toutes choses dans ton esprit, et tu sièges, fils de Zeus, le premier parmi les Immortels, beau et vigoureux ; et Zeus qui t’aime t’avertit des choses sacrées, et il t’a fait d’illustres dons, et on dit que tu es honoré par la volonté de Zeus et que tu as reçu de lui, ô Archer, la science des divinations et de toutes les destinées. Et, maintenant, c’est moi qui enseignerai un enfant riche. Mais tu es libre d’apprendre ce que tu veux. Puisque tu as le désir de jouer de la kithare, chante et joue de la kithare, et réjouis-toi, la recevant de moi, et toi, cher, donne-moi la gloire. Chante, ayant en mains cette douce compagne instruite à résonner avec art et admirablement. Puis, tranquille, porte, nuit et jour, dans les festins et les jeux funèbres, la joie et les danses aimables. À celui qui l’interrogera avec science et avec art, la kithare, docile à de molles pressions, enseignera beaucoup de choses variées et agréables à l’esprit ; mais, redoutant un travail pénible, elle répondra d’une façon discordante à celui qui l’interrogera avec violence. Mais tu es libre d’apprendre ce que tu veux, et je te donnerai cette kithare, ô fils illustre de Zeus. Puis, ô Archer, nous retournerons sur la montagne et dans la plaine où paissent les chevaux, et nous ferons paître tes bœufs dans les pâturages. Là, les vaches, unies aux taureaux, les femelles aux mâles, produiront en quantité. Il ne faut donc pas, bien que tu sois avide, que tu restes violemment irrité.

Ayant ainsi parlé, il lui offrit la kithare, et Phoibos Apollôn la prit ; et il donna à Hermès un fouet brillant, et il lui confia la garde des vaches, et le fils de Maia, joyeux, prit le fouet.

Et l’illustre fils de Lètô, le royal archer Apollôn, soutenant la kithare de la main gauche, essaya le son avec le plektre, et la kithare résonna admirablement, et le Dieu chanta.

Puis, les vaches étant revenues à la Prairie divine, les illustres fils de Zeus retournèrent tous deux à l’Olympos neigeux, charmés par la kithare. Et le sage Zeus fut joyeux et les amena à s’aimer. Et, alors, Hermès aima toujours le Lètoïde, comme il l’aime encore aujourd’hui, après lui avoir donné la kithare en signe d’amitié. Et, quand l’Archer eut appris à jouer de l’aimable kithare, elle résonna toujours sur son bras. Le Lètoïde lui-même inventa un autre art. Il fit la syrinx sonore, et il dit à Hermès :

— Je crains, fils de Maia, messager plein de ruse, que tu m’enlèves furtivement ma kithare et mon arc recourbé. En effet, tu as reçu de Zeus cet honneur de présider aux échanges des hommes sur la terre féconde. Mais si tu jures le grand Serment des Dieux, en faisant un signe de la tête, ou par l’Eau violente de Styx, tout ce que tu feras sera agréable à mon esprit.

Et alors, le fils de Maia lui promit par un signe de sa tête qu’il ne déroberait rien de ce qui appartiendrait à l’Archer, et qu’il n’approcherait jamais de sa demeure solide. Et le Lètoïde Apollôn scella par un signe de tête leur concorde et leur amitié, et il jura que personne ne lui serait plus cher, ni parmi les Immortels, ni parmi les fils de Zeus, ni parmi les hommes, et il dit :

— Je rendrai ceci manifeste aux Immortels, et à tous, par un signe honorable et cher à mon âme. Je te donnerai une illustre baguette de félicité et de richesse, d’or pur, à trois feuilles. Elle te protégera, puissante sur tous les Dieux, par la vertu des paroles et des actions utiles que je déclare m’avoir été révélées par la volonté de Zeus. Mais il ne t’est point donné, fils de Zeus, ni à aucun autre des Immortels, de comprendre la science divinatoire que tu interrogeras. Seule, la pensée de Zeus la comprend ; et moi, à qui elle a été révélée, j’ai promis, et j’ai juré par le grand Serment, qu’aucun autre des Immortels, excepté moi, ne connaîtrait la sage pensée de Zeus. Et toi, frère à la baguette d’or, ne me demande pas de te révéler les destinées qu’a résolues Zeus qui tonne dans les hauteurs. Je nuirai aux uns, parmi les hommes, et je viendrai en aide aux autres, me mêlant aux races innombrables des misérables hommes. Je viendrai en aide par ma voix à qui croira à mon oracle et au vol des oiseaux irrécusables. Celui-là sera protégé par mon oracle, et je ne le tromperai pas ; mais celui qui se fiera en de vains oiseaux, qui voudra interroger mon oracle hors de ma pensée, et en savoir plus que les Dieux qui vivent toujours, je dis que celui-là prendra une route sans issue, quand même j’aurais reçu des présents. Et je te le dis, très illustre fils de Maia et de Zeus tempétueux, très utile Daimôn des Dieux : il y a trois Moires, vierges et sœurs, et qui se réjouissent de leurs ailes rapides. La tête couverte de blanche farine, elles habitent dans une vallée du Parnèsos ; et elles m’ont enseigné la science divinatoire à laquelle j’aspirais, encore enfant, au milieu de mes bœufs, et mon père ne s’en inquiéta point. Depuis, en ce lieu, volant çà et là, elles mangent les rayons de miel et accomplissent chaque chose. Alors, ayant mangé le miel vert, elles deviennent furieuses et veulent ardemment dire la vérité ; mais quand elles sont privées de la douce nourriture des Dieux, elles tentent de conduire hors du chemin. Je te les donne, interroge-les avec soin et charme ainsi ton esprit ; et, si quelque mortel connu de toi te rencontre, il pourra en croire ton oracle. Prends-les, fils de Maia, ainsi que les bœufs agrestes aux pieds flexibles. Prends soin des chevaux et des mulets patients, et des lions horribles, et des sangliers aux blanches dents, et des chiens, et de toutes les brebis que nourrit la vaste terre. Commande à toutes les brebis, illustre Hermès, et sois le seul messager irrécusable chez Aidès ; et, bien qu’il ne soit point riche, il ne te fera point un pauvre présent.

Ainsi le Roi Apollôn aima le fils de Maia de toute son amitié, et le Kroniôn lui accorda la grâce. Et il se mêle à tous les mortels et à tous les Immortels. Et il vient en aide à un petit nombre, mais il trompe sans cesse, dans la nuit ténébreuse, les races des hommes mortels.

Et ainsi, je te salue, fils de Zeus et de Maia, et je me souviendrai de toi et des autres chants.

À Mercure

Muse, célèbre Mercure, fils de Jupiter et de Maïa, roi de Cyllène et de l’Arcadie, fertile en troupeaux, bienveillant messager des dieux qu’enfanta l’auguste et belle Maïa, après s’être unie d’amour à Jupiter. Éloignée des dieux fortunés, elle habitait un antre ombragé. C’est là

que le fils de Saturne, profitant d’une nuit obscure, s’unit à cette jeune nymphe, à l’heure où le doux sommeil avait saisi la majestueuse Junon, car il voulait cacher ce nouvel amour aux Immortels ainsi qu’aux faibles humains. Lorsque la pensée du grand Jupiter fut accomplie, et que brilla dans les cieux le dixième mois, on vit apparaître de grandes merveilles. La nymphe enfanta un fils éloquent et rusé, voleur habile, prompt à dérober les bœufs, maître des songes, surveillant de nuit, gardien des portes, et qui bientôt devait réaliser d’admirables merveilles au milieu des dieux immortels. À peine était-il né le matin, que déjà au milieu du jour il jouait de la lyre, et le soir il dérobait les bœufs d’Apollon. Tout était terminé le quatrième jour du mois où la vénérable Maïa le mettait au monde. Dès qu’il fut sorti du sein maternel, il ne resta pas longtemps enveloppé des langes sacrés ; mais, s’élançant, il chercha les bœufs d’Apollon et franchit le seuil de l’antre obscur. Il rencontra une tortue et s’en empara. Elle était à l’entrée de la grotte, se traînant à pas lents et paissant les fleurs de la prairie : à cette vue, le fils de Jupiter sourit de joie et prononça ces paroles :

"Voilà sans doute une rencontre qui me présage du bonheur : je n’aurai garde de la dédaigner. Salut, aimable produit de la nature, toi qui peux devenir un instrument mélodieux, âme de la danse, compagne des festins, tu me combles de joie en m’apparaissant : tortue qui vis sur les montagnes, charmant joujou, écaille bigarrée, d’où viens-tu ? Je t’emporterai dans ma demeure, tu me seras d’un grand secours. Je ne te mépriserai pas, tu seras l’origine de ma fortune : il vaut mieux pour toi habiter une maison, il te serait nuisible de rester à la porte. Vivante, tu serais un obstacle aux enchantements funestes, si tu meurs tu rendras des sons harmonieux."

Il dit, l’enlève de ses deux mains et retourne à sa demeure, portant cet aimable joujou. Il vide l’écaille avec le ciseau d’un acier étincelant, et il arrache ainsi la vie à la tortue des montagnes. Aussi prompt, que la pensée qui traverse l’esprit de l’homme agité de mille soucis, aussi prompt que les étincelles qui jaillissent, Mercure accomplit cette oeuvre avec la rapidité de la parole. Il coupe des roseaux en une juste mesure et leur fait traverser le dos de la tortue à l’écaille de pierre ; tout autour il tend avec habileté une peau de bœuf ; il y adapte un manche, sur lequel des deux côtés il enfonce des chevilles ; puis il y joint sept cordes harmonieuses de boyaux de brebis.

Cet ouvrage achevé, il soulève cet instrument délicieux, il le frappe en cadence avec l’archet, et sa main lui fait rendre un son retentissant. Alors le dieu chante en improvisant des vers harmonieux, et comme les jeunes gens dans les festins s’abandonnent à de joyeux propos, de même il redit les conversations amoureuses de Jupiter et de la belle Maïa sa mère, il célèbre sa naissance illustre, il chante les compagnes de la nymphe, ses riches demeures, les trépieds et les somptueux bassins qui se trouvent dans la grotte : mais d’autres pensées agitaient son esprit tandis qu’il chantait. Il dépose la lyre harmonieuse dans le berceau sacré ; il veut savourer la chair des victimes ; il s’élance de la grotte parfumée, arrive sur une hauteur, roulant dans son âme un projet perfide comme souvent en exécutent les voleurs à la faveur des ombres de la nuit.

Le soleil précipitait ses coursiers et son char au sein de l’océan, lorsque Mercure atteignit par une course rapide les montagnes ombragées de Piérie, où l’on voyait une étable destinée aux bœufs immortels des dieux ; ils paissaient en ce moment l’herbe touffue des riantes prairies. Le fils de Maïa, l’adroit meurtrier d’Argus, enlève à ce troupeau cinquante bœufs mugissants : pour détourner de leurs traces, il les conduit en s’égarant à travers les détours d’un chemin sablonneux. Il emploie en outre une ruse habile : il fait en sorte que tantôt les pieds de devant soient les derniers, et tantôt ceux de derrière soient en avant : le dieu lui-même marche à reculons. Il délie sa chaussure sur les rives de la mer, il réunit des branches de myrte et de tamarix et les tresse d’une manière admirable, incompréhensible et mystérieuse. Ayant lié ensemble ces vertes dépouilles de la forêt, il les adapte à ses pieds en une chaussure légère qui porte encore les feuilles qu’il avait prises sur la montagne de Piérie, car l’illustre Mercure craignait les fatigues de la mer et désirait terminer promptement un long voyage.

Parvenu dans les vertes campagnes d’Oncheste, il est aperçu par un vieillard qui cultivait un verger en fleurs. Le divin fils de Maïa lui tient aussitôt ce discours :

"Vieillard qui le dos courbé cultives ces plantes, si toutes portent des fruits, tu feras une abondante récolte. Mais ô vieillard, regarde tout sans rien voir : sois sourd à ce qui frappe tes oreilles et sois muet sur des choses qui ne blessent point tes intérêts."

Ayant prononcé ces paroles, l’illustre Mercure rassemble ses bœufs, frappe leurs têtes robustes et les conduit à travers les montagnes ombragées, les vallées sonores et les champs diaprés de fleurs. Cependant les ténèbres de la nuit, propices à son larcin, commençaient à

se dissiper ; déjà se levait l’aurore, qui ramène les travaux : la lune, fille de Pallante issu du roi Mégamède, s’élevait à peine derrière une colline.

Le fils puissant de Jupiter conduit aux bords du fleuve Alphée les bœufs aux larges fronts qu’il a dérobés au brillant Apollon. Ils arrivent sans nulle fatigue près d’une étable et de lieux marécageux, en face d’une prairie verdoyante. Mercure leur laisse paître l’herbe épaisse, puis il les renferme dans l’étable. Là tous ensemble, ils mangent encore le lotos humide de rosée. Alors le dieu entasse une grande quantité de bois et songe au moyen d’allumer du feu. Prenant une branche de laurier, de sa main vigoureuse il l’échauffe par le frottement de l’acier : bientôt brille une vive lumière, qui répand au loin en pétillant une ardente chaleur. Tandis que Vulcain excite le feu, Mercure entraîne hors de l’étable deux génisses mugissantes et les conduit pris du foyer : sa force est invincible. Il les renverse haletantes sous lui, et se précipitant il leur arrache la vie. À ce premier travail, il en joint un second en décrochant les chairs succulentes couvertes de graisse : puis il perce ces chairs avec de longues broches de bois et les fait rôtir avec soin ainsi que le large dos, portion d’honneur ; il réunit aussi le sang renfermé dans les entrailles ; laissant ensuite à terre les autres parties de la victime, il étend les peaux sur un âpre rocher.

Bientôt après, Mercure qui inspire la joie retire des foyers les chairs succulentes, les dépose sur la plage unie, en fait douze parts qu’il tire successivement au sort ; il les offre à chaque divinité comme un hommage solennel. Cependant l’illustre Mercure aurait bien désiré savourer les viandes du sacrifice ; il était attiré par un agréable parfum, mais son noble cœur ne cède point au désir de remplir son estomac divin d’une pareille nourriture. Il place soigneusement dans l’étable élevée les chairs et la graisse des victimes ; il rassemble leurs pieds et leurs têtes, qui pourraient témoigner du vol qu’il vient de commettre, les entasse sur les planches desséchées et les livre à la flamme. Le sacrifice achevé, Mercure jette sa chaussure dans les gouffres profonds de l’Alphée, éteint le brasier et pendant toute la nuit le laisse se réduire en cendre noire. La lune alors répandait la douce clarté de ses rayons.

Quand vint le jour, il arriva promptement sur les hauteurs de Cyllène. Nul parmi les dieux ni parmi les hommes ne s’offrit à sa vue sur une aussi longue route : les chiens mêmes ne donnèrent pas de la voix. Alors le fils bienveillant de Jupiter se courbe et se glisse dans la demeure par la serrure, semblable au vent d’automne ou à une légère vapeur. Il marche dans le réduit sacré de la grotte d’un pas furtif, il pénètre sans bruit comme il le faisait habituellement sur la terre, il arrive ainsi jusqu’à son berceau, il s’enveloppe les épaules avec ses langes comme un faible enfant et reste couché, jouant d’une main avec son maillot et de l’autre levant sa lyre mélodieuse ; mais le dieu n’avait pu cacher sa fuite à sa divine mère ; elle lui parla en ces termes :

"Petit rusé, enfant plein d’audace, d’où viens-tu pendant l’obscurité de la nuit ? Je crains bien que le fils puissant de Latone ne charge les membres de liens pesants, ne l’arrache à celle demeure ou ne te surprenne dans les vallons occupé à commettre des vols téméraires. Va, malheureux : le puissant Jupiter t’a mis au monde pour être le fléau des hommes et des dieux immortels."

Mercure lui répondit par ces paroles pleines de ruse :

" Mère, pourquoi vouloir me faire peur comme à un faible enfant qui connaît à peine quelque fraude et tremble à la voix de sa mère. Je veux continuer d’exercer cet art qui me semble le meilleur pour votre gloire et pour la mienne. Nous ne devons pas ainsi rester seuls parmi les Immortels sans présents et sans sacrifices, comme vous me l’ordonnez ; certes il est plus doux de jouir des richesses et des trésors, comme les dieux immortels, que de languir oisifs dans l’obscurité de cette grotte. Je veux jouir des mêmes honneurs qu’Apollon ; je tenterai tout pour les ravir, puisque mon père me les a refusés : je serai le dieu des voleurs. Si l’illustre fils de Latone veut me poursuivre, il pourrait bien lui arriver quelque funeste aventure. Je pénétrerai jusque dans Pytho ; là je briserai les portes de sa vaste demeure, j’emporterai ses trépieds, ses bassins d’or, l’airain brillant et ses nombreux vêtements. Vous, mère, si vous le voulez, vous pourrez être témoin de ce triomphe."

Tels étaient les discours que tenaient ensemble le fils du maître de l’égide et la divine Maïa. Bientôt l’aurore matinale se leva du sein de l’Océan pour venir éclairer les mortels.

Cependant le brillant Apollon arrivait à Oncheste en parcourant les bois sacrés du bruyant Neptune. Là il rencontra un vieillard qui, près du chemin, était occupé à clore son champ d’une haie. Le fils de Latone lui parla en ces termes :

"Vieillard qui liez ensemble les buissons des verdoyantes campagnes d’Oncheste, je viens ici de Piérie à la recherche de génisses au front armé de cornes qu’on a enlevées à mon troupeau. Un seul taureau noir paissait à l’écart ; quatre chiens vigilants surveillaient le troupeau comme auraient fait de fidèles bergers : ce qui est étonnant, c’est que les chiens et le taureau noir sont restés, tandis qu’au coucher du soleil les génisses ont abandonné les prairies verdoyantes et les gras pâturages. Vénérable vieillard, veuillez donc me dire si vous avez vu un homme chassant devant lui des génisses sur cette route.

- Ami, lui répondit le vieillard, il me serait difficile de vous dire tout ce que mes yeux ont vu. Beaucoup de voyageurs passent par cette route, les uns avec de bons desseins, les autres avec de mauvaises pensées : je ne puis pénétrer ainsi l’âme de chacun. Pourtant, durant tout le jour et jusqu’au déclin du soleil, j’ai constamment travaillé à ma. vigne. En effet, noble étranger, il me semble avoir entrevu un enfant (je n’ai pu le distinguer parfaitement) qui, quoique dans un âge bien tendre, poussait avec un bâton à la main un troupeau de belles génisses. Il marchait a reculons ; il suivait bien les génisses, mais leurs têtes étaient tournées dans un sens contraire à la sienne."

Tel fut le discours du vieillard. Phébus l’ayant entendu poursuivit rapidement sa course. Alors il aperçoit un oiseau qui traverse le ciel les ailes étendues, il reconnaît aussitôt que le voleur est le fils de Jupiter ; il s’enveloppe d’un nuage, s’élance dans la divine Pylos pour y chercher ses génisses, et dès qu’il aperçoit les traces de leurs pieds, il s’écrie :

"Grands dieux ! quel prodige s’offre à ma vue ! Voici bien les traces de mes génisses aux cornes élevées, mais elles sont dirigées du côté de la prairie. Ce ne sont les pas ni d’un homme, ni des loups, ni des ours, ni des lions, ni des autres bêtes fauves ; ils ne me paraissent pas ressembler aux pas du Centaure velu qui laisse d’énormes vestiges en marchant d’un pied rapide : ces pas sont plus difficiles encore à reconnaître loin du chemin qu’à ses abords."

Prononçant ces paroles, le fils de Jupiter s’élance avec rapidité ; il parvient sur le sommet du Cyllène ombragé de forêts et s’approche de l’antre profond où la nymphe divine donna le jour au petit-fils de Saturne. La montagne exhalait un délicieux parfum et de nombreux troupeaux paissaient l’herbe ; de la prairie Apollon qui lance au loin ses traits se hâte de franchir le seuil de pierre et pénètre dans l’obscurité de la grotte.

Le fils de Jupiter et de Maïa apercevant Apollon irrité du vol de ses génisses, s’enfonce aussitôt dans ses langes parfumés et reste enveloppé comme un tison enfoui sous des cendres amoncelées. À la vue du dieu qui lance au loin ses traits, Mercure, qui redoute sa présence, ramasse en un peloton sa tête, ses mains et ses pieds, comme un homme qui, sortant du bain, veut s’abandonner aux charmes du sommeil. Le dieu portait sous son bras la lyre divine. Il reconnaît aussitôt la belle nymphe des montagnes et son fils chéri, faible enfant s’enveloppant dans des langes trompeurs. Alors Apollon pénètre des yeux tous les coins de cette vaste demeure ; il saisit une clé brillante, ouvre trois cabinets les plus reculés, tous remplis de nectar et d’ambroisie. Là se trouvaient entassés beaucoup d’or, d’argent, les nombreuses parures de pourpre et les parures blanches de la nymphe, telles qu’en renferment les demeures secrètes des dieux. Le fils de Latone ayant fouillé dans ces réduits adresse ces paroles à Mercure :

"Enfant qui reposes dans ce berceau, dis-moi promptement où se trouvent mes génisses ; autrement s’élèveraient entre nous de funestes débats : je te saisirai, je te précipiterai dans le sombre Tartare, au sein des ombres funestes et horribles. Ni ton père ni ta mère vénérable ne pourront te rendre à la lumière, mais tu vivras enfoui sous la terre, ne régnant que sur un petit nombre d’hommes."

Mercure lui répond aussitôt par ces paroles pleines de ruse :

"Fils de Latone, pourquoi me tiens-tu ce terrible langage ? Pourquoi viens-tu chercher ici tes génisses ? je ne les ai jamais vues, je n’en ai jamais entendu parler ; il ne m’est pas possible de t’indiquer le voleur : je ne recevrai donc pas la récompense promise à qui te fera trouver le voleur. Je n’ai pas la force d’un homme capable de dérober des troupeaux ; ce n’est point là mon métier, d’autres soins me réclament : j’ai besoin du doux sommeil, du lait de ma mère, de ces langes qui couvrent mes épaules et des bains d’une onde tiède. Mais fais en sorte qu’on ignore d’où vient cette querelle : ce serait un grand sujet d’étonnement pour tous les Immortels qu’un jeune enfant qui vient à peine de naître eût franchi le seuil de ta demeure avec des génisses indomptées. Ce que tu dis est d’un insensé : je suis né d’hier, les cailloux auraient déchiré la peau délicate de mes pieds ; mais si tu l’exiges, je prononcerai un serment terrible : je jurerai par la tête de mon père que je ne suis pas l’auteur de ce vol et que je ne connais point le voleur de ces génisses quelles qu’elles soient : tu as été le premier à m’en apprendre la nouvelle."

En prononçant ces mots, ses yeux brillent d’un vif éclat, il soulève ses sourcils, jette impudemment ses regards de tous côtés et laisse échapper un sifflement ironique comme n’ayant entendu qu’une vaine parole. Alors Apollon lui dit avec un sourire plein de raillerie :

"Jeune enfant trompeur et rusé, à entendre tes discours, je crois que tu pénétreras souvent dans les riches demeures et que pendant la nuit tu mettras plus d’un homme à la porte de sa maison après l’avoir dévalisé sans bruit. Tu rempliras aussi de chagrin le cœur des bouviers dans les vallons agrestes de la montagne, lorsque cherchant une proie tu rencontreras des troupeaux de bœufs et de brebis. Mais assez de sommeil comme cela, descends de ton berceau, mon beau compagnon de la nuit sombre : il est juste que tu jouisses des honneurs divins destinés aux Immortels, toi qui seras un jour salué du titre de chef de voleurs."

Et en même temps Phébus saisit l’enfant et l’emporte. Alors, après une perfide réflexion, le puissant meurtrier d’Argus, enlevé par les bras d’Apollon, lâche un augure, serviteur audacieux parti du ventre et messager impertinent, puis il éternue avec force. À ce bruit, Apollon le jette à terre, et, quoique impatient de partir, il s’assied en présence de Mercure et lui dit ces mots railleurs dans l’intention de le piquer :

"Courage, fils de Jupiter et de Maïa, encore enveloppé dans les langes. Grâce à tes augures, je retrouverai bientôt mes génisses aux têtes robustes, toi-même me serviras de guide."

Il dit. Le dieu de Cyllène se relève aussitôt en marchant avec vitesse ; il environne ses oreilles des langes qui couvraient ses épaules et s’écrie :

"Où veux-tu donc m’emporter, Apollon, le plus cruel de tous les dieux ? Pourquoi, furieux d’avoir perdu tes génisses, m’accabler ainsi d’outrages ? Puisse leur race être anéantie ! Ce n’est pas moi qui les ai dérobées, te dis-je, et je ne connais pas le voleur de tes génisses quelles qu’elles soient ; tu es le premier à m’en apprendre la nouvelle : rends-moi donc justice et soumettons-nous à faire juger nos différends par Jupiter. "

C’est ainsi que conversaient ensemble le solitaire Mercure et le fils brillant de Latone, mais animés de sentiments contraires, l’un, parlant dans la sincérité de son cœur, avait saisi l’illustre Mercure comme voleur de ses génisses, et le roi de Cyllène, par ses ruses, ses paroles pleines de fourberie, cherche à tromper le dieu qui porte l’arc d’argent. Mais, quelque habile que fût sa ruse, Mercure avait trouvé un rival qui pouvait être son maître. Le fils de Jupiter et de Latone le faisait marcher le premier sur le sable et le suivait ensuite par derrière. Ces enfants de Jupiter parviennent ainsi sur le sommet de l’Olympe parfumé ; là se trouvaient les balances de la justice qui leur étaient destinées. Les cieux retentissent d’une douce harmonie, et les Immortels se rassemblent dans les retraites de l’Olympe. Devant Jupiter se tenaient Apollon et Mercure. Alors le dieu qui lance la foudre s’adresse en ces termes à son fils :

"D’où viens-tu avec cette superbe proie, nous amenant cet enfant nouveau-né qu’on prendrait pour un hérault ? sans doute tu viens devant le conseil des dieux pour une affaire importante ?"

Apollon, qui lance au loin ses traits, lui répondit :

"Mon père, j’ai des choses importantes à vous dire quoique vous me railliez toujours comme trop avide de butin. J’ai trouvé cet enfant, voleur déjà redoutable, dans les montagnes de Cyllène : j’ai parcouru beaucoup de pays avant de le joindre, car c’est un enfant plein de ruse et de perfidie comme je n’en vis jamais ni parmi les dieux ni parmi les mortels, quels que soient les brigands qui dévastent la terre. À la faveur des ombres du soir, il a éloigné mes génisses des prairies, il leur a fait traverser les rivages de la mer et les a conduites à Pylos. Il a laissé des traces merveilleuses qu’on peut admirer comme l’œuvre d’un dieu puissant : les empreintes de leurs pieds marqués encore sur la noire poussière indiquent un chemin opposé à celui qui mène aux pâturages. Quant à lui, habile, rusé, il n’a marché sur le sol sablonneux ni avec les mains ni avec les pieds, c’est à l’aide d’une pensée astucieuse qu’il a parcouru ce sentier merveilleux comme avec des branchages de chêne. Les traces de génisses ont marqué sur la poussière tant qu’il a suivi le sol sablonneux, mais dès qu’il est arrivé sur un terrain solide on n’apercevait plus les pas des génisses ; toutefois il a été vu par un homme au moment où il conduisait à Pylos ce troupeau de génisses au large front : les ayant enfermées sans bruit, et ayant mêlées ensemble toutes les races, il s’est couché dans son berceau, et pareil à la nuit profonde, il s’est blotti dans les ténèbres d’une grotte obscure ; l’œil perçant de l’aigle lui-même n’aurait pu le découvrir. Fidèle à ses ruses, il s’est caché les deux yeux avec ses mains, puis d’un ton assuré il m’a dit ces paroles : "Je n’ai point vu tes génisses, je ne les ai pas connues, je n’en ai même jamais entendu parler, je ne puis donc te les indiquer ni recevoir la récompense promise à celui qui te les rendra."

Ainsi parla le brillant Apollon et il s’assied.

À son tour, Mercure, s’adressant à Jupiter, le maître de tous les dieux, répond par ces paroles :

"Puissant Jupiter, je veux vous dire la vérité, mon cœur est sincère, je ne sais pas mentir. Aujourd’hui même, au lever du soleil,

Apollon est venu dans notre demeure en cherchant ses génisses aux pieds robustes. Il n’amenait pour témoin aucun dieu ; il ne m’offrait aucun indice, et cependant il m’ordonnait avec violence de dire où se trouvaient les génisses ; il m’a menacé de me précipiter dans le vaste Tartare ; il abusait de sa force, lui, à la fleur de l’âge, tandis qu’il sait fort bien que moi, né d’hier, je ne ressemble pas à l’homme vigoureux qui dérobe des troupeaux. Croyez, ô vous qui vous glorifiez d’être mon père chéri, croyez que je n’ai point conduit de troupeaux dans ma demeure ; je serais trop heureux ! Je n’ai pas même passé le seuil de ma grotte : je le dis avec sincérité. Certes j’ai du respect pour Apollon et pour tous les autres dieux ; je vous chéris et j’honore Apollon vous le savez bien et lui-même le sait ; je ne suis point coupable, je le jurerai par un grand serment : j’en atteste le palais sacré des Immortels. Il a beau être plein de force, un jour je me vengerai de sa poursuite. Vous cependant secourez les faibles."

Le dieu de Cyllène clignotait du regard en disant ces paroles et gardait sur l’épaule ses langes qu’il n’avait point encore rejetés. Jupiter souriait en voyant l’adresse de son fils, qui niait avec tant d’assurance le vol des génisses :il ordonne alors aux deux divinités de s’accorder et de chercher ensemble les troupeaux d’Apollon ; il enjoint ensuite à Mercure de servir de guide au divin Apollon et de lui montrer sans aucune ruse où sont enfermées les fortes génisses. Le fils de Saturne fait un signe de tête, et le beau Mercure s’empresse d’obéir, car il se rendait sans peine à la pensée du dieu de l’égide.

Les deux enfants de Jupiter se hâtent donc ; ils parviennent bientôt à la sablonneuse Pylos, sur les rives de l’Alphée, traversent les champs et pénètrent dans la haute étable où les troupeaux avaient été nourris pendant la nuit. Mercure entre dans le ténébreux rocher et rend à la lumière les fortes génisses ; le fils de Latone regardant de coté vit étendues sur le roc les peaux des génisses offertes en sacrifices, et frappé d’étonnement, il dit à Mercure :

"Enfant rusé, si jeune et si faible, comment as-tu pu écorcher ces deux génisses ? Ah ! ta force terrible m’effraie pour l’avenir. Qu’elle n’augmente pas davantage, dieu puissant de Cyllène, fils de Maïa !"

À ces mots Apollon tord de ses deux mains les forts liens d’osier qui retiennent les génisses, mais elles restent immobiles, les pieds attachés à la terre, en face les unes des autres par les ruses de Mercure plein de fourberie. Apollon, étonné, admirait ce prodige. Mercure calme d’abord aisément le fils de Latone, quelque puissant qu’il soit ; puis, de sa main gauche prenant sa lyre, il frappe en mesure les cordes avec l’archet. Sous ses doigts, l’instrument rend un son retentissant. Le brillant Apollon sourit de plaisir, les divins accents pénètrent son âme et remplissent son cœur d’une vive émotion.

Le fils de Maïa, ainsi rassuré, fait résonner sa lyre mélodieuse. Assis près d’Apollon, il joint ses chants aux accents de sa lyre ; sa voix est douce et harmonieuse, il célèbre la naissance des dieux lorsque la terre était encore couverte de ténèbres et qu’elle fut partagée entre les divers Immortels. Mais d’abord il consacre ses chants à Mnémosyne, la mère des Muses elle comble de dons gracieux le fils de Maïa. Le fils de Jupiter célèbre tour à tour chacun des Immortels selon le rang qu’il occupe et selon l’ordre de sa naissance, s’accompagnant de sa lyre il n’omet rien. De vifs désirs de posséder cette lyre sonore se répandent dans le cœur d’Apollon, il s’adresse à Mercure en ces termes :

"Esprit ingénieux et habile qui tues si adroitement les génisses, agréable compagnon des festins, cinquante génisses ne pourraient égaler le prix de tes chants. Désormais il ne s’élèvera plus entre nous que de paisibles débats. Mais dis-moi, ô fils rusé de Maïa, s’il te fut donné à l’heure de ta naissance d’accomplir toutes ces merveilles ou si quelque dieu ou quelque mortel te comble de ces faveurs brillantes ou t’enseigne ces chants sublimes. Tu viens de me faire entendre des accords tout nouveaux et une voix admirable que jamais aucun homme, aucun habitant de l’Olympe ne peut égaler, je pense. Ô divinité chérie, fils de Jupiter et de Maïa d’où te vient cet art ? Quelle Muse peut ainsi dissiper les noirs chagrins ? Quelle est cette harmonie ? J’y trouve réunis toutes les voluptés, le plaisir, l’amour, et le penchant au doux sommeil. Moi-même, compagnon habituel des Muses de l’Olympe, ami des douces chansons, des accents mélodieux de la lyre et des doux accords des flûtes, moi-même je ne goûtai jamais autant de plaisir en prêtant l’oreille aux refrain que répètent les jeunes gens au sein des repas. Fils de Jupiter, j’admire quels sons merveilleux tu sais tirer de ta lyre. Assieds-toi donc, cher enfant, toi qui jeune encore connais déjà les nobles pensées, célèbre les louanges de tes aînés : la gloire et celle de ta mère sont déjà grandes parmi les dieux. Je te parle sincèrement : je te le jure par ce dard de cornouiller ; je te reconduirai heureux et triomphant dans l’assemblée des Immortels ; je te ferai des dons magnifiques et jamais je ne te tromperai."

Mercure lui répond aussitôt par ces paroles pleines de flatterie :

"Illustre Apollon, puisque tu m’interroges, je ne refuserai pas de t’enseigner les secrets de mon art : je veux te les apprendre aujourd’hui même ; je veux t’être favorable dans mes pensées et dans mes paroles, fils de Jupiter, tu es fort et puissant, tu t’assieds le premier parmi les Immortels : Jupiter te chérit à juste titre, il te comble de présents et d’honneurs. On dit en effet que tu reçus de ce dieu le don de révéler l’avenir : c’est de Jupiter que naissent tous les oracles ; je te reconnais maintenant pour un opulent héritier. Ce que tu désires savoir, ce serait à moi de l’apprendre de toi. Puisque tu souhaites jouer de la lyre, chante, prélude, livre ton cœur à la joie en la recevant de mes mains. Ainsi c’est toi qui me combles de gloire, chante donc en t’accompagnant de cet instrument mélodieux qui sait rendre avec justesse toutes les modulations. Heureux et fier, tu la porteras ensuite dans les festins, au milieu des chœurs aimables des danses et des fêtes splendides qui charment la nuit et le jour. Qu’un homme habile en son art interroge cette lyre, de suite elle révèle à son âme mille délicieuses pensées ; elle l’éloigne des travaux pénibles et l’entraîne aux joyeuses assemblées ; mais si quelque ignorant la touche avec rudesse, elle ne murmure plus que des sons vagues et sourds. Oui, ce que tu désires savoir, c’est à toi de nous l’expliquer. Accepte-donc cette lyre, glorieux fils de Jupiter, Apollon ; désormais ensemble sur les montagnes et dans les champs fertiles, nous ferons paître tes génisses sauvages ; là ces génisses, s’unissant aux taureaux, engendreront des femelles et des mâles en abondance ; mais ne t’abandonne donc ni à la ruse ni à la colère."

En disant ces mots il présente la lyre à Phébus ; celui-ci la reçoit, donne en échange un fouet étincelant et charge Mercure du soin des génisses ; celui-ci s’en acquitte avec joie. Alors saisissant la lyre de la main gauche, le fils de Latone, Apollon, qui lance au loin ses traits, la frappe en cadence avec l’archet ; l’instrument résonne en mélodieux accords, et le dieu marie les accents de sa voix aux sons de la lyre.

Ayant conduit les génisses dans la belle prairie, ces dieux, beaux enfants de Jupiter, remontent ensemble sur le sommet neigeux de l’Olympe : ils se réjouissent au son de la lyre, et Jupiter joyeux resserre les liens de cette intimité. Depuis ce jour, et maintenant encore, Mercure a toujours aimé le fils de Latone, auquel il avait donné sa lyre. Apollon jouait en la tenant sous le bras, mais lui-même inventa un art nouveau : il fit retentir au loin la voix des flûtes mélodieuses. En ce moment le fils de Latone dit ces mots à Mercure :

"Fils rusé de Maïa, j’ai peur que tu ne me dérobes maintenant mon arc et ma lyre. Tu reçus de Jupiter le soin de veiller au commerce, aux échanges trompeurs des hommes qui vivent sur la terre féconde ; si tu consentais à faire le grand serment des dieux en jurant par les ondes redoutées du Styx, tu satisferais le vœu de mon âme."

Le fils rusé de Maïa promet par un signe de tête de ne rien dérober de ce que possède Apollon, de ne jamais approcher de sa demeure magnifique. À son tour Apollon d’un signe de tête lui jure amitié durable, lui jure de le chérir plus qu’aucun des dieux ou des hommes issus du grand Jupiter :

"Enfin, ajouta-t-il, pour que mes paroles t’inspirent respect et confiance, je déposerai le gage solennel des dieux : je te donnerai ce bâton magnifique, source de richesses et de bonheur, entouré de trois feuilles d’un or pur : il sera pour toi d’un secours tutélaire et te permettra de servir tous les dieux, mais si entre toutes les paroles et les choses privilégiées que j’ai apprises de Jupiter, tu me demandais, dieu puissant, l’art de prédire l’avenir, je ne pourrais t’en instruire ni aucun des autres Immortels : c’est la pensée que Jupiter s’est réservée. Quand il me l’a confiée, j’ai promis sur ma tête, j’ai fait le grand serment, que nul des Immortels, nul autre que moi ne connaîtrait les desseins secrets du fils de Saturne. Ainsi, frère au sceptre d’or, ne me demande pas de te révéler les destins que médite le puissant Jupiter. Quant aux hommes, je parcourrai leurs nombreuses tribus : aux uns je serai favorable ; aux autres je serai funeste. Ma voix prophétique aidera celui qui viendra à moi se guidant sur le chant et sur le vol des oiseaux destinés à prédire l’avenir ; mais je nuirai à celui qui, se fiant à des oiseaux trompeurs, voudra malgré moi connaître l’avenir pour en savoir plus que les dieux immortels. J’accepterai ses dons, mais je rendrai son voyage inutile.

Je te dirai encore, fils du grand Jupiter et de l’illustre Maïa, Mercure, divinité utile aux dieux mêmes, il existe trois sœurs vénérables, vierges toutes les trois, et franchissant l’espace sur des ailes rapides, leur tête est couverte d’une blanche farine, elles habitent un vallon du Parnasse. Éloignées des hommes, elles m’enseignèrent l’art de révéler l’avenir pendant que j’étais enfant et que je gardais les troupeaux. Mon père ne prenait aucun soin de m’instruire de toutes ces choses. Elles voltigent de toutes parts, elles se nourrissent de miel et accomplissent toutes choses. Lorsqu’elles sont rassasiées de miel nouveau, ces vierges disent volontiers la vérité ; mais quand ce doux aliment des dieux vient à leur manquer, elles s’efforcent de détourner les hommes de la route qu’ils doivent suivre. Je les place sous ton empire ; interroge-les avec attention, et ton esprit sera comblé de joie ; et si tu favorises quelque mortel, quand il viendra vers toi, tu lui feras entendre ta voix prophétique. Jouis de tous ces biens, fils de Maïa ; possède aussi des bœufs aux pieds robustes, des coursiers et des mules bien membrées. Illustre Mercure, je veux que tu règnes sur les lions terribles, sur les sangliers aux dents acérées, sur les chiens, sur les brebis et sur tous les animaux que nourrit la terre féconde. Tu seras seul employé comme messager fidèle dans le royaume de Pluton, et, quoique avare, ce dieu ne te donnera pas une vulgaire récompense."

Dès lors Apollon fut toujours uni au fils de Maïa par la plus grande amitié. Jupiter récompensa cette intimité par de nombreuses faveurs. C’est ainsi que Mercure se mêle à la société des dieux et des hommes : il est rarement bienveillant ; le plus souvent il trompe les mortels durant l’obscurité de la nuit.

Salut, fils de Jupiter et de Maïa ; je me souviendrai de vous, et je vais moduler de nouveaux chants.

XVIII - Hermès (2)

À Hermès

Je chante Hermès Kyllénien, Tueur d’Argos, qui règne sur Kyllènè et l’Arkadia aux nombreux troupeaux, très utile Messager des Immortels, et qu’enfanta Maia, fille vénérable d’Atlas, s’étant unie d’amour à Zeus. Elle évitait l’assemblée des Dieux heureux, et elle habitait un antre sombre, où le Kroniôn s’unit à la Nymphe aux beaux cheveux, pendant la nuit obscure, au moment où le doux sommeil enveloppait Hèrè aux bras blancs, et il se cacha des Dieux immortels et des hommes mortels.

Et je te salue ainsi, fils de Zeus et de Maia ! Ayant commencé par toi, je passerai à un autre hymne.

Salut, Hermès, distributeur de grâces, Messager, dispensateur des biens.

À Mercure

Je chante Mercure Cyllénien, le meurtrier d’Argus. Il protège les troupeaux sur le mont Cyllène et dans l’Arcadie féconde en troupeaux. Bienveillant messager des Immortels, il dut le jour à la fille d’Atlas, la vénérable Maïa, qui s’unit d’amour à Jupiter ; éloignée de l’assemblée des dieux, elle habitait au fond d’une grotte obscure: c’est là que, durant les ténèbres de la nuit, le fils de Saturne s’unit à elle, tandis que Junon s’abandonnait aux douceurs du sommeil ; tous deux se dérobèrent à la vue des dieux et des hommes.

Je vous salue, fils de Jupiter et de Maïa ; maintenant que j’ai célébré votre gloire, je chanterai d’autres hymnes.

Salut, bienveillant Mercure, messager céleste ; dispensateur de tous les biens.

XIX - Hestia et Hermès

À Histiè et à Hermès.

Histiè, qui, dans les hautes demeures de tous les Dieux immortels et des hommes qui marchent sur la terre, as reçu en partage un siège éternel, honneur antique ! Tu as cette belle récompense et cet honneur, car, à la vérité, il n’y aurait point sans toi de festins chez les mortels. C’est par Histiè que chacun commence et finit, en faisant des libations de vin mielleux.

Et toi, Tueur d’Argos, fils de Zeus et de Maia, Messager des Bienheureux, qui portes une baguette d’or, dispensateur des biens ! sois-moi propice ! Vous habitez tous deux de belles demeures qui vous plaisent à l’un et à l’autre. Sois-moi propice, avec la vénérable et chère Histiè ! Tous deux, en effet, vous savez les beaux travaux des hommes terrestres, et vous êtes les compagnons de l’esprit et de la jeunesse.

Salut, fille de Kronos ! Et toi, Hermès à la baguette d’or ! Je me souviendrai de vous et des autres chants.

À Vesta et à Mercure

Ô Vesta ! vous habitez la première place dans les palais élevés des dieux immortels et des hommes qui vivent sur la terre ; vous avez les plus illustres honneurs ; vous obtenez les plus belles et les plus riches offrandes : jamais sans vous il ne fut d’agréables festins pour les mortels ; nul ne commence ou ne finit son repas sans avoir fait d’abord des libations d’un vin généreux à la déesse Vesta.

Mercure, fils de Jupiter et de Maïa, messager des dieux, porteur d’un sceptre d’or, dispensateur de tous les biens, soyez-nous propice et venez aussi avec l’auguste et bien aimée Vesta. Tous les deux instruits des bonnes actions des mortels, accordez-leur l’esprit et la jeunesse, divinités qui habitez d’illustres maisons.

Salut, fille de Saturne ; salut, Mercure porteur d’un sceptre d’or ; je ne vous oublierai jamais, et je vais dire un autre chant.

XX - Hestia

À Histiè

Histiè, qui protèges la demeure sacrée de l’Archer Apollon, dans la divine Pythô, l’huile liquide coule toujours de tes tresses. Viens dans cette demeure, ayant un esprit propice, avec le prévoyant Zeus, et accorde la grâce à mon chant.

À Vesta

Ô Vesta, qui dans la divine Pythie veillez sur le temple sacré d’Apollon, vous dont la chevelure exhale toujours les doux parfums, vous qui êtes douée d’une âme bienveillante, venez dans cette maison avec le grand Jupiter et soyez propice à nos chants.

XXI - Déméter

Je commence par chanter Dèmètèr aux beaux cheveux, vénérable Déesse, elle et sa fille aux belles chevilles qu’Aidôneus, du consentement du retentissant Zeus au large regard, enleva loin de Dèmètèr à la faucille d’or et aux beaux fruits, comme elle jouait avec les filles aux seins profonds d’Okéanos, cueillant des fleurs, des roses, du safran et de belles violettes, dans une molle prairie, des glaïeuls et des hyacinthes, et un narcisse que Gaia avait produit pour tromper la Vierge à la peau rosée, par la volonté de Zeus, et afin de plaire à Aidôneus l’insatiable. Et ce narcisse était beau à voir, et tous ceux qui le virent l’admirèrent, Dieux immortels et hommes mortels. Et de sa racine sortaient cent têtes, et tout le large Ouranos supérieur, et toute la terre et l’abîme salé de la mer riaient de l’odeur embaumée.

Et la Vierge, surprise, étendit les deux mains en même temps pour saisir ce beau jouet ; mais voici que la vaste terre s’ouvrit dans les plaines de Nysios, et le Roi insatiable, illustre fils de Kronos, s’en élança, porté par ses chevaux immortels. Et il l’enleva de force et la porta pleurante sur son char d’or. Et elle criait à haute voix, invoquant le Père Kroniôn, le très puissant et le très suprême ; mais aucun des Dieux immortels ni des hommes mortels n’entendit sa voix ni celles de ses compagnes aux mains pleines de belles fleurs.

Seule, la bienveillante fille de Persaios, Hékatè aux brillantes bandelettes, l’entendit du fond de son antre ; et le Roi Hèlios, l’illustre fils de Hypériôn, entendit aussi la Vierge invoquer le Père Kroniôn ; mais celui-ci était assis loin des Dieux, dans un temple aux nombreux suppliants, où il acceptait les beaux sacrifices des hommes mortels.

Et le frère de son père, l’Insatiable qui commande à beaucoup, l’illustre fils de Kronos, avec des chevaux immortels, enleva de force la jeune Vierge, par la volonté de Zeus. Et aussi longtemps que la Déesse vit la terre et l’Ouranos étoilé, et l’abîme de la mer poissonneuse, et la lumière de Hèlios, elle espéra voir encore sa mère vénérable et les tribus des Dieux éternels, et l’espérance charma sa grande âme, malgré sa douleur.

Et les cimes des montagnes et les profondeurs de la mer résonnaient de sa voix immortelle, et sa mère vénérable l’entendit. Et une âpre douleur entra dans son cœur, et elle arracha de ses mains les bandelettes de ses cheveux ambroisiens, et, jetant un voile bleu sur ses deux épaules, elle s’élança, telle qu’un oiseau, cherchant sur la terre et sur la mer.

Mais personne ne voulut lui dire la vérité, aucun d’entre les Dieux, ni d’entre les hommes, ni d’entre les oiseaux ; et aucun messager véridique ne vint vers elle. Et, pendant neuf jours, la vénérable Dèmètèr erra sur la terre, tenant en mains des torches ardentes, et, dans sa douleur, ne goûtant ni à l’ambroisie, ni au doux nektar, et ne baignant point son corps. Mais quand la brillante Eôs revint pour la dixième fois, Hékatè, portant une lumière en main, la rencontra, et, lui donnant des nouvelles, lui dit :

— Vénérable Dèmètèr, qui dispenses les saisons et les beaux présents, qui d’entre les Dieux Ouraniens ou les hommes mortels a enlevé Perséphonè et affligé ton cher cœur ? En effet, j’ai entendu sa voix, mais je n’ai point vu de mes yeux qui l’enlevait. Je te dis promptement toute la vérité.

Ainsi parla Hékatè, et la fille de Rhéiè aux beaux cheveux ne lui répondit rien, mais, avec elle, elle s’élança en avant, tenant en main des torches ardentes. Et elles parvinrent auprès de Hèlios qui regarde les Dieux et les hommes, et elles s’arrêtèrent devant ses chevaux, et la très noble Déesse l’interrogea :

— Hèlios, honore-moi plus que toutes les Déesses, si jamais j’ai charmé ton cœur et ton âme par mes paroles ou par mes actions ! Honore aussi la fille que j’ai enfantée, douce fleur, illustre par sa beauté ! J’ai entendu sa voix retentissante à travers l’Aithèr sans fond, comme si on lui eût fait violence ; mais je ne l’ai point vue de mes yeux. Dis-moi la vérité, toi qui, de l’Aithèr sacré, découvres avec tes rayons toute la terre et la mer, dis-moi, cher enfant, lequel des Dieux ou des hommes mortels, si tu l’as vu, m’a enlevé ma fille, en mon absence, et par violence, et contre son gré.

Elle parla ainsi, et le Hypérionide lui répondit :

— Fille de Rhéiè aux beaux cheveux, Reine Dèmètèr, tu le sauras. Certes, je te vénère beaucoup et j’ai compassion de toi qui gémis sur ton enfant aux belles chevilles. Aucun des Immortels n’a fait cela, si ce n’est Zeus qui amasse les nuées. Il a donné ta fille pour épouse florissante à son frère Aidés, et celui-ci, l’ayant enlevée sur ses chevaux, malgré ses clameurs, l’a conduite sous les noires ténèbres. Cependant, Déesse, réprime ta douleur cruelle ; il ne convient pas que tu nourrisses une téméraire et vaine colère. Aidôneus, qui commande à beaucoup, n’est pas un gendre indigne de toi parmi les Immortels. Il est ton frère et du même sang ; et, quand tout fut divisé en trois parts, il reçut cet honneur en partage d’habiter avec les Morts et de leur commander.

Ayant ainsi parlé, il excita ses chevaux, et ceux-ci effrayés par ses menaces, entraînèrent aussitôt le char rapide, les ailes déployées comme des oiseaux.

Mais une douleur plus amère et plus accablante envahit le cœur de Dèmètèr ; et, irritée contre le Kroniôn qui amasse les noires nuées, fuyant le haut Olympos et l’agora des Dieux, elle alla vers les villes des hommes et les grasses cultures, en dérobant pour longtemps sa beauté. Et personne, parmi les hommes et les femmes aux larges ceintures qui la virent, ne la reconnut, avant qu’elle fût arrivée dans la demeure du prudent Kéléos, qui, alors, était roi de l’odorante Eleusis.

Et elle s’assit au bord de la route, affligée au fond du cœur, non loin du puits Parthénien, où puisaient les citoyens, à l’ombre, car un olivier touffu croissait au-dessus d’elle. Et elle était semblable à une très vieille femme privée du pouvoir d’enfanter et des dons d’Aphrodite qui aime les couronnes. Telles sont les nourrices des fils des Rois qui gardent la justice, ou leurs intendantes, dans les demeures sonores.

Et les filles de l’Eleusinien Kéléos la virent, en venant puiser de l’eau pour la porter, dans des urnes d’airain, aux chères demeures de leur père. Et elles étaient quatre, telles que des Déesses, ornées de la fleur de la jeunesse, Kallidikè, Kleisidikè, la belle Dêmô et Kallithoè qui était l’aînée de toutes. Et elles ne la reconnurent pas. En effet, les Dieux sont peu aisément manifestes aux mortels. Et, s’approchant d’elle, elles lui dirent ces paroles ailées :

— Qui es-tu et d’où viens-tu, vieille femme, contemporaine des anciens hommes ? Pourquoi restes-tu loin de la ville et n’approches-tu point des demeures ? Là, dans nos demeures pleines d’ombre, des femmes de ton âge et d’autres plus jeunes t’accueilleront avec bienveillance, en paroles et en actions.

Elles parlèrent ainsi, et la vénérable Déesse leur répondit :

— Chères enfants, qui que vous soyez parmi les faibles femmes, salut ! Je vous parlerai, car il est juste de vous dire la vérité à vous qui m’interrogez. Dèô est mon nom, et ma mère vénérable me l’a donné. Je viens maintenant de la Krètè, sur le large dos de la mer, non volontairement, car des pirates m’en ont enlevée par la violence. Puis, ils menèrent leur nef rapide à Thorikos, où toutes les femmes descendirent en foule à terre, et ils préparèrent eux-mêmes leur repas auprès des câbles de la nef. Mais je n’avais point le désir du doux repas, et, m’élançant à la dérobée à travers la noire terre ferme, j’ai fui ces maîtres insolents, de peur que, ne m’ayant pas achetée, ils me vendissent et eussent un prix de moi. Et je suis venue ici en errant, et je ne sais quelle est cette terre et quels sont ceux qui l’habitent. Pour vous, que les Dieux qui ont des demeures Olympiennes vous accordent de jeunes maris et des enfants tels qu’en souhaitent des parents ! Mais, ayez pitié de moi, jeunes Vierges ! chères filles, soyez-moi bienveillantes, jusqu’à ce que j’arrive à la demeure d’un homme ou d’une femme pour qui je travaillerai volontiers, selon ce que peut faire une vieille femme. Je porterais dans mes bras et je nourrirais bien un enfant nouveau-né, ou je garderais la demeure, ou je dresserais le lit des maîtres au fond de la chambre nuptiale, ou j’enseignerais leurs travaux aux femmes.

La Déesse parla ainsi, et, aussitôt, la vierge Kallidikè, la plus belle des filles de Kéléos, lui répondit :

— Mère, nous subissons, quelque pénibles qu’ils soient, les présents des Dieux, car ceux-ci sont de beaucoup les plus puissants. Mais je t’instruirai entièrement et je te nommerai les hommes qui ont ici le plus de pouvoir, et qui dominent parmi le peuple, et qui gardent les murailles de la ville par leur sagesse et leurs jugements équitables : le prudent Triptolémos, Dioklès, Polyxeinos, l’irréprochable Eumolpos, Dolikhos, et notre brave père ; et les femmes de tous ces héros prennent soin de leurs demeures. Aucune d’elles, en te voyant, ne méprisera ta beauté et ne te chassera de sa demeure ; mais toutes t’accueilleront, car tu es semblable à une Déesse. Mais, si tu le préfères, reste, pendant que nous irons à la demeure de notre père. Et nous dirons tout à notre mère Métaneirè à la large ceinture, et elle ordonnera peut-être que tu viennes à notre demeure, sans en chercher une autre. Un fils engendré dans leur vieillesse, né tard, très désiré et très aimé, est nourri dans la solide demeure intérieure. Si tu le nourrissais et qu’il pût atteindre à la puberté, toutes les femmes t’envieraient, tant il ferait de présents à sa nourrice.

Elle parla ainsi, et Dèmètèr consentit par un signe de tête. Et les jeunes filles remportèrent fièrement les vases éclatants pleins d’eau. Et elles parvinrent promptement à la grande demeure de leur père et dirent aussitôt à leur mère ce qu’elles avaient vu et entendu. Et celle-ci leur ordonna de retourner et de l’engager pour un grand salaire.

Et les jeunes filles, comme des biches ou des génisses qui, au printemps, sautent dans les prairies, rassasiées de pâturage, relevant les plis de leurs belles robes, se hâtèrent vers le chemin creusé par les chars, et leurs cheveux, semblables au safran en fleur, flottaient autour de leurs épaules.

Et elles trouvèrent l’illustre Déesse au bord de la route, là où elles l’avaient laissée, et elles la conduisirent aux chères demeures de leur père. Et Dèmètèr, affligée au fond du cœur, marchait derrière, la tête voilée ; et le péplos bleu flottait autour des pieds légers de la Déesse.

Et elles arrivèrent bientôt aux demeures de Kéléos nourrisson de Zeus, et elles traversèrent le portique où leur mère vénérable était assise auprès de la porte de la salle bien construite, ayant au sein son petit enfant nouveau-né, et les jeunes filles coururent à elle.

Mais la Déesse franchit le seuil, et voici que sa tête atteignit la poutre du toit, et qu’elle emplit les portes d’une splendeur divine. Et la terreur respectueuse et l’admiration saisirent Métaneirè, et elle lui donna son siège et lui ordonna de s’asseoir. Mais Dèmètèr, dispensatrice des saisons et des présents splendides, ne voulut point s’asseoir sur le siège éclatant, et elle resta muette, baissant ses beaux yeux, jusqu’à ce que la sage Iambè eût approché pour elle un siège solide qu’elle recouvrit d’une peau blanche.

Dèmètèr, s’étant assise, ramena de ses mains le voile de ses cheveux et resta ainsi muette de douleur sans dire un mot, sans geste, sans sourire, ne mangeant ni ne buvant ; mais elle resta assise, pleine du regret de sa fille à la belle ceinture, jusqu’à ce que la sage Iambè, qui, plus tard, lui plut par sa gaieté, ayant excité la Déesse vénérable par beaucoup de plaisanteries, l’eût amenée à rire doucement et à réjouir son âme.

Et Métaneirè lui offrit une coupe pleine de vin doux ; mais elle la refusa, disant qu’il ne lui était point permis de boire le vin rouge, et elle demanda qu’on lui donnât à boire de l’eau mêlée de farine et de pouliot broyé. Et Métaneirè, ayant fait ce mélange, l’offrit à la Déesse, comme elle l’avait demandé ; et la vénérable Dèmètèr, l’ayant accepté, accomplit la libation sacrée. Et, alors, Métaneirè à la belle ceinture lui dit :

— Salut, femme ! Je ne pense pas, en effet, que tu descendes de parents vils, et sans doute ils sont excellents, car la pudeur et la grâce brillent dans tes yeux, telles que dans ceux des Rois qui gardent la justice ; mais il nous faut subir les présents des Dieux, quelque pénibles qu’ils soient, car leur joug est sur notre cou. Maintenant, puisque tu es venue ici, tu auras les mêmes dons qui m’ont été faits. Nourris cet enfant engendré tardivement et inespéré. Les Dieux me l’ont donné, et il était très désiré par moi. Si tu le nourrissais, et qu’il pût atteindre à la puberté, toutes les femmes t’aimeraient, tant il ferait de présents à sa nourrice.

Et Dèmètèr à la belle couronne lui répondit :

— Et toi, femme, je te salue aussi ; que les Dieux te comblent de biens ! Je prendrai volontiers ton fils, comme tu me l’ordonnes, et je le nourrirai, et j’espère que, par les soins de sa nourrice, il sera préservé des incantations et des herbes magiques. Je connais, en effet, un remède très puissant à l’herbe magique, et je sais aussi un remède excellent aux incantations funestes.

Ayant ainsi parlé, elle prit l’enfant, de ses mains immortelles, sur son sein parfumé, et la mère fut joyeuse dans son cœur.

Et, ainsi, Dèmètèr nourrit dans les demeures le fils illustre du prudent Kéléos, Dèmophoôn, qu’avait enfanté Métaneirè à la belle ceinture ; et celui-ci grandit, semblable à un Dieu, sans manger de pain et sans être allaité. Et Dèmètèr l’oignait d’ambroisie, et, le portant sur son sein, elle soufflait doucement sur lui comme sur l’enfant d’un Dieu. La nuit, elle l’enveloppait de la force du feu tel qu’une torche, à l’insu de ses chers parents, et il semblait merveilleux à ceux-ci de le voir grandir avec tant de vigueur, ayant l’aspect d’un Dieu. Et la Déesse l’eût mis à l’abri de la vieillesse et rendu immortel sans l’imprudence de Métaneirè à la belle ceinture, qui, observant, une nuit, vit de sa chambre nuptiale parfumée. Et elle jeta un cri, frappant ses deux cuisses et craignant pour son fils. Et une grande faute troubla son esprit, et, se lamentant, elle dit ces paroles ailées :

— Mon enfant Dèmophoôn, l’Etrangère t’enveloppe d’un grand feu, et elle me prépare la douleur et les peines amères !

Elle parla ainsi en gémissant, et la noble Déesse l’entendit. Et Dèmètèr à la belle couronne, irritée contre elle, ayant retiré du feu, de ses mains immortelles, le cher fils que Métaneirè avait enfanté, inespéré, dans ses demeures, le déposa à terre loin d’elle, et, enflammée d’une très violente colère, elle dit à Métaneirè à la belle ceinture :

— Hommes ignorants et insensés ! impuissants à prévoir le bien ou le mal ! Tu as commis une grande faute par ta folie, car j’atteste, et ceci contraint les Dieux, j’atteste l’Eau inexorable de Styx ! J’aurais mis ton cher fils à l’abri de la vieillesse, et je l’aurais rendu immortel, et je l’aurais comblé d’honneurs sans fin. Mais voici qu’il ne lui est plus permis d’échapper à la mort et aux Kères terribles. Cependant, il sera toujours honoré, car il a été reçu sur mes genoux, et il a dormi dans mes bras. Mais, dans le cours des temps, après les années révolues, et après lui, les fils des Eleusiniens seront à jamais en guerre les uns contre les autres. Et moi, je suis Dèmètèr très honorée, joie et grande richesse pour les Immortels et les mortels. Mais allons ! Que tout le peuple me bâtisse un grand temple, et un autel dans ce temple, sous la haute muraille de la ville, sur le Kallikhoros et la colline élevée. Et, moi-même, je vous enseignerai mes Orgies, afin qu’à l’avenir vous me sacrifiiez selon le rite et que vous apaisiez mon esprit.

Ayant ainsi parlé, la Déesse changea de stature et de forme, et elle rejeta la vieillesse, et la beauté respira autour d’elle, et une douce odeur s’exhala de son péplos parfumé, et la lumière jaillit du corps immortel de la Déesse, et ses cheveux roux flottèrent sur ses épaules, et la solide demeure s’emplit de splendeur autant que par la foudre, et Dèmètèr sortit des demeures.

Mais les genoux de Métaneirè furent rompus, et elle resta longtemps muette, ne se souvenant pas de relever du pavé son fils engendré tardivement. Et ses sœurs, entendant sa voix lamentable, sautèrent de leurs lits bien construits. L’une releva l’enfant de ses mains et le mit sur son sein, et l’autre alluma le feu, et une autre courut de ses pieds délicats, afin d’éveiller sa mère dans la chambre nuptiale. Et toutes, rassemblées, lavèrent l’enfant palpitant, en l’embrassant avec tendresse ; mais son cœur n’était point apaisé, car des nourrices inférieures à Dèmètèr le tenaient dans leurs bras. Et, pendant toute la nuit, frappées de terreur, elles apaisèrent la Déesse vénérable. Puis, aux premières lueurs d’Eôs, elles racontèrent la vérité au puissant Kéléos et elles lui dirent les choses qu’avait ordonnées la Déesse Dèmètèr à la belle couronne. Et Kéléos, convoquant la multitude diverse du peuple à l’agora, ordonna de bâtir à Dèmètèr aux beaux cheveux un temple magnifique et un autel sur la haute colline. Et tous obéirent aussitôt à ses ordres et construisirent, comme il l’avait ordonné, le temple qui s’éleva rapidement par une volonté divine. Et, l’ayant achevé, ils cessèrent leur travail, et chacun retourna dans sa demeure.

Et la blonde Dèmètèr se retira là, loin de tous les Bienheureux, consumée par le regret de sa fille à la riche ceinture. Et elle infligea aux hommes, sur la terre nourricière, une année très amère et très cruelle ; et la terre ne produisit aucune semence, car Dèmètèr à la belle couronne les avait cachées toutes. Et les bœufs traînèrent dans les champs beaucoup de vaines charrues recourbées, et il tomba inutilement sur la terre beaucoup d’orge blanche. Certes, alors, toute la race des hommes qui parlent eût péri par la faim cruelle, privant ceux qui ont des demeures Olympiennes de l’honneur des dons et des sacrifices, si Zeus n’y eût songé et n’eût délibéré dans son esprit. Et il envoya d’abord Iris aux ailes d’or appeler Dèmètèr aux beaux cheveux et à la beauté parfaite. Il parla, et Iris obéit à Zeùs Kroniôn qui amasse les nuées, et, de ses pieds, elle parcourut rapidement l’espace. Et elle arriva dans la ville parfumée d’Eleusis, et elle trouva dans le temple Dèmètèr au péplos bleu ; et, l’appelant, elle lui dit ces paroles ailées :

— Dèmètèr, le Père Zeus qui sait les choses qui s’accompliront t’appelle afin que tu viennes vers les tribus des Dieux qui vivent toujours. C’est pourquoi, viens, et que l’ordre de Zeus, que je t’apporte, ne soit pas vain.

Elle parla ainsi en suppliant, mais le cœur de Dèmètèr ne fut point fléchi. Et Zeus lui envoya de nouveau tous les Dieux heureux qui vivent toujours, et ceux-ci l’appelèrent les uns après les autres, et ils lui firent d’illustres et nombreux présents, et ils lui offrirent tous les honneurs qu’elle voudrait posséder parmi les Dieux immortels ; mais aucun ne put fléchir le cœur et la volonté de Dèmètèr très irritée, et elle rejeta obstinément leurs offres, et elle refusa de jamais remonter dans l’Olympos parfumé et de faire produire la terre, avant d’avoir vu de ses yeux sa fille aux beaux yeux.

Et après que le retentissant Zeus qui regarde au loin eut entendu ces paroles, il envoya dans l’Erébos le Tueur d’Argos à la baguette d’or, pour exhorter Aidés par de flatteuses paroles, et pour que celui-ci laissât la chaste Perséphonéia revenir à la lumière, vers les Dieux, du fond des noires ténèbres, afin que sa mère, l’ayant vue de ses yeux, déposât sa colère.

Hermès ne refusa point d’obéir, et, laissant l’Olympos, il s’enfonça, rapide, dans les profondeurs de la terre. Et il trouva le Roi dans ses demeures, assis sur un lit avec sa femme vénérable, attristée par le regret de sa mère qui, à cause des actions intolérables des Dieux heureux, persistait dans sa ferme volonté. Et le puissant Tueur d’Argos, se tenant près d’eux, leur parla ainsi :

— Aidés aux cheveux bleus, qui commandes aux Ombres, le Père Zeus m’a ordonné de ramener l’illustre Perséphonéia de l’Erébos vers les Dieux, afin que sa mère, la voyant de ses yeux, mette fin à sa colère et à sa vengeance contre les Immortels, car elle médite un dessein terrible, et elle veut perdre la race misérable des hommes nés de la terre, en dérobant toutes les semences et en détruisant ainsi les honneurs des Immortels. Elle ressent une colère terrible, et elle ne se mêle point aux Dieux ; mais elle est assise à l’écart, en un temple parfumé, dans la ville escarpée d’Eleusis.

Il parla ainsi, et le Roi des Morts, Aidôneus, sourit en remuant ses sourcils, et il ne négligea point l’ordre du Roi Zeus, et, aussitôt, il commanda ainsi à la prudente Perséphonéia :

— Va, Perséphonè, vers ta mère au péplos bleu, emportant dans ta poitrine un cœur bienveillant, et ne t’afflige point par-dessus toutes les autres femmes. Je ne serai point un mari indigne de toi parmi les Immortels, étant le frère du Père Zeus. Mais, quand tu reviendras ici, tu domineras sur tout ce qui vit et se meut, et tu jouiras des plus grands honneurs parmi les Immortels ; et le châtiment des hommes iniques sera éternel, s’ils n’apaisent point ton esprit par des victimes, en te sacrifiant selon le rite et en te faisant de légitimes présents.

Il parla ainsi, et la prudente Perséphonéia se réjouit, et, aussitôt, elle sauta de joie. Et il lui donna, à part, des grains de grenade, douce nourriture qu’il lui fit manger à la dérobée, afin qu’elle ne restât pas toujours auprès de Dèmètèr au péplos bleu. Puis, Aidôneus, qui commande à beaucoup, lia à un char d’or ses chevaux immortels. Et Perséphonéia monta sur le char, et, auprès d’elle, le puissant Tueur d’Argos, saisissant de ses mains les rênes et le fouet, poussa les chevaux à travers les demeures, et ceux-ci ne volaient point lentement. Et ils accomplirent rapidement la longue route, et, ni la mer, ni l’eau des fleuves, ni les vallées pleines d’herbe, ni les sommets ne retardèrent l’impétuosité des chevaux immortels, car ils volaient par-dessus, fendant la nuée épaisse.

Et le conducteur arrêta le char là où était Dèmètèr à la belle couronne, devant le temple parfumé. Et dès que celle-ci eut vu, elle bondit comme une Mainas à travers la forêt touffue de la montagne.

Et Perséphonéia, de son côté… (lacune)

au-devant de sa mère… (lacune)

bondit, afin de courir… (lacune)

mais à elle… (lacune)

a… (lacune)

— Enfant, n’as-tu rien…(lacune)

de nourriture ? Parle…(lacune)

En effet, revenant ainsi…(lacune)

et tu habiteras avec moi et avec le Père Kroniôn qui amasse les nuées, honorée par tous les Immortels. Mais si tu as goûté ceci, tu retourneras sous les profondeurs de la terre et tu y resteras la troisième partie de l’année, et, les deux autres parties, auprès de moi et des Immortels. Et quand la terre s’ornera de toutes les fleurs parfumées du printemps, alors tu remonteras de nouveau des épaisses ténèbres, comme un grand prodige pour les Dieux et les hommes mortels. Mais par quelle ruse le puissant Aidôneus t’a-t-il trompée ?

Et la très belle Perséphonè lui répondit :

— Certes, ma mère, je te dirai toute la vérité. Quand Hermès, très utile et messager rapide, vint envoyé par le Père Kronide et les autres Ouraniens, afin que je sortisse de l’Erébos, et que, m’ayant vue de tes yeux, tu misses fin à ta colère et à ta vengeance terrible contre les Immortels, aussitôt je sautai de joie. Mais Aidôneus me fit manger à la dérobée des grains de grenade, douce nourriture, et il me força d’en goûter. Et je te dirai, et je te raconterai entièrement, ainsi que tu le demandes, comment Aidôneus, m’ayant enlevée, m’emporta dans les profondeurs de la terre, par la volonté de mon père Kronide. Toutes, dans une molle prairie, Leukippè, Phainô, Elektrè, Ianthè, Mélitè, Iakhè, Rhodéia, Kalliroè, Mélobosis, Tykhè, Okyroè à la peau rosée, Khrysèis, Ianeira, Akastè, Admètè, Rhodopè, Ploutô, la charmante Kalypsô, Styx, Ouraniè, Galaxaurè, Pallas qui excite aux combats, et Artémis qui se réjouit de ses flèches, nous jouions et nous cueillions de nos mains des fleurs charmantes, mêlant le safran, les glaïeuls, l’hyacinthe, des boutons de rose et des lys. Et la vaste terre produisit là, tel qu’un safran, une chose admirable, un narcisse. Et je le cueillais en me réjouissant, quand la terre s’entr’ouvrit, et le puissant Aidôneus s’en élança et il m’emporta sous terre sur son char d’or, malgré mes efforts et mes hautes clameurs. Et, bien que triste, je te dis la vérité en toutes ces choses.

Ainsi, pendant le jour, unies par les mêmes pensées, elles charmèrent tour à tour leur âme et leur cœur, s’embrassant avec tendresse. Et leur douleur s’apaisa, et elles se firent l’une à l’autre de joyeux présents. Et Hékatè aux brillantes bandelettes s’approcha d’elles, et elle fit beaucoup de caresses à la chaste fille de Dèmètèr, parce que la Reine l’avait accompagnée et suivie.

Mais le retentissant Zeus qui regarde au loin envoya Rhéiè aux beaux cheveux afin qu’elle ramenât Dèmètèr au péplos bleu parmi les tribus des Dieux. Et il promit de lui accorder tous les honneurs qu’elle souhaiterait parmi les Dieux immortels, et il lui promit aussi, par un signe de tête, que sa fille, ne restant que la troisième partie de l’année sous les ténèbres épaisses, resterait, les deux autres parties, auprès de sa mère et des autres Immortels.

Zeus ayant parlé ainsi, la Déesse ne désobéit point à ses ordres ; et, aussitôt, s’élançant des sommets de l’Olympos, elle vint dans Rarios, auparavant féconde mamelle de la terre, mais maintenant stérile, muet, privé de feuilles, et dérobant l’orge blanche par la volonté de Dèmètèr aux beaux talons. Mais elle devait bientôt fleurir de longs épis, au retour du printemps, et hérisser les gras sillons de moissons qu’on lierait en gerbes. La Déesse descendit là, d’abord, de l’Aithèr sans fin. Et toutes deux se regardèrent avec bienveillance et furent joyeuses dans leur cœur. Et Rhèiè aux brillantes bandelettes lui parla ainsi :

— Viens, enfant ! Le retentissant Zeus qui regarde au loin t’appelle afin que tu viennes vers les tribus des Dieux, et il a promis qu’il t’accorderait tous les honneurs que tu souhaiterais parmi les Dieux immortels, et il a promis aussi, par un signe de tête, que ta fille, ne restant que la troisième partie de l’année sous les ténèbres épaisses, resterait les deux autres parties auprès de toi et des autres Dieux. C’est pourquoi, viens, mon enfant, et obéis, et ne sois pas irritée immodérément contre le Kroniôn qui amasse les nuées ; mais, aussitôt, multiplie les fruits qui font vivre les hommes.

Elle parla ainsi, et Dèmètèr à la belle couronne ne s’y refusa pas, et, aussitôt, elle produisit les fruits des champs fertiles. Et toute la vaste terre se hérissa de feuilles et de fleurs ; et Dèmètèr, en partant, instruisit les Rois qui rendent la justice : Triptolémos, et Dioklès dompteur de chevaux, et la force d’Eumolpos, et le chef des peuples Kéléos. Et elle les instruisit du ministère sacré, et elle les initia tous, Triptolémos, Polyxeinos, et surtout Dioklès, à ses orgies sacrées qu’il n’est permis ni de négliger, ni de sonder, ni de révéler, car le grand respect des Dieux réprime la voix. Heureux qui est instruit de ces choses parmi les hommes terrestres ! Celui qui n’est point initié aux choses sacrées et qui n’y participe point ne jouit jamais d’une semblable destinée, même mort, sous les ténèbres épaisses.

Après que la noble Déesse eut tout enseigné, elles se hâtèrent toutes deux d’aller vers l’Olympos et l’assemblée des autres Dieux. Là, elles habitent auprès de Zeus qui se réjouit de la foudre, sacrées et vénérables. Et il est très heureux celui des hommes terrestres qu’elles aiment ! Car, aussitôt, elles lui envoient afin qu’il soit toujours présent dans sa grande demeure, Ploutos qui dispense les richesses aux hommes mortels.

Et toi qui possèdes la contrée d’Eleusis parfumée, et Paros entourée des flots, et la rocheuse Antrôn, Vénérable, aux riches présents, qui amènes les saisons, Reine Dèmètèr! toi et ta fille, la très belle Perséphonéia, accordez-moi, à cause de ce chant, une vie heureuse ! Et moi, je me souviendrai de vous et des autres chants.

Je chanterai d’abord Cérès à la belle chevelure, déesse vénérable, et sa fille légère à la course, jadis enlevée par Pluton. Jupiter, roi de la foudre, la lui accorda lorsque, loin de sa mère au glaive d’or, déesse des jaunes moissons, jouant avec les jeunes filles de l’Océan, vêtues de flottantes tuniques, elle cherchait des fleurs dans une molle prairie et cueillait la rose, le safran, les douces violettes, l’iris, l’hyacinthe et le narcisse. Par les conseils de Jupiter, pour séduire cette aimable vierge, la terre, favorable à l’avare Pluton, fit naître le narcisse, cette plante charmante qu’admirent également les hommes et les Immortels : de sa racine s’élèvent cent fleurs ; le vaste ciel, la terre féconde et les flots de la mer sourient à ses doux parfums. La déesse enchantée arrache de ses deux mains ce précieux ornement ; aussitôt la terre s’entrouvre dans le champ nysien, et le fils de Saturne, le roi Pluton, s’élance porté par ses chevaux immortels. Le dieu saisit la jeune vierge malgré ses gémissements et l’enlève dans un char étincelant d’or. Cependant elle pousse de grands cris en implorant son père, Jupiter, le premier et le plus puissant des dieux : aucun Immortel, aucun homme, aucune de ses compagnes n’entendit sa voix. Mais la fille prudente de Perséus, Hécate au long voile, l’entendit du fond de son antre, et le Soleil, fils brillant d’Hypérion, entendit aussi la jeune fille implorant son père Jupiter : en cet instant, le Soleil, éloigné de tous les dieux, recevait dans son temple les sacrifices somptueux des faibles mortels.

Ainsi, du consentement de Jupiter, Pluton, qui dompte tout, fils renommé de Saturne, porté par ses immortels coursiers, entraînait cette jeune fille malgré sa résistance et quoiqu’il fût son oncle paternel. Tant qu’elle aperçut encore la terre, le ciel étoilé, la vaste mer et quelques rayons du soleil, elle espéra que sa mère vénérable ou quelqu’un des dieux immortels pourrait l’entrevoir. Cette espérance inspirait du calme à sa grande âme, quoique accablée de tristesse. Les montagnes jusques à leur sommet, la mer jusque dans ses profondeurs, retentissaient des éclats de sa voix divine. Son auguste mère l’entendit. Une vive douleur descend aussitôt dans son âme, de ses deux mains elle déchire les bandelettes autour de ses cheveux divins ; elle revêt ses épaules d’un manteau d’azur, et, comme l’oiseau, s’élève impatiente sur la terre et sur les mers. Mais aucun dieu, aucun homme ne voulut lui dire la vérité ; le vol d’aucun oiseau ne put la guider par un augure certain. Pendant neuf jours la vénérable Cérès parcourut la terre, portant dans ses mains des torches allumées : absorbée dans la douleur, elle ne goûta durant ce temps ni l’ambroisie ni le nectar, elle ne plongea point son corps dans le bain. Mais lorsque brilla la dixième aurore, Hécate, un flambeau dans les mains, se présenta devant elle et lui dit ces paroles :

"Auguste Cérès, déesse des saisons et des moissons, lequel des dieux ou des mortels a donc enlevé Proserpine et rempli ainsi votre âme de chagrins ? Je viens d’entendre sa voix ; mais je n’ai pu apercevoir quel était le ravisseur."

Ainsi dit Hécate. Cérès, la fille de Rhée, ne répond point à ce discours, mais elle s’éloigne avec la déesse en tenant dans ses mains les torches allumées. Toutes deux se rendent auprès du Soleil, observateur des dieux et des hommes. Arrivées devant ses coursiers, elles s’arrêtent, et Cérès l’interroge par ces paroles :

"Soleil ! si jamais mes actions ou mes discours ont pu vous réjouir, traitez-moi comme une déesse, prenez pitié de ma douleur. J’ai entendu dans les airs la voix et les plaintes de la fille que j’ai enfantée, tendre fleur, admirablement belle : il m’a semblé que quelque audacieux lui faisait violence, et mes yeux n’ont pu la découvrir ; mais vous qui du haut des cieux éclairez de vos rayons et la terre et les mers, dites-moi avec sincérité, divinité chérie, si vous avec découvert quelque chose et quel est celui des dieux ou des hommes qui a saisi ma fille avec violence et l’a enlevée loin de moi."

Elle dit. Le fils d’Hypérion lui répondit alors en ces mots :

"Fille de Rhée à la belle chevelure, puissante Cérès, vous connaîtrez la vérité : je vous honore et je prends pitié des peines que vous ressentez de la perte de votre fille chérie. Aucun des Immortels n’a causé votre malheur, si ce n’est Jupiter, dieu des nuages, qui permit à Pluton de nommer votre fille sa tendre épouse, quoique son oncle paternel. Ce dieu a enlevé la jeune vierge et malgré ses cris l’a conduite avec ses coursiers au sein des ténèbres éternelles. Ô déesse ! calmez votre grande douleur ; ne livrez pas inutilement votre âme à la colère indomptable. Pluton, roi puissant entre tous les dieux n’est point indigne d’être votre gendre : oncle paternel de votre fille, il est du même sang que vous ; un grand honneur lui est échu lorsque, dans le principe, les trois parts furent faites ; maintenant il habite avec ceux sur lesquels il lui fut accordé de régner."

En achevant ces mots, il excite ses coursiers. Eux, s’élançant à sa voix, emportent facilement le char léger, comme des oiseaux rapides aux ailes étendues. Cependant Cérès s’abandonne à une douleur plus vive et plus profonde. Irritée contre le fis de Saturne, elle s’éloigne pour longtemps de l’assemblée des dieux et du vaste Olympe ; puis, après avoir changé de forme, elle parcourt, les villes et les champs fertiles des mortels. Aucun homme, aucune femme aux larges tuniques ne la reconnut en la voyant, avant qu’elle fût venue dans la maison du vaillant Céléus, qui régnait alors dans la ville parfumée d’Éleusis.

Le coeur plein de tristesse, elle s’assied sur les bords de la route, près du puits Parthénius, où les citoyens venaient se désaltérer. Elle se tient à l’ombre d’un olivier touffu, sous les traits d’une femme figée, privée des faveurs de Vénus, comme sont les nourrices des enfants des rois qui rendent la justice et les intendantes des palais aux voûtes sonores. Les filles de Céléus, venant puiser l’eau jaillissante pour la porter dans les vases d’airain au palais de leur père, l’aperçurent assise. Elles étaient quatre, belles comme des divinités et éblouissantes de jeunesse : Callidice, Disidice, l’aimable Démo et Callithoë, l’aînée de toutes. Elles ne reconnaissent point Cérès : il est difficile aux mortels de reconnaître les dieux ; elles abordent la déesse et font entendre ces paroles :

"Bonne femme, quels peuples anciens venez vous de quitter ? Pourquoi vous éloigner de la ville et ne pas venir dans nos demeures ? Là, dans nos palais ombragés, sont des femmes de votre âge ; il en est aussi de plus jeunes : elles vous accueilleraient avec amitié ; leurs discours et leurs paroles seraient pour vous remplis de bienveillance."

Elles parlèrent ainsi. L’auguste déesse répondit en ces mots :

"Mes enfants, quelque rang que vous occupiez parmi les femmes, soyez heureuses ; je vais vous répondre : nous devons parler sincèrement à ceux qui nous interrogent. Mon nom est Déo ; je l’ai reçu de ma mère vénérable. Maintenant j’arrive, malgré moi, de la Crète portée sur le vaste dos de la mer. Des pirates m’ont enlevée avec violence ; puis leur navire a abordé à Thorice, où plusieurs captives sont descendues sur la plage, tandis que les nautoniers préparaient le repas du soir près du vaisseau amarré. Pour moi, qui n’avais aucun désir de prendre la douce nourriture, je me suis échappée furtivement le long du rivage, j’ai fui ces maîtres insolents qui voulaient me vendre à un grand prix quoiqu’ils m’eussent obtenue sans rançon. Mes courses errantes m’ont amenée jusqu’en ces lieux. J’ignore quel est ce pays, quels sont les hommes qui l’habitent. Quant à vous, puissent les dieux qui règnent dans l’Olympe vous accorder d’être unies bientôt à de jeunes époux et de donner le jour à des enfants salon vos désirs ! Cependant prenez pitié de moi, jeunes filles ; ayez de la bienveillance pour moi, enfants chéris, jusqu’à ce que j’arrive dans la maison d’un homme ou d’une femme où je remplirai avec plaisir tous les devoirs qui conviennent à une femme âgée : je porterai dans mes bras un enfant nouveau-né, je l’élèverai avec soin et j’aurai la garde de la maison ; ou bien, dans l’intérieur de la chambre, je préparerai le lit des maîtres, et j’enseignerai leurs tâches aux femmes. "

Voilà ce que dit Cérès. Alors une de ces jeunes vierges, Calladice, la plus belle fille de Céléus, lui répondit en ces termes :

"Ô ma mère! toutes nos peines, quelque grandes qu’elles soient, il faut les supporter, puisque les dieux nous les envoient : leur puissance est plus grande que la nôtre. Je vous indiquerai tous les hommes qui tiennent ici le premier rang dans le pouvoir, qui sont grands parmi le peuple et dont la prudence et la justice protègent les murs de la cité. Voici la demeure du sage Triptolème, celle de Dioclée, celle de Polyxène, celle de l’irréprochables Eumolpe, celle de Dolichus et celle de notre généreux père. Les épouses de ces héros veillent avec soin dans leurs maisons : à peine vous auront-elles vue qu’elles vous accueilleront toutes ; aucune ne méprisera votre extérieur ; aucune ne vous éloignera de son foyer, car vous ressemblez à une divinité. Mais si vous voulez, attendez ici, nous irons dans le palais de mon père, nous raconterons fidèlement cette aventure à notre mère, la vénérable Métanire ; et si la reine nous ordonne de vous conduire dans notre maison, vous n’aurez plus à chercher un autre asile. Ce palais renferme un fils que mes parents ont eu dans leur vieillesse, jeune enfant qu’ils désiraient de toute l’ardeur de leur âme et qu’ils chérissent avec tendresse : si vous l’élevez et qu’il atteigne heureusement son adolescence, vous serez récompensée des soins donnés à son enfance si richement que toutes les femmes en vous voyant envieront votre sort."

Telles furent les paroles de la fille de Celéus. Cérès fait un signe de tête pour approuver ce dessein. Aussitôt les jeunes tilles emportent les vases brillants qu’elles ont remplis d’eau ; elles arrivent à la maison paternelle et racontent à leur mère tout ce qu’elles ont vu, tout ce qu’elles ont entendu. Métanire aussitôt leur commande d’appeler cette femme et de lui promettre de sa part de riches salaires. Pareilles à de jeunes biches, ou plutôt à des génisses rassasiées du pâturage qui bondissent sur la prairie durant la saison du printemps, les jeunes filles s’élancent en retenant les plis de leurs robes sur la route sillonnée par les chars ; leur chevelure, semblable à la fleur du safran, flottait en longues boucles sur leurs épaules.

Elles retrouvent la déesse toujours assise au bord du chemin où peu de temps auparavant elles l’avaient laissée ; elles lui servent de guides pour la conduire dans la maison de leur père. Cérès les suivait le cœur inondé de chagrin et la tête couverte ; son voile bleu descendait jusqu’à ses pieds. Elles arrivent ainsi au palais de Céléus. Leur vénérable mère était assise tout près de la porte solide, tenant son jeune enfant, tendre fleur qui reposait sur son sein : ses filles, empressées, accourent autour d’elle. Cependant la déesse franchit le seuil ; sa tête touche aux poutres de la salle et fait resplendir un éclat divin à travers les portes. Alors la surprise et la pâle crainte s’emparent de la reine ; elle lui offre son siège, elle l’engage à s’asseoir ; mais Cérès, déesse des saisons et des moissons, ne veut point se reposer sur ce trône éclatant, elle reste silencieuse et tient ses beaux yeux baissés jusqu’à ce que la sage Iambé lui présente un siège qu’elle couvre d’une blanche peau de brebis. Là elle s’assied et de ses mains elle retient son voile. Triste, elle resta longtemps sur son siège, ne disant rien, n’interrogeant ni de la voix ni du geste, mais immobile dans sa douleur, sans prendre ni breuvage ni nourriture, et le cœur consumé de tristesse par le désir qu’elle avait de revoir sa fille à la flottante tunique.

Enfin la sage Iambé, s’abandonnant à mille paroles joyeuses, parvint à distraire l’auguste déesse, la fit doucement sourire et répandit le calme dans son âme. Les aimables saillies de cette jeune fille la lui rendirent dans la suite toujours plus chère. Alors Métanire lui présente une coupe remplie d’un vin délicieux. Elle le refuse, disant qu’il ne lui est pas permis de boire du vin ; mais elle demande qu’on lui donne à boire de l’eau mêlée avec de la farine dans laquelle on broierait un peu de menthe. Métanire alors prépare ce breuvage et le lui présente comme elle le désire. L’auguste Déo accepte par grâce, et Métanire commence l’entretien en ces termes :

"Salut, étrangère. Je ne puis croire que vous soyez issue de parents obscurs : vous êtes certainement née de héros illustres ; vos yeux sont resplendissants de grâce et de pudeur comme ceux des rois qui rendent la justice. Quelles que soient nos peines, il faut savoir les supporter parce qu’elles nous viennent des dieux : c’est le joug qui pèse sur notre tête. Puisque vous êtes arrivée en ces lieux, vous prendrez part à tous les biens que je possède. Ayez soin de ce fils que les Immortels m’ont accordé dans ma vieillesse à l’instant où je ne l’espérais plus ; ce fils, objet de tous mes vœux et de tous mes désirs, si vous l’élevez avec soin et qu’il arrive heureusement aux jours de la jeunesse, toutes les femmes qui vous verront porteront envie à votre sort, tant vous serez récompensée des soins prodigués à mon enfant."

- Et vous aussi, grande reine, je vous salue, lui répond Cérès, et que les dieux vous comblent de joie ! Oui, je recevrai votre fils comme vous le commandez et je l’environnerai de tels soins que jamais maléfice dangereux, jamais plante mauvaise, ne pourront le troubler. D’ailleurs je sais un remède plus puissant que toutes les plantes coupées dans les forêts, je sais un préservatif infaillible contre les sortilèges."

À peine Cérès a-t-elle prononcé de telles paroles qu’elle prend l’enfant dans ses mains immortelles et le suspend à son sein parfumé. La mère en avait le cœur réjoui. C’est ainsi qu’elle élève dans le palais le fils de Céléus, Démophon, qu’enfanta la belle Métanire. Il croissait, beau comme un dieu, ne se nourrissant pas de pain, ne mangeant pas de lait. Cérès le frottait d’ambroisie, comme le fils d’un Immortel, l’animait de son souffle et le portait sur son sein. Pendant la nuit, à l’insu de ses parents, elle le couchait, comme un tison, dans un ardent foyer. Tous s’étonnaient de le voir ainsi croître en vigueur et se développer semblable aux dieux. Sans nul doute la déesse serait parvenue à l’affranchir de la vieillesse et de la mort sans l’imprudence de Métanire. Durant la nuit, elle observa Cérès et l’aperçut de sa chambre parfumée. Elle poussa aussitôt un grand cri, elle se frappa les deux cuisses, et son âme tremblante pour l’enfant fut agitée d’une grande colère. Alors dans sa douleur elle laisse échapper ces mots :

"Ô mon fils, Démophon, c’est ainsi que l’étrangère te jette dans le feu, me livrant au deuil, aux chagrins les plus amers !"

Métanire parlait ainsi en pleurant. L’auguste déesse l’entendit. Alors Cérès, irritée, retire du foyer cet enfant bien-aimé que la reine avait conçu contre toute espérance ; de ses mains divines elle le dépose à terre, un violent courroux anime son cœur ; elle adresse ces paroles à la belle Métanire :

"Que les hommes sont aveugles et insensés ! ils ne connaissent ni les biens ni les maux que leur réserve le destin : c’est ainsi que ton imprudence fait aujourd’hui ton propre malheur. Oui, j’en fais le serment par l’onde inexorable du Styx, serment des dieux, j’aurais affranchi ton fis de la vieillesse et de la mort, je l’aurais doué d’une gloire éternelle. Maintenant il ne pourra échapper à la mort et à la destinée, mais il jouira toujours d’un grand honneur parce qu’il a reposé sur mes genoux et qu’il s’est endormi dans mes bras. Cependant, quand viendra sa jeunesse, les enfants d’Éleusis verront s’élever sans cesse entre eux les discordes funestes de la guerre. Je suis Cérès, pleine de gloire ; je fais la joie et le bonheur des dieux et des hommes. Allons, que près de la ville et de ses murs élevés tout le peuple me bâtisse un temple avec un grand autel sur la haute colline Callichore ! Je vous enseignerai les mystères, vous les célébrerez avec piété et vous apaiserez ainsi mon âme."

La grande déesse, parlant ainsi, change de forme et secoue sa vieillesse : la beauté respire autour d’elle, une odeur agréable s’échappe de ses voiles parfumés, la lumière de son corps divin rayonne autour de la déesse, ses blonds cheveux flottent sur ses épaules ; tout le palais est rempli d’une splendeur semblable à l’éclair de la foudre. La déesse alors disparaît de ces demeures. En ce moment, Métanire sent fléchir ses genoux, elle reste longtemps sans voix, elle oublie même de relever son fils étendu sur la terre. Cependant les cris plaintifs de Démophon arrivent jusqu’aux oreilles de ses sœurs : aussitôt elles s’élancent de leurs couches ; l’une d’elles prend l’enfant dans ses bras et le presse contre son sein, une autre allume du feu, la troisième court avertir la mère ; puis, groupées autour de leur frère, elles lavent son corps palpitant et le comblent de caresses ; mais rien ne peut apaiser son âme : ses nourrices et ses gouvernantes sont bien inférieures à Cérès.

Durant toute la nuit, en proie à la plus grande frayeur, elles apaisent l’illustre déesse. Dès que l’aurore se lève à l’horizon, elles racontent au puissant Céléus toute la vérité, comme le leur a ordonné la déesse, Cérès à la couronne resplendissante. Alors le roi réunit ses peuples nombreux, leur donne l’ordre d’élever à la déesse un temple et un autel sur le sommet d’une colline. Tous se hâtent d’exécuter ses ordres : un temple est construit comme le commande Céléus et s’avance rapidement par la volonté de la déesse. Dès qu’il fut terminé, le peuple cessa les travaux, chacun rentra dans sa demeure.

Alors la blonde Cérès vient s’y asseoir, loin de tous les dieux ; et le cœur rongé de tristesse par le désir de revoir sa fille à l’ample tunique, elle envoya une année terrible et funeste aux mortels : la terre ne produisit point de semences ; Cérès à la belle couronne les retenait dans les sillons. C’est en vain que les bœufs traînaient dans les champs le soc recourbé de la charrue ; c’est en vain que le froment le plus pur était répandu dans les guérets : la race des mortels allait périr par les horreurs de la faim, les sacrifices et les offrandes allaient manquer pour toujours aux divinités de l’Olympe si Jupiter, à la vue de ces maux, n’eût conçu dans son âme une sage résolution. Il envoie Iris aux ailes d’or appeler Cérès à la blonde chevelure et brillante d’une aimable beauté. Iris, d’après les ordres de Jupiter, franchit l’espace d’un vol rapide. Arrivée à le ville d’Éleusis, elle trouve dans le temple Cérès couverte d’un voile d’azur ; elle lui adresse aussitôt ces paroles :

"Cérès, le grand Jupiter à l’immuable volonté vous ordonne de venir à l’assemblée des dieux immortels. Hâtez-vous, afin que l’ordre de Jupiter ne reste pas inaccompli."

Les paroles d’Iris étaient suppliantes, mais Cérès n’obéit pas. Jupiter lui adresse tous les dieux immortels : ils la conjurent tour à tour de venir dans l’Olympe ; ils lui offrent de nombreux présents et lui promettent dans l’assemblée des dieux tous les honneurs qu’elle pourra désirer. Mais nul ne peut fléchir le cœur de la déesse irritée. Elle rejette leurs vœux : enfin elle annonce qu’elle n’ira dans l’Olympe qu’après avoir revu sa fille aux doux regards.

Dès que Jupiter connaît cette résolution, il envoie dans l’Érèbe Mercure à la baguette d’or. Il le charge de décider Pluton, par des paroles insinuantes, à permettre que la chaste Proserpine s’éloigne du ténébreux empire et jouisse de la lumière dans l’assemblée des dieux, afin que Cérès soit apaisée à la vue de sa fille. Mercure obéit à cet ordre, il abandonne les demeures de l’Olympe et s’élance dans les abîmes de la terre. Il trouve le roi des ombres dans son palais, assis sur sa couche à côté de sa vénérable épouse, que le désir de revoir sa mère accablait de tristesse. Le meurtrier d’Argus s’approche de Pluton et lui tient ce discours :

"Pluton à la noire chevelure, roi des ombres, Jupiter m’ordonne de conduire la chaste Proserpine hors de l’Érèbe, au milieu de nous, afin que Cérès, voyant sa fille, abandonne sa colère envers les Immortels. Cette déesse a le dessein terrible d’anéantir la race des mortels en cachant la semence au fond de la terre et de détruire ainsi les honneurs des divinités. Elle nourrit une colère terrible ; elle ne s’unit point aux autres dieux : seule à l’écart dans son temple parfumé, elle a fixé son séjour dans la forte citadelle d’Éleusis."

À ce discours, Pluton, roi des morts, sourit. Obéissant à l’ordre de Jupiter, il parle en ces mots à la prudente Proserpine :

"Retournez, Proserpine, auprès de votre mère au voile d’azur. Conservez en votre âme une douce pensée et ne vous abandonnez pas à des chagrins inutiles. Certes, parmi les Immortels, je ne suis pas un mari indigne de vous, moi, frère de Jupiter. Quand vous reviendrez en ces lieux, vous régnerez sur toutes les ombres qui les habitent, et vous jouirez des grands honneurs réservés aux divinités, et le châtiment frappera l’impie qui négligerait de vous offrir pieusement des sacrifices et d’accomplir les dons sacrés."

Il dit. La prudente Proserpine, pleine de joie, s’élance avec allégresse. Pluton alors s’approchant d’elle en secret lui fait manger un doux pépin de grenade, pour qu’elle ne puisse pas toujours rester auprès de sa vénérable mère, Cérès au voile d’azur. Puis ce dieu qui dompte toutes choses attelle ses coursiers immortels à son char étincelant d’or. Proserpine y monte ; Mercure prend en main le fouet et les rênes ; ils quittent le sombre royaume ; les chevaux volent avec joie, et les deux divinités franchissent promptement d’immenses espaces : ni la mer, ni les fleuves rapides, ni les vallées verdoyantes, ni les collines n’arrêtent l’essors impétueux des coursiers immortels ; plus élevés que les collines, ils fendent de leur course rapide l’immensité de l’air. Enfin le char s’arrête devant le temple qu’habitait la blonde Cérès. Elle, à la vue de sa fille, s’élance comme une ménade qui se précipite de la montagne dans la sombre forêt. Proserpine, sautant à bas du char, court, prompte comme l’oiseau, au-devant de sa mère, lui baise la tête, lui prend les mains. Cérès, en embrassant sa fille, sent de douces larmes mouiller ses joues, sa voix expire sur ses lèvres ; puis, après un court silence, elle interroge Proserpine et lui dit ces paroles :

"Chère enfant, n’as-tu goûté aucune nourriture auprès du roi des morts ? Parle, ne me cache rien, que je connaisse la vérité, car s’il en était ainsi, tu pourrais désormais toujours habiter près de moi, près de ton père, le redoutable Jupiter, et tu serais honorée par tous les dieux. Mais si tu as goûté quelque nourriture, alors retournant de nouveau dans le sein de la terre, tu consacreras le tiers de l’année à ton époux, et les deux autres tiers, tu les passeras auprès de moi et des dieux immortels. À l’époque où la terre enfanta les fleurs odorantes et variées du printemps, tu reviendras des obscures ténèbres, au grand étonnement des dieux et des hommes. Mais dis-moi par quelle ruse le terrible Pluton t’a trompée.

- Mère, répondit Proserpine, je vais tout vous dire avec sincérité. Lorsque Mercure, messager rapide de Jupiter et des autres dieux, est venu me faire sortir de l’Érèbe et m’amener à vous pour calmer votre colère, je me suis élancée avec joie ; mais Pluton m’a donné en secret un pépin de grenade, délicieuse nourriture, et m’a forcée de le manger. Je vais vous dire maintenant comment le fils de Saturne m’enleva par la secrète volonté de mon père et m’emporta dans les abîmes de la terre ; je vais tout vous raconter comme vous le désirez. Nous étions plusieurs jeunes filles dans une riante prairie : Leucippe, Phéno, Mélite, Ianthé, Électre, Iaché, Rhodia, Callirhoé, Mélobosis, Tyché, la belle Ocyrhoé, Chryséis, Janire, Acaste, Admète, Rhodopé, Plouto, la tendre Calypso, Styx, Uranie, l’aimable Glaxauré, Pallas, vaillante dans les combats, et Diane, heureuse de ses flèches ; nous jouions ensemble, cueillant mille fleurs variées ; nous réunissions en bouquets le safran parfumé, l’iris, l’hyacinthe, les roses au calice odorant, le lys d’une éclatante blancheur et le narcisse semblable au safran que la terre féconde venait d’enfanter. Joyeuse, j’arrache cette plante superbe : à l’instant la terre s’entrouvre, le redoutable Pluton s’élance, et, malgré ma résistance, m’emporte au sein des ténèbres sur son char étincelant d’or. Dans ma fuite, je poussais des cris lamentables. Ô ma mère ! voilà tout. Quoique triste, je vous ai tout dit avec sincérité."

Ainsi, durant tout le jour, les déesses se réjouirent au fond de leur cœur par de mutuelles caresses. Leur âme cessa de s’affliger. Elles échangèrent ensemble les témoignages de la plus douce joie. En ce moment près de ces divinités arrive Hécate au voile éclatant ; elle embrasse tendrement la chaste fille de Cérès. Dès lors elle fut toujours la compagne et l’amie de Proserpine. Jupiter, maître de la foudre, ordonne à Rhée d’amener Cérès au voile d’azur dans l’assemblée des Immortels et de lui promettre les honneurs divins qu’elle désirait. Il permet que Proserpine passe un tiers de l’année dans les sombres demeures et le reste du temps auprès de sa mère et des autres dieux. Ainsi le veut Jupiter. La déesse se hâte d’accomplir son message : elle s’élance rapidement des hauteurs de l’Olympe et arrive à Rhadios, jadis campagne fertile, aujourd’hui frappée de stérilité, aride, dépouillée de feuillage. Par la volonté de Cérès, le froment reste enfoui sans fécondité : pourtant la déesse permettra plus tard que ces champs soient couverts de longs épis au retour du printemps, et que des moissons abondantes destinées à être réunies en gerbes jaunissent encore les guérets. La déesse, ayant franchi les plaines de l’air, s’arrête en ces lieux.

Les deux divinités sont joyeuses de se revoir, leur cœur s’en réjouit. Rhée adresse alors ces paroles à Cérès :

"Ma fille, Jupiter, maître de la foudre, vous ordonne de venir prendre place parmi les Immortels et vous promet de vous faire rendre les honneurs que vous désirez au milieu des divinités. Il a décidé que votre fille demeurera la troisième partie de l’année dans les sombres demeures et le reste avec vous et les autres dieux. Il l’a promis d’un signe de sa tête : venez donc, mon enfant, laissez-vous fléchir par ces promesses, ne soyez pas plus longtemps irritée contre Jupiter ; rendez promptement les fruits nourrissants de la terre aux mortels."

Cérès à la belle couronne ne résiste point à ces paroles ; elle rend la fécondité aux campagnes : la terre se couvre de feuillages et de fleurs ; la déesse enseigne aux rois chefs de la justice, à Triptolème, à Dioclès, écuyer labile, au courageux Eumolpe, à Céléus, pasteur des peuples, le ministère sacré de ses autels ; elle confie à Triptolème, à Polyxène, à Dorlè les mystères sacrés qu’il n’est permis ni de pénétrer ni de révéler : la crainte des dieux doit retenir notre voix. Heureux celui des mortels qui fut témoin de ces mystères ; mais celui qui n’est point initié, qui ne prend point part aux rites sacrés, ne jouira point d’une aussi belle destinée, même après sa mort, dans le royaume des ténèbres.

Cérès ayant accompli ses desseins, les deux divinités remontèrent dans l’Olympe et se mêlèrent à l’assemblée des Immortels. Là, environnées d’une sainte vénération, elles habitent auprès du formidable Jupiter. Heureux entre tous les mortels celui qu’elles chérissent : elles envoient pour le visiter dans ses demeures le dieu Plutus, qui distribue la richesse aux faibles humains.

Auguste déesse des saisons, puissante Cérès, qui nous comblez de présents, vous qui régnez dans la ville d’Éleusis, à Paros et sur la pierreuse Antrone ; et vous, sa fille, belle Proserpine, soyez favorables à ma voix, daignez m’accorder une vie heureuse ! je ne vous oublierai pas et je vais dire un autre chant.

XXII - Déméter

À Dèmètèr

Je commence par chanter Dèmètèr aux beaux cheveux, vénérable Déesse, elle et sa fille, la très belle Perséphonéia.

Salut, Déesse ! Conserve cette ville et préside à mon chant.

Je commencerai par chanter Cérès à la belle chevelure, déesse vénérable, elle et sa fille Proserpine.

Salut, ô déesse, sauvez notre ville, écoutez nos chants d’une oreille propice.

XXIII - Héphaïstos

À Hèphaistos

Chante le très habile Hèphaistos, Muse harmonieuse, lui qui, avec Athènaiè aux yeux clairs, enseigna, sur la terre, les illustres travaux aux hommes qui, auparavant, habitaient les antres des montagnes, comme des bêtes fauves.

Maintenant, instruits par l’illustre ouvrier Hèphaistos, ils passent aisément toutes les années et leur vie entière, tranquilles, dans leurs demeures.

Sois propice, ô Hèphaistos ! Donne la vertu et la félicité !

À Vulcain

Muse mélodieuse, chante l’ingénieux Vulcain. De concert avec Minerve, il enseigna sur la terre les plus beaux ouvrages aux mortels ; auparavant ils habitaient les antres des montagnes, comme les bêtes sauvages, mais maintenant, instruits dans les arts par l’industrieux Vulcain, ils voient les années s’écouler dans une vie heureuse, ils vivent tranquilles dans la maison.

Soyez-nous favorable, ô Vulcain, accordez-moi le bonheur et la vertu.

XXIV - Hèraclès

À Hèraklès Cœur-de-Lion

Je chanterai Hèraklès, fils de Zeus, le plus brave des hommes terrestres, et qu’enfanta Alkmènè, dans Thèbè aux beaux chœurs, s’étant unie au Kroniôn qui amasse les nuées.

Il erra d’abord, par les ordres du Roi Eurystheus, sur la terre immense et la mer. Il accomplit beaucoup de travaux terribles, et il subit beaucoup de maux. Et, maintenant, il se réjouit, habitant la belle demeure du neigeux Olympos, et il possède Hèbè aux beaux talons.

Salut, Roi, fils de Zeus ! Donne-moi la vertu et la félicité.

Hercule au coeur de lion

Je célébrerai le fils de Jupiter, Hercule, le plus vaillant des mortels. Alcmène, qui s’était unie d’amour à Jupiter, lui donna le jour dans la charmante ville de Thèbes. Ce héros, d’abord par les ordres du puissant Eurysthée, parcourut les mers et la terre immense, accomplissant les plus grandes entreprises, supportant les plus pénibles travaux ; maintenant plein de joie, il habite les superbes demeures de l’Olympe couvert de neige et possède la brillante Hébé.

Salut, roi puissant, fils de Jupiter, accordez-moi le bonheur et la vertu.

XXV - Asclépios

À Asklèpios

Je commence par chanter le Guérisseur de maladies, Asklèpios, fils d’Apollon, et que la divine Korônis, fille du roi Phlégios, enfanta dans la plaine de Dôtios, pour être une grande joie aux hommes et l’apaisement des douleurs mauvaises.

Et je te salue ainsi, ô Roi, et je te prie par mon chant.

À Esculape

Célébrons celui qui guérit nos maux, le fils d’Apollon, Esculape, qui mit au monde la divine Coronis, fille du roi Phlégus, pour être la joie des hommes et pour alléger leurs douleurs les plus amères.

Salut, ô roi, je vous implore dans mes chants.

XXVI - Pan

À Pan

Chante-moi, Muse, le cher fils de Herméias, aux pieds de chèvre, aux deux cornes, ami du bruit, qui marche à travers les vallées boisées avec les Nymphes accoutumées aux danses, et qui foulent les sommets des hauts rochers, invoquant Pan, Dieu des bergers, à la splendide chevelure négligée, qui a reçu en partage les montagnes neigeuses, et les cimes des monts, et les sentiers pierreux.

Il va, çà et là, parmi les halliers touffus, tantôt charmé par un cours d’eau tranquille ; ou bien il retourne aux rochers escarpés, et, gravissant la plus haute cime, il regarde ses brebis.

Souvent, il parcourt les grandes montagnes couvertes de pierres blanches, et souvent il court le long des collines, tuant les bêtes fauves qu’il a vues de loin.

Quelquefois, seul, le soir, au retour de la chasse, il tire un doux chant de ses roseaux, et l’oiseau qui, dans le feuillage du printemps fleuri répandant sa plainte, fait entendre le chant le plus suave, ne l’emporterait pas sur lui.

Alors les harmonieuses Nymphes Orestiades, l’accompagnant en foule vers la source aux eaux profondes, chantent, et l’écho résonne au sommet du mont et dans la molle prairie où le safran et l’hyacinthe, fleuris et odorants, se mêlent à l’herbe. Et le Dieu, agitant les pieds, bondit çà et là dans le chœur, ayant sur le dos la peau sanglante d’un lynx, et charmant son âme de ces doux chants.

Et les Nymphes célèbrent les Dieux heureux, et le large Olympos, et le très-bienveillant Hermès, qu’elles disent l’emporter sur tous les autres ; et comment il est le messager rapide de tous les Dieux, elles le disent aussi.

Et il vint dans l’Arkadia arrosée de sources, mère des brebis, là où est son bois sacré Kyllénien ; et, là, bien que Dieu, il paissait, comme un homme mortel, ses brebis aux laines frisées, car un tendre désir fleurissait en lui de s’unir d’amour avec la Nymphe aux beaux cheveux Dryops.

Et il accomplit cette union charmante, et la Nymphe enfanta dans ses demeures le cher fils de Hermès, prodigieux, aux pieds de chèvre, aux deux cornes, se réjouissant du bruit tumultueux et riant doucement. Et la nourrice s’enfuit en bondissant et laissa l’enfant, car elle eut peur, dès qu’elle vit sa face farouche et barbue.

Mais, aussitôt, le très bienveillant Hermès le prit dans ses mains, et le Dieu se réjouissait beaucoup dans son âme. Et il se rendit promptement aux demeures des Immortels, ayant enveloppé l’enfant dans la fourrure épaisse d’un lièvre montagnard.

Et il s’assit auprès de Zeus et des autres Immortels, et il leur montra son fils. Et tous les Immortels se réjouirent dans leur cœur, et Bakkhos Dionysos fut surtout charmé. Et ils le nommèrent Pan, parce qu’il les avait tous charmés.

Et je te salue ainsi, ô Roi ! Et je te prie par ce chant. Et je me souviendrai de toi et des autres chants.

À Pan

Muse, célèbre le fils chéri de Mercure, Pan aux pieds de chèvre, au front armé de deux cornes, aux sons retentissants, et qui, sous la fraîcheur du bocage, se mêle aux chœurs des Nymphes : celles-ci, franchissant les hautes montagnes, adressent leurs prières à Pan, dieu champêtre à la chevelure superbe mais négligée. Il reçut en partage les monts couverts de neiges et les sentiers rocailleux ; il marche de tous côtés à travers les épaisses broussailles ; tantôt il gravit les roches escarpées, et de leurs cimes élancées il se plaît à contempler les troupeaux. Souvent il s’élance sur les montagnes couronnées de blanches vapeurs ; souvent, dans les vallons, il poursuit et immole les bêtes sauvages qui ne peuvent se dérober à ses regards perçants ; d’autres fois, lorsque la nuit approche, seul, revenant de la chasse, il soupire sur ses chalumeaux un air mélodieux. L’oiseau qui sous la feuillée du printemps fleuri, répète d’une voix plaintive sa douce chanson ne l’emporte point sur cette divinité.

Alors se réunissent avec lui à pas pressés, auprès d’une fontaine profonde, les Nymphes des montagnes, à la voix éclatante. Écho fait résonner le sommet des monts ; le dieu se mêle au hasard au chœur des danses, et sans les rompre les pénètre d’un pas léger ; ses épaules sont couvertes d’une peau de lynx, son âme est réjouie par les accents mélodieux. Elles dansent ainsi dans une molle prairie où l’herbe touffue est embaumée du safran et de l’odorante hyacinthe. Dans leurs hymnes les Nymphes célèbrent et les dieux fortunés et le vaste Olympe, mais elles chantent surtout le bienveillant Mercure, rapide messager des dieux.

C’est lui qui vint dans l’Arcadie, source d’abondantes fontaines et féconde en troupeaux : là s’élève le champ sacré de Cyllène ; en ces lieux, lui, dieu puissant, garda les blanches brebis d’un simple mortel, car il avait conçu le plus vif désir de s’unir à une belle nymphe, fille de Dryops. Leur doux hymen enfin s’accomplit : cette jeune nymphe donna le jour au fils de Mercure, enfant étrange à voir, enfant aux pieds de chèvre, au front armé de deux cornes, aux sons retentissants, au sourire aimable. À cette vue la nourrice abandonne l’enfant et prend aussitôt la fuite ; ce regard horrible et cette barbe épaisse l’épouvantèrent : mais le bienveillant Mercure le recevant aussitôt le prend dans ses mains, et son âme en ressentit une grande joie. Il arrive ainsi au séjour des Immortels en cachant soigneusement son fils dans la peau velue d’un lièvre de montagne : se plaçant devant Jupiter et les autres divinités il leur montre le jeune enfant. Tous les Immortels se réjouissent à cette vue, surtout Bacchus. Ils le nommèrent Pan, car pour tous il fut un sujet de joie.

Salut, ô roi, je vous implore en ces vers ; je me souviendrai toujours de vous, et je vais dire un autre chant.

XXVII - Dionysos

À Dionysos

Je ferai souvenir de Dionysos, fils de l’illustre Sémélè, quand il apparut au rivage de la mer stérile, sur un promontoire avancé, semblable à un jeune homme dans la première adolescence. Ses beaux cheveux bleus flottaient, et il avait un manteau pourpré autour de ses épaules robustes.

Voici que, dans leurs nefs aux solides bancs de rameurs, des pirates Tyrrhéniens arrivèrent rapidement sur la noire mer, et une destinée mauvaise les amenait.

Ayant vu Dionysos, ils se firent signe les uns aux autres, et, sautant à terre, ils le saisirent et le déposèrent dans la nef en se réjouissant dans leur cœur. Ils pensaient que c’était un fils de Rois nourrissons de Zeus, et ils voulurent le charger de lourds liens. Mais les liens ne le retinrent pas, et les branches d’osier tombèrent de ses pieds et de ses mains, et il s’assit, souriant de ses yeux bleus. Et dès que le pilote l’eut vu, il commanda aussitôt à ses compagnons et il leur dit :

— Insensés ! Quel est ce Dieu puissant que vous avez saisi et lié ? La nef bien construite ne peut le porter. En effet, c’est Zeus, ou Apollôn à l’arc d’argent, ou Poseidaôn ; car ce n’est pas aux hommes mortels qu’il est semblable, mais aux Dieux qui ont des demeures Olympiennes. Allons ! Déposons-le aussitôt sur la noire terre ferme, et ne portez pas les mains sur lui, de peur qu’il soulève les vents accablants et un vaste tourbillon.

Il parla ainsi, et le chef le réprimanda par cette rude parole :

— Malheureux ! Fais attention au vent propice et sers-toi de la voile et de tous les agrès de la nef à la fois. Nos hommes s’occuperont ensuite de celui-ci. J’espère qu’il arrivera en Aigyptiè, ou à Kypros, ou chez les Hyperboréens, ou plus loin encore, et qu’il nous dira enfin quels sont ses amis et ses richesses et ses parents, puisqu’un Dieu nous l’a envoyé.

Ayant ainsi parlé, il dressa le mât et tendit la voile de la nef, et le vent gonfla la voile par le milieu, et ils apprêtèrent tous les agrès. Mais, aussitôt, des prodiges leur apparurent.

Et voici d’abord qu’un vin doux, et répandant une odeur divine, coula par la nef noire et rapide, et les marins, l’ayant vu, furent saisis de stupeur.

Et, aussitôt après, jusqu’au haut de la voile, une vigne se déploya çà et là, et de nombreuses grappes en pendaient. Et un lierre noir s’enroulait au mât, et il était couvert de fleurs, et de beaux fruits y naissaient. Et toutes les chevilles des avirons avaient des couronnes. Et les marins, ayant vu cela, ordonnèrent au pilote Médeidè de revenir à terre.

Cependant, voici que Dionysos leur apparut en lion terrible sur la nef ; et il rugissait violemment. Puis Dionysos, manifestant ses signes, créa une ourse au cou hérissé qui se leva furieuse, tandis que le lion, au bout du pont, lançait des regards horribles. Alors, les marins s’enfuirent à la poupe, autour du pilote plein de sagesse, et ils s’y arrêtèrent épouvantés. Et le lion bondit et saisit le chef ; et tous, pour éviter la noire destinée, sautèrent tous ensemble dans la mer divine, où ils devinrent dauphins. Mais Dionysos eut pitié du pilote, et il le rendit très heureux, et il lui dit :

— Rassure-toi, divin pilote, cher à mon cœur. Je suis le bruyant Dionysos qu’a enfanté une mère Kadméide, Sémélè, s’étant unie d’amour à Zeus.

Salut, fils de Sémélè aux beaux yeux ! Il ne serait point permis à qui t’oublierait d’orner son doux chant.

À Bacchus

Je chanterai Bacchus, fils illustre de Sémélé : je dirai comment au bord de la mer stérile, sur un promontoire élevé, il parut tel qu’un jeune héros à la fleur de l’âge. Ses beaux cheveux noirs flottaient sur son cou ; ses larges épaules étaient couvertes d’un manteau de pourpre. Tout à coup un navire aux larves flancs chargé de pirates tyrrhéniens s’avance à travers les flots : une destinée contraire amenait ces pirates en ces lieux. Dès qu’ils voient Bacchus, ils se font des signes entre eux et s’élancent ; le coeur transporté de joie, ils se hâtent de le conduire dans leur vaisseau ; ils croyaient qu’il était fils des rois issus de Jupiter et voulaient l’enchaîner avec des liens pesants. Mais rien ne peut le retenir ; l’osier tombe de ses pieds et de ses mains : lui, regardant les nautoniers avec un doux sourire, s’assied auprès d’eux. À cette vue, le pilote effrayé appelle ses compagnons et leur dit :

"Ah ! malheureux, quel est donc ce dieu puissant que vous prétendez enchaîner ? Votre navire solide ne peut y suffire. C’est Jupiter,

Neptune ou Apollon à l’arc d’argent. Il ne ressemble pas aux faibles humains, mais aux habitants immortels de l’Olympe. Remettons-le promptement à terre, gardez-vous bien de l’outrager, de peur que dans son courroux, il ne déchaîne contre nous les vents furieux et les tempêtes mugissantes."

Il dit, mais le maître du navire s’approchant du pilote lui adresse ces durs reproches :

"Insensé, vois-donc, le vent est favorable ; hâte-toi de tendre les voiles, de préparer les agrès du navire ; quant à lui, les nautoniers en prendront soin, et il nous procurera de grands avantages. Nous le conduirons en Égypte, ou dans l’île de Chypre, ou chez les Hyperboréens, ou même plus loin encore, jusqu’à ce qu’il se soit décidé à nous faire connaître ses parents, ses amis, ses richesses : c’est un dieu qui l’a mis entre nos mains."

Il dit et dresse les mâts et tous les cordages. Le vent souffle dans les voiles et les matelots préparent les agrès du navire. Mais bientôt d’éclatants prodiges brillent à leurs yeux : un vin odorant coule au sein du navire et de délicieux parfums s’exhalent dans les airs. La surprise s’empare de tous les matelots qui considéraient ces prodiges. À l’extrémité de la voile serpente de tous cotés un pampre auquel pendent de nombreuses grappes, un lierre verdâtre chargé de fleurs s’enlace au mât et le couvre de sa délicieuse verdure, des couronnes ornent tous les bancs des rameurs. À cette vue les nautoniers ordonnent au pilote de conduire le navire à terre ; mais à la pointe du navire le dieu leur apparaît sous la forme d’un lion terrible et pousse de longs rugissements. Au milieu du navire, par un autre prodige, se montre un ours hérissé de poils ; l’ours enflammé de fureur se dresse sur ses pieds, tandis qu’à l’extrémité du pont, le lion le regarde de ses yeux menaçants. Les matelots effrayés, près de la poupe, se réunissent autour du pilote, homme d’un esprit sage, et s’arrêtent dans les angoisses de la crainte. Soudain, le lion s’élançant enlève le maître du vaisseau. À cette vue les nautoniers pour éviter une terrible destinée se précipitent dans la mer et sont changés en dauphins. Mais Bacchus ayant pitié du pilote l’arrête et lui promet une vie heureuse en ces mots :

"Rassure-toi, noble pilote, cher à mon coeur, tu vois en moi le tumultueux Bacchus qu’enfanta la cadméenne Sémélé, après s’être unie d’amour à Jupiter."

Salut, fils glorieux de Sémélé ; je ne dois pas t’oublier en composant mes douces chansons.

XXVIII - Dionysos (2)

À Dionysos

Je commence par chanter Dionysos couronné de lierre, bruyant, glorieux fils de Zeus et de l’illustre Sémélè, et que nourrissaient les Nymphes aux beaux cheveux, l’ayant reçu du Père-Roi, dans leur sein. Et elles le nourrirent avec tendresse dans les vallées de Nysè, et il grandit, par la volonté de son père, dans un antre odorant, et il était au nombre des Immortels.

Mais les Déesses l’ayant élevé pour être très loué, alors il parcourut les solitudes boisées, couronné de lierre et de laurier. Et les Nymphes l’accompagnaient, et il les conduisait, et le bruit de leurs pieds enveloppait l’immense forêt.

Et je te salue ainsi, ô Dionysos riche en raisins ! Donne-nous de recommencer les Heures, pleins de joie, et d’arriver par celles-ci à de nombreuses années !

À Bacchus

Je célébrerai d’abord le bruyant Bacchus, à la chevelure enlacée de lierre, fils illustre de Jupiter et de Sémélé. Les Nymphes l’ayant reçu de son père, l’élevèrent et le placèrent sur leur sein et le nourrirent avec soin dans les vallons de Nysa. Par la volonté de Jupiter, il grandit au fond d’une grotte parfumée, pour prendre place au rang des Immortels. Quand les Nymphes élevaient cet enfant illustre, couronné de lierre et de laurier, il parcourait les bois sauvages : les Nymphes le suivaient ; il marchait devant elles ; les immensités de la forêt résonnaient d’un grand bruit.

Salut, ô Bacchus! qui fécondâtes nos vignes ; faites que toujours dans la joie nous parvenions à la fin de la saison, et qu’après cette saison nous arrivions encore à de nombreuses années.

XXIX - Dionysos (3)

Au Même.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Les uns, en effet, disent que Sémélè t’a conçu dans Drakanos, de Zeus qui se réjouit de la foudre, ô rejeton de Zeus, cousu dans sa cuisse ! Les autres, dans Ikaros battue des vents ; les autres, dans Naxos ; d’autres, sur les bords de l’Alphéios tourbillonnant, et d’autres, ô Roi, disent que tu es né dans Thèbè ; et tous mentent.

Le Père des hommes et des Dieux t’a engendré loin des hommes, et se cachant de Hèrè aux bras blancs.

Il y a une haute montagne, Nysè, couverte de forêts, loin de la Phoinikè, près du fleuve Aigyptos.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Et ils lui dresseront de nombreuses images dans les temples. Et comme ces choses sont trois, les hommes, tous les trois ans, te sacrifieront de complètes hécatombes.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Il parla ainsi, et le Kroniôn promit en remuant ses sourcils bleus ; et les cheveux ambroisiens du Roi s’agitèrent sur sa tête immortelle, et il fit trembler le vaste Olympos.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Ayant ainsi parlé, le très sage Zeus fit un signe de la tête.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Sois propice, ô cousu dans la cuisse, qui aimes les femmes avec fureur ; nous, les Aoides, nous te chanterons en commençant et en finissant, car il n’est point permis à qui t’oublie de se souvenir du chant sacré.

Et je te salue ainsi, Dionysos cousu dans la cuisse, toi et ta mère Sémélè, qu’on nomme Thyônè.

Au même (Fragments)

On raconte que Sémélé s’étant unie d’amour à Jupiter, roi de la foudre, elle vous mit au monde, les uns disent à Dracane, les autres dans la vaste Icare, les autres à Naxos. Ô Bacchus ! enfant divin, d’autres disent que vous êtes né près de l’Alphée, aux gouffres profonds ; d’autres enfin, disent que ce fut à Thèbes. Ils sont tous dans l’erreur. Ce fut le père des dieux et des hommes qui vous engendra loin de tous les mortels, en se dérobant à la belle Junon. Il est une haute montagne nommée Nysa ; elle est couronnée de vertes forêts, et loin de la Phénicie elle s’élève près des bords du fleuve Egyptus…

De nombreuses statues s’élèveront dans vos temples. Tous les trois ans, pour célébrer vos fêtes, les hommes sacrifieront en votre honneur d’illustres hécatombes…

À ces mots, le fils de Saturne abaisse ses noirs sourcils, la chevelure du roi des dieux s’agite sur sa tête immortelle ; le vaste Olympe en est ébranlé.

… Jupiter parlant ainsi lui fit de la tête un signe d’approbation.

… Soyez-nous favorable, ô Bacchus ! qui aimez les femmes ; c’est toujours par vous que nous commencerons et terminerons nos chants ; il n’est pas possible de vous oublier et de se souvenir d’un autre hymne.

Salut, ô Bacchus! Salut, ô Sémélé sa mère vous qui portez aussi le nom de Thyone.

XXX - Hélios

À Hèlios.

Commence, Muse, enfant de Zeus, Kalliopè, à chanter de nouveau un hymne à Hèlios, étincelant, qu’enfanta Euryphaessa aux yeux de bœuf pour le fils de Gaia et d’Ouranos étoilé.

Hypériôn épousa, en effet, sa sœur, l’illustre Euryphaessa, qui lui donna de beaux enfants, Eôs aux bras roses, et Sélènè aux beaux cheveux, et l’infatigable Hèlios, semblable aux Dieux immortels, qui, traîné par ses chevaux, éclaire les hommes mortels et les Dieux immortels.

Terrible, il regarde de ses yeux, sous un casque d’or, et de clairs rayons jaillissent de lui-même, et, sur ses tempes, les joues brillantes du casque enferment sa belle face éclatante. Autour de son beau corps des vêtements légers resplendissent au souffle des vents, et des étalons sont soumis au joug ; et, là où il arrête, le soir, son char au joug d’or et ses chevaux, il les envoie de l’Ouranos dans l’Okéanos.

Salut, Roi ! Donne-moi, bienveillant, une douce nourriture. Ayant commencé par toi, je chanterai la race des hommes qui ont une voix articulée, des hommes demi-Dieux dont les Immortels ont manifesté les travaux aux hommes.

Au Soleil

Muse Calliope, fille de Jupiter, chante d’abord le Soleil rayonnant, lui que la belle Euryphaessa conçut du fils de la terre et du ciel étoilé. Hypérion épousa la célèbre Euryphaessa, sa sœur, qui mit au monde les enfants les plus beaux : l’Aurore aux doigts de rose, la Lune à la belle chevelure et le Soleil infatigable, semblable aux Immortels, et qui, traîné dans un char rapide, éclaire à la fois et les dieux et les hommes ; à travers son casque d’or, ses yeux jettent des regards formidables ; des rayons étincelants s’élancent de son sein ; son casque brillant darde une splendeur éclatante et jette au loin la lumière de son visage radieux ; autour de son corps brille une draperie légère que le souffle du vent soulève et fait voler; sous sa main des coursiers vigoureux…

C’est là, qu’après avoir parcouru les cieux et s’être précipité dans l’Océan, il arrête ses chevaux et son char à l’essieu étincelant d’or.

Salut, ô grand roi ! Veuillez, dans votre bienveillance pour moi, m’accorder une vie heureuse ; j’ai commencé par vous, maintenant je chanterai cette race d’hommes demi-dieux, dont les Immortels révélèrent à la terre les actions glorieuses.

XXXI - Séléné

À Sélènè.

Enseignez-moi à célébrer Sélènè aux ailes déployées, Muses, harmonieuses filles du Kroniôn Zeus, habiles au chant !

Sa splendeur, qui sort d’une tête immortelle, se répand dans l’Ouranos et enveloppe la terre. Tout est orné par sa splendeur éclatante, et l’air obscur s’illumine à sa couronne d’or.

Ses rayons se répandent dans l’air, quand, ayant lavé son beau corps dans l’Okéanos, et vêtue de ses habits brillants, la divine Sélènè lie au joug ses chevaux aux têtes hautes et pousse rapidement ses chevaux lumineux aux belles crinières, le soir, au milieu du mois, quand son orbe est plein, et quand ses plus éblouissants rayons se sont accrus dans l’Ouranos, en signe et en présage pour les mortels.

Autrefois, le Kroniôn s’unit d’amour avec elle, et, étant devenue enceinte, elle enfanta une fille, Pandiè, admirable par sa beauté parmi les Dieux immortels.

Salut, Reine ! Déesse aux bras blancs, divine Sélènè bienveillante, aux beaux cheveux ! Ayant commencé par toi, je chanterai les louanges des hommes demi-Dieux dont les Aoides, serviteurs des Muses, célèbrent les travaux par des chants aimables.

À la Lune

Muses mélodieuses, filles de Jupiter, habiles dans l’art des chants, célébrez la Lune aux ailes rapides ; la lumière qui éclate autour de sa tête immortelle vient inonder la terre ; un doux éclat l’embellit et la clarté de sa couronne d’or dissipe les ténèbres de l’air. Vos rayons brillent, lorsque ayant baigné votre beau corps vous sortez de l’Océan, et que, vous étant enveloppée dans vos vêtements lumineux, vous courbez sous le joug vos chevaux étincelants, à la tête orgueilleuse, lorsque vous leur faites déployer leur flottante crinière et prendre vivement leur course. Au milieu du mois, le soir, quand votre orbe immense est rempli, les cieux nous versent de vives clartés ; un signe mémorable apparaît aux humains. Jadis la Lune s’unit d’amour à Jupiter : de cette union naquit Pandée, belle entre tous les Immortels.

Salut, déesse puissante aux bras d’albâtre, Lune divine et bienveillante, ornée d’une belle chevelure : j’ai d’abord chanté vos louanges, maintenant je vous dirai la gloire de ces hommes demi-dieux, dont les favoris des Muses célèbrent les actions d’une voix mélodieuse.

XXXII - Dioscures

Aux Dioskoures

Chante Kastôr et Polydeukès, Muse harmonieuse, les Tyndarides nés de Zeus Olympien, et qu’enfanta, sous les cimes de Teygétos, la vénérable Lèda, secrètement domptée par le Kroniôn qui amasse les nuées.

Salut, Tyndarides, monteurs de chevaux rapides !

Aux Dioscures

Muse mélodieuse, chante les Tyndarides, Castor et Pollux, issus de Jupiter Olympien. Ils reçurent le jour de l’auguste Léda, qui, s’étant unie d’amour au redoutable fils de Latone, les enfanta sur le sommet du Taygète.

Je vous salue, Tyndarides, habiles à dompter les coursiers.

XXXIII - Dioscures (2)

Aux Dioskoures.

Muses aux paupières arrondies, parlez-moi des Dioskoures Tyndarides, illustres enfants de Lèda aux beaux talons, Kastôr dompteur de chevaux et l’irréprochable Polydeukès.

Sous les sommets du Teygétos, la grande montagne, après s’être unie d’amour avec le Kroniôn qui amasse les nuées, elle enfanta des fils sauveurs des hommes terrestres et des nefs rapides, quand les tempêtes de l’hiver bouleversent la mer implacable.

Alors, les marins suppliants invoquent les fils du grand Zeus en leur sacrifiant des agneaux blancs sur le haut de la poupe.

Et la violence du vent et l’eau de la mer les submergent déjà, quand les Dioskoures apparaissent aussitôt, se hâtant à travers l’Aithèr, sur des ailes orangées. Et ils apaisent rapidement les tourbillons des vents terribles, et ils calment en les aplanissant les flots de la blanche mer, signe de repos pour les marins qui, les ayant vus, se réjouissent et cessent leurs travaux accablants.

Salut, Tyndarides, portés sur des chevaux rapides ! Je me souviendrai de vous et des autres chants.

Aux Dioscures

Muses aux yeux noirs, célébrez les Dioscures, descendants de Tyndare, beaux enfants de la brillante Léda, Castor écuyer habile et le noble Pollux. Sur les cimes du Taygète, haute montagne, Léda s’étant unie d’amour au formidable Jupiter donna le jour à des fils destinés à être les sauveurs des faibles humains et à protéger les navires, lorsque les tempêtes furieuses se précipitent sur la mer implacable. Les nautoniers implorent les fils du grand Jupiter et leur immolent des agneaux sur la poupe ; les vents furieux et les vagues amoncelées de la mer menacent d’engloutir le navire : alors, portés sur leurs ailes rapides, les Dioscures apparaissent dans les airs, apaisant les vents déchaînés et les tempêtes, ils calment les flots de la mer devant les nautoniers et font briller pour eux des signes favorables. La joie descend dans le cœur des matelots ; ils cessent leurs travaux pénibles.

Je vous salue, ô Tyndarides ! Conducteurs de rapides coursiers, je ne vous oublierai jamais, et je vais dire un autre chant.




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Maj : 20/12/2024