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La Théologie germanique
Theologia Germanica, Theologia Deutsch, Der Franckforter


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
Information inconnue1516Littérature (myst.)AllemagneMysticisme
Christianisme
Non applicable

► Originellement publiée par Luther, la Théologie germanique est un texte fondateur du mysticisme protestant. Issu du néoplatonisme et de la mystique rhénane, il aura une influence décisive sur le mouvement rosicrucien, ce qui est d’autant plus remarquable que l’auteur se prétend ancien chevalier teutonique.

■ Nous avons réinjecté les titres de la table des matières au début de chaque chapitre.


Texte et traduction : de l’allemand au français classique, Maria Winstosser in Étude sur la "Théologie germanique", 1911 (𝕍 aussi cette monographie pour une étude exhaustive). | bs. Université d’Ottawa (Ottawa, Canada). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur Internet Archive

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La théologie germanique

Un opuscule noble et raisonnable, où nous apprenons ce qu’est Adam et le Christ et comment Adam doit mourir pour faire naître le Christ en nous. Le Dieu tout-puissant et éternel a manifesté ce livre par un homme sage, juste et sincère, son ami, qui a été de son temps un Chevalier Teutonique, un prêtre et un custode dans la maison des Chevaliers Teutoniques à Franckfort. Il nous apprend à connaître mainte vérité délicieuse et divine et surtout comment on peut reconnaître les véritables et justes amis de Dieu et aussi les libres et faux esprits, qui sont si nuisibles à la sainte Eglise.

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Chapitre I. — Ce qu’est le Parfait et ce que sont les parties. Comment on écartera les parties, lorsque le Parfait sera venu.

Saint Paul dit1 : « Quand la perfection sera venue, ce qui est imparfait et ce qui est en partie2 [das geteilte] sera aboli. »

Or, qu’est-ce que le Parfait ? qu’est-ce qui est en partie ?

Le Parfait est un être qui renferme tout et qui embrasse dans son être toutes les choses, dans lequel toutes les choses, sont essentiellement comprises, sans lequel et hors duquel il n y a pas d’être réel. Car il est l’être de toutes les choses, et quoiqu’il soit immuable et immobile en soi, il meut et modifie toutes les autres choses.

Mais l’imparfait, ou ce qui est en partie, est ce qui sort ou qui est sorti du Parfait3, comme la clarté ou les rayons émanent du soleil4, ou d’une lumière. Il paraît quelque chose, ceci ou cela, et on l’appelle créature.

Mais de toutes ces choses partielles, nulle n’est le Parfait ; de même le Parfait n’est aucune des choses partielles.

Ce qui est en partie est compréhensible, connaissable et inexprimable.

Le Parfait est incompréhensible, inconnaissable et inexprimable pour toute créature en tant qu’elle est créature.

C’est pourquoi on ne le nomme pas, car il n’est aucune des choses nommées5, et la créature comme telle ne peut ni le connaître ou le comprendre, ni le penser ou l’expliquer.

Or, lorsque le Parfait vient, on méprise l’imparfait ou les parties.

Mais quand vient-il ?

Je réponds : Aussitôt qu’il est connu, senti et goûté dans l’âme6, autant que cela est possible.

Une question: On se demande peut-être, puisque le Parfait est inconnaissable et incompréhensible pour la créature, comment peut-elle le connaître?

Réponse : Nous avons dit, comme créature !

C’est-à-dire, cela lui est impossible en tant qu’elle est une créature, créée avec son « moi » et son « à moi » [von yr icheyt und selbheyt] ; car la créature qui doit arriver à la connaissance de ce Parfait doit perdre et anéantir tout ce qu’il y a en elle de créé, de naturel, de personnel et d’individuel.

Voilà l’explication de la parole de saint Paul : quand le Parfait sera venu, c’est-à-dire quand on l’aura connu, on méprisera les parties, c’est-à-dire la créature [creaturlicheyt], la nature [geschaffenheyt], le propre, le « moi » et le « à moi ».

Celui qui s’y attache et qui les aime ne connaîtra pas le Parfait.

On dira peut-être : Tu veux constater que hors du Parfait et sans lui il n’y a rien ; pourtant tu affirmes que quelque chose s’écoule de lui ? Ce qui est émané, est-il hors de lui ?

Réponse : je viens de dire que hors de lui et sans lui il n’y a pas d’être réel.

Ce qui est émané n’est pas de l’être véritable ! Il n’a d’existence que dans le Parfait ! C’est un accident [eyn zufall], une clarté ou une lueur, qui n’est pas l’être et qui n’a d’être que dans le feu d’où découle la clarté, comme dans le soleil ou dans la lumière.

Chapitre II. — Ce qu’est le péché. Comment on ne devrait s’approprier aucun bien, car cela appartient uniquement au Bien véritable.

L’Ecriture, la foi et la vérité disent que le péché n’est rien que l’action par laquelle la créature se détourne du Bien immuable, vers ce qui est muable ; c’est-à-dire qu’elle se détourne du Parfait pour se tourner vers ce qui est imparfait et en partie et surtout vers elle-même.

Remarquez bien : lorsque la créature s’approprie un bien, comme l’être, la vie, la connaissance, le pouvoir [vermugens], en un mot tout ce que l’on appelle un bien, quand elle s’imagine que c’est elle ou que c’est à elle, alors elle se détourne du Parfait.

Le démon n’a pas fait autre chose.

Quel fut son éloignement7, quelle fut sa chute, sinon celle appropriation d’être quelque chose, qu’il voulait être quelque chose et qu’il voulait que quelque chose lui appartienne ou soit à lui !

Cette appropriation, son « moi » et son « à moi » furent son éloignement et sa chute. Il en est encore ainsi.

Chapitre III. — La chute de l’homme et son éloignement de Dieu doivent être réparés comme le fut la chute d’Adam.

Que lit Adam, sinon la même chose? On dit qu’Adam s’est perdu et qu’il est tombé, parce qu’il a mangé la pomme.

Moi, je dis que c’était pour son appropriation, pour son « moi », son « à moi » et chose pareille. Aurait-il mangé sept pommes qu’il ne serait pas tombé s’il ne s’était rien approprié. Mais dès qu’il s’est attribué quelque chose, il est tombé, et il serait tombé, même s’il n’avait jamais mangé de pomme.

Eh bien, je me suis éloigné de Dieu et je suis tombé cent fois plus profondément qu’Adam et nul homme n’a pu le relever de sa chute, ou n’a pu le ramener à Dieu.

Comment donc peut-on corriger ma chute?

Comme celle d’Adam, par la même personne et de la même manière !

Mais par qui et de quelle manière se lit cette réparation ?

L’homme n’y peut rien sans Dieu, et Dieu ne devrait rien sans l’homme8.

C’est pourquoi Dieu a adopté la nature humaine ou l’humanité ; il fut humanisé et l’homme fut déifié9.

Ainsi se lit le redressement !

Et c’est ainsi que ma chute doit être redressée !

Je ne le peux pas sans Dieu, et Dieu ne le doit et ne le veut pas sans moi.

Mais si cela doit se faire, il est indispensable que Dieu s’humanise en moi, ainsi qu’il prenne pour soi tout ce qui est en moi, l’intérieur et l ’extérieur, pour que rien en moi ne résiste ou ne s’oppose à lui ; pour que rien n’empêche son action.

Quand même Dieu prendrait pour soi tous les hommes, s’il s’humanisait en eux, et si les hommes se divinisaient en lui, si cela ne se fait pas en moi également, alors ma chute et mon éloignement ne prendront jamais fin.

Or, je ne peux, ni ne veux, ni ne dois rien faire en cette œuvre de mon retour [Widerbringung] et de mon rétablissement, que souffrir ce que Dieu seul fait en moi, que supporter ses actions et sa volonté.

Mais Dieu est empêché par moi-même d’accomplir son œuvre en moi tout seul et sans obstacle, parce que je ne veux pas le souffrir et parce que je cherche mon « moi », mon « à moi » et mon propre.

De la sorte, ma chute et mon éloignement persistent en raison de mon appropriation.

Chapitre IV. — Que l’homme, en s’appropriant un bien, fait une chute et s’empare de l’honneur de Dieu.

Dieu dit10 : « Je ne donne mon honneur à personne », ce qui veut dire que tout honneur et toute gloire ne sont qu’à lui seul.

Si donc je m’attribue un bien, pensant être quelque chose, pouvoir, savoir ou faire quelque chose, pensant que quelque chose soit à moi ou de moi ou m’appartienne, je m’approprie une gloire et un honneur et je fais deux choses mauvaises à la fois.

Premièrement la chute et l’éloignement dont je viens de parler ; puis je m’attribue l’honneur de Dieu et je prends à moi ce qui est à lui seul.

Car tout ce que l’on doit appeler bien n’est à personne qu’au véritable et éternel Bien ; qui se l’approprie fait tort à Dieu et s’oppose à lui.

Chapitre V. — Comment on doit entendre ce que c’est qu’être sans savoir, sans volonté, sans amour, sans désir, sans connaissance et sans toute chose pareille.

Quelques hommes disent qu’il ne faut rien savoir, ni vouloir, ni aimer, désirer ou connaître !

Cela ne veut pas dire que l’homme ne doit avoir aucune connaissance, ou que Dieu ne doit pas être connu en lui, ou aimé, cherché, loué et honoré. Ce serait un grand mal11 et l’homme serait alors pareil à l’animal.

La signification en est que la connaissance de l’homme devrait être assez pure et parfaite, pour qu’il reconnaisse que cette connaissance n’est ni à lui ni à aucune créature, mais qu’elle est la connaissance de l’Eternel, qui est le Verbe éternel !

Ainsi, l’homme ou la créature ne se les attribue point. Moins la créature s’attribue cette connaissance, plus elle devient parfaite !

Il en est de même de la volonté, de l’amour, des désirs et ainsi de suite, moins on s’en approprie, plus ils deviennent nobles, purs et divins ; plus on s’en attribue, plus ils deviennent grossiers, impurs et imparfaits.

Ainsi, on doit abandonner toute appropriation !

C’est alors la plus noble et la plus pure connaissance de l’homme, comme le plus noble et le plus pur amour et désir, car tout cela est à Dieu seul.

Il vaut mieux que cela soit à Dieu qu’à la créature.

Si je m’arroge un bien, c’est que je m’imagine qu’il est à moi ou que c’est moi qui suis bon. Si je connaissais la vérité, je saurais que ce12 n’est ni moi, ni à moi, ni de moi ou de chose pareille, et ainsi toute appropriation serait évitée. — Il est mieux que Dieu ou que ce qui est à lui, soit connu, aimé, loué et honoré autant que possible et que cependant l’homme s’imagine que c’est lui qui l’aime et le loue, comme si Dieu resterait non loué, non aimé, non honoré et non connu.

Or toute appropriation tombe, lorsque cette erreur et cette ignorance se transforment en savoir et en connaissance de la vérité.

L’homme se dira alors : fou que j’étais, d’avoir pensé que c’était moi, tandis que c était et que c’est vraiment Dieu.

Chapitre VI. — Qu’on doit aimer avant tout ce qui est le meilleur et le plus noble, pour la seule raison qu’il est le meilleur.

Un maître, appelé Boèce, dit que notre imperfection13 vient de ce que nous n’aimons pas le meilleur [das peste].

Il a raison ! Le meilleur devrait être le plus aimé et dans cet amour on ne devrait considérer ni l’utilité, ni l’inutilité, ni l’avantage ou le désavantage, ni le bénéfice, la perte, l’honneur, les reproches ou choses semblables.

Mais ce qui est en vérité le meilleur et le plus noble devrait être le plus aimé, pour la seule raison qu’il est le meilleur et le plus noble.

Un homme peut ainsi diriger sa vie — intérieurement et extérieurement ! Extérieurement, car parmi les créatures l’une est meilleure que l’autre ; cela dépend du Bien éternel qui se présente [scheinet] et qui agit plus ou moins dans l’une que dans l’autre.

Or cette créature doit être la meilleure, dans laquelle l’éternel Bien se présente, reluit et agit le plus, qui le connaît et qui le désire [gemeinet vvirtj le plus, mais elle est la moins bonne, lorsqu’elle le connaît moins.

Or l’homme qui est en rapport avec les créatures, qui s’en occupe, et qui connaît cette différence, — se tenant à elles et s’unissant avec elles — doit préférer celles qui sont les meilleures, surtout lorsqu’on les attribue à Dieu, lorsqu’elles sont à Dieu, lorsqu’elles sont divines, comme la bonté14, la vérité, la paix, l’amour, la justice, et ainsi de suite.

C’est à ces préceptes que l’homme extérieur devrait s’accommoder ; il devrait mépriser et fuir tout ce qui s’y oppose.

Mais si l’homme intérieur pouvait s’élever d’un seul élan15 jusque dans le Parfait, il trouverait et éprouverait que ce Parfait est infiniment meilleur et plus noble que l’imparfait et les parties; que l’Eternel surpasse tout ce qui est temporel [das ewig uber das zergencklich] et que le puits et la source sont bien au-dessus de ce qui en émane ou s’en écoule16.

Ainsi écarte-t-on les choses imparfaites et les parties deviennent sans goût [absmeckig].

Remarquez bien : cela est indispensable, si toutefois ce qui est le meilleur et le plus noble doit être le plus aimé.

Chapitre VII.— De deux yeux spirituels par lesquels l’homme peut contempler l’éternité et le temps et dont l’un empêche l’action de l’autre.

On lit et on dit que l’âme du Christ avait deux yeux : un œil droit et un œil gauche.

Lorsqu’elle fut créée, elle tourna l’œil droit vers l’éternité et vers la Divinité ; elle resta dans la contemplation et dans la possession17 de l’Etre Divin et de la suprême perfection — immuable, immobile et libre [ungehindert] de tous les accidents, des travaux, des émotions, des souffrances, des afflictions et des peines de l’homme extérieur.

Mais avec l’œil gauche elle se tourna vers les créatures et elle y reconnut les différences, ce qu’il y a de meilleur en elles, comme ce qu’il y a de mauvais, de noble et d’ignoble. C’était selon ces règles que vivait l’homme extérieur du Christ18.

Son homme intérieur était ainsi par l’œil droit dans la parfaite possession de la nature divine, dans la joie et les délices suprêmes, pendant que l’homme extérieur et l’œil gauche de son âme s’absorbaient dans les souffrances, dans les misères et les peines.

Mais l’œil intérieur ou l’œil droit ne fut point touché ou embarrassé par ces souffrances, par ces martyres et ces travaux de l’homme extérieur.

On a dit que lorsque l’homme extérieur du Christ fut flagellé et attaché à la croix, son âme, c’est-à-dire l’homme intérieur selon l’œil droit, jouissait d’une possession divine [yn also volkomner gebrauchung) et d’une joie aussi parfaite que furent les délices après son ascension ou à présent. De même son homme extérieur ou son âme selon l’œil gauche ne fut jamais embarrassé ou retenu par l’homme intérieur dans ses actions extérieures et dans tout ce qui s’y rapporte. Aucun d eux n’empêcha l’autre d’agir.19

Or, l’âme créée de l’homme a aussi deux yeux :

L’un est la faculté de voir dans l’éternité, l’autre celle de voir dans le temps et dans les créatures, d’y reconnaître les différences, comme on vient de l’expliquer et de donner la vie au corps.

Mais ces deux yeux de l’âme humaine ne peuvent pas opérer ensemble. L œil gauche doit renoncer à ses fonctions et doit rester comme mort, pendant que l’œil droit embrasse l’éternité. Egalement faut-il que l’œil droit soit interrompu dans sa contemplation, lorsque l’œil gauche, selon son être extérieur [nach der ausswendigkeit], est en action dans le temps et dans les créatures.

Chapitre VIII. — Que l’âme humaine demeurant encore dans le corps, peut atteindre un avant-goût de la félicité éternelle.

On se demande s’il est possible que l’âme, étant liée au corps, puisse voir dans l’éternité et recevoir ainsi un avant-goût de la vie éternelle et de la félicité suprême.

Généralement on dit que non et avec raison. Gela est impossible, pendant que l’âme est unie au corps et aux choses qui le concernent20, au temps et aux autres créatures, pendant qu’elle s’assimile et se diversifie avec elles21.

Pour contempler l’éternité, l’âme doit être pure et dégagée de tout ce qui est symbolique22 ; elle doit abandonner les créatures et en premier lieu elle-même.

C’est ce que l’on croit impossible dans cette vie.

Pourtant saint Denys l’affirme ; ce que l’on apprend des propres paroles qu’il a écrites à Timothée, en lui disant23 :

Pour contempler les secrets divins, tu dois abandonner les sens, tout ce qui est sensible et tout ce que les sens et la raison peuvent concevoir ; ce que les opérations intellectuelles peuvent produire comme ce que la raison peut comprendre et connaître — qu’il soit créé ou non créé. Puis, dans l’oubli de tout ce que je viens de dire, élève-toi au-dessus de toi-même et tends à l’union avec celui qui est au-dessus de tout être et de toute connaissance.

Saint Denys n’aurait sûrement pas enseigné tout cela à un homme de ce monde s’il ne le croyait pas possible dans ce monde. Aussi faut-il savoir qu’un certain maître a approuvé cette parole du saint, en affirmant même que l’homme pouvait éprouver cela fort souvent24, jusqu’à ce qu’il ait pris l’habitude de regarder et de contempler autant qu’il voudra.

Et tout ce que la créature peut accomplir comme telle n’est ni aussi noble ni aussi bon, ni aussi cher à Dieu que ce regard [der plick].

Chapitre IX. — Qu’il est meilleur et plus utile que l’homme s’aperçoive de ce que Dieu veut accomplir par lui et pour quel but il veut l’utiliser, que d’avoir connaissance de ce que Dieu a accompli ou accomplira par toutes les autres créatures. Que la félicité dépend uniquement de Dieu et de ses œuvres et non pas des créatures.

En vérité, il faut savoir que toute vertu, que tout ce qui est bon et que le Bien même, qui est Dieu, ne peuvent rendre l’homme vertueux, bon ou heureux, pendant qu’ils sont hors de l’âme.

Il en est de même pour le péché et la méchanceté.

C’est pourquoi, quoiqu’il soit utile de savoir et d’apprendre ce que des hommes bons et saints ont fait et souffert, comment ils ont vécu et comment Dieu a agi en eux et par eux, il vaudrait cent fois mieux que l’homme comprenne et connaisse sa propre vie, ce que Dieu est en lui, ce qu’il veut faire et agir en lui et en quoi il veut l’utiliser.

C’est pourquoi il est très vrai de dire que, bien qu’il soit bon de s’intéresser aux choses extérieures, il vaut beaucoup mieux s’occuper de la vie intérieure25.

Il faut aussi savoir que la félicité éternelle ne dépend que d’une seule chose. Si donc l’âme humaine doit devenir bienheureuse, il est nécessaire que cette chose unique demeure en elle.

On se demandera peut-être : Qu’est-ce que c’est cet « Un » ?

Je réponds : Il est le Bien ou plutôt il est devenu le Bien26 ; pourtant il n’est ni ce bien-ci, ni celui-là, que l’on peut connaître, nommer ou montrer ; il est tout et au-dessus de tout.

Il ne doit pas venir dans l’âme, car il y est déjà, mais non connu.

Quand on dit qu’il faut venir à lui ou qu’il doit venir dans l’âme, c’est qu’il faut le chercher, sentir et goûter.

Et puisque ce Bien est Un, il en résulte que l’unité et la simplicité sont meilleures que la multiplicité. Car la félicité ne dépend pas de la pluralité ou de la multiplicité [vil oder vilicheyt], mais de l’Un et de l’Unité.

En un mot, elle ne dépend point de la créature ou de ses actions, mais uniquement de Dieu et de ses fonctions.

Or je ne devrais considérer que Dieu et ses opérations, quitter toute créature avec ses œuvres et surtout me quitter moi-même.

Aussi toutes les œuvres et les miracles que Dieu a accomplis dans les créatures ou qu’il accomplira encore par elles, Dieu même avec toute sa bonté, ne me rendront jamais heureux aussi longtemps qu’ils seront hors de moi.

Je le suis uniquement lorsqu’ils sont en moi, lorsqu’ils agissent en moi, lorsque je les connais, lorsque je les aime, les sens et les goûte en moi.

Chapitre X. — Que les hommes parfaits ne désirent que d’être au Bien éternel ce que la main est pour l’homme. Comment ils ont perdu la crainte de l’enfer et le désir du ciel.

Il faut remarquer que les hommes illuminés de la vraie lumière savent bien que tout ce qu’ils sauront désirer ou choisir — étant illuminés— n’est rien27 en comparaison de ce qui est désiré, demandé ou reconnu par les créatures comme telles.

Pour cette raison, ils abandonnent tout désir et tout choix pour se remettre eux-mêmes et remettre toutes choses au Bien Souverain.

Néanmoins il leur reste un désir — c’est celui d’un avancement et d’une approche continuelle du Bien éternel, c’est-à-dire d’une vraie connaissance, d’un amour ardent, d’une pure jouissance [clarer beheglicheit], d’une soumission et d’une obéissance parfaite. Ainsi tout homme illuminé dirait : « Je voudrais être à l’éternel bien ce que la main est à l’homme. » Ces hommes illuminés craignent toujours qu’ils ne le soient pas assez, aussi souhaitent-ils que tout le monde soit heureux.

Mais ils ne s’approprient point ce désir, sachant qu’il n’appartient pas a l’homme, mais à la bonté éternelle. Car tout ce qui est bien appartient uniquement au Rien éternel et personne ne doit se l’approprier.

Ces hommes illuminés sont dans une telle liberté, qu’ils ont perdu la crainte des souffrances ou de l’enfer, comme aussi l’espoir d’une récompense ou du ciel ; ils vivent dans une pure soumission et humilité à l’égard de l’éternel Bien par un amour tout libre et véritable.

Il en était ainsi en perfection dans le Christ et plus ou moins dans ses successeurs.

Il est déplorable que le Rien éternel nous appelle toujours, qu’il nous apprenne ce qui est le plus noble — et que cependant nous nous y opposions.

Qu’y a-t-il de plus précieux que la pauvreté spirituelle ?

Mais quand on nous la montre, nous la refusons. Nous ne désirons que ce qui nous semble doux28 — et lorsque nous éprouvons en nous une douceur, un plaisir ou un goût agréable, nous croyons être bons et aimer Dieu.

Quand nous en sommes privés, nous voila tristes et désolés. Nous oublions alors Dieu et nous nous imaginons être perdus.

C’est une grande imperfection [grosser prech] et un très mauvais signe, car un vrai dévot [ein war liebhabender mensch] aime Dieu ou le Bien éternel autant dans l’abandon que dans le besoin, dans la douceur que dans l’amertume, en un mot dans tout état.

Tout homme devrait s’observer soi-même pour cela.

Chapitre XI. —Comment l’homme juste est dans l’enfer pendant cette vie sans que rien puisse l’en consoler — et comment il sort de l’enfer pour entrer au ciel, où rien ne peut l’affliger.

L’âme du Christ devait se rendre en enfer avant d’entrer au ciel. Il en est de même pour l’âme humaine.

Ecoutez, cela se passe lorsque l’homme, en s’examinant lui-même, se reconnaît et trouve qu’il est très méchant, qu’il est indigne de tout bien et de toute consolation que Dieu ou les créatures pourraient lui accorder, lorsqu’il se croit éternellement perdu et condamné, lorsqu’il se croit indigne même de tout cela29.

De plus, il s’imagine être indigne de toute souffrance dans ce monde ; il pense que les souffrances sont bien méritées et que toute créature a raison de s’opposer lui et de lui causer des peines et des misères.

Il est content d’être condamné pour toute l’éternité et de servir de marche-pied aux démons de l’enfer. À ses yeux, il ne mérite même pas cela !

Il ne demande aucune consolation, aucune rédemption, ni par Dieu ni par les créatures ; il ne regrette même pas sa damnation et sa peine ; elles lui semblent justes et raisonnables. Proviennent-elles donc de la volonté de Dieu ?

Il s’y soumet et il en est heureux.

Il ne déplore que son péché et sa méchanceté ; il n’y a que cela qui lui cause de la peine, car cela est injuste et contre Dieu.

Voilà ce que l’on appelle la vraie repentance du péché !

Quiconque entre ainsi en enfer dans le temps, entrera au ciel après le temps. Il en a même un avant-goût qui surpasse toutes les joies et tous les plaisirs du monde et des choses temporelles.

Pendant que l’homme est ainsi en enfer, personne ne saurait le consoler, ni Dieu ni les créatures ; comme il est écrit : il n’y a pas de rédemption en enfer. Un homme en a dit31 :

Périr, mourir !

Rien ne me réconforte,

Condamnés,

Mon âme et mon corps32 Que personne ne demande Ma délivrance !

Mais Dieu ne laisse pas l’homme dans cet enfer, il le prend en soi et celui-ci ne désire plus rien, si ce n’est le Bien éternel ! Il reconnaît alors que ce Bien est souverain33, qu’il contient toute joie, toute paix et tout repos.

Or toutes ces délices divines seront à l’homme dès qu’il abandonne le sien pour ne chercher et désirer que le Parfait Bien.

Il est au ciel alors !

Cet enfer et ce ciel sont deux bonnes voies pour l’homme qui est ici-bas. Heureux celui qui ne les manque pas ! Car cet enfer passera, mais le royaume des cieux est éternel.

L’homme doit remarquer qu’il n’y a aucune consolation dans cet enfer et aucun espoir d’en être délivré ; comme au ciel rien ne l’afflige, rien ne le désole ou ne lui fait penser qu’il y a des peines et des misères, quoiqu’il puisse être réconforté et consolé après cet enfer et désolé après ce ciel !

Ces deux états parviennent à lui sans qu’il sache dire d’où ils viennent. Il n’y peut rien faire ou omettre pour les appeler ou pour les empêcher34. Il ne peut ni se les donner ou les prendre, ni les produire ou détruire [gemachen oder entmachen], selon qu’il est écrit35: « L’esprit souffle où il veut et tu en entends le bruit [c’est-à-dire tu sais qu’il est présent36], mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. »

Quand l’homme est dans un de ces deux états, cela est bon pour lui et il est aussi sûr dans l’enfer que dans le ciel.

Pendant sa vie terrestre il peut fort souvent tomber de l’un à l’autre — jour et nuit — sans sa propre intervention.

Mais n’est-il ni en enfer ni au ciel, c’est qu’il s’occupe des créatures, c’est qu’il ne sait ni se fixer ni à quoi s’en tenir ! [und wackelt her und dar].

Néanmoins l’homme ne devrait jamais oublier ces deux états de son âme.

Chapitre XII. — Ce qu’est cette vraie paix intérieure que le Christ a laissée à ses disciples. Comment l’homme se libère quelquefois trop tôt des choses symboliques. Des trois degrés qui amènent l’homme à la perfection.

Beaucoup de personnes disent qu’elles n’ont ni paix ni repos, mais bien des infortunes et des tentations, des oppressions et des tourments.

Si l’on examine bien cela, on verra que le démon même vivrait en paix dès que tout irait selon sa volonté et ses désirs.

Mais nous devons avoir égard au Christ et considérer la paix qu’il accorda à ses disciples en disant37 : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne, car le monde trompe avec ses dons. »

Quelle est donc cette paix du Christ ?

C’est la paix intérieure qui vainc38 toutes les tentations, toutes les contrariétés et toutes les oppressions, qui surmonte toute misère, toute infamie et choses pareilles ; cette paix qui fait tout supporter joyeusement et avec patience, comme l’ont fait ses disciples, et non seulement eux, mais tous les amis choisis de Dieu et les vrais successeurs du Christ.

Or, quiconque tend à la connaissance de la paix éternelle et véritable, avec amour, avec soin et ardeur, possédera la paix, en tant que la créature comme créature peut la posséder.

Tauler dit39 qu’il y a des personnes dans le monde qui se dégagent trop tôt des images40, c’est-à-dire avant que la vérité les en libère. En voulant ainsi se détacher elles-mêmes, elles n’atteignent pourtant pas la vérité ou elles l’atteignent avec grande peine.

Pour cela il faut, dans tous les temps, faire attention aux opérations et aux ordres de Dieu : à ses désirs [treibung] et à ses demandes [vermanung], et non pas aux ordres et aux désirs des hommes.

On doit savoir que personne ne peut être illuminé avant d’être purifié, réformé et délivré [gereynigt, geleutert und geledigt].

De même, personne ne peut s’unir avec Dieu avant d’être illuminé.

Donc, il y a trois voies pour arriver à Dieu : Premièrement la purification, puis l’illumination et l’union.

Chapitre XIII. — Tous les hommes sont morts en Adam et ont revécu en Christ. De la vraie obéissance et de la désobéissance.

Tout ce qui a péri et tout ce qui est mort en Adam, est ressuscité et a recouvré la vie en Christ.

Tout ce qui est ressuscité et a revécu en Adam, a péri et est mort en Christ.

Mais qu’est-ce que c’est ?

Je dis : La vraie obéissance et la désobéissance.

Quelle est alors cette vraie obéissance ?

Je dis : Elle est le renoncement à soi-même, à toute individualité, à tout « moi » et « à moi » ; elle est l’abandonnement de toutes choses, l’oubli et le dédain de tout ce qui est crée !

Mais qu’est-ce qui est véritable, qu’est-ce qu’il faut estimer ?

Je dis : C’est cet « Un », que l’on appelle Dieu.

Voilà la véritable obéissance, telle qu’elle est dans l’éternité bienheureuse.

On n’y cherche, on ne désire, on n’aime rien que cet « Un » ; on n’y estime que lui seul.

On voit par là que la désobéissance est ce que l’homme s’attribue quelque chose à soi-même, qu’il croit représenter quelque chose, savoir ou pouvoir quelque chose ; qu’il se cherche soi-même et son propre dans tout, qu’il s’aime, et ainsi de suite.

L’homme a été créé pour vivre dans la vraie obéissance, et il la doit à Dieu.

Cette obéissance a péri et elle est morte en Adam, mais elle a revécu et elle est ressuscitée en Christ. Pareillement, la désobéissance est ressuscitée et a pris vie en Adam, en mourant en Christ.

Pour sûr l’humanité du Christ était et demeurait sans elle-même. et sans aucune chose créée, comme cela n’est arrivé à aucune créature ; elle n’était qu’un domicile et une demeure pour Dieu.

Elle ne s’appropriait rien de ce qui est à Dieu, ni sa propre vie, ni son humanité, qui était le domicile de la Divinité. Elle ne s’attribuait pas non plus la Divinité qui demeurait en elle, ni rien de ce que la Divinité voulait ou opérait en elle ; ni ce qui se passait en elle ou ce qu’elle devait souffrir !

L’humanité du Christ ne s’appropriait rien, ne désirait et ne cherchait rien que de satisfaire Dieu. Elle ne s’attribuait même pas ce désir.

Mais on ne peut plus écrire ou parler ici de ces choses41, car elles sont inexprimables ; jamais on ne les comprendra, jamais on n’en connaîtra le fond. Personne ne peut en parler ou en dire quelque chose, même pas celui qui les comprend lui-même.42

Chapitre XIV. — Ce qu’est l’ancien homme et ce qu’est le nouvel homme.

Il faut aussi savoir ce que c’est que le vieil homme et le nouvel homme.

Le vieil homme c’est Adam et la désobéissance, l’estime de soi-même, l’appropriation et choses pareilles.

Le nouvel homme, au contraire, est le Christ et l’obéissance.

Et lorsqu’on parle de « mourir » et de « périr » et ainsi de suite, cela veut dire que le vieil homme devrait périr.

Quand cela se fait dans la vraie lumière divine, l’homme nouveau renaît.

Ne dit-on pas que l’homme doit mourir à lui-même ? Cela signifie que son « moi » et son « à moi » doivent être anéantis.

Saint Paul nous a dit43: « Ecartez l’ancien homme avec toutes ses actions et mettez à sa place un nouvel homme qui est créé selon l’image de Dieu. »

Celui donc qui vit dans son « moi » selon le vieil homme s’appelle et il est véritablement l’enfant d’Adam ; il peut même adapter cette vie à tout son être jusqu’à devenir l’enfant et le frère du diable.

Mais celui qui vit dans l’obéissance et selon le nouvel homme est le frère du Christ et l’enfant de Dieu.

Dès que l’ancien homme meurt, dès que le nouvel homme naît, se fait cette autre naissance, dont le Christ nous a dit44 : « Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. » Et saint Paul45 : « Car comme tous meurent par Adam, de même tous revivront par Christ. »

Cela veut dire que ceux qui suivent Adam dans la désobéissance meurent tous et ne peuvent revenir à la vie que dans le Christ, c’est-à-dire dans l’obéissance.

Car l’homme est sans Dieu pendant qu’il est Adam ou l’enfant d’Adam, selon la parole du Christ46 : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. »

Or, celui qui est contre Dieu est mort devant Dieu ; et il suit de là que tous les enfants d’Adam sont morts devant Dieu.

Mais celui qui est avec le Christ dans l’obéissance vit et il est avec Dieu.

On a écrit : Pécher, cela veut dire que la créature se détourne du Créateur ! C’est la même chose, car celui qui est dans la désobéissance est dans le péché, et le péché ne peut être réparé ou corrigé que par le retour à l’obéissance.

Pendant que l’homme demeure dans la désobéissance, le péché n’est point expié ou réparé, quoi qu’il fasse ; car la désobéissance et le péché sont identiques. Mais tout est effacé, tout est corrigé et pardonné dès qu’il revient à l’obéissance, et non autrement.

C’est chose à remarquer : le diable même, s’il retournait à la vraie obéissance, deviendrait un ange et son péché comme sa méchanceté seraient corrigés et pardonnés. De même, un ange tombé dans la désobéissance deviendrait un diable, quoiqu’il ne fasse aucune autre chose.

S’il était possible qu’un homme vive aussi purement et entièrement sans soi, et sans les créatures, dans la vraie obéissance du Christ, cet homme-là serait sans péché ; il serait un avec le Christ ; il serait par grâce ce que le Christ était par nature.

Mais on dit que cela est impossible, comme on dit aussi que personne n’est sans péché.

Quoi qu’il en soit, il est vrai que plus on s’approche de cette obéissance, moins on demeure dans le péché ; plus on s’en éloigne, plus on demeure dans le péché.

Brièvement, que l’homme soit bon, meilleur ou très bon, qu’il soit mauvais, pire ou très mauvais, pécheur ou bienheureux devant Dieu, cela dépend tout à la fois de cette obéissance et de cette désobéissance.

C’est pourquoi il est écrit quelque part : Plus de « moi » et de « à moi » [selbheit und icheyt], plus de péché et de méchanceté ; moins de ceci, moins aussi de cela.

Et encore autre part : Plus mon « moi », c’est à-dire mon égoïté et mon propre diminue, plus le « moi divin » [gottes ich], c’est-à-dire Dieu même, augmente en moi.

Si tous les hommes étaient dans la vraie obéissance, il n’y aurait ni peine, ni tristesse, sauf les petites souffrances des sens, qu’on ne doit pas craindre.

Si donc tout le monde était dans l’obéissance, tous seraient d’accord et on ne se ferait plus de mal et de peine.

Or, si personne ne s’opposait à Dieu ou n’agissait contre lui, d’où alors pourraient venir le mal et la méchanceté ?

Mais, hélas ! tous les hommes sont dans la désobéissance.

S’il y en avait un seul qui vivrait entièrement et purement dans l’obéissance, comme nous croyons que fut le Christ, — et il le fut en vérité, sans cela il n’eût pas été le Christ, — toute désobéissance au monde lui serait alors une grande et pitoyable peine. Tous les hommes seraient alors contre lui, car dans celte obéissance il serait un avec Dieu : en effet, Dieu serait lui-même cet homme47.

Toute désobéissance est donc contre Dieu, et rien autre.

Sans doute, rien n’est contre Dieu ou ne lui est désagréable, ni les créatures, ni leurs actions, ni tout ce qu’on peut nommer ou penser, rien que la désobéissance de l’homme.

En un mot, tout ce qui est lui convient et lui est agréable, sauf la désobéissance de l’homme. Elle lui déplaît tellement, elle lui est si contraire et lui paraît si déplorable, qu’il voudrait cent fois souffrir la mort, pour anéantir la désobéissance dans un homme et pour y remettre l’obéissance, pour que l’homme ne s’aperçoive pas et ne souffre pas de ce qui s’oppose à lui48.

Or, quoiqu’un homme ne soit peut-être pas capable de vivre dans la pure et parfaite obéissance du Christ, il peut cependant s’en approcher, de manière qu’on l’appelle et qu il soit véritablement divin ou déifié !

À mesure qu’il s’en approche et se divinise, la désobéissance, le péché et l’injustice l’affligent, l’offensent et lui causent une peine amère.

La désobéissance et le péché sont identiques.

Il n’y a point de péché, excepté la désobéissance et tout ce qui s’ensuit.

Chapitre XV. — Qu’on ne devrait pas s’approprier le bien, mais qu’on devrait avouer le mal qu’on a fait.

On dit qu’il y a des hommes croyant et disant qu’ils sont tout à fait morts à eux-mêmes ; qu’ils ont entièrement renoncé à eux-mêmes, qu’ils peuvent ainsi vivre dans un état d’insensibilité où plus rien ne les touche, comme si les créatures n’existaient pas ou que tous les hommes fussent dans cet état d’obéissance. Ils mènent donc une vie facile et agréable, se conduisant à leur guise en quoi que ce soit.

Mais il n’en est pas ainsi ; il en est comme nous venons de le dire.

On pourrait être heureux si tous les hommes étaient dans l’obéissance ; mais puisque ceci n’est pas, il n’est pas possible non plus de vivre heureux.

Ne faut-il donc pas, pourrait-on objecter, que l’homme écarte tout et qu’il ne s’attribue rien, ni Bien, ni mal ?

Je réponds : Personne ne doit s’approprier le Bien, car il est à Dieu et il provient de sa grande bonté. Mais grâce, récompense et félicité éternelle à celui qui est disposé et préparé à être le domicile et la demeure de l’éternel Bien et de la Divinité, qui les fait agir en lui avec leur puissance et leur volonté sans s’y opposer.

Mais, veut-on s’excuser du mal pour s’en délivrer et le rejeter sur le diable et la méchanceté, alors je dis : Disgrâce, malheur, misère et damnation éternelle à l’homme qui est prêt à recevoir en lui le diable et sa fausseté, ses mensonges et ses méchancetés ; qui les fait demeurer en lui avec toute leur volonté, leur puissance, leurs actions et leurs paroles.

Chapitre XVI. — Que la vie du Christ est la meilleure et la plus noble vie qui ait jamais été et qui sera jamais. Que la vie libre, fausse et insouciante, est la plus mauvaise vie.

On doit bien considérer, savoir et croire qu’il n’y a pas de vie si noble, si bonne et si agréable à Dieu que la vie du Christ, quoiqu’elle soit très amère à toute nature et à tout homme égoïste.

La vie libre et insouciante [rauchlos], au contraire, est douce et agréable à la nature, au « moi » et au « à moi ».

Cependant, elle n’est point la meilleure et la plus noble vie ; elle peut même devenir la plus mauvaise vie49, dans quelques personnes.

Or, bien que la vie du Christ soit la plus amère, elle est pourtant la plus agréable, ce que l’on voit en ce qui suit : elle est une connaissance, qui nous fait comprendre le Bien Unique et véritable ; ce Bien qui n’est pas déterminé, mais qui est le Bien, dont saint Paul nous a dit : Lorsque le Parfait et le complet [das gantz] sera venu, toute imperfection et tout ce qui est particulier sera anéanti50, ce qui veut dire que le Parfait surpasse les parties, et que l’impartait et les parties ne sont rien en comparaison du Parlait.

Ainsi, toute connaissance de ce qui est partiel périt lorsqu’on vient à connaître le Parfait, et lorsqu’il est connu, on doit l’aimer. Assurément, on l’aimera dans la mesure où tout amour-propre et tout amour des créatures seront complètement anéantis.

Cette connaissance-là reconnaît bien le meilleur et le plus noble dans les créatures, elle l’aime dans le véritable Bien, sans autre raison que parce qu’il est le Bien.

Or là où est cette connaissance, on reconnaît que la vie du Christ est la meilleure et la plus noble vie ; on l’y tient aussi pour la plus agréable, on l’aime et on la supporte sans considérer ou demander si elle est agréable ou désagréable à quelqu’un ou si elle est chère ou pénible à la nature.

Il faut aussi remarquer que la vie du Christ demeure dans l’homme qui a reconnu en lui-même le Bien véritable, et elle y reste jusqu’à la mort. Qui n’y croit pas se trompe et qui s’y oppose ment. Qui ne connaît pas la vie du Christ ne connaîtra jamais la vérité et le Bien Souverain.

Chapitre XVII. — Qu’on ne peut atteindre la vraie lumière et la vie du Christ en posant beaucoup de questions, ni par la lecture, par les sciences reconnues ou par la raison humaine — mais en se quittant soi-même et en abandonnant toutes les choses.

On ne doit pas croire qu’on peut atteindre celte véritable lumière, cette parfaite connaissance ou celle noble vie du Christ par ouï-dire ou en posant des questions, en lisant ou en étudiant ; ni par les arts, ni par une connaissance parfaite de ce qui est beau et bon, ni par une grande intelligence naturelle.

Je dirai plutôt : Le fait même que l’homme s’attache aux choses, qu’il les aime, qu’il suit ses propres opinions, ses pensées et ses désirs, qu’il cherche ce qui est créé, soit lui-même, soit autre chose, l’empêche d’y arriver51.

C’est ce dont le Christ a témoigné lui-même en disant52 : « Si quelqu’un veut venir avec moi, qu’il renonce à soi-même et qu’il me suive ; quiconque ne renonce pas à soi-même, quiconque n’abandonne et ne quitte pas soi-même et toutes les choses, n’est pas digne de moi et ne peut pas être mon disciple. »

Cela signifie que personne ne peut me connaître véritablement ni atteindre ma vie, à moins qu’il ne quitte et n’abandonne les choses.

Si ces paroles n’avaient jamais été prononcées par la bouche de l’homme, la vérité elle-même en rendrait témoignage, car il en est ainsi en vérité.

Mais puisque l’homme aime les choses créées, et surtout soi-même, puisqu’il s’y attache et les estime, il s’en laisse tellement fasciner, qu’il ne reconnaît aucun Bien, sauf celui qui est agréable et aimable à sa nature. C’est ce bien-là qu’il aime le plus et qu’il croit être le meilleur.

Chapitre XVIII. —La vie du Christ, étant la plus amère à toute nature et à tout « moi », la nature n’en veut pas; mais elle embrasse une vie fausse et insouciante qui lui semble la plus gaie et la plus agréable.

La vie du Christ est donc la plus pénible et la plus amère à toute nature, à toute appropriation et à tout égoïsme, car elle consiste véritablement dans l’abandon et dans la renonciation complète du « moi », du « à moi » et de tout ce qui est créé.

Or chaque nature a horreur de cette vie ; elle lui parait mauvaise, injuste et un grand tort. Cette nature adopte ensuite une vie qui est gaie et agréable et qui lui parait bonne dans son aveuglement.

Il n’y a aucune vie aussi commode et aussi facile à la nature que cette vie de liberté et d’impiété [das frey, rauchlos leben].

Pour cette raison, la créature s’y attache en écoutant sa nature et ses inclinations ; elle croit y trouver sa paix, son aise [gemach] et tout son propre.

C’est ce qui arrive surtout aux hommes d’une intelligence supérieure, qui s’élèvent devant eux-mêmes jusqu’à une telle hauteur, qu’ils tiennent leur propre lumière pour la lumière éternelle et véritable. Ils la font passer pour telle, mais ils se trompent eux-mêmes par là, et ils trompent ceux qui inclinent à des choses semblables dans leur ignorance.

Chapitre XIX. — Comment un ami de Dieu accomplit volontiers par ses œuvres toutes les choses extérieures qui doivent et devraient être — mais ne considère rien d’autre.

Si on me demande où en est cet homme qui vit dans la véritable lumière autant que possible, je réponds : On n’a jamais pu le dire53.

Pourquoi ?

Celui qui ne le connaît pas ne peut pas le dire, et celui qui le connaît et qui l’a éprouvé ne peut pas le dire non plus !

Or, quiconque veut le savoir doit attendre jusqu’à ce qu’il le reconnaisse lui-même.

Pourtant, je crois qu’un homme peut diriger son caractère, et sa conduite de manière qu’il supporte54 ce qui est nécessaire et indispensable, mais ne souffre rien qui est inutile et qui provient de sa propre volonté.

Il y a cependant des hommes qui s’imaginent qu’il y a bien des choses indispensables et nécessaires, ce qui n’est pas juste.

Lorsqu’un homme est entraîné par son avidité, [geitzickeyt], sa malignité ettous ses vices à faire ou à omettre une chose, alors il dit : Cela doit être, cela est nécessaire.

Voilà qui est faux.

Et si la faveur, l’amitié des hommes, ou enfin les désirs de son corps le conduisent à une chose ou l’en éloignent, alors il dit : Cela doit être, cela est nécessaire.

Voilà qui est encore faux.

Si l’homme n’avait pas d’autres nécessités ou d’autres devoirs, excepté ceux que Dieu ou la vérité lui imposent et indiquent, il aurait plus à accomplir et à achever qu’à présent.

Chapitre XX. — Comment l’homme peut être saisi et possédé de l’esprit de Dieu et aussi de l’esprit malin.

On dit que le diable et son esprit s’emparent quelquefois d’un homme et le saisissent de manière qu’il ne sait plus ce qu’il fait ou ce qu’il omet. Il n a plus d autorité sur lui-même ; il est tellement sous la puissance de ce méchant esprit que celui-ci peut agir et opérer en lui et par lui selon sa volonté.

Il est vrai dans un sens que tout le monde est sous la puissance du diable, c’est à-dire sous la puissance des mensonges, de la fausseté, de la méchanceté et d’autres vices.

Tout cela peut être appelé : diable, quoiqu’on puisse en parler dans un autre sens.

Or un homme saisi tellement de l’esprit de Dieu, qu’il n’est plus maître de soi-même, qu’il ne sait plus ce qu’il fait ou ce qu’il ne fait pas, un homme dont l’esprit divin se serait tellement emparé qu’il demeurait en lui, en y agissant et opérant librement, un tel homme serait un de ceux dont saint Paul nous a dit55 : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu et ne sont pas sous la loi. »

C’est à ceux-là que le Christ s’adresse en disant56 : « Ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera par vous. »

Mais je crains que pour un seul homme rempli de l’Esprit de Dieu il y en ait cent mille qui sont possédés du démon.

Cela vient de ce que les hommes ressemblent plus au diable qu’à Dieu ! Le « moi » et l’égoïsme sont au diable ; c’est pourquoi il est le diable.

On pourrait expliquer tout ce que je viens de dire en un mot ou deux : Sois purement et entièrement sans toi-même Mais toutes ces explications l’ont encore mieux interprété, désigné et prouvé.

On dira peut-être : Tout cela ne peut pas se faire en moi, car je ne suis pas prêt.

Voilà une bonne excuse, à laquelle on peut répliquer que c’est uniquement la propre faute de l’homme s’il n’est pas prêt.

S’il n’avait rien à faire ou à achever que de s’occuper de sa préparation en toutes choses, Dieu voudrait bien le préparer.

Et pourvu que l’homme soit de bonne volonté, Dieu témoignerait autant d’amour, d’ardeur et de sincérité pour le préparer que pour rentrer57 en lui.

Cependant quelques pratiques sont nécessaires pour cela, comme on dit qu’il faut quatre choses pour apprendre un art que l’on ne connaît pas.

Premièrement et principalement il faut un amour, une ardeur persévérante et un grand désir de connaître cet art ; cela est indispensable. Puis il faut un exemple que l’on puisse suivre. Troisièmement il faut faire attention au maître, l’aider, lui obéir, l’imiter et croire en lui. Enfin, il faut y mettre la main soi-même et pratiquer avec ardeur.

Il est impossible d’apprendre cet art ou de l’atteindre, si une seule de ces quatre choses manque.

Il en est de même pour cette préparation.

Quiconque a l’amour et le désir constant et sincère d’arriver au but trouvera, en cherchant, tout ce qui lui est nécessaire et utile.

Mais qui n’a pas l’amour, la ferveur et le désir, ne cherche pas et par conséquent ne trouvera rien. Il ne sera jamais prêt et n’arrivera jamais au but.

Chapitre XXI. — Qui veut souffrir Dieu et qui veut se soumettre à lui doit souffrir toutes les choses, c’est-à-dire Dieu, lui-même et toute créature. Il doit leur obéir d’une manière passive et quelquefois aussi d’une manière active.

En parlant des moyens de cette préparation, on parle aussi de ce qu’il faut souffrir Dieu et lui obéir ; qu’il faut s’abandonner et se soumettre à lui.

C’est juste. Car quiconque atteint le but que l’on peut atteindre ici-bas, possédera au plus haut degré tout ce que nous venons de dire.

Mais qui doit et qui veut souffrir Dieu doit tout souffrir ; c’est-à-dire Dieu, soi-même et toute créature, sans aucune exception. Et quiconque doit et veut obéir, se soumettre et s’abandonner à Dieu, doit aussi obéir, se soumettre et s’abandonner aux choses d’une manière passive et non active, en descendant silencieusement jusqu’au fond de son âme58, en y demeurant et souffrant en secret tout ce qu’il doit souffrir et supporter, sans demander secours ou pardon, sans s’opposer, sans se venger, sans vouloir ou faire quelque chose, mais en s’écriant, rempli d’humilité, d’amour et de miséricorde : Mon Dieu, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font59.

Ce serait une bonne route vers le Bien et une bonne préparation pour atteindre le but final quel homme peut atteindre dans le temps ; c’est la douce vie du Christ qui renferme entièrement et parfaitement toutes les routes qu’il faut suivre jusqu’à la mort.

Il n’y a pas d’autre voie ou une meilleure préparation pour arriver à la douce vie du Christ, que cette vie même, qu’il faut pratiquer autant que possible60. Nous avons indiqué tout ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Tout ce que nous venons de dire ici et autre part est une voie ou une indication pour le but final. Mais personne ne peut expliquer ce que c’est cette fin ; quiconque désire la connaître doit suivre la bonne route qui est la vie indiquée.

Chapitre XXII. — Quatre choses sont nécessaires pour que l’homme puisse parvenir à la vérité divine et pour qu’il soit possédé de l’Esprit Saint.

Il y a cependant des moyens pour atteindre cette vie, comme nous venons de l’expliquer.

Quand Dieu et l’homme sont tellement unis que l’on peut dire en vérité et que la vérité elle-même l’affirme : Ce vrai et partait Dieu et ce vrai et parfait homme sont un ; quand l’homme s’abandonne cependant tellement à Dieu61 que Dieu y devient l’homme, qu’il y demeure lui-même dans son action éternelle62, en y opérant et reposant sans désir égoïste, sans « moi » et « à moi », là et nulle autre part se trouve le vrai Christ.

C’est le vrai et parfait homme dans lequel demeure aussi un parfait sentiment et un vrai goût du bien et du mal63, de la joie et de la peine et de tout ce qu’on peut sentir et éprouver extérieurement et intérieurement.

Or, comme Dieu y est devenu l’homme même, il y ressent aussi et il apprend ce que sont la joie et la peine et toutes ces choses.

Un homme qui n’est pas Dieu ressent et reconnaît tout ce qui est désagréable et pénible à l’homme, surtout tout ce qui lui est contraire ; de même un homme qui est un avec Dieu, mais dans lequel Dieu est l’homme, ressent et reconnaît tout ce qui est contraire à Dieu comme à l’homme.

Mais puisque dans un tel homme Dieu est tout et que l’homme n’est rien, il ensuit que tout ce qui est contraire à l’homme en lui et ce qui l’attriste ne paraît rien devant les peines et les afflictions du Dieu en lui.

Et cela doit durer aussi longtemps que dure la vie corporelle et sensible [wesenlich leben].

Remarquez-le bien, cet « Un». dans lequel Dieu et l’homme sont unis, est libre de toute appropriation et de toute égoïté ; il est à Dieu et non pas à l’homme ou à la créature.

Car c’est la propriété de Dieu de ne se rien approprier ou attribuer et de ne pas s égaler ni à ceci ni à cela ou à n’importe quoi. Mais il est propre à la créature et à la nature de se chercher elle-même partout et de désirer ou de convoiter son propre dans tout ce qu’elle fait ou omet64.

Or, lorsque la créature ou l’homme abandonne et anéantit son propre, son « moi » et son égoïté, Dieu y rentre avec son moi et ses propriétés.

Chapitre XXIII. — De deux mauvais fruits qui proviennent de la semence de l’esprit malin et qui sont deux sœurs qu’on trouve souvent ensemble ; l’une est l’abondance ou l’orgueil spirituel, l’autre est la liberté fausse et dénaturée.

Ce fait est remarquable. Lorsque l’homme a suivi et pratiqué toutes ces règles qui le conduisent à la vérité, lorsqu’il a eu tant de peines, qu’il peut s’imaginer avoir tout accompli, être mort à lui-même et s’être abandonné lui-même pour se rendre à Dieu, alors le diable vient semer sa semence en lui.

De cette semence proviennent deux fruits : l’un, une richesse spirituelle ou un orgueil spirituel ; l’autre, une liberté, qui est fausse et dénaturée [ungeordente].

Ces deux fruits sont comme deux sœurs, que l’on trouve bien souvent ensemble. Voyez comment cela se passe : le diable influence l’homme de manière que celui-ci croit et s’imagine enfin être tout proche du but suprême et n’avoir plus besoin, ni des Ecritures ni d’autres ressources ! Il croit être au-dessus de tout cela [durftlos], ce qui produit en lui un calme et une grande satisfaction qui le font s’écrier en lui-même : Me voilà au-dessus de tout le monde par mon savoir et par mes connaissances supérieures. Il est donc très juste que les créatures et que surtout tous les hommes me prennent pour Dieu, et il n’est que naturel qu’ils se soumettent à moi, qu’ils m obéissent et me servent !

Cet homme-là pense aussi que tout le monde est obligé de se soumettre à lui et il s’en croit très digne ; — en plus, il le cherche, il le désire et l’accepte volontiers de toutes les créatures, surtout des hommes, qu’il tient tous pour des bêtes et des brutes inférieures. Il cherche et croit mériter tout ce qui est agréable à son corps, à sa chair et à sa nature. Il s’empare de tout ce qui lui parait délicieux, amusant et réjouissant, croyant que ce n’est même pas encore suffisant pour lui.

Ceux qui lui sont assujettis et obéissants lui semblent être très nobles et très sincères, quoiqu’ils ne soient que des voleurs ou des meurtriers. Il leur attribue un esprit plein de fidélité et d’amour pour la vérité et pour les pauvres. Ce sont ceux-là qu’il loue, qu’il cherche et qu’il suit partout.

Quiconque n’obéit pas à ces hommes orgueilleux, quiconque ne les sert pas et ne se soumet pas à leur volonté, est blâmé, méprisé et oublié par eux, même s’il est un saint comme saint Pierre.

La richesse et l’orgueil spirituels s’imaginent ne pas avoir besoin des Ecritures et des instructions ; or ils méprisent les ordres, les règles, les lois, les commandements et les sacrements de l’Eglise ; ils se moquent d’eux comme de ceux qui les estiment et les observent.

On voit par là que ces deux sœurs demeurent toujours ensemble.

Comme cet orgueil spirituel s’imagine savoir et connaître plus que tout le monde, il veut aussi raisonner [claffen] et parler plus que les autres ; il veut qu’on n’écoute et n’estime que ce qu’il dit et ce qu’il explique, mais qu’on méprise les paroles et les raisonnements des autres et qu’on s’en moque.

Chapitre XXIV. — De la pauvreté de l’esprit et de la vraie humilité. Comment on peut reconnaître ceux qui sont véritablement justes, ordonnés et libres, c’est-à-dire ceux qui ont été libérés par la vérité même.

Il en est tout autrement avec la pauvreté et la vraie humilité spirituelles.

Cela vient de ce qu’on y trouve et reconnaît en vérité que l’homme n’est rien de soi-même ; qu’il ne peut et ne vaut rien et qu’il n’a rien de propre, sauf ses défauts, ses vices et sa méchanceté.

Il s’ensuit qu’il se trouve indigne de tout ce que Dieu ou les créatures peuvent lui accorder ; à Dieu et aux créatures pour Dieu il croit devoir tout ce qu’il souffre et tout ce qu’il accomplit. C’est pourquoi il n’a véritablement droit à rien et il se dit d’un humble cœur : Il est bon et raisonnable que Dieu et toute créature soient contre moi et qu’ils soient mes maîtres, que je n’aie aucun droit et ne m’oppose à personne.

Par conséquent, l’homme n’ose rien demander, ou exiger, ou désirer de Dieu ni des créatures, que la pauvreté. Il l’accepte même tout en crainte, [mit forchten], comme une grâce et non comme un droit. Il n’accorde à son corps et à sa nature que les agréments et les plaisirs qui lui sont nécessaires. Il ne permet à personne de l’aider ou de lui rendre des services, sinon en toute humilité et crainte ; car il n’a droit à rien et il ne mérite rien.

Un tel homme pense que toutes ses paroles et ses discours sont insignifiants et n’ont aucune valeur ; il ne parle et ne raisonne pas pour enseigner ou pour corriger, s’il n’y est pas conduit par son amour sincère de Dieu ! Il le fait alors en toute humilité et modestie [so es mynderst mag].

Dans cette humilité et dans cette pauvreté spirituelles, on reconnaît aussi que tous les hommes sont égoïstes64, qu’ils inclinent aux vices et aux méchancetés, et qu’il est nécessaire et bien utile qu’il y ait des méthodes, des règles, des lois et des commandements pour instruire ceux qui sont aveugles65, pour vaincre la méchanceté et pour établir l’ordre.

Sans ces règles, les hommes seraient beaucoup plus mauvais et plus désobéissants que les chiens et les autres bêtes.

Maint homme a été attiré et amené à la vérité par ces lois et ces règles, ce qui n’aurait pas eu lieu sans elles. Peu d’hommes aussi ont atteint la vérité sans les avoir connues et pratiquées, pendant qu’ils ne savaient encore rien de mieux.

Or, celui qui vit dans un esprit humble et dans une pauvreté spirituelle, ne repousse point les commandements, les lois, les ordres et les règles; il ne méprise pas non plus, ni ne raille les personnes qui s’en occupent et qui les observent. Mais il s’écrie, d’un cœur rempli d’amour et de pitié, de compassion et de crainte plaintive : Je t’invoque, mon Dieu et ta vérité, et je déplore comme tu dois le déplorer que les vices et les malignités des hommes aveuglés rendent indispensable ce qui en vérité n’est pas nécessaire66.

Il désire que les hommes qui ne savent pas atteindre la vérité autrement que par ces lois et ces ordonnances sachent et reconnaissent au moins pourquoi elles doivent exister.

Et il les observe avec les autres qui ne savent rien de mieux ; il les pratique avec eux, pour les détourner du mal et les conduire au Bien [zu einem nehern prengen].

Tout ce que je viens de dire ici de la pauvreté et de l’humilité est ainsi en vérité ; la vie et les paroles du Christ en sont la preuve. Car le Christ a observé et pratiqué toutes les œuvres de la vraie humilité pendant sa vie et il les a enseignées par ces paroles67 : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Il n’a pas négligé les commandements ou méprisé les lois, ni les hommes qui s’y tiennent, bien qu’il dise que cela ne suffit pas et qu’il faut s’avancer plus loin, comme il en est en vérité.

Saint Paul a écrit68 : « Le Christ fut assujetti à la loi, afin qu’il rachetât ceux qui étaient sous la loi. » Cela signifie qu’il voulait les conduire à un meilleur et plus haut Bien.

Le Christ dit de même69 : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir. »

En un mot, dans les paroles, dans les œuvres et dans la vie du Christ, il n’y a qu’une pure humilité et pauvreté, comme on vient de le démontrer.

Et cela devrait se trouver là où demeure le Christ, là où Dieu est homme, car le Christ et son vrai imitateur sont loin de l’orgueil, de la richesse spirituelle et de l’esprit léger et libertin.

Le Christ a dit70 : « Mon âme est saisie de tristesse jusqu’à la mort, » c’est-à-dire elle le fut dès sa naissance de Marie jusqu’à sa mort corporelle ; il entend par là la mort du corps, dont nous avons déjà parlé71.

Il a encore dit72 : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. »

Et la vérité dit aussi, bien que cela ne soit pas écrit : Malheureux et maudits sont les riches et les orgueilleux en esprit, car le royaume du diable est à eux.

On reconnaît cela en vérité lorsque Dieu même est homme.

Or là où est le Christ et son vrai imitateur, il y a nécessairement une vraie et sincère humilité de l’esprit, une pauvreté spirituelle et un cœur soumis, ne s’occupant que de la vie intérieure [eyn ynbleibendes Gemüt] et rempli de souffrances et de peines secrètes jusqu’à la mort corporelle.

Celui qui n’y croit pas se trompe et il trompe les autres, comme nous l’avons déjà expliqué73.

Ainsi toute nature et toute égoïté fuit cette vie pour s’attacher à la libre et fausse vie, que nous avons décrite74.

Mais, si un Adam ou bien un diable venait pour se justifier [behelffen| ou pour s’excuser en disant : « Comment ! le Christ est sans soi-même et pourtant il a très souvent parlé de lui-même et s’est vanté de ceci et de cela et de toutes sortes de choses ? » alors on pourrait répondre que lorsque la vérité doit et veut agir et vouloir quelque chose, sa volonté, son désir et son action ne veulent que faire connaître et comprendre la vérité même.

Il en est ainsi en Christ.

Ses paroles et ses actions et tout ce qu’il faisait de bon et de très utile n’avaient que ce motif-là.

Il était libre de toutes ces choses75 comme des autres qui se passaient.

Tu pourrais dire : Alors il y avait cependant un pourquoi76 dans le Christ ?

Je réponds que si l’on demandait au soleil : Pourquoi brilles-tu ? il ne saurait que répliquer : Je dois briller et je ne peux pas faire autrement, car c’est ma nature et cela m’est propre, mais je ne m’attribue point cette faculté de briller.

Il en est de même pour Dieu et pour le Christ.

Tout ce qui est à Dieu et tout ce qui est divin ne veut, ne désire et n’agit que pour le Bien, parce qu’il est le Bien.

Il n’a pas d’autre pourquoi !

Chapitre XXV. — Comment on doit l’entendre lorsque le Christ dit qu’il faut abandonner et quitter toute chose. En quoi consiste la vraie union avec la volonté divine.

Ecoutez : lorsqu’on dit, comme l’a dit le Christ, qu’il faut abandonner et quitter toutes choses, cela ne signifie pas que l’homme ne doit rien faire ou ne pas agir du tout, car il est nécessaire qu’il travaille et qu’il s’occupe de quelque chose pendant sa vie.

On doit comprendre cela ainsi : tout pouvoir et savoir humain et tout ce que la créature peut faire ou ne pas faire n’est pas cela dont l’union dépend.

Qu’est donc l’union ? [Die einigung].

Que l’on soit purement, humblement, véritablement et entièrement un avec la simple et éternelle volonté de Dieu ; que l’on soit sans volonté soi-même, que la volonté créée soit passée [geflossen] dans la volonté éternelle, qu’elle y soit confondue et anéantie, ainsi que la volonté éternelle y demeure, y désire et y agisse toute seule.

Mais qu’est-ce qui peut aider l’homme en cela ? — Vous comprenez bien que ce ne sont ni les paroles, ni les œuvres, ni les règles humaines, ni les actions, le savoir ou le pouvoir d’aucune créature, ni rien de ce que l’on peut faire ou omettre.

Mais il faut tout quitter et abandonner, c’est-à-dire il ne faut pas penser ou croire qu’une personne ou une parole, une science, un art ou une règle, en un mot, qu’une chose créée puisse nous être utile pour cela.

Laissez-les tels qu’ils sont et allez à l’union !

Cependant les choses doivent être, et on doit agir et travailler, et surtout l’homme doit dormir et veiller, marcher, se reposer, parler, se taire et accomplir bien d’autres choses qui lui sont nécessaires dans sa vie.

Chapitre XXVI. — Comment l’homme intérieur demeure immuable après son union avec la volonté divine et comment l’homme extérieur est agité par-ci et par-là.

C’est une vérité remarquable que lorsque l’union s’est réellement faite, l’homme intérieur demeure immobile dans cette union. Tandis que Dieu agite l’homme extérieur par-ci et par-là, à faire ceci et à faire cela, qui est nécessaire et indispensable, l’homme intérieur dit — et il en est ainsi en vérité : — Je ne veux ni être, ni ne pas être, ni vivre ou mourir, connaître ou ne pas connaître, agir ou omettre, ni rien de pareil ; mais je me subordonne à tout ce qui doit être et qui est nécessaire, soit en agissant ou en souffrant !

Ainsi, l’homme extérieur n’a ni pourquoi, ni désir que de se soumettre à la volonté divine, car il sait très bien que l’homme intérieur doit demeurer immobile pendant que l’homme extérieur doit être agité. Et si l’homme intérieur a un « pourquoi » quelconque dans l’agitation de l’homme extérieur, ce n’est que nécessité et commandé par la volonté éternelle.

Il en est ainsi lorsque Dieu même est l’homme, comme on le voit en Christ.

Et si cela se fait dans ou par une lumière divine, il n’y a ni orgueil spirituel, ni liberté dénaturée [unachtsam freyheit], ni un esprit libertin, mais une vraie humilité et un cœur abattu, déprimé et attristé, un esprit d’exactitude, de raison, d’égalité, de vérité et de toutes ces vertus, suivi d’une paix et d’une satisfaction profonde.

Ainsi soit-il, si tout doit être bien, comme nous l’avons déjà démontré et prouvé77.

Comme rien ne peut avancer ou forcer cette union, rien non plus ne peut l’empêcher ou l’embarrasser, sinon l’homme même avec sa volonté propre.

Chapitre XXVII. — Comment l’homme extérieur ne peut pas devenir impassible et immuable avant sa mort.

On a entendu dire que l’homme pourrait et devrait devenir impassible pendant cette vie, comme le fut le Christ après sa résurrection, et on a voulu le prouver et justifier avec les paroles du Christ78: « Mais après que je serai ressuscité, j’irai devant vous en Galilée. » Et encore79 : « Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. »

On a voulu expliquer cela ainsi : Comme vous m’avez vu et comme vous m’avez suivi avec mon corps et dans ma vie mortelle, de même vous me verrez et j’irai devant vous et vous me suivrez en Galilée, c’est-à-dire dans une impassibilité et dans une immobilité que vous éprouverez et goûterez, dans laquelle vous vivrez et demeurerez avant même de subir la mort du corps. Comme vous me voyez maintenant avec un corps de chair et d’os, mais pourtant impassible, ainsi vous aussi vous deviendrez impassibles dans votre corps et dans votre humanité mortelle avant la mort corporelle.

La réponse à toutes ces assertions est que le Christ n’a pas voulu dire que l’homme y arriverait80 avant d’avoir souffert et enduré tout ce que le Christ a souffert et enduré, car le Christ même n’y est pas arrivé avant d’avoir subi et supporté la mort corporelle et tout ce qui s’y rapporte. Or aucun homme ne peut et ne doit y arriver, étant encore mortel et passible.

Si cela était possible et nécessaire, si c’était la meilleure et la plus excellente chose d’y parvenir dans ce temps, comme on vient de dire, sûrement cela se serait passé en Christ. Car la vie du Christ était et elle est la meilleure et la plus noble vie ; elle était et elle sera toujours la plus chère et la plus aimable à Dieu.

Or, si cela ne doit pas se passer en Christ, cela ne se passera non plus dans aucun homme. C’est véritablement très bien et très excellent ainsi.

Bien qu’on se l’imagine81 ou qu’on en parle, cela n’est cependant pas vrai.

Chapitre XXVIII. — De quelle manière on peut s’élever au-dessus de l’ordre, de la méthode, de la loi, des commandements et des choses pareilles.

On dit aussi que l’on peut et doit se mettre au-dessus de toute vertu, au-dessus des règles, de l’ordre, des lois, des commandements et de la raison [redlicheit], que l’on peut les mettre de côté, les écarter et les anéantir.

Il y a quelque chose de vrai et de faux en cela !

Ecoutez bien ; le Christ était au-dessus de sa vie, au-dessus de toute vertu, de toute règle, de tout ordre et de tout ce qui s’y rapporte, — le diable est aussi au-dessus, mais avec une différence. Le Christ s’élevait au-dessus de tout cela parce qu’il n’en avait pas besoin. Toutes les paroles, les œuvres, les actions et les règles, tout ce qu’il disait et ce qu’il ne disait pas, comme tout ce qu’il souffrait pendant sa vie, n’était pas nécessaire ou utile pour lui-même.

Il en est de même avec la vertu et la raison, avec l’ordre et toutes ces choses, car ce que l’on pourrait atteindre avec leur aide était déjà en Christ et il y est toujours.

En ce sens cela est vrai, et c’est en ce sens aussi qu’il faut comprendre la parole de saint Paul82 : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu et ne sont pas sous la loi » ; ce qui veut dire dans un sens que l’on n’a pas besoin de leur enseigner ce qu’ils doivent faire ou omettre, car ils seront bien instruits par leur maître qui est l’Esprit de Dieu.

Il n’est pas nécessaire non plus de leur commander ou ordonner de faire le Bien et d’abandonner le mal ou chose semblable, car celui qui leur apprend ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui est ou qui n’est pas le meilleur, leur enseigne et ordonne aussi de s’attacher au meilleur et de quitter le mal. C’est à lui qu’ils obéissent.

En ce sens ils n’ont pas besoin des lois, des commandements ou des instructions.

Ils n’en ont pas besoin non plus pour acquérir ou gagner quelque chose ou enfin pour profiter par là. Possèdent-ils donc d’avance tout ce que l’on peut atteindre par eux - ou par les créatures, par leurs discours, leurs paroles et leurs actions, comme ce que l’on doit accomplir pour la vie et pour la voie éternelles.

En ce sens il est vrai qu’on peut se mettre au-dessus de toutes les lois et de toutes les vertus comme aussi au-dessus des œuvres, du savoir et du pouvoir des créatures.

Chapitre XXIX. — Qu’on ne devrait pas rejeter la vie du Christ, mais qu’on devrait l’embrasser et la pratiquer jusqu’à la mort.

Il est faux et on ment lorsqu’on dit qu’il faut abandonner et la vie du Christ et toutes les lois et les commandements, les règles et les ordres, qu’il faut s’en débarrasser, les dédaigner, les mépriser et s’en moquer !

Mais, pourrait-on dire, puisque le Christ et les autres hommes suivant la vie du Christ ou les ordres, les commandements et toutes ces choses ne peuvent rien profiter ou gagner par là, puisqu’ils possèdent déjà tout ce qu’il y a à gagner, pourquoi ne s’en débarrassent-ils pas ?

Est-il pourtant nécessaire qu’ils s’en occupent, qu’ils les suivent et les observent ?

Voyez et distinguez bien : il y a deux sortes de lumière, une lumière qui est véritable et une autre qui est fausse.

La lumière véritable est la lumière éternelle qui est Dieu ou une lumière créée et pourtant divine, laquelle on nomme la grâce.

Tout cela est la lumière véritable.

Or, la fausse lumière est la nature ou la lumière naturelle.

Mais comment se fait-il que la lumière premièrement nommée est véritable et que l’autre est fausse ?

C’est ce que l’on sent82 mieux qu’on ne peut l’écrire ou l’exprimer.

Dieu comme Déité n’a rien de propre, ni volonté, ni savoir, ni manifestation, ni rien de ce que l’on peut nommer, exprimer ou penser.

Mais Dieu comme Dieu doit se manifester, se connaître, s’aimer et se révéler soi-mème en soi-même. Tout cela encore en Dieu, essentiellement et non efficacement, car il est non créé83. Dans cette manifestation à soi-même et dans cette révélation repose la distinction des personnes.

Même alors que Dieu comme Dieu devient homme ou lorsqu il vit dans un homme divin ou divinisé, quelque chose lui est propre qui est à lui seul et non aux créatures. C’est en lui, non créé, originairement et essentiellement et non pas comme une forme ou une réalité [formlich oder wurcklich].

Or, Dieu veut que cela soit pratiqué, car il est là pour être réalisé et pratiqué.

Quel serait son but autrement?

Doit-il rester oisif ?

À quoi sert-il alors ? car ce qui est inutile ne sert à rien, et Dieu et la créature n’en veulent point.

Dieu veut donc qu’il soit pratiqué et mis en action, mais il ne peut pas le faire sans la créature.

Or, s’il n’y avait rien de propre, s’il n’y avait ni ceci ou cela, s’il n’y avait aucune action, aucune réalité, et rien de semblable, que ferait Dieu ?

Qui serait-il ?

Que serait-il ?

Il faut se retourner ici et s’arrêter, autrement on poursuivrait cela trop loin et on l’approfondirait jusqu’à ce qu’on ne sache plus où l’on en est ou comment en sortir.

Chapitre XXX. — Que Dieu est un vrai, un parfait et simple Bien, qu’il est une lumière, une connaissance et toute vertu. Comment on devrait aimer ce souverain et meilleur Bien avant tout.

Remarquez bien que Dieu, étant bon, est bon en soi, mais il n’est ni ce bien-ci ni ce bien-là.

Il faut aussi savoir que ce qui est par-ci ou par-là n’est pas partout ou au delà de tout lieu et de tout temps, et ce qui n’est qu’aujourd’hui ou demain n’est pas toujours ou à jamais ou au delà du temps. De même ce qui est quelque chose, ceci ou cela, n’est pas tout ou au-dessus de tout.

Si donc Dieu était quelque chose, ceci ou cela, il ne serait pas tout et au-dessus de tout comme il l’est; il ne serait pas la véritable perfection.

C’est pourquoi Dieu est, sans être ceci ou cela que les créatures en tant que créatures peuvent connaître ou nommer, penser ou exprimer.

Donc si Dieu, étant bon en soi, était ce bien-ci ou ce bien-là, il ne serait pas tout bien et au-dessus de tout bien; il ne serait pas le parfait et simple Bien [das einfeltig gut] qu’il est.

Dieu est aussi une lumière et une connaissance. Or, il appartient à la lumière et à la connaissance et il leur est propre de luire, d’illuminer, d’éclairer et de se faire connaître.

Or Dieu, étant une lumière et une connaissance, doit luire, éclairer et se faire connaître. Mais toute cette lueur et cette connaissance en Dieu est sans créature ; non pas comme un acte, mais comme un état essentiel et originel [als ein Wesen oder ein Ursprung]. Ce n’est que dans les créatures qu’elle peut devenir actuelle et efficace [yn wurkender weis).

Quand donc cette connaissance et cette lumière est efficace dans une créature, elle fait connaître et elle enseigne ce qu’elle est — à savoir le Bien (und also ist es gut). N’étant ni ce bien-ci, ni ce bien-là, elle ne fait connaître et n’enseigne pas ceci ou cela, mais elle manifeste et elle nous apprend à connaître le vrai, le parfait, le simple et l’unique Bien, qui n’est pas déterminable, mais qui est tout Bien et au-dessus de tout Bien !

On vient de dire qu’elle nous enseigne ce qu’est le Bien unique !

Qu’en enseigne-t-elle donc ?

Ecoutez bien : comme Dieu est un Bien, une connaissance et une lumière, il est aussi une volonté, l’amour, la justice, la vérité et toute autre vertu. Tout cela est un être en Dieu et ne peut pas devenir un acte ou une réalité sans la créature84, car il est en Dieu sans créature, un être et une source et non un acte.

Mais si cet « Un », qui est en même temps le « Tout », s’empare d’une créature, s’il se la soumet et si cette créature lui parait bien disposée et convenable [ym da zu füget und daugt] pour qu’il se reconnaisse lui-même en elle85, alors, étant une volonté et un amour, étant une lumière et une connaissance, il apprend de lui-même qu’il ne doit rien désirer que cet « Un » qu’il est.

Dès lors on ne veut et ne cherche plus rien que le Bien, pour la seule raison qu’il est le Bien et non pas parce qu’il est une chose particulière qui nous est chère ou pénible, agréable ou désagréable, douce, amère ou n’importe quoi.

On ne demande et ne désire rien de ce qui est particulier, ni en soi, ni pour soi-même, car toute égoïté, tout « moi » et « à moi » [icheit und ich und mir] sont abandonnés et quittés.

On ne dit pas alors : Je m’aime ou je t’aime, ou j’aime ceci et cela. Et si l’on disait à l’amour: Qu’aimes-tu ? il répondrait : J’aime le Bien ! — Pourquoi ? Il répondrait : Pour le Bien et parce qu’il est le Bien; c’est bon, c’est juste et c’est bien fait de penser ainsi : et s’il existait quelque chose de meilleur que Dieu, ce serait cette chose-là qu’on devrait aimer plus que lui !

Or Dieu ne s’aime pas parce qu’il est Dieu, mais parce qu’il est le Bien, et s’il existait une chose ou s’il connaissait une chose meilleure que lui, ce serait cette chose-là qu’il aimerait et non pas soi-même.

Tout « moi » et toute égoïté sont ainsi séparés de Dieu ; rien ne lui est propre, sauf ce qui est nécessaire pour la distinction de la personne86.

Et tout cela doit être et il est en vérité dans un homme divin ou véritablement déifié ; autrement il ne serait pas divin ou déifié.

Chapitre XXXI. — Comment l’amour est tout pur et tout sincère dans l’homme déifié ; comment cet amour aime toutes les créatures et leur veut tout le bien possible.

Il en suit que dans un homme déifié l’amour est tout pur, tout sincère [unvermischet] et de bonne volonté pour tout et pour toutes les choses. Or on y aime tous les hommes et toutes les choses ; on leur veut du bien, on le leur fait et on le leur souhaite en toute sincérité [unvermischt].

On peut même faire à un homme déifié tout ce qu’on veut, du bien ou du mal, de la joie ou de la peine, ceci ou cela. On peut le tuer et fût-ce cent fois : si cet homme déifié pouvait revenir à la vie, il aimerait celui qui l’a mis à mort, qui lui a fait du tort, du mal et de la peine. Il lui voudrait du bien, il le souhaiterait et désirerait pour lui ; et si celui-ci voulait l’accepter et le prendre, il lui procurerait tout ce qu’il y a de plus excellent.

C’est ce que l’on peut prouver et justifier par le Christ lorsqu’il disait à Judas qui le trahissait87 : « Mon ami, pourquoi es-tu venu ? » comme s’il disait : Tu me hais et lu es mon ennemi, mais moi je t’aime et je suis ton ami ; tu me veux, tu me souhaites et tu me fais le plus grand mal possible ; — mais moi je te désire et je te souhaite ce qui est le plus excellent ; je te l’offrirais et je te l’accorderais volontiers si tu voulais seulement le recevoir et l’accepter.

C’est comme si Dieu disait par l’humanité : Je suis un pur et unique Rien ; or je ne peux vouloir, désirer, souhaiter, faire et accorder que du bien ; je dois récompenser ton mal et ta méchanceté par le bien, car je ne suis et je n’ai que du bien.

Il en suit que Dieu dans un homme déifié ne veut, ni ne demande aucune vengeance pour tout le mal qu’on lui fait ou qu’on lui fera.

On remarque cela en Christ qui disait88 : « Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »

Il est propre à Dieu de n’obliger personne par violence à accomplir ou à omettre quelque chose, mais il laisse faire chacun selon sa volonté, le bien ou le mal, sans s’y opposer. On le voit en Christ, qui ne s’opposait point à ses malfaiteurs et ne leur résista point, et lorsque saint Pierre voulait se mettre à sa défense il lui disait89 : Remets ton épée, Pierre ; car ce n’est pas à moi ou à mes disciples de se défendre, de s’opposer ou de vaincre par violence.

Aussi un homme déifié n’incommode et n’afflige personne, ce qui est compréhensible, car il n’a aucune volonté, aucun désir, et aucune idée [meynung], de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire ce qui pourrait affliger ou attrister un homme.

Chapitre XXXII. — Si l’homme veut parvenir à ce qui est le meilleur, il doit quitter sa volonté propre ; quiconque aide l’homme à accomplir sa volonté propre contribue à son plus grand malheur.

On pourrait dire maintenant que puisqu’il90 ne veut et ne souhaite et ne fait à chaque homme que pour son mieux, Il devrait aussi l’aider et assister à la réalisation de sa volonté, comme l’un à la papauté, l’autre à l’évêché, et ainsi de suite.

Je réponds à cela que celui qui aide l’homme à accomplir sa volonté propre contribue à son plus grand malheur ; car plus l’homme suit sa volonté propre, plus elle grandit en lui ; plus aussi il s’éloigne de Dieu et du Bien véritable.

Or Dieu veut bien aider l’homme à atteindre ce qui est le meilleur ; soit le meilleur en soi ou le meilleur par rapport à l’homme et aux choses.

Mais il faut abandonner pour cela toute volonté propre, comme nous avons déjà dit. En cela Dieu aide l’homme volontiers.

En tant que celui-ci cherche son « meilleur », il ne le cherche point et il ne le trouve point ; car le « meilleur » de l’homme est de ne pas chercher ou désirer ni soi-même ni son propre.

C’est ce que Dieu dit et enseigne.

Que celui qui désire arriver avec l’aide de Dieu à ce qui est le « meilleur » suive les paroles, les doctrines et les commandements de Dieu ; il trouvera ainsi son aide, mais non autrement.

Or Dieu dit et enseigne91 que l’homme doit quitter soi-même et toutes les choses pour le suivre. Celui qui aime son âme, c’est-à-dire qui s’aime soi-même, celui qui veut la garder et préserver, c’est-à-dire qui se cherche soi-même et son propre dans les choses, celui-là perdra son âme. Mais celui qui ne la regarde pas, qui s’abandonne soi-même et tout son propre, celui-là gardera et préservera son âme dans la vie éternelle.

Chapitre XXXIII. — Comment il demeure dans l’homme déifié une pauvreté spirituelle et une humilité toute véritable, toute sincère et toute essentielle.

Il appartient à Dieu dans un homme déifié d’être d’une humilité profonde, sincère et véritable ; il n’y a pas d’homme déifié sans elle.

C’est ce que le Christ a enseigné par ses paroles, par ses actions et par sa vie. C’est ce qui vient de ce que l’on reconnaît dans la lumière véritable [comme il en est en vérité] que l’VIIêtre, la vie, la connaissance, le savoir, le pouvoir et tout cela est à Dieu véritable et non aux créatures.

La créature comme telle n’est rien et elle n’a rien d’elle-même : dès qu elle se détourne du véritable Bien par sa volonté et ses actions et par tout ce qui s’y rapporte, il n’y a plus rien en elle que la méchanceté.

C’est pourquoi il est bien vrai que la créature comme telle n’est d’elle-même digne de rien ; elle n a droit à rien ; et personne n’a d’obligations envers elle, ni Dieu ni la créature. Mais c’est justement elle qui doit se soumettre et se livrer à Dieu.

C’est ce qui est très important et très remarquable.

Or celui qui doit et qui veut s’abandonner et se soumettre à Dieu, doit et veut aussi se soumettre à toutes les créatures ; non pas d’une manière active, mais d une manière passive92 ; autrement ce n’est pas bien.

De cette dernière cause et de ce point comme d’autres points résulte la vraie humilité. S il ne devait pas en être ainsi en vérité et s’il n’était pas ainsi le plus excellent selon la profonde justice de Dieu, le Christ ne l’aurait pas enseigné par ses paroles, ni accompli par sa vie.

On voit donc, comme cela est ainsi en vérité, que la créature doit être soumise à Dieu et à toute créature suivant la vérité et la justice divines ; on voit que rien ne doit se soumettre ou se livrer à elle, que Dieu et que toutes les créatures ont droit à elle et sur elle et qu’elle est redevable à tout le monde, mais que personne ne lui doit rien.

Tout cela doit se faire d’une manière passive et quelquefois même d’une manière active. Il en provient la pauvreté spirituelle, dont le Christ a dit93 : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. »

Tout cela a été enseigné par le Christ en ses paroles et accompli par sa vie.

Chapitre XXXIV. — Que rien n’est contre Dieu, sauf le péché. Ce qu’est le péché.

Il faut observer ici que lorsqu’on dit que quelque chose est ou se fait contre Dieu, ou que quelque chose l’afflige ou le chagrine, il est à savoir qu’aucune créature n’est contre Dieu et ne lui fait de la peine ou du chagrin par son existence ou par sa vie, par son savoir ou son pouvoir.

Tout cela n’est pas contre Dieu.

En effet, il provient de Dieu et il est très bon que l’homme ou que le diable existe et vive ; car tout cela est à Dieu essentiellement et originairement.

Dieu est l’être de tous les êtres ; il est la vie de tous ceux qui vivent ; il est la sagesse de tous les sages ; car toutes choses ont leur être, leur vie, leurs facultés et tout ce qui s’y rapporte plus véritablement en Dieu qu’en eux-mêmes94.

Autrement Dieu ne serait pas tout Bien ! C’est pourquoi tout ce qui est est bon !

Ce qui est bon est donc cher à Dieu et il le désire ; or il n’est pas contre Dieu.

Mais qu’est-ce qui est contre Dieu ? qu’est-ce qui lui est pénible ?

Ce n’est pas le péché.

Mais qu’est le péché ?

Rien que ce que la créature veut autrement que Dieu, qu’elle est contre lui et sa volonté.

Chacun doit observer cela en soi-même, car celui qui veut autrement que moi ou qui est contre moi est mon ennemi, et celui qui veut comme moi est mon ami et il m’est cher.

Il en est de même avec Dieu.

Ce que l’on appelle le péché, c’est-ce qui est contre Dieu, ce qui lui cause de la peine et de la souffrance.

Quiconque veut autrement que moi ou contre moi s’oppose à moi et m’est désagréable [ist mir swer] en tout ce qu’il fait ou ce qu’il omet, s’il se tait ou s’il parle.

Il en est de même avec Dieu.

Quiconque veut autrement que Dieu ou veut contre lui s’oppose à lui et se livre au péché en tout ce qu’il fait et ce qu’il omet, comme en tout ce qu’il doit accomplir ; et la volonté qui s’oppose à Dieu s’oppose aussi à la volonté divine.

Le Christ a dit95 : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. » Il veut dire par là que quiconque ne veut pas comme moi et selon ma volonté, veut contre moi.

En cela un homme peut voir s’il est sans péché ou non, s’il fait le péché ou s’il ne le fait pas, ce qu’est le péché et comment ou par quels moyens on doit et peut le réparer et corriger.

On appelle cette opposition à Dieu la désobéissance.

Adam, « moi », égoïté, volonté propre, péché, le vieil homme, l’éloignement et la séparation de Dieu [abgescheiden] tout cela est une seule chose.

Chapitre XXXV. — Que Dieu comme Dieu ne connaît ni tristesse, ni souffrance, ni affliction, ni choses semblables, mais que tout cela demeure dans un homme déifié.

Il faut savoir que Dieu comme Dieu ne connaît ni peine, ni affliction, ni mécontentement. Pourtant il est affligé par le péché de l’homme.

Puisque cela ne peut pas se produire en Dieu sans créature, il doit donc se faire lorsque Dieu est homme ou dans un homme déifié. Il est alors tellement peiné et attristé par le péché qu’il voudrait volontiers se faire tourmenter ou souffrir la mort corporelle, s’il pouvait anéantir par là le péché d’un seul homme. Et si quelqu’un lui demandait s’il aimerait mieux vivre pour que le péché subsiste, ou mourir pour anéantir le péché par sa mort, il choisirait la mort.

Car le péché d’un seul homme lui cause plus de peine et de souffrance que ses propres martyres et sa propre mort. Or, si le péché d’un seul homme le fait tant souffrir, que doivent lui faire les péchés de tous les hommes ?

On voit bien par là comment l’homme attriste Dieu par ses péchés.

Où Dieu est homme ou dans un homme déifié on ne déplore rien que le péché ; il n’y a pas d’autre peine, car tout ce qui existe et qui se fait sans le péché, Dieu le veut avoir et être.

Cependant les plaintes et les lamentations pour le péché doivent demeurer [sol und muss bleiben] dans un homme déifié jusqu’à sa mort corporelle, vivrait-il même éternellement et jusqu’au dernier jour !

C’étaient bien les souffrances secrètes du Christ dont personne ne parle et dont personne n’a aucune connaissance, sauf le Christ même ! C’est pourquoi elles sont et on les appelle secrètes. C’est encore une propriété de Dieu, qu’il désire et qui lui plaît bien en l’homme ; mais c’est une propriété divine qui n’appartient pas à l’homme, car elle est hors de son pouvoir.

Mais si Dieu peut l’avoir96, il l’apprécie et il s’en réjouit, car cela est pénible et amer pour l’homme.

Tout ce qui a été écrit ici de cette propriété de Dieu, qu’il veut avoir pratiquée et réalisée en l’homme, la lumière véritable nous l’enseigne et elle enseigne en même temps que l’homme, dans lequel elle est pratiquée et réalisée, se l’attribue aussi peu que si elle97 n’existait pas du tout, car on sait alors que l’homme n’en est pas capable et qu’elle ne lui appartient point.

Chapitre XXXVI. — Qu’on doit embrasser la vie du Christ par amour et non pour une récompense ; qu’on ne doit jamais l’abandonner ou la rejeter.

En quelque lieu que soit ou que puisse être un tel homme déifié, on trouve aussi et on trouvera toujours la vie la plus excellente, la plus noble et la plus appréciée par Dieu, qui ait jamais été et qui puisse jamais être.

Et l’amour éternel, qui aime Dieu comme le Bien et parce qu’il est le Bien et qui aime ce qu’il y a de meilleur et de plus noble en toutes choses parce qu’il est le meilleur, aime tellement cette vie véritable et noble qu’il ne la quitte et ne la rejette [auffgeschutt] plus jamais.

Lorsque cette vie se trouve une fois dans un homme, il ne pourra plus l’abandonner — vivrait-il même jusqu’au dernier jour. Et si cet homme-là devait subir mille fois la mort, s’il devait supporter les souffrances de toutes les créatures, il les supporterait plutôt que de quitter cette noble vie. Il ne la quitterait même pas pour la vie d’un ange.

Voilà donc la réponse à la question98 : À quoi bon la vie du Christ, si l’homme ne doit pas en profiter pour son avantage ou s’il ne peut rien atteindre par elle.

Certainement on ne doit pas la chercher pour y gagner quelque avantage ou quelque profit, mais par amour de sa noblesse et parce qu’elle est chère et précieuse à Dieu. Et quiconque dit ou croit en avoir suffisamment et pouvoir l’abandonner maintenant, ne l’a jamais connue et goûtée. Car dès qu’on la trouve et goûte en vérité, 0n ne la quitte plus jamais.

Quiconque a la vie du Christ pour en gagner ou en tirer quelque profit ne la possède que comme un mercenaire et non par amour. Il ne l’a même pas du tout, car qui ne la possède pas par amour ne la possède pas du tout. Il peut bien s’imaginer l’avoir, mais il se trompe.

Le Christ avait sa vie par amour et non pour une récompense.

L’amour enlève toute amertume à cette vie ; il la rend facile ; il nous la fait aimer et supporter volontiers.

Mais qui ne l’embrasse pas par amour, qui croit l’avoir comme une récompense quelconque, la trouvera amère et s’en débarrassera volontiers.

C’est chose propre à tout mercenaire de souhaiter la fin de son travail ; mais celui qui aime vraiment, ne regrette ni le travail, ni le temps, ni la souffrance. Comme il a été écrit, que servir et aimer Dieu est facile à celui qui le fait.

C’est vrai lorsqu’on le fait par amour, mais c’est chose amère lorsqu’on le fait pour une récompense.

Il en est de même de toutes les vertus et de toutes les bonnes œuvres, comme aussi de toutes les règles, des ordres et choses semblables.

Chapitre XXXVII. — Que Dieu veut avoir l’ordre, la méthode, la mesure et tout cela dans la créature, car il ne peut pas les avoir sans créature. De quatre espèces d’hommes qui s’occupent de l’ordre, de la loi, des commandements et qui les observent.

On affirme avec raison que Dieu est au-dessus de toute règle, mesure et ordre, qu’il est même sans règle, sans mesure et sans ordre ; pourtant il donne l’ordre, la méthode, la mesure et la règle à toutes choses.

On doit entendre cela de la façon suivante: Dieu veut que tout cela subsiste ; — mais il ne peut pas l’avoir sans créature, en tant qu’il est Dieu. Car en Dieu sans créature100 il n’y a ni ordre, ni désordre, ni méthode, ni manque de méthode, etc.

C’est pourquoi il veut qu’ils existent et qu’ils soient observés. Car où il y a des paroles, des actions et des relations [wandlung], il est nécessaire qu’elles soient faites en ordre ou en désordre, par mesure, par règle ou par méthode.

Or l’ordre et la règle sont mieux que le contraire !

Il faut cependant remarquer que les hommes, s’occupant de l’ordre, de la loi et de la méthode sont de quatre espèces :

Quelques-uns ne le font ni pour Dieu ni pour une chose particulière, mais par contrainte. Ils le font aussi peu que possible et ils le trouvent très difficile et très pénible.

D’autres le font pour une récompense; ce sont ceux qui ne connaissent rien de mieux et qui pensent que c’est le seul moyen et la seule possibilité pour atteindre le royaume du ciel et la vie éternelle : qui s’en occupe beaucoup est un saint ; qui ne fait pas attention ou manque à ces lois est perdu et livré au diable ! Ils s’y mettent donc avec beaucoup d’ardeur et de sincérité, mais ils trouvent cela pénible.

Les troisièmes sont les méchants et faux esprits [pöss falsch geist], qui s’imaginent être parfaits, qui croient ne pas en avoir besoin et pouvoir s’en moquer.

Les quatrièmes enfin sont les hommes illuminés de la vraie lumière, qui ne s’occupent point de ces choses-là pour une récompense. Ils ne veulent en tirer aucun profit, ils ne veulent rien atteindre, car ils font ce qu’ils font par amour.

Ils ne se soucient pas beaucoup de les observer toujours ou suffisamment ; mais ils s’occupent de ce qu’il faut nécessairement faire pour vivre en paix et en tranquillité.

Ils ne se croient point perdus, si par hasard ils les négligent ; car ils savent très bien que l’ordre et les règles sont plus nobles et plus excellents que le contraire; c’est pourquoi ils les observent. Ils savent très bien que la félicité n’en dépend pas ; c’est pourquoi ils ne s’en soucient pas autant que les autres.

Mais ce sont justement ces hommes-là que tous les autres blâment et condamnent. Les mercenaires disent : Ces hommes sont négligents et parfois injustes, et ainsi de suite. Les autres, qui ont un esprit libre, s’en moquent, en disant qu’ils sont des gens rudes et faux, etc.

Mais ils se tiennent au bon milieu, ce qui est le plus excellent, car celui qui aime vraiment Dieu vaut mieux et lui est plus cher que cent mille mercenaires.

Il en est de même de leurs œuvres. On doit bien remarquer que les commandements de Dieu, ses paroles et qu’on ne connaît rien de mieux. Sans cela, on ne saurait que faire ou ne pas faire ; on serait comme les chiens ou les autres bêtes.

Chapitre XXXVIII. — Une explication de la fausse lumière et de ce qui lui est propre.

On a fait mention100 d’une fausse lumière : il faut expliquer maintenant ce qu’elle est et ce qui lui est propre.

Tout ce qui est contraire à la vraie lumière est propre à celle qui est fausse.

Il appartient nécessairement à la vraie lumière de ne pas vouloir tromper et de ne même pas souhaiter que quelqu’un soit trompé, — comme elle-même ne veut pas être trompée.

Mais la fausse lumière est trompée et sera trompée comme elle trompe les autres avec soi-même.

Comme Dieu ne veut tromper personne et ne désire point que quelqu’un soit trompé, il en est ainsi de la vraie lumière.

Remarquez bien : la vraie lumière est divine : elle est Dieu même ; — mais la fausse lumière est naturelle : elle est nature.

Or il appartient à Dieu dans un homme déifié de n’être ni ceci ni cela ; de ne vouloir, de ne désirer ou de ne chercher ni ceci ni cela, excepté le Bien en tant qu’il est le Bien, et pour aucune autre raison que parce qu’il est le Bien !

Il en est de même de la vraie lumière !

Mais il appartient à la créature et à la nature d’être quelque chose de particulier, de chercher et de désirer quelque chose, ceci ou cela, non pas le Bien purement comme Bien et parce qu’il est le Bien, mais pour une chose particulière.

Comme Dieu et la vraie lumière sont sans « moi », sans égoïté et sans désir propre, il appartient à la nature et à la fausse lumière naturelle un « moi », un « à moi», un « mien » et ainsi de suite [ich, mir, mich und der gleich] ; elle cherche elle-même et le sien en toutes choses, plus qu’elle ne cherche le Bien comme Bien [daz es sich und daz sein mer suchet]. C’est sa propriété, comme c’est la propriété de toute nature.

Voyez maintenant comment cette fausse lumière est premièrement trompée ; elle ne veut et ne choisit pas le Bien comme Bien et parce qu’il est le Bien ; — mais elle veut et choisit elle-même et son propre comme étant ce qu’il y a de plus excellent. C’est ce qui est faux et ce qui est la première tromperie.

De même elle s’imagine être ce qu’elle n’est pas ; car elle s’imagine être Dieu tandis qu’elle est nature. Et pensant qu’elle est Dieu même, elle s’approprie ce qui est à Dieu ; mais non seulement ce qui est à Dieu lorsqu’il est homme ou dans un homme déifié, non, elle s’attribue ce qui est à Dieu et ce qui lui est propre lorsqu’il est Dieu éternel, Dieu non créé !

Lorsqu’on dit que Dieu n’a besoin d’aucune chose, qu’il n’a besoin de rien du tout, qu’il est libre, vide et dégagé de toute chose, qu’il est au-dessus de tout, et ainsi de suite — ce qu’il est en vérité — lorsqu’on dit qu’il est immuable, sans appropriation et sans conscience, que tout ce qu’il fait est bien fait, cette fausse lumière réplique : Je veux être semblable, car plus on ressemble à Dieu, plus on est bon. Donc je veux ressembler à Dieu, je veux être Dieu même ; je veux m’asseoir à côté de lui et être comme lui.

Lucifer, le diable a fait la même chose.

Dans l’éternité Dieu ne connaît ni souffrance, ni misère, ni tristesse ; rien de ce qui est ou de ce qui se fait ne lui est pénible ou douloureux101.

Mais il en est autrement lorsque Dieu et homme ou dans un homme déifié !

En un mot, cette fausse lumière trompe tout ce qui peut être trompé. Et puisqu’elle trompe tout ce qui peut être trompé, toutes les créatures, la nature et tout ce qui n’est pas divin ou qui n’est pas Dieu même — puisque cette lumière est nature elle-même — il en suit qu’elle aussi est trompée. En effet, elle est trompée et elle se trompe par elle-même.

On pourrait dire maintenant : D’où vient et comment se fait-il que la fausse lumière trompe tout ce qui peut être trompé ? Vous comprenez que cela vient de ses finesses extraordinaires [von seiner ubrigen kundickeit]. Elle est si raffinée, si subtile et si agile, elle s’élève et monte à une telle conscience et des scrupules [uber gewissen und conscientz] et que tout ce qu’elle fait est bien fait. On a même rapporté d’un esprit faux et libertin, qui était dans cette erreur, qu’il ne se ferait pas plus de remords en tuant dix hommes qu’en tuant un chien.

Bref, cette fausse lumière fuit tout ce qui est contraire et pénible à la nature, et cela lui est propre, car elle est nature, Puisqu’elle est donc tellement trompée qu’elle s’imagine être Dieu même, elle jurerait par tous les saints qu’elle connaît le meilleur Bien [das peste], qu’elle ne désire et ne cherche que lui !

Pour cette raison, elle ne peut jamais être convertie ou corrigée, exactement comme le diable.

Remarquez aussi que cette lumière, en se croyant Dieu et en s’attribuant être Dieu, est Lucifer, le diable. Et en rejetant la vie du Christ et d’autres choses qui sont propres au véritable Bien et que le Christ a enseignées et démontrées par sa vie, elle est l’Antéchrist, car elle enseigne contre le Christ et s’oppose à lui.

Or comme cette lumière est trompée par sa propre finesse, elle trompe de même tous ceux qui ne sont pas Dieu et qui ne sont pas divin, c’est-à-dire tous les hommes qui ne sont pas illuminés par la vraie lumière et par le vrai amour. Car quiconque est illuminé par la vraie lumière n’est jamais trompé, mais qui ne l’est pas, qui veut et doit s’associer et demeurer avec cette fausse lumière, sera déçu.

Cela vient de ce que tous les hommes qui n’ont pas la vraie lumière, se tournent, vers eux-mêmes ; ils croient qu’eux-mêmes et que tout ce qui leur est agréable et commode est aussi ce qu’il y a de plus excellent. Quiconque leur représente tout cela comme étant vraiment le plus excellent, qui le leur montre comme tel, qui leur vient en aide et les instruit pour l’atteindre, leur semble le meilleur maître ; c’est lui qu’ils suivent.

Comme cette fausse lumière enseigne tout cela avec tout ce qui s’y rapporte, tous ceux qui ne connaissent pas la vraie lumière la suivent.

Ils sont donc tous dans l’erreur !

On dit de l’Antéchrist que, lorsqu’il viendra, tous ceux qui n’ont pas le signe de Dieu le suivront, mais que ceux que Dieu a marqués de son signe ne le suivront point. Cela est la même chose.

Il est bien vrai que c’est la chose la plus excellente que l’homme parvienne à ce qui est le meilleur, pourvu que ce soit aussi le meilleur devant Dieu. Mais cela ne peut pas se faire pendant que l’homme cherche et désire son « meilleur » ; car pour vraiment le trouver et pour l’atteindre il doit d’abord le perdre, comme on l’a déjà constaté102. L’homme a donc tort d’abandonner et de quitter le meilleur103 pour chercher son meilleur ; c’est pourquoi il y en a très peu qui puissent suivre cette route.

La fausse lumière affirme qu’il faut être sans conscience et qu’il est faux et maladroit de s’en soucier, ce qu’elle veut prouver par le Christ, qui était aussi sans conscience. On peut répondre à cela que le diable n’en a pas non plus, mais il n’en vaut pas mieux pour cela.

Sachez d’abord ce qu’est la conscience.

Elle consiste en ce que l’homme reconnaît qu’il est détourné et qu’il se détourne de Dieu par sa volonté [ce qui est et que l’on appelle le péché104], — mais que c’est sa propre faute et non celle de Dieu, car Dieu ne peut rien pour le péché.

Or qui est sans péché, sauf le Christ et peu d’autres ?

Qui est sans conscience, est donc ou Christ ou diable.

Bref, — où est la vraie lumière, là est aussi la véritable, bonne vie qui est chère et agréable à Dieu.

Et quoiqu’elle ne soit pas la vie du Christ en perfection, elle lui ressemble pourtant; on suit la vie du Christ et on l’aime comme on suit et aime tout ce qui se rapporte aux règles, aux ordres et aux vertus. On quitte alors toute égoïté, tout « moi », tout « à moi » et choses semblables [ich und mein und des gleich], on ne cherche et ne désire que le Bien comme Bien et parce qu’il est le Bien.

Mais dans la fausse lumière on ne considère pas la vie du Christ, ni les vertus ; on ne désire et ne cherche que ce qui est commode et agréable à la nature.

Cette liberté fausse et désordonnée vient donc de ce qu’on ne considère rien et qu’on ne se soucie d’aucune chose.

La vraie lumière est une semence de Dieu, c’est pourquoi elle produit les fruits de Dieu ; mais la fausse lumière est la semence du diable ; elle produit les fruits du diable et le diable même, où elle est semée. C’est ce qu’on doit observer et comprendre par les paroles et les explications qu’on vient de faire.

Chapitre XXXIX. — Que celui-là est un homme déifié qui est illuminé de la lumière divine et qui est enflammé de l’amour divin et éternel. Comment la lumière et la connaissance ne valent rien sans l’amour.

On pourrait demander ce qu’est un homme déifié ou un homme divin ?

Réponse: Celui qui est illuminé et éclairé [durchglastet] par la lumière éternelle et divine, celui qui est enflammé de l’amour éternel et divin est un homme divin ou déifié.

On vient de parler de cette lumière, mais il faut aussi savoir que la lumière ou la connaissance n’est rien et ne sert à rien sans L’amour.

Remarquez bien : quoiqu’un homme sache très bien ce qu’est la vertu ou le vice, s’il n’aime pas la vertu, il n’est et ne deviendra jamais vertueux, il quittera la vertu pour suivre le vice ! Mais s’il cherche [meynet] la vertu, il la suivra et son amour pour elle lui fera haïr le vice de telle façon qu’il ne le commettra et ne le pratiquera plus, qu’il le détestera dans tous les hommes.

Il aimera alors tellement la vertu qu’il la pratiquera et l’embrassera où il la rencontrera. Tout cela sans attendre une récompense, sans aucun autre motif que son amour de la vertu. La vertu elle-même est sa récompense et elle lui suffit. Il ne voudrait nul trésor, nul autre bien à la place.

Ainsi est-il et devient-il vertueux.

Un homme vraiment vertueux n’abandonnerait pas sa vertu, même si on lui offrait le monde entier ; il aimerait mieux subir une mort affreuse.

Il en est de même de la justice.

Maint homme sait bien ce qui est juste et ce qui est injuste ; pourtant il n’est et ne devient pas juste lui-même, car il n’aime pas la justice, et il pratique le vice et le mal. S’il aimait la justice, sûrement il ne commettrait aucune injustice. Il haïrait le vice lorsqu’il le rencontrerait dans un homme, et il en serait si fâché qu’il voudrait volontiers souffrir et accomplir toute sorte de choses pénibles pour l’anéantir et pour rendre l’homme juste par là. Il voudrait plutôt mourir qu’agir injustement. Tout cela, rien que pour l’amour de la justice. La justice elle-même serait sa récompense ; elle le récompenserait par elle-même.

Ainsi est-il et devient-il juste. Il aimerait mieux mourir cent fois que de vivre injustement.

Il en est de même de la vérité.

Que l’homme sache beaucoup de ce qui est vrai ou de ce que sont les faussetés et les mensonges, s’il n’aime pas la vérité, il n’est pas véritable lui-même. Mais s’il aime la vérité, il parviendra à ce que nous venons de dire pour la justice.

Isaïe en a dit au chapitre VII105 : « Malheur, malheur à tous ceux .qui ont un esprit [geist] double ; qui paraissent bons extérieurement, mais qui sont pleins de mensonges intérieurement et dans la bouche desquels on trouve le mensonge. »

On voit par là que la connaissance et le savoir ne valent rien sans l’amour. On remarque cela aussi chez le diable. Il sait et il connaît ce qui est bon ou mauvais, ce qui est juste ou injuste et tout cela, mais n’ayant pas l’amour du bien qu’il connaît, il ne devient pas bon, ce qui aurait lieu s’il aimait la vérité, les autres vertus et tout le bien dont il a connaissance.

Bien sûr, l’amour doit être dirigé et instruit par la connaissance ; mais si l’amour ne suit pas la connaissance, tout cela ne sert à rien.

Il en est de même de Dieu et de ce qui regarde Dieu. Qu’un homme ait beaucoup de connaissance de Dieu et de ce qui lui est propre, qu’il s’imagine connaître et comprendre ce qu’est Dieu, s il n’a pas l’amour, il ne deviendra jamais divin ou déifié106.

Mais s’il a en lui le véritable amour, il doit s’attacher à Dieu et abandonner tout ce qui n’est pas Dieu et qui ne lui appartient pas. Il déteste tout cela, il en souffre, il en est affligé et attristé.

C’est cet amour-là qui unit Dieu avec l’homme de telle façon qu’il n’en sera plus jamais séparé.

Chapitre XL. — Une question : peut-on connaître Dieu sans l’aimer ? De la vraie lumière et de la fausse lumière, du vrai et du faux amour.

Une question se pose maintenant. On vient de dire que quiconque connaît Dieu sans l’aimer, ne sera jamais bienheureux de cette connaissance.

Est-ce que cela veut dire qu’on peut connaître Dieu sans l’aimer ?

Nous avons dit ailleurs107 que là où Dieu est connu, il est aussi aimé, et que quiconque connaît Dieu doit aussi l’aimer. Comment faut-il comprendre cela ?

Faites bien attention. On a dit108 qu’il y a deux sortes de lumières, une qui est véritable et une autre qui est fausse ; de même il y a deux sortes d’amour, un amour véritable et un autre qui est faux. Chacun de ces amours doit être conduit et instruit par une lumière ou une connaissance.

De la vraie lumière provient le vrai amour et de la fausse lumière provient le faux amour. Car ce que la lumière tient pour le meilleur, elle le présente aussi à l’amour comme le meilleur, en lui disant qu’il doit l’aimer. Et l’amour observe son commandement et lui obéit.

On a dit109 que la fausse lumière est nature et naturelle, c’est pourquoi lui appartient et lui est propre tout ce qui appartient et qui est propre à la nature ; c’est-à-dire « moi ». « à moi », « mien », ceci, cela et choses semblables [ich, meyn, myr, das, des und dergleichen]. C’est pourquoi elle est fausse et trompée par elle-même. Car jamais un « moi » 0u un « mien » n’est arrivé à la lumière et à la connaissance véritable sans être déçu, excepté celui110 des personnes divines, et pour atteindre la connaissance de cette simple vérité, tout doit être anéanti et perdu.

Il est surtout propre à la lumière fausse et naturelle de vouloir savoir beaucoup, si cela est possible. Elle est toute joyeuse, toute ravie et toute fière [hat glorieren] de son savoir et de sa connaissance, et pour cette raison elle veut en amasser de plus en plus. Plus son savoir grandit, plus elle en a plaisir et joie, sans jamais pouvoir se contenter ou se satisfaire. Lorsqu’elle s’est élevée si haut qu’elle croit tout savoir et qu’elle s’imagine même être arrivée au-dessus de toute connaissance, elle est au comble de son bonheur et de sa gloire.

La connaissance lui semble alors la meilleure et la plus excellente de toutes les choses ; c’est pourquoi elle instruit l’amour à chérir cette connaissance et ce savoir comme étant ce qu’il y a de meilleur et de plus noble.

C’est alors qu’on aime la connaissance et le savoir plus que ce qui est connu, car la lumière fausse et naturelle aime sa connaissance et son savoir — qui sont elle-même — plus qu’elle n’aime la chose connue. S’il était possible que cette lumière naturelle reconnût Dieu et la simple vérité comme ils sont véritablement, elle n’abandonnerait cependant passa nature [eigenschafft], c’est-à-dire ce qui lui appartient en propre.

En ce sens, on peut dire qu’il y a une connaissance sans l’amour de l’objet connu.

Ainsi cette lumière monte et s’élève si haut qu’elle s’imagine connaître Dieu et la pure et simple vérité ; ainsi elle s’aime elle-même dans elle-même.

Il est vrai que Dieu n’est connu que par Dieu. Or cette lumière, croyant connaître Dieu, s’imagine aussi être Dieu même.

Elle se présente comme telle et veut être tenue comme telle. Elle se croit très digne de toutes les choses, ayant droit à tout, ayant atteint et surpassé tout, même le Christ et sa vie. Elle s’en moque même, car elle ne veut pas être Christ ; elle veut être Dieu dans l’éternité.

Le Christ et sa vie sont contraires et pénibles à toute nature, c’est pourquoi la nature n’en veut pas ; elle veut être Dieu dans l’éternité et non pas homme ; ou bien elle veut être Christ après sa résurrection, car c’est chose agréable, facile et commode pour la nature. Elle tient tout cela111 pour ce qu’il y a de plus excellent, car elle croit que c’est le plus excellent pour elle.

On voit donc que quelque chose est connu par cette fausse lumière et par cet amour faux et trompé, qui n’est cependant pas aimé. La connaissance et le savoir y sont plus aimés que ce qui est connu.

Il y a aussi une connaissance que l’on appelle « savoir », [wissen], mais elle ne l’est cependant pas. C’est qu’on s’imagine savoir beaucoup par ouï-dire ou par la lecture ou par une connaissance parfaite des Ecritures112. On appelle cela savoir et on dit : Je sais ceci et cela ! et lorsqu’on demande : D où le sais-tu ? on répond : Je l’ai lu dans les Ecritures ou choses pareilles. C’est ce que l’on appelle savoir et connaître ; mais ce n’est pas savoir, c’est croire. Et c’est ce savoir-là et cette connaissance-là qui savent et qui connaissent beaucoup sans l’aimer.

Il y a aussi un amour qui est faux : c’est lorsqu’on aime quelque chose pour une récompense. On aime par exemple la justice non pour elle-même, mais pour acquérir quelque chose par là. Et si une créature aime Dieu ou une autre créature pour un avantage ou pour un profit quelconque, c’est faux. C’est cet amour là qui est surtout propre à la nature. La nature comme telle ne connaît aucun autre amour, elle n’est capable d’aucun autre amour, car, comme on voit très bien, elle n’aime qu’elle-même. En ce sens, quelque chose de bon est connu sans être aimé.

Or, le vrai amour est conduit et instruit par la lumière et la connaissance véritables, et la lumière véritable, éternelle et divine enseigne l’amour qu’il ne doit rien aimer que le véritable, le simple et le parfait Bien, non pas pour en tirer quelque avantage ou pour une récompense, mais pour l’amour du Bien, parce qu’il est bon, parce qu’il est le Bien et parce qu’on doit l’aimer. Ce qui est donc ainsi connu par la vraie lumière doit aussi être aimé par le vrai amour.

Or le parfait Bien que l’on appelle Dieu ne peut être reconnu que par la vraie lumière ; il en suit qu’il doit être aimé dès qu’il est connu.

Chapitre XLI. — Comment on peut reconnaître un véritable homme déifié et ce qui lui est propre. Ce qui est propre à la fausse lumière ou à un faux et libre esprit.

Il faut savoir que lorsque la vraie lumière et le vrai amour sont dans un homme, le vrai et parfait Bien y est reconnu et aimé par lui-même. Il ne s’y aime cependant pas pour soi-même et comme soi-même, mais comme le vrai et le simple Bien113.

Le Parfait — étant l’amour en soi — ne veut et ne peut aimer que le vrai et unique Bien. Etant donc le Bien même, il doit s’aimer soi-même, non pas comme soi, ou de soi ou par soi, mais dans cet amour par lequel le vrai et unique Bien aime et chérit le vrai, le parfait et unique Bien, dans lequel le vrai, le parfait et unique Bien est aimé par le vrai, par le parfait et unique Bien.

En ce sens on dit, et il est vrai, que Dieu ne s’aime pas comme soi-même ; car s’il y avait quelque chose de meilleur que Dieu, Dieu aimerait ce meilleur et non pas soi-même .

Dans cette vraie lumière et dans ce vrai amour114 il n’y a ni « moi », ni « à moi », « ni mien » ni « toi » ; ni « à toi » ; rien de semblable ne peut y demeurer. Mais la lumière connaît et indique un seul Bien qui est tout Bien et au-dessus de tout Bien, qui comprend dans son être le tout, sans lequel il n’y a aucun Bien115.

C’est pourquoi on n’y aime ni ceci ni cela, ni moi ou toi ; rien que cet « Un » qui n’est ni moi, ni toi, ni ceci ou cela, mais qui est au delà de tout moi, de tout toi et de toutes choses particulières, dans lequel tout Bien est aimé comme le Bien unique. Selon ce qui a été dit : Tout dans l’Un comme Un — l’Un dans tout comme tout — l’Un et tout Bien aimé par l’Un dans l’Un et par l’amour de l’Un que l’on éprouve pour l’Un.

Toute égoïté, tout « moi », tout « à moi » et tout ce qui s’y rapporte doit donc être abandonné et anéanti. Rien n’est propre a Dieu, sauf ce qui est nécessaire pour la distinction de la personne116.

Or tout ce qui se fait dans un homme véritablement déifié — d’une manière active ou passive — se fait dans cette lumière et dans cet amour. En eux, par eux, retournant toujours en eux.

Il y a là et il y subsiste un contentement et un repos, qui ne laisse plus rien désirer, ni de savoir ou de posséder plus ou moins, ni de vivre ou de mourir, ni d’être ou de ne pas être, et ainsi de suite.

Tout cela y est égal, tout cela est un — on n’y déplore que le péché…

Il a déjà été expliqué ce qu’est le péché117.

C’est vouloir autrement que le simple, parfait Bien, ou que la volonté unique et éternelle ; c’est vouloir sans et contre cette volonté et ce Bien unique.

Tout ce qui en provient, comme le mensonge, la tromperie l’injustice, la fausseté, en un mot tous les vices et tout ce qu’on appelle et qui est péché, est la conséquence de ce qu’on veut autrement que la volonté de Dieu et le Bien véritable.

S’il n’y avait aucune volonté que la volonté unique, il n’y aurait pas de péché.

C’est pourquoi on peut bien affirmer que toute volonté propre est péché ; elle n’est rien d’autre, car tout118 en provient.

Un homme vraiment déifié ne déplore que la volonté propre et il s’en plaint tellement, il en est si affligé que — devrait-il cent fois subir une mort honteuse et pénible — il ne s’en plaindrait pas autant, il n’en serait pas aussi affligé qu’il l’est par le péché119.

C’est ce qui doit subsister jusqu’à la mort du corps. Où il n’en est pas ainsi, il n’y a certainement pas d’homme vraiment divin ou déifié !

Or comme dans cette lumière et dans cet amour on aime tout bien dans l’Un comme l’Un, et l’Un dans tout et dans tous les Biens comme l’Un et comme tous les biens, il suit de là qu’on doit aimer tout ce que l’on peut appeler véritablement bon, — comme la vertu, l’ordre, les règles, la justice, la vérité et ainsi de suite.

Tout ce qui appartient et qui est à Dieu et au Bien véritable y est aimé et apprécié. Mais on se plaint, on souffre et on est affligé de tout ce qui s’y oppose et qui s’en sépare, car c’est le péché.

Or l’homme qui vit dans la vraie lumière et dans le vrai amour possède la plus noble, la plus excellente et la plus estimable vie qui ait jamais été et qui sera jamais. On devrait donc l’aimer et apprécier au-dessus de toute vie.

C’est cette vie-là qui était et qui est dans le Christ en toute perfection ; autrement il n’eût pas été le Christ.

Et cet amour qui aime cette noble vie et tout bien, fait qu’on supporte et accomplit de bonne volonté et de bon cœur tout ce qu’on a à souffrir, à faire et à accomplir comme tout ce qui doit nécessairement être fait [sein muss oder sol], fût-il même très pénible à la nature. C’est pourquoi le Christ a dit120 : « Mon joug est aisé et mon fardeau léger. »

Cela vient de cet amour qui aime cette noble vie.

On le voit dans les apôtres et dans les martyrs. Ils ont souffert volontairement et de bon cœur tout ce qu’ils devaient souffrir sans demander à Dieu d’abréger, d’alléger ou de diminuer leurs peines et leurs tourments ; ils ne demandèrent que de pouvoir rester fixes et fermes.

En vérité, tout ce qui appartient à l’amour divin, dans un vrai homme déifié, est si simple, si véritable et si sincère [recht und schlechte], qu’on ne saurait jamais le définir, ni en parlant ni en écrivant. Il n’a jamais été connu, sauf là où il est ; là où il n’est pas, on n’y croit pas, — comment donc alors le connaîtra-t-on ?

La vie naturelle au contraire, étant subtile, agile et fine, est bien multiple et confuse.

Elle cherche et trouve tant d’intrigues (winckel), de faussetés et de tromperies — dans son propre intérêt — qu’on n’en saurait ni parler ni écrire.

Or comme toute fausseté est trompée et comme toute tromperie se trompe premièrement elle-même, il en est de même de cette vie et de cette fausse lumière. Car quiconque trompe sera trompé, comme il a déjà été dit

Cette vie, cette lumière et cet amour contiennent tout ce qui est propre et qui appartient au diable dans une mesure telle, qu’on ne peut même plus les distinguer ; car la fausse lumière est le diable et le diable est identique à cette lumière.

On peut remarquer cela dans le diable même ; comme il s’imagine être Dieu, comme il veut être tenu pour Dieu ou être Dieu même, comme il se trompe en tout cela et comme il est si trompé qu’il s’imagine ne pas être trompé, il en est de même de la fausse lumière, de son amour et de sa vie.

Comme le diable voudrait tromper tous les hommes, comme il voudrait les tirer vers soi et vers le sien et se les rendre semblables, comme pour faire cela il connaît bien de ruses et de finesses, il en est de même de cette lumière.

Et comme personne ne saurait changer le diable, personne ne saurait changer cette lumière.

Tout cela vient de ce que le diable et la nature s’imaginent que rien ne peut les tromper et qu’ils sont sur la meilleure route, ce qui est la plus grande et la plus nuisible tromperie.

Pour cette raison, le diable et la nature sont un, et quiconque a vaincu la nature a aussi vaincu le diable. De même, quiconque n’a pas vaincu la nature n’a pas non plus vaincu le diable.

Qu’on se tourne vers la vie mondaine ou vers la vie spirituelle, on sera toujours trompé [so pleibt es doch alles in seiner falschen betriegung] ; de part et d’autre, on est trompé et on trompe les autres par soi, où cela est possible.

De ce qu’on vient d’expliquer ci-dessus, on peut encore mieux comprendre et reconnaître qu’il n’y a pas de différence lorsqu’on parle d’Adam, de désobéissance ou du vieil homme, d’égoïté, de volonté propre ou d’esprit volontaire [icheit, eigen willen und eigernwillickeit], d’égoïsme, de « moi » ou de « à moi » [selbstwillickeit, ich, mein], de la nature, de la fausse lumière, du diable et du péché: tout cela est la même chose ; tout cela est un, tout cela est contre Dieu et sans Dieu.

Chapitre XLII. — Rien n’est contre Dieu que la volonté propre. Quiconque cherche son « meilleur », comme étant à lui, ne le trouvera pas. L’homme ne sait ni ne peut rien de bon de soi-même.

Si on se demande maintenant : Y a-t-il donc quelque chose qui soit contre Dieu et le bien véritable ? on répond que non.

Or il n’y a rien non plus qui soit sans Dieu, sauf ce qu’on veut autrement que la volonté éternelle ; en voulant autrement que cette volonté, on est contre elle.

L’éternelle volonté veut qu’on n’aime et ne veuille rien que le Bien véritable. En aimant autre chose, on lui est contraire et en ce sens, il est vrai, que qui est sans Dieu est contre Dieu.

Mais, au fond, rien n’est contre Dieu ou contre le vrai Bien.

On doit entendre cela comme si Dieu disait : Quiconque veut sans moi ou ne veut pas comme moi, ou bien veut autrement que moi, veut contre moi. Car c’est ma volonté que personne ne veuille autrement que moi ou sans moi, et je veux qu’il n’y ait point de volonté, sauf la mienne.

Comme sans moi il n’y a ni être, ni vie, ni ceci ou cela, de même il ne doit exister aucune volonté sans moi et ma volonté. Et comme en vérité tous les êtres sont un en essence dans l’Etre Parfait, et comme tous les biens sont un bien unique dans « l’Un » et comme pareillement rien ne peut exister sans cet « Un », — de même toutes les volontés devraient être une seule volonté dans la volonté unique et parfaite ; hors d’elle, aucune volonté ne devrait exister.

Où il n’en est pas ainsi, c’est contre Dieu et sa volonté, c’est un grand tort et par conséquent un péché.

Vous voyez donc, comme vous avez déjà vu ci-dessus, que toute volonté qui est sans la volonté divine, c’est-à-dire que toute volonté propre, comme tout ce qui en provient, est péché.

Aussi longtemps que l’homme cherche son propre bien et son « mieux » [sein pestes], comme étant à lui, par lui et de lui, il ne le trouvera jamais. Car aussi longtemps il ne cherche point son « mieux », comment alors pourrait-il le trouver ?

Car il cherche alors soi-même et il s’imagine être le Bien lui-même. Mais puisqu’il ne l’est pas, il ne le cherche pas non plus, car il cherche soi-même.

Mais l’homme qui cherche, qui aime et qui désire [gemeynt] le Bien comme Bien, parce qu’il est le Bien et par aucun autre motif que par l’amour pur du Bien, non pas comme venant d’un « moi » [nitals von mir], comme étant « moi », « à moi », « mien », « pour moi » [ich, mein, mir oder umb mich] ou choses semblables, cet homme-là le trouvera, car il le cherche en vérité.

Il a tort [da ist es falsch] d’agir autrement.

C’est en ce sens que le vrai et parfait Bien se cherche, se désire et s’aime en vérité et que, par conséquent, il se trouve.

C’est un grand tort lorsqu’un homme ou une créature s’imagine savoir ou pouvoir quelque chose de lui-même, surtout lorsqu’il croit savoir ou pouvoir quelque chose de bon, pour en profiter ou gagner grandement devant Dieu. On injurie Dieu par là, si on réfléchit bien.

Mais le vrai Bien passe par-dessus cela dans un homme simple et ignorant [albernn], qui ne sait rien de mieux; il lui fait autant de bien que possible et tout ce qu’il peut recevoir de bon, Dieu Je lui accorde de bonne volonté.

Mais — comme on vient de le constater — l’homme ne trouvera rien et ne recevra rien, pendant qu’il se cherche soi-même. Car toute égoïté doit être anéantie avant qu’on puisse trouver ou atteindre quelque chose de bon.

Chapitre XLIII. — Où est la vie du Christ, là est aussi le Christ. La vie du Christ est la meilleure et la plus noble vie qui ait jamais été et qui sera jamais.

Quiconque comprend et connaît [weiss und bekennet] la vie du Christ comprend et connaît aussi le Christ ; quiconque ignore cette vie ignore aussi le Christ.

Quiconque croit en Christ croit aussi que sa vie est la plus noble et la plus excellente vie, et qui n’y croit pas ne croit pas non plus au Christ.

Autant que la vie du Christ est dans un homme, autant il y a le Christ en lui ; aussi peu il y a de l’un, aussi peu aussi il y a de l’autre. Car où est la vie du Christ, là est le Christ ; mais où sa vie n’est pas, le Christ n’est pas non plus.

Où la vie du Christ est ou demeure, on peut dire comme saint Paul122 : « Je vis non plus moi-même, mais Christ vit en moi. »

C’est la plus noble et la plus excellente vie de toutes, car où elle demeure, là demeure et vit Dieu même et tout bien.

Comment se trouverait-il une meilleure vie ?

Remarquez bien que lorsqu’on parle de l’obéissance, du nouvel homme, de la vraie lumière, du vrai amour et de la vie du Christ, tout cela est un. Où il se trouve une seule de ces choses, se trouvent aussi toutes les autres ; où une seule manque ou est absente, elles manquent toutes, car elles sont toutes « un » en être et en essence [werlich und wesenlich].

On doit donc ne s’attacher à rien qu’à ce qui conduit au Bien, qui le fait naître et vivre dans l’homme, pour fuir et abandonner tout ce qui lui fait obstacle Quiconque atteint cela123 dans le Saint-Sacrement reçoit réellement et véritablement le Christ.

Plus on en reçoit, plus on a le Christ ; moins on en reçoit, moins on a le Christ !

Chapitre XLIV. — Tout contentement et tout repos demeurent uniquement en Dieu, non dans les créatures. Qui veut obéir à Dieu doit obéir à toutes les choses d’une manière passive. Qui veut aimer Dieu doit aimer toutes les choses dans l’Un.

On dit que quiconque se contente en Dieu est satisfait, ce qui est la vérité. Mais quiconque se contente des choses [anicht], de ceci 0u de cela, n’est pas satisfait en Dieu.

Car qui se contente de Dieu ne peut plus se satisfaire de rien, que de ce qui n’est ni ceci ni cela, mais qui est cependant le tout.

Car Dieu est un et il doit être un.

Dieu est tout et il doit être tout.

Or ce qui est sans être un n’est pas Dieu, et ce qui est sans être tout et au-dessus de tout n’est pas Dieu non plus.

Car Dieu est un et il est au-dessus de tout, il est tout et au-dessus de tout.

Or quiconque se contente de Dieu est content de cet « Un » et il s’en contente uniquement parce qu’il est cet « Un ».

Celui pour qui le Tout n’est pas l’Un et 1’Un le Tout ne peut jamais se satisfaire en Dieu. Mais où cela se trouve, là se trouve aussi le contentement, et pas autre part.

Il en est de même de ce qui suit : qui veut entièrement s’abandonner et se soumettre à Dieu doit s’abandonner et se soumettre à tout d’une manière passive, sans s’y opposer, sans résister ou vouloir s’aider soi-même. Qui ne s’abandonne et ne se soumet pas à tout et à toutes choses dans l’Un parce qu’il est l’Un ne s’abandonne et ne se soumet pas à Dieu.

On peut voir cela en Christ.

Qui doit et veut souffrir Dieu doit donc tout souffrir dans l’Un, parce qu’il est l’Un, sans s’opposer à aucune souffrance.

C’est là le Christ.

Mais qui s’oppose aux souffrances et qui veut leur résister ne veut et ne peut pas souffrir Dieu.

Il faut comprendre cela ainsi : on ne doit s’opposer à aucune chose ni à aucune créature par violence ou par force [kriegen], par sa volonté, ou ses actions, cependant on peut prévenir les souffrances, on peut les fuir et s’en échapper sans péché.

Remarquez-le bien, qui veut et doit aimer Dieu aime tout dans l’Un parce qu’il est l’Un ; il aime l’Un et tout dans toutes choses parce qu’ils sont tout dans l’Un. Et qui aime quelque chose, ceci ou cela, autrement que dans l’Un et pour l’Un, n’aime pas Dieu, car il aime quelque chose qui n’est pas Dieu, il aime les choses plus que Dieu. Et qui aime une chose plus que Dieu ou à côté de Dieu n’aime pas Dieu, car Dieu doit et veut être aimé uniquement ; en vérité, rien ne devrait être aimé, sauf Dieu tout seul.

Si donc la vraie lumière et le vrai amour demeurent dans un homme, celui-ci n’aime rien que Dieu ; il aime Dieu comme Rien et parce qu’il est le Rien ; il aime tout bien comme l’Un et l’Un comme tout bien, car, en vérité, tout est l’Un et l’Un est tout en Dieu.

Chapitre XLV. — S’il faut aimer aussi le péché, puisqu’il faut aimer toute chose ?

On pourrait dire que si on doit tout aimer, faut-il alors aussi aimer le péché ?

On répond que non.

Si on dit : tout, cela signifie le Bien.

Tout ce qui est124 est bon en tant qu’il est. Le diable est bon en tant qu’il est ; en ce sens, rien n’est mauvais ou méchant.

Pécher, c’est vouloir, désirer ou aimer autrement que Dieu. Mais ce vouloir n’est pas essentiel [ist nit wesen], donc il n’est pas bon. Rien n’est bon qu’en étant en Dieu et avec Dieu.

Or toutes les choses sont essentielles en Dieu, plus essentielles en Dieu qu’en elles-mêmes. Pour cela elles sont toutes bonnes selon leur être.

Et s’il existait une chose qui ne tirait pas son être de Dieu, elle ne serait pas bonne.

On voit donc que vouloir et désirer ce qui est contraire à Dieu n’appartient pas à Dieu ; car Dieu ne peut pas vouloir ou désirer contre Dieu ou autrement que Dieu.

Or c’est mauvais, ce n’est pas bon, ce n’est rien du tout [nichtes nicht].

Dieu aime aussi les œuvres, mais il ne les aime pas toutes.

Lesquelles donc aime-t-il ?

Celles qui proviennent de l’instruction et de l’enseignement de la vraie lumière et du vrai amour, car tout ce qui en provient et qui est fait dans cette lumière et dans cet amour est fait dans l’esprit et dans la vérité, il est à Dieu et lui plaît bien. Mais ce qui est fait dans la fausse lumière et dans le faux amour est tout mauvais, surtout ce qui est fait, accompli, omis, agi ou souffert dans une volonté, dans un désir ou dans un amour contraires à la volonté et à l’amour de Dieu. Tout cela est et se fait sans Dieu et contre Dieu ; il s’oppose à l’action de Dieu, il est donc péché.

Chapitre XLVI. — Comment on doit croire mainte chose qui regarde la vérité divine, avant de pouvoir parvenir à un vrai savoir et à une vraie connaissance.

Le Christ a dit125 que celui qui ne croit pas ou qui ne veut ou ne peut pas croire, est et sera condamné et perdu.

Il en est ainsi en vérité, car un homme qui est né dans cette vie [der in die zeit kommen ist| n’a aucun savoir, et il ne pourra jamais l’atteindre sans croire d’abord.

Quiconque veut savoir avant de croire n’atteindra jamais le vrai savoir.

On n’entend pas par là les articles de la foi chrétienne, car chaque homme et chaque chrétien, pécheur et bienheureux, mauvais et bon, les croit. On doit les croire, sans jamais pouvoir les comprendre.

On entend ici quelque chose de la vérité : ce qu’il est possible de savoir et de connaître doit être cru avant qu’on le sache ou connaisse ; sans cela on n’arrivera jamais à la véritable connaissance.

C’est cette croyance-là qu’enseigne le Christ

Chapitre XLVII. — De la volonté propre. Comment Lucifer et Adam se sont détournés de Dieu par leur volonté propre. Comment cette vie est un paradis et un faubourg du royaume du ciel. Comment rien n’y est défendu à l’homme qu’un seul arbre, qui est la volonté propre.

On dit que rien dans l’enfer n’y est si abondant que la volonté propre.

C’est une grande vérité, car rien n’y demeure, sauf la volonté propre.

S’il n’y avait pas de volonté propre, il n’y aurait ni d’enfer ni de diable.

Lorsqu’on dit que Lucifer, le diable, tomba du ciel, qu’il se détourna de Dieu et ainsi de suite, ce n’est rien d’autre que parce qu’il voulait avoir sa propre volonté, qu’il n’a pas voulu conformer sa volonté à la volonté éternelle.

Il en fut de même d’Adam au Paradis.

Lorsqu’on parle de la volonté propre on entend par là : vouloir autrement que la simple et éternelle volonté.

Qu’est donc le Paradis?

C’est tout ce qui est ; car tout ce qui est est bon et agréable et il plaît à Dieu [unnd ist auch got lustig]. Pour cela il est et on l’appelle un Paradis.

On dit aussi que le Paradis est un parvis ou un faubourg du royaume du ciel. Or tout ce qui est doit être un faubourg de l’éternité et de ce qui est éternel, surtout ce qu’on aperçoit et reconnaît de Dieu et de l’éternité dans le temps, dans les choses temporelles, dans les créatures et parmi les créatures. Car les créatures sont une indication et une vie vers Dieu et vers l’éternité.

Tout ce qui est est un parvis et un faubourg de l’éternité ; donc il est et peut bien être appelé un Paradis.

Tout ce qui est dans ce Paradis est permis, à l’exception d’un arbre et de son fruit. Cela veut dire que de tout ce qui existe, rien n’est défendu ou n’est contre Dieu, excepté une seule chose : c’est la volonté propre ou que l’on veut autrement que la volonté éternelle.

Il faut bien remarquer que Dieu dit à Adam127. — c’est-à-dire à tout homme — : Ce que tu es, ce que tu fais ou omets ne t’est point défendu ; tout t’est permis, s’il est fait dans et selon ma volonté et non dans et selon la tienne. Car tout ce qui est fait selon ta volonté est contre la volonté éternelle. Non pas que toutes les actions qui sont accomplies ainsi soient contre la volonté éternelle ; mais elles sont accomplies par une autre volonté ou autrement que par la volonté éternelle.

Chapitre XLVIII. — Pourquoi Dieu a créé la volonté propre si elle lui est si contraire.

On pourrait se demander ici pourquoi Dieu a créé cet arbre, qui est la volonté propre, pourquoi il l’a fait et planté dans le Paradis, s’il est aussi contraire à lui et à la volonté éternelle.

Réponse : L’homme ou la créature qui désire savoir et connaître la volonté et les secrets de Dieu, qui aimerait savoir pourquoi Dieu fait ceci et omet cela, et ainsi de suite, ne désire pas autre chose que ce que le diable et Adam ont désiré.

Aussi longtemps que subsiste ce désir, l’homme sera comme Adam ou le diable, et rien ne lui sera connu. Car ce désir aboutit rarement à autre chose qu’au plaisir de pouvoir s’en glorifier, ce qui est le vrai orgueil.

Un homme vraiment soumis et illuminé ne désire pas que Dieu lui manifeste ses secrets, il ne demande pas à quelles fins il ordonne ou fait ceci ou cela, et ainsi de suite.

Au contraire, il ne demande qu’à s’anéantir en lui-même et à quitter toute volonté propre, pour que la volonté éternelle vive et devienne puissante en lui, pour qu’elle ne soit empêchée par aucune autre volonté, pour qu’elle soit contentée par lui et en lui.

On peut cependant répondre à cette question d’une autre manière, à savoir, que le plus noble et le plus agréable [lustigte] en toute créature est la connaissance ou la raison et la volonté.

Ces deux choses sont ensemble ; ainsi que l’une est toujours avec l’autre.

Si ces deux choses ne subsistaient pas, il n’y aurait point de créature raisonnable, rien que des bêtes et des brutes [vich und vichlicheit].

Ce serait un grand mal [ein gross geprest], car alors Dieu ne saurait obtenir nulle part ce qui lui appartient et qui est sa propriété, dont on a déjà parlé . Il ne pourrait pas devenir efficace [yn wurcklicher weise], ce qui doit cependant être et qui est nécessaire pour la perfection.

Or la connaissance ou la raison a été créée et donnée avec la volonté, afin quel le enseigne à la volonté et aussi à elle-même que ni l’une ni l’autre ne peuvent subsister d’elles-mêmes, qu’elles ne s’appartiennent pas et ne doivent pas s’appartenir, qu’elles ne doivent point se chercher ou se désirer, ni profiter ou se servir d’elles-mêmes, ni par elles ni pour elles, mais qu’elles sont propres à celui dont elles sont provenues, auquel elles doivent s’abandonner et en qui elles doivent retourner [wider dar yn tliessen] pour s’anéantir en elles-mêmes, c’est-à-dire en leur égoïté.

Chapitre XLIX. — Encore une fois, pourquoi Dieu a créé la volonté propre.

On doit observer ici quelque chose qui concerne surtout la volonté.

La volonté éternelle, étant originaire et essentielle en Dieu, étant sans toute action et sans toute réalité, veut et agit dans l’homme ou dans la créature, car il appartient et il est propre à la volonté de vouloir !

Que devrait-elle faire sans cela ?

Elle serait inutile sans action128.

C’est ce qui ne peut pas se faire sans la créature, or la créature doit être !

Dieu la veut avoir, pour que cette volonté, qui est et qui doit être en lui-même sans action, accomplisse dans la créature son œuvre spéciale et y devienne efficace.

C’est pourquoi la volonté qui est dans la créature et qu’on appelle une volonté créée, est aussi bien à Dieu que la volonté éternelle ; elle n’est point à la créature.

Comme Dieu ne peut donc pas vouloir d’une manière actuelle et mobile sans les créatures, il entend le faire dans et par elles. Pour cette raison, la créature ne devrait rien vouloir par cette volonté, car Dieu devrait et voudrait vouloir, efficacement, par cette volonté, qui est dans l’homme mais qui est cependant à Dieu.

Si cela était et se trouvait purement et entièrement dans un homme, ce ne serait alors plus l’homme qui y voudrait, ce serait Dieu même ; la volonté n’y serait pas une volonté propre, et on n’y voudrait rien d’autre que ce que voudrait Dieu. Car ce serait Dieu même qui y voudrait et non pas l’homme ! Cette volonté y serait une avec la volonté éternelle ; elle serait passée en elle.

Mais l’amour et la souffrance, le bonheur, les peines et tout ce qui s’y rapporte seraient et demeureraient cependant dans cet homme.

Car où la volonté veut efficacement, il y a ou joie ou peine : si tout se fait selon le désir de la volonté, cela lui est agréable, mais s’il se fait autrement, cela lui cause de la peine.

Et cette joie et cette souffrance n’appartiennent pas à l’homme, mais à Dieu, car à qui est la volonté, à celui-là est aussi la joie et la peine.

Cette volonté, n’appartenant donc pas à l’homme, mais à Dieu, il en suit que la joie et la peine sont aussi à lui.

On n’y déplore rien que ce qui est contraire à Dieu. De même, il n’y a aucune joie que de Dieu et de ce qui lui appartient et lui est propre.

Il en est de la volonté comme de la connaissance, île la raison, du pouvoir, de l’amour et de tout ce qui est en l’homme ; tout est à Dieu et rien n’est à l’homme.

Si donc la volonté était entièrement abandonnée à Dieu, on abandonnerait aussi toute autre chose ; Dieu recevrait tout ce qui est à lui et la volonté ne serait pas une volonté propre.

Voilà donc pourquoi Dieu a créé la volonté : nullement pour qu’elle devienne une volonté propre !

Chapitre L. — La volonté propre rend l’homme inquiet.

Or le diable, Adam, ou la fausse lumière, vient s’arroger et s’approprier cette volonté pour en profiter dans son intérêt.

Voilà donc le mal [der schad], voilà le tort, voilà ce qui fit mordre la pomme à Adam. Voilà ce qui est défendu et qui est contre Dieu !

Aussi longtemps que la volonté propre demeure dans quelqu’un, il n’y aura pas de vrai repos.

On voit cela dans l’homme comme dans le diable.

Où demeure cette volonté, qui est l’appropriation, par laquelle on prend et attire à soi la volonté, il n’y aura certainement pas de vraie félicité, ni dans cette vie ni dans l’éternité. Si on ne la quitte pas dans cette vie, si on l’emporte au delà du temps, il est à prévoir qu’on ne pourra plus l’abandonner ; on n’aura assurément jamais de paix, de contentement, de repos et de félicité.

C’est ce qu’on peut remarquer dans le diable.

Si la raison et la volonté n’étaient pas dans les créatures, pour sûr, Dieu resterait inconnu, non aimé, non estimé et non honoré ; toutes les créatures ne vaudraient rien et ne serviraient en rien à Dieu !

Voilà donc la réponse à la question posée ci-dessus128.

Si quelqu’un voulait et désirait se rendre meilleur par ces longues et nombreuses paroles, qui cependant sont brèves et utiles devant Dieu, Dieu en serait content !

Ce qui est libre n’appartient à personne, et qui se l’approprie agit injustement !

Parmi tout ce qui est libre, rien n’est aussi libre que la volonté, et qui se l’approprie, ou ne la laisse pas dans sa noble liberté, dans sa libre noblesse et dans sa libre nature freyen art], agit injustement.

C’est ce que font le diable, Adam et tous leurs successeurs.

Mais qui laisse la volonté dans sa noble liberté agit justement. C’est ce que font le Christ et tous ses successeurs.

Quiconque s’attribue la volonté et la prive de sa noble liberté ne sera récompensé qu’avec des afflictions, avec des soucis, des mécontentements, des dissensions, des inquiétudes et toute sorte de malheurs qui demeureront en lui aussi longtemps qu’il procède ainsi, et dans le temps et dans l’éternité.

Mais quiconque laisse la volonté dans sa libre nature, aura contentement, paix, repos et félicité dans le temps et dans l’éternité.

Où on ne s’empare pas de la volonté, où on la laisse dans sa noble liberté, là est cet homme ou cette créature véritable, libre et affranchi |ledig] dont le Christ a dit129 : « La vérité vous affranchira », et encore : « Si donc le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres. »

Chapitre LI. — Au ciel il n’y a rien de propre et personne ne s’y approprie quelque chose.

Il faut encore savoir que lorsque la volonté peut user de sa liberté dans un homme, elle y peut accomplir ses actions spéciales, c’est-à-dire : vouloir, et elle y veut ce qu’elle veut sans être empêchée.

Or, elle y veut le meilleur et le plus noble de toutes choses, et tout ce qui n’est pas bon ou noble lui est contraire et lui est une cause de tristesse et de plainte.

Plus donc la volonté est libre, moins on lui fait obstacle, plus tout ce qui est mauvais [ungut], injuste, méchant et vicieux, plus tout ce qui est et ce que l’on appelle péché, l’attriste, l’afflige et lui fait de la peine.

On peut voir cela dans le Christ, en qui la volonté était toute libre, toute détachée et toute désappropriée, comme elle ne l’a jamais été, ni jamais ne le sera dans aucun homme.

Il en est de même de l’humanité du Christ. Rien qu’elle eût été la plus libre et la plus détachée de toutes les créatures, elle fut exposée plus qu’aucune autre créature à de grandes souffrances, à de grandes afflictions et à de grandes peines à cause du péché et de tout ce qui est contraire à Dieu. Or, lorsqu’on s’arroge la liberté, lorsqu’on ne se plaint plus, ni ne s’afflige du péché et de tout ce qui est contre Dieu, mais qu’on veut être dans ce mon de ce que le Christ ne fut qu’après la résurrection et ainsi de suite, ce n’est point la vraie liberté divine provenue d’une vraie lumière divine ; c’est une liberté naturelle, injuste, fausse et trompée ; c’est la liberté du diable qui provient d’une lumière naturelle, fausse et trompée.

S’il n’y avait pas de volonté propre, il n’y aurait rien de propre.

Au royaume du ciel il n’y a rien de propre, or, il y demeure contentement, paix et vraie félicité.

S’il y avait quelqu’un qui s’appropriât une chose, il devrait sortir du ciel pour entrer dans l’enfer et pour y devenir un diable. Dans l’enfer, tous veulent avoir leur volonté propre, par conséquent il n’y a que malheur et perdition [unselickeit].

Il en est de même de ce monde !

Mais s’il y avait quelqu’un dans l’enfer, demeurant désormais sans volonté et sans appropriation, il sortirait de l’enfer pour aller au ciel !

L’homme dans ce monde se trouve entre le ciel et l’enfer, et il peut se tourner où il veut.

Plus d’appropriation, plus d’enfer et de perdition ; moins de volonté propre, moins d’enfer et plus de ciel !

S’il était donc possible que l’homme fût entièrement sans volonté propre, et sans appropriation pendant qu’il vit dans ce monde, qu’il fut tout détaché et tout libre dans la vraie lumière divine, s’il pouvait demeurer ainsi, il atteindrait sûrement le royaume du ciel.

Quiconque a, ou veut avoir ou voudrait avoir quelque chose de propre, est lui-même propre à quelqu’un ; mais quiconque n’a, ni ne veut, ni ne désire rien de propre, n’appartient à personne ; il est tout libre et détaché.

Chapitre LII. — Comment on doit comprendre la parole du Christ : « Personne ne vient au Père que par moi. »

Tout ce qui a été écrit jusqu’ici, a été enseigné par le Christ pendant une longue vie, — trente-quatre années et demie ; il l’a enseigné en disant brièvement : Suis-moi !

Mais qui veut le suivre, doit tout abandonner, car il a lui-même tout abandonné autant que cela est et sera jamais possible aux créatures.

Donc qui veut le suivre, doit prendre la croix, car la croix n’est que la vie même du Christ., laquelle est une croix très amère à toute créature.

C’est pourquoi il dit130 : « Celui qui n’abandonne pas tout, qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi et n’est pas mon disciple. »

Mais la fausse et libre nature croit avoir tout quitté ; elle ne veut cependant pas la croix, elle affirme l’avoir eue suffisamment et ne plus en avoir besoin, mais elle est trompée !

Si elle avait jamais goûté la croix, elle ne pourra plus la quitter.

Quiconque croit en Christ, doit croire tout ce qui a été écrit ici !

Amen.

Le Christ dit131 : « Personne ne vient au Père que par moi. »

Ecoutez donc comment on parvient au Père par le Christ ! L’homme doit observer soi-même et tout ce qui lui appartient, — intérieurement et extérieurement — il doit se retenir et se garder autant que possible, pour qu’il ne s’élève et ne demeure en lui ni volonté, ni désir, ni amour, ni idée ou pensée, ni aucune envie qui ne soit à Dieu ou qui ne lui convienne, comme si Dieu était lui-même cet homme-là.

Et lorsqu’on s’aperçoit que quelque chose veut s’élever, qui n’est pas à Dieu et qui ne lui convient pas, on devrait l’anéantir et lui résister aussitôt et autant que possible.

Il devrait en être de même pour ce qui regarde l’extérieur.

On devrait faire attention à tout ce qu’on fait et omet, que l’on parle ou se taise, que l’on veille ou dorme. En un mot, l’homme devrait faire attention à toutes ses actions, à tous ses mouvements [wandlung], à tout ce qui concerne lui-même et les autres hommes. Il ne devrait se tourner vers rien, il ne devrait permettre que rien se passe, s’élève ou domine en lui et par lui, sauf ce qui est à Dieu, qui est digne de Dieu et que Dieu ferait lui-même s’il était cet homme-là.

S’il en était ainsi ou s’il pouvait en être ainsi, tout ce qui est ou qui se fait extérieurement et intérieurement serait à Dieu. L’homme serait un successeur du Christ et de sa vie, telle que nous pouvons l’entendre et comprendre.

Chapitre LIII. — De ceux qui sont les successeurs et les serviteurs du Christ.

Quiconque posséderait cette vie irait et viendrait parv le Christ. Il serait son successeur et il arriverait avec lui et par lui au Père. En le suivant ainsi il serait son vrai serviteur, selon ce que le Christ a dit lui-même132 : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, » comme s’il disait : Quiconque ne me suit pas ne me sert pas non plus.

Qui suit donc ainsi le Christ et qui se soumet à lui arrivera là où est le Christ : au Père. C’est ce que le Christ a dit lui-même133 : « Père, mon désir est que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi. »

Quiconque a choisi cette route passera par la porte de la bergerie, c’est-à-dire dans la vie éternelle, et le gardien de la porte lui ouvrira134.

Mais quiconque a choisi une autre route ou qui s’imagine vouloir ou pouvoir arriver au Père ou à la félicité éternelle, autrement que par le Christ, est trompé, car il ne vient pas par la bonne route et il ne passe pas par la bonne porte. C’est pourquoi on ne lui ouvrira point, car il est un voleur et un meurtrier, comme le Christ le dit.

On peut donc voir par là si on passe par la bonne porte ou non, en choisissant une liberté désordonnée, insouciante et dégagée, en s’attachant à la vertu ou au vice, à l’ordre ou au désordre et à tout ce qu’y rapporte.

Cette liberté-là [diss unachtsamkeit] n’était pas en Christ, elle n’est pas non plus dans aucun de ses vrais successeurs.

Le Christ dit encore135: « Personne ne peut venir à moi, si le Père ne l’attire. » Ecoutez bien : par le Père j’entends le simple et parfait Bien, qui est tout et qui est au-dessus de tout, sans lequel et hors duquel il n’y a aucun être réel ni aucun bien réel, sans lequel aucune bonne action n’a jamais été accomplie et ne s’accomplira jamais136.

S’il est donc tout, il en suit qu’il est aussi dans tout et au-dessus de tout.

Il ne peut être non plus aucune des choses que la créature comme créature peut saisir et comprendre. Car ce que la créature comme créature, c’est-à-dire selon sa nature créée, peut comprendre ou concevoir, est toujours une chose particulière, ceci ou cela ; tout cela est créature.

Si donc le simple et parfait Bien était quelque chose, ceci ou cela, que la créature peut comprendre, il ne serait, pas tout et en tout : il ne serait pas parfait.

Pour cela on ne le nomme pas137, car il n’est rien de ce que la créature, selon sa nature créée, peut concevoir, connaître, penser ou nommer.

Remarquez bien : lorsque ce qui est parlait et inexprimable passe dans un être devenant une personne, dans laquelle il fait naître son fils unique et avec le fils soi-même, alors on l’appelle Père138.

Chapitre LIV. — Comment le Père attire vers le Fils et comment le Fils attire vers le Père.

Remarquez maintenant comment le Père attire vers le Christ.

Lorsque quelque chose de ce parfait Bien est découvert et manifesté à l’âme ou à l’homme, comme dans une intuition [in eim plick], ou dans un moment d’extase [in eim zuck], il naît dans cet homme le désir de s’approcher de ce parfait Bien et de s’unir à lui.

Plus ce désir grandit, plus il lui est révélé ; plus il lui est révélé, plus il désire et se sent attiré.

L’homme est ainsi attiré et appelé [gereitzet] à l’union avec le Bien éternel. C’est ce qu’on appelle « l’attrait » du Père [des vatters zeihen].

Or l’homme apprend par ce qui l’attire qu’il ne saurait jamais parvenir à l’union sans passer par la vie du Christ. Il adopte donc celte vie que nous venons de décrire.

Observez encore ces deux paroles du Christ, l’une139 : Personne ne vient au Père que par moi, c’est-à-dire par ma vie, comme nous l’avons expliqué ; et l’autre140 : Personne ne peut venir à moi, c’est-à-dire personne ne peut embrasser ma vie et ne peut me suivre, s’il n’est pas appelé [berurt] et attiré par le Père, c’est-à-dire par le simple et parfait Bien, dont saint Paul a dit141 : « Quand la perfection sera venue, alors ce qui est imparfait sera aboli. »

Cela signifie que l’homme, dans lequel ce Parfait est connu, senti et goûté autant que cela est possible dans ce monde, n’aura aucune estime pour les choses créées, en comparaison de ce Parfait.

Il en est ainsi en vérité, car hors de ce Parfait et sans lui, il n’y a pas de Bien ni d’être véritable.

Qui a le Parfait, qui le connaît et qui l’aime, a et connaît tout et tous les biens.

Que lui faut-il encore, que signifient pour lui les autres choses et les parties [die teil], puisque le Parfait embrasse en son être unique toutes les parties ?

Chapitre LV. — Comment Dieu est tout dans l’homme.

Tout ce qu’on a dit jusqu’ici se rapporte à la vie extérieure, et il n’est qu’une voie et une indication à la vraie vie intérieure.

La vie intérieure commence après la vie extérieure.

Lorsque l’homme goûtera le Parfait autant que cela est possible, toute chose créée et aussi l’homme même lui paraîtra comme rien.

Lorsqu’on reconnaît en vérité que le Parfait est uniquement le tout et au-dessus de tout, il en suit nécessairement qu’on attribue tout bien, comme l’être, la vie, la connaissance, le savoir, le pouvoir, et toutes ces choses, uniquement à ce Parfait et non aux créatures.

Il en suit que l’homme ne s’attribue rien, ni vie, ni être, ni pouvoir ou savoir, ni action, ni omission, ni rien de ce qu’on peut appeler bon.

Il devient ainsi tout pauvre, il s’anéantit en lui-même, et en lui et avec lui il anéantit toutes les choses, c’est-à-dire toutes les choses créées.

C’est alors que commence la vraie vie intérieure.

En procédant ainsi, Dieu même devient l’homme, de sorte qu’il n’y a plus rien qui ne soit de Dieu ou à Dieu, ni plus rien qui s approprie quelque chose. C’est Dieu seul, c’est l’éternel, l’unique et le parfait Bien qui y est, qui y vit. qui y connaît, aime, peut, veut, fait et omet.

Ainsi devrait-il véritablement en être, et où il en est autrement, on devrait améliorer l’homme et le rendre plus juste.

Une autre pratique et une autre bonne introduction serait celle de s’apercevoir que ce qui est le meilleur doit être aussi le plus aimé, qu’on choisisse le meilleur, qu’on s’y attache et qu’on s’unisse avec lui, surtout et premièrement dans les créatures.

Mais qu’est-ce que le meilleur dans les créatures ?

Ecoutez bien : il est là où le parfait et l’éternel Bien et tout ce qui lui appartient et lui est propre, luit et opère le plus, où il est le plus connu et le plus aimé142.

Mais qu’est-ce qui est à Dieu et qu’est-ce qui lui appartient ?

Je réponds que c’est tout ce que l’on peut véritablement et justement appeler bon.

En se tenant ainsi à ce que l’on reconnaît comme étant le « meilleur » dans les créatures, en s’y attachant sans reculer, on arrivera à une chose meilleure et puis à une autre chose encore meilleure, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’homme connaisse et sente que cet éternel et parfait « Un » dépasse tout bien créé, qu’il est au-dessus de toute mesure et de tout nombre.

Chapitre LVI. — Qu’il faut uniquement aimer et honorer Dieu.

Si ce qui est le meilleur doit aussi être le plus aimé et le plus suivi, il en suit que le Bien unique et éternel doit être aimé uniquement et au-dessus de toutes choses. L’homme doit s’en tenir à lui et s’unir avec lui autant que cela est possible.

Si on attribue donc tout bien au Bien unique et éternel, comme on doit le faire véritablement et de droit, on doit aussi lui attribuer en vérité et en droit tout commencement, tout progrès et toute fin.

Tout est à lui et doit lui être attribué pour que rien ne soit à l’homme ou à la créature.

Ainsi devrait-il être en vérité, n’importe ce qu’on dise ou chante.

Ainsi arriverait-on à une vie véritablement intérieure.

Mais personne ne sait chanter ou raconter ce qui sera après, ni ce qui sera révélé et éprouvé. Jamais il n’a été exprimé par une langue, ni pensé ou connu par un cœur tel qu’il est en vérité.

Ce long discours qu’on vient de mettre ici par écrit doit faire comprendre en peu de mots comme tout devrait être en vérité et en droit. À savoir, que rien ne soit en l’homme qui s’approprie quelque chose, qui désire, aime, veuille ou pense une chose, sinon uniquement Dieu et la Déité, c’est-à dire l’éternel, l’unique et le parfait Bien.

S’il y a quelque chose dans l’homme qui s’attribue une chose, qui veut, qui pense ou désire quoi que ce soit ou plus que le Bien éternel, c’est trop et c’est un mal [geprechen].

Un autre bref discours est que l’homme soit content s’il peut arriver à devenir pour Dieu ce qu’est la main pour l’homme.

Il devrait en être ainsi en vérité.

Toute créature doit cela à Dieu en droit et en vérité, surtout toute créature raisonnable [redlich] et surtout l’homme.

Vous avez remarqué cela par tout ce qui a été écrit jusqu’ici.

Remarquez de même que l’homme doit prendre garde, lorsqu’il a atteint le point où il pense et s’imagine avoir tout accompli, que le diable n’y sème pas ses cendres, que la créature n’y cherche et prenne son aise, son repos, sa paix et tout son bien ; qu’elle ne se livre à une liberté et à une indifférence toutes folles et désordonnées, ce qui est étrange et inconnu à la vraie vie divine.

C’est ce qui arrive à l’homme qui n’est pas allé ou qui ne veut pas aller par la vraie route et qui n’entre pas par la vraie porte, c’est-à-dire par le Christ, comme on l’a déjà dit. Cela arrive à l’homme qui s’imagine pouvoir ou vouloir atteindre la suprême vérité autrement ou par une route différente, qui pense y être arrivé avant d’y être véritablement.

Le Christ atteste cela lui-même lorsqu’il dit143 : « Je vous dis que celui qui marche autrement que par moi n’entrera jamais par la porte et n’arrivera pas à la suprême vérité, mais c’est un larron et un voleur. »

Veuille le Christ nous aider à sortir de nous-mêmes et à faire mourir en nous toute volonté propre, pour ne vivre qu’en la volonté divine ! Lui, qui a abandonné sa volonté au Père céleste, qui vit et qui règne dans l’union du Père divin et de l’Esprit-Saint dans une Trinité éternelle et parfaite.

Amen.



Notes de Maria Winstosser

1. I Cor., xiii, 10.

2. Ce qui est « en partie », « das geteilte », ou l’imparfait, en opposition à ce qui est « complet », parfait.

3. « Dass auss dissem volkommenen geursprungt ist ader wirt. »

4. « Recht als eyn glast ader eyn schein ausslleusst aus der sunnen. »

5. « Darumb nennet man das volkommen nit. »

6. « … Und geschmeckt wirt in der seel. »

7. « Abkehr. »

8. « Der mensch mocht nit on gott und got solt nit on menschen. »

9. « Darumb nam got menschlich naturoder menscheyt an sich und ward vermenscht und der mensch wart vergottet.

10. Is. XLII, 8 ; XLVIII, 11.

11. « Wann das wer eyn gross geprech. »

12. C’est-à-dire le Bien.

13. « Das ist von geprechen. »

14. « Als gut », pas le « Bien » ici.

15. « So der ynner mensch einen ubersprung thet und sprung yn das volkommen. »

16. « Der prunn und ursprung über les das, das dar aussfleust oder gefliessen mag. »

17. « Gebrauchung » ; chez Büttner : Mitgenuss, jouissance.

18. « Und darnach ward der ausser mensch Christi gerichtet. »

19. « Keins wartet auff das an der. »

20. « Ail die weil die seel eyn sehen hat auff den leib und die dingk, die dem leib zugehören. »

21. « Und sich damit verbildet und vermanigvaltiget. »

22. « Von allen bilden. »

23. Théologie mystique, ch. I, par. 1. Tu autem, o amice Timothee, circa mysticas speculationes corroborato itinere et sensus desere, et intellectuales operationes, et sensibilia et invisibilia, et orane non ens, et ens ; et ad imitatem ; ut possibile, inscius restituere ipsius - qui est super omnein essentiam et scientiam. Ea enim teipso et omnibus immensurabili et absoluto pure mentis excessu ad super essentialem divinarum tenebrarum radium, omnia deserens et ab omnibus absolutus ascensus. Comp. J. P. Migne, Patrologie, series latina secunda, t. CXXII, p 1173. Le même passage est cité par maître Eckart [Comp. l’édition de ses œuvres par H. Büttner, t. I, p. 40], et par Tauler dans son Sermon pour le premier dimanche après Noël, édition de E.-P. Noël, t. I, p. 332. Ce texte, remarque P. Sandreau, fut regardé par tout le moyen âge comme le texte fondamental de l’enseignement mystique. Aussi tous les saints docteurs, tous les auteurs spirituels le citaient, le développaient et faisaient reposer sur lui leur doctrine de la contemplation. Comp. l’introduction aux œuvres de Tauler, édition E.-P. Noël, t. I, P. 73, note 1.

24. « Das es auch einem menschen atso dick geschech. »

25. « Es ward nie aussgang so gut, ynne bleiben wer pesser. » Comp. maître Eckart, édition H. Büttner, t. I, p. 11. Comp. aussi Tauler, premier sermon pour le premier dimanche de l’Avent, édition E.-P. Noël, t. I.

26. « Es ist gut oder gut geworden », c’est-à-dire il est devenu le Bien — Dieu-Dieu — dans notre connaissance.

27. « Rien » en contraste du « ceci ou cela » désiré par les créatures comme telles.

28. « Wir wollen als gestrichen seyn. »

29. En cet état l’homme s’humilie devant soi-même. Il se croit « indigne » non seulement de toute consolation et de tout bien, mais encore de toute souffrance et de toute peine ; elles sont encore trop bonnes pour lui qui ne mérite rien du tout.

30. « Ein fusschemel sol sein aller teuffel yn der helle. »

31. « Verderben, sterben
Ich leb on tröst ;
aussen und ynnen verdampnet
niemant bitt, dass ich werderlöst.
»
Comp. maître Eckart, édition H. Büttner, t. I, p. 181. « Vom Zorn der Seele. » « Herr ruft sie. darauf ist mein Heil gestellt, dass Du Dich niemals meiner erinnerst. Und verbiete doch allen Kreaturen, mich je zu trösten. Da höre was die Seele meint mit so wunderlichen Worten. Ihr Heil beruhe darauf, dass gott sich ihrer nicht erinnert ! Denn dann ist sie nie erst aus seinem Bewustsein entschwunden gewesen. Und von allen Kreaturen ungetöstet bleiben will sie darum, weil sie sich in einem so t

32. Nous avons traduit « aussen und ynnen » par âme et corps ; car l’auteur se sert très souvent des expressions « aussen, ynnen, von aussen ou von ynnen » lorsqu’il parle de l’âme ou des choses intérieures et du corps ou des choses extérieures.

33. « Daz dem ewigen gut also uber wol ist. »

34. « Und der mensch kan weder getun oder gelassen, oder nicht von dem seinen da von eskomme oder fare. »

35. Jean, III, 8.

36. « Das meynet man yn der gegenwurtickeyt. »

37. Jean, XIV, 27.

38. « Der da durch prech und durch drung. »

39. Dans les anciennes éditions de la Théologie Germanique il y a « ein lerer sagt. » Plus tard on a remplacé « ein lerer » par : « es spricht der Taulerus ». Comp. l’édition de 1516. puis celles de 1518 et les suivantes. Selon H. Büttner : « Das Büchlein vom vollkommenen Leben », p. 97 Ruysbroek cite aussi ce passage. Büttner conclut que ce « lerer » doit être le maître Eckart ! Mais comp. J. Tauler : « Nach folgung des armen Lebens Christi », édition Franckfort-sur-Mein, 1692, t. IV, pp. 29, 31.

40. « Den bildern zu fru urlaub geben. »

41. « Von dissem synne kan man hie nu nit mer geschreiben oder gesprechen. »

42. « Wann er will sich weder sprechen noch schreiben lassen. weder von dem der es ist und weiss. » Chez Pfeiffer, « sunder allein von dem », etc. Büttner suit le texte de Luther.

43. Eph. IV, 22, 24. Coloss. III, 9, 10.

44. Jean, III, 3.

45. I Cor., XV, 22.

46. Math., XII, 30.

47. « Und gott wer selber auch da der mensch. »

48. « Das an der stat da der mensch leidentich und des belindlich und fulich ist, das ym wider ist. » C’est un symptôme chez l’homme désobéissant et égoïste, qu’il souffre de ce qui s’oppose à lui, tandis que l’homme obéissant est indifférent aux peines de ce monde.

49. « Das beste », c’est-à-dire ici « das böseste », le plus mauvais. Comp. H. Mandel, Theologia Deutsch, p. 38.

50. Comp. ch. I.

51. C’est-à-dire à la vie du Christ.

52. Math., X, 37, 38.
Math., XVI, 24.
Luc, IX, 23.

53. « Es wirt nymmer recht gesagt. »

54. « Das müg wol damit besteen. »

55. Rom., viii, 14 ; vi, 14.

56. Matth., X, 20.

57. « Zu dem yngiessen. »

58. « Yn eym sweigenden yn pleiben yn seym grund seiner sele. »

59. Luc, XXII, 24.

60. À partir d’ici et encore ch. XXII jusqu’à : « Wann wo die creatur oder der Mensch seyn eygen und seyn selbheit uûd sich verleusset », etc., est omis dans l’édition de 1516.

61. « Und doch der mensch gott als gar entweichet. »

62. « Ein steticklichen wurket. »

63. « Wohl und wee. »

64. « Das alle menschen kommentzu mal auff sich selber. »

65. « Die blintheit », c’est-à-dire ceux qui ne comprennent pas.

66. C’est-à-dire les règles et les ordres.

67. Matth., XI, 29.

68. Galates, IV, 4.

69. Matth., XX, 28.

70. Matth., XXVI, 38.

71. Comp. ch. XVI.

72. Matth., v, 3.

73. Ch. XVIII.

74. Comp. ch. XVI.

75. C’est-à-dire il ne se les attribuait pas.

76. « So war doch » warumb « in Christo ». Warumb, c’est-à-dire un désir, une volonté propre.

77. Comp. ch. XXIV

78. Matth., XXVI, 32.

79. Luc, XXIV, 39.

80. À cet état d’impassibilité.

81. Pouvoir arriver à cet état d’impassibilité pendant la vie terrestre.

82. « Diss sol mann pass merken. »

83. « Die weil es on creatur ist. »

84. « Mag keines nymer gewurcket oder geübt werden on creature. »

85. « Dass es sich seins eigens da bekennen mag. »

86. « Als vil sein not ist zu der personlicheit. »

87. Matth., XXVI, 50.

88. Luc, XXIII, 34.

89. Jean, XVIII, 11.

90. Il, c’est-à-dire Dieu.

91. Matth., X, 37, 39 ; Marc, VIII. 34, 35 ; Luc, IX. 23, 24; Jean, XII, 25, 26.

92. C’est-à-dire, l’homme ne doit pas agir lui-même, mais il doit laisser Dieu agir en lui.

93. Matth., V, 3.

94. Comp. chap. 1.

95. Matth., XII, 30

96. La souffrance pour le péché.

97. Dans le texte de Luther « als ob er nit were ». Er doit se rapporter à cette propriété de Dieu.

98. Comp. ch. XXIX

99. C’est à-dire Dieu-Déité, Dieu non créé, non manifesté encore.

100. Ch. XXIX.

101. Comp. ch. XXIX.

102. Comp. ch. XXXII.

103. C’est-à-dire le meilleur Bien ou Dieu.

104. Comp. ch. XIV.

105. La citation ne se trouve pas au ch. VI du prophète Isaïe. H. Mandel, Theologia Deutsch, p. 78, remarque : « ch. v, 20. » L’édition de Franck-fort-Fievet. 1692, cite ch.LIX. Peut-être c’est ch. LIX, vers.13.Comp. encore ch. XXIX, 13, 15. Comp. les analogies dans Matth., ch.XXV, XXVII, XXVIII.

106. Comp. tout ce passage avec le passage de saint Paul, I Cor., XIII, 1-8.

107. Comp. ch.XVI.

108. Comp. ch. XXIX.

109. Comp. ch. XXXVIII.

110. C’est-à-dire le « moi divin » qui est au-dessus de tout « moi ».

111. C’est-à-dire être comme Dieu dans l’éternité ou comme le Christ après la résurrection.

112. Comp. ch. XVII.

113. Comp. ch. XXX.

114. Ibid.

115. Comp. ch. Ier.

116. « On alsvil tzu der personlicheit gehürt ». Comp. ch. XXX.

117. Comp. ch. XIV et XXXIV.

118. C’est-à-dire tout mal.

119. Comp. ch. XIV et XXXV.

120. Matth., XI, 30.

121. Comp. ch. XXXVIII.

122. Galates, ch. II, 20.

123. C’est-à-dire tout ce qui conduit au Bien.

124. Comp. ch. XXXIV.

125. Marc, XVI, 16.

126. Genèse, II, 16.

127. Comp. ch. XXIX.

128. Comp. ch. XLVIII.

129. Jean, VIII, 32, 36.

130. Matth., X, 38.

131. Jean, XIV, 6.

132. Jean, XII, 26.

133. Jean, XVII, 24.

134. Jean, X, 3.

135. Jean, VI, 44.

136. Comp. ch. Ier.

137. Ibid.

138. « Wan dis volkumen ungenannt fleusst in ein geberende person, da in es gepirt seinen eingepornn sun und sich selber darinn, so nennet man es vatter. »

139. Comp. ch. LII.

140. Comp. ch. LIII.

141. Comp. ch. 1er.

142. Comp. ch. VI.

143.Jean, X, 1.