La Prophétie de la sybille🔗 catalogues
Vǫluspǫ́ⁱ
Auteurs | Dates | Type | Lieu | Thèmes | Statut |
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𝔏 Snorri Sturluson | 𝔏 X | Littérature | Scandinavie | Mysticisme Religion |
► Texte cosmogonique et eschatologique, il s’agit d’un passage fondamental l’Edda poétique. Il est vraisemblablement influencé par le christianisme puisque sa versification permet de le dater aux environs du X.
☩ 𝕍 Völuspá ou prédictions de la prophétesse in Revue belge de Philologie et d'Histoire (T°13, F°1-2 pp. 45-56), Félix Wagner, 1934.
☩ Texte : én. de La Prophétie de la sybille in Histoire de la poésie scandinave, 1839. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France).
Traduction de Édélestand Du Méril
Traduction du vieil islandais datée de 1839
Silence! filles de Heimdall
Grandes et petites intelligences qui peuplez l’univers!
Je vais raconter les œuvres du père des mondes,
et les premières traditions de l’Humanité qui me soient restées dans la mémoire.
Je me souviens des Géants, qui furent créés les premiers
Ils m’ont jadis transmis leur science
Je me souviens des neuf mondes, des neuf cercles du ciel,
et des temps où l’arbre qui supporte l’univers gisait encore dans la poussière.
Au commencement des siècles régnait Ymir
Il n’y avait ni sable, ni mer, ni eaux dormantes
Partout manquaient la terre et le ciel qui la couvre
L’espace était vide, l’herbe ne poussait nulle part.
Avant de créer l’immense habitation des hommes,
les fils de Bur s’élevèrent un palais
Le soleil étincelait au midi sur le mur de la salle
Alors la terre se couvrit de plantes verdoyantes.
Suivi de la lune, le soleil franchit au midi les portes du ciel, et s’élança à droite
Il ne savait point où trouver son palais
les étoiles ne savaient où chercher leur demeure
La lune ne savait point quel serait son empire.
Alors tous les Dieux montèrent sur leurs trônes,
et les plus puissants tinrent conseil
Ils nommèrent la nuit et le jour pour mesurer le temps,
ils donnèrent leur nom à l’aube et au milieu du jour,
au crépuscule et au soir.
Les Ases se réunirent dans la vallée d’Ida,
et se bâtirent dans les airs, un dôme et des autels
Leur puissance tenta tout et réussit dans tout ce qu’elle avait tenté
Ils allumèrent des fourneaux et forgèrent les métaux,
fabriquèrent des tenailles et inventèrent les arts.
Ils jouaient au disque avec les astres
L’or se multipliait sous leurs mains.
Rien ne manquait à leur joie,
jusqu’à ce que les trois puissantes géantes fussent sorties de la terre des Jotes.
Alors tous les Dieux montèrent sur leurs trônes,
et les plus puissants tinrent conseil
Ils décidèrent qui créerait la foule des esprits avec le sang,
et les ossements bleuâtres du géant des mers.
Lorsque, au sortir de l’assemblée,
trois Àses des plus puissants et des plus bienfaisants rentrèrent dans leur palais,
ils trouvèrent sur la terre Àsk et Embla,
vivant presque sans force et sans avenir.
Aucune âme ne les animait
ils n’avaient ni raison ni mouvement, ni couleur dans la chair.
Odin leur donna l’àme, Hsenir la raison
Lodur leur donna du sang et des couleurs de pourpre.
Je connais l’immense frêne, qui s’appelle Yggdrasill
Sa cime feuillue baigne dans une onde bleue
Il distille la rosée qui tombe dans les vallées,
et couvre de ses branches toujours vertes la fontaine d’Urda.
Les trois doctes vierges sortirent de la mer qui baigne ses racines
Les Dieux en appelèrent une Urd, une autre Verdandi, Sculd fut le nom qu’ils choisirent pour la troisième
Ce sont elles qui gouvernent le monde et mesurent la vie
Ce sont elles qui font la destinée des enfants des hommes.
Je me souviens du premier meurtre que les peuples commirent sur la terre
Ce fut quand ils percèrent Gullveig de leurs traits
Trois fois ils la brûlèrent dans le palais des Dieux, trois fois elle renaquit de ses cendres
Souvent ils la brûlent encore, et cependant elle vit toujours.
Ils l’appelaient Fortune
Elle dompta jusqu’aux loups, et les hommes la reçurent dans leurs maisons comme une messa gère de bonnes nouvelles
Elle savait la magie et se plaisait dans ses opérations
Elle fut toujours la passion des criminels.
Alors tous les Dieux montèrent sur leurs trônes,
et les plus puissants tinrent conseil
Ils délibérèrent si les Ases puniraient le crime,
ou s’ils accepteraient en compensation des sacrifices.
Odin leva le bras et lança ses traits sur les nations
Cela fut la première guerre qui ensanglanta le monde
Le rempart de la ville des Ases fut forcé,
et les Vanes chantèrent la guerre sur un champ de bataille.
Alors tous les Dieux montèrent sur leurs trônes,
et les plus puissants tinrent conseil
Ils se demandèrent qui pâlissait la lumière des astres, et s’ils livreraient aux Géants l’épouse d’Odin.
Thor était là, le front gonflé de colère
À une telle proposition, le sang lui bout dans les veines
les serments furent oubliés
les anciens pactes, les engagements solennels furent tous rompus.
Je sais que la trompette de Heimdal retentira sous l’arbre sacré, habitué à la paix
J’ai vu un torrent emporter la parole du père des mondes,
et se briser comme une cataracte écumante.
— Comprenez-vous ma pensée?
Je serai seule, assise à la porte du palais, quand viendra tout pensif le vieillard des Ases, et je le regarderai au visage.
— Pourquoi m’interrogez-vous? Pourquoi me tentez-vous?
— Je sais tout, Odin, je sais où tu caches ton œil dans la fontaine de Mimer
Un jour viendra où il en avalera les eaux avec la parole du père des mondes.
— Comprenez-vous ma pensée?
Le Dieu des armées m’a donné des anneaux et des talismans
Il a mis la sagesse dans mes discours et l’esprit de prophétie dans ma pensée
Mon regard perce au loin à travers tous les mondes.
J’ai vu les Valkyries accourir des pays lointains, prêtes à s’élancer à cheval à travers le peuple des Dieux
Skuld tenait son bouclier
Skaugul, Gunnur, Hilda, Gaundul et Geir-Skaugul étaient couvertes de leurs armes
Déjà les nymphes d’Odin se sont passées en revue
Elles sont prêtes à s’élancer sur la terre
— les Valkyries.
J’ai vu quelle destinée attend Baldur, le fils d’Odin, le Dieu au visage de pourpre
Flexible encore et luisante, la branche de gui couvre déjà la campagne de son ombre
Un jour, je le sais, cette branche deviendra un trait mortel, et Haudur le lancera.
Le lendemain matin naîtra le frère de Baldur
Avant sa seconde nuit, ce fils d’Odin aura déjà vengé son frère
Il ne se lavera les mains ni ne se rasera la tête avant d’avoir étendu sur son bûcher le meurtrier de Baldur
Mais Friggà pleurera, dans les plus profondes cavernes, la perte du Valhalla
— Comprenez-vous ma pensée ?
J’ai tu dans les fers, au milieu du lac de feu,
une forme semblable à Loki, si habile à les prendre toutes
Là s’assied Sigyna, et les souffrances de son mari lui remplissent l’âme de douleur.
— Comprenez-vous ma pensée?
Un torrent descend de l’orient, roulant de la vase et des épées
Il empoisonne au loin les vallées : son nom est Slithur
Au nord, sur la montagne des Ténèbres, s’élève le palais d’or de la race au cœur de pierre
Un autre s’élève dans la contrée que n’ont jamais désolée les frimas :
c’est Brimir, la salle de réjouissance des Géants.
J’ai vu dans la terre des Funérailles la demeure qui ne connaît point la lumière du soleil
Ses portes sont ouvertes au vent du nord
une pluie de poisons tombe à travers les fenêtres
ses murailles sont bâties avec des serpents entrelacés.
J’y ai vu rouler, dans l’écume des torrents,
le parjure, l’assassin et celui qui souille l’oreille d’une épouse de paroles adultères
Là, l’insatiable Nidhauggr suce le cadavre des morts, et dépèce les vivants.
— Comprenez-vous ma pensée?
Jadis elle se retira à l’orient dans la forêt de Fer,
et elle y allaita les enfants de l’abyme
Le plus grand de tous a la taille d’un géant :
c’est lui qui dévore la lune.
Il se rassasie de la vie des hommes,
et rougit d’une pluie de sang le trône des Dieux
l’été suivant, la lumière du soleil est plus sombre, et les tempêtes sont déchaînées.
— Comprenez-vous ma pensée?
Alors Egdir, la sentinelle des Géants, s’assied,
plein de joie, sur la montagne, et fait vibrer sa harpe sur sa tète,
chante, dans les airs, Fialar, le coq aux couleurs de feu.
C’est lui qui porte sa crête d’or au milieu des Ases
son chant réveille les guerriers du Dieu des armées.
II en est un autre, aux plumes couleur de suie, qui chante sous la terre, dans les cavernes de Hela
Les aboiements du chien des enfers retentiront jdevànt la porte,
le Loup rompra sa chaîne et courra à travers le monde
Mon œil a lu dans l’avenir, il a vu plus loin en core la dissolution des puissances, et le crépuscule des Dieux.
Les parents mépriseront les liens de la parenté, le frère combattra son frère, et tombera mort sur son cadavre
Le crime sera dans le monde, l’adultère dans tous les lits
ce sera le siècle des tempêtes et des loups, le siècle de la hache et de l’épée
le meurtre brisera tous les boucliers
Avant que l’univers entre en fusion, le dernier homme aura péri frappé par son semblable.
Lorsque flambera l’arbre qui supporte le monde,
les fils de Mimir joueront au bruit éclatant du cor de Giallar
Heimdal élèvera sa trompette dans les airs, et ses sons retentiront au loin
la mer élèvera jusqu’au ciel la cime mugis sante de ses vagues
Le frêne Yggdrasill s’agitera sur ses racines
Il craquera comme s’il était atteint de pourriture, et Loki rompra ses liens
les morts eux-mêmes trembleront dans le royaume de Héla avant que la flamme de Surtur ne le dévore.
Le voile de Hrymur paraîtra à l’orient, la mer gonflera ses eaux devant lui
le serpent du monde se déroulera avec la force d’un géant, il serrera l’Océan dans ses nœuds
l’aigle battra des ailes, son bec pâle déchirera les cadavres, et le navire de la mort forcera le passage.
II paraîtra à l’orient : Loki tiendra le gouvernail,
et les flots apporteront les messagers du destin
Tous les monstres de la Destruction suivront Fenrir
Réuni à leur armée, le Démon de la nuit les devancera tous.
Que feront alors les Ases ? Que feront alors les Alfes?
Le monde des Géants retentit de joie, les Ases se réunissent à la hâte
les Génies terrestres gémissent devant la porte de leurs cavernes
ils savent que les entrailles de la terre ne les protégeront point.
— Comprenez-vous ma pensée?
Surtur s’avance au midi, poussant devant lui la flamme du feu
le soleil resplendit dans les reflets de son épée
les montagnes de rochers fondent, les géantes courent éper dues,
les hommes se précipitent dans les voies de la mort, et le ciel se fend.
Alors une autre angoisse frappera la Déesse
— Odin engagera le combat avec le Loup,
et l’éclatant vainqueur de Beli avec Surtur.
— Alors tombera le Dieu le plus cher à Frigga.
Alors viendra Vidar,
le puissant fils du père des victoires, combattre la Bète dévorante
le glaive que sa main brandit s’enfoncera jusqu’au cœur de l’allié des géants.
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Alors accourra l’illustre fils de la Terre
le premier né d’Odin viendra combattre le serpent, et le serpent succombera sous les coups du défenseur de Midgard
tous les hommes disparaîtront du monde le vainqueur s’éloignera du monstre en chancelant
il marchera neuf pas, et tombera semblable au vaincu.
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Le soleil commencera à noircir, la terre s’affaissera dans la mer,
les étoiles tomberont du ciel pleines de cendre,
le feu se roulera en sifflant autour de l’axe du monde,
les colonnes de flamme s’élanceront jusqu’au ciel.
Un autre jour, j’ai vu une terre verdoyante sortir du milieu des flots.
— Les cataractes rentreront dans leur lit, l’aigle planera,
et détruira les poissons qui nageaient sur les montagnes.
Les Âses se réuniront dans les champs de l’Ida
Ils parleront de l’immense serpent qui entourait la terre
et se ressouviendront des grandes œuvres et des anciens mystères du Très-Haut.
Ils retrouveront une seconde fois, dans la verdure,
ces merveilleux globes d’or, qu’avaient déjà possédés, au commencement des siècles,
le prince des Dieux et le fils du pre mier Créateur.
Le blé croîtra dans les champs sans culture
Tous les maux s’évanouiront
Baldur reviendra et habitera dans une paix éternelle, avec Haudur, le palais d’Odin.
— Comprenez-vous ma pensée ?
Alors Haunir acceptera le sacrifice du sang,
et les descendants des deux frères habiteront la vaste région des airs.
— Comprenez-vous ma pensée?
Je vois s’élever au haut des cieux un palais couvert d’or et plus resplendissant que le soleil
les hommes piéux l’habiteront et y vivront dans la joie jusqu’à la consommation des siècles.
Alors viendra à l’assemblée des Dieux le Tout-Puissant qui régit tout du sommet des cieux
il prononcera ses jugements, apaisera les désordres du monde, et établira une sainte harmonie que rien ne détruira plus.
Là viendra le noir dragon qui prend son vol de la mon tagne des Ténèbres
il planera sur le monde portant la mort sur ses ailes.
— Alors il sera précipité dans l’abyme.
Version: 2.0
Maj : 15/11/2024