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Alchimie
alʃimi — Subst. fém.

Définition

[Ésotérisme]

Discipline hermétique se donnant pour but la transmutation symbolique ou réelle d’objets ou de corps quelconques, vils, malades, corrompus et immatures (métaux en général, plomb en particulier) en leur contreparties dignifiées, exaltées et immortelles (pierres précieuses et or) et ce par le biais de divers opérations prenant leur source dans l’observation de la nature naturée. Métaphysiquement, elle s’occupe de restaurer l’unité du corps et de l’esprit, du sujet et de l’objet, unité qui est comprise comme originelle et glorieuse, source de tous les possibles.

Bien qu’elle y emprunte certains notions, elle se différencie néanmoins d’un naturalisme comme le stoïcisme ou l’aristotélisme. Car si elle cherche à imiter la nature, c’est, en pratique, par le biais de l’analogie inverse du monde intérieur, levier de ses processus opérants, qu’elle tente de provoquer la hiérogamie. Aussi, si elle écarte le dualisme, elle n’est pas dépourvue de dualitude puisqu’elle y puise sa dynamique.

► Représentant une des trois grandes pratiques de l’occultisme avec l’astrologie et la magie, lesquelles lui sont profondément liés, l’alchimie est à leur instar une weltanschauung et présente des conceptions cosmogoniques, cosmologiques et eschatologiques, ce qui en fait en dernière analyse, autant un système religieux et philosophique, qu’un art et une science. Sa mystique est résolument sotériologique et ses articulations conceptuelles sont médicales, son art est celui des modalités transmutatoires et des correspondances et sa science celle de la nature dans son cadre générateur et destructeur, ce qui sous ces deux rapports, la rapproche symboliquement, tant en occident qu’en orient, des processus relatifs au forgeage d’une part et à l’agriculture d’autre part.

Étymologie

Ind.Eur. : ĝheu {verser, pleuvoir} | Cpt. : khēm {noir, par métonymie : l’Égypte}

Grc. : χυμός (khymos) {Humeur, suc},

Grc. : χυμεία (khumeia) {mélange de liquides, fonderie, fusion},

Arb. : article اَل (al) {la | puissance éminente} + كِيمِيَاء (Kīmíj̄a) {chimie},

Lat. : alchimia

Introduction

► On retrouve les procédés de l’alchimie tant en occident qu’en orient et ce depuis la haute antiquité. L’origine de la discipline prend vraisemblablement source dans la découverte des rudiments de la métallurgie(1) et de la pharmacologie à l’âge du bronze. Son développement connaît à chaque fois trois phases principales plus ou moins longues qui se répètent de manière fractale :

● La phase des recettes, composée de recueils de techniques de chimie ou de métallurgie contenant pas ou peu d’indications précises quant à la pratique et aussi peu d’allusions quant à une visée spirituelle.

● La phase des développements où émergent les spéculations spirituelles et correspondant généralement à l’apogée du cycle.

● Puis la phase des commentateurs où on (a.) compile et commente les textes et où une (b.) spécialisation entre deux ou plusieurs branches issues de ces commentaires émerge, souvent à la faveur d’un ou quelques auteurs qui servent de canaliseur.

Époque ptolémaïque

I. Contexte artisanal et théologique

► En occident, son origine mystique est attribuée à Tubal-Caïn, à Cham et Misraïm ou bien à Hermès Trismégiste (synthèse de Thot et d’Hermès). Quoi qu’il en soit et bien qu’on puisse en trouver des traces rudimentaires en Mésopotamie dès le -XIV (Babylonie puis Assyrie au -VII), elle est certainement — dans sa forme spéculative, organisée et intellectualisée — originaire de l’Égypte ptolémaïque. Les prêtres(2) d’alors avaient en effet pour devoir de produire les objets sacrés des temples(3) qui étaient faits de pierres et métaux précieux comme le nub (or).

Ils développèrent donc un savoir-faire métallurgique, un art sacré qu’ils maîtrisaient par le feu de Sekhmet, ainsi que des connaissances leur permettant de différencier la pureté de l’or et de l’amalgamer avec de l’argent (électrum) ou d’autres métaux comme le plomb ou l’étain. Cette connaissance leur permettait ainsi d’augmenter voir d’en doubler le poids (diplosis) ou de le rendre plus malléable. On trouve ainsi dans le Papyrus de Leyde et le Papyrus de Stockholm (Papyrus Graecus Holmiensis) — papyri qui compilent nombre de recettes en rapport avec les travaux du bijoutier et du teinturier — le terme asem désignant cet amalgame et qui signifie en outre "transmuter". On y trouve encore et de façon plus générale, des indications pour l’imitation des métaux, la coloration des pierres pour imiter les gemmes ainsi que des indications pour la fabrication de la pourpre.

Ils avaient ainsi également pour mission de mettre au point des teintures permettant de colorer les étoffes ainsi que le verre. Ils faisaient ressembler ce dernier aux gemmes élaborant ainsi le chesteb (minéraux bleus tels le saphir ou le lapis-Lazuli) ou le mafek (minéraux verts tels l’émeraude ou le jaspe) dont les dirigeants étaient friands. Ce savoir faire était encore en vigueur à la renaissance ; Fioravanti par exemple, dans le chapitre 45 de son Miroir universel évoque encore la fabrication du verre, des émaux et de la teinte des métaux.

► Quoi qu’il en soit, bien antérieurement, les hiéroglyphes des pyramides et des sarcophages comprennent déjà des textes théologiques contenant un symbolisme qu’on peut qualifier de chimiqueAtoum, principe indifférencié, génère tous les êtres sans perdre sa qualité propre.

Grillot de Givry in Anthologie de l’ésotérisme ajoute (dans son introduction au Livre de l’hémisphère inférieur) que, selon lui : L’initiation égyptienne paraît surtout avoir eu pour objet le Mystère de la Vie. La puissance créatrice est attribuée à l’action du soleil unie à la vertu de l’eau. Le mythe d’Osiris et d’Horus n’a pas d’autre signification, de même que les symboles thébains d’Ammon et de Khema ; et cette tradition a été suivie plus tard par les alchimistes. […]

II. L’alchimie primitive

► Par la suite et en parallèle à ce fond théologique et artisanal (fait de savoirs populaires et secrets de métiers très anciens), les spéculations gnostiques et néo-platoniciennes(4) se développèrent, si bien que dans l’Alexandrie gréco-égyptienne, entre le -II et le IV et à la faveur de la perméabilité entre les disciplines, plusieurs auteurs se servirent des procédés et symboles de cet artisanat sacré pour développer un syncrétisme qui structure l’alchimie autour d’une rituélie et de la figure — certainement conceptuelle — d’Hermès Trismégiste. Comme le note Festugière dans son Hermétisme et mystique païenne (1967), les différentes recettes et spéculations durent en effet nécessairement être réunies en traités et, conformément à l’époque, on les attribua à une figure ancienne et fabuleuse ce qui permit de constituer le Corpus hermétique.

↳ C’est ainsi sur cette alchimie spéculative et pour ainsi dire révélée que vont pouvoir se greffer les thèmes de la connaissance de Dieu et de l’ascension de l’âme. Ils devront alors s’exprimer par le biais de symboles et d’allégories afin de pouvoir exprimer un enseignement ésotérique où se mêlent théosophie et philosophie naturelle. Ce syncrétisme entre ces deux disciplines avait sans doute déjà été entamé par les prêtres égyptiens eux-mêmes avec le mythe d’Osiris(5). Néanmoins, puisque nous ne possédons que des témoignages fragmentaires de cette époque, la compréhension de ce qu’on pourrait désigner comme une discipline alchimique demeure insuffisante pour supposer plus que l’existence d’une transmission orale et secrète.

↳ Ces auteurs producteurs d’une alchimie visionnaire à visée spirituelle sont tout d’abord Bolos de Mendès (et ses Questions naturelles et mystérieuses) et Cléopâtre, puis surtout Zosime (Sur l’Eau Divine). Maternus ensuite, qui le premier use du mot "alchimie", jusqu’à Synésius et au byzantin Olympiodore au IV, Énée de Gaza (V VI), puis enfin Stéphanos d’Alexandrie au f.VI m.VII qui en plus d’assurer la transition intellectuelle de l’alchimie du monde grec au monde byzantin, représentent aussi le trait d’union entre néoplatonisme et christianisme.

Arabe

► Peut-être du byzantin transfuge Stéphanos/Étienne à Morien, plus sûrement par la conquête arabe de l’Égypte et l’Iran ces idées se transmirent aux arabo-persans à partir du VII. Les deux précurseurs les plus célèbres de l’alchimie arabe sont d’une part, l’imam Ja’far al-Sâdiq et d’autre part le prince Omeyyade Khâlid ibn Yâzid. Le second, fut l’objet d’un grand nombre de pseudo-épigraphes et l’occident le retint sous la latinisation de "Calid".

Outre le fait que la tradition rapporte qu’il fut disciple de Morien, il se voit mentionné par Ibn al-Nadim dans son Kitab-al-Fihrist, qui indique qu’il aurait sollicité des érudits chrétiens d’Égypte afin de traduire des traités alchimiques du grec vers l’arabe, notamment de Zosime. On attribue à Khâlid plusieurs poèmes et essais alchimiques comme un Livre des amulettes, le Testament sur l’Art ou encore le Paradis de la Sagesse.

↪ Toujours est-il que, les arabes ont pu se former au grec dès le VIII grâce aux chrétiens nestoriens et syriens et dès lors, traduire plusieurs textes depuis la langue d’Homère. La Turba philosophorum {Tourbe des philosophes} et le Kitâb sirr al-Halîka (Livre secret de la création) de Balînûs (attr. Apollonius de Tyane) qui contient une version de la Table d’Émeraude, sont des purs transfuges grecs qui ne tariront néanmoins pas de célébrité jusqu’à l’époque moderne. Ils sont suivis par Geber qui sera le pivot de l’alchimie arabe sinon solide pilier de l’alchimie toute entière en proposant une vaste synthèse.

► Geber pose les bases conceptuelles de la discipline, non seulement en formulant des idées qui resteront centrales (dualité soufre/mercure, panacée, pierre transmutatrice) mais aussi en inventant ou en améliorant du matériel (Alambic) ainsi que par ses découvertes chimiques des acides. Il prendra comme source mystique des auteurs à la grande réputation comme Hassan al Basrî et Dhul-Nûn al Misri.

Rhazès, aristotélicien plus rationaliste développera l’aspect purement médical et Ibn Umail (Senior Zadith en occident) dont les traités sont résolument allégoriques auront également une grande influence par la suite, notablement au niveau iconographique.

► L’alchimie arabe en quête du إكسير (al-iksîr) {liquide médical} et de الحجر (al-hajar) {la pierre}, gravite essentiellement dans les cercles ismaéliens et soufis(6).

Européenne

I. Introduction en Europe

Par le biais de traductions probablement encouragées par les croisades, les textes arrivèrent massivement dans les mains de l’Europe médiévale à partir du m.XII, y sont dès lors produits de nombreux textes aux pseudo-épigraphes de personnalités religieuses et médicales prestigieuses (ntm. Albert et Lulle).

Bacon, Petrus Bonus (Pretiosa margarita novella {La Nouvelle perle précieuse}) puis le pseudo-Arnaud de Villeneuve (Tractatus parabolicus {Traité parabolique}) associeront alchimie et christianisme.

Rocquetaillade développe l’idée de quintessence qu’il obtient par des distillations répétées de l’aqua ardens {eau ardente}.

↪ Dans ce contexte d’hermétisme chrétien, l’intérêt que portent certains intellectuels à l’alchimie, permet d’une part de répondre à la nécessité de renouer avec les textes du néoplatonisme transmis par les arabes et d’autre part, d’illustrer la Bible comme de rendre compte des activités occultes de la nature.

On voit que le sujet est particulièrement prisé des franciscains, d’autant qu’on peut éventuellement y ajouter le pseudo-Geber (Summa perfectionis magisterii {La Somme de la perfection du Magistère}) (? Paul de Tarente) ouvrage très cité qui introduit de nouveaux principes. L’influence du joachimisme se fait également sentir dans certains textes. En outre, les symboles se multiplient dramatiquement à cette période pour s’appliquer tout comme lors de la période hellénistique tardive, tant aux sphères opératoires que spirituelles. L’Église du reste, ne condamna jamais directement les alchimistes, sinon au regard du fait que sous couvert d’alchimie, d’aucuns pratiquent la sorcellerie, fassent appel au démon ou aident à battre fausse monnaie.

II. Période d’apogée

► À partir de la renaissance, l’alchimie est bien installé. Elle connaît un enrichissement grâce au néoplatonisme médicéen (𝕍 stt. De Triplici vita (De la Triple Vie) de Ficin) et à la qabale ainsi qu’un formidable regain de popularité par le biais de l’imprimerie.

► Le XV XVI voit formuler le concept d’art royal, qui recherche une régénération simultanée de la matière et de l’Homme, et fleurir un grand nombre de traités d’importance :

Le Livre de la Sainte Trinité d’Ulmann et le Donum Dei {Très précieux don de Dieu} d’Aurach sont les plus importants.

Puis signalons parmi les traités remarquables : Le Lever de l’Aurore du pseudo-Aquin, La Splendeur du soleil de Trismosin et le De la Pierre Philosophale de Lambspring, sans oublier les splendides Rouleaux de Ripley.

Flamel (Le Livre des figures hiéroglyphiques) puis Thomas Norton (The Ordinall of Alchemy {L’Ordinaire d’Alchimie}) produisent des œuvres poétiques et littéraires. Flamel deviendra par ailleurs, l’archétype même de l’alchimiste.

► Au XVI, les traités circulent surtout sous forme manuscrite, comme le Chrysopoeia (1515) d’Augurelli, l’Art transmutatoire (1518) de Panteo ou encore le Ciel des Philosophes (1525) d’Ulstad. Paracelse (Von den ersten dreien principiis {Traité des trois essences premières}) renouvelle la pratique et donne une nouvelle impulsion tout en débutant un lent divorce entre mystique et pratique.

Influencés par ce dernier, les auteurs alchimiques ultérieurs seront durablement impactés par le paracelsisme et teinteront leur production de pansophie comme Eugène Philalèthe ; Khunrath (Amphitheatrum sapientiae aeternae {L’Amphithéâtre de la Sagesse Éternelle}) et Maïer (Atalanta Fugiens {Atalante fugitive}), protégés de Rodolphe II de Habsbourg, plus célèbre mécène des alchimistes. Toujours influencés par Paracelse, ces auteurs s’orientent également plus volontiers vers l’aspect théosophique de la discipline.

↳ Ils préfigurent Dee (Monas hieroglyphica {La Monade hiéroglyphique}), Cesare della Riviera (Il Mondo Magico degli Heroi {Le Monde magique des héros}), puis le creuset synthétique que constituera le rosicrucisme. De ce dernier émergera surtout Anton Kirchweger et sa célèbre Aurea catena Homeri {Chaîne d’Or d’Homère}.

III. Compilations et diversifications

► Au XVII des auteurs d’importance fleurissent : Van Helmont, Valentin et Philalète poursuivent une alchimie médicale où l’allégorie se mêle aux expériences en laboratoire. Jean d’Espagnet produit quant à lui ses élégants Enchiridion Physicae restitutae {La Philosophie naturelle restituée} et Arcanum Hermeticae philosophiae opus {L’Œuvre secret de la philosophie d’Hermès}. La tendance alchimique de l’époque, qui trouve sa source au haut moyen-âge, est au parallélisme avec les mythologies antiques : des auteurs comme Nuysement estiment en effet qu’elles contiennent, voilées derrière leurs allégories, les opérations du grand-œuvre.

↳ C’est aussi le siècle des compilations où de nombreux recueils sont publiés faisant suite aux premiers publications du XVI que sont le De Alchemia (1541) de Cyriacus Jacobus, le Précieux et très noble art chimique de Janus Lacinius ou le Verae alchemiae (1561) de Guglielmo Gratarolo. On y trouve les fameux Théâtre Chimique (1602) de Lazare Zetzner, le Musée Hermétique (1625) de Lucas Jennis et la même année les Deux Chimies tripartites de Grasshoff.

↳ Cette vogue des recueils se poursuit au XVIII avec Manget (Méthodique bibliothèque chimique, 1702), Roth-Scholtz (Deutsches Theatrum Chemicum, 1728) et Schröder (Neue Alchymistische bibliothek, 1772). Corollairement, émergent les études historiographiques avec l’Histoire de la philosophie hermétique (1742) de Langlet-Dufresnoy, les bibliographies avec la Bibliotheca chemica (1727) de Roth-Scholtz ou les dictionnaires avec le Dictionnaire mytho-hermétique (1758) de Pernety.

► Dans le même temps, les arrestations et condamnations de souffleurs se multiplient partout en Europe. Dans beaucoup d’esprits, l’alchimie n’est pas une religion à mystères mais l’auxiliaire des batteurs de fausse monnaie et une technique aboutissant aux remèdes minéraux des paracelsiens. Nombre d’anecdotes font état d’individus ayant obtenu un peu de poudre de projection mais qui, faute de pouvoir la reproduire et s’étant engagés auprès de puissants, périssent ou sont écroués.

Morin de Villefranche rapporte par exemple dans son Astrologia Gallica, l’anecdote bien connue de Noël Picard dit "Dubois", capucin défroqué(7). Ce dernier entra en possession de poudre et elle fut essayée avec succès par Louis XIII mais l’Homme finit pendu, incapable de respecter les engagements qu’il avait pris auprès du souverain. D’autres adeptes tiennent des positions plus avisées vis à vis des puissants. La réponse souvent rapportée de cet alchimiste bourguignon à un émissaire de Rodolphe II est à cet égard significative : Si je suis adepte, je n’ai pas besoin de l’empereur, si je ne le suis pas, l’empereur n’a pas besoin de moi.

↳ Il faut mentionner que du XVI au XVII on doit aux alchimistes un certain nombre de découvertes scientifiques. Blaise de Vigenère découvre l’acide azotique, Della Porta, l’oxyde d’étain. Van Helmont formule la notion de gaz et met en évidence l’oxyde azoteux, l’acétate d’ammoniac et l’huile de soufre, il découvre en outre le suc gastrique et participe à l’effort autour de la fabrication du thermomètre. Glauber découvre le sulfate de soude, Hennig Brand le phosphore et enfin Böttger, la porcelaine de saxe.

↳ Cependant, Newton (malgré son grand intérêt pour l’alchimie) puis Lavoisier inclinent définitivement la partie pratique de l’alchimie vers la science moderne et au XIX, à l’instar de l’astrologie, l’effervescence qui l’animait jusque dans les facultés disparaît progressivement.

IV. Époque contemporaine

► Au XVIII, outre dans la volonté d’inventaire des matériaux disponible, la tendance est à l’interprétation des mythes, qu’on considère — suivant en cela la direction imprimée par Maïer — chargés de sens alchimiques. L’exemple des Fables égyptiennes et grecques dévoilées (1758) de Pernety est à cet égard significatif ou de façon plus théosophique et moins réductionniste, l’Aureum Vellus (1749) de Fictuld. D’autre part, c’est aussi le siècle où alchimie et science peuvent marcher de concert chez certains penseurs pétris de paracelsisme comme Œtinger ou Juncker, qui par leurs œuvres annoncent la naturphilosophie.

► À l’époque contemporaine, l’alchimie se mêle au spiritualisme et au néo-occultisme :

Albert Poisson (Théories et symboles des alchimistes) ouvre la voie à l’hyperchimie de Jollivet-Castelot.

Oswald Wirth (Le Symbolisme hermétique) entérine l’idée d’une alchimie maçonnique et Mary Anne Artwood (A Suggestive Inquiry into the Hermetic Mystery) quant à elle, celle d’une alchimie uniquement spéculative.

● Quant à Jung (Psychologie und Alchemie {Psychologie et Alchimie}), il fait de même dans le cadre de la psychologie tandis que Julius Evola publie son premier essai dans une perspective pérennialiste au travers de La Tradizione ermetica {La Tradition hermétique}.

Fulcanelli enfin, lance une nouvelle impulsion en synthétisant plusieurs influences et en comparant le symbolisme alchimique et l’architecture tandis que Roger Caro publie un ouvrage où il montre des photographies de l’œuvre. Ces nouvelles perspectives eurent un impact sur des personnalités du mouvement surréaliste comme Alleau.

↳ Le mouvement hermétisant de Fulcanelli s’essouffle néanmoins dans les années 80. Si les alchimistes opératifs d’aujourd’hui cherchent à transmuter matériellement les métaux, c’est sous les auspices de l’occultisme, de la physique nucléaire et des théories quantiques.

Inde

► En Inde la रसायन (rasayana) {voie du mercure}, vraisemblablement d’origine pré-védique, à également opéré, quoique plus tôt qu’en occident, une scission entre l’आयुर्वेद (ayurvéda) {science de la vie} et le योग (yoga) {union, ascèse}. Dans cette discipline, la notion d’identité entre संसार (samsara) {monde circulant} et निर्वाण (nirvana) {extinction} est considéré comme le but suprême. Ce courant, dont on trouve plus clairement trace à partir du -VI, s’est par la suite développé dans les différentes branches du siddha qui comportent les tantristes du Bengale et les alchimistes hindous médiévaux puis s’est poursuivi dans le nath de Matsyendranath au X.

I. Tantrisme

À partir du X elle atteint son apogée avec le tantrisme(8) où en vertu de l’axe théorique postulant l’interpénétrabilité et l’interchangeabilité des réalités, les pratiquants cherchent à opérer en eux la hiérogamie entre le sperme polymorphe d’amour absolu de Shiva (rasa {mercure}) et les menstrues purificatoires d’ardeur érotique de Parvati (gandhaka {soufre}).

Cette opération est menée afin d’obtenir le corps doré (svarna) et adamantin (vajra) par l’éveil de la कुण्डलिनी (kundalini) {spiralée} qui inverse le flux naturel des énergies vitales et qui, en les sublimant, permet de créer l’अमृत (amrita) {non mort}. Le principe fondamental présidant à cet éveil est d’unir le flux pranique solaire et lunaire, associé aux nadi pingala et ida, dans le nadi central, sushumna.

Le Haṭha yoga pradīpikā indique à ce propos : Toute l’ambroisie qui s’écoule de la Lune à la divine beauté est, sans en rien excepter, dévorée par le Soleil et c’est pour cela que le corps est sujet à la décrépitude. Dans cette situation, il y a un expédient divin pour frustrer la bouche du soleil. Des dizaines de millions d’explications théoriques ne peuvent l’enseigner, il doit être appris des directives d’un maître. Pour la personne dont le nombril est en haut et le palais en bas, le soleil se trouve situé au-dessus et la lune au-dessous. Cette position, appelée viparîta karanî mudrâ (posture inversée), est comprise grâce aux directions d’un guru.

II. Vajrayana

► Dans le vajrayana où l’alchimie est plus orientée vers une voie interne psycho-spirituelle, la divinité Bhairava et sa parèdre Bhairavi sont les divinités dévolues. Les གྲུབ་ཐོབ་ཆེན་པོ (mahasiddha) {Grands adeptes} sont ceux qui ont parfaitement accomplit la voie. Les यन्त्र (yantra) {instrument, appareil de support} les मंत्र (mantra) {instrument, appareil de pensée} et les मुद्रा (mudra) {sceau} respectivement employés comme catalyseurs, sublimateurs et canaliseurs de l’énergie vitale sont des aides précieuses à cette réalisation. Du reste, on trouve déjà des mentions alchimiques dans l’Avataṃsaka sūtra, avec la drogue hataka, et dans le Mahāprajñāpāramitā sūtra qui pour sa part, indique que les drogues et incantations changent le bronze en or.

Chine

En orient, on attribue l’origine de la discipline à la Chine, quelques siècles avant Jésus-Christ. Historiquement on peut remonter jusqu’au -II avec Li Shaojun mais selon Ge Hong, le premier corps de trois textes date du II avec Zuo Ci.

I. Neidan

► À l’instar de l’Égypte, c’est dans le cadre de la métallurgie et en s’amalgamant avec les conceptions mystiques locales des chamanes taoïstes(9) qu’elle a donné lieu, surtout à partir du 參同契 (Cantongqi) {Correspondance des trois} de Wei Boyang, à des conjectures portant sur une alchimie séparant bien plus résolument psycho-physiologie 內丹 (neidan) et matérialité 外丹 (waidan) que ne l’a fait l’occident. Cette alchimie, comme en occident, à régulièrement entretenu des rapports étroits avec l’exercice de la médecine.

Les deux pratiques principales consistaient alors d’une part à conjoindre le mercure extrait du cinabre avec du plomb. L’autre à ajouter du soufre à ce mercure pour obtenir un cinabre purifié. On répétait cette opération neuf fois jusqu’à obtenir un élixir de yang pur.

↪ Il y a également diverses pratiques connexes visant à maintenir l’énergie vitale et à l’affiner : a) régime alimentaire, exclusion de la sudation et prise de simples qui constituent le waidan ; b) exercices physiques, respiratoires (respiration embryonnaire) et visualisations qui constituent le neidan, ex. du point de vu de l’ascèse, on pratique quotidiennement un ensemble de pratiques harmonieuses : la 站桩 (zhàn zhuāng) {posture du pilier}, l’小周天 (xiǎo zhōu tiān) {orbite microcosmique} et le 坐忘 (zuòwàng) {s’asseoir et oublier} avec le 守一 (shŏuyī) {garder l’un} ; c) et enfin le fangzhong shu(10) qui constitue le couronnement. Cette pratique ne saurait être abordée sans maîtriser les points précédents et elle repose sur la pratique du coïtus reservatus(11). Selon les écoles, l’accent était mis d’avantage sur le waidan ou le neidan.

D’une manière plus générale et en utilisant une terminologie neidan (volontiers inspirée du Yi Jing) : c’est par la manipulation et la combinaison ordonnée des trois trésors(12), disposés dans le chaudron kouen {perfection passive de la terre} qu’est le corps et soumis au régime du feu, que l’on parvient(13), au 真人 (zhenren) {homme véritable, transcendant}. Ce zhenren possède une (xing) {forme corporelle} immortelle constitué de jade : soit dans la pratique supérieure que le corps physique est totalement converti, soit dans l’inférieure, qu’à la mort, il émerge du cadavre.

► À partir du X, apparaît également une voie spécifique pour les femmes, envisagées comme le miroir de l’homme (𝕍 inversion spirituelle). Elle comprend dans sa phase préliminaire la décapitation du dragon rouge, c’est à dire l’arrêt des menstrues, contrepartie de la sublimation du sperme chez l’homme (huangjing bunao {retourner l’essence pour renforcer le cerveau}). Elle se concentre en outre sur la zone de la poitrine où l’énergie qui y est contenue doit descendre dans les zones inférieures afin de créer un auto-engendrement(14).

II. Interpénétrations et influences

Nombre d’éléments sont communs à l’alchimie occidentale : les postulats théoriques sont les mêmes ainsi que la succession dans les couleurs, l’utilisation d’un langage symbolique est de rigueur(15).

↪ Bien que la littérature soit fort vaste, peu de textes sont parvenus à atteindre le grand public occidental : le Secret de la fleur d’or de Lu Tsou, connu en occident grâce à Jung et le Baopuzi {Maître qui embrasse la simplicité} de Ge Hong qui fait figure de grand classique ne serait-ce que pour son exhaustivité. L’École du joyau magique {Lingbao pai} et son Livre des cinq talismans est un autre texte connu en occident. L’ouvrage mêle le courant alchimique formé par Ge Hong et la magie talismanique des Han orientaux. Il devint le socle du taoïsme religieux.

► Cette alchimie a su en outre s’enrichir au contact d’autres civilisations et son aspect pratique lui donne l’apanage du polymorphisme ; la Route de la soie ayant contribué à créer une relative uniformité des pratiques(16) — en atteste certains textes que l’on retrouve en Grèce, Inde et Chine et ce, à des époques différentes.

Principe

I. Genèse de la pierre

► Le credo fondamental de l’alchimie est que, pour parvenir aux objectifs qu’elle se propose, l’opérateur doit être capable de reproduire à une échelle microcosmique les opérations présidant à la création de l’univers. Il s’agit, comme l’indique Bacon, d’une génération des choses à partir des éléments où, entremetteur et maïeuticien, l’alchimiste réunit les parties nécessaires à l’opération puis crée et maintient les conditions favorables au travail de la nature. Nature qui est elle-même et dans ses parties (minérale comprise), considérée comme vivante et éternelle reproductrice du schéma divin.

► Ainsi à partir d’une materia prima {matière première} sur laquelle on applique un secretum ignis {feu secret} (d’une ou plusieurs intensités), on provoque la liquéfaction de cette dernière en la résolvant à un état embryonnaire. Cette première opération met ainsi à jour (ou crée) une substance cachée dans cette dernière, un humide radical, source de vie de la Nature.

↳ On provoque alors toujours à l’aide du feu(17) et comme le formule Nicolas de Cues, une coincidentia oppositorum {coïncidence des opposés}, un amalgame forgé aboutissant à une pierre brute que l’on doit continuer à perfectionner pour obtenir la lapis philosophorum {pierre philosophale}. Comme l’a fait noter Olympiodore, on reconnaîtra là, à bien des égards, nombre de concepts pré-socratiques, ioniens surtout.

II. Utilisation de la pierre

► Cette pierre obtenue, on peut provoquer un processus fermentatif déclenché par la projection d’un fragment de la dite pierre sous forme poudreuse. Ce processus est nommé grand œuvre et consiste en la transmutation des métaux en argent (argyropée ou petit œuvre) ou en or (chrysopée ou grand œuvre) ainsi que dans le perfectionnement des minéraux.

► Mais aussi, depuis le moyen-âge central, l’alchimie vise à l’obtention de la panacée, guérison universelle de toute affliction, et à un prolongement de la vie jusqu’à l’immortalité si on l’applique sous forme liquide ; ce qui ne manquera pas de nous rappeler la fontaine de jouvence.

Le Rosaire indique ainsi : Celui qui a ce don de Dieu possède la domination du monde, car il est parvenu au comble des richesses et a rompu le lien de la nature, non pourtant qu’il possède le pouvoir de convertir tous les corps imparfaits en soleil et en lune très purs, mais plutôt qu’il conserve tout homme et tout être vivant en bonne santé.

III. Difficultés

► La difficulté néanmoins réside dans le fait que, sinon par allusions, symboles et autres moyens cryptographiques ou hermétiques, la désignation exacte du vaisseau, de la matière première (dite pierre des philosophes), autant que la nature du feu (et son régime) devant présider à sa transmutation ne sont pas révélés de manière explicite, pas plus que le protocole exact à suivre pour opérer.

À l’instar de la poésie ou de la philosophie antique ainsi que de la théologie médiévale, l’alchimie utilise en effet les involucra dont l’objet est de révéler, tout en cachant par la fable, les opérations divines. Cette confusion est de plus amplifiée par la nature des textes anciens, qui sont plus difficiles d’accès pour le lecteur débutant.

Si on en croit les alchimistes, la matière première serait pourtant à portée du plus pauvre des hommes car fort commune et le feu ne serait pas élémentaire mais un feu subtil, un aimant et une rosée philosophique de mai, universellement présent, lumière du verbe enclose dans la matière, et qu’il suffit de savoir contrôler. Ce principe igné à moitié matériel et à moitié spirituel est d’une importance capitale tant pour l’alchimie que pour l’imaginaire cosmologique occidental.

L’Habitant du Nord, auteur de la Clavicule de la science hermétique précise même que : Sa recherche est bien plus difficile que celle de la matière même, puisqu’on ne peut jamais le trouver dans les livres. C’est pourquoi la connaissance de ce feu doit être préférée de beaucoup à celle de la matière ; car la connaissance de la matière seule contribue peu à celle du feu, au lieu que celui-ci étant une fois connu, la connaissance de l’autre peut à peine rester cachée., il précise juste avant : Ceci ne se fait (la correction et l’épuration de la matière) par aucun feu élémentaire ni artificiel, dans aucun vase ni fourneau, mais par son propre feu que le Créateur a donné dès le commencement, immédiatement à la Nature & que nous héritons. Le laboureur la connaît malgré la grossièreté de son génie, & l’alchimiste le plus expert l’ignore entièrement. Nous sentons à tout moment sa vertu, mais nous ignorons le lieu de sa demeure après qu’il s’est retiré. Il est invisible mais non pas insensible, doux, vaporeux, continu, égal, & repose à l’entour de la matière nue. Par cela même il est entretenu, nourri & se dissout, il meurt, se corrompt, germe, verdit, fleurit, & est vivifié, corrigé, parfait, augmenté & se multiplie.

↪ N’importe quel pratiquant ayant les vertus nécessaires serait donc à même de réaliser l’œuvre, perfectionnant la matière par le feu, pourvu qu’il en perce les arcanes !

Dénominations

I. Courants

► Concernant le protocole, notons tout d’abord que conceptuellement et historiquement on peut séparer grossièrement la discipline en trois points de vue, catégories dont les proportions varient selon les auteurs :

● Les tenants d’une alchimie externe et matérielle, l’archimie (de Rhazès à Jollivet-Castelot),

● Ceux d’une alchimie interne et spirituelle (de Zosime à Jung),

● Et ceux qui participent des deux, l’ars magna {grand art} (de Geber à Fulcanelli) dans une perspective pansophiste engendrant une coproduction mutuelle par les forces occultes de l’analogie.

II. Disciplines

► Les diverses spécifications inhérentes aux intérêts(18), points de vues (mécaniste ou vitaliste ntm.) et théories afférentes(19) de chacun ainsi qu’aux approfondissements des recherches ont amené divers personnalités à créer progressivement des sous-disciplines.

À cet égard Paracelse est décisif quant à leur délimitation. Tout d’abord, par le biais de sa iatrochimie, il délimitera la spagyrie de l’alchimie, ouvrant ainsi la voie à la chimie pharmaceutique. Ensuite, par l’entremise de ses conceptions occultes et théosophiques, il permettra l’expansion d’une catégorie d’auteurs axés sur une alchimie d’ordre purement mystique comme Gérard Dorn qui, s’inspirant en outre de Trithème, fera un parallèle entre les étapes alchimiques et celles de l’âme vers Dieu. Comme nous l’avons déjà noté, Lavoisier aura quant à lui séparé définitivement l’alchimie de la chimie.

La iatrochimie, combine l’art spagyrique d’extraire les quintessences — c’est-à-dire les essences et les sels — avec l’astrologie afin d’amplifier leur efficacité. Le pratiquant prenant alors en compte le moment de la récolte, de l’extraction et de l’administration de la substance, ainsi que la nature astrale du remède et du patient(20).

III. Méthodes

► En outre, depuis la haute renaissance, on distingue formellement au moins deux voies pour opérer :

● L’une est destinée aux humbles se pratique aux ballons et par distillations, elle est humide, longue et sure, ascétique et dit-on semée d’embûches où la mort purificatoire précède la brûlante illumination. C’est la plus communément décrite dans les ouvrages.

● L’autre se veut royale et se pratique aux fours et aux creusets, par calcinations. Elle est sèche, courte mais violente : l’illumination ici provoque la mort et dissout d’un même coup les scories. Sa description est parfois entremêlée avec la voix humide dans les ouvrages, comme dans L’Entrée de Philalèthe.

Certains n’ont pas hésité à faire une analogie entre ces deux manières d’opérer et la dichotomie tantrique entre la dakshinachara {voie de la main droite} orthodoxe et la vamachara {voie de la main gauche} hétérodoxe. La ressemblance se situe en effet tant au niveau du champ lexical et iconographique(21) qu’au niveau des disputes parfois quasi péremptoires qui opposent les deux camps.

D’autres analogies peuvent être entrevues entre ces dialectiques et les séparations conceptuelles qui existent entre :

Subitisme et gradualisme dans le chan,

● Entre apophatisme et cataphatisme en théologie,

● Ou entre l’approche dépourvue d’intermédiaires en mystique ou avec intermédiaires en ésotérisme.

● Mais aussi entre le Cancer et le Capricorne en astrologie,

● Les pôles électro-magnétiques en magie,

● Et tout simplement le régime alchimique imposé par la nature d’une part, la volonté humaine de l’autre,

● Et pour finir, les notions d’incarnation et de mort.

Bien que la répartition des éléments justifiant ces oppositions ne soient évidemment pas les mêmes, cela met en valeur le rapport de polarisation indiquant que dans chaque cas, l’une et l’autre méthode sont chacune le début et la fin de l’autre. Ainsi bien que ces délimitations existent, elles ont pour fonction non de séparer l’erreur de la vérité, mais agissent plutôt comme des spécialisations, des points de vue permettant d’étayer et de préciser des notions mais ne sauraient dans la pratique être séparés à moins de vouloir les appliquer au domaine profane.

Un passage in Structures anthropologiques de Durand apporte un éclairage psychologique à cette distinction : […] l’imagination de la descente nécessite plus de précautions que celle de l’ascension. […] Car la descente risque à tout instant de se transformer en chute. […] Si l’ascension est appel à l’extériorité, à un au-delà du charnel, l’axe de la descente est un axe intime, fragile et douillet. […] Mais ce qui distingue affectivement la descente de la fulgurance de la chute, comme d’ailleurs de l’envol, c’est sa lenteur. La durée est réintégrée, apprivoisée par le symbolisme de la descente grâce à une sorte d’assimilation du devenir par le dedans. […] tout descente est lente, elle "prend son temps" jusqu’à confiner quelquefois à la laborieuse pénétration. À cette lenteur viscérale se joint bien entendu une qualité thermique. Mais il s’agit ici d’une chaleur douce, d’une chaleur lente avons-nous envie de dire, éloignée de tout éclat trop ardent. Et si l’élément pâteux est bien celui de la lenteur, si la descente n’admet que la pâte, l’eau épaisse et dormante, elle ne retient de l’élément igné que sa substance intime : la chaleur.

Interprétations

I. Une discipline sans consensus

► Néanmoins l’alchimie étant aussi un art, on peut remarquer qu’en allant plus loin que ces courants principaux et qu’au-delà des principes et symboles communs, la discipline est plus protéiforme encore. La plupart des auteurs en ont, depuis l’origine, une conception plus ou moins personnelle, inscrite ou non dans un courant et souvent inspirée par les auteurs directement antérieurs. Nonobstant, la nature même de l’alchimie fait que les alchimistes ne se réunissent pas en société initiatique : il s’agit d’une discipline s’exerçant en solitaire. Parfois un maître s’entoure d’un ou quelques élèves à qui il transmet par ses symboles, ses connaissances et le secret du feu. Et bien que certaines sociétés secrètes comme le rosicrucisme ou la franc-maçonnerie aient récupéré nombre de ses symboles, il n’existe pas de consensus absolu et il demeure des disparités au niveau terminologique.

↪ Cette multitude de conceptions (encouragée par le courant mytho-hermétique du XVI) quant on ne s’en félicite pas comme un gage de richesse et de créativité, amène - encore une fois à partir de la renaissance, période où par ailleurs, on commençait à douter de la faisabilité de l’or matériel - à faire la distinction entre le vrai et le faux alchimiste. Les uns, ayant pris à la lettre la feinte de la recherche scientifique sont désignés comme souffleurs et les autres comme les véritables philosophes par le feu mais comme le cadre de la discipline n’est pas clairement délimité, cette opposition ne l’est guère non plus.

● Sans qu’une distinction claire soit opérée chez tous les auteurs, certains considèrent que la véritable alchimie est spirituelle, un savoir de nature ésotérique, une forme de gnose, obtenu par révélation, offert par Dieu. Ainsi l’art consiste plus à retrouver qu’a découvrir, les souffleurs sont alors ceux qui n’en voient que les aspects matériels et pratiquent empiriquement.

Dom Belin dans son Apologie fait remarquer : pourquoi ce grand secret est communiqué à si peu de monde et que de cent mille qui le cherchent, pas un ne le trouve, de mille qui en acquièrent la connaissance, à peine deux ou trois réussissent dans la pratique. C’est qu’étant comme un Arbre de Vie en terre et, partant, un des avantages, de l’innocence du premier homme, le péché nous en prive ainsi que des autres bonheurs que Dieu avait attachés à cet état de gloire et de beauté. Il n’y a que les âmes choisies et regardées de Dieu d’un œil plus amoureux qui reçoivent cette grâce, qui pénètrent dans ce secret et qui l’achèvent heureusement. Les autres qui n’ont pas l’âme tout à fait épurée ni marquée au coin de la vertu, qui ont l’ambition au cœur, la vanité dans l’esprit, qui ne considèrent ce trésor que comme un moyen d’entretenir leur luxe et leur débauche, de prendre leurs plaisirs déréglés, d’assouvir leurs passions et ne connaissent pas qu’il faut rapporter et rendre à Dieu ce qui vient de lui, sont empêchés et détournés par quelque chose de semblable au Séraphin qui, avec un glaive de feu, est interposé à la garde de l’entrée du Paradis terrestre. En effet, je suis entièrement persuadé que Dieu ne permettra jamais qu’un méchant homme, et mal intentionné, possède ce secret; voire même quand il le posséderait, l’ayant appris ou par un ami ou par des lectures opiniâtres des Philosophes, je crois ferme­ment que jamais il ne le mettra en exécution ou, si Dieu bénit son travail, il n’en aura jamais l’usage.

● D’autres arguent qu’il s’agit d’une critique vis à vis de l’orientation philosophique plus que d’une subtilité de vision, c’est à dire que le terme souffleur se relierait à ceux que l’attrait pour l’or et l’immortalité intéresse plus que la connaissance en soi.

● Certains affirment encore qu’il s’agit plus d’une différence de méthode que d’une affaire de subtilité ou de moralité : elle serait ainsi liée à la mentalité hermétique, qui derrière les symboles cache des procédés, des ingrédients et des réalités cachées. Comme dit le Cosmopolite (Sendivogius) dans sa Nouvelle lumière chymique : Pour moi, je m’assure que si Hermès, Geber et Lulle, tous subtils et tous profonds Philosophes qu’ils pouvaient être, revenaient maintenant au monde, ils ne seraient pas tenus par ceux d’aujourd’hui à grand-peine pour des Philosophes, mais plutôt pour des disciples, tant notre présomption est grande. Sans doute qu’aussi ces bons et doctes personnages ignoraient tant d’inutiles distillations qui sont usitées aujourd’hui, tant de circulations, tant de calcinations et tant de vaines opérations que nos modernes ont inventées, lesquels n’ayant pas bien entendu le sens des écrits de ces Anciens, resteront encore longtemps à rechercher une chose seulement : c’est de savoir la Pierre des Philosophes, ou la teinture physique que les Anciens ont su faire.

Ces critiques bien que n’étant pas nécessairement incompatibles entre elles sont néanmoins les plus répandues. Colonna (Le Crom) se plaindra de ces souffleurs dans l’introduction de son Vade-mecum : Mais ce qui contribue le plus à décrier cet art, ce sont quantités d’imposteurs, qui sur de faux principes, abusent tous les jours impunément de ceux qui sont assez crédules pour donner dans leurs filets : de sorte que la belle Chymie autrefois si vraie, si florissante, n’est plus qu’aujourd’hui dans l’esprit même des plus censés, qu’une fable et une belle chimère. En tout état de cause, le souffleur est celui qui s’évertue à éventer les braises pour allumer le feu dont il a besoin pour opérer. C’est aussi le fou qui théorise plus qu’il ne pratique ou qui pratique plus qu’il ne théorise : un érudit ou un expérimentateur de l’alchimie plus qu’alchimiste, à la terminologie et au symbolisme vain et qui n’est pas sur la longueur d’onde de la nature. Cette dernière est le moteur et cœur de toute métamorphose ainsi que l’illustre la maxime fondamentale l’alchimie : La nature est charmée par la nature(22).

II. Des limites pourtant définies

► Ainsi que l’explique Pernety dans son introduction aux Fables égyptiennes et grecques dévoilées, quand le vrai alchimiste emploi les agents de la nature et imite ses opérations afin de libérer et amplifier la nature propre des corps, le faux tyrannise et détruit les composés de la nature pour les étudier. On prédit à ce funeste pratiquant qu’à terme, c’est la ruine tant sur le plan tant financier que psychologique qui l’atteindra et conséquemment l’avenir d’un escamoteur au cœur sec et vil.

↪ Cette attitude est ce qui oppose fondamentalement l’approche moderne de la science de celle des alchimistes : la première décompose, analyse, catégorise, tente de s’approprier les composants de la nature pour les soumettre à ses lois. La seconde, s’essaie à établir une relation et une coopération entre l’Homme et la nature, avec pour intention de la perfectionner. Comme le dit Paracelse dans son Discours de l’alchimie : […] L’Alchimiste est comme le Boulanger qui cuit le pain ; ou comme le Vigneron qui exprime et pressure le raisin pour préparer le vin ; ou ainsi que le Tisserand qui fait le ling et les draps : Et ainsi, quand la Nature à produit quelque chose pour l’utilité de l’homme, c’est l’Alchimiste qui la prépare, et la rend prêtre à s’en servir.

Ainsi, dans le pire des cas on considère les souffleurs comme des sorciers passant aux fourneaux mille substances et au mieux, on les accuse d’être le vain chercheur dont les découvertes menèrent à la chimie moderne. Ces chimistes et sorciers l’alchimie les accuse avec les compilateurs aveugles de ses textes, d’être parmi les causes de sa déchéance et d’avoir engendré à leurs dépends des adages comme : Alchimia est ars, cujus initium laborare, medium mentire, finis mendicare {L’alchimie est l’art que l’on commence par le travail, que l’on poursuit par le mensonge et que l’on termine par la mendicité}.

Déroulement

I. Rapport avec l’hermétisme

► On rapproche en outre, l’alchimie et l’hermétisme, premièrement parce que les disciplines sont historiquement liées dans le creuset d’Alexandrie, secondement parce que conceptuellement, elles partagent malgré leurs évolutions en parallèle, des points communs, notamment au travers du langage symbolique et allégorique et qu’elles s’éclairent l’une l’autre.

Les hermétistes comme les alchimistes se réclament du monisme (εν το παν {L’un en tout}) de la Table d’émeraude considérée comme fondamentale : Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut : & ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas (trad. Hortulain) mais aussi d’un principe qui veut que Le père de tout le telesme de tout le monde est ici et que Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre.. Ainsi, l’opération alchimique prend toute sa valeur lorsque elle est opérée dans la matière, ce point constitue un principe fondamental dans l’opération alchimique, principes que l’on trouve développé dans la somme que sont les Hermetica.

Ce point différencie fondamentalement ces deux disciplines de l’approche mystique qui, bien qu’elle puisse se servir de la matière dans un cadre cathartique ou puisse, quant elle est au service de l’occultisme, s’unir à des objets concrets ou psychiques, a avant tout pour objet de transcender la matière, de s’accomplir "au-delà".

II. Opérations fondamentales

L’ordre et la nature des opérations suivent un schéma invariable que l’on résume en trois points :

● Une première phase de résolution en une substance fondamentale où les scories mauvaises sont séparées du sujet,

● Une seconde de purification et de solidification nouvelle,

● Et une troisième phase où une nouvelle combinaison à lieu en plus de l’exalter au maximum de ses possibilités.

► Ces phases sont symboliquement représentées par des couleurs censées apparaître lors des phases de l’œuvre : nigredo {noir}, albedo {blanc} et rubedo {rouge}. Elles sont représentées symboliquement par le corbeau, la colombe et le dragon : un triptyque souffrance-mort-résurrection cher aux cultes à mystères.

Zosime au lieu du rubedo, parle de deux phases : xanthosis {jaune} et iosis {violet}. Certains auteurs isolent également le bleu qui vient avant le noir, le multicolore ou queue de paon avant le blanc ainsi que le vert venant quant à lui après le blanc.

► On résume également toute l’œuvre alchimique en deux opérations, par le vocable solve et coagula {dissous et coagule}, ce que l’on pourrait paraphraser par "sépare et réunit", "détruit et recréer" ou encore "purifie et intègre".

► Hormis ces axes fondamentaux, lorsque les auteurs se veulent plus précis, le nombre et l’ordre des opérations varient selon le point de vue de celui qui tient la plume. Ainsi Pernety (Dictionnaire mytho-hermétique) considère les opérations comme suit : calcination, putréfaction, solution, distillation, sublimation, conjonction, coagulation (ou fixation). Une combinaison revient souvent : calcination, solution, putréfaction, réduction, sublimation, coagulation (ou fixation), fermentation, cération, multiplication, projection.

Cela étant le nombre oscille de deux à une vingtaine et les combinaisons - dont le contenu symbolique varie également - sont toutes aussi nombreuses avec, cela dit, quelques invariants. Bien que les auteurs fassent remarquer que les phases sont de plus en plus simples à opérer, ils affirment aussi que le nombre de ceux qui les accomplissent toutes est faible (la plupart s’arrêtant à l’argyropée). Aussi, bien que le corpus alchimique soit considérable(23), il est en effet plus fréquent de lire des exposés sur le début de l’œuvre que sur sa fin.

Pratique

I. Principe de départ

► Ainsi que nous l’avons dit, le principe du protocole consiste en une reproduction (μίμησις (mimésis) {imiter, représenter en images}) dans le microcosme - de manière artificielle et accélérée - de l’opération que subit naturellement l’ὕλη (hylé) (matière) et surtout l’είδος (eidos) {principe formatif, (âme)}, contrepartie subtile qui y est liée.

En la séparant (solve) de son support, puis, en la réunissant (coagula) de nouveau à ce même point d’ancrage cela a pour effet de purifier naturellement et fondamentalement la matière. En effet, elle possède entièrement la richesse des forces (δύναμις (dynamis) {puissance potentielle}) du κόσμος (kósmos) {ordre de l’univers} et puisqu’elle n’est plus limité par le sceau fixateur de l’exhalaison de l’âme (𝕍 ce mot) qui a disparu lors de leur séparation, elle peut se mouvoir (ἐνέργεια (energeia) {puissance en acte}) librement et naïvement, dès que l’aither vient l’éveiller de son baiser humide.

II. Nigredo

► Afin de séparer l’âme de son support matériel, ce qu’on nomme œuvre au noir, il s’agit de se voir remettre par Dieu la force principielle, cet œuf matriciel issu du chaos abyssal, quintessence aithérique pétri de potentialisations vitriol qui a une action dissolvante lorsque elle est projeté dans la matière. L’indifférencié, a de fait, une action corrosive sur un corps composé de substances, rongeant tout ce qui est superflu et pourrissant pour ne laisser - ou générer - que son semblable : la pierre d’angle incorruptible.

Cette opération est nécessaire puisque sous l’effet du temps, la relation entre l’âme et la matière devient de plus en plus aberrante, générant de la corruption. En les séparant, on leur permet de se régénérer dans leurs principes. Le vaisseau où toute l’opération procède doit néanmoins être luté par l’opérateur afin que l’âme microcosmique ne s’enfuit pas vers le ciel où elle est naturellement attirée : ce serait sinon la mort de la matière qui n’ayant plus d’exhalaison animique pour la soutenir tomberait en poussière.

III. Albedo

► Dès lors, la matière s’organise pour ainsi dire mécaniquement et amoureusement autour de l’âme. Mais les deux essences célestes et terrestres ne pouvant se fondre l’une dans l’autre, elles cohabitent dans une attirance mutuelle irrésoluble et cette tension, l’œuvre au blanc, génère alors un précipité : le sel, pierre brute d’idéalité ἀρχέτυπον (arkhétypon) {archétype}, graine d’équilibre dynamique, pur enfant nouveau.

IV. Rubedo

► On devra ensuite subtiliser cet enfant, le nourrir des deux âmes parentes par l’entremise du feu (qu’il faut savoir harmoniser avec sagacité) et le faire ainsi devenir un être (οὐσία (ousia) {substance constitutive}) fondamentalement nouveau : ressuscitée par cette παλιγγενεσία (palingenesía) {renaissance} que l’on doit ensuite exacerber à son potentiel maximum, jusqu’à son ἀποκατάστασις (apocatastasis) {restauration} en la fixant par un feu violent et des épurations répétées. Ces circulations constituent l’œuvre au rouge qui sont comme autant de réincarnations de la pierre, qui se renforce d’autant plus à chaque répétition analogique de l’opération finale.

V. Projectio

► Enfin, lorsque l’âme déborde de la matière par l’excès d’une dignification lumineuse résultant de ce que l’on a opéré sur elle, on a obtenu par augmentations successives cette ἐντελέχεια (entelekheia) {état complet} des métaux, quintessence salée qu’est la pierre philosophale. On en tire alors un fragment chargé d’une double nature, broyé en poudre et/ou liquéfié que l’on projette sur la terre vile afin, par un transfert d’esprit catalyseur, de teindre les métaux d’un rouge feu qui signera l’accomplissement du grand-œuvre rédempteur.

↪ Cette dernière opération, la transmutation proprement dite, consiste la plupart du temps à enrober la poudre de projection dans de la cire que l’on jette dans le creuset où on aura préalablement disposé la matière sur laquelle on veut opérer et que l’on aura soumis à feu vulgaire.

VI. Synthèse

► En un mot : on matérialise le subtil en faisant couler l’eau céleste et on dématérialise l’épais en faisant s’élever le feu terrestre en une seule étape afin de remplacer l’exhalaison corrompue par une qui soit pure et incorruptible pour ensuite en projeter les effets sur des éléments extérieurs qui en sont dépourvus, εὐχαριστία (eukharistos) {reconnaissance, gratitude, donner la grâce} multipliant ainsi la pierre.

Espagnet résume dans son Œuvre Secret de la Philosophie d’Hermès :

➧ 58 : Prenez la Vierge ailée après qu’elle aura été très bien lavée, purifiée et engrossée de la semence spirituelle d’un premier mâle, restant néanmoins encore vierge et impolluée, bien qu’elle soit enceinte. Tu la découvriras à ses joues teintes d’une couleur vermeille ; allie-la, et accouple-la à un second mâle (sans que pour autant elle doive être soupçonnée d’adultère) de la semence corporelle duquel elle concevra à nouveau. Ensuite elle enfantera une lignée vénérable, qui sera de l’un et de l’autre sexe, et où prendra son origine une race immortelle de Rois très puissants.

➧ 59 : Ayant parfaitement purgé l’Aigle et le Lion, renferme-les dans leur enclos transparent, et accouple-les, ayant étroitement fermé le vestibule, et en prenant soigneusement garde que leur baleine ne s’en exhale ou qu’un air étranger ne s’y insinue. Dans leur saillie, l’aigle déchirera et dévorera le lion et sera saisie ensuite d’un long sommeil, puis devenue hydropique par l’enflure de son estomac, elle se changera grâce à une merveilleuse métamorphose en un corbeau très noir, qui déployant petit à petit ses ailes, commencera à voler et dans son vol fera tomber l’eau des nuages, jusqu’à ce que, mouillé plusieurs fois, il quitte de lui-même ses plumes, et retombant en bas se change en un cygne très blanc. […]

Généralités

I. Iconographie

► La symbolique alchimique est riche, si riche qu’elle pourrait se contenter d’elle-même(24). Elle permet d’évoquer des réalités complexes ou paradoxales. Ses premiers représentants viennent d’Alexandrie où dès Cléopâtre et Zosime, se rencontrent l’ouroboros et les deux tablettes 🗎⮵.

► À partir du moyen-âge, leur nombre s’accroît considérablement avec l’adjonction d’un riche bestiaire qui fait la part belle à l’analogie et à l’allégorie : aigle, chêne, corbeau, crapaud, dragon, licorne, lion, paon, pélican, phœnix ou sirène sont des exemples répandus.

On trouve encore des figures plus abstraites comme celles de l’androgyne, du caducée, du songe, les symboles planétaires manifestés par les métaux, les principes chimiques du soufre (solaire et igné), du mercure (lunaire et aquatique) puis du sel (terrestre) qu’ajoute Paracelse. Et surtout les quatre éléments représentant quatre états de la matière auxquels, selon qu’on se réclame d’Empédocle ou Aristote, on ajoute soit deux forces les séparant et les réunissant soit la quintessence qui les synthétise.

II. Cryptographie

► À cela s’ajoute également une cryptographie de plus en plus élaborée et complexe. Il y a outre l’utilisation d’idéogrammes, de logogrammes, et de pictogrammes qui émaillent les textes. On trouve encore un symbolisme sonore avec l’utilisation de la langue des oiseaux, argot qualifié de cabbale phonétique et basée sur les assonances et allitérations, jeux de mots, polysémies et homophonies, l’usage des néologismes ou la maîtrise de l’étymologique. Au contact des différents systèmes, on multiplie les symboles, les noms pour désigner une même chose. Leurs sens ainsi que leur portée pédagogique s’enrichissent ainsi mutuellement au travers de différents champs d’expression se situant à la croisée de plusieurs mouvements et disciplines.

III. Manifestations

↪ Cette symbolique alchimique à deux facettes utilise sa propre logique poétique afin d’interpréter hermétiquement les contes, légendes et mythes, de l’Épopée de Gilgamesh jusqu’à l’Histoires ou contes du temps passé de Perrault en passant par ex. typique que constitue en cette matière l’Atalante Fugitive de Maïer. Cette logique concerne aussi le folklore, les jeux de sociétés, des comptines ou même de l’héraldique et enfin les édifices et écrits religieux qu’elle se réapproprie également en prenant place dans leur ésotérisme, commentant alors les transformations de l’âme individuelle et universelle.

Toutes ces influences qui prenaient des formes variées dans la littérature alchimique (poèmes, dialogues, énigmes), finissent par se cristalliser dans des productions littéraires (Parzival, Roman de la Rose, Noces chymiques, Notre-dame de Paris…) et dans des légendes populaires.

Légendes

► En effet, si le symbolisme est touffu, les rumeurs et légendes liées à l’alchimie le sont aussi. Déformations folkloriques de théories alchimiques et fixation légendaire d’actes et de personnages, elles sont telles le terreau chaotique de la discipline.

↳ On peut évoquer la pierre philosophale de Flamel et du Cosmopolite (Seton), ainsi que les homoncules que Paracelse tire de l’aither. Célèbre est la fortune de Jacques Cœur, les libéralités de Lascaris et les malheureuses aventures des souffleurs (et parfois des adeptes) ainsi que les allégations hautes en couleur de Saint-Germain et Cagliostro.

↪ On peut ajouter à ces légendes, les témoignages de nombreuses personnalités que l’on trouvé éparpillé dans divers ouvrages, parfois à simple titre d’anecdote(25). Les plus connues sont les attestations de transmutation de Helvétius rapportées par Spinoza ou Barchusen, les anecdotes de Cosme de Médicis, Cardan ou Canseliet, les descriptions de Crosset de la Haumerie (Les Secrets les plus cachés) ou Van Helmont.

Ce dernier rapporte dans son Arbor Vitae et son Vita Aeterna de longs témoignages, par exemple dans le second ouvrage : […] J’ai vraiment vu et manié la pierre (philosophale). Elle avait la couleur du safran en poudre ; elle était lourde et brillante comme le verre en morceaux […].

D’autres témoignages visuels, outre sa couleur rougeâtre et son aspect de corps cristallin, affirment une couleur allant du jaunâtre au coquelicot ou bien une apparence feuillée et multicolore. On a même pu rapporter un goût très acide. Célèbre encore, est la description de Cyliani : Je ne décrirai point ici des opérations très curieuses que j’ai faites, à mon grand étonnement, dans les règnes végétal et animal, ainsi que le moyen de faire le verre malléable, des perles et des pierres précieuses plus belles que celles de la nature en suivant le procédé indiqué par Zachaire et se servant du vinaigre et de la matière fixée au blanc, et de grains de perles ou de rubis pilé très fins, les moulant puis les fixant par le feu de la matière, ne voulant pas être parjure et paraître ici passer les bornes de l’esprit humain. Ayant fini mon œuvre, je pris 100 grammes de mercure distillé et les mis dans un creuset. Aussitôt qu’ils commencèrent à fumer, je jetai dessus 1 gramme de mon soufre transmutatoire, il devint en huile au-dessus du mercure et je vis ce dernier qui se figeait successivement de plus en plus. Alors j’augmentai mon feu et le fis sur la fin plus fort en le continuant, jusqu’à ce que mon mercure fut parfaitement fixé, ce qui dura environ une heure. L’ayant coulé dans une petite lingotière, je l’éprouvai et le trouvai meilleur que celui de la minière. Que ma joie fut vive et grande !.

↳ On note aussi un nombre important de témoignages de personnes ayant bénéficié de guérisons spectaculaires, ayant rajeuni voir ressuscité ou ayant vécu un nombre extravagant d’années comme le rapporte déjà Pline. Artéphius par exemple s’accorde 1025 ans dans son Art d’allonger la vie {De Vita propaganda} ([…] mais depuis mille ans, ou peut s’en faut, que je suis au Monde, par la grâce du seul Dieu tout-puissant, & par l’usage de cette admirable Quintessence, ayant reconnu pendant un si long espace de tems que j’ai vêcu […]).

Ces témoignages mettent en outre en garde sur la puissance de la pierre, qui doit être consommée avec une posologie écartant tout risque d’accident. Il est fréquemment écrit de dissoudre quelques milligrammes dans un demi-litre de vin blanc, comme dans l’Opuscule de la Philosophie de Zachaire où il est indiqué : Pour user de notre grand Roi pour recouvrer la santé, il en faut prendre un grain pesant après sa sortie, & le faire dissoudre dans un Vaisseau d’Argent avec de bon vin blanc; lequel se convertira en Couleur citrine.. Trismosin dans sa Toyson d’or indique de même qu’on ne doit pas en prendre plus d’un grain car plus grande quantité pourroit plus nuire que profiter. Une quantité suffisante est tenue d’évacuer les déchets de la purification organique par des moyens peu invasifs tels la transpiration et l’urée.

► Les supputations historiques ne sont pas en reste : d’aucuns ont évoqué la transmission de savoir alchimiques à l’Ordre du Temple via la Syrie et la Palestine(26). Certaines anecdotes des auteurs eux-mêmes — dont une grande partie entretiennent le mystère par la pseudo-épigraphie — sont parfois surprenantes et leurs théories, certains ouvrages clef, leur comportement et leurs affirmations ont sans aucun doute participé auprès de leur lecteurs à la formation des légendes entourant l’alchimie.

Interprétation spirituelle

I. Méthode

► Lorsque la symbolique ne désigne pas des matières de manière imagée, elle parle d’opérations psycho-spirituelles si du moins on en croit les défenseurs d’une alchimie spirituelle qui voient en elle un ésotérisme opératif, une mystique expérimentale en un mot une théosophie, rapprochant ainsi l’alchimie de la théurgie néo-platonicienne et du tantrisme oriental. L’alchimie en effet, de par ses objectifs d’anoblissement de la matière et de l’Homme, entre en synergie avec les religions. Ceux qui se nomment eux-mêmes chevaliers, adeptes, philosophes hermétiques et disciples d’Hermès, postulent alors que l’Homme est ici l’alpha et l’omega de l’opération alchimique et que pour parvenir à son but, le candidat se doit d’abord faire montre de qualités morales montrant sa pureté d’intention et sa capacité à déployer des efforts vigoureux et durables. Il doit craindre et louer Dieu, faire fi des trésors terrestres ainsi que posséder la patientia.

Il s’agit donc d’opérer par un processus essentiellement anamnésique mais prenant une forme dynamique et qui consiste en la transmutation de l’individualité Humaine, éparse, transitoire et insensée en une stabilité immortelle et purifiée. Pour ce faire, il s’agit d’amener à la conscience et donc à une réalité objective et vécue, l’œuvre ordonnée que Dieu fait de toute éternité dans la nature et dans l’Homme. Il est question ici de réceptionner ce que Dieu attend de l’Homme et de tenter de le reproduire ces instructions tant dans sa psyché que dans son corps. Il faut donc d’une part, procéder à une mystique afin d’entendre ses paroles puis à un ésotérisme afin de traduire en pensées, en émotions puis en actes le verbe ainsi recueilli.

II. But

► Obtenir la pierre philosophale est alors ici synonyme de détenir la gnose et la sainteté, de percer la quintessence des choses et en somme, d’être conforme au grand dessin de Dieu et de devenir un prêtre au sens intérieur et véritable. Il s’agit de devenir un homme de foi, un démiurge entre le roi et le moine, détenteur du contrat entre la terre et le ciel. Les alchimistes, afin d’atteindre l’état édénique, accouchent d’eux-mêmes, se rectifient au travers de l’ascèse, la morale et la piété, transportés par des combinaisons symboliques estimées opérantes. Ils sont ainsi capable de percevoir l’absolu par le mariage des opposés en sortant du cosmos le long de l’axe du monde qui a fleurit depuis l’espace sacré du corps où l’œuf philosophal fut logé.

Ils réalisent ainsi à la fois l’art sacerdotal et l’art royal. Ces pratiquants de la chymie hermétique parviennent à accomplir le magnum opus {Grand œuvre}, unissant l’Homme, Dieu et la Nature. Ils possèdent l’ars magna {Grand art} : ils font triompher l’androgyne éternel sur le crapaud, symbole de la matière vile initiale en inversant la construction naturelle de l’Homme, metanoia où le corps ne contient plus l’âme mais où c’est l’âme au contraire, qui contient le corps et le domine.

Ils font œuvre spirituelle, obtiennent l’or et l’argent, qui sont tels la חכמה (chokmah) {sagesse} et la בינה (binah) {compréhension} kabbalistique(27), c’est-à-dire la sagesse et l’intelligence qui sont la résultante de la transmutation des métaux vils et inférieurs que sont les passions et les péchés. Van Helmont indique dans sa célèbre citation de l’Hortus medicinæ : Une force magique endormie par le péché est latente en l’homme. Elle peut être réveillée par la Grâce de Dieu ou par l’art de la Kabbale. Nous trouverons en nous la pure et sainte connaissance, si nous parvenons à nous isoler de toute influence extérieure et à nous laisser guider par la lumière intérieure. À ce stade de concentration, l’esprit distingue chaque objet sur lequel il dirige son observation, il peut s’y unir et même arriver jusqu’à Dieu. Ils subliment ainsi leurs énergies intérieures et notamment sexuelles pour leur faire atteindre un degré d’existence supérieure. Et si certains alchimistes, avant tout axés sur la spiritualité, pratiquent dans un laboratoire concret, ils estiment l’obtention de la pierre non pour les pouvoirs temporels qu’elle pourrait apporter, mais avant tout comme le signe tangible, la manifestation physique et la pierre d’angle de leur réalisation spirituelle. Elle est alors la résultante de la communication de leur progrès psychique vers la matière extérieure, progrès que l’adepte a lui-même obtenu dans la communication avec Dieu.

III. Perspectives

► Ainsi tel le phœnix naît le nouvel Homme dignifié par la gnose, dont l’essence intérieure est réanimée comme une rose épanouie et irradie tel un soleil contagieux, initié par ce procédé ésotérico-mystique qui le guide vers l’absolu. L’alchimiste accompli est alors l’absolu hors de l’absolu, universel et particulier, dans le temps et l’espace mais non soumis à eux, dans un état intérieur édénique mais marchant parmi les Hommes tel le gardien du jardin divin, transcendant alors toute dualité et s’ouvrant ainsi à des perceptions nouvelles.

À sa mort, en vertu que l’Homme devient ce qu’il connaît intimement et que ce qu’il est guide son destin post-mortem, ce magicien siègera à la table de Dieu, transmuté, immortel et régnant tel Laeghaire Mac Crimhthainn(28). Cette logique s’applique en outre plus avant si l’adepte est plus expérimenté dans le processus : en sus de son âme, son corps physique même peut être transmuté et ainsi translaté directement dans l’autre monde, ne laissant alors plus de trace dans le monde physique. Cette translation arrive le plus fréquemment post-mortem, les prémisses de cet accomplissement étant notamment un corps sans rigidité, sans corruption ou bien, s’expriment par des phénomènes lumineux ou de myroblytie qui peuvent également intervenir du vivant du sujet ; tous ces phénomènes étant d’ailleurs bien documentés par la littérature religieuse. Cependant, cette translation est elle-même estimée possible alors que l’adepte est toujours vivant ; dans le tantrisme les phénomènes rapportés autour de la réalisation du सिद्धरूप {corps ultime} du shivaïsme et du འཇའ་ལུས་ {Corps arc-en-ciel} du vajrayāna rendent spécialement compte de cela. Dès lors, limite finale du processus, si le sujet parvient enfin à maintenir l’harmonie entre le processus incarnationnel et transmutationnel, il pourra prétendre à l’immortalité physique, acte extrême sanctionnant alors le faîte suprême de la discipline. Paracelse qualifie ce procédé d’art de l’homme, un art où la matière n’est pas supprimée mais teinte par le principe supérieur ainsi exalté, anticipant la résurrection de la chair. La matière est dignifiée et augmentée, réarrangée et édifiée : elle émane ainsi une lumière intérieure qui perce les ténèbres.

► En occident, cette démarche est fortement liée aux systèmes religieux et en particulier le christianisme depuis ses origines, trouvant sa route par l’entremise principale des syriaques, des franciscains puis des théosophes allemands, les symboles des deux systèmes sont mis en parallèle et amalgamés. L’alchimie est alors élevée au rang de théologie révélée par le biais de l’analogie qu’il est possible d’établir entre la transmutation des métaux et l’incarnation divine. Traiter la matière dans le creuset est la "crucifier" ; Angelus Silésius dit que son cœur est comme l’or, que le Christ est sa teinture, l’esprit marquant son être, tel la transmission initiatique d’un corps glorieux. Flamel dit que la pratique alchimique rend bon, pur et pieux. Jakob Böhme et son ungrund se rapprochent quant à eux du concept de l’œuf philosophal, œuf qui nous évoquera d’ailleurs immanquablement les mystères mithraïques.

Notes

1. Les forgerons, respectés mais aussi craints pour leur maîtrise des transmutations et purifications par le feu étaient tenus éloignés de la communauté.

2. Si on en croit certains papyrus transcrits tardivement (d.IV).

3. Statues et sarcophages entre autres, notamment à Memphis et à Thèbes.

4. En plus d’influences non négligeables d’aristotélisme et de stoïcisme.

5. 𝕍 Collection des anciens alchimistes grecs, Marcellin Berthelot Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France

6. À ce sujet, 𝕍 d’abord : L’Alchimie comme art hiératique de Henry Corbin, Alchimie et mystique en terre d’Islam de Pierre Lory et Transes et prodiges de Pierre-Yves Albrecht.

7. Anecdote également mentionnée par Ole Borch dans son De Ortu et progressu Chemiae.

8. Avec le Rasahrdaya Tantra {Le Cœur du mercure} de Govinda Bhagavatpada, le Rasendra Mangala {La Félicité du seigneur des mercures} de Nagarjuna ou le Rasarnava {L’Océan de mercure}.

9. Du courant Shangqing pai en particulier.

10. Pratique de l’alcôve, codifiée pour la première fois avant le VII dans le Livre de la fille blanche {Sou nu king}.

11. On retrouve cette pratique dans le tantrisme hindou et l’imsak iranien.

12. Le mouvement du (qi) {souffle}, le nourrissement du (jing) {essence} et le (shēn) {perfection active du ciel}.

13. Une fois maîtrisé les trois 丹田 (dantian) {champs vermillon} et les (shén) {esprits}.

14. 𝕍 Immortelles de la Chine ancienne de Catherine Despeux.

15. 𝕍 le 石藥爾雅 (Shiyao erya) {Dictionnaire synonymique de la materia prima minérale}.

16. Mais dont les articulations ne prennent évidemment sens que dans leur contexte culturel respectif.

17. Dont on fait varier l’intensité et la cyclicité par des régimes.

18. Philosophie naturelle, médicaux et spirituels principalement.

19. Corpusculaire et élémentale de l’antiquité, soufre-mercure depuis Geber, mercure seul surtout au moyen-âge central depuis La Nouvelle perle précieuse.

20. On trouve un exemple de iatrochimie combinée à l’alchimie dans le Triomphe de l’archée et la merveille du monde Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France de Jean d’Aubry. Pour un recueil de recettes spagyriques, 𝕍 plutôt le célèbre Secrets d’Alexis de Piémont Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France ( Girolamo Ruscelli), les Caprices de M. Leonard Fioravanti Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre ou les ouvrages de Della Porta.

21. Où l’on parle de transmutation de liquides sexuels et de l’érotisme et où la représentation imagée du coït est courante.

22. Ostanès in Collection des anciens alchimistes grecs, Marcelin Berthelot.

23. Certains avancent un chiffre s’élevant à plus de vingt mille textes.

24. 𝕍 les points développés in Remarks upon alchemy and the alchemists Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre d’Ethan Hitchcock.

25. 𝕍 à ce propos les Transmutations alchimiques de Bernard Husson.

26. Que l’on propose entre autres, eu égard à la ressemblance entre le Baphomet et le Bès égyptien.

27. 𝕍 pour ainsi dire le seul représentant de l’alchimie cabbalistique : l’Esh metsaref {Feu purificateur}.

28. 𝕍 Echtra Loegaire meic Crimthainn in Livre de Leinster (MS.1339) Lien vers le catalogue du Trinity College.

Renvois

■ Renvois internes

↪ Connexe : Astrologie, magie, théurgie
↪ Amont : Ésotérisme, mysticisme, théosophie

■ Sources de l’article