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Un Essai de classification des phénomènes parapsychiques
Émile Boirac

Il existe sur les confins de la science un ensemble de phénomènes qui semblent échapper encore à toute explication scientifique, qui paraissent même en opposition avec tout ce que nous savons des lois ordinaires de la nature, dont la réalité a été pendant longtemps contestée ou même n’est pas encore généralement admise, et qui dès la plus haute antiquité ont excité chez les hommes une curiosité, une admiration, une terreur plus ou moins mêlées de superstition. — La science cependant commence à explorer ce domaine du surnaturel : elle s’efforce d’y retrouver un enchaîne ment de causes et d’effets, un système de lois qui permette non seulement de comprendre et d’expliquer tous les phénomènes qui s’y produisent, mais encore de les susciter et de les modifier à volonté. — Mais peut-être avant de les étudier en détail est-il nécessaire de leur donner un nom qui les distingue suffisamment de tous les autres et d’en faire une classification qui en facilite le dénombrement et l’étude. Tel est l’objet du présent essai.

Il ne semble pas que l’usage ait encore fait prévaloir aucune appellation commune pour tout cet ensemble de faits où figurent côte à côte hypnotisme, magnétisme animal, spiritisme, télépathie, lévitation, etc., etc. — On les entend bien quelquefois nommer phénomènes occultes ; mais cette désignation ne peut avoir un sens que pour ceux qui admettraient l’existence de sciences occultes à côté et en dehors des sciences positives, lesquelles, est-il besoin de le dire ? sont à nos yeux les seules sciences possibles.

Parfois aussi on les désigne sous le nom de phénomènes psychiques, et on en fait les objets d’un groupe particulier de sciences, les sciences psychiques, comme en témoignent le nom de la Société pour les recherches psychiques (Society for psychical research) et le titre même de cette Revue : Annales des sciences psychiques. — Bien que cette appellation se répande de plus en plus en Angleterre, elle ne nous paraît pas très satisfaisante, car le terme « psychique » est aussi employé d’autre part — et avec plus de raison, ce nous semble, — comme synonyme de « mental». Un plaisir, une douleur, un souvenir, un raisonnement, un acte de volonté sont proprement des états psychiques, c’est-à-dire des états d’âme, et il n’y a rien dans le mot qui permette d’en restreindre l’application à des phénomènes extraordinaires ou anormaux.

C’est pourquoi nous proposons le terme parapsychique, dans lequel le préfixe para marque justement qu’il s’agit de phénomènes exceptionnels, aberrants, paradoxaux, en dehors des lois à nous connues, de la pensée et de la vie. — On peut, il est vrai, objecter qu’une telle appellation est nécessairement provisoire ; car le jour où nous connaîtrons toutes les lois de la pensée et de la vie, les phénomènes parapsychiques rentreront sous la règle commune : ils nous sembleront aussi naturels et pourront devenir aussi fréquents que les phénomènes les plus simples et les plus vulgaires. — Mais aussi, répondrons-nous, l’idée que nous nous faisons en ce moment de ce groupe de phénomènes est-elle essentiellement provisoire : nous y réunissons justement tous les faits où la vie et la pensée nous paraissent se manifester par des propriétés encore inexplicables ; et il va de soi que le jour où nous en connaîtrons les lois et les causes véritables, ou ces faits iront se rejoindre avec d’autres dont nous les distinguons à tort aujourd’hui et dont ils partageront les noms, ou ils recevront une dénomination nouvelle et définitive tirée de leur véritable nature.

Il est donc impossible d’en donner autre chose qu’une définition nominale et toute relative à l’état actuel de notre science ou, pour mieux dire, de notre ignorance. À ce point de vue, on pourrait définir les phénomènes parapsychiques « tous les phénomènes qui, se produisant chez les êtres animés ou par un effet de leur action, ne semblent pas pouvoir s’expliquer entièrement par les lois et les forces de la nature déjà connues ».

Il résulte de cette définition même que toute classification des faits parapsychiques sera nécessairement artificielle. Sans doute elle pourra s’efforcer de les grouper d’après le peu que nous savons de leurs affinités naturelles ; mais elle ne prétendra pas résumer fidèlement tous leurs rapports. Elle n’aura pas d’autre but que de jalonner pour ainsi dire un immense champ de recherches où il serait sans cela presque impossible de s’orienter. — C’est à ce point de vue que nous nous sommes placé nous-même pour tenter la classification qui va suivre.

Nous diviserons tout d’abord les phénomènes parapsychiques en deux ordres principaux. Les phénomènes du premier ordre (et peut-être n’est-il pas nécessaire de les désigner autrement) comprennent tous ceux qui semblent pouvoir s’expliquer par les seules forces déjà connues, en supposant seulement que ces forces, dans certaines conditions, opèrent selon des lois que nous ne connaissons pas encore, lois plus ou moins profondément différentes de celles que nous connaissons déjà : tels sont par exemple les phénomènes d’hypnotisme et de suggestion. — Les phénomènes du second ordre, au contraire, semblent impliquer l’intervention de forces encore inconnues, d’agents distincts de tous ceux que les sciences ont déjà découverts et étudiés : tels sont par exemple les phénomènes du magnétisme animal, du spiritisme, de ta télépathie, etc. — Tous les savants contemporains admettent les phénomènes du premier ordre (Encore pourrait-on rencontrer, croyons-nous, plus d’un docteur en médecine qui doute de la réalité de l’hypnotisme ou de la suggestion, peut-être même qui la nie ; beaucoup en tout cas la réduisent à peu de chose.), presque tous rejettent les phénomènes du second ordre ou les ramènent, dans ce qu’ils ont de réel, aux phénomènes du premier. Il serait donc permis, à l’heure présente, d’appeler les premiers scientifiques et les seconds extra-scientifiques. Les premiers même, aux yeux de certains savants, auraient déjà cessé de paraître exceptionnels et anormaux, et c’est à peine si nous aurions encore le droit de les qualifier de parapsychiques. Quoi qu’il en soit, nous distinguerons dans le premier ordre deux groupes plus ou moins distincts pour lesquels il faut bien nous résigner à forger des noms et que nous appellerons l’un psychopathique (des deux mots grecs, psyché, âme, pathos, modification), l’autre cryptopsychique (de cryptos, caché, psyché, âme).

I

La pyschopathie comprend tous les phénomènes qui ont essentiellement pour point de départ une certaine modification soit de l’état mental soit de l’état nerveux des sujets chez lesquels ils se produisent, et qui consistent soit dans l’exaltation soit dans l’inhibition anormales des facultés psychologiques ou des fonctions vitales. — Sous cette définition rentrent, si nous ne nous trompons, tous les phénomènes de suggestion et d’hypnotisme.

Il ressort de notre définition même que les phénomènes psychopathiques peuvent se produire de deux façons différentes. Ou bien ils ont pour cause unique et suffisante une certaine modification de l’état mental du sujet, le plus souvent déterminée par la parole de l’opérateur ; et ce sont alors les phénomènes de suggestion, si merveilleusement étudiés par l’école de Nancy qui ne veut pas en admettre d’autres. (On connaît le mot du professeur Bernheim : Il n’y a pas d’hypnotisme, il n’y a que de la suggestion.) Par exemple, sans regarder une personne, sans la toucher, je lui dis : « Avant cinq minutes, vos jambes ne pourront plus vous porter ; vous tomberez à genoux, » et elle tombe. « Ce fauteuil vous attire, vous serez forcée d’aller vous y asseoir, » et elle y va. « Vous avez oublié votre nom, votre profession, votre adresse, » et elle ne s’en souvient plus. « Vous avez très chaud, très froid ; vous avez envie de vomir, de rire, de pleurer, etc., » et elle éprouve toutes ces sensations. « Vous allez dormir, dormez ; » et elle s’endort, etc., etc. —La suggestion peut n’être pas verbale : elle peut résulter de gestes, de signes de la physionomie, etc. ; elle peut même surgir spontanément dans l’esprit du sujet, être une auto-suggestion : dans tous les cas, c’est une cause mentale, une idée insinuée dans l’esprit ou imposée à l’esprit qui paraît être le point de départ de tous les phénomènes subséquents.

Les faits de psychopathie suggestive étant, au moins en apparence, les plus simples de tous, sont évidemment ceux que l’on doit étudier en premier lieu, et comme ils se retrouvent toujours plus ou moins dans tous ceux qui suivent, on doit aussi se demander s’ils ne suffisent pas en effet, comme le prétend l’école de Nancy, à les constituer et à les expliquer entièrement.

Dans d’autres cas, il semble que la cause des phénomènes soit plutôt physiologique et consiste dans une certaine modification des centres nerveux, produite soit par la fixation prolongée d’un objet brillant, soit par la pression d’un point déterminé du corps, soit par toute autre manœuvre de nature physique ; et ce sont alors les phénomènes d’hypnotisme, que l’école de la Salpêtrière, reprenant la tradition de Braid, a principalement étudiés et qu’elle considère comme inséparables de cette diathèse morbide du système nerveux qu’on appelle l’hystérie. D’après cette école, ils revêtiraient trois formes principales nettement caractérisées : la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme, et, loin d’être les effets de la suggestion, ils en seraient plutôt les causes, en ce sens que tout sujet hypnotisé est par cela même suggestible mais présente d’ailleurs toutes sortes de phénomènes complètement indépendants de sa suggestibilité (par ex. le phénomène de l’hyperexcitabilité neuro-musculaire dans la léthargie, celui du transfert des contractures par l’action de l’aimant dans la catalepsie ou le somnambulisme, etc.).

Dans l’état actuel de la science, il est très difficile de décider le débat entre les partisans de la psychopathie suggestive et ceux de la psychopathie hypnotique (qui serait peut-être mieux appelée hystéro-hypnotique).

II

La cryptopsychie comprend tous les phénomènes où semble se manifester une action intelligente, une action psychique, sans que cependant le sujet en qui elle se manifeste ait à aucun degré conscience d’exercer une telle action. Plus ou moins étroitement unie à la psychopathie, elle en est cependant distincte et peut se produire sans elle. Le prophétisme des camisards est un exemple historique de cryptopsychie spontanée. Mais le meilleur type de cette classe de phénomènes est l’écriture automatique. Une personne tient une plume dans sa main droite et, sans qu’elle en ait conscience, sa main écrit toute une suite de phrases qui ont un sens et souvent même répondent d’une façon très exacte à des questions posées. M. Pierre Janet, dans son livre de l’Automatisme mental, a commencé l’étude de la cryptopsychie qu’il appelle le plus souvent « dédoublement de la personnalité » ; on peut souhaiter qu’il en relie toutes les formes diverses dans l’unité d’une théorie générale. Est-il besoin de dire que le spiritisme rentre, au moins en partie, dans la définition de la cryptopsychie, et qu’il en est même une des formes les plus importantes et les plus dignes d’être étudiées ?

Les phénomènes du second ordre qui attendent encore à la porte de ta science le moment d’entrer et qui, nous nous en souvenons, paraissent impliquer des forces encore ignorées, peuvent se ranger en trois groupes que nous appellerons psychodynamiques (psyché, âme, dynamis, puissance), télépsychiques, (télé, au loin, psyché, âme) et hyloscopiques (hylé, matière, scopein, examiner, percevoir).

III

La pyschodynamie comprend tous les phénomènes où un être animé paraît agir soit sur d’autres êtres animés soit même sur la matière brute, par l’intermédiaire d’une force sui generis, distincte de toutes les forces connues, bien qu’analogue aux forces rayonnantes ou circulantes, telles que la chaleur, la lumière, l’électricité et le magnétisme. Quand cette action s’exerce à de grandes distances, sans intermédiaires visibles, les phénomènes produits sont télépsychiques. Il n’y a donc qu’une différence de degré, comme on le verra plus loin, entre les deux premiers groupes des phénomènes du second ordre.

Les phénomènes psychodynamiques sont très divers, et il serait évidemment nécessaire de les subdiviser.

Mettons tout d’abord à part — sans nous porter le moins du monde garant de leur réalité — tous ceux où l’action exercée est supposée venir, non de quelque être animé soumis à notre observation (homme ou animal), mais d’un esprit appartenant à l’autre monde et qui composent ce qu’on pourrait appeler ta psychodynamie spirite, comme nous aurions pu tout à l’heure mettre à part une cryptopsychie spirite. Mais avant d’admettre ces deux classes de faits, il faut évidemment voir si elles ne peuvent pas s’expliquer par une hypothèse plus simple, à savoir par l’action inconsciente des sujets ou médiums qui contribuent à les produire.

Qu’on les admette ou non, il convient en tous cas de distinguer dans la psychodynamie exercée par des êtres animés deux formes principales, selon que la force émanée de l’âme agit sur un organisme vivant (psychodynamie vitale) ou sur la matière brute (psychodynamie matérielle). —Presque tous les phénomènes compris sous la rubrique du magnétisme animal (en tant que distincts des phénomènes de l’hypnotisme et de la suggestion) rentrent dans cette double catégorie. — Passons-les rapidement en revue.

Psychodynamie vitale. — A. Effets produits sur l’homme. — L’effet le plus simple est celui qui paraît avoir été découvert par M. Moutin et que nous avons nous-même expérimenté bien des fois. On applique légèrement les deux mains étendues sur les omoplates d’une personne sans exercer aucune pression et on les retire lentement : la personne est attirée, souvent avec une telle force qu’elle en perd l’équilibre. Il n’est même pas toujours nécessaire d’appliquer les mains. Certains sujets, dès la première fois, sentent l’attraction, les mains étant tenues à quatre ou cinq centimètres de distance. […]

Bien entendu, on doit s’abstenir d’annoncer au sujet le résultat qu’on attend de cette manœuvre. L’expérience réussit aussi très souvent en appliquant les mains sur l’épigastre. De même la simple application des mains sur les épaules, accompagnée de la volonté de faire tomber le sujet, amène assez rapidement la chute (surtout si le sujet s’est déjà montré sensible à l’attraction)... Avec des sujets tout à fait sensibles, il suffit de présenter la main ouverte, derrière leur coude par exemple, pour déterminer des mouvements du bras et une véritable attraction, et cela sans qu’ils aient paru s’apercevoir de votre manœuvre autrement que par le résultat produit. De même le contact ou l’approche des mains de l’opérateur détermine chez eux des phénomènes d’engourdissement, de contracture, d’adhérence qui semblent des effets de cette même force inconnue. […]

En imposant les mains sur un organe malade ou en faisant sur lui des passes, […] on y rétablirait la vitalité, on donnerait en quelque sorte aux forces vitales la tension ou l’équilibre nécessaires pour résister aux causes de maladie et de mort. — L’inspirateur de l’école de Nancy, M. Liébeault, a fait lui-même des expériences de cette sorte sur de tout jeunes enfants et il en a conclu qu’un être vivant pouvait, par sa seule présence, exercer une action salutaire sur un autre être vivant, indépendamment de toute suggestion.

Il faut bien avouer d’ailleurs que la psychopathie suggestive semble elle-même impliquer une sorte de psychodynamie interne. Gomment en effet l’idée de la guérison pourrait-elle guérir, si le cerveau, sous l’influence de cette idée, n’envoyait constamment dans les organes malades des courants qui en restaurent ou en régularisent les fonctions ?

B. Effets produits sur les animaux. — Ils ont été moins souvent encore expérimentés que les effets produits sur les hommes : ils sont d’ailleurs de même nature, mais ils seraient peut-être plus probants, la part de la suggestion étant beaucoup moindre, souvent même tout à fait nulle.

C. Effets produits sur les plantes. — Ils ont été moins souvent expérimentés que les effets produits sur les animaux. Toutefois on en trouvera des exemples fort curieux dans le livre de M. Bué que nous citions tout à l’heure. Ils consistent principalement dans un accroissement de vitalité produit par l’action des passes. Ainsi des plantes étiolées auraient repris leur vigueur, des fruits auraient mûri un mois plus tôt et grossi de près d’un tiers de plus que d’autres portés sur le même tronc, mais non soumis à cette influence.

Dans la psychodynamie matérielle, il convient de distinguer deux cas.

1e Psychodynamie indirecte. — L’action exercée par l’opérateur sur un objet matériel ne se manifeste pas directement par un changement observable dans l’état ou les propriétés de cet objet, elle ne se révèle que dans les effets qu’il produit sur des êtres animés, principalement sur des êtres humains et en particulier sur des sensitifs ou des sujets. — On sait les vertus curatives que les magnétiseurs attribuent à l’eau magnétisée. D’autre part, nous avons vu nous-même un sujet ne pouvoir toucher, sans éprouver des sensations de brûlure ou d’engourdissement, des objets magnétisés à son insu hors de sa présence.

Psychodynamie directe. — Ici les effets produits sur la matière sont directement visibles pour tous les observateurs : ils consistent en mouvements, en modifications imprimés à la substance même des corps. — Une partie des phénomènes médianimiques (c’est-à-dire produits parles médiums) rentre dans cette catégorie. On peut se demander si les mouvements des tables tournantes n’ont pas pour seule cause les impulsions inconscientes des assistants ; mais lorsqu’une table est soulevée sans contact, comme M. de Gasparin prétend l’avoir vérifié dans ses expériences de Valleyres, il faut bien avouer que les forces mécaniques ne suffisent plus à rendre compte d’un pareil phénomène, et admettre une action psychodynamique. — Il en est de même de toutes les expériences faites par William Crookes avec Home, si toutefois le savant anglais a pris toutes les précautions requises pour constater scientifiquement les faits dont il a donné le rapport.

Aux phénomènes de lévitation doivent se joindre les phénomènes, plus extraordinaires encore, de matérialisation ou par une sorte de condensation de la force parapsychique peuvent être créés des objets visibles et tangibles, de tout point semblables à des corps et même à des corps vivants, — comme W. Crookes le raconte dans l’incroyable histoire de Katie King.

IV

Les phénomènes télépsychiques forment un groupe assez difficile à délimiter et à diviser, car ils touchent d’une part aux phénomènes précédents et de l’autre à ceux que nous définirons tout à l’heure. Ils impliquent tous une action exercée ou subie à de grandes distances ou du moins à travers des obstacles interposés.

Nous en avons donné ailleurs (Revue encyclopédique du 15 avril 1893) une énumération que nous reproduisons ici :

1° Faits de télépathie, si curieusement étudiés de nos jours en Angleterre dans le livre des Fantômes des vivants ou des Hallucinations télépathiques et en France dans ces Annales. Ils consistent en ceci, qu’une personne voit tout à coup apparaître l’image d’un parent ou d’un ami absent, le plus souvent au moment même où celui-ci est en danger de mort.

2° Faits de double vue, de clairvoyance ou de lucidité absolument niés par la science officielle (on en a eu une preuve dans le récent défi de M. Pouchet) et que cependant la plupart des anciens magnétiseurs ont cru vérifier bien des fois : une personne, le plus souvent en état de somnambulisme, voit ce qui se passe là où la vue n’atteint pas (intérieur de l’organisme, pays plus ou moins éloignés).

Transmission des sensations et même des états corporels qui les accompagnent. En voici un exemple emprunté à M. Pierre Janet : « Mme B… semble éprouver la plupart des sensations ressenties par la personne qui l’a endormie. Elle croyait boire elle-même quand cette personne buvait. Elle reconnaissait toujours exactement la substance que je mettais dans ma bouche et distinguait parfaitement si je goûtais du sel, du poivre ou du sucre. » Dans cette catégorie, pour laquelle nous proposerions volontiers le nom de télesthésie (des mots télé, au loin, æsthésis, sensation), rentrent les faits encore controversés que M. de Rochas a désignés sous le nom l’extériorisation de la sensibilité.

Transmission des idées. — C’est proprement le phénomène de la suggestion mentale. Le sujet devine et comprend la pensée non exprimée : il répond par exemple à des questions qu’on lui pose mentalement. Tel était, au dire du marquis de Puységur, qui découvrit le somnambulisme provoqué, le fameux Victor Vielet : « Je n’ai pas besoin de parler ; je pense devant lui et il m’entend, me répond. »

Transmission de la volonté. — Le sujet obéit à la volonté non exprimée de l’opérateur, soit qu’il la comprenne, et alors il y a en même temps transmission des idées, soit qu’il ne s’en rende pas compte, et ceci paraît être le cas de Pickman, si on admet la sincérité des expériences faites avec ce médium. On rangerait aussi sous ce chef le sommeil produit à distance comme dans les fameuses expériences du Havre, où MM. Gibert et Janet ont endormi seize fois leur sujet à des distances qui variaient de 6 ou 7 mètres à 2 kilomètres.

V

Le dernier groupe de notre classification, l’hyloscopie, comprend tous les phénomènes où la matière paraît exercer sur des êtres animés, principalement sur des êtres humains, une action qui ne semble pas complètement explicable par ses propriétés physiques ou chimiques déjà connues, et qui semble par conséquent révéler en elle une force irréductible à toutes celles que la science a étudiées jusqu’ici. Comme on le voit, les phénomènes hyloscopiques sont en quelque sorte inverses et complémentaires des phénomènes de psychodynamie matérielle. En voici les types principaux

Influence du mouvement. — Il suffit de tourner de gauche à droite autour d’un sujet, sans le prévenir du résultat attendu, pour qu’au bout d’un certain nombre de tours il perde la sensibilité tactile et la mémoire. En continuant à tourner, on le met successivement en catalepsie, en somnambulisme, etc., et il repasse en sens inverse par les mêmes états jusqu’à l’état normal si on tourne de droite à gauche. Le même effet peut être obtenu soit par la rotation du sujet sur lui-même ou autour d’un point fixe, soit par la rotation d’un objet matériel autour du sujet.

Influence des courants atmosphériques. — Certaines personnes très nerveuses pressentent, souvent longtemps à l’avance, les changements de temps : elles sont pour ainsi dire des baromètres vivants d’une extrême sensibilité.

Influence des courants souterrains. —Tout le monde a entendu parler des chercheurs de sources et de leur fameuse baguette. Si ces faits ne sont pas controuvés, ils se rangent naturellement sous la rubrique de l’hyloscopie.

Influence du magnétisme terrestre. — Elle est encore très obscure. Certains sujets paraissent la ressentir. Elle contribue peut-être à former ce sens de la direction, cet instinct de l’orientation que beaucoup de naturalistes attribuent à différentes espèces d’animaux.

Influence de l’aimant. — Les partisans de la suggestion la nient : elle est admise non seulement par les anciens magnétiseurs, mais encore par toute l’école de l’hypnotisme (Charcot et Luys). L’aimant, mis en rapport avec le sujet à son insu, déterminerait chez lui non seulement des sensations de fraîcheur, d’engourdissement, etc., mais des phénomènes objectifs tels que la contracture, le sommeil, le transfert des mouvements et des attitudes, etc. Cette influence peut même recevoir des applications thérapeutiques. — On découvrirait sans doute des effets analogues produits par l’électricité, la chaleur, la lumière, le son, les cristaux, etc., etc.

Influence des métaux. — Elle a été étudiée parle Dr Burq, sous les noms de métalloscopie et de métallothérapie. On trouvera un très intéressant compte rendu de ses observations et de ses expériences, dans deux conférences faites parle Dr Dumontpallier, en 1879, à l’hôpital de la Pitié.

Influence de substances diverses. — Nous rangeons sous cette rubrique : 1° l’action attribuée par la médecine homéopathique à ses globules infinitésimaux, action dont la puissance est pour ainsi dire en raison inverse de leur masse et qui, si elle est réelle, implique évidemment une force différente de toutes les forces connues ; 2° l’action des médicaments à distance étudiée par MM. Bourru et Burot dont les expériences furent si discutées ; 3° faut-il rapprocher de tous ces faits l’action attribuée par M. Brown-Séquard à ses extraits organiques?

***

Telle est la classification des faits parapsychiques qui nous paraît pouvoir servir de cadre à leur étude. — Nous ne prétendons pas en avoir épuisé la liste ; nous ne prétendons pas davantage garantir l’absolue réalité de tous ceux que nous avons donnés comme exemples. L’avenir en fera sans doute découvrir d’autres ; il montrera sans doute aussi que plusieurs d’entre eux ont fait illusion aux premiers observateurs ; nous n’en aurions pas moins rempli notre tâche si tous les faits connus et à connaître dans cet ordre de recherches trouvaient naturellement leur place dans la classification que nous proposons ici.

Remarquons d’ailleurs qu’en classant les phénomènes parapsychiques nous avons classé du même coup les sciences qui les étudient, de sorte que l’ensemble des sciences parapsychiques pourrait se décomposer ainsi : 1° psychopathie ; 2° cryptopsychie (sciences du premier degré) ; 3° psychodynamie ; 4° télépsychie ; 5° hyloscopie (sciences du second degré), le même nom pouvant servir à la fois et pour chacun de ces groupes de phénomènes et pour la science dont il constitue l’objet.

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Notes

Émile Boirac, article : « Un essai de classification des phénomènes parapsychiques », publ. in Annales des sciences psychiques, 3 (1893), pp. 341-354.

► Les Annales des sciences psychiques est une célèbre revue de parapsychologie publiée de 1891 à 1919 et ayant imprimé des articles des plus grands noms de l’époque. Elle reprend le flambeau de la Revue des Études Psychiques (1901-1904) alors dirigé par César de Vesme et sera continuée par La Revue Métapsychique à partir de 1920.

■ La page 348 est manquante dans la version numérisée que nous avons consultée. Nous avons reconstitué une partie de cette page grâce à la consultation du Problème du surnaturel de Paul Tessonnière publié dans la Revue de théologie et de philosophie de 1868 et à celle du Problème religieux de Boirac publié dans la Revue philosophique de la France et de l’étranger de 1916. Nous ne nous hasarderons pas à la recomposer totalement (d’autant que des tournures pourraient avoir changées) et avons seulement terminé les propos qui furent coupés par l’absence de cette page, indiquant l’endroit de la coupure par un "[…]". La consultation des deux articles pré-cités devraient par ailleurs palier avantageusement cette absence. Nonobstant si un de nos aimables lecteur à accès à cette page, nous lui serions bien évidemment reconnaissant de bien vouloir nous la communiquer.