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Influence de l’Orient sur le quiétisme italien
Geneviève Duval-Wirth

Le monde est un désastre dont l’homme est peut-être le sommet
G. Bataille, Le coupable, Gallimard, 1961, p. xiv.

La réaction de l’Église contre le quiétisme italien ne prit des formes violentes qu’à partir de 1687 avec la condamnation de Miguel Molinos (bulle Caelestis Pastor), mais la lutte avait commencé ouvertement en 1655 avec la persécution des « Pelagini » de la Valcamonica, à la suite de la dénonciation du nonce de Venise, Carlo Caraffa. Cependant, dès la fin du XVIe siècle et pendant toute la première moitié du XVIIe siècle, eurent lieu en Italie de très nombreux procès de quiétistes qu’on n’appelait pas encore ainsi (on les qualifie d’« eretici », de « maghi » ou de « stregoni »). Le terme n’apparaîtra qu’en 1682 sous la plume du Cardinal Caracciolo, archevêque de Naples, dans une lettre à Innocent xi en date du 30 janvier. C’est pourquoi nous ne pensons pas qu’on puisse encore minimiser ce phénomène à l’instar de l’Abbé Bremond(1). Si nous en croyons Gilbert Burnet, l’évêque anglican qui séjourna à Rome à l’époque des grands procès, les quiétistes constituent un Parti que l’on croit être d’un million de personnes… Molinos recevait tant de correspondance que le jour où il fut arrêté, le port des lettres qu’il y avait à la poste pour lui se montait à 20 écus »(2) et plus de 20.000 personnes furent présentées aux Inquisiteurs dans cette même période. Ces adeptes appartenaient à « tutti gli stati »(3) ; ils étaient répandus dans toutes les provinces de l’Italie.

Complesso di vaste e sotterranee correnti, forza propulsiva… eccezionale pour Massimo Petrocchi(4), système cohérent dont les diverses parties s’enchaîne nt étroitement, pour Pierre Dudon(5), le quiétisme qui est partout dans la spiritualité du XVIIe siècle n’est pas un mouvement isolé, une idée sortie fortuitement de quelque imagination exaltée(6). Il s’apparente à un syncrétisme où l’on retrouve des éléments gnostiques (Barbélognostiques, Basilidiens, Carpocratiens), des courants mystiques du Moyen-Âge (Hésychastes, Libre-Esprit, Béguards, Amalriciens) et des caractères communs à la secte des Alumbrados. Mais cette quête de la perfection consistant dans l’anéantissement de la volonté, dans la soumission absolue de l’être tout entier et l’indifférence de l’âme alors capable de réaliser, dans cet état de passivité, l’union avec le divin jusqu’à s’identifier à lui est bien antérieure à l’ère chrétienne et vient d’Orient. Par quelles voies ? Il ne nous appartient pas de le déterminer ici. Par contre, nous voudrions souligner les influences et les rapports entre la doctrine quiétiste et certains courants orientaux et montrer que Molinos, éclectique intempérant plus qu’inventeur original, est tributaire dans une large mesure des religions de l’Inde, de la Chine et aussi du Japon. Il n’est pas facile d’identifier, d’isoler les éléments appartenant aux nombreux courants de la pensée orientale, car, selon les propres termes d’Olivier Lacombe, touffue et diverse est la grande forêt du brahmanisme…, inextricable l’enchevêtrement de leurs interactions mutuelles(7). Néanmoins, le bouddhisme yogico-tantrique de la Main Gauche complété de quelques greffons taoïstes et d’un peu de Zen semble avoir influé particulièrement sur l’hérésie qui nous occupe. Ce qui nous confirme dans notre conviction, c’est l’analogie entre les pratiques psycho-physiologiques communes au tantrisme et au taoïsme, et celles qu’on observe dans le quiétisme. Sans doute y eût-il des résurgences (oraison mentale des Hésychastes) de surgeons gnostiques(8) et panthéistes que l’Église n’avait pas réussi à extirper complètement au Moyen Âge et qu’il est malaisé de déterminer dans leur spécificité propre étant donné le caractère indifférencié des accusations portées au cours des siècles par la hiérarchie catholique, mais l’hypothèse d’apports directs n’est pas à rejeter. Ainsi, le Diario du chroniqueur romain Giacinto Gigli, publié en 1958 par Ricciotti, relate, à Rome, en 1615, la visite d’un groupe de Japonais qui y séjourna trois mois et qui venait précisément des Indes(9). Une satire manuscrite due sans doute à la plume de B. Dotti ironise sur les « missionari dei Giappone » qui importent en Italie la pernicieuse doctrine de l’« orazione di quiete »(10). Bien entendu, « missionari » est à prendre dans son acception polémique : il ne s’agit pas de prêtres nippons, mais d’ecclésiastiques italiens, des Jésuites en l’occurrence, qui, dès 1553, étaient allés en Extrême-Orient avec des projets d’évangélisation(11).

Le quiétisme, comme le Zen, comme le Taoïsme, comme le hatha-yoga, se déclare « moyen de libération », appellation qu’on trouve aussi bien en Chine qu’aux Indes. Ce chemin facile, court (la même terminologie est reprise à satiété par quantité de manuels dévots de l’époque) n’aurait-il pas quelque analogie avec la Bhakti, cette voie d’amour passionné qui donne tout, ne demande rien et absorbe l’être en un ravissement dont l’esprit reste absent(12) : « chemin facile » du Chant du bienheureux (Bhagavad-Gîta) ? Ce refus des prières vocales ne le trouve-t-on pas déjà dans les rituels védiques ? Cette méditation immobile et silencieuse (pour le Zen : zazen, c’est-à-dire être assis immobile) n’est-elle pas quête de la nature de Bouddha ? Et le caractère essentiel et commun à toutes les sectes orientales ne serait-il pas la conviction intime que la base mentale ne réside pas dans le processus de pensée conscient ni dans l’ego ? Tout comme le quiétisme est l’exaltation de la dissolution de la pensée. Allons plus loin et tentons un rapprochement entre les deux théories. Mais auparavant, recensons les œuvres doctrinales ou lyriques des principaux chefs de file de cette mystique. Tout d’abord, celle du Chanoine florentin, Comte Pandolfo Ricasoli, condamné en 1641, considéré comme pré quiétiste par les historiens, et qui publia un manuel de dévotion(13), puis celles du Cardinal Pier Matteo Petrucci, évêque de Jesi dans les Marches, de la Congrégation de l’Oratoire, condamné à la résidence surveillée dans son évêché, en 1687, et qui furent mises à l’Index l’année suivante. Nous puiserons dans ses Poesie sacre publiées à Venise en 1681. Un prêtre vénitien de la paroisse de St-Augustin, totalement inconnu des inventaires et des érudits, comme l’écrivait Giuseppe de Luca peu de temps avant de mourir(14), nous offrira des exemples particulièrement intéressants avec ses douze ouvrages tous frappés par le Saint-Office entre 1683 et 1711 ; or, il fut au centre de l’activité éditrice quiétiste de Venise. Enfin, nous étudierons le fameux Guide spirituel de Molinos publié à Rome en espagnol et en italien en 1675(15).

De même que la doctrine du Bouddha est basée sur la découverte qu’il fit de la souffrance, de même celle de Molinos vise à éliminer la douleur, le molinosis me étant non seulement un système sotériologique mais aussi une thérapie (petrucci voit lui aussi dans la doctrine la possibilité de freiner la douleur et de bannir les tourments :

Raffrena il dolor,
Dà bando ai martiri
.

Parallélisme vérifié donc sur le plan d’une religion de la Délivrance. Dans cette perspective, la première cause de la douleur est le désir, la seconde le manque de maîtrise de soi, la troisième l’ignorance ou plus exactement le refus de la connaissance métaphysique qui, en conduisant l’adepte jusqu’au seuil de l’illumination, supprimerait cette ignorance. Toutes les soifs doivent être subordonnées à cette vérité. Mon cœur est libéré de toutes les constructions, la disparition de la soif est atteinte, prêche le Bouddha, et Molinos : Ceux qui veulent que tout leur réussisse, que tout plie à leurs inclinations ne connaissent pas la voie de la paix. Ils mènent une vie. amère, inquiète et troublée(16). Et au paragraphe suivant : La racine de nos troubles et de nos angoisses est la révolte de notre nature inférieure(17). Cette nature inférieure, ne serait-ce pas celle qui habite l’homme profane, l’homme lié, esclave des préceptes et des commandements qu’il suit de façon conformiste, sans en connaître le vrai sens, le paçu dans le langage tantrique ? Il vivere felice è niente volere, lit-on à la soixante cinquième proposition(18). Pour Lao-Tseu, le philosophe du Tao, toute connaissance plonge dans ce que l’homme ne peut pas connaître :

Connaître, c’est ne pas connaître :
Voilà l’excellence.

Ne pas connaître, c’est connaître :
Voilà l’erreur
(19).

Molinos affirme que c’est une erreur de chercher Dieu au-dehors par le raisonnement, l’imagination ou l’étude… alors qu’il est en nous-mêmes(20). Assez intellectualiste chez Molinos qui rejetait les livres, mais après les avoir lus, la doctrine l’est carrément chez Petrucci. Ses stances sont l’expression de l’intuition ontologique du principe inconnaissable. Dans la doctrine quiétiste, toutes les sagesses de l’Orient se recoupent. Ainsi, Lao-Tseu : La quiétude est la maîtresse de l’agitation (id. XXVI). Écarte l’intelligence et il n’y a pas d’anxiété.

Le fond sans nom
est ce qui n’a pas de désir
.

C’est par le sans-désir et la quiétude
que l’univers se règle lui-même
. (XXXVII).

L’efficace du non-agir,
rien ne saurait l’égaler
. (XLIII).

On reconnaît là le wu-wei taoïste qui signifie ne-pas action, c’est-à-dire se dessaisir, se déconnecter. L’esprit doit se vider de toute pensée, de toute image, de tout désir. « Ogni desiderio porta inquietudine », c’est une des propositions de Molinos (la cinquante quatrième). La sagesse est de ne pas se préoccuper des soucis du dehors(21), ni des persécutions que les hommes vous susciteront(22).

Atteins à la suprême vacuité et maintiens-toi en quiétude,

prêche Lao-Tseu(23). Se dépassionner ; c’est une faculté que le virulent Jésuite Daniello Bartoli reconnaît aux Japonais(24). Cette vacuité, Molinos la définit « carte blanche » : Il est… nécessaire de faire de notre cœur une carte blanche où la Sagesse divine puisse graver ce qu’il Lui plaira(25). Même écho dans le recueil de logia de Lin-Tsi, grande figure de l’école bouddhique du Tch’an : Rien de plus précieux que d’être sans affaires(26). L’adepte doit concevoir la vacuité de toutes les pratiques prescrites aux Bodhisattva (êtres d’illumination, Bouddha-à-être, dans la doctrine canonique du Grand Véhicule). C’est le meurtre de tous les Bouddha, celui des pratiques, celui des saints, du père, de la mère et de tous les proches que préconise Lin-Tsi : Tranchez la tête du Bouddha. Pour qui veut rechercher le Bouddha en faisant des actes, le Bouddha sera grand pronostic de naissances et de morts(27). Molinos presse ses adeptes de fuir l’orgueil de la sainteté et toutes les pratiques extérieures s’ils veulent parvenir au « royaume mystérieux de la connaissance ». Il faut se garder d’être des « fabricateurs d’actes », dit encore Lin-Tsi(28) ; ceux-là, Molinos les écarte, car ils n’arrivent qu’à la porte de la contemplation(29). C’était déjà le sentiment de Lin-Tsi : Pour faire un travail extérieur, il n’y a que les imbéciles(30). Bannir l’effort et se laisser aller au train-train quotidien, tels les Bodhisattva. Curieusement, dans la vingt et unième proposition condamnée, on retrouve une expression identique à celle de Lin-Tsi : «sans produire d’actes ».

Le Sage bouddhique, l’arhat, a perdu tout attachement au « monde des désirs et des sens », nous dit l’Avadana Tataka, recueil sanscrit de contes attribués au Bouddha. Se délivrant du monde matériel puis du monde immatériel, il connaît les quatre infinités de l’espace, de la conscience, de la région où rien n’existe, de la région où il n’y a plus de perception ni même d’absence de perception. Toute perception dissoute, c’est le Nirvâna. Molinos souhaite étouffer toute sensibilité, éprouver un grand dégoût pour tout ce qui est de ce monde(31), ce qui n’est pas sans rappeler le fameux passage du Sermon du Feu : Le feu de la vie doit être éteint, car tout dans le monde est enflammé par le feu du désir, le feu de la haine, le feu de l’ignorance. La naissance, la vieillesse, la mort, les soucis, les plaintes, la douleur, la tristesse, l’amour charnel ne sont que flammes… Les choses visibles pour ton œil, ô brahmane, sont en flammes. Il en est ainsi pour tes cinq sens et ton sens intérieur. Alors, n’es-tu pas dégoûté de tes sens, des choses, des impressions et des sentiments qu’ils provoquent ? Si tu es dégoûté, sache alors que tu es délivré, libre de passions… Tout le reste n’est qu’une illusion qui te dévore comme une flamme(32). Et Molinos : Toutes les images sensibles et corporelles sont distantes de l’Être souverain(33). Il faut donc que vous abandonniez tous les objets créés, ceux des sens, ceux de l’esprit et des passions, en un mot tout ce ,qui est et ce qui n’est pas,(34)par le renoncement brutal, en déracinant l’un après l’autre de la nature humaine les attachements(35). Et le mot « sensibilité » revient comme un leitmotiv dans le Guide : Nous devons étouffer toute sensibilité, afin d’atteindre l’impassibilité. C’est la même idée qu’exprime ce passage du Vinaya-Pitaka : Le disciple ne fait aucun cas du corps, ni de la sensation, ni de la perception, ni des constructions, ni de la conscience. En n’en faisant point cas, il devient impassible.

Ainsi que l’enseigne le Bouddha, tout est illusoire. De la notion de Mâyâ (en sanscrit, illusion qui pousse l’homme à éprouver le monde comme une réalité en soi, comme un non-Moi), de cette puissance insondable qui réside dans l’ultime réalité Brahman-Âtman et projette l’univers matériel et tout ce qu’il renferme, découle la relativité des réalités, aussi faut-il se défier des témoignages des sens et abolir toute conscience basée sur leur pseudo-expérience. Par voie de conséquence, Molinos doutera même des bienfaits de ce que nous appellerions aujourd’hui introspection, la conscience, selon lui, ne pouvant se prévaloir des manifestations illusoires de l’univers phénoménal. La notion de conscience s’effondre donc dans la mystique quiétiste comme d’ailleurs dans la pensée bouddhique et aussi dans le Zen : dans le principe du wu-min (non esprit), esprit étant entendu au sens de conscience, l’absence de conscience n’est pas un état comateux mais simplement « absence de conscience de prise de soi » où l’oreille entend sans écouter, l’œil voit sans regarder et ne cligne pas plus des paupières que le bébé qui ne fixe aucun objet particulier(36). C’est ce que Molinos appelle « renoncer à ses perceptions »(37), « être privé du raisonnement »(38). Et ailleurs : on ne peut être conscient de l’âme puisqu’elle est un pur esprit(39). L’âme alors, ayant atteint la croix des sécheresses(40), est plongée dans de bienfaisantes ténèbres qui contribuent à l’anéantir et dissipent les idées. Elle ne sait si (elle) existe ou si (elle) meurt, si (elle) consent ou si (elle) résiste(41). Nous avons là le phénomène de désappropriation exprimé dans la douzième proposition qui présente une étonnante analogie avec le principe central Zen du non-esprit (wu-hsin) que Chuang-Tsu évoque de la façon suivante :

Le corps comme un os desséché,
L’esprit comme des cendres mortes ;
Cela est la vraie connaissance,
Ne pas chercher à savoir le pourquoi(42).

(Dans la quarante troisième proposition, Vat. lat. 13.153, f. 323, « col riflettere a niente », le corps devient inanimato a guis a di sasso quadrato).

Dieu rend alors la confession impossible. Il fut d’ailleurs reproché aux quiétistes de communier sans se confesser. Molinos avait agi ainsi pendant 22 ans, peut-on lire dans les Ristretti du procès. En exaltant l’importance de l’action divine dans les œuvres humaines, le quiétisme a supprimé le libre-arbitre. Cicogna dit explicitement qu’il en fait don à Dieu(43) ; la même idée se retrouve dans les propositions 12 et 13 condamnées par la bulle Caelestis Pastor. Afin de laisser agir Dieu tout à son aise, l’âme doit se maintenir dans une totale inertie. La mort mystique est incompatible avec les pratiques extérieures traditionnelles, l’état passif suppléant à tous les actes de vertu et de dévotion qui ont habituellement pour objet la Vierge Marie ou les Saints. L’homme non seulement n’a aucune part dans son salut mais il lui est indifférent, son absolue quiétude ne devant être troublée par rien, ce qui n’est pas sans évoquer le pur néant du Nirvâna bouddhique. Celui-ci est atteint quand toute pensée, toute sensation, toute volonté sont abolies, car le devenir est stoppé lorsque la conscience individuelle ne lui sert plus de moteur.

Chez Cicogna, l’idée de Dieu se confond avec le concept de la grande résorption finale (mahâpralâya), dans la matrice primordiale, dans le Brahman, l’Absolu, l’Immuable, l’Eternel, l’essence unique de tout ce qui existe. Dans les Fiamme dell’amor divino, le prêtre vénitien, brûlant d’une violente aspiration à l’unicité du microcosme et du macrocosme et avec une sensibilité ego-cosmique et, tout compte fait, assez baroque(44), soupire : Ah ! potermi tutto immergere e tuffare nell’ immense acque delle tue incomprensibili grandezze !(45). Ce sont les « eaux calmes et radieuses du Soi infini », à n’en pas douter (46). Tel le Parfait du bouddhisme tantrique, Cicogna se sent parcelle d’une immense famille cosmique. Il voudrait dilater son être, dire l’indicible, faire éclater les limites du langage et de la conscience : Vorrei haver infinite ’Volontà… e cento milioni di milioni di purissimi cuori… cento migliaia di milioni d’infinite volontà per amarti con tutte infinitamente(47), « d’un amor più che infinito »(48).

On a bien l’impression, ici, que « volontà » connote « âme », jîva-atman, cette entité spirituelle poussée à s’incarner indéfiniment tant qu’elle n’est pas délivrée du samsara, du cycle des renaissances. Et dans un élan presque masochiste, Cicogna se réjouit d’avoir été tiré du néant et brûle de démultiplier à l’infini sa propre existence afin d’assumer totalement le poids de la loi karmique (loi immanente qui veut qu’une action donnée ait un résultat donné) : Deploro il passato, e il presente innesto ad un più intenso, vivo ed efficace atto d’amore sia mai per prodursi, o sia stato prodotto da qualsiasi Creatura, tale, quale sai tu, mio Dio, si ruo’ produrre ; et aquesto momento di tempo presente che mi concedi, o mio Signore, ora accoppio anco tutti gli altri momenti che ti compiacerai concedermi successivamente nell’avvenire, e senza mai terrninare intendo, e voglio continu are questo atto ; anzi bramo d’amarti perfettamente mio Dio, che vorrei in ogni momento di tempo poter produrre tutti quegli atti e d’amore e di riverenza, e d’ossequio e di compiacenza, accio’ fussi perfettamente amato da tutte le Creature, e che in tutta un’Eternità si produrrebbero da un numero innumerabile d’Angeli e di Santissimi e virtuosissirni huomini(49). On observera, dans cette période typiquement baroque, la même construction que celle du Guide qui procède par ondes concentriques. Nous sommes en présence, ni plus ni moins, du concept Yogacâra d’une Conscience-de-réserve (âlayavijfiâna)(50) ajusté au désir d’un continuum de vie subconscient qui veut « oltrepassare anco l’eterno medesimo »(51).

Petrucci éprouve, lui aussi, ce vertige de l’anéantissement : O goder l’immenso Dio !, mais d’une façon beaucoup plus sensuelle et parfois assez mièvre. La beauté de Dieu est le « diletto » du croyant et cette contemplation « raffrena il dollore ». Aussi n’est-il question que de « bel guardo », « dolce riso », et chaque strophe de prière se termine par « bellissimo Giesù »(52), presque un play-boy, mais il ne faut pas oublier à qui s’adressaient ces Stanze… aux religieuses cloîtrées dont Petrucci assurait la direction spirituelle ! D’après un manuscrit de la Vallicelliana(53), le Père Ricasoli, lui, voyait Dieu dans l’« eccesso mentale » qui le conduisait à l’« unione deifica ».

Quant à Molinos, Dieu, pour lui, c’est le Souverain Bien(54), l’état définitif de « repos » le mot revient souvent dans le Guide. L’adepte, nous employons ce terme à dessein, détaché de la contemplation du monde phénoménal, arrive à l’état d’ « Incomprensibilità »(55) et plonge dans le « vasto Impero dei niente »(56). L’âme retourne alors à son principe et à son origine qui est l’essence divine, dans laquelle elle demeure transformée et « déifiée »(57).

Mais l’enseignement pratiqué par les quiétistes est bicéphale, c’est-à-dire que, tel un iceberg, il ne laisse émerger qu’une infime partie de sa doctrine. De même que, selon la Yogacarâ, l’enseignement théorico-philosophique (Sâmkhya) et les recettes techniques du Yoga sont complémentaires, de même le molinosisme comporte deux aspects. Nous venons de voir le premier codifié dans le Guide. Il nous reste à découvrir son enseignement qualifié d’ésotérique par certains historiens(58) et qui, compte tenu de l’atmosphère de la Contre-Réforme, ne pouvait être écrit (Molinos le dit explicitement dans la lettre du 28 février 1680 : « Non tutto deve essere scritto »(59). Il est donc malaisé d’élucider ce point, car nous ne possédons que des informations fragmentaires, partiales, inexactes peut-être parce que mal interprétées par les accusateurs et des juges non exempts de mauvaise foi. La méfiance à l’égard de la curiosité des profanes, la crainte de l’Inquisition imposaient de dissimuler(60) et de passer au crible une théorie importée qu’il fallait christianiser pour qu’elle obtînt l’imprimatur. Voilà pour les écrits. Par contre, de bouche à oreille, la transmission s’avérait plus facile. Enseignement oral s’il en fut, ce dont nous essaierons de donner la preuve. Ainsi, les prescriptions théoriques rédigées dans la langue très conventionnelle du Guide peuvent recouvrir néanmoins des pratiques psycho-physiologiques, communes au taoïsme et au yoga tantrique et dont les Upanishads donnent quelque indication. Le mot sanscrit yoga signifie d’abord « attelage » (en latin Jugum est de même origine indo-européenne) et c’est bien d’un joug qu’il s’agit, en effet, destiné à dompter les chevaux trop fringants des processus mentaux, donc une méthode sotériologique pour le tantrisme. Or, et cela ne peut manquer de nous frapper, Molinos emploie le mot joug dès les premières pages du Guide : Le chemin de la paix intérieure est de se conformer en toutes choses à la Volonté Divine… Cette conformité est le joug aisé (souligné dans le texte) qui nous introduit dans la région de la paix et du calme intérieur. C’est grâce à elle que nous arrivons à connaître que la cause la plus féconde de nos tourments, la racine de nos troubles et de nos angoisses est la révolte de notre nature inférieure… C’est pour atteindre ce but que ce livre a été écrit »(61) et il semble bien considérer sa doctrine comme une discipline visant à la fusion des âmes, divine et humaine. Grâce au joug, l’âme sera sereine et sans crainte(62). Ce sont les termes mêmes de la Bhagavad-Gîta.

Pour le yogin, le point de départ est la purification de la conscience, d’abord à l’aide des réfrènements (yama), c’est-à-dire ne pas tuer, ne pas voler, ne pas être avare, s’abstenir de la jouissance sexuelle recherchée en tant que telle (nous reviendrons sur ce point car il doit être nuancé), ne pas mentir ; ensuite, à l’aide des astreintes (niyama) telles que la propreté corporelle, poussée jusqu’à la minutie, et première forme de pureté pour le Hatha-yoga, tant externe qu’interne, ce qui éclairerait les allusions des sommaires du procès de Molinos. (Les inquisiteurs, en effet, crièrent au scandale parce que ce dernier avait coutume de réclamer d’une servante des soins qu’on n’exige habituellement que d’un infirmier). Nous pensons qu’il s’agit de purification intérieure des organes, chose courante chez les yogin qui procèdent à des purgations des fosses nasales aussi bien que des intestins(63). L’étude est également un niyama, mais il faut renoncer à tous les livres, même aux Écritures saintes. C’est aussi, nous l’avons vu, l’enseignement de Molinos. Il faut s’astreindre à la Bhakti (la dévotion) et à la sérénité et Molinos de prôner la parfaite maîtrise de soi devant la joie aussi bien que dans la douleur.

Après avoir triomphé de ses instincts, l’adepte doit discipliner son corps par l’utilisation de postures (âsana). La respiration, de désorganisée et d’arythmique qu’elle est, doit devenir stable, régulière, afin d’être pleinement vivifiante : le prânâyâma (contrôle du souffle) consiste à rythmer progressivement la respiration par la tenue du souffle (kumbhaka). Nous sommes en mesure de penser que les quiétistes avaient adopté plus ou moins ces pratiques, car une satire de l’époque(64) fait allusion à des « positure » pratiquées par les molinosistes et un témoin décrit un hérétique corpo diritto, labra serrate, ritendo quanto sia possibile il fiato jusqu’à sentir « nuova mutazione in corpo ». Puis il tombait en arrière, précise le document(65). La littérature tantrique évoque l’ivresse qui fait tomber le yogâcârin à terre(66). Ne s’agirait-il pas de la chaleur produite par la montée de la Kundalinî (énergie mystérieuse sur laquelle nous aurons à revenir) sous l’effet de l’arrêt du souffle, ce qui est le signe par excellence du dépassement de la condition humaine, du passage dans une autre dimension ? Un autre document mentionne une transpiration abondante : sudavi… le coste dilatate dall’Amor divino(67), ou plutôt, dirions-nous, par le souffle que l’hérétique tient au-delà des limites normales. Et que lit-on, dans la Dhyânabindu Upanishad ?

Assis dans la posture du Lotus, l’adepte emplit d’air les ouvertures de ses artères : s’il tient le souffle ainsi, il sera délivré à coup sûr. Il faut se masser les membres avec la sueur produite par l’effort(68).

C’est l’évidence même : souffle tenu, sudation, chute dans un état cataleptique (on sait que certains yogin peuvent être enterrés vivants sans aucun risque)(69). Et notre hérétique avait commencé son exercice un lys à la main, à défaut de lotus… Et pourquoi, poussant plus loin l’audacieux parallèle, ne pas voir une parenté entre la notion de pranagni hotra (sacrifice quotidien de la respiration préconisé par le Vaikhanasasmarta Sûtra) et l’oraison mentale quiétiste ? Les textes brahmaniques appellent la rétention du souffle agnihotra intérieur et assimilent le pranayama (contrôle du souffle) à l’agnihotra, oblation au feu que chaque maître de maison doit pratiquer quotidiennement. Tant qu’il parle (nous pourrions ajouter, et aussi quand il prie vocalement) l’homme ne peut pas respirer, alors il offre sa respiration à la parole ; tant qu’il respire, il ne peut pas parler, alors il offre sa parole à la respiration. Ce sont là deux oblations continues et immortelles ; dans la veille et le sommeil, l’homme les offre sans interruption(70). Mais, autre analogie, les adeptes de Molinos ne dorment-ils pas dans les églises ?(71), et que dit la vint cinquième proposition ? Lors même que le sommeil surviendrait pendant l’oraison et que l’on s’endormirait, l’oraison et la contemplation… n’en continueraient pas moins parce qu’oraison et résignation, résignation et oraison sont une même chose.

L’adepte passe ensuite au retrait des sens pratyahara) en pratiquant l’ekagrata, l’attention concentrée sur un seul point afin de parvenir à la fixation de la pensée. On fixe donc un objet, le bout de son nez ou le point entre les deux sourcils. Or Ricasoli préconise, dans son ouvrage doctrinal, la « sospensione dello sguardo » afin d’aboutir à la « sospensione d’intelligenza »(72). Comment ne pas faire le rapprochement, d’autant plus que Mircea Eliade définit l’ekagrata comme une méthode qui « barre le fleuve mental et bloque le psychisme ». Cet exercice fait partie de la dhâranâ (méditation proprement dite) et permet la « fixation de la pensée en un seul point »(73) et l’apprentissage de la concentration mentale qui correspond chez Molinos à la méditation préparant aux nourritures spirituelles. L’adepte est maintenant maître absolu de lui-même : il a dominé ses instincts, son corps et sa pensée. Il accède à un degré supérieur, la dhyâna, recueillement intérieur, homologue, pensons-nous, de la contemplation acquise et active exposée dans le Guide. Le yogin atteint ainsi l’état de samâdhi, satori pour le Zen ou enstase. C’est la contemplation parfaite, infuse et passive de Molinos(74). Le yogin, pas plus que le quiétiste, n’a besoin du support de l’image mentale ; l’âme se retire dans son « centre », dit le Guide(75). Même concept chez Cicogna : « Bramo, mio Dio, che l’Anima vada ad unirsi al suo centro »(76). Pour Molinos, Dieu parle à l’homme en suspendant les opérations de son esprit. La meilleure approximation du sens de samâdhi a été faite par Mircéa Eliade. Le yogin ne sort pas de lui-même, il ne s’agit pas du « ravissement » des mystiques ; il rentre au contraire en lui-même « dans le lotus de son propre cœur », disent les Upanishads. Phénomène dont semble avoir été friande au XVIIe siècle une certaine spiritualité si l’on en juge par le nombre des traités portant sur l’extase et qui restent encore, pour la plupart, inexplorés dans les archives et bibliothèques italiennes.

Le dernier état, appelé État Quatrième ou Kaivalya, est celui qui confère l’autonomie totale. Parfaitement indescriptible, il est liberté intégrale. L’âme détachée de l’individualité réalise l’« identité suprême » ; elle retourne à l’âtman universel où elle retrouve sa vraie nature qui est Dieu lui-même (le théisme des Yoga-Sûtra et de la Bhagavad-Gîta rejoint celui des quiétistes). C’est l’état d’union, ce qui nous ramène au sens védique de yoga (les efforts des chevaux de l’attelage disciplinés, contrôlés, sont désormais joints). L’union de la Çakti avec Çiva correspond, chez Molinos, au stade ultime de la « perfection, de l’union et de la transformation divine »(77) où l’on se confond, où l’on se « perd en Dieu », et c’est goûter « la délicieuse ambroisie »(78). La Yogakundalinî Upanishad consacre ses strophes finales à l’éloge de l’ambroisie (soma dans la tradition védique), la boisson d’immortalité qui « coule à profusion » dans l’État Quatrième. Pour Cicogna, c’est aussi le breuvage de l’âme contemplative :

Ambrosia celeste o soave cibo dell’anima contemplativa (Venetia, 1681).

Il peccato non sta nel senso, ma nel consenso(79). Tout le quiétisme pourrait se résumer à l’aide de cette affirmation d’un Oratorien traîné devant les tribunaux du Saint-Office. Et c’est le pivot de toute la pensée religieuse du Seicento italien, le désir constituant le pont névralgique de la sensibilité. Le problème de la souffrance, réactivé dans la conjoncture particulière à ce siècle, que nous avons évoquée récemment(80), et la fin de non recevoir que lui oppose l’homme baroque favorise une prise de conscience du tragique de la condition humaine et le refus d’une souffrance substitutive, monnaie d’échange dans un marché ignominieux entre un homme acculé, mutilé et le Dieu omnipotent et impitoyable du Concile de Trente. Les Albigeois avaient déjà été accusés faussement par leurs ennemis de tout donner aux sens et rien à Dieu(81). L’Église avait mis les sens au pilori, après les avoir maudits, bannis dans une démarche contradictoire qui n’excluait pas qu’on les évoquât ou qu’on les sollicitât constamment. Ainsi les prédicateurs n’avaient pas de mots assez caressants pour peindre, au sermon dominical, les délices du péché de chair, dont il fallait se garder à tout prix, concluaient-ils dans une péroraison effrayante de sanctions infernales ! Les quiétistes tenteront de concilier l’inconciliable. Ils chercheront le moyen de juguler les sens, soit en les niant, soit en rejetant l’ascèse volontaire (comme l’exprime la trente huitième proposition de Molinos : La croix volontaire des mortifications est un poids lourd et sans fruit) aussi bien que la sensualité en tant que fin en soi. La jouissance non voulue n’est pas dégradante et les péchés qui pourraient en découler sont à imputer aux « violences diaboliques ». La tentation est un « grand bonheur »(82), le mieux est de ne pas y prêter attention. C’est une façon de supprimer le désir, mais c’est aussi l’attitude la plus anti-chrétienne qui soit, car c’est nier la valeur sotériologique de la douleur et mettre en cause la notion de sacrifice dont les bûchers de l’Inquisition illustraient le caractère barbare(83). Ce qui nous met sur la voie d’un constat à préciser d’entrée de jeu, à savoir que le quiétisme resta totalement étranger à la notion d’une religion expiatoire. L’ascèse étant une forme adoucie du sacrifice, il n’est pas étonnant qu’elle soit aussi rejetée.

Les quiétistes ont donc puisé dans des spiritualités qui ignorent cet aspect mutilant, entre autres dans la métaphysique indienne pour qui la misère de la condition humaine n’est pas due à une punition divine, ni à un péché originel, à une tare contractée par la nature, qui ne considère pas le corps comme une occasion de chute, mais au contraire comme le temple d’un dieu. Bien plus, la révélation de la douleur comme loi de l’existence devient le sine qua non de l’affranchissement, elle acquiert une valeur positive, stimulante en rappelant au sage la nécessité de dépasser sa condition. Or, dans le tantrisme de la Main gauche, par la purification de la volonté, l’ascèse de l’action permet le dépassement des paça des liens de l’existence ordinaire. L’adharma (l’acte qui viole le dharma(84), non seulement ne crée pas de karman, mais devient, pour l’adepte tantrique, rite, discipline cathartique, le déconditionne : il peut tout faire, tout vivre, à condition de rester détaché des entraves du Moi. Ce Moi qui était désir est amené à se brûler lui-même. Les passions perdent leur caractère d’impureté quand elles deviennent absolues ; forces élémentaires, çaktiques, elles lavent en brûlant et deviennent ainsi des coadjuvants de la libération. La rupture du niveau ordinaire de la conscience, le déconditionnement de l’être et la transcendance sont obtenus en libérant le pouvoir de base où prennent racine le mental et la force vitale du corps, à savoir la kundalinî çakti(85). Son réveil vise la réalisation de la çakti sous sa forme véritable et pure en renversant la polarité de l’énergie dévoilée sous la forme de la sensualité procréatrice faite de désir. Dans la physiologie mystique indienne – et le quiétisme s’en est sûrement inspiré –, la continuation de l’espèce effectuée par l’emploi du sexe doit faire place à une intégration métaphysique qui dépasse la finitude de l’individu conditionné par un corps physique. Le phallus de Çiva a son ouverture fermée par la tête du serpent de façon à empêcher la sortie du liquide séminal, principe de cette endogénèse (« la physiologie se transforme en liturgie »(86). Le moyen d’allumer le feu qui éveillera la Kundalinî consiste à suspendre les mouvements relatifs aux deux courants subtils gouvernant l’expiration et l’inspiration du souffle et à les unir, ce qui renvoie au symbole de l’union de l’homme, incarnation de Çiva, avec la femme, incarnation de Çakti, dans des pratiques sexuelles destinées à provoquer une rupture fulgurante du niveau de la conscience finie. On vise ainsi à susciter et à assumer les forces du désir afin qu’elles se consument elles-mêmes pour en détruire la nature originelle. L’adepte en qui est suscitée la force du désir, dans l’étreinte avec une femme (maithuna), devient le destructeur dans le monde des apparences du dieu de l’amour (smarahara), obtient l’immortalité en arrêtant la manifestation, retrouve l’unité primordiale, immobile, celle d’avant la rupture. Chez les taoïstes, les pratiques sexuelles sont considérées comme donnant la longévité, en particulier l’arrêt de l’émission séminale, technique commune à la mystique tantrique, hindoue, au tantrisme bouddhique et au visnouhisme sur laquelle nous reviendrons, ce qui élargit l’éventail des influences conjecturales sur l’hérésie quiétiste.

Selon nous, le quiétisme ne s’est pas contenté, en fait, d’emprunter à l’Orient le primat de la connaissance pure et la dialectique de l’Absolu. Il a voulu réaliser l’identité homme-dieu expérimentalement à l’aide de pratiques initiaticoextatiques. Mais, devant compter avec la censure et tout l’appareil répressif d’une Église à peine remise de la grande peur de la Réforme et encore sur ses gardes, il s’est trouvé devant la nécessité impérieuse de les conserver secrètes. Néanmoins, abondamment dénoncées dans les procès, elles ont fourni un prétexte, commode et venant à point nommé, aux condamnations. La récurrence obstinée de ces « nefandezze » prouve qu’il n’y avait pas de fumée sans feu et qu’il ne peut s’agir d’« invenzioni ributtanti » comme le croit M. Petrocchi. D’autant que les satires de l’époque dénoncent les mêmes faits. Crier au scandale, se voiler la face ou accumuler les injures comme le fait le principal historien de Molinos, Pierre Dudon, tout cela est stérile et bien typique de notre mentalité d’Occidentaux sexophobes. Mieux vaut essayer d’appliquer la « grille » du tantrisme en allant au-delà de la terminologie stéréotypée à l’aide de laquelle sont consignées les manifestations de cet orgiasme. Molinos était très conscient de cette incompréhension : Quelli che vogliono conoscere l’interno per lo esterno si possono facilmente ingannare(87). Les brahmanes, eux aussi, sont astreints au secret ; Bartoli le mentionne dans l’Asia(88).

Quels sont les griefs de la hiérarchie catholique contre les quiétistes ? Les accusations qui reviennent avec le plus de fréquence dans les « minutes » des tribunaux sont les suivantes : avoir constitué des « conventicole » dans lesquelles, sous la houlette d’un directeur de conscience, ecclésiastique toujours, se pratiquent, en même temps que l’oraison mentale et la contemplation, la promiscuité sexuelle et la vénération du « semen virile » et des « parti pudende » (appelées aussi souvent « vergognose » ce qui en dit long sur la mystification culpabilisante de l’époque). Ricasoli affume : Dio esser in tutte le parti dei corpo ma particolarmente nelle pudende(89) ; pour les molinosistes, elles sont « sante e sacrosante », pour les hérétiques de Naples condamnés en 1615, mieux, prenant le contre-pied de Tertullien, l’organe sexuel féminin, de « porta inferi »(90) qu’il était, devient porta dei paradiso… paradisus et locus orationis(91). N’oublions pas que pour le tantrisme c’est le feu où l’on sacrifie.

Les accusateurs mentionnent la présence d’un groupe de filles très jeunes supervisé par une femme aux fonctions privilégiées, secondant le maître spirituel, la mûdra en termes tantriques, et qui semble la prêtresse de ce temple. Toutes les communautés de « nuovi contemplativi » offrent les mêmes caractéristiques (Suor Giulia à Naples, Faustina Mainardi à Florence dans la secte de Ricasoli, Maria Cristina di Rovoles et Suor Geltruda Maria Cordovana à Palerme, etc.). Ces constantes reproduisent les schémas tantriques : indispensabilité du guru, sacralisation des fonctions naturelles (sexe et nutrition) dans l’exercice du pancatattva. Or les quiétistes, et Molinos en particulier, étaient opposés au jeûne et à l’ascèse ; l’un d’eux partage un pigeon avec l’assistance, ils confèrent à l’acte sexuel (maithuna tantrique) une valeur rituelle équivalant à l’unione con Dio. Suor Giulia pratique ainsi « la communicatione dello spirito », « parlando enigmaticamente » disent les « minutes », procès « di cosa occulta », ce qui laisse supposer une doctrine réservée à des initiés che non si poteva intendere dal più elevato ingegno di teologo(92).

Pour les Upanishads, l’étreinte consciente, non lascive est action sacrificielle ; l’union de l’homme avec la femme correspond à celle du Ciel avec la Terre ; elle fait recouvrer l’état paradisiaque de l’homme primordial. Le Kulârnavatantra (I, 33) incite le vîra à être ferme d’esprit et de volonté, à purifier et maîtriser ses sens. Or Ricasoli et Molinos, pour n’en citer que deux, s’unissent consciemment, sereinement à celle qui incarne la Çakti, dirions-nous. Elle doit être entièrement nue, mais dans une sorte de gradation où les implications rituelles et symboliques sont évidentes. Incarnation de la femme absolue, au pouvoir dangereux ; aussi l’usage en est-il limité à ceux qui ont atteint un degré supérieur. Ce dont a conscience un molinosiste : prendev(a) in orrore parti tanto pregiudiziali all’huomo, per le quali si perdono tanto infelicemente(93). Comment ne pas voir là un écho de l’avertissement du Prapancasarâtantra (XVIII, 2) pour une parfaite maîtrise de soi à tous les stades de l’étreinte afin de ne pas se perdre dans la volupté, ou des mises en garde vajrayâniques contre l’abus des pratiques sexuelles. À l’instar des troubadours, le vîra doit éduquer le désir. Con l’animo lontano da ogni dilettazione sensuale e sem pre con tremore accostando (si) a quelli atti (notons le tremblement que provoque la présence du dieu), « si super a il vitio della carne » peut-on lire dans les documents relatifs au procès de Ricasoli et de ses disciples. « Il senso in tanti e tante ha fatto il callo » reconnaît la satire vénitienne (cf. note 65).

Culte du semen, avons-nous dit : en effet, celui de l’homme, mais aussi à des degrés moindres, de la femme, ce qui n’est pas sans analogie avec celui du bindu et du rajas, symboles de la Lune et du Soleil dont l’union donne un corps parfait et transcende tous les contraires. Chez les quiétistes, le semen ainsi que les parties sexuelles possèdent des pouvoirs thaumaturgiques (Ricasoli et Suor Giulia guérissent ainsi les maux d’yeux et d’estomac). (Déjà les Basilidiens et les Carpocratiens pratiquaient le culte du logos spermatikos). Ricasoli possède des siddhi (pouvoirs surnaturels) qui lui permettent de se transférer magiquement d’un lieu dans un autre, de franchir des murailles, son corps dégage un parfum délicieux : havevi ottenuto da Dio il do no della purità, e che in segno di cio dal tuo capo usciva odore e fragranza, la quale affermavi che restava nelle persone quali stavano teco e pratticavano con te e pero quando la Faustina era stata in tua compagnia, mandavi le fanciulle da lei, accio partecipassero quell’odore e fragranza, e restassero libere dalle tentationi (sentence du procès de Ricasoli). Nous pensons pouvoir faire le rapprochement avec une siddhi obtenue, si l’on en croit la Yogatattva Upanishad, grâce à la « rétention du sperme ». Une odeur agréable enveloppe tout le corps du yogin. En effet, pour accélérer l’ascension de la kundalinî, certaines écoles tantriques et taoïstes ont combiné l’immobilité du souffle, de la pensée et du semen dont font état la Goraksa-samhitâ (61-71), et la Hathayogapradîpikâ (III, 42-43, 85, 87-90). Ainsi l’orgasme est détaché de sa conditionnalité physiologique et son point culminant… se transforme, donnant lieu à une fulguration qui brise les limites de la conscience finie et conduit à la réalisation de l’Un(94) ? C’est aussi atteindre la maîtrise de l’énergie séminale – non sans quelque rapport avec l’ambroisie – qui symbolise la volupté non engendrée du couple divin, de Çiva et de Çakti, c’est-à-dire volupté sans fin, soustraite à la contingence de l’orgasme (c’est le samarasa : identité de jouissance donnant la domination sur la mort et le temps). Les termes de « pollutio involuntaria » reviennent trop souvent parmi les chefs d’accusation des sentences inquisitoriales pour qu’on ne soit pas en droit de rapprocher cette notion des pratiques ci-dessus. Succedesse in pollutione casualmente e involontariarmente non si commetteva peccato, e non s’intende la pollutione colla vol ont à, ancorchè gli atti ne fossero cagione, lit-on dans les « minutes » du procès de Ricasoli. Pour le Carme déchaux, fra Pier Paolo di San Giovanni Evangelista(95), la pollutio effective était une mortification voulue par Dieu ; elle est ressentie comme une humiliation, un échec, une chute dans le monde imparfait, corruptible, dans la volupté vulgaire du débauché, dirions-nous.

En définitive, cet orgasme relève d’une métaphysique qui refuse de définir la réalité ultime autrement que par la conjonction des contraires. Cette coinddentia oppositorum se déchiffre dans l’union rituelle du vîra avec de jeunes vierges qui y gagnent un renforcement de leur virginité, ce qui peut faire sourire un Occidental non averti de la nécessité tantrique de réintégration des polarités, et qui horrifiait les juges inquisitoriaux [le donne da te godute erano restate poi come la Vergine nella Sua Santissima Purità (ms Vat. Lat. 7415, ff. 199-203), sverginamenti di donzelle le quali erano assicurate da Suor Giulia quelli atti esser senza peccato akuno, ma meritorij di vita eterna (procès de S. Giulia, op. cit.)]. Des jeunes filles interviennent en effet dans le rituel tantrique, dans la mesure où elles ont moins de vingt ans, car selon le Mahamudratilaka, les autres n’ont pas de pouvoir occulte. Mais les femmes-épouses rituelles des Quiétistes étaient sensiblement plus âgées car, on l’a vu, elles jouaient un rôle différent.

Dans cette perspective, les actes relevant de sacrum sexuel ne sont pas considérés comme des fautes : Si hanno per impeccabili anzi i loro peecati si guardano come effetto di merito, écrit Bartoli à propos des brahmanes. On croit lire la condamnation cent fois consignée dans les registres de l’Inquisition. « Esenti da ogni legge »…, ils commettent « lordure d’ogni più nefanda laidezza »(96). La terminologie moralisante du Seicento recoupe et recouvre exactement les deux idéologies que nous avons tenté de mettre en parallèle. Ce qui ne ferait que confirmer notre thèse de l’imprégnation.

Au terme de cette étude, plusieurs remarques de portée générale viennent à l’esprit. En vertu de la corrélation du macrocosme et du microcosme, la conquête de soi est aussi conquête de l’univers. Il y a, chez l’homme baroque, un double reflux, de l’extérieur vers l’intérieur, puis en sens inverse, pour une reconquête d’un univers tel qu’il est apparu depuis peu aux consciences qui ont besoin d’autonomie. L’Église ne fait plus autorité en matière de morale, l’homme peut se passer de l’intermédiaire sacerdotal (le quiétisme est, d’ailleurs, comme le catharisme. sérieusement poursuivi lorsqu’il menace de devenir un schisme). Certains fidèles, et des prêtres aussi nous l’avons vu, éprouvent le besoin de prendre leurs distances à l’égard de la main de fer, sans gant de velours de l’Église de ce « siècle de fer ». Oui, il fallait trouver une « pitié illimitée pour la condition humaine », pour reprendre les termes de M. Castan.

L’hérésie, ce mouvement endémique des consciences, apparaît en général dans le creux laissé par une spiritualité déficiente. L’Église avait failli. L’inadaptation des structures mentales constitue un humus où se développe plus facilement le quiétisme. Tout est en crise (Odette de Mourgues avait parlé ici, aux Journées de 1968, d’« une métaphysique des lambeaux »). On refuse à l’homme du XVIIe siècle toutes les formes de relation (les raisons de désespérer sont nombreuses, nous l’avons vu), la réalité est répressive, les consciences sont confisquées. Dans un monde, dans une société extrêmement contraignante où se déchaîne nt toutes les formes de violence, l’homme fragilisé, mutilé de la Contre-Réforme prend conscience du non-sens de la Nature, de ses limites, aussi, qui reculent avec toutes les nouvelles découvertes tant géographiques qu’astronomiques et aussi anatomiques (importance de l’apport italien en matière de biologie et d’histologie). Tout cela a été évoqué excellemment au cours de ces Journées. Chez cet homme déconcerté, « décentré » comme l’a dit M. Krynen, s’ébauchent un mouvement de repli à l’intérieur de lui-même, un besoin de face à face avec Dieu et de retrait de l’enjeu social qui pourrait peut-être expliquer cette trop fameuse « vigliaccheria », longtemps étiquette infamante épinglée sur le Seicento. Comme, de toute évidence, Dieu est absent de la réalité extérieure, il faut bien le chercher dans l’intériorité. M. Roger a dit en ouvrant ces Journées, « Si le centre est partout, l’homme ne sait plus où il est », à plus forte raison Dieu. Ou alors dans le grand Tao, ou dans ses homologues bouddhiques ? Car c’est en définitive en lui-même que l’homme trouve l’infini, c’est-à-dire le vide, ce Grand Vide qui est partout, et cette certitude le rassure.

Affronté au problème du désir, cette source d’amertume(97) dont l’Église tente de prémunir autoritairement ses enfants, le quiétiste veut aller au-delà des tabous. L’amphibologie (sacré ou impur) de ce terme ne manquera pas de nous frapper. C’est précisément en vivant cette dualité que le quiétiste prend le contrepied de l’interdit, le transgresse. Il supprime le désir, éteint le « fomite » [procès des frères Leoni (Vat. lat. 13.153, f. 316)] en le transcendant. Réconcilié avec la sexualité, il atteint une profonde expérience du mystère métaphysique de l’entité unique qui s’est dédoublée en se multipliant. Ainsi, si le désir fut à l’origine de l’univers selon la pensée orientale, c’est par ce même désir que le multiple redevient un. L’homme, à l’aide d’une discipline intérieure librement choisie et acceptée, sacralise ce qui était péché (le poison par le poison), et fait de la sexualité un échange circulaire homme Nature jusqu’à réaliser l’anthropocosmos. L’exil intérieur de cet homme traqué à la recherche, à l’origine, d’une hygiène mentale, finit par déboucher sur une théandrie.


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Notes de Geneviève Duval-Wirth

1. Abbé Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. XI, Le procès des mystiques, Paris, 1933, pp. 3-56.

2. G. Burnet, Première lettre écrite de Rome au sujet des quiétistes, Cologne, 1688, p. 123.

3. Lettre de Molinos, 28 janvier 1680, in ms Casanatense, 310, f. 483.

4. Massimo Petrocchi, Il quietismo italiano del Seicento, 1948, p. 17.

5. P. Dudon, Le quiétiste espagnol, Miguel Molinos, Paris, 1921, pp. 45-48.

6. J. Paquier, Qu’est-ce que le quiétisme ?, Paris, 1910, p. 29.

7. Olivier Lacombe, in Les philosophies orientales, in Soc. nouv. de l’Encyclopédie française, Larousse, 1957 (19. 52. 10).

8. Pour Kennedy, l’origine indienne des idées de Basilide ne fait aucun doute, cf. The system of Basilide in Journal of the Royal Asiatic Society (1902), pp. 377- 415.

9. Giacinto Gigli, Diario romano, a cura di Ricciotti, 1958, pp. 35-36.

10. Dans le ms Ottob. lat., 1753, f. 54 ; une allusion à la Chine (f. 53). D’où vient le « passatempo desonesto… Zonto a metafisica si fina ».

11. Cf. Etiemble, Les Jésuites en Chine, la querelle des rites (1553-1773), Julliard, 1966.p>

12. M. Percheron, Le Bouddha et le bouddhisme, Seuil, 1956, p. 80.

13. Chanoine Pandolfo Ricasoli, Osservationi celesti con le quali s’insegna il modo facile e breve… per l’acquisto della Perfetion Cristiana…, Firenze, 1632, in-8°.

14. Guiseppe de Luoa, Letteratura di pietà a Venezia, dal ’300 al ’600, a cura di V. Branca, Venezia, 1963.

15. Nous puiserons nos références dans la réédition (cf. Guide spirituel, Arthême Fayard, 1970) de la traduction française anonyme de 1688 in Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme et les quiétistes, ses sentiments et ses disciples (Amsterdam). Le titre de l’édition en espagnol était : Guia espiritual que desembaraza al alma y la conduce por el interior camino para alcanzar la perfecta contemplacion y el rico tesoro de la interior paz.

16. Guide, sect. iv, § 27.

17. Ibid., § 28.

18. Ms. Vat. lat. 13. 153, f. 325.

19. Tao Tö King, préface d’Etiemble, Gallimard, 1967, LXXI, Molinos (seizième proposition du Ms. Vat. lat. 13.153, f. 322) affirme, comme en écho : Non bisogna voler conoseere niente, chi vuole ’arrivare allo stato dell’ Incomprensibilità.

20. Guide, liv. I, ch. I, § I. « Non bisogna conoscere Dio », dit la 19·prop., op. cit.

21. Guide, liv. III, ch. XX, § 198.

22. Ibid., liv. I, ch. I, § 2.

23. Tao Tö King, XV.

24. Cf. L’Asia in Prose scelte di D. Bartoli e Paolo Segneri, a cura di M. Scotti, U.T.E.T., 1967.

25. Guide, Liv. I, ch. vii, § 2.

26. Entretiens de Lin-Tsi, traduits du chinois et commentés par Paul Demiéville, Fayard, 1972, § 12 (a).

27. Ibid., § II (d). Si l’on veut hâter le processus de délivrance, il faut éviter d’accroître le résidu karmique et raccourcir ainsi la chaîne des réincarnations.

28. Op. cit., § 3 (a).

29. Guide, sect. i, § 6.

30. Op. cit., § 13 (a).

31. Guide, liv. I, ch. IV, § 29 et 31.

32. Cité par M. Percheron, op. cit., pp. 32-33. Ce « dégoût » n’est pas sans analogie avec la « nausea » et la « svogliatura » du second baroque.

33. Guide, sect. I, § 7.

34. Ibid., sect. II, § 15.

35. Ibid., liv. III, ch I, § 6. On notera la curieuse construction en ondes concentriques du Guide : la pensée s’élargit à la manière des remous provoqués par pierre jetée dans l’eau, ce qui est loin de la méthode discursive chère à l’Occident.

36. Allan W. Watts, Le bouddhisme Zen, Payot, 1969, p. 36.

37. Guide, liv. III, ch. xix, § 193.

38. Ibid., liv. I, ch. III, § 24. Dans le ms. Vallicelliano, p. 177, f. 44 : tutto il sensibile e il conoseibile è impedimento per unirsi… a Dio.

39. Ibid., liv. I, ch V, § 35.

40. Ibid., liv. I, ch. IV, § 43.

41. Ibid., liv. III, ch. VII, § 61.

42. Cité par A. W. Watts, op. cit., à partir de H.-A. Giles, Chuang-Tsu, Shangaï, 1926, p. 281.

43. Michèle Cicogna, Fiamme dell’amor divino, Venetia, 1678, soliloquio I.

44. Ce motif voluptueux de l’« annegamento » nous semble avant-coureur du fameux vers de l’Infinito de Leopardi : E il naufragar m’è dolce in questo mare.

45. Ibid., soliloquio IV, ce qui n’est pas sans analogie avec l’Ogdoade, état d’identité suprême chez les gnostiques, auquel correspond, dans le tantrisme, le sahasrâra, lieu qui n’est plus un lieu, où il n’y a plus d’ici et de non-ici, qui est le Grand Vide, où il n’est plus que calme illumination, comme dans un océan immense (Kulârnava-tantra).

46. O. Lacombe, op. cit., 19, 52, II.

47. Op. cit., soliloquio XI.

48. Op. cit., soliloquio iv. Notons le rythme à tendance hendéeasyllabique de cette vibrante période à noyau irradiant et cette « fuite en avant » très baroque.

49. Ibid., soliloquio IX, pp. 29-30.

50. E. Conze, Le bouddhisme, Payot, 1971, pp. 193-194.

51. Fiamme…, soliloquio XI. Pour Cicogna, l’âme est éternelle, non immortelle comme dans le christianisme.

52. O. M. Petrucci, Stanza di Giesù in Poesia sacre e morali, Venetia, 1681, pp. 271- 273.

53. Guide, sect. ii, § 12.

54. P. 179, alla Vallicelliana. Rappelons que l’« excessus mentis » est une notion néo-platonicienne déjà présente chez Giordano Bruno.

55. Ms. Vat. lat. 13.153, pro 16, f. 322.

56. Ibid., pr. 66.

57. Ibid., pr. 5.

58. Cf. Dictionnaire de théologie catholique, art. Molinos, col. 1561.

59. Ms. Casanatense, 310, f. 483. Cf. B. Dotti : Cio che in carta mai non lessi, sat XVII, ed. 1797, p. 81.

60. Sect. iv, § 27-28. Cf. aussi B. Dotti, sat XVII, op. cit. : fisica morale… fondata sul naturale (souligné par nous).

61. Cf. la maxime de Paolo Sarpi, la menzogna mai mai, la verità non ad ognuno, citée par R. Pecchioli in Introd. Istoria del Concilio di Trento, 1966, p. 23.

62. Sect. 14-15.

63. Cf. Yogakumdalinî Upan, in op. cit., J. Varenne, p. 99, st. 50.

64. Ms. Ottob. lat. 1753 : Gli abusi più detestabili dei nostro tempo. Sa tira venetiana del cacciatore, f. 53.

65. Cf. ms., p. 179, alla Vallicelliana, f. 33.

66. Cf. Mircea Eliade, Le Yoga, immortalité et liberté, Payot, 1954, p. 261.

67. Cf. op. cit., J. Varenne, p. 83.

68. Il s’agit du Carme Déchaux, P. Paoli, qui abjura le 26-11-1968, cf. ms. Vat. lat. 7.415, f. 199

69. Cf. travaux des Drs Brosse et Filliozat.

70. Kausîtaki-Brâhmana Upan, II, 5.

71. Ms. Vat. lat. 13.153, f°339.

72. Op. cit., XXVII, 13, p. 234. On perd en même temps « i sensi del corpo ».

73. Cf. Yoga-Sûtra, III, I.

74. Sect. III, § 20.

75. Sect. II, § 17.

76. Fiamme… (soliloquio xxxviii, p. 119).

77. Liv. III, ch. XXII.

78. Ibid., liv. iii, ch. XVIII, § 175.

79. Ms.Casanatense, 310, f. 291.

80. G. Duval-Wirth, Aperçus sur la crise morale dans l’Italie du Concile de Trente à la fin du XVIIe siècle, in Baroque, n° 6, 1973, pp. 149-159.

81. Davano tutto al senso e niente a Dio, cf. ms. 165, f. 3 (Bibliothèque du Senato della Repubblica italiana).

82. Guide, liv. I, ch. X, § 61. Marquant une régression jusqu’à une conception primitive de la religion à visée propitiatoire.

83. Cf. notre étude : La mise en accusation de la justice dans la littérature italienne du XVIIe siècle, in Revue des Études italiennes, n°1, janv.-mars 1970, nouv. série, t. XVI, pp. 5-48.

84. dharma : loi, vérité, véritable nature d’un être.

85. Le hatha-yoga s’appuie sur la doctrine de la corporéité intégrale et de ses correspondances macroscomiques, sous forme d’une anatomie et d’une physiologie occulte. Les principes et les forces élémentaires du monde, les bija et les devâta, sont présents dans le corps, dans une série de centres appelés çakra (roues) ou padma (lotus) localisés le long de la colonne vertébrale qui reproduisent l’ordre de la manifestation. La çakti primordiale présente en l’homme est la kundalini qu’on représente sous la forme du serpent et qui est enroulée, c’est-à-dire qu’elle est à l’état latent. C’est le pouvoir à la racine de toute manifestation et elle « dort » dans le mûlâdhâra çakra, centre situé dans le plexus sacré. Ce sommeil symbolise l’état de dualité, le monde samsarique. D’après le Mahânirvâna-tantra, VII, 35-36, la conditions humaine est celle où la Çakti, qui tranche les liens du désir, se manifeste en même temps sous la forme du désir (kâmâ). Pour plus ample information, cf. Arthur Avalon (Sir John Woodroffe), La puissance du serpent, Dervy-Livres, trad. 1950.

86. M. Eliade, Patanjali, Seuil, 1962, p. 232 ; cf. R. H. Van Gulik, Sexual life in Ancient China, Leyde, 1961 ; cf. H. Maspero, Le taoïsme et les religions chinoises, Gallimard, 1971.

87. Ms. Casanat, 310, ff. 283 e sgg.

88. Op. cit., p. 241.

89. Ms. O. V. 5, Bib. Naz. di Torino, f. 59, cf. aussi ms. 977 (60), Fonda S. Lorenzo in Lucina, f.102, Notion qu’on trouve déjà dans la littérature apologétique, mais qui est réactivée au XVIIe siècle.

90. Cf. De cult. feminarum, I, § I.

91. Ms. O. V. 5, Torino, f. 51.

92. Ibid., f. 51.

93. Ms. Vat. lat. 7.415, ff. 201-202.

94. J. Evola, Le yoga tantrique, Fayard, trad. 1971, p. 202.

95. Ms. Vat. Lat. 7.415, ff. 199-203.

96. Asia, in op. cit., p. 240.

97. Cf. l’épigramme du futur Urbain viii contemplant la Daphné du Bernin, Quisquis amans sequitur fugitivae gaudia formae, Fronde manus implet, baccas seu carpit amaras.

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Notes

Geneviève Duval-Wirth, article : « L’influence de l’Orient sur le quiétisme italien », publ. in Baroque, 7 (Novembre 1974).