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Occultisme et religion
François Charles Barlet

Dans un de ses derniers numéros, l’Etoile Orient a dit les regrettables divisions qui paralysent le spiritisme ; ce n’est qu’aux spirites seuls que devait s’appliquer cette vigoureuse admonestation ; elle est méritée par tous ceux qui, sous le nom générique d’Occultistes, espèrent appuyer le spiritualisme sur les preuves tirées de la fréquentation du monde invisible ou de tous les phénomènes qui s’y rapportent. Le matérialiste, quand ils peuvent réussir à le convaincre, doit se trouver vraiment perplexe une fois entré dans leur camp, tiraillé qu’il y sera bientôt par maints apôtres différents, assailli et bien plus tourmenté par leurs dissentiments orageux qu’il ne pouvait l’être dans la société troublante, mais unie, du moins, du matérialisme. Sera-t-il spirite ? ou hermétiste ? ou théosophe? ou franc-maçon plus ou moins réformé ? ou de toute autre secte ou sous-secte encore ? car combien n’en trouvera-t-il pas ! et combien exclusives ou jalouses!

Simple défaut de tolérance, dit-on. Nous croyons le mal bien plus profond, mais plus facile aussi à guérir pour peu que l’on réussisse à le faire apercevoir. Sans doute les personnalités encombrantes ne manquent pas plus dans le monde spirite que dans tout autre, comme celui des artistes ou des savants, et elles n’y sont pas moins pernicieuses ; mais ici plus qu’ailleurs peut-être, elles constituent bien plutôt la manifestation consécutive et extérieure du mal que le mal lui-même.

Le mal véritable est que l’Occultisme, dans tout son ensemble, ne se comprend pas, ne se connaît pas, ne sait pas lui-même ce qu’il est : des phénomènes extraordinaires se sont manifestés, indubitables en dépit de tout scepticisme, de toute incrédulité première ; des instructeurs divers se sont présentés, plus ou moins autorisés, plus ou moins bruyants, plus ou moins séducteurs, on a couru vers les phénomènes, on a couru vers les instructeurs qui les commentaient ; mais pourquoi, dans quel but, vers quoi a-t-on couru ? On n’en sait rien, généralement, et le plus souvent on ne songe pas à se le demander sérieusement, se contentant de céder à l’entraînement qui charme le plus.

Qu’est-ce que l’occultisme dans la multiplicité de ses formes ? Religion, ou philosophie, ou morale, ou science, ou même simple accident morbide, comme beaucoup l’affirment ? Voilà la question maintes fois posée, rarement approfondie, parce que le sentiment domine ici la raison.

C’est à ce problème fondamental que l’on veut essayer d’apporter encore quelques considérations générales.

Laissons de côté la question de savoir si l’occultisme peut rentrer dans le cadre de la Science positive qui depuis plus d’un demi-siècle en est encore à en chercher ou à en contester les phénomènes les plus élémentaires ; ne discutons pas non plus ce que l’occultisme a pu ajouter à la morale ou à la philosophie ; c’est de la religion qu’il est particulièrement intéressant de le rapprocher de par sa nature même.

Les occultistes, en effet, se livrent presque tous à certaines pratiques religieuses ; la plupart recommandent le mysticisme ou s’y abandonnent ; en tous cas le but ordinaire de leurs exercices est de se mettre en communication avec le monde céleste, et quantité d’entre eux prophétisent ou pontifient.

Cependant une grande partie aussi se met en révolte ouverte contre leur religion avec la prétention non seulement de la critiquer ou de la réformer, mais de s"y substituer même, non seulement d’en discuter les dogmes, mais d’en remplacer le culte par leurs pratiques si confuses, si discutables, si peu comprises ! Aussi n’ont-ils pas manqué de se faire appliquer le vieil adage : « Quand Dieu n’est plus compris, les dieux inférieurs envahissent les temples et l’humanité. »

Au point de vue religieux, l’attitude des occultistes est variée ; en y faisant les distinctions nécessaires, on éclaircira déjà la question.

Quelques-uns conservent toute leur piété, tout leur attachement à la religion où ils ont été instruits, toute leur vénération pour son dogme, son culte, son mysticisme ; leurs études occultes au lieu de les troubler n’a fait qu’y ajouter une lumière nouvelle qui redouble leur admiration, leur humilité, leur attachement aux maîtres qui les instruisent. De pareils sentiments se révèlent, par exemple, dans des œuvres telles que : Dans les temples de l’Hymalaya ; — Au Sanctuaire, etc., de Van der Neylen ou l’Evangile de saint Jean, par Alta, et autres du même genre.

Un bien plus grand nombre d’occultistes troublés seulement par leurs études ou n’y trouvant qu’un appui à leurs préjugés, sont plus ou moins embarrassés dans leur attitude vis-à-vis de la religion ; les plus prudents conservent à son égard, à défaut de confiance, au moins une tolérance sincère, une attitude de recherche vraiment indépendante jusqu’à ce qu’ils réussissent à trouver, la lumière qu’ils attendent soit de la science, soit de la philosophie, soit de la religion. Plusieurs savants donnent l’exemple de cette sage conduite.

Il n’est pas assez suivi par le trop grand nombre d’occultistes qui, se sentant comme caressés dans leurs affections, leurs souhaits, leur amour propre surtout se hâtent de s’enfermer dans des doctrines précipitées, informes, qui ne servent qu’à multiplier ces divisions sectaires.

Quelques-uns enfin, plus égarés encore par les phénomènes troublants de l’occultisme, en font l’instrument de leurs plus mauvais instincts, bien heureux quand ils se contentent de demander à l’invisible, avec des pouvoirs qu’ils soupçonnent à peine, l’usurpation des titres les plus pompeux pour éblouir leurs auditeurs, bien heureux quand, par une aberration trop facile, et pour la perdition de leur être entier, ils ne se laissent pas tomber dans les bas-fonds de l’occultisme, c’est-à-dire dans les pratiques aussi ignobles que néfastes de la goétie et de la sorcellerie, abîmes véritables ouverts sous les pas de l’imprudent ou du déséquilibré.

On ne peut échapper à la descente dans cette hiérarchie dangereuse de l’occultisme qu’en examinant de son mieux ce qu’est la Religion, ce qu’est la Magie, ce qu’est précisément ce que nous appelons l’Occultisme.


La Religion, c’est d’abord la Vérité : la Vérité totale, la Vérité sur toutes choses et dans toute son étendue ; la Vérité quelle qu’elle puisse être ; voilà son essence, sa définition idéale pour ainsi dire, si bien formulée dans cet adage oriental :

« Il n’y a pas de religion au-dessus de la Vérité ».

Cette définition, personne ne la contestera, car il n’y a personne qui puisse mettre l’erreur ou le mensonge au-dessus de quelque sentiment que ce soit, sans avoir conscience que la Vérité le tuerait lui-même et pour l’éternité : il n’y a rien non plus que l’Homme sincère désire plus ni même autant que la Vérité ; il n’y a pas de Puissance devant laquelle il s’incline aussi évidemment que devant celle-là, parce qu’elle renferme en soi toutes les autres.

— Mais, va-t-on dire, cette définition n’en est pas une ; la Vérité totale nous est absolument inaccessible.

— Sans aucun doute, et elle nous restera, à jamais inaccessible, mais nous pouvons espérer l’apercevoir de plus en plus, bien plus nous sommes tous assurés convaincus que nous en pouvons approcher toujours et toujours, pendant l’éternité, pendant les siècles des siècles, et c’est précisément pourquoi il y a une Religion, c’est pourquoi la Religion est le moyen unique du bonheur suprême et éternel, car il n’y a pas de bonheur, en dehors de la Vérité, il n’y a pas de joie supérieure à la Vérité consciente et ressentie ; il n’y a pas d’amour plus ravissant que celui de la Vérité totale, il n’y a pas de stimulant supérieur au désir de l’atteindre ; il n’y a pas de volupté supérieure au sentiment qui ne doit jamais finir d’en approcher toujours, de s’en repaître toujours davantage et de ne s’en rassasier jamais.

La Lumière sur le sentier, cette perle orientale, dit encore : Tu entreras dans la lumière, mais tu ne toucheras jamais la flamme.

Désire seulement ce qui est hors d’atteinte.

Il faut en effet modifier notre première définition en disant, non : la Religion est la Vérité totale, mais plus : la Religion est le dévoilement progressif, la Révélation successive et éternelle de la Vérité totale !

Il en résulte plusieurs conséquences essentielles :
La Religion est toujours vraie ;
La Religion est progressive et multiple ;
La Religion ne va pas sans culte pratique extérieur.

Trois points qu’il est indispensable de démontrer en détail si l’on veut comprendre ce qu’est l’Occultisme.

***

Rien n’existe que la Vérité, rien ne subsiste inattaquable, indestructible, invariable en dehors d’elle ; c’est ce qu’exprime l’inévitable fixité de ce que nous appelons les lois de la Nature. Comme tout être doué d’une certaine dose de spontanéité, nous pouvons nier ces lois un instant, nous pouvons tenter de leur résister, de les violenter, nous sommes toujours vaincus par elles ; toujours nous finissons par leur obéir de gré ou de force, même quand nous croyons nous en défendre en les opposant les unes aux autres. À peine avons-nous découvert quelque fragment infime de la Vérité une et totale, que nous croyons la posséder toute entière, mais nous n’avons pas plus tôt mis en œuvre notre pauvre science que la masse de notre ignorance nous accable sous la Fatalité de l’inconnu ; notre industrie ne progresse, ne se soutient même, qu’au prix d’efforts ininterrompus et bien plus intellectuels que physiques.

La terre nous retient ; nous croyons lui échapper en sautant ; c’est à peine si elle nous permet de nous élever un instant ; les tours les plus hautes, les monuments les plus gigantesques que nous puissions ériger pour atteindre les hauteurs où’ nous aspirons sont bientôt la proie du temps si nous n’avons soin d’en combattre incessamment les ravages. Nous avons appris à nous faire enlever par des corps plus légers que notre atmosphère ; nous commençons même à nous y soutenir malgré notre poids, mais c’est toujours en vertu de lois naturelles que l’expérience ou l’instinct nous ont révélées plus souvent encore que nos propres efforts. Nous oublions trop aisément que notre marche, que notre station droite elles-mêmes ne sont dues qu’à des efforts incessants contre la gravitation, chacun de nos pas est une chute, il n’est pas un de nos mouvements qui ne soit un acte de soumission à la Nature, à la Vérité une et indestructible.

Nous ne vivons que par une lutte incessante, infatigable, contre le Mensonge, et encore ne sommes-nous pas les plus forts, puisque la Mort finit toujours par nous terrasser. C’est que le Mensonge n’est autre chose que la tentative de l’Impossible, la révolte du Néant contre l’Etre, l’insurrection de l’orgueil contre ce qui seul est et peut être, contre la Vérité.

Il peut vivre un instant ; il peut varier ses efforts, multiplier ses essais ; si désespérés qu’ils puissent être, la Fatalité de sa naissance le condamne à les détruire lui-même, et constamment fils du Néant, il retourne inévitablement à lui ; il ne peut vivre que de la Mort et par la Mort.

C’est pourquoi il est vrai de dire que « tout est illusion » sur notre terre où la Mort règne encore en Maîtresse ; tout est illusion sauf la Vérité qui seule existe, immuable, toute-puissante, infinie et éternelle !

Cependant le monde est fait en but de la Vérité, non pour le Mensonge ; tous les êtres qui le peuplent n’y sont que pour la percevoir, pour y participer, pour en jouir et pour en faire jouir les autres, en la dévoilant, en la répandant, en la réalisant, ce qui est le plus grand bonheur. La contemplation pure ne peut nous satisfaire, nous voulons vivre par nous-mêmes, nous voulons être des Puissances, nous aussi, nous voulons agir, créer, et nous ne sommes vraiment satisfaits, nous ne triomphons réellement que lorsque nous avons réalisé quelque chose de durable ; en toutes choses nous aspirons vers l’infini, vers l’immortalité. Agir, pour nous, c’est réaliser la Vérité, c’est travailler pour l’Eternel.

Comment douc se peut-il que nous nous débattions dans la souffrance, dans le Mensonge, contre la Mort et l’illusion ? C’est qu’il n’y a pas d’existence véritable, de perception, de bonheur sans conscience ; pas de conscience sans spontanéité, sans responsabilité, pas de joie sans amour librement consenti. Que serions-nous si notre rôle se bornait à servir d’instrument purement passif à l’expression de la Vérité ? Rien de plus que ce que semble être pour nous la matière inerte que nous plions à tous nos besoins, c’est-à-dire quelque chose d’inexistant par soi-même, d’immobile, d’insensible, la représentation la plus complète du Néant, autant que le Néant peut être représenté, l’état le plus antipathique à notre nature essentielle. Que serait l’existence de la Vérité elle-même si elle n’avait formé qu’un monde aussi inerte, aussi insensible, pour s’exprimer ? Elle ne trouverait partout que son propre désir, sans expression véritable ; semblable à une force sans point d’appui, elle perd l’ait toute espèce de réalité, elle ne serait plus elle-même qu’illusion, que Néant. Et le Monde existe, et le Monde désire et le Monde vit, c’est-à-dire aspire à l’action perpétuelle, et le Monde veut vivre indéfiniment !

Il y a donc en face de la Vérité quelque chose qui aspire vers elle, qui la perçoit, qui la désire, quelque chose qui n’est pas elle et qui l’aime de tout son être, qui n’aspire qu’à s’assimiler avec elle.

C’est que la Vie n’est pas seulement l’action, mais surtout l’action d’amour ; le Mensonge seul aime l’action de haine et de destruction.

La Vérité n’existe que pour être perçue, aimée, réalisée ; non par contrainte, non fatalement, mais librement, dans la joie et l’admiration consciente. Elle se donne à qui se donne, et leur union est le but réel du Monde appelé par elle à la Béatitude Eternelle.

Cependant il n’est pas possible non plus que la Vérité se livre toute entière et immédiatement au Monde plus qu’il ne lui était possible de subsister seule dans l’infini sans être absorbée par le Néant : une force qui se trouve en présence d’une résistance égale à elle-même ne se manifeste pas plus qu’une force qui s’exercerait dans le vide. Ainsi livrée elle disparaîtrait tout entière dans le Monde et, sous sa forme, se trouverait aussi seule que si elle n’eût pas agi. Il n’y aurait ni conscience, ni vie, ni existence réelle, rien n’échapperait à l’immobile impuissance du Néant.

Il n’y a de vie que dans la Trinité de l’amour où chacune des personnes s’unit à l’autre pour la manifester dans et par un troisième être en qui chacun des deux se retrouve dans l’amour de l’autre. C’est ainsi que le Monde Vrai est l’union persévérante, acceptée, désirée, harmonieuse de l’Etre infini à l’infini Non-Etre,

de l’Expansion idéale, ou Vérité, à l’infini Désir d’existence éternelle ; union qui pour être infinie et réelle ne peut s’accomplir que dans l’Espace et dans le Temps.

La Vérité ne pourrait pas être sans la forme individuelle et transformable, sans la loi suprême de la vibration où l’Etre et le Non-Etre s’exercent tour à tour pour se connaître et s’aimer toujours davantage ; l’Infini ne pouvait se réaliser, vivre de la vie d’amour que par l’activité mobile et variable de l’indéfini renouvelé dans et par la forme individuelle.

La Vérité ne pouvait pas vivre non plus sans la spontanéité limitée mais croissante de la créature individuelle, parce qu’elle ne pouvait pas vivre sans amour, et la spontanéité ne pouvait être sans responsabilité, sans la faculté pour l’être individualisé dans la forme de se refuser aux sollicitations de la Vérité, de tomber dans le Mensonge, dans l’erreur et dans la Mort.

Nos erreurs, nos chutes, nos mensonges ne sont que des aberrations excessives de cette soif inextinguible de l’immortalité vivante vers laquelle la Vérité nous convie, sans cesse mais que nous ne pouvons jamais réaliser sans elle.

Ainsi donc, la vérité seule existe, est seule réelle ; mais elle n’existe, elle ne vit, elle ne se réalise que par l’être individuel, formel, qui se développe indéfiniment dans 1’infini de l’Espace et du temps ; l’être individuel de son côté ne s’arrache au Mensonge que par l’amour de la Vérité, par le désir d’être et de persister.

Il faut donc que le désir soit d’abord excité. Il a fallu que la Vérité aille éveiller l’être individuel, jusque dans les ténèbres du : Néant ; il faut qu’à chaque instant encore elle vienne s’offrir à sa vue, à son choix, à sa liberté, en face des séductions du Mensonge.

De tous temps, depuis l’origine mystérieuse du Monde perdu dans la nuit des siècles, jusqu’à l’infini des ans à venir ; depuis jamais, jusqu’à toujours, il a fallu, il faut, il faudra que la Vérité se dévoile pour être aimée.

De tous temps il faut une révélation.
De tous temps elle fut, elle est, elle sera la condition de la Vie réelle.
Et cette révélation c’est la Religion.
La Religion est l’acte de la Vérité qui se dévoile aux yeux de l’Ignorance pour y faire naître l’Amour et la Science.

***

Ici se présente une difficulté sérieuse qui doit nous arrêter : une révélation est nécessaire ; elle existe et a toujours existé, mais puisqu’elle ne peut être que progressive, successive, toujours finie, par conséquent elle ne comprend pas la Vérité toute entière ; elle n’est donc encore qu’une illusion, et rien n’existe que l’illusion.

Il en est ainsi, en effet, de notre Science bornée, imparfaite, toutes les fois que nous prétendons lui attribuer l’infaillibilité incompatible avec l’infirmité de notre nature d’êtres créés, d’individualités qui n’ont pas en soi l’essence même de l’Etre. Oui, notre science humaine, si étendue qu’elle soit et qu’elle puisse être, n’est qu’une illusion dès qu’elle prétend posséder en soi toute la Vérité, dès qu’elle se sépare de la Révélation, c’est-à-dire de la source même de Vérité. Aussi est-ce à cette conclusion qu’aboutissent les réflexions les plus approfondies de nos philosophes dès qu’ils prétendent trouver toute Vérité dans le miroir si mal poli de notre entendement ; c’est la conclusion logique de Kant et de son école ; elle entraîne à sa suite tous ceux qui se refusent à la Révélation traditionnelle : sensualistes, matérialistes, positivistes, pessimistes et autres analogues, en majorité à notre époque toute gonflée de l’orgueil de ses découvertes, égarée dans l’illusion capitale de se croire l’auteur des merveilles qu’elle arrive si péniblement à percevoir.

Oui, la Science limitée aux bornes de l’Esprit humain n’est qu’une illusion, un mirage ; admirable peut-être, mais qui se transforme et s’évanouit à chaque pas que l’humanité fait en avant ; vérité le jour, erreur le lendemain, vanité aussi cruelle pour celui qui y a foi que la vision où le voyageur haletant dans le désert aperçoit un instant, pour la perdre aussitôt, la source verdoyante qui va lui rendre la vie.

Mais cette illusion inhérente à l’incurable infirmité de notre origine n’entache jamais la manifestation réelle de la Vérité. Essentiellement indivisible, elle se retrouve toute entière dans chaque partie du Cosmos, dans chacune des individualités qui le composent, dans chacun des mouvements de la vie qui l’anime : « Tout est dans tout » et cela de deux manières :

Par l’effet même de son unité indivisible,
Et par l’existence d’une Puissance spéciale qui en assure la persistance.

Par l’effet de l’Unité idéale : car tout dans l’Univers, depuis son ensemble total jusqu’au plus infime de ses atomes, est régi par une loi unique, fondamentale qui renferme en soi toutes les autres, celle que la Révélation a toujours enseignée à travers les siècles comme la Loi des lois ; la Trinité, résolutrice de la dualité par laquelle l’Unité se distingue pour se manifester. De la Trinité sort en effet, par le quaternaire et le quinaire, toute la série des nombres et avec eux toute celle des Formes et toute la Vie qui les traverse ou les manipule. C’est, comme on le sait, une de ces parties capitales de la Révélation que la faiblesse de notre esprit nomme Mystères, mais dont la profondeur l’étonne chaque jour davantage à mesure qu’il apprend à en mesurer l’abîme.

Quand la science humaine se fonde sur la Trinité, le brouillard illusoire qui l’enveloppait se dissipe, l’infini de son horizon se dévoile, elle apprend chaque jour de mieux en mieux que « Tout est dans tout », et que dans chaque parcelle il faut voir le Tout pour apercevoir la Vérité. La Science n’est plus illusoire quand elle est Religieuse.

Le Monde non plus n’est pas une illusion, sauf pour notre faible entendement humain quand il prétend isoler le Monde de la Vérité qui l’engendre. En soi il est l’expression perpétuelle de la Vérité même, parce que son identité à la Vérité unique est assurée par une Puissance universelle spéciale que la Révélation a appris à tous les siècles à révérer comme la Première et la plus pure de toutes les créatures : Adda-Nari, Isis, Cybèle, Eva, ou plus généralement la Vierge Céleste.

Expression de la Passivité universelle animée du désir d’Etre et soumise entièrement par l’Amour et la Foi à la Pensée Universelle, elle lui fournit le point d’appui sans lequel aucune Puissance active ne peut se manifester ; elle réalise la Vérité dans l’Espace et dans le Temps (C’est ce que le Christianisme exprime en représentant la Vierge comme l’épouse du Saint-Esprit.), par ce que nous appelons les Lois invariables et irrésistibles de la Nature, toutes dérivées de la Loi fondamentale trinitaire. C’est en son sein que toutes les créatures individuelles prennent naissance ; elle est la Mère commune de tous les êtres, terrestres, et, tant par le Désir sacré qui la caractérise que par l’esprit d’activité réalisatrice qu’elle incarne, elle donne à ses enfants, avec une Invincible aspiration vers la perfection infinie, la faculté précieuse entre toutes de se transformer selon ses propres lois ; c’est à elle qu’ils doivent de pouvoir s’approcher constamment, par l’évolution, de l’idéal qu’elle incarne pour eux, du Verbe créateur qu’elle leur manifeste.

C’est pourquoi l’ineffable mystère de la Vérité totale a toujours été représenté par Isis cachée sous les plis d’un voile que l’Humanité découvre petit à petit, mais que nul mortel cependant ne peut jamais réussir à arracher complètement. Exerçant toutes les fonctions providentielles dont elle est la représentation idéale, la Nature nous élève avec toute la sollicitude que peut inspirer un amour universel et pur comme le sien ; elle nous éclaire par l’expérience de sa sagesse ; elle nous soutient par sa foi ; elle nous dispute autant qu’elle le peut au Mensonge et aux terribles châtiments de la Fatalité attirés sur nous par la présomption de notre ignorance. En elle et par elle nous sommes toujours assurés de retrouver l’expression de la Vérité totale exactement mesurée sur notre incapacité actuelle, avec l’espérance de la voir se dévoiler davantage à mesure que nous écoutons les leçons magnifiques de son universelle Sagesse.

Enveloppés ainsi, pour ainsi dire, de la réalisation conforme à la Vérité, nous pouvons à notre gré, ou bien suivre avec la Nature les lois et la pensée de la Volonté suprême, pour la réaliser par notre activité, ou, à l’inverse, nous consacrer exclusivement à la satisfaction immédiate de notre pensée individuelle et finie.

Dans le premier cas, nous sommes sur le chemin qui conduit à la Vérité, notre bonheur va toujours croissant avec notre pouvoir et devient de plus en plus inébranlable.

Si au contraire notre égoïsme l’emporte sur notre dévouement, c’est l’illusion, le Mensonge que nous réalisons, et comme notre intérêt individuel ne peut jamais l’emporter sur les nécessités de la Vie universelle, nous suscitons les réactions de cette Puissance supérieure. Les Lois de la Nature qui devaient nous soutenir nous accablent et nous rejettent selon notre endurcissement ou dans la voie de la Vérité que nous avons méconnue ou même jusque dans les ténèbres extérieures d’où la Vie totale nous avait arrachés pour participer à ses joies ineffables.

Quelle que soit la sollicitude pour nous de la Nature, notre Mère universelle, elle ne peut nous sauver malgré nous, puisque notre amour doit être accordé comme le sien à la Volonté universelle, de plein gré. en pleine conscience, non par la surprise d’une foi aveugle ni par la contrainte, par la violence. La Nature doit obéir la première à la Parole sacrée qui a dit : « Quiconque n’est pas avec moi est contre moi ».

Notre liberté a ses limites dans la nécessité de la vie universelle qui l’enveloppe ; sollicités, secondés d’un côté par les Beautés et la tendance de la Nature, toujours vraie, nous devons être châtiés de l’autre dans nos révoltes ou nos erreurs, par les réactions implacables de la Fatalité, car la Fatalité n’est pas autre chose que la Vérité quand nous l’obligeons à rectifier l’illusion inséparable de l’ignorance individuelle.

C’est ainsi que se développent notre Désir de perfection et notre science de la Vérité, tantôt sous les douces caresses de la Mère universelle, quand nous savons ou que nous voulons lui obéir, tantôt par l’expérience, sous les rudes corrections du Destin et de la souffrance qui nous font sentir les dangers redoutables du Mensonge avant de nous abandonner à son néant. Mais ces deux formes extrêmes de la Providence, anxieuse de nous maintenir ou de nous ramener dans la voie de la Vérité, ne pourraient suffire encore si cette voie même n’était pas éclairée, si perdus et abandonnés dans le brouillard de notre ignorance nous n’avions que le hasard de nos efforts pour orienter notre marche progressive vers le but suprême. Il faut un troisième terme à l’aide que nous devons attendre de l’Amour divin ; ce troisième terme est celui de l’illumination qui répond à notre bonne volonté, de la Révélation incessante, de la Religion. Et notre faiblesse inévitable l’oblige à rester toujours enveloppée d’un voile qui ne se fait transparent que selon la mesure de notre vue bornée, mais toujours elle reste une et vraie sous l’atténuation de. ce voile mystérieux.

***

Voilà la Religion définie comme la Vérité totale, voilà expliqué comment elle peut être à la fois indivisible et progressive, voilà démontré comment elle ne cesse de nous disputer au vertige du Mensonge, aux abîmes du Non être d’où elle nous a tirés pour nous unir à elle-même, d’un amour éternellement croissant ; il faut voir maintenant quelle est la forme nécessaire de la Religion sur notre monde terrestre ; il faut expliquer ses imperfections et sa vie comme on vient d’expliquer celles de l’être humain.


La Révélation et l’attraction providentielles seraient promptement infirmées, perdues même pour l’Homme par l’effet de son libre arbitre et des erreurs qui l’égarent si facilement, si la Lumière divine n’était confiée qu’à la conscience individuelle de chacun de nous : elle serait bientôt dispersée dans la profondeur des ténèbres entretenues par l’ignorance qui y domine encore ; il faut donc que cette lumière soit, elle aussi, constamment renouvelée jusque dans les replis les plus obscurs, constamment représentée à toutes les âmes, même les plus égarées et les plus lointaines.

C’est à quoi ont pourvu toujours trois institutions sociales aussi nécessaires, aussi indestructibles que l’instinct Social lui-même : l’incarnation périodique de Messies divins ; la hiérarchie des sacerdotes, chargés de conserver et de répandre leur révélation, et le Culte religieux. Voici comment :

À l’ouverture de chacun des grands cycles qui partagent la vie de l’Humanité, un Messie divin, s’abaissant à l’état d’homme terrestre, naît au sein du peuple où son action sera particulièrement nécessaire, pour y déposer une certaine quantité de la Vérité totale, que les hommes devront s’assimiler pendant la durée du cycle nouveau et qui le caractérisera, comme une étape nouvelle dans la marche universelle vers la Vérité absolue.

Comme cette Vérité révélée dépasse infiniment la portée actuelle des esprits auxquels elle est offerte, elle est toujours enveloppée d’une triple garantie qu’il est important de noter : le Messie qui l’apporte donne d’abord des preuves certaines de sa supériorité surhumaine par ses actes prodigieux autant que par la sagesse extraordinaire de sa conduite ; elles attirent même si violemment sur lui les réactions des erreurs et du Mensonge égoïste que le sacrifice de son incarnation atteint, comme toutes ses manifestations, un degré de grandeur inoubliable, dette de honte que l’humanité devra racheter plus tard par l’éclat de sa propre conversion et la glorification de son martyre.

En second lieu, la révélation messianique est enveloppée d’une forme toute particulière nécessitée par la faiblesse des esprits qui la reçoivent ; cette forme est celle de la parabole, ou de la légende symbolique. Fondée sur l’analogie, c’est-à-dire sur l’unité fondamentale du Cosmos, elle renferme, sous les apparences les plus simples et les plus vulgaires toute l’étendue ou pour mieux dire tout le germe de la vérité qui ne sera développée tout entière que dans le cours progressif du cycle. Ainsi s’explique cette particularité si sensible aux esprits bornés, que tous les livres sacrés sont remplis de récits d’une simplicité presque enfantine, ou d’un caractère prodigieux inacceptable pour la logique de l’esprit à demi développé. En réalité, ces récits étranges, merveilleux, ou naïfs ne sont que la première écorce d’une enveloppe triple et quadruple sous laquelle est soigneusement renfermée la vérité révélée ; il appartient aux efforts de l’esprit humain de la faire épanouir dans toute sa splendeur. C’est ainsi que le germe unicellulaire d’où doit sortir le roi des forêts, magnifique et puissant, se trouve enfoui d’abord au fond de sa fleur si modeste, puis sous les multiples enveloppes ; de son fruit qu’un oiseau peut emporter sans peine, pour éclore ensuite au sein de la fermentation terrestre, se développer en s’alimentant de la substance même de la terre, s’épanouir majestueux dans l’atmosphère qui l’enveloppe et s’y perpétuer lui-même en générations fécondes.

Cependant ce germe précieux serait promptement étouffé par l’ignorance qui le reçoit, comme le premier jet de l’arbre naissant sous ; la profusion des ronces, si le soin de sa protection n’était confié à quelques hommes capables de l’apprécier et de l’élever. Le Messie s’entoure donc de disciples plus rapprochés que lui de l’humanité, mais plus élevés qu’elle vers le Monde divin ; ils restent après lui, quand son sacrifice terrestre est accompli, pour la confirmer au monde, pour faire prendre racine à la Vérité qu’il a fécondée, pour en préparer le développement futur par les institutions pratiques de la Religion et du Sacerdoce. À ceux-là le Messie peut dévoiler dans toute son étendue la Vérité qu’il apporte et les sens profonds des symboles qui la recouvrent, et ceux-là à leur tour, choisissant dans la foule du peuple les plus aptes à la comprendre, doivent annoncer au moins quelles splendeurs sont cachées sous les apparences informes des voiles extérieurs. Il faut que, dès le début, les populations apprennent des disciples que la révélation légendaire recouvre des mystères grandioses d’où l’Humanité doit attendre ses plus hautes destinées futures. Les mystères et la foi sont à l’origine et à la base de la Révélation, pour s’éclaircir en lumière de plus en plus splendide sous l’effort progressif des hommes de bonne volonté.

Mais ce n’est pas encore assez que la révélation soit accordée par le sacrifice du Messie, confirmée et répandue par les disciples ; il faut qu’elle soit encore perpétuée pour ainsi dire pendant toute la durée du cycle ; c’est le rôle que remplissent les sacerdoces, les clergés, représentants et successeurs des disciples, instituteurs, religieux des peuples, intermédiaires entre eux et leurs premiers maîtres comme ceux-ci l’ont été entre les Messies et l’Humanité, dépositaires consacrés de la Révélation divine, responsables de son avenir.

Groupés eux-mêmes en hiérarchie et constamment renouvelés par le recrutement de l’ordination, ils ont pour fonction d’assurer la continuité de la révélation jusqu’au fond des couches sociales les plus simples, par l’apostolat et sa perpétuité dans le temps jusqu’à la fin du cycle, par la conservation fidèle de sa forme primitive aussi bien que des mystères qu’elle recouvre.

Enfin, la révélation ainsi assurée, entretenue, propagée étant tout idéale, théorique, inaccessible aux sens de la créature terrestre ne pourrait suffire longtemps à l’entretien de sa foi ; le doute l’étoufferait bientôt sous l’amoncellement des fatalités quotidiennes ; à l’être incorporé et matériel, tel que l’homme est encore, il faut un appui matériel contre toutes les défaillances de l’âme ; il a besoin de percevoir de temps en temps par le secours de tous ses sens, de vérifier par tout son Etre, l’existence de cette hiérarchie indéfinie que la révélation lui annonce et à laquelle sont suspendues toutes ses espérances ; il lui faut la communication directe et réelle avec la divinité.

Désir légitime et raisonnable, en effet, car si la Divinité pénètre toutes choses de la création ; si l’Esprit vivifie jusqu’à la moindre : parcelle de la matière au bonheur de laquelle il se sacrifie, comment serait-il imperceptible à l’âme spirituelle dans la matière même qui l’enveloppe et l’instruit ?

Au reste, le Mensonge a, lui aussi, ses puissances invisibles et ses manifestations occultes qui nous entourent, nous assaillent, nous séduisent incessamment par des voies mystérieuses dont l’initié peut seul comprendre la perfidie, et il faut que nous en soyons défendus.

La Religion n’a donc pas épuisé son rôle par l’apostolat, elle, doit encore, à tous et surtout au plus faible, le contact réel, substantiel et protecteur avec la Divinité en qui elle puise elle-même toute sa force et toute sa majesté.

C’est ce qu’elle accomplit au moyen du Culte.

Elle le fonde d’une part sur l’Unité fondamentale de l’Univers, de l’autre sur la conformité de l’être humain à la constitution cosmique et en troisième lieu, sur la hiérarchie sacerdotale elle-même.

Par l’Unité de l’Univers, expression de l’Idée divine assurée, comme il a été dit déjà, par la Sainteté de la Vierge Céleste, Mère commune, dépositaire des Lois immuables, la Religion retrouve jusque dans la moindre parcelle de matière le rayon de Lumière céleste qui l’anime, elle sait dans quelle proportion elle y domine, elle reconnaît par là à quelle qualité divine chaque substance correspond, quelle parcelle de la Puissance totale elle manifeste même pour les plus faibles des mortels.

Tel est l’effet des consécrations religieuses, des bénédictions et des pratiques du Culte qui se manifestent non seulement par l’emploi spécial de certaines matières, par l’observation des jours et des heures convenables à chaque cérémonie, mais aussi par l’influence plus apparente encore sur tous les sens avec le secours de la musique, des parfums et toute la pompe esthétique du décor et des gestes dans la célébration cérémonielle. Quelle que soit la religion qui l’accomplisse, elle y a toujours réglé chaque détail, non pas seulement, suivant un préjugé trop répandu, comme un simple symbole abstrait des dogmes qu’elle enseigne, mais bien en vertu des lois les plus réelles et les plus matérielles du Cosmos, de telle sorte que par elle, la Divinité se manifeste, s’extériorise, pour ainsi dire, à travers la matière ambiante et jusque dans la moindre fibre corporelle du fidèle, qui l’invoque avec sincérité.

Il est clair que la hiérarchie sacerdotale est nécessaire à ces opérations sacrées, car la Puissance divine ne se livre qu’en proportion de la Sainteté de l’opérateur, et c’est sur cet état de Sainteté que se règle partout l’ordination initiatique des sacerdotes. C’est ainsi que cette hiérarchie est destinée à établir et à entretenir continuellement la communication à la fois matérielle et spirituelle, avec la Divinité, jusqu’au point de la rendre sensible à tous aussi souvent et aussi fortement que le permet la bonne volonté des fidèles.

La Religion, quelle qu’elle soit, accomplit donc, par toutes ses opérations une triple fonction qui dirige et soutient l’homme, sans le contraindre, vers le but pour lequel il a été formé. En intervenant dans tout acte de sa vie, elle le purifie, l’arrache autant qu’elle le peut au vertige du mensonge séducteur de l’égoïsme ou à l’engourdissement de la paresse, en un mot au néant qui le réclame encore.

Elle l’illumine par renseignement continuel et gradué de la Révélation dont elle a le dépôt sacré.

Elle l’unit, enfin, directement par le Culte à la Divinité même, dans la proportion où il en est capable, et dans la mesure des progrès spirituels qu’elle provoque en lui.

Rien en elle n’est fictif ; tout y est aussi réel et aussi réalisé qu’il est possible de l’imaginer, parce que tout y forme une chaîne continue et indivisible depuis les hauteurs spirituelles les plus inaccessibles à l’homme vulgaire,, même en imagination, jusqu’aux moindres formes du Monde matériel.

Cependant il est de la nature même de la hiérarchie que la puissance spirituelle ou la résistance matérielle y prédominent en chaque individu en proportion de sa proximité vers l’un des deux pôles extrêmes, de la Vérité ou des Ténèbres, et comme l’ensemble de l’Humanité est fort éloigné encore de la Lumière, il faut s’attendre à ce que ses institutions, même les plus élevées, comme la Religion, soient entachées encore de mensonge et d’erreur. À considérer spécialement une race, un peuple en particulier, c’est-à-dire une personnalité collective dans l’Humanité, on doit bien s’attendre à ce que le degré de révélation ou de mystère dans l’enseignement religieux, le degré de sensibilité à la présence divine dans le culte, le degré de puissance même de son clergé, son élévation dans la hiérarchie sacerdotale, soient exactement mesurés, par la Nature elle-même — réalisation de la Volonté divine — sur l’avancement spirituel ou la grossièreté de cette même personnalité collective.

Il est donc inévitable que la Religion affecte pour ce peuple ou cette race une forme particulière adaptée à ses aptitudes ; qu’elle se diversifie pour lui comme pour tous les autres. Il faut autant de religions, autant de sacerdoces qu’il y a de variétés collectives dans l’Humanité terrestre, et ces religions différeront entre elles comme les peuples, eux-mêmes en spiritualité, en puissance, en beauté.

Mais ce n’est pas à la Religion même qu’est imputable cette infirmité, c’est à l’être humain, c’est au peuple qu’elle seconde qu’il faut attribuer cette imperfection nécessaire ; c’est lui qui, tant par sa faiblesse qu’en vertu du libre arbitre qui lui est laissé, oblige la Religion à s’abaisser jusqu’à lui et tourne ensuite, s’il le veut, au profit de ses passions égoïstes le secours quJil lui a demandé.

C’est ainsi que toute religion particulière devient caduque par la faute même de ceux qu’elle devait guider, ou bien souvent encore par celle du sacerdoce imparfait qui avait accepté la haute responsabilité de sa direction spirituelle.

Le voile un peu soulevé a pu faire apparaître un instant la merveilleuse Beauté de la Vérité éternelle, mais il est retombé des mains indignes qui le soulevaient ou devant l’incapacité même des malheureux humains qu’elle voulait éclairer. Et comme le Mensonge de l’égoïsme a, lui aussi, dans l’invisible, ses Puissances redoutables, bien que temporaires, la Force même que le peuple indigné avait puisée dans la révélation et le culte se tourne contre elle-même, pour le faire retomber avec lui par la Mort vers les abîmes du Non-Etre.

Quand même le peuple échappe à cette fin tragique qui le menace sans cesse, mais ne l’atteint pas toujours, un temps doit venir cependant pour lui où sa religion primitive devra s’élargir où disparaître pour une forme plus perfectionnée, mieux adaptée à son état actuel.

Les religions, diversifiées comme les peuples, sont donc caduques comme eux, parce qu’elles ne sont que les formes temporaires de la Religion, appelées à se transformer, comme la science rudimentaire de l’écolier se transforme pour l’adulte ; ce sont comme autant d’écorces où se cachait la Science unique, autant de voiles qui recouvrent la Vérité et qu’il faut arracher l’un après l’autre, mais la Vérité, la Religion n’en sont pas atteintes, même pour le fidèle, s’il ne se laisse pas aveugler par la prétention orgueilleuse d’être parvenu à la Connaissance totale, de posséder l’Eternel Intangible !

Il n’en est pas moins vrai que chacune de ces écorces renfermait en soi le germe de la Science totale, chacun de ces voiles, le germe de la Vérité pure, sous la forme mystérieuse, symbolique et magique du dogme et du culte offert par la religion.

Un jour doit donc venir pour un peuple, pour une race, pour l’Humanité même, où elle comprendra que toutes les religions qui s’étaient disputé sa foi, pour lesquelles elle avait même si souvent versé son sang, ne différaient que dans l’imagination des hommes et par l’égoïsme orgueilleux de leur ignorance ; que toutes les religions diverses en apparence n’étaient que les vêtements extérieurs de la Religion unique ; que si elle s’y cachait sous la forme du mystère, c’était à cause de leur seule infirmité et parce que sa vue les aurait éblouis, terrifiés et perdus au lieu de les éclairer comme elle l’entend. Ce jour-là, toutes les religions se fondront dans l’unité de leur ésotérisme, et l’harmonie sera bien près de verser sur l’Humanité les joies auxquelles elle aspire depuis si longtemps, ce jour-là la fin du cycle approchera et avec lui l’accomplissement admirable de la Révélation qui l’avait ouvert, la Réalisation divine de la Volonté suprême par l’Humanité illuminée, heureuse et puissante ; un pas de plus l’aura rapproché à travers l’Eternité des cycles, vers la Perfection totale qui l’appelle éternellement à soi dans la joie d’un amour ineffable.

Or, ce grand jour est prochen ; tout l’annonce aux esprits les moins prévenus, aux intelligences les plus positives. Tandis que par l’effort du génie humain, le Temps et l’Espace vaincus mettent chaque jour, sur la terre entière, les peuples et les races en un contact plus intime et plus inattendu, les faiblesses, les erreurs, les préjugés passés se manifestent aussi plus clairement, surexcitant d’une part les passions égoïstes qui séparaient les hommes pour les lancer plus que jamais les uns contre les autres, mais éveillant en même temps, dans leur conscience, la honte de ces passions malsaines, le sentiment de leur mensonge, la première lueur d’une unification harmonieuse.

L’Humanité commence à souhaiter plus que jamais dans les esprits et dans les cœurs l’unité qu’elle voit s’accentuer chaque jour davantage dans les rapports matériels. Or il n’est qu’un seul principe d’Unité, c’est l’Esprit ; un seul moyen d’unifier, la Spiritualisation ; une seule institution sociale qui spiritualise, la Religion. C’est donc par l’unification des religions, c’est-à-dire par. l’enseignement de leur ésotérisme, que s’accomplira l’œuvre d’unification et d’affranchissement de l’Humanité.

C’est la tâche à laquelle s’est consacré spécialement le docteur A. de Sarâk, par la formation de centres ésotériques répartis en grand nombre déjà sur les divers continents du globe et fournissant depuis longtemps à l’Occident l’enseignement le plus autorisé de l’ésotérisme conservé par l’Orient à travers les siècles. Tâche sacrée par excellence pour laquelle nul ne paraît plus qualifié que cet envoyé des Centres d’initiation qui, par maintes preuves déjà, nous a démontré la profondeur de sa science dogmatique aussi bien que l’étendue de ses pouvoirs sur les forces naturelles. Par lui, les disciples qu’il ne demande qu’à réunir sont assurés de connaître l’ésotérisme religieux dans tous les mystères du culte comme dans ceux du dogme et pourront devenir dignes, s’ils le veulent, de participer à la plus grande œuvre de- tous les temps, le salut de l’Humanité.

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Notes

François Charles Barlet, article : « Occultisme et religion », publ. in L’Étoile d’Orient, 7-8-9-10 (Octobre 1908), pp. 189-208.

► Organe officiel de l’éphémère Centre Esoterique Oriental de France, la revue était dirigée par François Charles Barlet et Alberto Sartini-Sgaluppi dit Albert de Sarak (entre autres pseudonymes), médium et prestigidateur Italien à la réputation sulfureuse dans toute l’Europe de l’ouest, v. articles de Gaston et Henri Durville, ntm. "Un Audacieux Fraudeur de Phénomènes Psychiques" in Revue de Psychisme Experimental (Novembre 1910) puis les numéros suivants.