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Peut-on prédir l’avenir ?
Paul Naudet

Conférence faite à l’Institut des Recherches Psychiques de France

« Singulière question, dira-t-on, peut-être, après avoir lu ce titre ; nous ne sommes plus au temps des prophètes, des sorciers et des devins ». —- Que nous ne soyons plus au temps des prophètes, je le crois ; qu’il n’y ait plus de devins et de sorciers, c’est autre chose, et une étude sur ce sujet ne manquerait sans doute pas d’intérêt. Toutefois, pour l’instant, il ne s’agit ni de prophètes ni de sorciers, ni de devins, mais simplement de savoir s’il est possible de prédire l’avenir.

Or beaucoup sont tentés de le croire, et le phénomène de la prévision, sous ses formes diverses, quelque difficile à expliquer qu’il soit dans l’état actuel de nos connaissances, a été constaté scientifiquement, je veux dire par des méthodes scientifiques, et si nettement, qu’il ne paraît plus possible de le rejeter a priori. La question mérite, du moins d’être approfondie méthodiquement ; depuis des siècles, les problèmes de cette sorte n’avaient jamais pareillement retenu l’attention des penseurs et intéressé le grand public, lui même.

I

On a toujours vu des gens désireux de connaître l’avenir ; mais, dans notre Europe chrétienne, il faut remonter jusqu’aux temps du Paganisme pour retrouver la divination s’exerçant au grand jour, classée comme un art et une science exercés et enseignes publiquement. Ainsi en était-il en Grèce et dans les grands sanctuaires égyptiens, où par la clairvoyance et l’extase — c’était un art —par le calcul et d’après les lois de l’évolution universelle — c’était une science — certains initiés lisaient dans l’avenir. Pythagore, dans son voyage au pays des Pharaons, essaya de connaître ces secrets. La vieille Egypte ne nous a pas encore révélé tous ses mystères, mais chaque jour nous fait faire un pas dans l’inconnu, et ce que nous savons déjà, nous autorise à croire que bien des choses pourront encore s’éclaircir.

Nous sommes un peu plus documentés sur ce qui se passait dans le monde gréco-romain. L’Italie nous a laissé le souvenir des sybilles d’Erythrée où paraît avoir été le plus ancien lieu de divination ; on connaît les oracles de Tibur et d’Ancyre, et, sans parler de bien d’autres, la sybille de Cumes que Virgile a immortalisée. Mais c’est chez les Grecs, surtout que se pratiquait l’art divinatoire, spécialement à Delphes dont les Pythies défiaient toute concurrence par l’éclat de leur réputation. On sait que, avant de consulter son dieu, la prêtresse se préparait à « l’extase » par un jeûne de trois jours ; puis, le front ceint d’une couronne de lauriers, la bouche remplie de feuilles de cet arbre qu’elle mâchait inlassablement, et dont les émanations avaient, semble-t-il, une influence excitante sur son cerveau, elle s’asseyait sur le trépied sacré posé au-dessus d’une crevasse du sol d’où s’échappaient d’épaisses vapeurs naturelles ou artificielles chargées de parfums enivrants. Sous l’influence de ces excitants, suggestionnée probablement aussi par les prêtres qui l’entouraient, la femme s’agitait convulsivement, l’écume apparaissait au coin de ses lèvres, ses cheveux se hérissaient, et, au milieu de cris et de hurlements, elle proférait des paroles plus ou moins intelligibles que les prêtres recueillaient, interprétaient et arrangeaient selon leurs propres lumières. L’oracle était généralement conçu en termes ambigus et phrases à double sens ; telle la fameuse réponse faite à Pyrrhus ? « Credo Romanos Pyrrhum vincere posse » qui, par un artifice grammatical, signifiait a la fois que Pyrrhus pourrait vaincre les Romains et que les Romains pourraient vaincre Pyrrhus. Pyrrhus interpréta l’oracle selon ses désirs et crut à la victoire ; ce furent les Romains qui le vainquirent à Bénévent. Ce petit jeu n’allait pas, d’ailleurs, sans inconvénients graves parfois, et il arrivait qu’au sortir d’une séance la malheureuse femme qui parlait au nom du dieu tombait exténuée ou mourait subitement. D’autres la remplaçaient, car le temple devait conserver sa clientèle.

Les oracles de Delphes étaient rendus par Apollon, mais d’autres dieux parlaient ailleurs, et des centres de divination, opérant au moyen de procédés multiples, se trouvaient un peu partout, avec des augures, des auspices, des oiseaux sacrés, etc. Nous n’avons pas à caractériser ces formes diverses, ni à expliquer la différence qui existait entre les sibylles, les pythies et les pythonisses ; qu’il nous suffise simplement de rappeler, parmi ces dernières, la fameuse Pythonisse d’Endor qui évoqua l’ombre de Samuel devant le roi Saül.

Qu’était-ce, en réalité, que ces devineresses ? Nous l’ignorons ; mais le fait de leur existence et de leur faculté spéciale paraît impossible à nier. Certains affectent de croire qu’il n’y avait là qu’un charlatanisme intelligent et une vaste exploitation des esprits superstitieux. Evidemment il en devait être souvent ainsi, mais il y avait des exceptions, et il ne faut pas se croire obligé de traiter par le mépris une question devant laquelle s’est inclinée toute l’antiquité philosophique, et sur laquelle les historiens — en particulier Hérodote — ont rapporté des faits précis et vérifiés : tel l’oracle sur Crésus et celui sur la bataille de Salamine que les contemporains ont pu contrôler. Vers la fin de l’indépendance grecque, les oracles se turent les uns après les autres, au grand désespoir de la société antique qui regarda ce silence comme un présage de grands maux ; Plutarque écrivit même un traité pour en rechercher les causes et les raisons. Cependant les rites et les secrets ne furent pas complètement perdus, et nous retrouvons des faits du même genre au commencement de l’ère chrétienne. Saint Irénée nous raconte que Marc, disciple de Valentin le gnostique, faisait prophétiser certaines femmes au moyen de pratiques où l’on retrouve sans peine les procédés de l’hypnotisme et de la suggestion.

On prophétise encore au moyen-âge, mais le métier devient difficile, car les deux pouvoirs, le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil, ne se montrent pas tendres, pour ceux et celles qui s’avisent de faire des prédictions. L’inpace, l’emmurement, le bûcher, étaient les moyens ordinaires et infaillibles dont on se servait pour leur fermer la bouche, et si les vieilles traditions se conservèrent, en certains endroits, dans la profondeur des couches populaires et chez quelques initiés, ces initiés ne firent jamais école, tout au plus eurent-ils des héritiers. Machiavel écrit au chapitre XVI de son Discours sur Tite-Live Je ne sais d’où cela provient, mais on voit par les exemples tirés des temps anciens et des modernes, qu’il n’arrive jamais dans une cité ou un pays un événement important qui n’ait été prédit ou par des devins ou par des prodiges. De fait, l’histoire atteste que les visionnaires abondent dans toutes les époques de crises. Le XVe siècle a eu, parmi nombre d’autres, le célèbre Jean de Montereggio ; au XVIe on interrogea Nostradamus, ses disciples et ses commentateurs, et c’est alors que parut le fameux Mirabilis liber réédité en 1831. L’époque de la Révolution et les temps qui suivirent furent fertiles en prédictions ; contentons-nous de citer : la Révolution de France prophétisée de Gaillon de Jouiville qui parut en 1791, le Passé et l’Avenir expliqués, de l’abbé Perrault, le Recueil de prédictions publiés chez le libraire Bricon en 1830, la Fin des Temps, de l’abbé James en 1840 ; il y eût même un Almanach prophétique ; le Livre de toutes les prophéties et prédictions (1848). Puis, à la suite des événements de l’année terrible, l’Avenir dévoilé, les Derniers Avis prophétiques, les Voix prophétiques, le Nouveau liber mirabilis d’Adrien Péladan, des rééditions de prophéties plus ou moins antiques, Malachie et d’autres, sans compter la Prophétie d’Orval fabriquée de toutes pièces par de facétieux ecclésiastiques qui, d’ailleurs, se firent connaître et la désavouèrent publiquement, ce qui n’empêcha pas de la répandre ; on la publie encore aujourd’hui revue et augmentée considérablement.

Car le besoin de soulever le voile mystérieux n’a point disparu il semble même que les « devins » se multiplient. Depuis la diseuse de bonne aventure, qui « travaille » pour cinquante centimes sur les champs de foire, jusqu’à la somnambule extra-lucide qui reçoit dans un salon et demande de un à cinq louis, les « voyants » sont nombreux qui, si vous voulez y mettre le prix, vous renseigneront sur votre avenir ; et il y a foule, tant à la porte des roulottes que dans l’antichambre des cabinets de consultation. On veut savoir sur quel cheval il faut jouer aux courses, quel est le billet gagnant de telle ou telle loterie, bien d’autres choses encore ; et on part toujours avec une réponse. On ne se demande jamais, d’ailleurs, pourquoi voyants et voyantes n’exercent pas leur art, à leur propre profit, pourquoi ils ne parient pas eux-mêmes sur le cheval qui doit gagner, pourquoi ils ne prennent pas eux-mêmes le billet qui emportera le gros lot. Heureux encore, si tout se réduit à une perte d’argent, et si le sujet, par une véritable suggestion, n’est pas entraîné à de fausses démarches et parfois à de vrais malheurs. Car s’il est indéniable que certaines de ces prédictions se vérifient, il faut, pour plusieurs d’entre elles, tenir compte de ce fait que l’idée restée dans l’esprit du consultant, et implantée dans son cerveau, l’obsède, parfois jusqu’à l’amener quasi fatalement et automatiquement, à réaliser ce qui a été prédit.

II

Il ne faut pas confondre la conjecture avec la divination et le pressentiment. La conjecture est le résultat d’un travail intellectuel ; dans la divination et le pressentiment, au contraire, la raison n’intervient pas, et le phénomène ne comporte ni analyse ni synthèse, ni induction ni déduction, à moins que tout cela, ce qui n’est point impossible, ne se passe dans la vie cachée et profonde du subconscient. La sensibilité générale est seule en jeu, et c’est peut-être pour cela que les sensitifs « pressentent » plus que les autres, et dans des conditions que, maintes fois, nulle coïncidence fortuite ne semble pouvoir expliquer.

Le pressentiment peut revêtir la forme bien connue du rêve qui en ses images et d’une façon plus ou moins symbolique, nous informe des phénomènes futurs. Les songes ne sont peut-être pas, autant qu’on le croit et toujours, choses vaines et fables inconsistantes ; et là non plus ces coïncidences fortuites qu’à défaut d’autre terme on nomme « le hasard », ne suffisent pas toujours à tout expliquer.

Une nuit, raconte Saint-Simon, la princesse de Condé vit en songe un appartement de son palais prêt à s’écrouler, et ses enfants qui y couchaient, sur le point d’être ensevelis, sous les ruines. L’image affreuse qui était ; présentée à son imagination remua son cœur et tout son sang ; Elle frémit, et, dans sa frayeur, elle s’éveilla en sursaut, et appela quelques femmes qui dormaient dans sa garde-robe. Elles vinrent au bruit recevoir les ordres de leur maîtresse. Elle leur dit sa vision, et qu’elle voulait absolument qu’on lui apportât ses enfants. Les femmes lui résistèrent en citant l’ancien proverbe : que tous songes sont mensonges. La princesse commanda qu’on allât les quérir. La gouvernante et les nourrices firent semblant d’obéir ; puis revinrent sur leurs pas dire que les jeunes princes donnaient tranquillement, et que ce serait un meurtre de troubler leur repos. La princesse, voyant leur obstination, et peut-être leur tromperie, demanda fièrement sa robe de chambre. Il n’y eut plus moyen de reculer ; on fut chercher les jeunes princes, qui furent à peine dans la chambre de leur mère que leur appartement fut abîmé.(1).


Dans son livre : Le Sommeil, les Rêves et le Somnambulisme, le docteur Macario raconte cet autre fait :

Le jeudi, 7 novembre 1850, au moment où les mineurs de la charbonnerie de Belfast se rendaient à leur travail, la femme de l’un d’eux lui recommanda d’examiner avec soin la corde de la beune ou cuffard, qui sert à descendre au fond du puits. « J’ai rêvé, dit-elle, qu’on la coupait pendant la nuit. » Le mineur n’attacha pas d’abord grande importance à cet avis ; cependant, il le communiqua à ses camarades. On déroula le cable de la descente, et, à la grande surprise de tous, on le trouva haché en plusieurs endroits. Quelques minutes plus tard, les travailleurs allaient monter dans la benne, d’où ils auraient été infailliblement tous précipités ; et, s’il faut en croire le Newcastle-Journal, ils n’ont dû leur salut qu’à ce rêve. (2).


Mais voici un cas bien plus curieux encore et très authentique que nous apporte, avec toutes les attestations nécessaires, le numéro de février 1908 des Annales des Sciences psychiques.

Le 27 juin 1894, vers 9 heures du matin, le docteur Gallet, alors étudiant en médecine à Lyon, travaillait dans sa chambre en compagnie d’un camarade d’études, actuellement le docteur Varay, médecin, lui aussi, à Annecy. Gallet était alors très occupé et préoccupé par la préparation d’un examen tout proche (1er examen de doctorat), et ne songeait pas à autre chose qu’à cet examen. En particulier, il ne s’intéressait absolument pas à la politique, ne jetait qu’un coup d’œil distrait sur les journaux, et n’avait causé qu’incidemment. et superficiellement, dans les jours précédents, de l’élection du Président de la République qui devait avoir lieu ce jour même ; (le congrès électoral allait se réunir à midi.) Tout à coup, Gallet, entièrement à son travail, en fut distrait impérieusement par une pensée obsédante. Une phrase inattendue s’imposait à son esprit avec une telle force, qu’il ne pût s’empêcher de l’écrire d’un trait sur son cahier de notes. Cette phrase était, textuellement : M. Casimir-Périer est élu Président de la République par 451 voix. Cela se passait, je le répète, avant la réunion du Congrès. On remarqua que, cependant, chose curieuse, la phrase, dont le docteur Gallet a le souvenir le plus net, indique le présent et non le futur. Stupéfait, Gallet interpella alors son camarade Varay et lui tendit le papier sur lequel il venait d’écrire. Varay lut, haussa les épaules, et comme son ami très intéressé insistait, déclarant qu’il croyait à la réalité de cette prémonition, il le pria, un peu rudement, de le laisser travailler en paix.

Après déjeuner, Gallet sortit pour aller suivre un cours à la Faculté. Il rencontra, chemin faisant, deux autres étudiants, M. Bouchet, actuellement médecin à Cruseilles (Haute-Savoiej et M. Deborne actuellement pharmacien à Thonon. Il leur annonça que Casimir-Périer serait élu par 451 voix. Malgré les rires et les moqueries de ses camarades, il continua à leur affirmer à plusieurs reprises, sa conviction. Au sortir du cours de la Faculté, les quatre amis se retrouvèrent et allèrent se rafraîchir à la terrasse d’un café voisin. À ce moment arrivèrent des camelots vendant des éditions spéciales de journaux qui annonçaient le résultat de l’élection présidentielle. Gallet s’empressa d’acheter un journal et de le passer à ses amis qui demeurèrent muets de stupeur en lisant : M. Casimir-Périer élu par 451 voix. Ce récit a été écrit sous la dictée du docteur Gallet dont les souvenirs, encore une fois, sont extrêmement nets et précis ». Suivent les attestations des témoins : docteur Varay, ancien interne des hôpitaux de Lyon ; M. Deborne, pharmacien à Thonon ; le docteur Bouchet, médecin à Cruseilles, etc.


Evidemment si M. Gallet avait simplement désigné le nom de M. Casimir-Périer on aurait pu croire à une pure coïncidence ; mais comment expliquer ainsi et attribuer au hasard la prévision exacte du chiffre de voix ?

M. Maxwell, docteur en médecine, jadis avocat général à Bordeaux, aujourd’hui à Paris, rapporte le fait suivant dans son beau livre sur les Phénomènes psychiques :

Voici un dernier exemple, écrit-il, encore plus significatif que les précédents, car la vision m’a été racontée huit jours avant que l’avènement se réalisât, et j’en ai fait moi-même le récit à diverses personnes avec cette réalisation. Un sensitif aperçut dans un globe de cristal la scène suivante : un grand steamer, ayant un pavillon à trois bandes horizontales, noire, blanche et rouge, et portant le nom « Deutschland », naviguait en pleine mer ; le bateau fut soudain entouré de fumée ; des marins, des passagers et des gens en uniforme coururent en grand nombre sur le pont, et il vit le bateau sombrer.

Huit jours après, les journaux annonçaient l’accident du « Deutschland », dont une chaudière éclata, obligeant ce paquebot a faire relâche, je crois. Cette vision est très curieuse et comme les détails m’en ont été donnés avant l’accident, je l’analyserai avec quelque soin.

En premier lieu une chose frappe : c’est que la prémonition ne s’est pas exactement accomplie. Le « Deutschland » a bien éprouvé un accident, il a dû être entouré de vapeur, l’équipage et les passagers ont dû courir effrayés sur le pont, mais heureusement ce magnifique paquebot n’a pas sombré. D’autre part, le sensitif a lu « Leutschland », et-non « Deutschland » ; mais ce détail n’a pas grande importance, le mot étranger ayant pu être mal lu. Enfin, une chose digne de remarque, c’est l’absence complète d’intérêt que cette vision pouvait présenter au sensitif qui n’a aucune relation avec l’Allemagne et ignorait, au moins consciemment, l’existence de ce bateau, bien qu’il en ait certainement eu des images sous les yeux. Il ne faut pas évidemment attacher trop d’importance à cette prévision, mais ce sensitif m’en a donné quelques autres exemples curieux : ces cas rapprochés de ceux que j’ai observés par ailleurs ou dont j’ai eu le récit de première main, rendent très improbable l’hypothèse d’une coïncidence, sans cependant l’exclure d’une manière absolue. Tels qu’ils sont, ces faits sont assez intéressants, il me semble, pour que l’observation systématique des phénomènes visuels que je signale soit entreprise par des gens compétents et avec des sensitifs véritables, non avec des hystériques qui donnent rarement de bonnes observations. (3)

Il y a peu de temps, raconte de son côté M. le professeur Grasset, un médium paraît avoir contribué à la découverte du corps du docteur Pétersen au fond d’un précipice de Savoie(4). « Parti en Excursion, d’Aix-les-Bains, le 5 octobre 1904, le docteur ne reparut pas. Vers le 20 octobre, on organise des recherches au Mont du Chat, au Revard, dans le lac du Bourget. Le 26 octobre, une lettre anonyme est remise au commissariat et signale « le docteur mort dans un précipice perpendiculaire, sous une voûte, au Revard, près d’une maison qui sert à mettre les troupeaux de moutons à l’abri lorsqu’ils sont surpris par la pluie. » Celle lettre était due à Mme Vuagniaux, spirite convaincue, qui avait ainsi rapporté au juge de paix le contenu d’une communication médianique obtenue le jour même,… par les coups de la table, sans que ces dames n’aient posé aucune question. » Il y a trois messages développés. — Les premières recherches faites par la gendarmerie sur ces indications restèrent sans résultats. En mai, le corps fut trouvé par hasard, par un cultivateur de Mouxy, dans un endroit qui répondait d’une manière « à peu près complète » aux indications du message d’ailleurs conçu en ces termes « assez vagues » (5) :


Me permettra-t-on d’ajouter à ces faits un témoignage personnel ? D’une lettre que j’ai sous les yeux et qui me fut écrite par une personne de ma famille, personne fort intelligente et naturellement peu crédule, je prends la liberté d’extraire la page suivante. Il s’agit d’une clairvoyante que j’ai moi-même interrogée :


La lettre en question dit : Elle avait beaucoup insisté, au sujet d’une grande colère qui devait survenir à propos des domestiques. Elle affirmait que cette scène aurait lieu prochaine ment et nous ferait de la peine sérieusement. Or quelques jours après, allant voir grand’mère nous l’avons trouvée blême, prise de tremblement et comme sous le coup d’une attaque ; elle sanglotait ainsi qu’une enfant. Enfin elle finit par nous dire que, depuis six mois, ses bonnes, jalouses d’une amie qui venait la voir souvent, faisaient à cette amie mille méchancetés, qu’elles étaient impolies et méchantes envers elle-même, etc. Ce jour-là, la mesure était comble, sans doute, les nerfs avaient pris le dessus, une crise de larmes s’en était suivie et nous ne parvenions pas à la consoler, elle autrefois si énergique et si autoritaire. Cette scène nous a beaucoup impressionnés, nous avons remercié les bonnes, etc. Je ne songeais plus à cette histoire lorsque dimanche dernier, allant faire une visite a Y…, celle-ci me demanda si nous n’avions pas eu récemment une scène avec nos domestiques. J’ai répondu par le récit que je viens de vous faire. Oh ! m’a-t-elle fait, cette chose était trop visible pour qu’elle n’arrivât pas et il me lardait de savoir si je ne m’étais pas trompée.


Il faut remarquer que celle « voyante » n’a jamais vu la grand’mère et ignorait absolument, étant infirme et ne sortant jamais, quel était le personnel de la maison. D’ailleurs elle n’avait pas spécifié où se passerait le fait objet de la prédiction.

La lettre déjà citée continue :


Y… avait vu dans ma main qu’il y aurait mort d’homme dans la famille de nos amis C… Un homme est mort, en effet, le jour de notre départ, c’est un cousin-germain qui habite à côté de chez nos amis. Étant légèrement grippé, il n’a pu assister au mariage et a envoyé ses enfants sa place. Ceux-ci se sont amusés de bon cœur et n’étaient nullement, préoccupés. Au moment de notre départ on nous avait même dit que le malade allait mieux ; le soir même il mourait. Avouez qu’il y a là une étrange coïncidence..


Autre fait se rapportant à la même clairvoyante et qui se passait au mois de mai dernier (1912).


Ma correspondante m’écrit encore : L’affaire en question était presque conclue, mère et moi allons voir Y… Le matin quelqu’un était venu visiter notre maison pour y faire un dépôt d’accessoires d’autos. Sans rien dire à Y., lui laissant ignorer l’affaire (qui était presque décidée) et la visite reçue le matin, nous commençons à l’interroger et voici ce que Y… lit dans la main de mère : « Vous avez deux propositions pour votre maison : une qui vous plaît et l’autre qui plaît à vos enfants. Celle qui plaît à vos enfants sera la bonne. Votre fils a rendez-vous pour la seconde affaire. Ce rendez-vous sera retardé ; le monsieur ira voir un autre immeuble, mais l’affaire se fera avec vous. »

Georges avait en effet un rendez-vous avec le monsieur des autos pour le lendemain matin samedi. Nous sommes à samedi et le visiteur n’est pas revenu. Il est à noter que Y… avait dit : « 11 y aura un retard dans la visite. » Espérons cependant qu’elle aura dit vrai, et que cette affaire se fera.


Quelques jours après la même personne m’écrivait :


Y… est vraiment très forte pour ce qui regarde nos affaires. Tout ce quelle a prédit depuis cinq ans est arrivé. Les important es adjudications pour la France et l’étranger, le changement de direction de l’usine, la continuation de la période de prospérité, tout arrive ; en ce qui concerne la vente ou la location de la maison, jusqu’à présent tout se passe comme elle l’a dit. Le petit retard prévu dans la visite attendue a duré jusqu’à ce matin vendredi. Le monsieur est venu, il a visité la maison, elle lui plaît beaucoup, il a dit avoir été visiter d’autres immeubles (Y… nous en avait averti) le nôtre semble lui plaire. 11 donnera 6.000 francs de loyer avec bail de 20 ans et peut-être promesse de vente à 100.000 fr. Y… avait dit : « G.. (un autre visiteur) devait vous donner 5.000 francs de loyer puis 5.500. À celui-là vous avez demandé 6.500. Vous aurez plus qu’offrait G..., vous aurez pourtant moins de 6.500 francs. Ce sera je crois 6.000 francs. » De fait si l’affaire se conclut, se sera à 6.000 francs.

III

Il existe des procédés mécaniques pour interroger l’avenir. Tout le monde connaît le pendule explorateur de Chevreul qui donne parfois, quoique rarement, de très curieux résultats. Ce. pendule n’est, au reste, qu’une forme de la divination par l’anneau bien connue des anciens et qui consiste à suspendre un objet quelconque, de préférence un anneau d’or ou d’ivoire à un fil léger que l’on tient au-dessus d’un cercle à l’intérieur duquel sont inscrites, suivant la circonférence, les lettres de l’alphabet. Quoique, la main soit ou paraisse immobile, au bout de quelques instants, l’anneau se balance et désigne les lettres qui serviront à construire des mots. On peut encore suspendre l’anneau à l’intérieur d’un verre et obtenir des réponses au moyen de coups frappés. Quant aux cartes, marc de café, entrailles de poulet, vol d’oiseaux et autres moyens dont se sont toujours servis les devins et sorciers, il faut y voir, non pas un acte de superstition, comme le disent beaucoup trop facilement M. Homais et certains théologiens, mais un moyen pour le « voyant » de se mettre en une sorte d’auto-somnambulisme, état second qui lui permet de dégager ses facultés inconscientes assoupies.

De tous les procédés de psychisme expérimental, le plus extraordinaire est, incontestablement, la vision dans le cristal. Ce procédé fut connu, d’ailleurs, de tous temps. On sait que la Bible défend de s’adonner aux expériences de divination : Qu’on ne trouve chez toi personne qui exerce le métier de devin, d’astrologue, d’augure, de magicien, d’enchanteur ; personne qui consulte les évocateurs d’esprits et les diseurs de bonne aventure ; personne, qui interroge les morts ; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel… (Deut. XVIII, 10-12. Comp. : Lévit., XIX. 31 ; II Rois, XXIII, 24 ; I Chron.. X, 13-14 ; I Samuel, ch. XXVIII ; Ésaïe, VIII, 19-21 ; XIX, 3. Etc.). Or, il est curieux de constater que si l’Ancien Testament condamne les pratiques de médiumnité et d’occultisme comme étant de l’idolâtrie, il paraît excepter de cette condamnation la vision en cristal, et la considérer comme le moyen légitime et, en quelque sorte, liturgique, d’interroger l’Éternel, comme sera plus tard la divination par urim et thummim, c’est-à-dire très probablement par les pierres précieuses qui ornaient le pectoral du grand-prêtre. On se souvient aussi que Joseph, ministre du pharaon, ayant fait mettre sa coupe dans le sac de Benjamin, accuse ses frères de l’avoir volée, et envoie son intendant la reprendre. La coupe que vous avez dérobée, dit celui-ci, est celle dans laquelle mon seigneur boit et dont il se sert pour augurer. (Gen. x, 4).

Les païens connurent également ce procédé qui, d’après Varron, venait de Perse. Pausanias raconte qu’on le pratiquait à Palta. dans le temple de Cérès. Didius, Julianius, lorsque Septime Sévère marchait contre lui, eut recours, d’après Spalien, à la divination par le miroir.

Les Grecs regardaient dans l’eau d’une fontaine ou dans des vases pleins d’huile — c’est ainsi qu’Ulvsse interrogea Teresias ; — ils se servaient encore de miroirs, ou de carafes pleines d’eau, de boules métalliques polies, de toutes sortes de verre ou plus simplement de l’ongle de la main couvert d’un peu d’huile. François Ier et Catherine de Médicis, avait, dit-on, dans leurs appartements, des miroirs qui « servaient à découvrir les conspirations » ; et Saint-Simon raconte les révélations faites, en 1706, au duc d’Orléans, le futur régent, « par un de ces fripons de curiosités cachées dont M. le duc d’Orléans avait beaucoup vu en sa vie, qui prétendit faire voir dans un verre rempli d’eau tout ce qu’on voudrait savoir ».

Les personnes capables de lire dans la boule de cristal, le verre rempli d’eau ou l’ongle de la main, sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne croit et, après un peu d’exercice, on arrive, sans grande peine, à d’intéressants résultats. Aux premiers essais on ne voit rien, sinon les reflets ordinaires d’un corps plus ou moins poli et brillant ; puis la boule s’obscurcit comme si elle était entourée d’un nuage, et, dans ce nuage, apparaissent, sous une forme plus ou moins nette, mais parfois très précise, des paysages, des scènes, des personnages, qui agissent et traduisent dans leurs gestes et leur attitude, non ce qui est, mais ce qui sera.

IV

Nous avons déjà dit que les vrais clairvoyants ne font intervenir ni leur intelligence, ni leur faculté plus ou moins aigüe d’analyse et de déduction. Ils disent et semblent ne pouvoir dire que ce que leur intuition leur commande ; ils ne restent pas dans un vague plus ou moins adroit, laissant à la crédulité de ceux qui les consultent le soin d’adapter leurs paroles, ils vont plus loin et indiquent nettement les conditions dans lesquelles l’évènement annoncé se produira. Toutefois, il est à remarquer que leur état psychique diffère beaucoup. Tandis que certains doivent se mettre en état d’hypnose, d’autres opèrent à l’état de veille. Il en est qui ont besoin de toucher un objet ayant appartenu à ceux pour lesquels on les interroge ; à d’autres il suffit de prendre la main d’une personne qui connaît ces absents. Celui-ci est dans un état de veille apparente qui n’est, en réalité, qu’un état somnambulique superficiel ; celui-là est dans un état d’hypnose léger provoqué par des moyens artificiels : boule de cristal, marc de café, etc ; un troisième sera plongé dans le somnambulisme profond ; mais cela ne modifie en rien le résultat.

Il importe de remarquer aussi que la faculté des « voyants » est loin d’être constante, qu’ils se trompent souvent, alors même qu’ils ont donné déjà des preuves indéniables de leur «don», et que, par suite, il faut se défier d’une manière absolue de ceux et celles qui prédisent tous les jours et à tous venants. Je n’étonnerai vraisemblablement personne, en disant que ces derniers ont des procédés, des trucs divinatoires, que leur métier s’apprend comme un autre, et qu’il en est de ces « voyants» comme des dentistes qui opèrent plus ou moins habilement. Quant aux règles de la profession, elles sont assez simples, tout le monde peut les comprendre, mais les appliquer avec succès, demande un véritable tact. D’abord il faut tenir compte du milieu. Pour chaque condition, les vies humaines se ressemblent à peu près toutes dans les grandes lignes ; les hommes du même milieu ont généralement des passions, des amours, des haines et même des maladies semblables. Un rural ne sent pas comme un citadin, un cocher d’omnibus n’a pas la mentalité d’un ambassadeur. Le « devin » s’efforce donc, en premier lieu, de savoir quel est le milieu auquel appartient le consultant. Après le milieu, vient la profession : il est relativement facile de prédire des accidents à un couvreur et des ennuis causés par ses ouvriers à un patron. Pour être renseigné sur ces points et quelques autres qu’il importe de connaître les professionnels ont souvent un introducteur qui cause et fait causer dans l’antichambre. Maintes fois la consultation est terminée avant que le client ait passé le seuil du cabinet ; aussi un introducteur habile et bien stylé se paie-t-il fort cher. Les consultants sont, le-plus souvent, des simples d’esprit, ils parlent beaucoup sans y attacher grande importance ; tout est recueilli soigneusement.

Il faut ajouter aussi que la clientèle a ceci de spécial qu’elle revient toujours. Après la consultation on cause, le « devin » achève de compléter la « fiche » qu’a commencée son introducteur, et il sait bientôt tout ce qu’il a besoin de savoir sur le visiteur et son entourage, jusqu’aux renseignements les plus intimes. Un jour ou l’autre il les utilisera pour une personne qu’il n’a jamais vue mais dont il possède le dossier, en lui révélant certaines choses cachées et qu’elle se croyait seule à savoir.

Comme tout le monde peut se trouver un jour ou l’autre en présence d’un « clairvoyant », vrai ou supposé, il ne sera peut-être pas inutile de donner ici quelques brèves indications. D’abord il importe d’éviter toute question sur des faits qui pourraient se réaliser par suite d’une auto-suggestion inconsciente ; ne pas demander, par exemple : « Irai-je faire telle visite ? » Il se pourrait que cette idée déposée dans votre cerveau vous fit faire la visite ; une semblable expérience ne permet pas de conclure à la divination. De même il importe de ne pas interroger sur des faits qui ne laissent que deux alternatives : « Quel temps fera-t-il demain ; pleuvra-t-il ou ne pleuvra-t-il pas ? » Il est clair que la réponse peut être vraie par pure coïncidence. Mais on peut demander : « Quel est le nom de la première personne qui entrera dans celle pièce que je rencontrerai en sortant ; de quoi parlera-t-elle ? » Puis on étend les questions, toujours dans le même sens, aux choses d’un plus lointain avenir, en ayant bien soin d’écrire toutes les réponses. D’ailleurs il est important de prendre toujours des notes précises sur les phénomènes psychiques que l’on éprouve ou dont on peut être témoin. Il importe surtout de le faire quand il s’agit de prédictions, pour les bien situer et leur donner une date irrécusable.

V

Mais l’habileté plus ou moins grande des charlatans ne doit pas nous faire oublier que les faits scientifiquement enregistrés sont trop nombreux, pour que nous n’ayons pas le droit de conclure que, parfois, en dehors de toute conjecture ou de toute coïncidence, l’avenir a été vu. La télégraphie sans fil traverse et supprime l’espace, la clairvoyance, peut-on dire, par une véritable analogie, traverse et supprime le temps. Mais, car l’esprit humain veut toujours remonter de l’effet à la cause, comment cela arrive-t-il et le problème de la clairvoyance peut-il être expliqué ? Certes, les explications et les théories ne manquent pas ; mais, s’il est bien difficile de savoir quelle est la bonne et qui a tort ou raison. On peut, du moins, penser que trop de gens s’essayent à creuser le problème, pour qu’un jour ou l’autre, il ne jaillisse pas de leurs études quelque éclaircissement.

La première idée qui se présente a l’esprit, est que l’être humain jouit peut-être de facultés encore inconnues, ordinairement endormies, mais qui se réveillent parfois, permettant à ceux qui peuvent les utiliser de s’abstraire des deux catégories de l’espace et du temps.


Le colonel de Rochas écrit : Il est impossible, dit,-on, de voir l’avenir, parce que l’avenir n’existe pas. Si nous n’étions doués de l’étonnante faculté de la mémoire, nous pourrions faire le même raisonnement sur le passé et toute la force de cette objection réside dans le sens trop rigoureux que nous donnons à ce mot : l’avenir n’existe pas. Le présent seul a une existence réelle ; si le passé à une existence relative à nous, c’est parce qu’il a laissé des traces ; il existe par ses effets : mais l’avenir existe en germe. Le passé a produit le présent qui en est reflet. Lorsque nous considérons le passé, nous voyons la cause dans les effets. Lorsque nous considérons l’avenir, nous voyons les effets dans la cause. Placés dans un point de la durée nous pouvons également porter nos regards en ayant et en arrière. Mais dans noire état habituel, nous sommes toujours tournés du môme côté ; dans l’état de somnambulisme, ou d’exaltation, ou de crise, nous pouvons nous tourner du côté opposé. (6)

Le Professeur Sertillanges dit encore que Le passé, est d’une certaine manière. Il n’existe pas, mais il est, selon une distinction fameuse. L’avenir nous donne une impression semblable. L’avenir c’est le plan qui se poursuit ; c’est la série composée d’êtres et de phénomènes que nous voyons, avec les yeux de l’esprit, s’enfoncer dans la profondeur des espaces, comme un cortège qui suit sa route. Laquelle ? nous ne savons pas, et, dans notre ignorance, nous supputons les mille directions qu’il peut prendre ; mais nous concevons que la vraie est fixée quelque part, non pas, sans doute, de façon à enlever leur spontanéité aux chefs de file, mais de façon pourtant n fonder une science totale que nous ne pouvons nous empêcher de concevoir au-dessus des espaces et des temps (7).


Si tout effet a une cause, et qui peut le nier ? notre avenir doit découler du présent ; en sorte que celui qui connaîtrait ou verrait bien le présent, y compris la nature et la valeur des volontés humaines qui en sont un facteur si important, pourrait prédire certains événements comme les astronomes annoncent les éclipses, l’apparition des comètes, etc. Il n’est pas nécessaire, pour admettre cela, de nier la liberté humaine. Le clairvoyant jugerait alors, simplement et logiquement, les intentions, facultés, besoins et habitudes ; il verrait ou il sentirait comment telle personne et son entourage suivent l’impulsion des circonstances. Ceux qui agissent ainsi se trompent, d’ailleurs, souvent, et cela suffit à sauvegarder le libre-arbitre. Puisque — nous le savons expérimentalement — un sujet en état second développe, parfois, une puissance intellectuelle bien supérieure a celle qu’il possède clans son état normal : mémoire plus juste, imagination plus vive, intelligence plus éveillée, jugement plus droit ; en un mot, facultés portées à leur plus haut degré, on s’explique qu’il puisse tirer certaines conclusions, soit des événements que nous connaissons, soit d’autres que nous ne connaissons pas. Ce mystérieux travail de déduction, le clairvoyant le poursuit, non dans son psychisme inférieur, mais dans les profondeurs de son subconscient. C’est là qu’il découvre, comme d’instinct, les relations de cause à effet qui nous échappent d’ordinaire, là qu’il conclut avec une certitude quasi mathématique, que telle ou telle chose se passera dans l’avenir.

Au premier rang des arts divinatoires, se place l’astrologie. Or, dussions-nous surprendre plus d’un lecteur, nous oserons dire que l’astrologie n’est pas ce qu’un vain peuple pense, et que tout n’y est peut-être point à dédaigner. Puisque — le fait est certain — nous subissons, à des degrés divers, l’influence mystérieuse des forces de la nature ; chaleur, magnétisme, électricité, etc., pourquoi les grands corps célestes n’exerceraient-ils pas aussi une réelle influence sur les corps matériels ; le phénomène des marées et d’autres bien connus ne le démontrent-ils pas suffisamment ? Pourquoi les grands corps en agissant sur nos organes, ne détermineraient-ils pas indirectement, mais réellement, un changement, soit dans l’imagination qui est une faculté plus ou moins matérielle, soit dans les autres facultés sensibles qui fournissent des matériaux aux facultés supérieures et peuvent, par exemple, soulever les appétits et les passions contre la volonté? Pourquoi des êtres comme les clairvoyants qui, dans leur état spécial, jouissent d’une psychologie plus aigüe, ne verraient-ils pas ce que nous ne pouvons voir, ce que telles el telles influences peuvent produire sur un homme, étant donné son caractère, ses habitudes, ses défauts et ses qualités ? Evidemment, une âme forte, peut résister à ces influences, et c’est un axiome de l’astrologie que le sage domine les astres : sapiens dominatur astris ; mais les forts et les sages sont si peu nombreux ici-bas !

D’autre part, pourquoi cet état spécial qui permet au clairvoyant de voir ce que d’autres ne voient pas, ne serait-il pas produit par les astres sur celui qui les étudie attentivement et leur demande les secrets de l’avenir ? Pourquoi cette étude qui se fait dans le silence de la nuit, ne pourrait-elle pas déterminer dans un cerveau des vibrations auxquelles celui-ci reste insensible dans le tumulte du jour, et par lesquelles le sensitif pourrait voir des choses invisibles au commun des mortels, des images, peut-être ces clichés astraux dont nous parlerons un peu plus bas et sur lesquels s’enregistrent les choses du présent qui déterminent l’avenir. Le grand théologien saint Thomas parait accepter celle explication. Hi vero motus faciant phantasmata ex quibus prœvidentur futura. (Pars Ier Q. LXXXVI, art. 4 ad sec.)


Quand on s’est pénétré, dit- un savant et très orthodoxe théologien (8) de la pensée que nous sommes liés et formons un même tout avec l’univers entier, avec notre système solaire, avec notre terre, et surtout avec la nature qui nous environne ; que notre essence est continuellement traversée et influencée, quoique à notre insu, par les irradiations vitales de toutes ces sphères, on s’étonne beaucoup moins de certaines perceptions mystérieuses de nos nerfs, de certains pressentiments extraordinaires. Puisque notre sensibilité s’accroît parfois, soit à cause de l’irritabilité accidentellement plus forte des nerfs, soit en raison de la force relativement plus grande des impressions, jusqu’à être affecté de ce qui se passe en certaines régions de notre être, dont nous n’avons pas ordinairement conscience, pourquoi cette même sensibilité ne serait-elle pas aussi susceptible de s’étendre dans ses rapports avec le monde extérieur, de manière à saisir parfois des influences qui ordinairement lui échappent ? Les changements de température, un orage qui menace, des froids vifs, tous ces mouvements de la pression atmosphérique, de l’électricité, du magnétisme, agissent matériellement sur les sains comme sur les malades, sur ceux qui ont la sensibilité obtuse, comme sur ceux qui l’ont très vive, et cependant ils passent inaperçus chez les uns, et sont ressentis dos autres.

Là, et là seulement, se trouve tracée la voie qui mènera à comprendre la raison de ces perceptions surprenantes et difficiles à expliquer. On arrivera ainsi, par exemple, à voir que, en songe, une vision magnétique qui nous offre dans le présent l’image d’un événement nécessairement mêlé à la trame de notre vie, mais non encore accompli, peut s’expliquer tout aussi naturellement que le pressentiment qu’un corps maladif et irritable a présentement de certaines variations de température qui ne s’accompliront, il est vrai, que plus tard, mais qui sont déjà en préparation.

Il en sera de même des autres phénomènes de clairvoyance. Nous admettons comme un fait constant, l’instinct des bêtes parce qu’il n’est pas possible de le contester ; mais, le pressentiment chez l’homme est-il plus incompréhensible que l’instinct ? Ils vont tous les deux de pair et parallèlement l’un à l’autre. L’instinct des animaux est la perception immédiate de ce qui regarde leur conservation, et le pressentiment est le sentiment immédiat de changements qui se préparent.

Il est certain, dit Gœthe, que, dans certains cas, les fibres sensibles de notre Ame peuvent atteindre au-delà de nos limites corporelles, qu’elles jouissent quelquefois du pressentiment ou de la vue réelle de notre prochain avenir. Nous sommes dans un milieu dont, nous ignorons les mouvements et les influences sur nous, ainsi que les relations avec notre Ame. Nous avons tous, en nous, quelque chose de forces électriques et magnétiques. Il m’est arrivé souvent, lorsque j’étais en compagnie d’un ami et que j’avais l’esprit vivement occupé d’une pensée, de voir cet ami me parler, le premier, de ce que j’avais dans l’esprit. Une Ame peut aussi agir sur une autre par sa présence muette.

VI

En ce qui concerne les songes, remarquons, d’abord, que les cas sont très rares où les songes projettent quelque rayon de lumière sur la connaissance de l’avenir, et que, la plupart du temps, ils peuvent être expliqués par certaines préoccupations extérieures, en sorte qu’ils ne seraient alors que le résultat de conjonctures rationnelles quoique instinctives. Trop souvent, d’ailleurs, les récits qu’on nous en fait se présentent dans des conditions qui les rendent trop discutables ou les font classer dans le domaine du merveilleux. Mais est-il possible de les rejeter tous ? Et puisque de multiples expériences nous ont montré que, dans certains états, notre psychisme acquiert un sens nouveau, ou mieux une faculté nouvelle, qui n’a aucun rapport avec les autres, qui lui permet de voir à travers les murailles, de pénétrer chez des inconnus et d’assister à leur vie, de voyager et de parcourir de grandes distances, pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour quelques privilégiés du moins, pendant le sommeil. Le moi délivré de la matière pénétrerait dans un plan supérieur, où n’étant plus embarrassé par les organes de chair, il jouirait d’un plus vaste horizon.

Ne nous arrive-t-il pas quelquefois, au réveil de certains rêves, d’éprouver une impression très pénible, comme si nous quittions un pays de lumière, pour entrer dans le noir ? Il nous semble que notre GREC, un instant détachée du monde physique et comme affranchie des biens et des suggestions des sens corporels, avait dépasse le rayon si court de notre horizon terrestre ; elle s’était comme dématérialisée et, après s’être recueillie au centre, subissant l’influence d’autres réalités, de réalités supérieures, elle avait vu ce que naguère elle ne voyait point, et il lui était douloureux de renoncer à ces horizons agrandis, pour revenir à nos pauvres réalités. (9)

Il en est qui attribuent aux « esprits » certaines révélations de l’avenir. Evidemment, il n’y a rien de contradictoire à admettre avec les spirites et de nombreux spiritualistes que des esprits bons ou mauvais, d’une puissance intellectuelle bien supérieure à la nôtre, prévoyant dans le même ordre d’idées et d’une manière bien plus parfaite, soit parce qu’ils aperçoivent des causes qui nous sont cachées, soit parce qu’ils tirent des conséquences que notre esprit borné ne tire pas, sont capables de nous éclairer sur les causes et leurs effets, plus ou moins abondamment. La théorie est donc plausible. Toutefois il reste à prouver que ces esprits existent, qu’ils peuvent jouer le rôle qu’on leur attribue et qu’ils le jouent en réalité. Mais nous n’avons pas à entrer dans cette discussion qui nous entraînerait par trop en dehors de notre sujet.

VII

Nous avons vu que certains faits subséquents peuvent être engendrés par la prédiction elle-même et provoquer chez le sujet un véritable phénomène d’auto-suggeslion, telle cette jeune fille dont parle Lombroso, qui, au cours d’une crise, annonçait un nouvel accès lequel devait arriver quinze jours plus tard et indiquait, en même temps, les moyens à employer pour l’arrêter. L’action suggestive exercée par une communication de la sous-conscience peut évidemment déterminer ou, du moins, rendre plus probable tel ou tel événement. Ainsi, entre autres, le fait de cette personne qui épouse l’inconnu que, pour des causes difficiles à déterminer, elle a vu dans un moment de rêve où d’hallucination et qui sera comme un idéal qu’elle cherchera involontairement et comme automatiquement à réaliser.

D’aucuns prétendent que les évènements de notre vie sont liés d’une manière absolue à notre personnalité, en sorte que nous portons en nous, dès la naissance, notre existence déjà faite et marquée, tel un film cinématographique qui se déroule, et que nos pensées et nos actions se dégagent, au jour le jour, sous l’impulsion de la vie. Notre conscience ordinaire, disent-ils, ne voit pas le rouleau, et ne se rend pas compte de son fonctionnement, mais lorsque, dans l’état de clairvoyance, le sensitif, sa conscience ordinaire étant assoupie, fait travailler la puissance incomparablement plus forte de son subconscient, celui-ci se rend plus ou moins parfaitement compte du mécanisme. Le temps et l’espace élargissent alors leurs confins, la vision des choses lointaines se rapproche, et il lit dans l’avenir. Il va sans dire que, pour accepter cette théorie, il faut résoudre négativement le problème de la liberté ; et quoique, en bonne philosophie comme en saine théologie, on puisse faire au déterminisme une place beaucoup plus large que certains ne l’imaginent, cela ne va point, et ne peut pas aller jusqu’au fatalisme qui supprime — et ce serait le cas - toute la liberté.

La théorie de l’automatisme qui peut s’appliquer à beaucoup de pressentiments évite cet écueil. D’après M. le professeur Grasset, notre système nerveux comprendrait outre un « centre supérieur, le Centre O » qui représente la raison, d’autres centres dits « inférieurs » qui constituent le « polygone » et correspondent à la mémoire, à l’imagination et à la sensibilité. D’ordinaire le Centre O ou psychisme supérieur et le polygone ou psychisme intérieur marchent de pair, celui-ci dominé par celui-là et n’intervenant que pour répondre à son appel, directement ou indirectement mais il n’en est pas toujours ainsi. Parfois le psychisme inférieur intervient à l’insu de l’autre et fournit des matériaux, que ce dernier ne demandait pas et dont il ignorait même l’existence, comme automatiquement. En conséquence de cette théorie — et nous ne la croyons pas sans valeur— beaucoup de pressentiments pourraient bien n’être que des phénomènes de mémoire latente. Au cours d’une promenade, j’ai vu un orme au tronc à demi détruit par la pourriture je l’ai vu sans le regarder, et, par suite, sans le remarquer ; mon esprit était ailleurs. Le souvenir en est resté cependant, à mon insu, mais réellement, au fond de ma mémoire. Un jour de grand vent je passe près de cet arbre et, sans môme y réfléchir, je m’éloigne instinctivement. Or le vent, juste à ce moment, brise l’orme qui tombe avec un terrible fracas. Le mouvement instinctif qui m’a éloigné’ m’a seul sauvé la vie, et je suis tenté de croire à un mystérieux et peut-être préternaturel avertissement. Or, probablement il n’en est rien. Mon geste avait une cause, une cause réelle quoique ignorée. Par la peuvent s’expliquer certains pressentiments qui ne seraient que des conséquences de perceptions sensorielles tombées dans la subconscience et qui reviennent inopinément, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, parfois môme dans des conditions plus ou moins dramatiques, telles que, par exemple, l’apparition d’un fantôme qui donne le conseil ou l’avertissement. Malgré le mystère impressionnant qui semble accompagner parfois ces révélations, on peut parfaitement y voir des formes d’automatisme moteur ou d’hallucinations perceptives plus ou moins symboliques produites par le subconscient.

D’autres faits s’expliquent télépathiquement. Une personne apparaît à un parent ou à un ami, soit en sommeil, soit à l’état de veille, et lui annonce sa mort. La prédiction se réalise, la personne meurt ; comment a pu se faire pour le parent ou l’ami cette révélation de l’avenir ? Le problème est peut-être moins difficile à résoudre qu’on ne le croit communément. Il est, en effet, assez naturel de supposer qu’à un moment donné, probablement durant le sommeil physiologique, le subconscient de la personne en question a perçu son état de maladie latente et l’a transmis télépathiquement au subconscient de son ami ou de son parent. Les exemples sont nombreux de sensitifs qui, durant leur sommeil, ont rêvé qu’ils allaient avoir telle ou telle maladie, plusieurs jours avant que la maladie ne se déclarât, ou même qui ont vu clairement qu’ils ôtaient sur le point de mourir, alors qu’ils paraissaient en pleine santé. Il y aurait donc, dans le cas que nous citons, un simple faits d’autoscopie joint à une transmission télépathique.

D’autres fois nous sommes en présence de phénomènes de télesthésie. Un voyageur refuse de partir affirmant que le train déraillera ; or l’évènement prouve qu’il a eu raison d’affirmer ; une somnambule déclare qu’un objet perdu sera découvert dans tel ou tel endroit. En réalité l’événement futur était déjà enregistré dans la matière. Un rail se trouvait déboulonné, nul ne le savait, mais le subconscient du voyageur l’avait perçu ; l’objet était perdu, mais il était quelque part, et le subconscient de la somnambule avait été impressionné.

VIII

Il arrive souvent, nous l’avons dit en parlant de la cristalloscopie, que le « voyant » se trouve en présence d’un tableau ; il est spectateur devant une image ; et c’est encore, signalons-le en passant, une cause d’erreur pour ceux qui veulent trop préciser ; mais n’y aurait-il pas là le point de départ d’une nouvelle explication ? Pourquoi n’existerait-il pas, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, une loi de « la conservation de l’énergie » ? De même que chaque mouvement dans l’ordre physique, produit un effet et s’inscrit, pour ainsi dire, dans la nature, pourquoi n’en serait-il pas ainsi dans l’ordre moral ? Pourquoi ce qui se dégage d’un mouvement psychique ou même ce quelque chose impossible à définir, qui se dégage d’un fait matériel pour influer sur le fait suivant, ne s’inscriraient-ils pas aussi quelque part, sur un plan approprié à leur nature, peut-être dans ce mystérieux éther dont la constitution nous échappe, encore que son existence paraisse presque impossible à nier, ou dans ce quatrième état de la matière qui, peut-être, se confond avec l’éther, s’ajoute aux trois états connus jusqu’ici : solide, liquide, gazeux et que certains nomment l’astral ? La résultante de toutes les choses écrites sur ce plan serait le tableau qui apparaît au clairvoyant, sorte de cliché kalédioscopique qui rend autre chose que les objets placés au bout de l’appareil, mais qui n’en est pas moins produits par eux. (10) Dans cette hypothèse, la pensée ne serait pas un phénomène transitoire, mais elle aurait une existence propre, elle serait une identité, une sorte de réalité spirituelle, l’esprit faisant actuellement en lui même ce qu’il imagine. Il n’y a aucune contradiction à supposer que la pensée peut émaner de nous comme comme le courant électrique émane de la pile qui l’a engendré, en sorte qu’une pensée peut être une construction aussi réelle, quoiqu’invisible, qu’un arbre ou une maison. Alors pourquoi nos désirs, nos espérances, nos projets ne s’imprimeraient-ils pas sous une modalité quelconque, ne formeraient-ils pas, dans l’invisible, comme des « clichés astraux » que les « clairvoyants » peuvent apercevoir et révéler. En réalité, dans cette théorie, les sujets ne prédisent pas, ils disent simplement ce qu’ils voient. Notre avenir est pour eux un présent qui existe et qui, à l’heure marquée, apparaîtra.

Ainsi dans ce fait tiré de l’histoire de Duguay-Trouin et que cite le docteur Maxwell :

L’illustre marin croisait depuis quelque temps avec un navire qu’il commandait, dans des parages où il ne fit aucune prise ; les vivres devenaient rares et l’équipage voulut rentrer au port ; Duguay-Trouin ne pouvait s’y résigner ; cependant l’équipage et l’état-major avaient raison et le futur amiral dut promettre de mettre le cap sur la France ; dans la nuit, il eut un rêve ; il vit deux vaisseaux qu’il attaquait et prenait. Ce rêve lui fit une telle impression qu’il supplia l’équipage de continuer encore la croisière pendant un jour ; il était persuadé d’avoir fait un songe prophétique ; en effet, le jour même, la vigie signala deux voiles à l’horizon ; le rêve de Duguay-Trouin se réalisa complètement.

Dans ce cas curieux, Duguay-Trouin aurait fait une prédiction s’il avait annoncé à ses marins, l’arrivée des prises futures ; cependant les deux vaisseaux étaient en marche, et leur roule devait croiser celle du corsaire. Le marin français aurait pu les voir, s’il avait en la vue assez perçante. L’événement qu’il voyait en rêve était déterminé par la route des bâtiments, il était inévitable. L’aventure de Duguay-Trouin rappelle celle de Christophe Colomb, mais ce dernier était arrivé à la découverte de l’Amérique par d’autres voies, plus intelligibles pour nous. Les deux cas soulèvent pourtant un problème psychologique identique au fond ; c’est pourquoi l’on peut étudier les prophètes et les devins sans perdre tout à fait son temps (11).

Il y a quelques années, je fus invité a donner une série de prédications dans une ville du midi de la France. L’invitation était ferme et devait avoir son effet avant deux mois. Je n’en avais rien dit à Mlle Y…, la clairvoyante dont nous avons déjà parlé et comme je l’interrogeais un jour sur ce point, elle m’assura voir très clairement que je parlerais, à la même époque, dans une ville plus au nord de la France. Je lui objectai qu’elle était dans l’erreur, mais elle m’affirma, sans me convaincre, d’ailleurs, que je ne parlerais pas dans l’église à laquelle je songeais, mais dans une autre qu’elle me dépeignit, sans toutefois me la nommer. Je restai persuadé qu’elle se trompait. Or quinze jours après, une circonstance imprévue ayant rendu impossible l’invitation faite pour le midi, j’étais invité dans le nord, et le lieu ou je devais parler ressemblait à la description donnée par la clairvoyante. De fait — et c’est là une constatation fort intéressante et qui vient à l’appui de la théorie — les circonstances ayant changé, je suis allé dans le midi ; mais, au moment où j’interrogeais Mlle Y…, le « cliché astral » donnait ceci : d’une part : l’invitation du midi — je l’ignorais, d’ailleurs, alors — n’existait plus dans l’esprit de celui qui l’avait faite ; d’autre part — toujours à mon insu — l’idée d’une invitation nouvelle existait dans l’esprit de celui qui devait m’appeler dans le nord. La clairvoyante ne voyait pas le premier cliché que son auteur, en changeant d’idée, avait détruit, elle ne voyait pas le troisième qui devait se former seulement plus tard, mais elle lisait le second qui, pour elle, était du présent et pour moi de l’avenir.

Nous avons là une nouvelle réponse à la question de ceux qui nous ont déjà demandé ce qu’en présence de ces faits devient la liberté humaine. Ou voit que le déterminisme n’est pas le fatalisme, et que l’avenir peut changer sous l’effort de la volonté.

IX

Evidemment, tout ce que nous venons de dire ne sort pas du domaine des hypothèses, mais ces hypothèses ne nous semblent pas toutes inacceptables, d’autant que ni la théologie, ni la philosophie ne s’opposent à ce que nous admettions en nous la possibilité d’un développement psychique, comme nous constatons la la réalité d’un développement moral. Peut-être, à cet égard, nos sens intellectuels sont-ils en état d’évolution. Sans doute, ils nous permettent de recevoir quelques impressions, mais combien nombreuses celles qu’ils ne perçoivent pas et dont l’existence est certaine cependant : des couleurs, des sons, des phénomènes électriques, des phénomènes magnétiques et tant d’autres que les instruments mieux doués que nous, semble-t-il, enregistrent avec fidélité. Que de modes d’énergie nous échappent, que d’action calorifiques, électriques, attractives, dynamiques, exercées par les corps que nous ne connaissons pas et dont quelques vibrations errantes impressionnent seulement parfois certains sensitifs mieux doués.

Oui vraiment, Hamlet avait raison et ce sera le mot de la fin : Il y a, dans notre monde, beaucoup plus de choses que notre philosophie n’en peut comprendre.


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Notes de Auteur

1. Cité dans P. Max-Simon, médecin inspecteur des asiles privés du Rhône. Le Monde des Rêves, ch. 4. Le pressentiment, Paris, 1888.

2. Cité dans L’Imagination et ses prodiges par Mgr Elic Mérie p. 300.

3. J. Maxwell. Les Phénomènes psychiques. Chap. V. P. 181-183. Paris, 1904.

4. Le cas de disparition du docteur Pétersen. Bulletin de la Société d’études, psychiques de Marseille. (Annales des Sciences psychiques. 1906, p. 310.)

5. Grasset. L’occultisme. Hier el aujourd’hui, merveilleux préscientifique P. 303-304. Masson. 1907.

6. A. de Rochas, Les vies successives p. 379, 3e partie. Paris 1911.

7. A. D. Sertillanges. L’idée de Dieu et la vérité. C.f. Revue thomiste. P. 401-402.

8. Franz Hettinger Apologie du Christianisme, T. II, p. 194.

9. Saint Thomas dans la Somme contre les Gentils, a entrevu cette explication, et encore qu’il ne parle que du sommeil naturel, le seul qu’il connût vraisemblablement, ce qu’il dit est parfaitement applicable à notre cas : Pendant le sommeil, quand nos sens sont fermés, quand notre âme n’est troublée ni par les hommes ni par les vapeurs, quand elle se trouve ainsi sous l’influence des causes supérieures, elle acquiert quelquefois une connaissance des choses futures qui dépassent la raison. On le voit bien dans l’extase, quand l’âme se dégage de l’étreinte des sens. L’âme se trouve, en effet, sur les frontières des choses corporelles et des substances incorporelles, à l’horizon du temps et de l’éternité. En s’éloignant des régions inférieures, elle monte et se rapproche de ce qu’il y a de plus élevé. (Contra Gentes Lib II De anima. cap. LXXI.)

10. Une autre loi connue en psychologie sous le nom de parallélisme psychophysique vient corroborer ce que nous disons ici. Wundt écrit dans ses Leçons sur l’âme(2e édition, Leipzig, 1892, cité par Léon Denis, Le Problème de l’Être, P. 148, Paris, 1908.) : À chaque événement psychique correspond un événement physique quelconque. De fait les expériences de régression de mémoire viennent confirmer cette loi. C’est ainsi, par exemple, que lorsqu’on replace un sujet dans une période antérieure de sa vie actuelle, on voit se reproduire chez lui certains symptômes comme, s’il s’agit d’une femme, l’état de grossesse où elle se trouvait à cette époque ; on le voit même, quand on le rajeunit suffisamment, reprendre la position du fœtus.

11. Faut-il croire aux prophéties. Dr Maxwell. Le Matin, 20 décembre 1911.

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Notes

Paul Naudet, article : « Peut-on prédir l’avenir ? », publ. in Monde psychique, 2 18 (Aout 1912), pp. 549-573.

► Le Monde psychique était l’organe de l’Institut de recherches psychiques de France, ses articles sont volontiers orientés sur la pratique et les comptes rendus d’expériences.