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Le Spiritisme et la psychiatrie
Cesare Lombroso

Peu de savants ont été, plus que moi, incrédules au spiritisme. Pour s’en convaincre il suffit de consulter mon ouvrage Pazzi ed anomali (Les Fous et les Anormaux) comme aussi mes Studi sull’Ipnotismo (Études sur l’Hypnotisme) dans lesquels je me suis laissé aller presque jusqu’à insulter les spirites. Je trouvais et je trouve encore aujourd’hui plusieurs assertions de spirites complètement inadmissibles : ainsi, par exemple, la possibilité de faire causer et agir les morts. Les morts n’étant qu’un amas de substances inorganiques, il vaudrait autant prétendre que les pierres pensent, que les pierres parlent.

Une autre raison de mon incrédulité, c’était l’obscurité où se passent presque toujours les expériences, car un physiologiste n’admet que les faits qu’il peut bien voir en pleine lumière.

Mais après avoir entendu quelques savants nier des faits d ’hypnotisme, comme la transmission de la pensée, la transposition des sens qui, pour être rares, n’en sont pas moins positifs et que j’avais constatés de visu, je fus amené à me demander si mon scepticisme à l’égard des phénomènes spirites n’était pas de même nature que celui des autres savants pour les phénomènes hypnotiques.

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L’offre m’ayant été faite d’examiner les faits produits en présence d’un médium vraiment extraordinaire — Mme Eusapia — j’acceptai avec d’autant plus d’empressement que je pouvais les étudier avec le concours d’aliénistes distingués (Tamburini, Yirgilio, Bianchi, Yizioli) qui étaient presque aussi sceptiques que moi sur la question, et qui purent m’assister dans le contrôle des phénomènes.

Nous primes les plus grandes précautions. Ayant examiné la personne d’après la méthode de la psychiatrie moderne nous avons constaté une remarquable obtusité du tact (3,6), des troubles hystériques, peut-être même épileptiques, et des traces d’une blessure profonde au pariétal gauche.

Les pieds et les mains de Mme Eusapia furent immobilisés, par le docteur Tamburini et moi, à l’aide de nos pieds et de nos mains.

Nous avons commencé et terminé nos expériences avec la lampe allumée et, de temps en temps, un de nous faisait craquer à l’improviste une allumette pour éviter toute supercherie.

Les faits observés furent assez singuliers : nous pûmes constater en pleine lumière le soulèvement d’une table et de nos chaises, et nous avons trouvé que l’effort fait pour les abaisser équivalait à un poids de 5 à 6 kilogs. Sur la demande d’un des assistants — M. Ciolli — qui connaissait le médium depuis longtemps, des coups se firent entendre à l’intérieur de la table. Ces coups (dans un langage conventionnel, soi-disant spirite) répondaient tout à fait à propos aux demandes faites sur l’âge des personnes présentes et sur ce qui devait arriver et arriva en effet au moyen du pouvoir d’un soi-disant esprit.

L’obscurité faite, nous commençâmes à entendre plus forts les coups donnés au milieu de la table, et, peu après, une sonnette, placée sur un guéridon à plus d’un mètre d’Eusapia, se mit à sonner dans l’air et au-dessus de la tête des personnes assises, puis descendit sur notre table. Quelques moments après, elle alla se placer sur un lit éloigné de 2 mètres du médium. Pendant que sur la demande des assistants nous entendions le son de cette sonnette, le Dr Ascensi, sur l’invitation de l’un de nous, alla se placer debout derrière Mme Eusapia et il fit craquer une allumette, de sorte qu’il put voir la sonnette suspendue dans l’air et allant tomber sur le lit, derrière le médium.

Ensuite, et toujours dans l’obscurité, nous entendîmes une table remuer et, pendant que les mains du médium étaient toujours bien serrées par le Dr Tamburini et moi, le professeur Yizioli se sentait ou tirer la moustache, ou picoter les genoux, par des contacts paraissant venir d’une main petite et froide.

En même temps je sentis ma chaise enlevée sous moi, puis bientôt remise à sa place.

Une lourde tenture de l’alcôve, placée à plus d’un mètre du médium, se transporta tout à coup comme poussée par le vent vers moi et m’enveloppa complètement. J’essayai de m’en débarrasser ; mais je n’y réussis qu’avec beaucoup de peine.

Les autres assistants aperçurent à dix centimètres environ au-dessus de ma tête et de celle du professeur Tamburini, des petites flammes jaunâtres. Mais ce qui m’étonna le plus ce fut le transport d’une assiette pleine de farine qui eut lieu de façon que celle-ci resta comme coagulée ainsi que de la gélatine. Cette assiette avait été placée dans l’alcôve, à plus d’un mètre et demi de nous, le médium avait pensé à la faire bouger, mais autrement, c’est-à-dire en nous saupoudrant la figure avec le contenu.

Mme Eusapia avait dit, au milieu de ses convulsions : « Prenez garde, je vous saupoudrerai le visage à vous tous avec la farine qui se trouve ici »

La lampe ayant été aussitôt rallumée nous rompîmes la chaîne que nous faisions autour de la table et nous trouvâmes l’assiette et la farine transportées.

Peu après nous vîmes un gros meuble placé plus loin que l’alcôve, à 2 mètres de nous, s’approcher lentement vers nous comme s’il était porté par quelqu’un. On aurait dit un gigantesque pachyderme s’avançant vers nous.

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Dernièrement je répétais ces expériences avec le professeur de Amicis, Chiaja, Yerdinois : j’ai vu un siège sauter d’en bas sur la table et retourner en bas ; j’avais fait tenir deux dynamomètres à Mme Eusapia. Ils marquèrent 37 et 36 kilogs. Pendant la séance, et, tandis que nous serrions les mains du médium, elle nous dit : « Maintenant on force les machines ». Nous faisons la lumière et les deux dynamomètres qui étaient loin d’elle (1/2 mètre) marquaient 42 kilogs.

Des expériences analogues ont été exécutées par les Drs Barth et Defiosa qui m’écrivent avoir vu et entendu plusieurs fois une sonnette tinter dans l’air, sans être agitée par personne. Le banquier Hirsch qui se trouvait avec eux ayant demandé à causer avec une personne qui lui était chère, il vit son image et l’entendit parler en français (elle était française et morte depuis 20 ans).

De même le Dr Barth vit son père mort et se sentit à deux reprises embrasser par lui. Tous virent des petites flammes sur la tête de Mme Eusapia.

Aucun de ces faits (qu’il faut pourtant admettre, parce qu’on ne peut nier des faits qu’on a vus) n’est de nature à faire supposer, pour les expliquer, un monde différent de celui admis par les neuro-pathologistes.

Avant tout il ne faut pas perdre de vue que Mme Eusapia est névropathe, qu’elle reçut dans son enfance un coup au pariétal gauche, ayant produit un trou assez profond pour qu’on puisse y enfoncer un doigt, qu’elle resta ensuite sujette à des accès d’épilepsie, de catalepsie, d’hystérie, qui se produisent surtout pendant les phénomènes médianimiques, qu’elle présente enfin une remarquable obtusité du tact.

C’étaient des névropathes aussi, ces médiums admirables tels que Home, Slade, etc.

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Eh bien ! je ne vois rien d’inadmissible à ce que chez les hystériques et les hypnotiques l’excitation de certains centres, qui devient puissante par suite de la paralysie de tous les autres, et provoque alors une transposition et une transmission des forces psychiques, puisse aussi amener une transformation en force lumineuse ou en force motrice. On comprend ainsi comment la force, que j’appellerai corticale ou cérébrale, d’un médium, peut, par exemple, soulever une table, tirer la barbe de quelqu’un, le battre, le caresser, phénomènes assez fréquents dans ces cas.

Pendant la transposition des sens due à l’hystérisme, quand, par exemple, le nez et le menton voient (et c’est un fait que j’ai vu de mes yeux), alors que pendant quelques instants tous les autres sens sont paralysés, le centre cortical de la vision, qui a son siège dans le cerveau, acquiert une telle énergie qu’il se substitue à l’œil. C’est ce que nous avons pu constater, Ottolenghi et moi, chez trois hypnotisés, en nous servant de la loupe et du prisme.

Lorsque le sujet suggestionné voit un objet suggéré et surtout lorsqu’il ne voit pas une chose existante qu’on lui suggère de ne pas voir (suggestion négative), malgré qu’il l’ait sous les yeux, le centre visuel cortical remplace alors l’œil, il voit quand l’œil, lui, ne voit pas ce qu’il devrait voir.

Les images provenant d’excitations intérieures, telles que les hallucinations suggérées (comme par exemple lorsqu’on fait voir au sujet une mouche imaginaire sur du papier blanc) se comportent chez quelques hypnotisés comme étant réelles. Il faut donc admettre qu’elles procèdent du cerveau à la périphérie, c’est-à-dire en sens contraire des images vraies qui se portent de la périphérie au centre. En effet, elles subissent les modifications qui peuvent provenir des moyens interposés.

Ainsi nous avons essayé de faire voir une mouche imaginaire à un sujet hypnotique ; nous fîmes avancer et rétrograder cette image dans l’espace, et la prunelle variait comme si l’image était réelle ; bien plus, à l’aide de la loupe la mouche imaginaire était grossie ou diminuait suivant les mouvements de la loupe. Nous réussîmes même à obtenir du suggestionné l’emploi d’un prisme imaginaire comme s’il existait réellement. Mais, pour que cela arrive, il faut que le centre cérébral de la vision soit substitué à l’organe de la vision même, c’est-à-dire que le cerveau voie comme voit l’œil.

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Examinons maintenant ce qui arrive quand il y a transmission de pensée. Dans certaines conditions, très rares, le mouvement cérébral que nous appelons pensée se transmet à une distance petite ou considérable. Or, de la même manière que cette force se transmet, elle peut aussi se transformer et la force psychique devient force motrice : il y a dans l’écorce cérébrale des amas de substance nerveuse (centres moteurs) qui président précisément aux mouvements et qui, étant irrités comme chez les épileptiques, provoquent des mouvements très violents dans les organes moteurs.

On m’objectera que ces mouvements spiritiques n’ont pas comme intermédiaire le muscle qui est le moyen le plus commun de transmission des mouvements ; mais la pensée non plus, dans les cas de transmission, ne se sert plus de ses voies ordinaires de communication qui sont la main et le larynx. Dans ces cas pourtant le moyen de communication est celui qui sert à toutes les énergies et qu’on peut nommer, en se servant d’une hypothèse constamment admise, l’éther, par lequel se transmettent la lumière, l’électricité, etc.

Ne voyons-nous pas l’aimant faire mouvoir le fer sans aucun intermédiaire visible ?

Dans les faits spirites, le mouvement prend une forme se rapprochant davantage de la volitive parce qu’il part d’un moteur qui est en même temps un centre psychique : l’écorce cérébrale.

La grande difficulté consiste à admettre que le cerveau est l’organe de la pensée et que la pensée est un mouvement ; car, du reste, en physique, il n’y a pas de difficulté à admettre que les énergies se transforment et que telle énergie motrice devient lumineuse ou calorifique.

Après l’ouvrage de M. Janet sur l’automatisme inconscient il n’y a plus à chercher à expliquer le cas des médiums écrivains.

Ce médium qui croit écrire sous la dictée du Tasse ou de l’Arioste et qui écrit des vers indignes d’un lycéen agit dans un état à demi somnambulique où, grâce à l’action prépondérante de l’hémisphère droit pendant l’inactivité de l’hémisphère gauche, il n’a pas conscience de ce qu’il fait et croit écrire sons la dictée d’un autre.

Cet état d’activité inconsciente explique les mouvements et les gestes que peut faire une main sans que le reste du corps et l’individu y participent, et qui paraissent être l’effet d’une intervention étrangère.

Beaucoup de faits spiritiques ne sont que l’effet de la transmission de la pensée des assistants placés près du médium, autour de la soi-disant table spiritique qui, jusqu’à un certain point, favorise cette transmission, parce que, comme je l’ai observé autrefois, les transmissions arrivent plus facilement à petite distance de l’hypnotisé et mieux avec ceux qui se trouvent en contact avec lui. La table autour de laquelle on forme la chaîne est une cause facile de contàct et une cause certaine de rapprochement. Aussi j’ai toujours vu les faits spiritiques (avoir la barbe tirée, les mains touchées) arriver plus souvent aux personnes qui sont le plus près du médium.

Lorsque la table donne une réponse exacte (par exemple quand elle dit l’âge d’une personne que celle-ci est seule à connaître), lorsqu’elle cite un vers dans une langue inconnue au médium, ce qui étonne étrangement les profanes, cela arrive parce que un des assistants connaît cet âge, ce nom, ce vers et y fixe sa pensée vivement concentrée à l’occasion de la séance, et qu’il transmet ensuite sa pensée au médium qui l’exprime par ses actes et la reflète quelquefois chez un des assistants.

Justement parce que la pensée est un mouvement, non seulement elle se transmet, mais encore elle se reflète. J’ai observé des cas d’hypnotisme où la pensée, non seulement se transmettait, mais se reflétait en bondissant chez une troisième personne qui n’était ni l’agent ni le sujet et n’avait pas été hypnotisée. C’est ce qui arrive pour la lumière et l’onde sonore.

Si dans la réunion assemblée autour de la table mystérieuse il n’y a personne qui sache le latin, la table ne parle plus latin. Mais le gros public, qui ne fait pas cette remarque, croit tout de suite que le médium parle le latin par l’inspiration des esprits et croit aussi qu’il peut converser avec les morts.

Ainsi s’expliquaient les cas de MM. Hirsch et Barth qui virent leurs parents morts et entendirent leurs voix. La pensée de la femme ayant été transmise au médium, rebondit sur eux, et, comme la pensée prend chez tous les hommes la forme d’image fugitive, à cause de la rapidité avec laquelle s’associent les idées, ils virent l’image de leurs parents, dont ils avaient la pensée et le souvenir tout à fait vivants.

Quant aux photographies spirites, j’en ai vu plusieurs, mais pas une dont je sois sûr. Tant que je n’en aurai pas obtenu une moi-môme, je ne pourrai émettre aucun jugement.

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L’objection faite par la plupart des gens est celle-ci : Pourquoi le médium, Mme Eusapia par exemple, a-t-il un pouvoir qui manque aux autres ?

De cette différence avec tout le monde surgit le soupçon d’une duperie, soupçon naturel, surtout chez les âmes vulgaires, et qui est l’explication plus simple, plus dans le goût de la multitude qui évite de réfléchir, d’étudier.

Mais ce soupçon disparaît dans l’esprit du psychologue vieilli dans l’examen des hystériques et des simulateurs.

Il s’agit d’ailleurs de faits très simples et assez vulgaires (tirer la barbe, soulever la table) à peu près toujours les mêmes et qui se répètent avec une invariable monotonie, tandis qu’un simulateur saurait les changer, en inventer de plus amusants et plus merveilleux.

En outre les charlatans sont très nombreux et les médiums très rares. En Italie j’en ai connu seulement deux, tandis que j’y ai trouvé et soigné plus d’une centaine d’hystériques simulatrices.

Si les faits spiritiques étaient toujours simulés, ils devraient être très nombreux et non des exceptions.

Je le répète, on doit chercher la cause des phénomènes dans les conditions pathologiques du médium même, précisément comme je l’ai démontré pour les phénomènes hypnotiques.

Et la grande erreur de la majorité des observateurs est d’étudier le phénomène hypnotique et non pas le terrain où il naît. Or le médium, Mme Eusapia, présente des anomalies cérébrales très graves, d’où vient sans doute l’interruption des fonctions de quelques centres cérébraux, tandis que s’accroît l’activité d’autres centres, notamment des centres moteurs. Voilà la cause des singuliers phénomènes médianimiques. Quelquefois les phénomènes spéciaux aux hypnotisés et aux médiums arrivent, il est vrai, chez des individus normaux, mais au moment d’une profonde émotion, chez les mourants, par exemple, qui pensent à la personne chérie avec toute l’énergie de la période préagonique.

La pensée se transmet alors sous forme d’image, et nous avons le fantôme qu’on appelle aujourd’hui hallucination véridique ou télépathique.

Et justement parce que le phénomène est pathologique et extraordinaire, on le rencontre seulement dans des circonstances graves et chez des individus qui ne présentent pas une grande intelligence, du moins à l’instant de l’accès médianimique.

Il est probable que dans les temps très reculés, quand le langage était à, l’état embryonnaire, la transmission de la pensée était beaucoup plus fréquente et que beaucoup plus fréquents aussi étaient les phénomènes médianimiques qu’on appelait alors magie, prophétie, etc… Mais avec le progrès, avec le perfectionnement de l’écriture et du langage, le moyen de la transmission directe de pensée fut destiné à disparaître complètement, étant devenu inutile et même nuisible et peu commode, parce qu’il trahissait les secrets et communiquait les idées avec une exactitude insuffisante.

Quand l’on eut enfin compris que ces formes névropathiques n’avaient pas l’importance qu’on leur attribuait et qu’elles étaient pathologiques et non divines, on vit diminuer et disparaître les magies, les fantômes, les soi-disants miracles qui étaient presque tous des phénomènes réels, mais médianimiques.

Chez les peuples civilisés on ne rencontra plus toutes ces manifestations qu’en des cas très rares, tandis qu’elles continuent sur une vaste échelle chez les peuples sauvages et les individus névropathiques.

Étudions, observons donc, comme dans la névrose, les convulsions, l’hypnotisme, le sujet plus que le phénomène, et nous trouverons l’explication de celui-ci plus complète et moins merveilleuse qu’elle ne semblait tout d’abord. Pour le moment défions-nous de cette prétendue finesse d’esprit qui consiste à voir partout des simulateurs et à nous croire seuls les savants, tandis que précisément cette prétention pourrait nous plonger dans l’erreur.

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Notes

Cesare Lombroso, article : « Le spiritisme et la psychiatrie », publ. in Annales des sciences psychiques, 2 (1892), pp. 143-151.

► Les Annales des sciences psychiques est une célèbre revue de parapsychologie publiée de 1891 à 1919 et ayant imprimé des articles des plus grands noms de l’époque. Elle reprend le flambeau de la Revue des Études Psychiques (1901-1904) alors dirigé par César de Vesme et sera continuée par La Revue Métapsychique à partir de 1920.