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Les Visions hermétiques


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
Clovis Hesteau de Nuysement1620Littérature (poés.)FranceAlchimie
Mysticisme
Non applicable

► Considéré de bon droit comme le chef-d’œuvre de Nuysement, on voit dans ce texte, l’influence des symboles du De la Pierre Philosophale.

► Albert-Marie Schmidt faisait remarquer en conclusion de son introduction aux Visions : On s’appliquera, en lisant Les Visions Hermétiques, à ne jamais distinguer l’ordre alchimique de l’ordre mystique, ainsi coïnciderait-on pleinement avec le génie des anciens hermétistes, qui, membres d’un univers sans cesse informé par d’émouvants courants cosmiques, vivaient et souffraient leur philosophie.


Texte : Clovis Hesteau de Nuysement in Poeme philosophic de la verité de la Phisique mineralle (via Hermès (2, I)), 1620. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France

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1. — Bien que nostre Art consiste en une seule chose ;
Et que d’un vil habit nostre Roy soit caché :
Voyez comme il se change, & se metamorphose,
Avant que du sepulchre il puisse estre arraché.

2. — Ie vey par un fort aigle un vieillard venerable
Au sein d’un gros nuage enlever jusqu’aux Cieux.
Puis tournant dans un globe en façon effroiable,
Devenir eau tresclaire, & sel tresprecieux.

3. — Ie vey dans nostre mer deux poissons admirables
Qui sans chair & sans os cuisoient dans leur propre eau.
Et de leur suc enfloient les Ondes delectables
Qui leur dormerent l’estre, & qui sont leur tombeau.

4. — Ie vey dans un bourbier une Phere sauvage,
Plus vile qu’un sanglier en sa fange dormant ;
Qui changeant peu à peu de poil et de corsage,
S’alloit en biche blanche à la fin transformant.

5. — Ie vey dans le profond de nostre forest noire,
Aupres d’une Unicorne, un cerf audacieux ;
Suivi de cent Veneurs, dont un seul plein de gloire
Feit de leur chair doree un mets délicieux.

6. — Dans un vallon ombreux de ceste forest mesme
Ie vey deux fiers Lions l’un sur l’autre acharnez ;
Qui pris par ce Veneur avec travail extresme,
Purent sous un ioug mesme en triomphe amenez.

7. — Ie veys un chien superbe, et un loup plein de rage
Se colleter l’un l’autre ; & s’estranglant tous deux
Convertir en venin leur sang et leur carnage :
Puis ce venin resoudre en baume precieux.

8. — Ie vey dessous un antre un grand dragon horrible,
Vomissant son venin aux rayons du Soleil.
À tout autre animal redoutable & nuisible,
Car il n’ est Basilic en cruauté pareil.

9. — Ie le vey tost apres surpris dans le cordage
Du Veneur cauteleux ; ou pire qu’enragé
Il devoroit sa queue ; & par son propre outrage
En fine Theriaque estre son sang changé.

10. — Dans la mesme forest ma veue fut conduitte
Sur un nid, ou gisoient les deux oyseaux d’Hermes,
L’un taschoit à voller, l’autre empeschoit sa fuitte ;
Ainsi l’un retient l’autre, & n’en partent jamais.

11. — Au-dessus de ce nid, je vey sur une branche
Deux oyseaux se piller & se donner la mort.
L’un de couleur de sang, l’autre de couleur blanche ;
Et tous deux en mourant prendre un plus heureux sort.

12. — Ie les vey transmuer en blanche colombelles,
Puis en un seul phenix toutes deux se changer.
Qui semblable au Soleil, sur ses brillantes aelles
Affranchy de la Parque au Ciel s’alla ranger,

13. — Ie veys un fier Monarque en sa royalle pompe,
Sortant de ces forests dont il se disoit Roy ;
Aux quatre parts du monde au haut son d’une trompe
Appeler ses vassaulx pour recevoir sa loi.

14. — Sur son chef eclattoit une triple couronne,
Où maint large escarboucle alloit estincelant.
Et flamboit en sa dextre un beau sceptre, où rayonne
Avec l’or précieux un esmail excellent.

15. — D’un pourpre cirien orné de broderie,
Sa robbe Imperialle à lays larges et longs
Par dessus un harnois riche d’orfavrerie
Luy pendoit de l’espaule au dessous des talons.

16. — Pompeux de Maiesté, d’un front severe & grave,
I1 dist à mille Rois â ses pieds prosternez,
Le plus puissant de vous n’est ore qu’un esclave ;
Car tous pour mon trophee estes predestinez.

17. — Sur tous mes ennemis i’ai gaigné la victoire ;
Et bravé la mort mesme en rompant mon tombeau.
Ie suis incomparable en puissance et en gloire ;
Plus riche que Pluton, & plus qu’Apollon beau.

18. — I’esleve le plus pauvre en dignité Royalle ;
Ie donne aux imparfaits toute perfection.
Et ceux que ie padais à moymesme i’esgalle,
Leur donnant les effects de la mesme action.

19. — I’assouvis de tresors les âmes plus avares ;
Ie comble de santé les corps plus abattus ;
I’exalte Ie cristal sur les gemmes plus rares :
Universel en force, & unique en vertus.

20. — Qui ne tiendroit pour fable un progrez si estrange ?
Veu qu’une chose vile, à chacun en mespris,
Sans travail, sans despens, de soymesme se change
En un triple tresor sans pareil & sans prix.

21. — Ie suis donc le Phenix qui renaist de sa cendre :
Le grain qui pour produire en la terre pourrit :
Ie suis ce Pellican ; & cette Salemandre,
Qui au feu prend naissance & du feu se nourrit.

22. — Ie suis, tant que la terre en ses flancs me recelle,
En trinité Unique, ou Trine en unité.
Et viendrois de moymesme en grande authorité,
Si l’avare envieux ne me separoit d’elle.

23.— Tout le monde à vil prix m’achette & me passede:
Mais c’est apres ma mort & quand seulet ie suis ;
Qui doncque me prend vif, & sçait ce que ie puis,
Peut dire qu’aux tresors des esleuz il succede.