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La Bibliothèque occulte de Stanislas de Guaita
Frédéric Coxe

Si les murs pouvaient parler, ils nous diraient ce qu’ils ont surpris des intuitions de Stanislas de Guaita dans son petit rez-de-chaussée de l’avenue Trudaine. Le Maître y avait réuni la plus extraordinaire collection de livres occultes. Cette bibliothèque étrange renfermait des secrets que les hommes avaient arrachés au cours des âges. Le voile levé, ces chercheurs de l’ombre avaient scellé leurs découvertes en des ouvrages d’alchimie, de kabbale ou de magie ; si le secret était trop brûlant, avec patience ils avaient inscrit sur parchemin l’impénétrable révélation, parfois enluminée de graves et mystérieuses miniatures.

L’émergence des sciences positives relégua ces trésors de l’intuition humaine au fond des placards, taxés d’erreur et définitivement oubliés.

En se promenant sur les quais, Stanislas de Guaita trouvait parfois ces livres devenus rares et recherchés par quelque hiérophante comme lui, las de la rigidité et du manque de saveur de la démarche scientifique. Lorsqu’il en trouvait un, il le collationnait soigneusement, et selon les critères du bibliophile exigeant, pouvait l’acheter fort cher si l’exemplaire était de qualité. À la joie de la découverte de l’ouvrage tant désiré s’ajoutait celle de l’étude, car contrairement à la grande majorité des collectionneurs, Guaita lisait ses livres avec toute la méthode et l’ordre du chercheur, se plongeant de longues heures dans le dédale de symboles oubliés. Tous ces livres, en perdant leur sens, avaient conservé leur âme, laissant au Maître le fil d’Ariane qui le conduirait à « la clef de l’Absolu ». C’est auréolé de cette énigme que Stanislas de Guaita s’offre à nous, liant notre quête biographique à l’étude de son extraordinaire bibliothèque. (1)

Un parfum de mystère se dégage de cette bibliothèque, et plus encore une sensation mêlant incertitude et incomplétude. Pourtant, la bibliothèque nous est parfaitement connue, grâce au fameux catalogue édité par Dorbon et dont les 2227 ouvrages mentionnées sont décrits avec rigueur ; cela n’est cependant qu’une constatation limitée au seul critère du contenant, et ne tient pas compte de l’intérêt du contenu des livres, qui lui, reste tout à fait incompréhensible aux yeux du non-initié. Mystérieuse donc, parce que les connaissances renfermées dans un ensemble aussi important ne peuvent être embrassées qu’à la condition d’y avoir aisément accès. Ce ne sont malheureusement pas les bibliothèques publiques, dont la vocation n’est pas d’être spécialisées, qui peuvent permettre une mise à disposition, dans son ensemble, et sans restriction de temps, un si grand nombre de volumes. (2)

L’incomplétude, quant à elle, s’imposa d’elle-même au fur et à mesure de nos recherches. Il est certain que Guaita n’a pas créé sa bibliothèque en y apportant jour après jour chacun des 2235 ouvrages (3) formant sa bibliothèque ; non, elle renferma d’autres livres, que nous pouvons classer en deux catégories : ceux dont il se sépara pour pouvoir en acheter de nouveaux, plus précieux ou plus importants pour ses études, c’est la fluctuation qui caractérise la collection progressive de l’amateur qui évolue ; et ceux dont nous ignorons pour quelle raison ils n’apparaissent pas dans le catalogue Dorbon. Insaisissable pour la seconde fois, cette bibliothèque, parce que tous les livres ne figurent pas sur la photographie que nous connaissons. Nous verrons plus loin dans quelle mesure on peut s’interroger sur des manques manifestes.

La bibliothèque fut mise en vente par le libraire Dorbon en décembre 1898, février, avril, et juin 1899. Quatre fascicules (4) furent imprimés pour l’occasion et envoyés aux clients de la librairie de la rue de la Seine, dispersant définitivement tous les ouvrages que Guaita avait mis près de treize ans à réunir. Albert de Pouvourville, alias Matgioi en littérature ésotérique, écrit :

Nous n’avons pas à rappeler, si ce n’est pour commémorer la tristesse profonde avec laquelle nous vîmes jadis échouer tous nos efforts, comment la bibliothèque parisienne de Guaita, soigneusement soulagée de tous les autographes, fut refusée péremptoirement aux offres, pourtant généreuses, des amis du mort, et dispersée par intermédiaire marchand entre mille amateurs particuliers ; et cela dans le but, nettement déclaré par les héritiers, d’enlever aux occultistes un précieux fond de travail. Quant à la bibliothèque lorraine, quant aux notes et manuscrits, ils devenaient la propriété normale et légale d’une famille, dont nous n’avons pas le droit de scruter les motifs, mais dont nous avons le droit de dire qu’elle se montra plus soucieuse de l’opinion des vivants que de la gloire du mort. (5)

Ce témoignage fait état d’une bibliothèque lorraine dans laquelle Guaita entreposait une partie de ses livres ; l’appartement parisien n’a donc pas contenu la totalité des ouvrages. Nous pourrons distinguer un peu plus nettement chacune des deux entités, après avoir relaté les évènements qui se déroulèrent entre l’avenue Trudaine et Alteville, quelques mois seulement avant que la bibliothèque ne fût définitivement dispersée.

Les derniers instants de la bibliothèque

La décision de se séparer de la bibliothèque ne fut pas prise sans quelques hésitations. Il est vrai que l’héritage paraissait à la famille bien encombrant, sinon sulfureux. Il convient cependant de nuancer les sentiments de la famille à l’égard de ce legs à propos duquel Guaita ne laissa aucune instruction. Nous venons de le voir, Matgioi n’a pas été très tendre avec la famille. Pourtant, Marie-Amélie de Guaita, n’avait pas décidé de vendre si hâtivement les livres de son fils. Wirth écrit (6) :

En présentant mes hommages les plus respectueux à Madame de Guaita, veuillez lui dire que mon impression est qu’il n’y a rien à regretter dans la décision prise au sujet de la bibliothèque.

La mère de Stanislas avait même entrepris la rénovation de la bibliothèque du château d’Alteville dans laquelle se trouvaient les « livres maudits », alors que son fils était en pleine agonie. Un dossier intitulé « nouvelle bibliothèque 1897-1898 » (7) contient les devis datés et les acomptes versés aux différents entrepreneurs. Le premier acompte fut versé le 23 juin 1897. Stanislas était au plus mal, alité au château et veillé par ses proches. Il est probable que Marie-Amélie avait décidé de faire plaisir à son fils. Elle le fit sûrement en espérant que l’idée même d’un nouveau cadre d’étude, ses « chères études », puisse lui redonner un peu de force, un peu d’espoir. Il n’était plus question de lui reprocher ses déviances.

La propre sœur de Guaita ne fut pas totalement hostile à ces études occultes si contraires à la foi catholique. Maurice Barrès nous en parle (8) :

Je sais ce que ces études, ces sciences occultes (9) ont été pour l’ennoblissement moral de mon frère.

Le beau-frère de Guaita, Pierre de Lallemand de Mont, ne réprouva pas non plus ses études occultes, puisqu’il lui offrit lui-même le plus précieux des cadeaux que l’on puisse faire à un collectionneur de livres anciens. Guaita écrit à Péladan (10) :

Ma bibliothèque kabbalistique s’est considérablement augmentée, et je vous dresse la liste des plus curieux ouvrages, trésors intellectuels que j’aurai la joie de partager avec vous. 2 manuscrits, l’un du Juif Abraham, développé (16 dessins de Flamel) ; l’autre du Philosophe Selidonius, manuscrit unique en style et orthogr. de souffleur, 18 étonnants pantacles coloriés, XVIIème siècle, naïfs, on ne peut plus remarquables. Ce manuscrit (11), absolument au dessus de mes moyens (50 f.) m’a été donné au nouvel-an par mon beau-frère.

Cependant, l’existence de la bibliothèque, en de telles circonstances, ne représentait plus qu’amertume et souvenir de l’enfant perdu, et dans l’urgence, l’abattement et la tristesse dictèrent de se débarrasser du fardeau. Il fut donc décidé de vendre.

Pierre de Lallemand de Mont (12) fut tout naturellement désigné pour s’acquitter de cette tâche, étant le dernier homme de la famille. Il contacta immédiatement Oswald Wirth, ancien secrétaire de Guaita, plus qualifié pour une telle entreprise, d’une part pour la vente proprement dite des livres, d’autre part pour l’inventaire qu’il convenait de rapidement dresser. La tâche qui lui échut supposait que P. de Mont fût régulièrement informé de l’avancée de son travail. Une correspondance (13) s’établit donc entre les deux hommes après que Wirth fut rentré à Paris. Très rapidement, au début du mois de février 1898, se manifesta le premier acquéreur potentiel, en la personne d’un certain Van Der.

Pierre de Mont reçut en effet, quelques jours auparavant, une offre de dix mille francs pour l’ensemble de la bibliothèque, mais jugeant probablement l’affaire trop floue, il chargea Wirth de se renseigner plus en profondeur sur ce client sorti de nulle part. Croyant servir sa cause en se réclamant du musée Guimet (14), Van Der avait offert un point de départ inespéré à la petite enquête qui s’imposait.

En effet, Wirth revenait de ce musée, où il y avait proposé des manuscrits arabes ramenés par son frère. On lui répondit que la caisse étant vide, c’est sous forme de don uniquement que le musée serait heureux de les recevoir. Comment Van Der aurait-il pu alors disposer de dix mille francs pour acheter la bibliothèque ?

Le 15 février, Wirth se rendit au 96 rue de la Fontaine avec l’intention de réclamer de sérieuses références, mais ne trouva que la concierge et laissa sa carte, puis au numéro 56 de cette même rue (15), sans résultat. C’est le 16 février que Van Der alla chez Wirth et lui dit être en relation avec le libraire Chamuel, certainement dans le but de donner un peu plus de crédit à sa candidature. La situation devint plus claire et les soupçons se confirmèrent à la Librairie du Merveilleux (16).

De la bouche même des employés de Chamuel, (celui-ci étant parti en voyage) Van Der ne faisait qu’un avec Elias Conrad, dont le vrai nom, raconte Wirth, était en fait Van Kerkov (17) ; dans ces identités diverses, ce personnage haut en couleur aux surnoms exotiques se révélait finalement n’être qu’un escroc, du moins un individu sans le sou. Wirth retrouva pourtant le fameux Van Kerkov un mois plus tard.

Il était assis dans les escaliers, et avait préparé à Wirth une histoire savoureuse. Il lui dit qu’en sa qualité de médium, il avait communiqué avec Stanislas de Guaita, et que celui-ci lui aurait promis de lui obtenir sa bibliothèque, afin qu’elle ne tombe pas entre les mains d’acheteurs profanes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Van Kerkov ne fut pas le seul à tenir des propos de ce genre. La frénésie qui s’installait alors alimentait les convoitises des amis mêmes du défunt, qui ne voulaient pas que la bibliothèque soit dispersée. Gérard Encausse (dit Papus) fut un de ceux-là, certainement surpris de la vente décidée par la famille. Il écrit juste après la mort de Guaita.

Guaita avait un culte sacré : celui de sa mère. Et cette mère méritait certainement une telle piété filiale et une si douce récompense des croix sans cesse accumulées sur sa route. C’est elle, nous en sommes persuadés, qui voudra recueillir et conserver dans le château de famille, ces livres, tous annotés de la main du cher enfant et contenant comme une émanation de lui après son départ. C’est en pensant à elle que ces notes furent écrites et sa piété saura en apprécier la valeur. (18)

Papus tint le même langage que Van Kerkov, tout aussi insensé, à Marguerite (19), la vieille servante qui avait entourée l’enfance de Guaita au château d’Alteville.

Outre ces deux personnages, un homme du nom de Mailhat, peut-être libraire, se signala en mai 1898 mais ne donna plus de nouvelles ensuite. Ce même mois, Wirth attendait également que se manifeste la bibliothèque de la ville de Paris, sans grand espoir. Il aurait été étonnant que le Conseil Municipal votât les fonds pour l’acquisition d’une bibliothèque d’occultisme.

Pendant tout le temps que se décida le sort de la bibliothèque, le libraire Chamuel fut de loin le plus actif. Dès le mois de mars, il se rapprocha étroitement de Wirth. Il fut d’abord question du Temple de Satan (20), dont il était l’éditeur, sur le point d’être épuisé. Il se proposa de se charger de la publication du catalogue de la bibliothèque et pensa même y insérer une biographie, une reproduction des articles parus, et autres compléments, afin que le catalogue fût plus facilement vendable.

Enfin, Chamuel prétendit être en relation avec un inconnu intéressé par l’achat de la bibliothèque, un millionnaire de surcroît, ce qui ne gâtait rien. Un mois passé et Chamuel promet d’écrire à son client de venir à Paris, un autre mois et Wirth n’en sait toujours pas plus. Le 13 juin, Chamuel dit avoir écrit à son amateur et attendre encore une réponse. Il lui écrira à nouveau pour le presser, c’est promis. Début juillet, il n’est toujours pas rentré d’un voyage à Londres. Matgioi l’informera à son retour de la vente de la bibliothèque à Dorbon, qui avait acheté l’ensemble des livres pour 15.000 francs. L’affaire avait raté. Son millionnaire était en mer lorsqu’il lui avait écrit, et la consolation fut bien maigre à lire ces deux lignes :

Le génie occulte qui veille aux destinées de la Maison Chamuel ne fait aboutir que les bonnes affaires en sorte que finalement tout est pour le mieux … (21)

Chamuel se posa alors en victime et trouva le tour que M. de Mont lui avait joué tout à fait injuste. Lui, l’ami de Guaita, avait été délaissé pour un libraire concurrent alors qu’il était absent.

Une fois l’affaire négociée avec Dorbon, il assura que s’il avait su que P. de Mont était disposé à céder pour 15.000 francs, il se serait mis sur les rangs et aurait offert 16.000, dont 10.000 comptant. Son amateur aurait, selon lui, sûrement accepté le prix de 20.000 francs, s’il n’avait pas été entendu qu’en dessous de 30.000 les offres n’étaient pas reçues.

Il est vrai que Chamuel avait bien avancé les négociations avec Wirth. Il avait notamment réclamé une commission au cas où son client viendrait à acheter la bibliothèque, en compensation du « service commercial rendu ». Il souhaitait dix pour cent sur le prix de vente, sous prétexte que les libraires ont fait un escompte de dix pour cent sur tous les achats de Guaita (22). Il crut bon de devoir associer Wirth à sa petite affaire, en sorte que l’association ainsi créée pourrait se faire la part aussi belle que possible en manœuvrant adroitement auprès de P. de Mont.

Wirth n’entra pas dans la combine et expliqua la situation à P. de Mont, en prenant bien soin de ne rien en dire à Chamuel. Mais cette vague assurance d’une commission ne lui suffit pas, et il se mit à convoiter activement les livres en double. Il espérait en fait proposer le prix important de 30.000 francs à son client pour une partie de la bibliothèque, et récupérer à prix très modéré tous les exemplaires que Guaita possédait au moins deux fois. Pour arriver à ses fins, il mit en avant toute l’importance de son rôle d’intermédiaire et insista pour que Wirth fût très modéré dans l’estimation des doubles. Quant à l’acheteur qui désirerait acheter en bloc, il fallait qu’il fût riche et qu’il épousât les goûts de M. de Guaita en accordant une valeur ajoutée à la qualité et à l’exceptionnel état des ouvrages. Chamuel tentait de paraître indispensable aux yeux de Wirth, mais la décision traîna, et les mois passèrent sans que rien de concret n’arrivât.

Finalement, plusieurs facteurs eurent raison de la patience des vendeurs. Retenons en priorité le délai de quatre mois qui s’écoula, au cours desquels la vente stagna, alors que la famille n’avait certainement pas l’intention de rester les bras croisés. Le côté très prononcé de commerçant de Chamuel, qui aimait marchander et tirer le plus possible la couverture à lui, sa tentative canaille de s’arranger avec Wirth pour obtenir plus d’avantages encore, et ce millionnaire qui ne donnait pas signe de vie, c’est tout cela qui décida P. de Mont à traiter avec un autre personnage qui se présenta sous un tout autre visage...

Dorbon (23) entra en contact avec Wirth à la fin du mois de juin 1898. Celui-ci le traita de

libraire intelligent, qui a tout intérêt à se conformer aux vœux qu’un bibliophile peut formuler touchant le sort de ses livres (24). De plus, il n’avait pas l’intention de lésiner, afin que le catalogue de la bibliothèque soit irréprochable, alors que Chamuel n’était finalement pas dans des dispositions aussi favorables (25). L’accord avec Dorbon fut bouclé en moins de quinze jours. Wirth se tint à la disposition du libraire dès le mois de juillet 1898. Il lui porta quelques ouvrages de la bibliothèque, ainsi que le catalogue manuscrit des livres formant la bibliothèque occulte de Guaita qu’il venait de dresser (26) afin que le libraire puisse rapidement se mettre au travail.

Ce catalogue manuscrit contenait tout le travail d’inventaire de la bibliothèque, dont le triage débuta le 9 mars 1898. Les livres entreposés avenue Trudaine n’étaient pas restés très longtemps sans surveillance. Marguerite (27), qui avait depuis toujours servi la famille Guaita au château d’Alteville, était à Paris. Elle préparait le déjeuner de Wirth lorsqu’il était là, et ne manquait pas de toujours entretenir un bon feu dans le cabinet de travail. La sœur de Wirth qui étudiait à Paris, vint régulièrement aider son frère à l’inventaire des ouvrages et, dès le début du labeur, ils suivirent une méthode de classement rigoureuse. Il s’agissait de prendre les ouvrages rayon par rayon, dans l’ordre de leur emplacement respectif, et de leur attribuer un numéro provisoire à l’aide d’une petite fiche insérée dans le livre. Guaita, qui avait pris soin de truffer de copieuses et judicieuses remarques la plupart de ses livres, facilita véritablement le travail de Wirth, qui n’avait plus qu’à recopier ces notices de catalogue sur de grandes feuilles de papier. Il suffisait ensuite de grouper par feuille les ouvrages de même nature. Au fur et à mesure, Wirth s’efforça de déterminer le prix de chaque ouvrage. Ce premier classement méthodique eut pour objectif de faciliter le classement définitif.

La cadence de ce travail est allée croissante. Ainsi, en ce premier jour de triage du 9 mars, Wirth aidé de sa sœur n’établit qu’une cinquantaine de fiches ; les hésitations et les inexactitudes du début étaient inévitables. Cependant, cette première journée de travail lui permit d’estimer en avoir jusqu’à la fin du mois, à raison de cinq jours par semaine. Le 20 mars, trois cents et quelques fiches étaient établies. Les notices à recopier lui prirent le plus clair de son temps. La bibliothèque d’Alteville fut acheminée avenue Trudaine vers la fin du mois d’avril, et Wirth termina de cataloguer ces livres autour du 18 mai. (28)

Le classement définitif fut prêt à la fin du mois de mai. Wirth avait établi des fiches par nom d’auteur ; il lui restait à établir une simple liste de tous les ouvrages dans le rang voulu avec le prix. Une fois recopiée, cette liste pourrait être remise à l’acheteur, qui aurait ainsi plus de facilité à rédiger son propre catalogue. Le 13 juin, Wirth avait enfin terminé le fameux relevé de catalogue et avait fixé la somme de 35.834 francs pour la totalité des livres, qui furent groupés en six catégories :

1 - Religion, Philosophie, Mysticisme
2 - Alchimie, Hermétisme, Kabbale
3 - Magie, Occultisme, Magnétisme, Spiritisme, Théosophie
4 - Divination, Astrologie, Prédictions, Chiromancie, etc.
5 - Sorcellerie, Démonologie, Magie Noire
6 - Histoire, Archéologie, Divers.

Il fallait encore tout vérifier, puis corriger les erreurs éventuelles, préparer les feuilles pour l’imprimeur, et cela le plus rapidement possible, puisque les livres devaient être emballés à bref délais afin de libérer l’appartement. De là, nous retrouvons les livres chez Dorbon, regroupés pour la dernière fois, puis dispersés au gré de mille collectionneurs.

Tout bibliophile ne peut contenir une pointe de tristesse ou de nostalgie à cette évocation, ne connaissant que trop le temps passé et les sacrifices que réclament l’édification d’une bibliothèque si remarquable à la fois par le nombre et par la qualité de ses ouvrages. Ces sentiments, Maître Maurice Garçon (29) en évoquait de semblables quand lui-même se sépara de sa bibliothèque le 9 Mai 1967 à l’hôtel des ventes de Drouot. Il notait dans l’avant-propos de son catalogue :

Quelque douleur que j’en éprouve, je me suis résolu à me séparer de mes vieux amis. À la vérité, cette collection que j’ai amoureusement rassemblée n’a plus aucun intérêt pour moi. J’en ai épuisé depuis longtemps les richesses et elle n’est plus que le témoignage d’un morceau de vie passé. Faut-il rompre les attaches qui se sont créées entre ces livres ? Je suis revenu depuis longtemps de toute superstition et ces ouvrages traitant de magie, de sorcellerie et d’occultisme demandent, j’en suis convaincu, à être dispersés. Cette collection qui me fut précieuse est maintenant inerte pour son détenteur qui en a tari l’intérêt. Je confie donc ma bibliothèque aux amateurs, espérant que certains pourront y poursuivre l’étude de l’évolution de l’esprit. Pour d’autres, acculés par l’impossibilité d’écarter d’eux une certaine incertitude, ils s’en trouveront renforcés dans leurs croyances. Alors ces livres reprendront la vie qui les animait, ils retrouveront leur raison d’être et donneront à leurs nouveaux détenteurs les joies que j’ai connues dans leur commerce. Je leur rends donc leur liberté, avec l’espoir que leur dispersion leur fera rencontrer d’autres amis.

Distinguo des deux bibliothèques

Stanislas de Guaita possédait deux bibliothèques bien distinctes. Une partie des livres était entreposée avenue Trudaine, et l’autre partie au château d’Alteville. Jusqu’à présent, la seule possibilité dont nous disposions pour connaître le nombre d’ouvrages que contenaient l’une et l’autre bibliothèque était de réunir la totalité de la collection Guaita ; entreprise vouée d’avance à l’échec.

Tentons tout de même de nous approcher de la réalité. Imaginons que nous avons tous les livres devant nous. Ouvrons-les soigneusement un par un. Sur chacun des livres qu’il possédait au moins deux fois, Guaita avait pris soin de noter exemplaire en double. Comptons les livres portant cette annotation, ceux-là proviennent d’Alteville. Tous les autres sont les exemplaires parisiens. En théorie, il nous serait possible de dénombrer et de distinguer les uns des autres, mais en théorie seulement. Pourtant, par un moyen détourné, tentons une estimation.

Il s’agit d’abord de s’assurer que les exemplaires en double provenaient bien d’Alteville. Guaita nous a laissé le premier indice, en accompagnant sa petite note d’une parenthèse qui la suit immédiatement. Exemplaire en double (Bibliothèque pérégrine). À Rome, le Pérégrin était un homme libre qui n’était ni citoyen romain ni citoyen latin. À l’image de cet homme, la bibliothèque pérégrine n’aurait été ni parisienne ni lorraine, et dans cet esprit, « pérégrine » destine la bibliothèque à voyager d’un endroit à un autre. Cette idée de déplacement est proche du nom féminin « pérégrination », qui suppose des allées et venues incessantes. Dans la Clé de la magie noire, Stanislas de Guaita l’utilise d’ailleurs dans ce sens : C’est la faculté plastique qui élabore et qui adapte à l’âme pérégrine tel corps astral de rechange,….

Les six mois environ qu’il passait au château d’Alteville (30) étaient destinés à la méditation et surtout au travail. Les livres étaient indispensables à ses recherches. Prévoyant, il avait acheté certains exemplaires deux fois ; l’un destiné aux rayonnages de la bibliothèque parisienne, et l’autre finalement destiné à la bibliothèque lorraine, immédiatement annoté, puis emballé pour voyager par train. Guaita écrit à Pauline Braig (31) en 1890 :

Excusez-moi, je vous en prie, si je quitte Paris sans avoir pu aller vous embrasser : je suis pris par mes déménagements et l’emballage de ma bibliothèque, au point que je ne sais pas même si j’aurai tout terminé pour prendre le train ce soir. (32)

Le lieu de départ de Paris était la gare de l’Est et la ligne la plus proche d’Alteville était celle qui passait par Avricourt. Le traité de paix conclu avec l’Allemagne, à la suite de la guerre de 1870-1871, avait entraîné la mutilation du réseau de l’Est et lui avait fait perdre de nombreuses lignes. La ligne de Dieuze à Avricourt faisait partie du nouveau réseau. Guaita faisait ainsi arriver les livres jusqu’à sa terre natale et disposait de toute la documentation nécessaire à ses études.

Il était donc prévu que les exemplaires en double finissent à Alteville, et ce fait est clairement établi par Wirth lorsqu’il écrit :

Il y a la question des ouvrages en double qui le préoccupe : Si j’arrivais à obtenir 30.000 Francs pour les exemplaires de Paris, pensez-vous qu’on nous donnerait les doubles ? (33)

Le nombre de livres dans l’une et dans l’autre des bibliothèques n’a été connu que de Guaita lui-même, puis de Wirth qui en effectua le classement. C’est à partir des estimations de Wirth que nous pouvons essayer de nous approcher le plus possible de la vérité. Pour cela, nous disposons de plusieurs indices, notamment dans la correspondance de Wirth avec P. de Mont. Tout d’abord, nous savons que le classement débuta le 9 mars 1898. Si, au début, le tri mit un peu de temps à trouver sa vitesse de croisière, 300 fiches étaient établies le 20 mars. Enfin, les livres d’Alteville arrivèrent avenue Trudaine dans le courant du mois d’avril et leur catalogage fut terminé le 18 mai. À l’aide de ces éléments, suivons Wirth dans son travail et vérifions si cette cadence de 300 fiches établies tous les dix jours nous mène bien à 2235 ouvrages classés le 18 mai.

10 mars = 0
20 mars = 300 fiches établies
30 mars = 600 fiches
10 avril = 900 fiches
20 avril = 1200 fiches
30 avril = 1500 fiches
10 mai = 1800 fiches
20 mai = 2100 fiches

Soit environ 2100 fiches pour 2235 ouvrages. Reste donc 135.

S’agissant d’approximation, nous estimons que cette marge d’imprécision de 135 ouvrages, soit 6%, est acceptable. En conséquence, notre raisonnement nous paraît donc valide.

Le 20 mars, Wirth écrit à P. de Mont.

Cher Monsieur, Le travail se poursuit ; 300 et quelques fiches sont établies, ce qui représente environ le quart des livres qui sont ici.

Si l’on en croit Wirth, la bibliothèque parisienne aurait donc contenue 1200 livres environ, et sur les 2235, un millier d’ouvrages aurait garni les rayonnages d’Alteville.

Nous ne cachons pas notre étonnement face à ce constat, même s’il ne s’agit que d’approximations. Exprimé en pourcentage, la bibliothèque lorraine aurait représenté 45%, ne laissant que 55% de livres à la bibliothèque parisienne. Le doute est désormais installé.

Aidé du schéma précédent, tentons d’affirmer ou d’infirmer cette hypothèse de départ.

En supposant que la bibliothèque parisienne ait bien contenu 1200 ouvrages, classés par Wirth à raison de 300 livres tous les 10 jours, et cela du 10 mars au 20 avril, nous devrions pouvoir faire le décompte des ouvrages arrivés par la suite d’Alteville, et vraisemblablement classés du 20 avril au 20 mai.

Entre ces deux dates, le schéma donne 900 fiches environ, à mettre en corrélation avec les 1000 livres virtuels de la bibliothèque d’Alteville, soit 100 ouvrages de différence. Cela va plutôt dans le sens de notre hypothèse, mais cette fois-ci notre marge d’imprécision double pratiquement, passant de 6% à 10%, nous forçant à abandonner une voie qui risquerait de se dérober sous nos pieds si nous nous obstinions à de si nombreuses approximations.

Il ne nous reste plus qu’à prendre une nouvelle direction moins encombrée d’incertitudes, nous condamnant à revenir à une méthode plus orthodoxe, dans l’espoir de déterminer le nombre des volumes qu’a pu renfermer la bibliothèque Lorraine. Étant maintenant convaincu que les livres en double provenaient bien d’Alteville, il ne nous reste plus qu’à consulter la « Table des noms d’auteurs » qui se trouve à la fin du catalogue Guaita, et d’y relever le nombre d’ouvrages en double. Là encore, le décompte n’est pas simple, car Guaita possédait aussi des livres en triple ou en quadruple exemplaires.

Prenons par exemple Le comte de Gabalis de Montfaucon de Villard ou bien La physique occulte de Vallemont qu’il possédait à huit exemplaires, de formats et d’éditions différents.

Ainsi, notre décompte s’effectue de deux façons. Soit l’on considère que Guaita ne déposait dans sa bibliothèque Lorraine qu’un seul double, et nous obtenons 518 livres, soit il ne laissait qu’un exemplaire avenue Trudaine et déposait tous les autres à Alteville, et nous arrivons à 754 livres. Malheureusement, aucun de ces deux chiffres ne reflète la réalité de ce que fut la bibliothèque d’Alteville, car Guaita n’a pu suivre l’un ou l’autre de ces schémas de façon systématique. La bibliothèque s’étant formée petit à petit, un exemplaire en double déposé dans les rayonnages d’Alteville à très bien pu se montrer rapidement insuffisant aux yeux de Guaita qui avait pu par la suite découvrir une édition plus complète, auquel cas la bibliothèque d’Alteville se garnissait d’un second exemplaire plus important ou plus utile à ses études. Ainsi par ce décompte, le nombre de 600 exemplaires à Alteville en moyenne semble la plus conforme à la réalité.

Réunissons maintenant les éléments les plus probants concernant l’une et l’autre des deux bibliothèques. Prenons le chiffre de 1200 livres à Paris annoncé par Wirth et les 600 exemplaires d’Alteville établis pour le décompte des doubles ; nous arrivons à un total de 1800 livres, alors que Dorbon mit en vente 2235 ouvrages. Nous ne nous attarderons qu’un instant sur cette différence de 427 livres pour ceux que ces chiffres pourraient satisfaire. Ces données n’étant qu’approximatives, la conclusion à en tirer ne saurait être qu’incertaine, à savoir que la bibliothèque de Stanislas de Guaita n’aurait contenu que 1800 ouvrages en tout, et que Dorbon aurait ainsi gonflé le catalogue de vente de plus de 400 livres de sa propre réserve, profitant ainsi d’un nom prestigieux. Nous rejetons d’emblée cette hypothèse, du moins dans de telles proportions, s’agissant nous le rappelons de chiffres inexacts.

Finalement, notre approche des deux bibliothèques ne pourra être que la plus honnête qu’il se peut, en attendant de nouveaux éléments et de nouvelles données. En conséquence, nous ne retiendrons que deux chiffres dont découleront un troisième et un quatrième. Ce dont nous sommes assuré, c’est que Guaita possédait à Alteville entre 518 et 754 livres, ce qui signifie qu’il y en avait entre 1481 et 1717 dans la bibliothèque parisienne. Faisons une moyenne pour obtenir la photographie la plus fidèle possible de l’une et de l’autre bibliothèque.

Bibliothèque Mère parisienne : 1600 livres environ
Bibliothèque d’Alteville : 640 livres environ

Si Guaita possédait bien deux bibliothèques, nous ne sommes pas loin de penser qu’il avait envisagé la création d’une troisième. Ce n’est pas la fameuse bibliothèque pérégrine, dont nous avons souligné qu’il ne s’agissait que d’une appellation destinée à faire parvenir les exemplaires en double jusqu’au château d’Alteville, mais une bibliothèque dite « de la Chambre de direction du Suprême Conseil de la Rose-Croix ». Trois livres au moins dans le catalogue Guaita sont estampillés du cachet de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix.

Nous avons relevé deux imprimés et un manuscrit (34). Celui-ci est une pièce tout à fait extraordinaire, enrichi de figures allégoriques alchimiques peintes sur vélin, dont la tradition veut que Nicolas Flamel reçu des mains d’un vieux Juif, à la fin du quinzième siècle un manuscrit énigmatique. Il en fit deux ou trois copies dont la trace fut perdue. C’est au retour de son pèlerinage à Compostelle qu’il rencontra un hermétiste, Maître Canches, qui lui en révéla la signification. L’histoire raconte qu’il trouva ainsi la pierre philosophale et devint le bourgeois le plus prodigue de Paris (35). Les deux livres imprimés, quant à eux, tournent autour des frères de la Rose-Croix ; l’un dénonce leur « faction », l’autre conclut « qu’il n’y a que des imposteurs qui se disent Frères de la Rose-Croix ». Ils n’en sont pas moins des ouvrages de prix contenant de précieux renseignements sur les Roses-Croix, les livres traitant de cette matière étant particulièrement rares. D’autres exemplaires portant le cachet de l’ordre existent (par exemple le livre n° 4218 décrit dans le catalogue Dorbon : Le roman Cabalistique, 1750).

Il semblerait donc que Guaita ait commencé à constituer un fond à la disposition des membres de la Rose-Croix Kabbalistique, peut-être même des seuls membres de la direction du Suprême conseil, et qu’un événement empêcha de parachever ; nous pensons à la mort du maître. En effet, seuls quelques livres portent le cachet de l’O.K.R.C, alors que d’autres ouvrages de la collection auraient mérité de pouvoir enrichir les études des membres ou les connaissances des dirigeants de l’ordre.

De plus, les exemplaires mentionnés dans le catalogue Guaita étaient probablement dans la bibliothèque d’Alteville ou de l’avenue Trudaine puisqu’ils ont été mis en vente, ce qui implique qu’ils n’étaient pas encore à la disposition des membres de l’Ordre. Nous n’excluons pas que la bibliothèque de l’Ordre ait vraiment existé, et que ces trois ouvrages en aient été retirés pour étude.

Rentrons maintenant un peu plus dans le détail ; cela nous permettra d’y voir plus clair dans le contenu de la bibliothèque (nous parlerons désormais de l’ensemble des livres provenant des deux bibliothèques). Ainsi, nous verrons en quoi « la bibliothèque, c’est l’homme ».

Analyse diachronique et vision synchronique de la bibliothèque

Un relevé systématique dans un catalogue fournit quatre types majeurs d’informations. D’abord, le nombre de livres classés selon leur époque, ou, plus simplement, selon leur siècle. Nous verrons en quoi ce décompte n’est pas tout à fait inutile, notamment pour le champ d’investigation qu’il ouvre, bien plus vaste que le « microcosme Guaita » que nous traitons ici. Ensuite, le format des livres, à défaut d’avoir leurs dimensions réelles, nous renseignera sur l’apparence de la bibliothèque, nous discernerons les mètres de rayonnages des in-8 et des in-folio. Puis les reliures des ouvrages, ou plutôt leurs robes, caractérisent l’élégance de l’ensemble.

Enfin, et c’est là que le livre rejoint l’homme, nous regarderons quels livres Guaita avait achetés. Avait-il plus de livres d’alchimie que de livres de sorcellerie ? Le décompte des différentes catégories de livres que contient la bibliothèque nous révélera les grands centres d’intérêt du maître.

Les premières années de l’imprimerie ne virent sortis des presses que très peu de livres consacrés aux sciences mystérieuses. Ces incunables (36) traitent le plus souvent de matière religieuse. Guaita possédait 5 ouvrages (manuscrits et imprimés) datant du XVe siècle, notamment le fameux traité d’Ulrich Molitor De laniis et phitonicis (37).

Si nous continuons dans l’ordre croissant, les livres du XVIe siècle arrivent en seconde position avec 172 exemplaires relevés, puis 519 livres du XVIIIe siècle, 522 livres du XVIIe siècle, et enfin 1017 livres du XIXe siècle. Nous constatons un nombre équivalent de livres pour le XVIIe et le XVIIIe siècle, ainsi que l’importance tenue par les ouvrages contemporains de Guaita (un peu plus de 45%). Si l’on considère que Guaita avait rassemblé à peu près l’essentiel des livres traitant d’occultisme, nous nous trouvons finalement devant une bonne représentation de ce que fut la production de livres à caractère ésotérique étalée sur cinq siècles, son évolution jusqu’au XVIIe, sa stabilité au XVIIIe, et son explosion au XIXe siècle.

Un regard sur les formats des différents livres sera facilité par un tableau, certains exemplaires étant en plusieurs volumes. Les catalogues, et de façon plus générale les libraires, expriment rarement le format d’un livre en centimètres mais en fonction du pliage de la feuille à imprimer, appelée après cette manipulation « le cahier ».

En gagnant en simplicité, on y perd en précision, puisque la dimension des feuilles a évolué dans le temps, notamment à la suite de l’industrialisation de la fabrication du papier. Une grande feuille non pliée est dite « in-plano » ; on peut y imprimer deux pages. Une feuille pliée en deux est dite « in-folio », c’est à dire quatre pages imprimées. Ce format qui représente environ une taille de 50 centimètres est particulièrement apprécié des bibliophiles. Une feuille pliée en quatre (huit pages) donne le format « in-quarto », soit environ 30 centimètres, en huit (seize pages) est un « in-octavo », soit moins de 25 centimètres. Il existe des formats in-12, in-16, in-18, in-24, in-32, in-64.

Dans notre tableau, par exemple, un livre de format in-8° en deux volumes sera noté : 2 x in-8°.

In-folio
36
In-4°
204
In-8°
947
In-12
693
In-16
92
In-18
15
Petits formats
Total 39 Total 229 Total 1078 Total 757 Total 95 Total 15 Total 22
4 x in-f°
2
2 x in-4°
7
2 x in-8°
0
2 x in-12
7
2 x in-16
3
In-24
2
10 x in-f°
1
3 x in-4°
3
3 x in-8°
4
3 x in-12
4
In-32
1
4 x in-4°
2
4 x in-8°
0
4 x in-12
7
In-64
1
8 x in-4°
1
5 x in-8°
0
6 x in-12
1
9 x in-4°
2
6 x in-8°
9
7 x in-12
3
Non Précisé
8
9 x in-8°
1
8 x in-12
1
10 x in8°
2
22 x in 12
1
16 x in-8°
1

Le format le plus courant reste le in-8°, qui représente à lui seul plus de 50% de la bibliothèque. On constate aussi un grand nombre de formats in-12 ; à eux deux, ils composent plus de 80% du total des livres.

Le choix d’un ouvrage, dans l’édification d’une bibliothèque, doit tenir compte d’un critère d’importance trop souvent négligé par le bibliophile débutant. La reliure d’un livre, c’est la parure qui donnera à la bibliothèque son flamboiement ou sa grisaille. Une bibliothèque reluisante de maroquins et de vélins patinés par le temps invite et attire le curieux à ouvrir l’un de ses livres et à en découvrir le contenu.

Si les ouvrages sont sales, mal reliés, ils déshonorent leur contenu. Guaita, dont le goût et l’ordre n’étaient pas les moindres de ses qualités, connaissait bien l’importance d’un tel précepte. En juillet 1899, René Philipon écrit dans le catalogue de la bibliothèque :

Il avait réuni une extraordinaire collection de livres sur les sciences occultes. Les ouvrages les plus rares sur l’alchimie, la magie, l’illuminisme, il les possédait tous en des éditions princeps, grands de marges, intacts, toujours revêtus d’une reliure adéquate au contenu du volume, non par manie de bibliomane, loin de là, mais, parce qu’artiste et savant avant tout, il estimait que la forme devait être digne de la pensée.

L’analyse de son catalogue va nous en apporter la certitude. Tout d’abord, on ne retrouve que très peu d’ouvrages comportant des défauts, du moins nous supposons que le libraire les mentionnait à chaque fois que cela devait être fait. Le plus souvent, on peut lire « Bel exemplaire » et même « Superbe exemplaire ». Pour le détail du nombre des différentes reliures, nous reprenons le décompte de Guy Bechtel établi dans son livre consacré à la bibliothèque de Guaita (38).

Reliures en veau : 767, soit 34 % environ.
Livres brochés : 371, soit 17 % environ.
Vélin, parchemin : 364, soit 16 % environ.
Maroquin : 327, soit 15 % environ.
Percaline, toile : 135, soit 6 % environ.
Chagrin : 119, soit 5 % environ.
Cartonnage : 72, soit 3 % environ.
Basane : 42, soit 2 % environ.
Non précisé : 20, soit 1 % environ.
Reliures diverses : 10, soit 1 % environ.

Les reliures de qualité, en veau, vélin et maroquin composent l’essentiel de la bibliothèque et, si les ouvrages brochés arrivent en bonne position, c’est parce que, nous l’avons vu, Guaita possédait beaucoup de livres du XIXe siècle.

En tant que collectionneur, s’il attachait de l’importance à la forme, il effectuait le choix du livre surtout en fonction de son contenu occulte. Ce qui est appelé communément « sciences occultes » aujourd’hui est en fait un terme générique englobant une multitude de matières, de disciplines à caractère occulte, c’est à dire réservé aux adeptes, hermétique et obscur.

Entre le XVe et le XIXe siècle s’étalent de nombreuses et diverses « matières occultes », ainsi, nous constatons que le contenu des livres plutôt spécialisé au XVe et XVIe siècles a tendance à se généraliser par la suite, et même à se vulgariser au XIXe siècle. Les amalgames de ces différentes et nombreuses disciplines augmentèrent au fur et à mesure que leur nombre croissait, créant contresens et erreurs quant à leur définition précise. Nous avons souvent vu certains auteurs n’hésitant pas à confondre alchimie et sorcellerie, pour ne citer que ces deux matières, ce qui est une erreur du point de vue historique et théorique.

Si nous voulons établir un classement fiable des livres de la bibliothèque de Stanislas de Guaita, il convient de bien différencier chacune des disciplines que renferment ces livres et de bien les y classer par la suite. Si nous reprenons le classement qu’effectua Wirth lorsqu’il s’occupa des livres pour la vente, nous constatons que les six catégories choisies ne sont pas suffisantes.

Dans la seconde catégorie par exemple, il aurait fallu séparer l’alchimie de la kabbale, qui n’ont rien à voir. Notre propre classement est probablement discutable lui aussi, mais il a finalement fallu faire le choix d’un minimum de regroupements des matières pour que cette étude garde son sens. Nous avons classé ces catégories en fonction de leur importance en nombre dans la bibliothèque, et la première des catégories fut notre première surprise.

1. Divers, 472 ouvrages : philosophie, langues, curiosités, sciences naturelles, poésie, événements politiques, contes, biographie, tradition, chimie, autre que ésotérisme.
2. Religions, 440 ouvrages : religions, spiritualité, mysticisme, miracles, apocryphes, apocalypse, paradis, enfer, paganisme, mythologie.
3. Ésotérisme, 290 ouvrages : sciences occultes en général, hermétisme, livres traitant de plusieurs sujets occultes, ouvrages de vulgarisation.
4. Sorcellerie, 276 ouvrages : sorcellerie, démonologie, inquisition, exorcismes, possession, superstition populaire, lycanthropie.
5. Sociétés secrètes, 199 ouvrages : sociétés secrètes, franc-maçonnerie, Rose-croix, théosophie, martinisme, etc.
6. Alchimie, 182 ouvrages : alchimie, spagyrie.
7. Magie, 151 ouvrages : magie, histoire de la magie, talismans, nombres ; nous incluons dans cette catégorie les grimoires et les traités de secrets (au nombre de 71 dans le catalogue).
8. Magnétisme, 139 ouvrages : magnétisme, hypnotisme, psychisme, somnambulisme.
9. Divination, 111 ouvrages : divination, chiromancie, physiognomonie, toute forme de « mancie », cryptographie, songes, sibylles, baguette.
10. Prophéties, 66 ouvrages : prophéties, prédictions, futur.
11. Astrologie, 49 ouvrages : astrologie
12. Kabbale, 48 ouvrages : kabbale, cabale.
13. Spiritisme, 41 ouvrages : spiritisme, maisons hantées.

Soit 2464 traités en tout, certains ouvrages contenant plusieurs traités ayant été reliés ensemble. Il nous a semblé judicieux, dans un souci de précision, de tenir compte de ces 129 traités.

Guaita possédait donc un nombre important de livres qui n’ont rien à voir avec les sciences occultes, du moins représentent-ils la plus importante des catégories. Que pourrions nous tirer de cette surprenante constatation, bien embarrassante pour l’étude d’une bibliothèque qui se veut occulte ? L’idée nous a traversé l’esprit que Guaita avait pu récupérer les livres de son père après la mort de celui-ci (39). Il est vraisemblable que tous ses livres ne devaient pas traiter d’ésotérisme. Malheureusement, aucun indice n’est venu étayer cette supposition. Si Guaita avait lui-même acheté de nombreux livres en marge de sa propre collection, c’est, nous nous en doutons, qu’il ne passait pas la totalité de son temps à l’étude, et que depuis longtemps il s’était ouvert à la littérature. Rappelons que Guaita ne fut pas qu’un occultiste. Il avait surtout une forte culture littéraire et une grande passion pour la chimie.

Les livres de religion (c’est le nom que nous avons choisi pour une catégorie plus vaste en fait), arrivent en seconde position. Guaita recherchait les points d’encrage entre religion et occultisme. Là encore, même si nous touchons un domaine qui prétend à la connaissance du Divin, nous sommes loin de l’ésotérisme à proprement parler. D’une façon générale, les recherches de Guaita consistaient à tenter de synthétiser les différentes matières, et de dégager ensuite un principe commun ; ce travail était très ciblé, et n’englobait pas véritablement la matière religieuse.

En revanche, on peut dire que la présence de tant de livres de cette nature dans les rayonnages de sa bibliothèque démontre bien l’intérêt porté au sentiment religieux (40), à ses manifestations sensibles, aux liens des mystiques avec Dieu, à l’histoire des idées, plus simplement au monde Divin dont il désire la connaissance. C’est lui même qui le dit dans Au seuil du mystère ; chacune des trois sciences d’Hermès correspondent aux trois mondes. Les kabbalistes (nous tenons Guaita pour tel) sont fascinés par les grands problèmes métaphysiques, et aspirent à la connaissance du monde divin. Les devins, astrologues, chiromanciens, physionomistes, cartomanciens, phrénologues, portés de préférence à la psychologie ou aux augures, déchiffrent le monde moral. Quant aux alchimistes, plus enclins à l’étude de la physique matérielle, ils sont les scrutateurs du monde naturel ou sensible.

Les livres traitant d’ésotérisme en général se retrouvent en troisième position, mais cela n’est pas très significatif. En effet, la plupart de ces ouvrages datent du XIXème siècle et sont des vulgarisations. Lorsque ce n’est pas le cas, le livre traite de deux ou de trois sujets occultes dont la lecture seule nous aurait permis de distinguer l’une ou l’autre catégorie, et que le titre de l’ouvrage ne laisse transparaître. Voilà en quoi notre classement n’est pas aussi impartial qu’il en a l’air.

Les livres de sorcellerie sont en quatrième position avec 276 occurrences. Le mal, ses résurgences, l’histoire de la sorcellerie dont les traités abondent, ont représenté une importante source d’étude pour définir l’une des principales notions de son œuvre : le monde astral, l’universel médiateur, serviteur de toutes les puissances bonnes ou mauvaises, apte à revêtir d’une apparence plastique et à draper dans son manteau d’étoffe sidérale le dragon Nahash (41)».

L’étude historique de la sorcellerie est basée sur les précieux témoignages que renferment ces livres. Les sorcières, dont notre époque garde une image bien romantique, n’étaient pas que de simples herboristes. L’histoire de la sorcellerie a fait un énorme bond en avant, modifiant notre vision dans ce domaine (42). Quelques faits nouveaux ; les sorcières étaient bien des sorcières. Notre époque surestime trop leur innocence (43), ne songeant qu’aux délires persécuteurs des XVIe et XVIIe siècles. Il est aussi notable que l’Inquisition ne s’est presque pas occupée de sorcières, alors que les tribunaux civils ont pour l’essentiel allumé les bûchers. Guaita ne fut pas un historien de la sorcellerie, mais plutôt un théoricien.

L’histoire de la sorcellerie n’est pour lui qu’une toile de fond, un support à quelque chose de plus troublant. Le diable, tel qu’il est décrit dans ces nombreux ouvrages, personnifié, cornu et grimaçant, lui paraît inacceptable. S’il ne nie pas l’existence du Mal, il refuse de lui donner une essence. Affirmer l’existence propre du diable, en tant qu’absolu du Mal, c’est nier Dieu. Étant une négation, il manque d’essence propre, tout comme l’ombre et le froid disparaissant dès l’arrivée de la lumière et de la chaleur, le diable n’est doué que d’une existence privative. À partir de ce postulat, Guaita va s’orienter vers l’étude de la sorcellerie sous toutes ces formes, et en rattacher les phénomènes au fameux « monde astral ».

Nous avons dénombré 199 livres concernant les sociétés secrètes, 182 ouvrages d’alchimie, 151 traitent de magie et 139 de magnétisme. Attardons nous un moment sur les livres d’alchimie, que Guaita possédait en quantité, alors qu’il ne nous laissa finalement que très peu d’écrits sur ce vaste sujet. Pour un collectionneur de livres d’occultisme, les livres d’alchimie sont de très loin les plus désirables, parce qu’ils sont le plus souvent richement illustrés. Du XVIe au XVIIIe siècles, les graveurs ont toujours redoublé de talent pour enrichir ces textes obscurs par des illustrations plus insondables encore. Leur collection ne saurait s’effectuer sur le seul critère du texte alchimique, mais aussi sur la mystérieuse beauté de leur représentation allégorique. Guaita en avait lu le contenu, et avait tenté de percer leur mystère, il nous en livre ses conclusions au chapitre VII de la Clé de la magie noire intitulé «magie des transmutations».

Il n’est rien de plus incompréhensible qu’un traité d’alchimie ; afin de nous en convaincre, il suffit d’ouvrir n’importe lequel d’entre eux pour être confronté d’emblée à un monde de portes dont nous aurions perdu les clés. L’alchimie est bien trop vaste pour que nous puissions convenablement nous étendre sur le sujet, aussi nous ne soulèverons que les points relatifs à Guaita. S’il pratiquait la chimie depuis son plus jeune âge, jamais, semble-t-il, Guaita ne pratiqua l’alchimie. Son savoir en ce domaine resta purement théorique, alors que l’alchimie reste une affaire d’expérimentation pratique.

Le plus précieux des livres, le Mutus Liber (44), est un recueil de quinze planches dessinées au XVIIe siècle, qui représentent sans texte explicatif les différentes opérations à effectuer pour parvenir à la réalisation du grand œuvre. Il rappelle à l’alchimiste que le secret ne peut être percé sans manipulations effectives, douze planches sur quinze traitant de pratique. Le travail de recherche dans les livres est une étape, la dimension spirituelle a aussi son importance, mais ce qui prime selon le Mutus liber, c’est l’active recherche de l’alchimiste qui doit travailler la matière première avec ses mains pour atteindre au grand secret de la perfectibilité métallique.

Dans ces conditions, si Guaita n’a pu étudier que le seul aspect théorique de l’alchimie sans jamais pouvoir en vérifier la réalité par le travail en laboratoire, quelle valeur devons nous accorder à ses conclusions alchimiques dans son chapitre intitulé «magie des transmutations» ?

Il faudrait pour cela que nous ayons nous-même approché cette pratique en laboratoire pour nous permettre d’émettre un quelconque avis sur la question. Il existe cependant un document unique qui va nous éclairer sur les réelles connaissances de Guaita en alchimie (45). Il s’agit de notes attribuées à Fulcanelli (46) en marge d’un exemplaire de la Clef de la magie noire au chapitre consacré à l’alchimie (47).

Nous savons l’importance qu’accordait Fulcanelli à la pratique dans la réalisation du Grand Oeuvre et, quelle que soit la légende entourant le personnage, à savoir si oui ou non il découvrit le moyen de fabriquer la pierre transmutatoire puis la fameuse pierre philosophale, l’avis seul du manipulateur de la matière retiendra notre attention ici. Par trente-quatre fois, le mystérieux Fulcanelli éprouve le besoin d’annoter son exemplaire de remarques fort désobligeantes, dans la majorité des cas, à l’égard de l’exposé alchimique de Guaita.

Une seule remarque lui donne raison quant à l’extrême volatilité de l’acier des philosophes ; Fulcanelli souligne et note très vrai, bien seule et noyée dans un flot de vingt-six notes moins engageantes. Il écrit par exemple, archifaux, erreur commune à tous les débutants, ou bien Contradiction de l’auteur avec le début, où il prend l’azoth et l’alcaest pour des synonymes.

Puis les mots se durcissent au fur et à mesure de la lecture et l’on sent l’énervement prendre le pas sur l’agacement, Quelle aberration, quelle confusion ! note-t-il en réaction lorsqu’il découvre toute l’importance de l’emploi de l’agent électrique, nature de l’acier des sages selon Guaita, dans les opérations du grand œuvre. Lorsque est évoqué la possibilité pour le magicien de réaliser de l’or, Fulcanelli écrit : C’est cette fâcheuse théorie, absurde autant que ridicule, qui a causé le dévoiement du regretté Albert Poisson..

Terminons par ces deux remarques, la première concerne un extrait de Philalèthe : Malgré la belle clarté de ce passage, on voit que Guaita n’y a rien compris, la seconde se rapporte aux trois principes alchimiques (à savoir le soufre, le mercure et le sel) : C’est une véritable salade russe, constate à juste titre notre mystérieux adepte.

L’examen de ce précieux témoignage est sans appel quant à la qualité des connaissances alchimiques de Guaita ; non pas que ces lacunes, jugées très graves par Fulcanelli, crucifient le Kabbaliste alchimiste à la croix de l’incompétence, nous n’aurons de cesse de le répéter : l’alchimie est affaire de pratique (48), dont l’étude théorique n’est que la première étape. Si l’on en croit Fulcanelli, Guaita ne fut donc pas, à proprement parler, un alchimiste, et s’il en étudia les délicats rouages, rien ne laisse supposer de la qualité de ses conclusions.

Guaita avait longtemps fréquenté cet alchimiste que Fulcanelli mentionne dans une de ses notes : Albert Poisson (1868-1894) (49). Tout comme lui, il possédait une très importante collection de livres anciens, mais sur le seul thème de l’alchimie. A. Poisson, selon V. E. Michelet (50), légua sa collection à Papus et au docteur Lalande (1868-1926), plus connu sous le pseudonyme de Marc Haven. Celui-ci refusa catégoriquement de disperser les livres selon le souhait d’Albert Poisson. Il écrivit à Papus, vers 1894 (51) :

Poisson m’a dit mille fois que pour rien au monde il ne voulait voir sa bibliothèque séparée, vendue à des bouquinistes ou à Guaita. Vous, il vous aimait et respectait beaucoup mais vous considérait comme un saccageur de livres. À son entrée en mac : . où le testament est une épreuve, il a écrit et cela reste : je léguerais mes biens et mes livres à ceux qui continueront l’œuvre entreprise. Voilà les faits. J’en conclus une seule chose, c’est que je refuse absolument de prendre une portion de la bibliothèque de Poisson…

On apprend que Poisson n’avait pas souhaité que Guaita puisse acquérir sa bibliothèque, probablement parce qu’il avait bien senti que celui-ci ne continuerait pas l’œuvre entreprise ; ceci nous conforte dans l’idée que jamais l’alchimie ne fut une priorité pour Guaita. Ainsi, cela a toujours été de l’ordre de l’anecdotique.

Une histoire alchimique peu connue vient renforcer un peu plus la légende d’un Guaita sulfureux. Nous le soupçonnions magicien noir ; il faut ajouter à cela une anecdote d’un certain Paul Schmid (52), racontant comment Papus fit de l’or avec Stanislas de Guaita (53). Il raconte :

- Poisson C’est toute une histoire. Un jour, Guaita vint me trouver. Il avait acheté, sur les quais, un très vieux bouquin d’alchimie. Comme le dos était en très mauvais état, mon Guaita, bibliophile fervent, entreprit de le réparer. Au cours de cette opération, il découvre, dissimulé dans le dos du livre, un sachet de parchemin. Il l’ouvre et trouve, à l’intérieur, une poudre rouge. C’est alors qu’il vint me voir, m’apportant sa découverte.
- Qu’est-ce que cela ? dit-il. Serait-ce la pierre philosophale ? Qu’en pensez-vous ?
- J’étais aussi embarrassé que lui. La provenance de cette poudre, si bien cachée dans un livre d’alchimie, son aspect correspondant si exactement à ce qu’en ont écrit les vieux alchimistes m’avaient incité évidemment à penser que Guaita ne se trompait pas en supposant que nous avions, dans les mains, un peu de la pierre.

Paul Schmid poursuit son récit, et nous rapporte l’expérience de la transmutation métallique, que Papus tente avec Guaita en suivant les indications du « bouquin ». Ils enrobent la poudre dans une boulette de cire, et fondent dans un creuset un morceau de tuyau de plomb, d’un poids correspondant à la quantité de poudre. Une fois le métal liquéfié, ils jettent la boulette de cire. Se produit une lueur verte et aveuglante « illuminant toute la pièce une fraction de seconde » qui apparaît dans le creuset. Le métal s’est spontanément solidifié en une masse jaune qui se révèle, après expertise à la Monnaie, être de l’or. M. Schmid termine :

Poisson Après partage, nous l’avons fait transformer en breloques (54), et c’est l’une d’elles qui orne ma chaîne . Voilà comment j’ai fait de l’or, une fois dans ma vie. Malheureusement, je ne saurais recommencer !…

Nous n’accordons qu’une valeur anecdotique à ce récit, qui valait tout de même la peine d’être signalé, ne serait-ce que pour préciser que ce témoignage est le seul à notre connaissance d’une quelconque manipulation alchimique effectuée par Guaita, si, selon Paul Schmid, manipulation il y eut. Une zone d’ombre subsiste pourtant, suffisamment éloquente pour exciter notre imagination, et apporter à cette anecdote un regain d’intérêt. Il existe une lettre de Papus adressée à Guaita, dans laquelle il fait mention « d’un présent, peut-être inestimable ».

Poisson Comme vous pouvez le voir je réponds à votre lettre phrase par phrase. De là le décousu de ma missive. Je suis arrivé maintenant au sujet dont je voulais surtout vous parler. C’est avec un bien grand plaisir que j’ai reçu le présent peut-être inestimable que vous voulez bien m’envoyer. Je vais le soumettre à l’analyse chimique et, si je n’obtiens pas d’assez bons résultats ; j’emploierai des procédés plus sûrs et plus infaillibles. ( …) Pour en revenir donc à mon analyse je porterai le produit en question à un psychomètre (55) et nous verrons sa réponse. Je me permets de vous envoyer un échantillon que j’obtins jadis en vérifiant la méthode d’un alchimiste presque inconnu… (56)

De fait, Guaita envoya à Papus une mystérieuse substance. On est tenté, à la lecture de la lettre, de mettre en parallèle les deux histoires. Malheureusement, l’anecdote racontée par Paul Schmid n’est pas datée.

Revenons à notre analyse ; il faut en retenir l’importante présence de livres qui n’ont rien à voir avec l’ésotérisme, et surtout un grand nombre de livres traitant de religion et de sorcellerie.

Cette analyse diachronique de la bibliothèque offre une vision échelonnée des centres d’intérêt du maître. La classification synchronique, quant à elle, est le véritable cordon ombilical qui relie intimement Stanislas de Guaita à sa bibliothèque, et c’est elle qui va nous permettre d’accéder plus finement au constat final.

Il est bon de revenir sommairement sur la synthèse guaitienne des trois mondes. L’univers, selon Guaita, comporte trois plans de réalité : le monde divin, le monde moral, et le monde astral. N’oublions pas le monde matériel dans lequel nous vivons, mais celui-ci pourrait presque être confondu, dans une certaine mesure, avec le monde astral, puisque l’axiome hermétique de la table d’émeraude « Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » (57), se réfère, toujours selon Guaita, à l’interaction de ces deux plans. L’homme possède en lui trois essences qui le font participer à la triple vie de l’univers : l’esprit, l’âme et le corps astral. L’homme est triple, et il est en rapport avec le triple univers. L’initié peut donc étudier chacun de ces plans, à savoir accéder à la connaissance du monde divin ou « Nature-naturante », au monde morale ou « Nature psychique et volutive » (c’est en terme courant l’étude de l’homme), et le monde astral ou « Nature-naturée » (c’est l’étude de l’univers).

Il va donc falloir procéder à un nouveau classement des livres de la bibliothèque, non plus en fonction de leur matière, mais en fonction de l’ordre transcendant dont ils émanent, l’ordre révélé par Guaita dans son œuvre. Le problème se pose maintenant de convenablement répartir les matières du précédent classement diachronique à l’intérieur de la fameuse synthèse des mondes.

1. La connaissance du monde divin, monde supérieur et intelligible, concerne essentiellement les livres traitant de religion (440 ouvrages), de kabbale (48 ouvrages), et les livres classés dans la rubrique sociétés secrètes (199 ouvrages), qui, à leur manière, tentent de décrypter les grands problèmes métaphysiques.
2. La connaissance du monde moral est illustrée par les livres de magnétisme (139), de divination (111), de prophétie (66), et d’astrologie (49).
3. Le monde astral, monde inférieur des énergies potentielles, se révèlera grâce aux livres de sorcellerie (276), de magie (151), et de livres traitant de spiritisme (41).
4. Enfin, le monde naturel ou sensible est scruté par les alchimistes (182).

Nous excluons de notre classement les livres précédemment classés dans la rubrique «divers», soit 472 ouvrages, et ceux de la rubrique « ésotérisme », qui ont tout de même 290 représentants, dont le titre, ne laissant transparaître qu’un contenu indéterminable, ne nous permet pas de trancher en faveur de l’une ou de l’autre catégorie. Il aurait été facile de les classer en vrac dans la catégorie du « monde moral », tout comme les « divers » dans le « monde naturel ou sensible » ; mais que dire des livres de poésie, par exemple, si nous envisagions de les rattacher à l’étude « du monde sensible » alors qu’ils aspirent de fait à de plus hautes conquêtes ? Un autre exemple : nous avons classé le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy dans la catégorie « ésotérisme », car il traite de sorcellerie, de magie, de divination, de sciences secrètes, etc., il aurait été dommageable pour notre étude de le faire entrer de force dans l’une de ces catégorie, alors qu’il concerne chacune d’entre elles. Nous nous en tiendrons donc à ce schéma précis.

Il ressort de l’analyse synchronique de la bibliothèque les points essentiels suivants. Tout d’abord, Stanislas de Guaita était véritablement en quête de Dieu ; les livres qui prétendent à la connaissance du monde Divin s’y trouvent au nombre important de 687. Son ami de toujours, Maurice Barrès, avait bien senti en Guaita son attachement au divin, alors qu’aujourd’hui encore le maître lorrain passe invariablement pour un magicien noir. Cette sombre réputation n’est basée que sur une lecture superficielle de ses œuvres, et en particulier des titres accrocheurs qu’il a choisi de donner à ses ouvrages. Les 468 livres de la bibliothèque consacrés à cette partie des études du maître démontrent la place de choix réservée à l’œuvre proprement dite.

La connaissance de la nature psychique et volutive semble moins l’intéresser, toute proportion gardée, avec 365 livres, tandis que la connaissance du monde sensible représente le nombre le plus faible de livres (182).

Une bibliothèque, finalement, n’est rien de plus que l’être qui matérialise ses désirs avec des livres, ceux-ci étant fait de ceux-là et vice-versa. C’est ce lien invisible entre l’homme et ses ouvrages qui, nous l’avons vu, conduit à la connaissance réelle de l’énigmatique personnalité. C’est en ce sens, tout romantique qu’il soit, que l’on pourrait supposer que s’envolât définitivement l’âme du défunt Guaita, non pas à la mort physique du corps, mais à la dispersion effective des livres qui composèrent en grande partie sa vie et sa notoriété. Le lien ayant été établi entre Guaita et sa bibliothèque, c’est la recherche systématique des livres aujourd’hui dispersés qui pourra désormais nous éclairer sur les derniers secrets de la bibliothèque…

Une collection dispersée dans la nature

Le bibliophile amateur de sciences secrètes est heureux de feuilleter l’ouvrage même où l’œil du maître tenta de comprendre l’Inconnaissable. À cette page que touche le collectionneur, peut-être M. de Guaita eût-il la révélation du Mystère ? Le miracle va-t-il se reproduire ? Chacun de ces ouvrages est un pèlerinage pour le novice.

Après la vente de la bibliothèque, les livres ayant appartenu à Guaita n’ont eu de cesse d’être recherchés par les amateurs. Plus que tout autre, un livre provenant de sa bibliothèque est doublement magique, par son contenu obscur, et surtout parce qu’il fut ouvert par cet homme qui disait avoir soulevé le voile d’Isis. Depuis le début du XXe siècle, les catalogues de librairies et les ventes aux enchères précisent systématiquement la « provenance Guaita », nous permettant ainsi de suivre à la trace leur parcours. Nous connaissons quelques grandes ventes, riches de livres ayant appartenu à Guaita, notamment celle à l’hôtel Drouot du 25 octobre 1968, ainsi que la collection Guy Bechtel du 14, 15 et 16 novembre 1978. La vente Maurice Garçon du 9 mai 1967 est aussi à signaler. On voit passer ces livres de temps en temps dans les catalogues des librairies, mais ce n’est pas très fréquent. Nous ne possédons malheureusement pas tous les catalogues de ventes, mais un relevé précis, effectué sur 100 ouvrages remis en vente depuis la dispersion de 1899, met à jour un bien curieux constat : une grande partie des livres proposés, c’est un fait, ne se trouvent pas dans le catalogue Guaita.

La documentation à notre disposition, même si elle n’est pas complète, est un bon éventail de la diversité des ventes dans l’espace (librairies, salles des ventes…), et dans le temps, avec par exemple les catalogues de la librairie Bodin des années 1900. Notre champ d’investigation est ainsi suffisamment large pour que les chiffres qui en découlent soient significatifs. De plus, nous avons tenu compte des ventes importantes, ainsi que des ventes où parfois un livre ou deux seulement furent proposés aux acheteurs.

Vente aux enchères ou catalogues de libraire Nombre de livres ayant une provenance Guaita Présence de ces livres à la dispersion de 1899 Absence de ces livres à la dispersion de 1899
Total 100 73 27
Librairie Bodin (catalogue 12 à 36)
Année 1902 à 1907
15
8
7
Librairie du Graal Catalogue 23 (2001)
2
2
0
Librairie Florence de Chastenay
Année 1997 à 2002
4
1
3
Librairie l’Intersigne
(ensemble des catalogues)
9
7
2
Librairie Table d’Emeraude
(catalogues divers)
4
4
0
Plaquette 9ème foire du livre à la Mutualité
1
1
0
Vente Allienne à Drouot 1986
2
2
0
Vente Drouot de livres sur le Grand-Œuvre 1992
2
1
1
Vente Drouot du 25 Octobre 1968
21
15
6
Vente Guy Bechtel de 1978
34
27
7
Vente Maurice Garçon de 1967
6
5
1

Ainsi, 27% de livres passés en vente ne figurent pas au catalogue Guaita, et à ce chiffre, plusieurs explications sont envisageables. Certains livres peuvent faire double emploi dans ce tableau, ayant successivement fait partie de deux ventes distinctes, mais ce ne peut être le cas que d’un très faible nombre d’entre eux, ne modifiant pas sensiblement l’éloquence des chiffres. Une première explication serait la présence de faux Guaita, de livres délibérément grimés par un collectionneur ou un libraire peu scrupuleux, connaissant la valeur ajoutée d’un exemplaire ayant appartenu au maître. C’est l’ex-libris, dans ce cas, qui a été imité ou changé par le faussaire.

L’ex-libris est une marque, ce peut être une inscription manuscrite, le plus souvent une petite vignette parfois fort originale, que les bibliophiles apposent en signe de possession au verso du plat d’un volume. Stanislas de Guaita utilisa diverses marques de possession, et en premier lieu deux tampons, dont l’un représente le demi-dieu romain Hercule, équivalent de l’Héraclès grec. Il est représenté debout, le Lion de Némée comme coiffe, tenant dans sa main gauche le sabre qui servit à couper les nombreuses têtes de l’hydre de Lerne. De sa main droite, il tend en signe de victoire l’une de ces têtes. Le second tampon reproduit sa signature ; on le retrouve tantôt seul, tantôt à côté de la représentation d’Hercule. Il en utilisa aussi un troisième, très peu connu, qu’il apposa dans certains livres achetés dans sa jeunesse. Un grand « S » entrelace un grand « G ». Puis, sûrement parce qu’il se lassa de ces tampons, il utilisa l’ex-libris manuscrit, et notait à l’encre « Ex libris Kabbalisticis Stanislaï de Guaita », ou bien cette variante d’une lettre de son prénom « Ex libris Kabbalisticis Stanislaj de Guaita ». Guy Bechtel, dans son livre consacré à la bibliothèque de Guaita, a pu relever sept formes d’ex-libris manuscrits : à étoile, entre deux traits, dans un double cadre, sur étiquette, souligné, dans un cadre, ou avec mise en page. Nous avons relevé trois exceptions dans cette catégorie d’ex-libris ; on remarque sur le premier une contraction du prénom « Ex libris Saï de Guaita ». Les deux autres, nous le verrons un peu plus loin, semblaient douteux.

L’ex-libris aux armes et au nom de Stanislas de Guaita est le plus élégant. Il est surmonté d’une couronne, dont Guy Bechtel a relevé quatre variantes : armes argent sur fond bleu, armes argent sur fond noir, armes or sur fond noir, et armes or sur fond rouge. Nous indiquons en complément une cinquième variante, armes or sur fond vert, que nous avons relevé à la B.P.H d’Amsterdamsur l’Histoire critique de Manichée et du Manichéisme par M. de Beausobre.

Existe-t-il alors de nombreux faux ? À vrai dire, sur tous les livres passés entre nos mains, un seul portait un ex-libris falsifié. Il avait été grimé de façon flagrante, ne laissant aucun doute sur sa provenance frauduleuse. Le livre était pourtant de qualité. En revanche, Nous avons relevé deux ex-libris douteux au premier abord. Un exemplaire en particulier semblait avoir été retouché de façon ironique, et retenaient l’attention, car il sortaient des schémas classiques d’ex-libris répertoriés par Guy Bechtel. C’est au verso du plat d’un livre intitulé Dictionnaire historique des cultes religieux que l’on trouve cet ex-libris manuscrit sur une étiquette « style écolier ».On peut y lire : « Ex libris fère Kabbalisticis Stanislas de Guaita (tome III) ». L’écriture semble bien de la main de Guaita, mais l’ajout latin de la mention péjorative « fère » avec l’accent tonique (qui signifie en français « presque »), nous avait convaincu dans un premier temps que cet ajout avait été d’une autre main que celle de Guaita. Le faussaire, ou plutôt dans ce cas le plaisantin, avait le mérite d’être latiniste. Par l’ajout de « fère », il entendait que l’ouvrage en cause était « presque Kabbalistique », ou « maigrement Kabbalistique ». Bref, il se moquait de Guaita. Pourtant, la découverte d’un autre ex-libris, très différent au premier abord, mais dont la provenance est indiscutable, nous a fait changer d’avis. Sur une étiquette blanche et verte, on peut y lire : Ex libris Pé Ri (en lettres grecques) – cabalicis Stanislaj de GVAITA ; tome 1. Ces quatre lettres grecques signifient « autour de ». Les livres auraient alors, selon le sens de l’ex libris, un rapport particulier avec la cabale. Ainsi, l’ajout du latin « fère » dans le précédent ex libris est très probablement de la main de Guaita, et que tout deux (le « presque » latin et le « autour de » grec) ont la même signification : celle d’un rapport avec la cabale.

Un seul ouvrage falsifié, un autre malicieusement retouché (mais bien authentique), et nous sommes certain de l’authenticité de tous les autres passés entre nos mains, c’est bien maigre pour tenter d’expliquer les 27% d’ouvrages ne figurant pas au catalogue.

La seconde explication, et probablement la principale, est la fluctuation de la bibliothèque. Guaita devait avoir pratiqué, tout au long de sa quête, des échanges de livres avec d’autres passionnés de son envergure. Cependant, il est remarquable que les lettres dont nous disposons ne mentionnent que très peu d’échanges ; la lecture de la correspondance de Guaita à Péladan éditées par Dantinne, par exemple, nous en montre une seule (n° 65), où Guaita cède quelques ouvrages. Le reste du temps, il achète de nombreux livres par l’intermédiaire de Péladan qui est à Paris. C’est donc une voie à sens unique, semble-t-il, où beaucoup de livres rentrent, et très peu en sortent. Mais ne perdons pas de vue que 27% de livres ayant appartenu à Guaita non mis en vente en 1899, cela représenterait, par rapport au nombre total des livres du catalogue, 603 livres potentiels étant passé à un moment ou un autre dans la collection de Stanislas de Guaita, ce qui est énorme ; Seule la fluctuation peut expliquer un tel chiffre.

Très peu de témoignages font état d’échanges ou de livres dont Guaita avait décidé de se séparer. En revanche, la plupart des correspondances, par exemple celle avec Péladan, nous montre un Guaita boulimique, acheteur consciencieux, au fait de la valeur des livres. Guaita nous le découvrons dans ces lettres, avait longtemps usé des services de Péladan pour l’acquisition d’ouvrages lorsqu’il n’était pas à Paris. Il était en relation avec tous les libraires, en France et à l’étranger, et recevait régulièrement leurs catalogues. Outre ces sources d’approvisionnement officielles, Guaita avait acheté de nombreux bouquins d’alchimie à un étrange personnage, savetier de son métier, et resté pratiquement inconnu avant que Victor-Emile Michelet en parle dans Les compagnons de la hiérophanie. Rémi Pierret, dont le métier ne laissait pourtant rien présager des choses de l’occulte, avait réuni une des plus belle bibliothèque d’alchimie du XIXe siècle. Il fut contraint de se séparer de ses précieux livres et les revendit petit à petit à Papus et à Guaita. Rémi Pierret ne fut pas la seule source sauvage de ce genre ; voyons par exemple ce petit mot rapide, que Guaita griffona à G. Montière sur une carte de visite :

Cher ami
Je ne puis retrouver, malgré toutes mes recherches, l’indication d’une concierge (je crois) qui a beaucoup de livres d’occultisme dont elle ignorait le prix : comme c’est vous qui m’avez donné cette indication, (du moins je crois me souvenir que c’est vous) redites moi l’adresse sans retard ; j’ai un intérêt particulier à courir là en toute hâte. Je vous expliquerai pourquoi. Quand vous verra-t-on ?
Nébo

Très peu de traces écrites donc, concernant cette fluctuation de la bibliothèque, mais cela ne signifie pas qu’elle ne fut pas abondante. Il ne faut pas se fier aux seules traces écrites pour jauger une fluctuation évidente, car Guaita n’a pas tout écrit. Tout collectionneur fait des achats malheureux dans les débuts de sa collection, et il est fort probable que Guaita n’échappa pas à la règle, et dût se séparer à un moment ou à un autre d’ouvrages devenus indésirables. La découverte d’un exemplaire meilleur ou manquant peut justifier un troc avantageux s’il s’agit de se séparer d’ouvrages en double.

Cependant, nous retrouvons aujourd’hui des livres qui n’avaient aucune raison de sortir de la bibliothèque avant la vente. Par exemple, nous venons d’évoquer une série de catalogues de libraires français et étrangers que Guaita avait fait relier à son chiffre ; ils n’apparaissent pas à la vente de 1899. Dans ce cas-là, l’explication nous est connue, puisque nous avons pu en suivre le parcours. Guy Bechtel acheta ces catalogues au libraire Dorbon, qui probablement avait décidé de les garder pour son usage propre, comme documentation pour son commerce, et ne les fît donc pas apparaître dans le catalogue de la vente Guaita. Cela démontre tout de même que si Dorbon n’avait pas hésité à conserver cette documentation, il aurait pu aussi bien en prélever pour son compte, ou en ajouter à son catalogue. Mais passons cela, d’autres exemples plus troublants s’offrant à nous.

Un carnet manuscrit de Stanislas de Guaita, une pièce d’un grand intérêt, n’apparaît pas non plus au catalogue édité par Dorbon. Ce manuscrit est daté de la main de Guaita juin 1885. Dès 1886, lorsque paraît chez Carré la première plaquette intitulée Essais de Sciences maudites, au seuil du mystère, le jeune Guaita fraîchement imprégné d’ésotérisme mentionne l’existence de ce manuscrit ( page 22 de la plaquette), intitulé Le sentier chymique. Plus tard, la seconde édition de 1890 du Seuil reprend partiellement le texte qui est augmenté. Là encore, il est fait mention du manuscrit (page 57), ainsi que dans toutes les éditions postérieures.

Ce carnet manuscrit, témoin émouvant des premiers efforts de compréhension du futur maître, n’apparaît pas à la vente de 1899. Il est difficile de croire, dans ce cas, que Guaita ait pu procéder de son vivant à un échange de son carnet contre quelques livres plus ou moins précieux. C’est, semble-t-il, grâce à Wirth que de telles reliques ont pu parvenir jusqu’à nous.

À cet égard, l’avant-propos de la troisième Septaine de l’œuvre de Guaita Le problème du mal, nous offre un indice des plus intéressant. C’est en 1935 que Marius Lepage, élève de Wirth, hérita de son maître du manuscrit inédit de l’œuvre inachevée de Stanislas de Guaita. M. Lepage écrit :

Causant un jour avec Oswald Wirth des Essais de Sciences Maudites, je déplorai la perte de la troisième Septaine. J’appris alors, à ma très grande surprise, l’existence insoupçonnée d’un manuscrit, commencé par Guaita, continué par Wirth, qui devait constituer le couronnement de l’œuvre. Secrétaire et ami intime de Guaita, Oswald Wirth avait hérité ce legs inestimable, avec la charge de mener à bien l’exposé complet des théories esquissées dans les premières Septaines.

Ainsi Wirth posséda ce manuscrit, qui pourtant si l’on en croit Matgioi aux pages 22 et 25 de sa biographie de Guaita, aurait été détruit ou caché par la famille avec l’ensemble des archives écrites. Dans une lettre du 23 Mai 1916, on apprend que P. de Mont confia lui-même à Wirth le soin de transcrire l’ouvrage en vue de l’impression. Nous savons que Wirth fut chargé de l’inventaire de la bibliothèque à la mort de Guaita. Avec ou sans l’accord de la famille, plus probablement avec sa permission, il récupéra la majeure partie des papiers, et les conserva sans mot dire. Paul Vulliaud, dans son livre La Kabbale juive, témoigne que rien ne fut détruit, et qu’il vit ces archives dans les mains de Wirth.

Où dorment-ils, tous ces documents restés invisibles à nos recherches ? Nous auraient-ils autrement éclairés si la providence avait bien voulue les mettre sur notre route ? Nous ne désespérons pas de les trouver un jour, ainsi que de voir ces livres précieux dispersés depuis 1899, le Mutus Liber par exemple, et surtout Le Livre de la Très Sainte Trinité, un manuscrit à peinture qui sans nul doute était la pièce maîtresse de la bibliothèque de Stanislas de Guaita.

Finalement, nous en sommes persuadé, Guaita destina ces livres à être vendus pour que, dans cet esprit, continue l’œuvre de recherche et que la connaissance ne reste pas bloquée. C’est sa vieille servante, Marguerite, qui le dit avec son accent lorrain en toute simplicité :

Si Monsieur n’avait pas voulu qu’on vende ses « liffs », il l’aurait bien dit de son vivant.

Oswald Wirth lui-même, lorsqu’il s’occupa de classer les livres pour la vente, écrivit à M. de Mont :

Il est certain que toutes les notices portées sur les livres semblent prévoir une vente. Un libraire méticuleux n’aurait pu mieux faire. C’est un catalogue établi d’avance : il n’y a plus guère qu’à copier.

Ainsi furent dispersés les livres de Stanislas de Guaita, qui retrouvèrent leur liberté lorsque leur propriétaire s’éteignit, offrant tout entier au nouveau possesseur leur mystérieux secret. Si l’on peut penser, comme Wirth, que Stanislas de Guaita annota ses livres dans l’intention de les vendre, il faut y voir un clin d’œil, un avertissement au nouveau lecteur de la part d’un maître qui prétendit honnêtement et sincèrement que leur lecture avait éclairé la plupart des grandes questions qu’il se posait, offrant un système satisfaisant pour l’esprit, étanchant la soif de celui qui cherche pourquoi nous sommes là et d’où nous venons. Ce désir de savoir, chevillé de tout temps à l’humanité, justifie à lui seul cette quête solitaire dont aucune piste, même la plus improbable en apparence, ne doit être négligée. Dépoussiérons les livres, même les pires, ouvrons-les de nouveau à la lumière de notre époque sans rien oublier de ce que nos prédécesseurs ont tenté de nous transmettre. C’est finalement la tâche la plus noble du bibliophile sans qui les livres anciens sont condamnés à disparaître brutalement. C’est ce que fit Guaita de la plus belle des manières. Sa bibliothèque lui a apporté une grande notoriété : les livres savent rendrent à leur maître l’amour prodigué toute une vie, aussi courte soit-elle. Stanislas de Guaita mourut à 36 ans.


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Notes de Frédéric Coxe

1. Une étude a été entreprise par Guy Bechtel sous le titre suivant : Notules sur l’art de distinguer les ouvrages provenant des bibliothèques de Monsieur Stanislas de Guaita, (1861-1897), avec plusieurs exemples et les reproductions nécessaires à une juste appréciation. Préface de Jean-Claude Carrière. Paris, L’intersigne, 1998, in-8.

2. Cette remarque est valable aujourd’hui, mais ne le sera plus demain, grâce à la bibliothèque dite « virtuelle » qui est appelée à prendre une importance croissante dans les années à venir, via internet.

3. Le catalogue Guaita fait état de 2227 ouvrages, alors qu’il en contient en fait 2235, en comptabilisant les livres numérotés « bis » (n°703, n°1027, n°1105, n°1525, n°1656, n°1738, n°1887, n°2023, n°2048, n°2085) ainsi que deux numéros manquants (n° 1066 et n° 1465).

4. Ces quatre fascicules peuvent être qualifiés « d’édition originale ». Un catalogue rassemblant les quatre fascicules fut ensuite édité par Dorbon à 150 exemplaires.

5. Matgioi, Nos Maîtres, Stanislas de Guaita ; librairie hermétique. 1909. p.23-24.

6. Lettre de Wirth à M. de Mont du 9 juillet 1898. Travaux de la loge nationale de recherche Villard de Honnecourt. n°1. 1980.

7. Collection privée. Le total des travaux s’éleva à 4017 Francs.

8. Maurice Barrès Mes cahiers, Tome 10, p.76.

9. Dans une lettre de Guaita à Péladan (Lettres inédites de Stanislas de Guaita au Sâr joséphin Péladan. N° 48) que l’on peut dater entre juillet et septembre 1887 (il y est fait mention de la mort récente de son frère Tony), Stanislas écrit : « Initiation fort goûtée par mon beau-frère ». On pourrait croire que M. de Mont avait alors été «initié», mais ce ne fut pas le cas. L’ « initiation » en question est en fait un poème autographe de Guaita sur le feuillet de garde du premier volume de l’exemplaire personnel de M. de Mont des Essais de Sciences Maudites. Ce poème fut également publié dans La Revue des Hautes Etudes du 21 novembre 1886. Il est signé de Guaita, juillet 1883, suivi d’une note qui précise que « ce sonnet fut écrit le jour où les yeux de l’auteur s’ouvrirent aux premières lueurs de l’occultisme ».

10. Lettre inédite de Stanislas de Guaita au Sâr Joséphin Péladan. Ed. Bertholet – Emile Dantinne. Editions Rosicruciennes. 1954. Lettre n° 100.

11. Ce manuscrit est répertorié au n° 676 du catalogue Guaita.

12. Le père et le frère de Guaita étaient morts depuis bien longtemps. P. de Mont, originaire de Neufchâteau en Lorraine épousa le 27 février 1878 Marie de Guaita (née le 30 Décembre 1853) ; ils eurent deux enfants ; un fils, Jacques, né vers 1890 (il a 7 ans à la mort de son oncle), et une fille, Madeleine, née vers 1891 (qui a 8 ans à la mort de son oncle).

13. F. Declerk d’Arras mit la main sur la correspondance entre les deux hommes. Travaux de la loge nationale de recherche Villard de Honnecourt. n°1. 1980.

14. Fondé par Emile Guimet (1836-1918) à Lyon en 1879, ce département des arts asiatiques des Musées nationaux (depuis 1945) fut transféré à Paris en 1885.

15. P. de Mont avait indiqué cette adresse à Wirth dans un courrier précédant comme étant le domicile d’Elias Conrad, personnage ne faisant qu’un avec Van Der. La concierge assure d’ailleurs à Wirth ne pas connaître ce nom-là.

16. Quelques précisions sur l’historique de la librairie sont données dans le n°2 de La Nouvelle Revue des Livres Anciens.

17. Ce fameux Van Kerkov était peut-être l’ésotériste Auguste Van Dekerkove (1838-1923), plus connu sous le pseudonyme de S.U. Zanne. Il mena une vie aventureuse de journaliste, manœuvre, dessinateur, maître d’école, puis de magnétiseur au Nouveau-Mexique et en Europe. Il se fixa à Paris de 1884 à 1908 et, à partir de 1895, il élabora une doctrine secrète appelée « la Grande Cosmosophie ». Il n’existe que de rares textes autographiés de cet ouvrage de 2167 pages ; un exemplaire est conservé à la Bibliothèque Municipale de Lyon (ms 5967). Van Dekerkove mourut à Mâcon le 23 mars 1923.

18. Revue l’Initiation de janvier 1898. Article intitulé L’œuvre de réalisation. Papus avait également écrit à ce propos une lettre à Marie, la sœur de Stanislas « J’espère, Madame, que votre influence s’exercera pour que la merveilleuse bibliothèque de votre frère aille au château de famille… ».

19. Lettre de Wirth à M. De Mont du 20 mars 1898, op. cit. Lettre n°5. Marguerite était avenue Trudaine ; elle était devenue un temps la gardienne des livres comme nous le verrons plus loin.

20. Il s’agit de la seconde édition de 1891. La première avait été éditée chez Carré en 1890, la troisième chez Durville en 1916.

21. Lettre de Wirth à M. de Mont du 9 Juillet 1898, op. cit. lettre n° 9.

22. Dans la lettre n°56 des lettres inédites de Guaita à Péladan (Bertholet – Dantinne, op. cit.), Guaita parle même de remises plus importantes : « À défalquer onze francs et centimes qui constituent le 20% de remise que font tous les libraires. »

23. Quelques précisions sur l’historique de la librairie sont données dans le n°2 de La Nouvelle Revue des Livres Anciens.

24. Op. cit. lettre n° 9.

25. Op. cit. lettre n° 9.

26. Dorbon mit d’ailleurs en vente ce manuscrit que nous retrouvons au n° 1886 du catalogue Guaita sous l’appellation suivante : Manuscrit. Catalogue manuscrit des livres formant la bibliothèque occulte de Stanislas de Guaita, dressé par M. Oswald Wirth, donnant le prix d’achat de chacun de ses ouvrages et reproduisant textuellement les notes bio-bibliographiques mises par Stanislas de Guaita sur ses volumes. Manuscrit, pet. In-f° de 265 pp., en feuilles. Nous n’avons pas réussi jusqu’à présent à mettre la main sur ce catalogue classé méthodiquement et qui fut vendu 50 francs de l’époque, ce qui représentait une somme importante. Il existe pourtant et ne fut pas détruit. L’exemplaire refit surface dans le catalogue n338 de la librairie J. Thiébaud en 1963. Il était proposé au prix de 75 fr.

27. Nous ne savons pas grand chose de Marguerite. À cette époque, elle se plaint du genou et craint une tumeur. Elle fut très appréciée de la famille, et même Wirth l’invite pour aller voir Cyrano de Bergerac le temps que Marguerite est à Paris. En fait, il semble que cette Lorraine de naissance faisait vraiment partie de la famille. Après que l’inventaire de la bibliothèque fut terminé, la famille se sépara probablement d’elle ; Wirth espère « qu’elle ne souffre pas de son genou et qu’elle a réussi à se faire la petite existence qui convient à ses vieux jours ».

28. Travaux de la loge nationale de recherche Villard de Honnecourt, op. cit. Lettres n° 7 et 8.

29. Maurice Garçon s’illustra comme avocat lors de procès criminels et littéraires et entra à l’Académie française en 1946. Il mourut en 1967, la même année que la vente de sa bibliothèque. Il écrivit d’ailleurs sur Guaita dans Vintras, hérésiarque et prophète, Nourry éditeur.

30. C’est généralement vers le mois de juillet que Guaita quittait Paris pour la Lorraine. Il restait à Alteville jusqu’en novembre et, parfois, une bonne partie du mois de décembre, puis il se rendait à Nancy pour passer les fêtes de fin d’année (en 1884, 1885, 1886 et 1887). C’est souvent à cause de ses problèmes de santé qu’il ne respectait pas ce schéma de déplacement que nous avons pu établir avec suffisamment de précision pour les années comprises entre 1883 et 1891. Il nous a été possible d’établir ce schéma grâce aux lettres écrites par Guaita que nous avons pu réunir. La plupart du temps, il précisait d’où il écrivait avant de dater son courrier. Cette correspondance abondante entre 1883 et 1891 se raréfie progressivement les années suivantes, rendant ainsi notre travail de localisation plus difficile à établir de 1891 à 1897.

31. Pauline Braig, dite aussi sœur Paule ou Adelpha Agura, était membre de la Rose-Croix Kabbalistique de Guaita (membre du troisième degré). Elle se maria à Georges Godde- Montière qui devint secrétaire de Maurice Barrès.

32. Lettre de Guaita à Pauline Braig. ; Juillet-Aout 1890. Collection privée Coxe.

33. Lettre de Wirth à M. De Mont du 5 Mai 1898. Op. Cit. Lettre n°9.

34. N°687 du catalogue : Manuscrit. Abraham, Juif, prince, prêtre, lévite, astrologue et philosophe, à la Nations des Juifs, répandue dans toute la Gaule par la colère de Dieu, Salut en notre Seigneur J.-C. –Livre de figures hyerogliphiques (sic) avec l’explication des fables des poètes, des mystères du Christianisme, de l’Alchimie et de la Pharmacie suivant les Nombres. In-4, ½ vélin blanc.
N°1403 : Garassvs (le P. François). La doctrine cvrievse des beaux esprits de ce temps, ov prétendvs tels. Contenant plvsieurs maximes pernicieuses à l’Estat, à la religion et aux bonnes mœurs. Combattve et renversée. À Paris, chez Séb. Chappelet, 1623, in-4, veau ancien.
N°1649 : Navdé (G.), Parisien. Instrvction à la France svr la vériré de l’histoire des Frères de la Rose-Croix. Paris, Fr. Iulliot, 1623, pet in-8, veau ancien, dos orné.

35. Exemplaires connus à ce jour : un à la bibliothèque de l’Arsenal de 12 figures sur papier sans commentaire se situant autour de 1630 (Paris, n° 3047-2518). La bibliothèque Nationale possède deux exemplaires, l’un daté de la fin du 17ème siècle, l’autre avec figures peintes sur vélin, probablement l’exemplaire de Méon décrit au numéro 960 de son catalogue ( une référence n° 14765). Stanislas de Guaita en possédait deux (n°685 et n°687 de son catalogue). Un exemplaire à l’université de Glasgow, à l’université de Saint Andrews, à l’université de Cambridge (exemplaire Newton), à la bibliothèque de Grenoble, l’exemplaire Bourbon Busset (vente à Paris du 13 Mars 1987), un exemplaire à la vente de livres sur l’Alchimie du 19 Novembre 1992 (n° 39 du catalogue), qui passa dans la collection de R. A. Schwaller de Lubicz et que nous avons pu contempler. Nous avons feuilleté aussi à la Bibliotheca Philosophica Hermetica d’Amsterdam ( collection de M. Ritman) un exemplaire remarquable, mais nous ne savons pas s’il s’agit d’un exemplaire à ajouter à cette liste ou bien de l’exemplaire Bourbon Busset précédemment cité.

36. Ouvrage datant des origines de l’imprimerie, antérieur à Pâques 1500. « Incunabulum », c’est à dire berceau.

37. Voir n°730 du catalogue. Cet ouvrage est remarquable à plus d’un titre. L’édition de Bâle, 1495, est extrêmement rare. Le catalogue de la vente Bechtel de 1978 n’en signale que cinq exemplaires, y compris l’exemplaire de Guy Bechtel ; les quatre autres faisant partie des bibliothèques de Besançon, de Versailles, de la Library of congress et de la Boston medical library. Nous connaissons à ce jour deux exemplaires en main privée. C’est le seul ouvrage illustré de sorcellerie paru au XVe siècle, dont la suite xylographique représente six scènes de sorcellerie sur sept bois que contient l’ouvrage. Molitor fut l’un des rares à réduire le pouvoir accordé aux sorcières, ou lamies, et à rejeter nombre de basses crédulités. Cet ouvrage a été réimprimé de nombreuses fois au XVIème siècle et plus tard. Retenons la reproduction en fac-similé de 1926 chez Nourry, traduit en français pour la première fois, et tiré à 500 exemplaires.

38. Notules sur l’art de distinguer les ouvrages provenant des bibliothèques de Monsieur Stanislas de Guaita.
Op. cit. L’intersigne, 1998. Le décompte s’effectue sur 2227 ouvrages.

39. Le père de Guaita était bibliophile. Wirth dans sa biographie de Guaita écrit p. 18 que « Le père de Stanislas y avait enrichi la bibliothèque en fin lettré. » L’oncle de Stanislas, Octave Grandjean (1820-1861), était également bibliophile. L’abbé Mattin Béhé note dans ses cahiers manuscrits que la vente des livres d’Octave Grandjean eut lieu à Paris, ce qui est le signe d’une riche collection. Stanislas de Guaita possédait un catalogue de la vente des livres de son oncle, qu’il avait fait relier à son chiffre : S. de G. (collection privée). Le catalogue contient une dizaine de livres consacrés à l’occultisme, notamment un très beau manuscrit de chiromancie.

40. « De naissance il possédait un magnifique sens religieux. » p.16, Maurice Barrès, Un rénovateur de l’occultisme – Stanislas de Guaita. Souvenirs par Maurice Barrès. Chamuel, éditeur, 1898.

41. Le Temple de Satan est un compte rendu de ces lectures.

42. Lire à ce sujet le livre référent de Guy Bechtel La Sorcière et l’occident. Plon, 1997.

43. Il ne faut pas non plus surestimer leur culpabilité. À part les « venefici », c’est à dire les auteurs d’empoisonnements, nous ne pouvons pas démontrer clairement que toute autre forme de sorcellerie ait eu un quelconque effet patent. Que dire des « incantatores » et des « fascinatores » par exemple ? Leur pouvoir, si pouvoir il y eût, est une question de croyance que l’historien ne peut résoudre.

44. Le Mutus liber est le plus rare des livres d’alchimie. Malgré la difficulté de se le procurer, Guaita en possédait deux exemplaires, n° 1645 et 1646 de son catalogue. Son second exemplaire est d’autant plus précieux qu’il contient un « livre muet » manuscrit. Il en existe trois éditions : l’originale fut publiée à La Rochelle chez Pierre Savouret en 1677, elle est de loin la plus recherchée ; la seconde est due au médecin et alchimiste genevois Manget, qui l’inséra à la fin du premier tome de sa Bibliotheca chemica curiosa, en 1702. Elle diffère de l’édition originale, car Manget fit graver les planches avec de menues différences, parfois fort dommageables pour l’adepte chercheur. La troisième édition du livre muet est sans lieu ni date, mais on peut la situer autour de 1725. Les costumes des personnages, Flamel et Perenelle, ont été changés pour d’autres datant du XVIIIe siècle dans cette édition. Mentionnons les manuscrits existants du Mutus liber, plus rares encore, compte tenu de l’extrême difficulté à reproduire fidèlement le dessin des quinze planches qui le composent.

45. Il convient de préciser que Guaita en maîtrisait parfaitement les concepts de base

46. Qui fut Fulcanelli, qui a fait naître de nombreuses théories sur son identité? Nous répondrons par cette seule note et renvoyons les curieux aux nombreux ouvrages consacrées à cette agaçante et passionnante affaire : Fulcanelli fut un ou plusieurs adeptes regroupés sous cet occulte pseudonyme (certains pensent même qu’il vit encore) qui produisit alchimiquement la pierre transmutatoire puis la pierre philosophale. Il disparut ensuite, laissant derrière lui deux ouvrages remarquables, Le Mystère des cathédrales et Les Demeures philosophales qui insufflèrent un nouvel engouement pour l’alchimie contemporaine, ainsi que la vaporeuse énigme de son identité et de sa réussite du grand œuvre.

47. Tiré de l’article de R. Amadou intitulé « l’Affaire Fulcanelli ». Dans l’autre monde, n°76 (1984). L’exemplaire est annoté des pages 755 à 790. Il provient de la bibliothèque de Jules Boucher, et c’est lui même qui attribue la provenance des notes au mystérieux Fucanelli. Le volume passa ensuite à un ami de M. Amadou, Robert Le Tourneur, puis dans les années 80 à un autre collectionneur ami de M. Le Tourneur. Nous retrouvons la trace de l’ouvrage à la vente aux enchères de Saint-Germain-en-Laye du 26 mai 1997, puis à la librairie de l’Intersigne où il fut vendu.

48. L’alchimie contemporaine ne se résume pas seulement à cette pratique que nous évoquons. Il existe un courant qui insiste sur l’aspect spirituel, sur le côté finalement tout immatériel de la découverte. Cette technique spirituelle est cheminement de l’œuvre.

49. Albert Poisson a successivement publié Cinq traités d’alchimie des plus grands philosophes (1890), Théories et symboles des alchimistes (1891), Etude sur la philosophie hermétique (1891), Le livre des feux de Marcus Graecus (1891), L’unité de la matière (1892), et Histoire de l’alchimie au XVe siècle – Nicolas Flamel, sa vie, ses fondations, ses œuvres (1893).

50. Les compagnons de la hiérophanie, Victor-Emile Michelet, 1977, p. 86.

51. Lettre de Marc Haven à Papus, non datée, fonds B.M.Lyon (ms 5488).

52. Tiré du livre de Pierre A. Riffard L’ésotérisme, Robert Laffont 1990. Paul Schmid, dont le pseudonyme était «Dace », fut un fidèle compagnon de Papus.

53. Dace, L’initiation, n°4, oct.-nov. 1974, p. 61-62.

54. Concernant l’existence de telles breloques, un seul indice. Guaita demande à Péladan dans la lettre n° 48 Des lettres inédites que l’on peut dater de septembre 1887 (il y est fait mention de la mort récente de son frère), Envoie-moi (…) en grande vitesse : ma montre avec sa chaîne . (Remerciements et explications à Alboyse.)

55. Le psychomètre est une personne qui aurait la faculté de déterminer exactement les corps qui composent un produit, simplement en le mettant sur son front.

56. Lettre de Papus à Stanislas de Guaita. Hiver-printemps 1888. L’Initiation n°3, (1989).

57. « Quod est inferius est sicut quod est superius »

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Notes

Frédérick Coxe, article : « La Bibliothèque occulte de Stanislas de Guaita », publ. in La Nouvelle Revue des Livres Anciens, 4 (2010).

► La revue qui à comporté quatre numéros était dirigée par Jean-Paul Fontaine et Hugues Ouvrard, ce dernier étant l’animateur principal du Blog du Bibliophile, des Bibliophiles, de la Bibliophilie et des Livres Anciens.

■ Ne sachant pas si l’article original comportait des images, nous n’avons pas reproduites celles qui étaient mises en page sur le blog où fut publié originellement cet article sur internet.