Lourdes
Grillot de Givryⁱ
Il y eut un commissaire rageur, un juge de paix inique, un préfet monumental, tous infatués de leur importance, rivalisant tous d’ignominie, délirant tous d’incrédulité, et bien convaincus que l’Être qui a soixante-douze noms, devait s’incliner devant un arrêté préfectoral et une écharpe tricolore. Le récit de ces puérilités odieuses, lu dans un écrivain qui n’a pas fait grâce d*un détail saura édifier les générations futures sur la bassesse d’âme de ces hommes et leur Inspirer le juste mépris qu’on doit aux décadences.
Le philosophisme du XVIIIe siècle dont les représentants à Lourdes tenaient comme partout leurs assises dans les quelques cafés de la ville, avaient essayé aussi d’avoir raison de tous ces événements. Ces élèves de Voltaire considérablement troublés dans leurs théories superficielles et leurs sophismes, avaient voulu faire subir à l’enfant une sorte d’examen, croyant, par des interrogations captieuses et des subtilités déloyales, prouver une Imposture ou un déséquilibre mental. Mais au grand étonnement de fous cette fillette Illettrée qui savait à peine son catéchisme avait répondu comme Jamblique et parlé comme un docteur de l’Église !
On lui disait une fois entre autres : Comment Dieu et la Vierge ont-ils pu comprendre ton misérable patois ?
— S’ils ne le savaient pas, comment le saurions-nous nous-mêmes répondit-elle. Et s’ils ne le comprenaient pas, qui nous rendrait capables de le comprendre ?
Ce qui est presque le texte du sublime philosophe alexandrin : Nous ne pouvons pas même balbutier une parole au sujet des dieux sans les dieux
(lamblichus, De mysteriis Ægyptlorum, III, 18).
Et ceux qui objectaient en cette circonstance, que l’homme est une créature trop chétive, un point trop minime dans l’harmonie universelle, un grain de sable trop infime dans l’océan des mondes, pour que la Divinité s’abaisse jusqu’à se révéler à lui, oubliaient ces paroles précises et d’une logique rare du même auteur : S’il te paraît peu croyable qu’un être incorporel puisse entendre une voix, et si tu imagines qu’il lui faut des sens et des oreilles pour comprendre les prières que nous lui adressons, tu oublies trop la supériorité des causes premières qui contiennent et voient tout ce qui leur est Inférieur, car elles embrassent tout à la fois dans l’unité. Les dieux ne reçoivent donc pas les prières par des organes ni des facultés ; mais ils réalisent en eux l’expression des paroles que les saints et surtout ceux qui leur sont consacrés et unis par le culte, leur adressent. Alors le Divin est présent à soi-même ei les pensées des prières ne lui sont pas étrangères et inconnues.
(Id. ibid, I, 15).
Enfin le 25 mars, toutes les incertitudes que pouvaient garder les fidèles furent levées ; la céleste créature qui provoquait les extases de Bernadette lui dit ces paroles incompréhensibles pour elle : « Je suis l’immaculée Conception ! »
Ainsi c’était le mystère le plus redoutable de l’occulte théogonie, la clef de voûte de l’édifice macro-microcosmique, qui venait de se révéler à l’enfant privilégiée d’une façon tangible et dont le monde venait de recevoir le nom ineffable !
Marie, ce nom béni qui resplendit dans les trois mondes, Marie, la Vierge divine qui écrase l’antique serpent, c’est le principe féminin régénéré, devenu régénérateur à son tour. Marie, c’est l’écho de l’Unité, la séparation des deux contraires, l’union des trois principes, et la Rectrice des quatre éléments. Compagne et réflexe de Dieu avant la création du monde, elle reste nécessairement immaculée, puisqu’elle fut le premier être qui sortit du sein de l’Infini.
Les théologiens qui ont parlé de Marie et l’ont comparée à Ève avaient entrevu quelque chose de sa vraie nature et de son rôle occulte et admirable avant les temps ; mais se souvenant de la sentence que saint Clément d’Alexandrie avait empruntée à un poète Thébain : Ne faites pas jaillir aux yeux de tous la source des anciennes traditions
(Stromat lib. I, cap. X et XII), ils ont voilé la vérité sous des énigmes, et c’est seulement dans des fragments épars qu’on peut la reconstituer et lever autant qu’il est permis le voile séculaire qui la dérobe aux yeux du vulgaire.
Chaque homme peut être assuré que, de toute éternité il est entré dans le plan du monde
, dit Léonard Euler (Lettres philosophiques, XC). Or Marie étant la Mère du Verbe Eternel et Rédempteur et la Rédemption ayant été prévue de toute éternité, l’existence de Marie ne pouvait se borner à sa vie humaine ; il fallait qu’elle fût entrée avant l’origine des temps dans la pensée même de Dieu ; elle avait dû accompagner le Xrist dans tous les actes antérieurs à la vie terrestre de celui-ci, et dès que le mystère du Verbe se présente à notre foi, on trouve indissolublement lié à lui, le mystère de Marie.
Cette vérité fut un dogme connu des initiés qui précédèrent le venue du Xrist, et familier aux Pères et aux premiers écrivains ecclésiastiques. De l’aveu de tous elle fut placée au-dessus de toutes les créatures, formant ainsi le lien unique et privilégié qui unissait les plus élevées de celles-ci à Dieu lui-même, l’incréé ; elle fut déclarée supérieure aux Anges, proclamée leur Reine, et par conséquent devait avoir été créée avant eux ; et l’Église consacra en quelque sorte ce grand fait hypercosmlque en lui appliquant au Capitule de l’Office commun des fêtes de la Vierge, ces paroles de l’Ecclésiaste cap. XXIV, ab initio et ante saecula creata sum : je fus créée dès le commencement et avant les siècles. Et à la deuxième leçon de Matines dans l’Office spécial de Lourdes, in festo appar, on trouve ces paroles encore plus explicites, tirées des Proverbes de Salomon, VIII, 22, qui désignent la Sapience et qui sont mystérieusement transposées à la Conception Immaculée de la Vierge : Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies avant qu’il eût fait aucune chose dès le principe. J’ai été principiée dès les siècles, au commencement, avant que la terre fût. Les abymes n’étaient pas encore et moi j’étais déjà conçue ; et les fontaines des eaux n’avaient pas surgi et, avant les collines, j’étais déjà enfantée.
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Assimiler, en effet, le Chaos génésiaque à la rudis indigestaque moles d’Ovide ; n’y voir, comme Athénagoras dans son Apologie des Chrétiens, § X, qu’un affreux désordre, est une thèse qui manque d’ésotérisme. La confusion existant dès le commencement eut été la première créature de Dieu, et il serait absurde et blasphématoire de dire que Dieu, la perfection suprême, ait pu créer quelque chose d’informe. Le Cosmopolite (Novum lumen chemicum, tractat. III, cap. I) disait que l’abyme de la Genèse était une vapeur humide, épaisse et ténébreuse, un brouillard qui se concentre, s’épaissit ou se raréfie en une Eau universelle et chaotique qui devint par là le principe de tout, pour le présent et pour l’avenir
. Il faut donc nous le représenter comme un principe infécondé et encore vierge ; et c’est peut-être la défaveur jetée par certaines races asiatiques et par les Israélites eux-mêmes sur la Virginité, qui a pu porter quelques anciens à lui substituer un sens d’imperfection et de désordre.
Dans la gnose hérétique de Valentin, le Chaos était souvent représenté par un serpent se mordant la queue ; or, la tradition universelle qui fait fouler ce reptile aux pieds de la Vierge, passivité immaculée, indique peut-être une condamnation formelle de cette idée de désordre et de confusion attachée au Tohou-va-Bohou. Le fluide chaotique, vrai latex æthoréen triomphant du non être ne pouvait être mieux exprimé que par cette figure, et j’interpréterais le mot informe, par : absence de formes sensibles et matérielles, plutôt que par un sens quelconque de trouble et d’imperfection.
D’ailleurs saint Thomas (Summa Theol., I, quæst. LXVI, I) ainsi que saint Basile (Homil 2 in Heptameron) et saint Jean Chrysostome (Homil 2 in genesim) ne contestent-ils pas que la matière informe ait précédé selon le temps la matière formée ?
Que sera donc le Chaos, sinon la commune matière de toutes choses, le mysterium magnum de Paracelse (Philosophia ad Athenienses, lib. I, textus I) qu’il définit ainsi : Et partout où s’étend l’Æther, ce grand mystère du monde s’est manifesté ; et ce mysterium magnum a été établi la mère de tous les éléments et l’arche (aula) qui enferme l’universalité des étoiles, des arbres et de toutes les créatures charnelles.
C’est donc une sorte de lymphe universelle, la matrice originelle de toutes choses ; c’est elle, suivant Proclus qui donne la génération aux espèces, et les premiers chrétiens l’entendaient ainsi de la Vierge Marie : Mon Seigneur, mon Dieu, mon Fils, mon Bien-Aimé, mon Roi, Jésus-Christ, je suis ta mère Marie, je suis Mârihâm, je suis la Mère de la Vie pour le monde entier !
s’écrie la Vierge dans la Prière à Bartos des apocryphes éthiopiens. Et je retiens l’opinion de la très sainte mystique, Marie de Jésus d’Agreda qui dit que les animaux se prosternèrent à la crèche à cause du pouvoir qu’avait la Vierge de commander à toute la nature. C’est donc le principe féminin, la Passivité absolue, l’Élément Vierge et impollué, que Dieu allait féconder de son Fiat Lux, afin d’en produire les créatures.
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La Création, comme la Rédemptation n’est autre chose qu’une Incarnation du Verbe. C’est l’Incarnation majeure, l’Incarnation macrocosmique, dont l’autre devait être la conséquence et la figure. Lorsque Dieu avait créé la substance primitive de l’Univers, la Genèse ne dit pas qu’il ait proféré aucune parole ; c’est pour créer la Lumière qu’il prononce le premier mot le premier verbe.
Aussitôt après le mystère du Tohou-va-Bohou qui est le mystère de Marie se trouve donc placé le mystère du Verbe engendré par cette dernière. Fiat Lux, lehi Aur, dit le Très-Haut ; et le texte ajoute : « Et la lumière fut. »
C’est donc la concrétisation immédiate de la parole exprimant le désir, la volition de Dieu ; et comme il n’en a pas été prononcé auparavant, cette Parole est donc la Parole par excellence, le Verbe. La Lumière est donc la réalisation absolue et tangible du Verbe Divin.
L’Église lève toute équivoque en appelant le Xrist, Lumière Lumen de lumine et en chantant à la Vierge Marie : Salve Forta ex qua mundo Lux est orta, par laquelle la Lumière EST ENTRÉE DANS LE MONDE. Ce second avènement de la Lumière par l’Incarnation microcosmique du Verbe n’est-il pas semblable au premier avènement décrit dans la Genèse ? Et ceci nous explique pourquoi l’apocryphe éthiopien de la Prière de la Vierge au Golgotha, appelle Marie Mère de la Lumière.
D’après l’Évangile l’Esprit du Très-Haut descendit sur Marie et la couvrit de son ombre ; mais suivant la Genèse, ce même Esprit Ruah Ælohlm s’était reposé au sein des eaux ; et c’est de cette copulation mystérieuse que naît l’Univers et jaillit le phénomène de la vie.
Or qu’étaient-ce que ces Eaux sur lesquelles se reposait l’Esprit-Saint sinon le Tohou-va-Bohou, la Hylé mystérieuse, le Latex virginal, l’élément vierge et infécondé, la Passivité universelle, première créature sortie, comme nous l’avons vu, de la volonté divine et qui nous apparaît en corrélation parfaite avec la Vierge immaculée ? Et n’est-ce-pas par le souvenir de cette tradition initiatique que les Eaux en général et l’étendue des Mers (Maria) sont consacrées à Marie, et que tous les chrétiens l’appellent, sans trop savoir pourquoi l’Astre des Mers, Maris Stella, mot que saint Bernard ne peut expliquer que par un symbolisme bien faible dans sa seconde homélie, De Laudibus Virginis Matris ?
N’est-ce pas pour cette même raison qu’on la regarde comme la patronne par excellence des Marins et que la couleur bleue, qui est la couleur de l’onde, lui est consacrée ?
L’économie du plan divin de la Création se dévoile donc toute entière dans un parallélisme constant et splendide avec celui de l’Incarnation et nous saisissons la clef du Mystère ; dans les deux cas, c’est la volonté immobile du Père qui préside à l’acte suprême ; c’est son Verbe, médiateur comme nous l’avons vu, entre le Père et la Créature, qui la réalise en s’incarnant lui-même ; c’est l’Esprlt-Saint qui l’accomplit en se reposant sur la Créature Immaculée macro ou microcosmique, les Eaux ou Marie seule et unique personne.
Et pour compléter la similitude, ce sont les Anges qui servent de ministrants et d’intermédiaires dans la Création, comme l’indique le pluriel hébreu Ælohim qu’on lit au premier chapitre de la Genèse et qui signifie les forces surintelligentes et volitives, et comme on peut le constater encore aux bas-reliefs du temple d’Edfou en Égypte où sept esprits formant le monde sous la direction de l’Esprit suprême et un ; et dans l’Incarnation, qui est son image, puisque c’est l’ange Gabriel qui annonce à la Vierge les volontés du Très-Haut (Saint Matthieu).
Ainsi le Xrist est la Lumière vraie, lumen de lumine, l’Or וֹר mystérieux de la Genèse ; et cette syllabe sacrée, emblème de la lumière se retrouve dans l’avr-mzda des Perses et à la fin de tous les noms de la nation Assyrienne Ass-Our, c’est de וֹר devenu וּר our, avec le signe de la splendeur désormais éteint, que sort Abraham pour Initier le monde, emportant de sa nation prévaricatrice les mystères indicibles, c’est de or qu’est venu Orient, lieu du lever de la lumière, l’adorable Patrie, et par lequel l’Église désigne encore le Xrist dans une de ses antiennes de l’Avent : ô Oriens, splendor lucis æternæ et sol justitiæ, comme l’avait annoncé le prophète Malachie (IV, 2) et orietur vobis timentibus nomen beum osol justitiæ, et se révèlera àvous qui craignez mon nom soleil de justice, צדקה שמש שםו shemou shemesh Tsedakah comme dit l’hébreu (cap. III,20, dans le texte hébreu), verset que le Maistre de Sacy a déformé à dessein ; et l’on reconnaît dans ce Shemesh hébreu, le Samas Khaldéen qui illumine le monde. C’est encore l’Hor-Us ou soleil des Égyptiens, et l’origine de la symbolisation constante de Dieu essence suprême par le Soleil son attribut, et que l’Église a conservée en tournant dés les premiers temps du Christianisme le chœur de ses temples vers l’Orient et en donnant, au Moyen Age la forme solaire aux monstrances servant à l’ostention eucharistique du corps du Xrist ; corollaire et explication de l’enseignement énigmatique de Pythagore : Contra solem ne loquaris.
Il est donc la Lumière que projette le Feu divin, l’Esprit-Saint, et lorsqu’il est dit dans la Sapience (XVI, 17) que ce qui paraissait le plus merveilleux, c’était de voir ce feu s’aviver dans l’eau, qui pourtant éteint tout, quod enim mirabile erat in aqua quæ omnia extinguit plus ignis valebat
; c’est encore l’énoncé du mystère de la Genèse ; l’Esprit se reposant sur les Eaux (Marie) et à leur contact s’avivant et produisant le Xrist ; ce que le rabbin Raschi avait bien compris lorsqu’il soutenait que les Cieux Shamaim, sur lesquels reposait le Ruach Ælohim, étaient composés de אש, Ignis, le Feu, l’Esprit, et de מים Aqua, les Eaux.
Enfin c’est l’or divin, Soleil-Roi du mystère alchimique, qui représente la recherche de la Lumière vraie.
Les Alchimistes avaient donc infiniment raison lorsqu’ils enseignaient que pour obtenir la Pierre philosophale il faut se procurer la Hylé du monde, le Latex primitif des choses qui a porté le Verbe dans son sein ; comme on peut s’en convaincre en relisant d’Espagnet, le Cosmopolite et surtout Khunrath ; ils étaient dans la vérité catholique, puisque la Pierre était le Xrist, Petra erat Christus dit saint Paul ; et leur science apparaît alors non comme une folie Incompréhensible, mais comme une sublime synthèse mystique illuminant le Moyen Age comme un vitrail de cathédrale.
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L’Égypte, mater artium, comme l’appelle Macrobe (Saturnal., lib. I, cap. XV) qui fut l’initiatrice des Grecs, leur communique sa doctrine qu’ils exposèrent sous une forme plus cosmique. Le philosophe Xenocrates de Chalcédoine, fils d’Agathénore, enseignait que les Dieux étaient Monade et Dyade ; que la première ou unité, lovis ou lah était le Père ou Esprit régnant sur le ciel ; et la seconde était comme un principe féminin, en quelque sorte la Mère des Dieux (Matris deorum instar), gouvernant la portion du ciel qui lui était soumise et qui était vraiment l’Ame du Monde (Stobée, Eclog. physic.. lib. I, cap. 2. 29)
On retrouve ce même exposé, un peu affaibli par l’idée grecque de Chaos, dans le philosophe Akousilaos, cité au scholiaste de Théocrites (in argumento Idylli, XIII) où il représente la création du monde comme produite par un principe masculin Erebus et un principe féminin Nox (ténèbres, confusion, chaos) ; le premier représentant l’Infini, c’est-à-dire Dieu ; le second, le Fini, c’est-à-dire la Créature ; c’était la même assimilation de Dieu et de son principe féminin au Soleil et à la Lune, au Roi du jour et à la Reine des nuits, à Osiris et à Isis, en quoi il s’éloignait beaucoup des autres mythologues tels qu’Apollodore et Hyginus.
Les Druides, dont la science vint peut-être aussi d’Égypte, vénéraient également le principe féminin ; ils lui élevèrent des statues dans des sanctuaires secrets, dit Schedius (De diis germanicis, cap. XIII) ils les dédiaient à la Vierge ou à Isis, de laquelle un fils devait naître). Une vieille légende place même le principal de ces sanctuaires cent ans avant la naissance de N. S. sur l’emplacement de la cathédrale de Chartres. La vieille chronique : Tractarum de aliquibus nobilitatem et antiquam fundationem carnotensis ecclesiæ tangentibus (Cartulalre de N.-D. de Chartres) dit en effet qu’avant la naissance du Xrist, un temple avait été consacré par les Druides à la Vierge qui enfanterait ; sa statue, tenant un enfant, y avait été placée, bien qu’ils ne fussent pas existants selon le temps (quamvis nundum temporaliter editis). Elle fit des miracles et guérisons nombreuses. Rouillard, dans sa Parthénie (Melun, 1609, p. 94), expliquait comme nous ce fait de ce que la Vierge a été créée devant toutes les créatures et devant toutes les créatures et devant tous les siècles
. L’ancien Missel de Chartres de 1482 consacrait la légende dans une oraison où il est dit : In honore matris tuae virginis parituræ primam apud gallos de mysterio tuæ incarnationis instituere voluisti.
Ce culte anticipé dans lequel certains n’ont voulu voir qu’un grossier anachronisme, devient explicable lorsqu’on réfléchit qu’il n’était qu’un écho de ce qu’on enseignait dans les sanctuaires de Thèbes et de Memphis ; et point n’était besoin que l’Évangile se fût réalisé sur terre pour qu’il existât.
Le principe féminin, c’était la Maïa druidique qui signifie mère de lah ; et lah, c’est lehi Aour, que la lumière fut ; c’est le Verbe comme nous l’avons vu ; c’est le Xrist. C’était encore l’Alilat des Arabes, la Mylitta, la Tanit Astarté, Aster-Thea, la déesse Astre (Luna) des Mystères Carthaginois et Assyriens ; la Pschat aux deux cornes, la Diane au Croissant des Grecs, la Neith des Égyptiens, génératrice d’Amoun-Râ, Soleil levant, Oriens, l’Être vivant dont l’Eau était la fille. C’est l’immaculée fécondatrice ; elle préside à la pangermination, à toute transmutation et transsubstantiation ; ce qui faisait dire à Plutarque qu’lsis est la partie féminine de la Nature, disposée pour la réception de toute génération (de Iside et Osiride, § XXVIII).
Rien ne se fait sans elle ; et les mystères divins comme les mystères cosmiques se développent en son sein ce qu’avaient fort bien compris les architectes de nos anciens autels romans et gothiques lorsqu’ils avaient surmonté de la statue de la Vierge la crosse qui soutenait la colombe eucharistique remplaçant le tabernacle, et où l’on réservait les saintes espèces, fruit de la transsubstantiation majeure.
Génératrice des choses, élément vierge et pourtant fécond et fécondateur, c’est elle qui détermine toutes les phases évolutives des substances ; elle produit la cohésion, détermine les affinités intellectuelles ou physiques ; elle féconde les semences au sein de la terre et le Grand Œuvre au sein de l’Athanor ; et Julien l’Apostat lui-même, dans son discours εις τήν Μητέρα Θεῶν parle de ce grand principe vital en termes remarquables.
Les anciens connaissaient tous son influence et l’attiraient à eux par des incantations rituelles ; les Romains invoquaient Rurina pour les fruits de la terre, Voltumna pour les affaires d’État, Juventa pour la jeunesse, Præstitia pour les études des enfants, Luperca contre les fauves, Flora pour les fleurs, Prema pour les noces, Fluviona pour la concep’ion, Lucina, la potens uteri diva pour la parturition, Rumia et Albana pour l’allaitement, Mena pour le flux menstruel. Varron, cité par Saint Augustin, disait que les statues des dieux n’étaient que des symboles ayant pour but d’élever ceux qui pénétreraient les mystères cachés sous ces emblèmes à la contemplation intellectuelle de l’Ame du monde
(Saint Augustin, De civitate Dei, lib. VII, 5) ; mais leur erreur consistait précisément dans la déification de ces hypostases multiples, multis tribuens quod debuit uni dit très bien le poète Prosper d’Aquitaine (De providentia Dei, vers. 106).
Les divinités des Romains n’étaient que des causes secondes qu’ils considéraient trop volontiers comme indépendantes d’une cause unique ; ils prenaient chacun de ces moyens particuliers de manifestation ; ils voyaient dans l’ange un Dieu au lieu d’un ministre de Dieu, médiateur du miracle ; au culte de la Vierge elle-même, âme du monde, ils avaient substitué le culte de ses attributions, ce qui est bien exprimé dans l’histoire sacrée de la Khaldée où un vieux texte disait que le lieu de l’Eau primordiale appelé Nun-Ki devint le siège du culte d’un grand nombre de divinités secondaires
.
Aussi le Psalmiste avait-il fait cette réflexion si peu comprise jusqu’ici et si mal commenté : Omnes dii gentium dæmonia, tous les Ælohim des nations sont des Elilim, c’est-à-dire des dieux subalternes, δαίμονες, des causes secondes substituées à la cause première et adorées à sa place. Magnus Dominus super omnes Deos, le grand Seigneur au-dessus de tous les Dieux, disait Moïse (Exod., cap. XVIII II) et fortissime Deus spirituum universæ carnis, le Dieu très fort des esprits de la chair universelle, Ælohé ha-Ruahot legal Bashar (Numeri, XVI, 22). Et l’oracle de Klarios, d’accord avec Moïse et le roi David, affirmait que le Dieu Ιαος (le יהוה biblique) était le chef suprême de tous les Dieux (Macrobe, Saturnal., lib. I, cap. XVIII).
En effet, Moïse, pour marquer l’excellence de ces causes secondes avait fait néanmoins ce commandement : Dii non detrahes, tu ne diras pas de mal des Dieux, des Ælohim (Exod., cap. XXII, 28, text. heb. 27) dont quelques exégètes superficiels tels que le Maistre de Sacy ont détourné le sens en appliquant gratuitement le terme Ælohim à des magistrats et des juges divinisés, et même ailleurs à des Pharaons d’Égypte, sans réfléchir qu’ils se rendaient ainsi complices des Romains de la décadence, appelant dieux leurs empereurs, leurs préfets ou leurs chefs d’armées.
Les Anciens, comme nous l’apprend Porphyre (de Antro nympharum), bornaient souvent leur adoration aux énergies secondaires auxquelles les Eaux étaient consacrées, tandis qu’en tout occurrence, nous invoquons la Vierge universelle et nous réclamons sa protection parce qu’elle seule est la dispensatrice de tous les bienfaits de la fécondité et de la vie ; et c’est ainsi que Balzac a pu dire : La Virginité, mère des grandes choses, magna parens rerum, tient dans ses belles mains blanches la clef des mondes supérieurs.
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L’Eau, élément encore infécondé, mère universelle des êtres, fluide véhiculateur de toute vie, principe féminin immaculé qui a présidé à l’origine des choses, se retrouve de même au berceau de toutes les théogonies. Cet arcane faisait le fond de toutes les initiations au mystère de la quadruple science théogonique, cosmogonique, androgonique et alchimique des sanctuaires de Thèbes, de Memphis et de Bab-llou. Saint Clément d’Alexandrie le savait bien lorsqu’il assurait, au livre I de ses Stromates, cap. 13, que celui qui se donnerait la peine de recueillir tous les fragments de vérité éternelle contenus dans les philosophies grecques et barbares pourrait sans crainte d’erreur contempler le Verbe Parfait
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Tous les grands hiérologues, tous les philosophes et les poètes l’ont connu et affirmé : la Kabbale comme les Souligne ; les papyrus de la Gnose comme les rouleaux du livre de Sortir du Jour ; les pentacles de Thot comme les vingt et un noks de l’Avesta ; Lao-Tseu comme Siméon-ben-Jochai, tous entonnent le cantique à la Vierge éternelle, à l’Eau mystérieuse, réceptacle de l’Esprit.
Moïse en fait la base de la Création, dans son Bereshit ; Moschos, l’écrivain sacré de la Phénicie est cité par Damascius, comme auteur d’une cosmogonie en langue phénicienne où la génération du monde s’opérait par l’intermédiaire de l’Élément humide (De princip., 125.)
Sanchoniaton, autre Initié phénicien peut-être antérieur à Hésiode enseignait la même théorie d’après un fragment conservé par Eusèbe (Præparatio Evangelica, lib., I, cap. 9) mais cette fois avec un mélange d’une doctrine peu connue qui devait être reprise plus tard par Socrates. Il dit : Sanchoniaton, établit la matière animée pour principe de l’univers ; cette matière était éternelle (ab æterno ordinata sum, disent les Proverbes, VIII, 23) mais ne formait originairement qu’un (ou sémination universelle en puissance d’être ; l’Esprit s’unit avec elle, et cette union fut appelée Pothos, le désir).
Abydène, historien Khaldéen antérieur à Bérose, parle exactement comme Moïse dans un fragment toujours cité par Eusèbe, (Praepar Evang., lib., IX. cap. 41). Tout n’était qu’eau à l’origine, et c’est ce qu’on appelle la mer primordiale (Maria).
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O Marie ! ô Selené ! Reine des saints, des héros et des mages ! mundation universelle, incolumnité vraie ! fomentatrice des choses expétibles, auxiliation et secours, réceptable sacré où l’Esprit séminateur détermine le Circulus qui produit et engendre les êtres, qui seule corroborez notre faiblesse en détruisant sans cesse en nous l’œuvre dissolvante du Nahasch néquissime, agréez la louange d’un être qui pense et qui, dégagé des coïnquinations d’ici-bas, ne veut plus songer qu’à s’absorber dans l’Essence préexistante et cause première de tout, dont Vous êtes le prodrome sacré !
Marie, Seuil du ciel, Porche de l’infini, Narthex de la gloire immortelle. Élixir de vie, Vous êtes la patronne des Génies et des Saints, de tous ceux qu’un concept divinise et qu’un dévouement honore, de tous ceux qui, engendrant leur œuvre dans une parturition joyeuse et manifestant l’Absolu, se rendent semblables à Vous. Rien ne se garde impollué sans Vous ; et ceux-là seuls sont vierges qui participent de Vous, car Vous êtes la mère de tout ce qui est incontaminé et pur, le levain immaculé qui, comme un fluide s’épand dans l’universalité des choses et les soustrait à la décrépitude et à la mort.
Prosterné devant Vous, j’ai redit l’Om suprême ; les dix noms ineffables des Kabbalistes ; j’ai énoncé le quaternaire de Pythagore et les lettres Éphésiennes ; j’ai énuméré les clefs du Tarot Égyptien et les Symboles des Roues, et je suis venu déposer à Vos pieds ce tribut du Passé, celle couronne faite de la Sapience de toutes les civilisations et de toutes les époques : je Vous ai demandé comme le poète Thespis le phlogmos brûlant et sacré, ce premier lait qui nourrit l’âme, ce sang de la vigne du Verbe, comme dit saint Clément d’Alexandrie, ce vin mystérieux qui nous verse l’allégresse dans l’initiation chrétienne et nous fait monter des premiers degrés de la catéchèse aux développements splendides de la science parfaite.
Alors Vous m’avez ouvert votre sein virginal ; Vous m’avez révélé la vérité triple ; Vous m’avez admis à la grotte même, à la contemplation des arcanes et j’ai vu loin dans le Mystère. J’ai bu l’onde prophétique et salutaire, et la Sapience a empli mon âme d’une émotion sacrée ; le voile des temps préhistoriques s’est déchiré devant mes regards étonnés et mes yeux ont perçu les secrets de l’infini. Ce qui s’est passé en moi, entre le Gave et les roches Massabielle, lorsque je m’efforçais de lire dans le Livre de feu dont les sept sceaux venaient de tomber à ma vue, je ne l’oublierai jamais.
Devant Votre sanctuaire chéri, j’ai vu la grandeur des choses éternelles et vous avez voulu que je contribue à publier la gloire de Votre ville sainte ; Vous avez mis en ma bouche un langage qui n’est pas de mon siècle ; Vous m’avez créé exarque et m’avez donné la force de mépriser le mépris des mécréants ; Vous m’avez prédestiné pour écrire cette panégyrie de Vous-même ; dès le commencement, Vous m’avez choisi, moi l’inutile serviteur du Xrist pour être le hiéroceryx de Vos mystères et de Vos gloires. Vous m’avez discerné avant les siècles puisque Vous n’ignoriez aucune des louanges qui s’adresseraient à Vous un jour, et que Vous aviez Vous-mêmes déterminé et permis la mienne. C’est en méditant cette douce et maternelle pensée qui fait ma consolation et ma joie, que j’ai juré en ce lieu même que le matérialisme a tenté de souiller, de faire flamboyer en un livre, chaque fleuron de Votre diadème incomparable.
Regardez-moi, Vierge sainte, moi, petit, prosterné devant Votre immensité. Après les théories malsaines que le souffle putréfié de l’esprit moderne avait échafaudées sur Votre gloire. Vous appeliez à votre défense une âme avide des sublimités de l’art et de la foi et je me suis présenté comme le chevalier se présente au tournoi. Pardonnez aux imperfections de la forme et ne considérez en moi que l’intention ; je ne suis pas le décadent qui ne décrit que des vomissures ; et je ne me délecte pas, moi, dans le méphitisme et la corruption. Comme au seuil d’un temple saint où ceux qui entrent ont soin d’essuyer la poussière et la boue de leurs sandales, j’ai secoué aussi l’ordure contemporaine que nous traînons tous inévitablement avec nous ; au milieu de ces Pyrénées gigantesques et si près de Roncevaux, je n’ai voulu entendre que les accents des preux et le cri désespéré de Roland : « Sainte Marie aiude ! » ; mon langage est pur et mon âme élevée ; je n’ai enseigné que des notions hautes et sacrées et mes lèvres n’ont proféré que la vérité hermétique et que les Arcanes de l’intangible. Exaucez donc la prière que Votre fils soumis Vous adresse pour la Salvation du monde. O Vierge sainte, je Vous en conjure par saint Michel, par les quatre animaux symboliques et les sept sceaux du Livre : Sublimez les intelligences, élevez les cœurs, confondez les négateurs et les impies, haussez le niveau moral des foules jusqu’à la perception du Mystère en ouvrant leurs yeux à l’harmonie des Formes et à l’esthétique du Nombre afin que tous puissent participer à la communion de l’Infini ; purifiez surtout le monde des trivialités, des vulgarités et des laideurs qui l’envahissent de toutes parts et nous offusquent à chaque pas dans la vie ; et faites que l’humanité toute entière devienne semblable aux privilégiés de Votre amour, à ceux qui, ayant vu plus loin que le formel, ont ressenti sur terre le prélude de la béatitude éternelle. Ainsi soit-il.
Notes
☩ Grillot de Givry, extrait : « Lourdes », publ. in Lourdes, ville initiatique in La Tour Saint-Jacques, N°13-14 (Janvier-Avril 1958), pp. 101-120.
► Dirigée par Robert Amadou, La Tour Saint-Jacques fit paraître son premier numéro de cette revue occultiste et ésotérique en 1955 et continua jusqu’en 1958 pour un total de 16 numéros, puis poursuivra dans Les Cahiers de la Tour Saint-Jacques jusqu’en 1963 pour 9 numéros. Jouissant d’une bonne réputation, on pouvait trouver dans ses pages, des articles signés entre autres, par Armand Barbault, Eugène Canseliet, Hervé Masson, Serge Hutin, René Alleau ou Marie-Madeleine Davy. En fin de numéro, on trouvait le Bulletin de Parapsychologie, issu de la désolidarisation d’Amadou avec l’Institut Métapsychique et contenant des actes de colloques dédiés au sujet.
► Cet extrait publié dans La Tour Saint-Jacques était accompagné de deux textes : une présentation de l’ouvrage écrite par Robert Amadou ainsi qu’une notice biographique de son fils Jean-Raphaël Grillot de Givry auquel il à joint deux documents qui sont une photographie de son père (que l’on retrouvera sur la page de l’encyclopédie dédiée à l’auteur) et une note autographe de l’ouvrage que vous trouverez dans la source d’origine s’il vous intéresse de la consulter.