🔍
Bouton_Accueil

Le Poème philosophique de la vérité de la physique minérale


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
Clovis Hesteau Nuysement1620Littérature (herm.)FranceAlchimieNon applicable

► Nuysement, influencé par Ronsard et Augurelli et marqué par l’hermétisme, livre ici l’un des poèmes alchimiques les plus célèbres. Il y rapproche l’alchimie du christianisme, présentant "trine en unité" phénix, salamandre et pélican. Outre ses citations et références à divers auteurs, on y retrouve cité entièrement la Table d’émeraude et largement paraphrasé, la Pierre Philosophale de Lambspring.

■ Nous avons passé le français ancien au français moderne lorsque nous l’estimions nécessaire à une lecture fluide du texte.

🕮 Bosc, ref.1013.

🕮 Guaita, ref.772 (recueil),1925.

🕮 Lenglet Du Fresnoy, ref.553:2.

🕮 Ouvaroff, ref.1125,1126.


Texte : én. du Poeme philosophic de la verité de la phisique minerale, 1620. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France

séparateur

Où sont réfutées les objections qui peuvent faire les incrédules & les ennemis de cet Art. Auquel est naïvement & véritablement dépeinte la vraye matière des Philosophes.

Par le Sieur de Nuisement, Receveur général du Comté de Ligny en Barrois.

Dédié au très-haut, très-puissant, & très-vertueux Prince, Monseigneur le Duc de Lorraine & de Bar, etc.

AUX LECTEURS

Malgré les flots émeuz par l’ignorante rage, Et l’obscur tourbillon par l’envie excité, Quiconque aura pour Nord l’astre de vérité, Singlera de tous vents afranchi du naufrage.

Si j’ay veu par Vanguelle, avec un grain de poudre Douze gros d’argent vif sans fraude en or muez : L’orgueil des vains discours de raisons desnuez A desmentir mes yeux me feroit il resoudre ?

Montdoucet noble & docte, en probité insigne, Fut exacte recors de ce divin effect ; Qui par l’experte main du viel Girout fut fait Sans que d’en aprocher Vanguelle feist nul signe.

Si du plomb calciné, extraict de bonne veine, De l’or (mais sans profit) je tire tous les jours, Ceux qui font contre l’art tant d’insolents discours Sont-ils pas convaincus de présomption vaine ?

Discours audacieux que fol penser médite, Et qu’opinion fausse en public va semant, Puis que vous affirmez que la vérité ment, Partez vous pas d’une âme impudente et maudite ?

Vos Auteurs désormais feront mieux de se taire, Qu’aller aveugles nez des couleurs babillant : Ce sont vrais charlatans, puis qu’ils vont habillant Du pourpre de raison une erreur populaire.

D’impatiente ardeur procède leur furie, Car espérant d’abord leurs désirs contenter, Premier que concevoir ils veulent enfanter, Exerçant la pratique avant la théorie.

Nos maistres ont sceu l’oeuvre avant que l’avoir faite Le bon Trévisan mesme ose persuader Qu’il en eut par l’estude avant se hazarder, L’espace de deux ans cognoissance parfaite.

Voire qu’en cet espace il eut libre acointance, A quinze, mis au rang des éleuz bienheureux Qui l’avaient accomplie, et parlait avec eux Comme leur compagnon, maistre en cette science.

Il faut qu’une lecture à la sienne semblable, Joigne par un seul point les lignes des auteurs ! Puis comparant les dits des vrais et des menteurs Discerner prudemment le faux du véritable.

La peinture plus noble, est celle qu’en idée Le docte peintre esbauche au blanc de son esprit. Le poète a son poème en l’intellect escrit, Premier que par sa main la plume soit guidée.

Pour voir du vray l’image, ainsi la vérité mesme, Et l’idole du faux, sous visages divers Opposez l’un à l’autre, on doit lire ces vers ; Car l’une & l’autre est vive au marbre de ce poème.

A TRES-HAUT, TRES-PUISSANT ET TRES-VERTUEUX PRINCE.
Monseigneur le duc de lorraine et de bar etc

Monseigneur,
Si par quelque considération humaine on a souvent excusé ceux qui se sont énamourez de beautez à eux inconnues, au seul récit de leurs perfections, et si la passion ainsi légèrement conçue a peu d’un mouvement violent emporter ces amants jusques à l’extrémité de prodiguer leurs vies pour la gloire de tels objects imaginaires : Qui me pourra justement dire indigne de pardon, si ravy par ma vue je suis devenu amoureux d’un sujet non commun, voire tant admirable en toutes ses parties, qu’il est bien permis du Ciel à plusieurs d’en imaginer l’excellence ; mais à fort peu de la comprendre ? Or comme ces vieux Paladins eussent dégradé de l’Ordre de Chevalerie celuy qui eust veu offenser sa Dame, sans employer ses armes à la défense de son honneur, je croirois mériter la mesme honte, si coulpable du mesme crime j’avois, en me taisant, approuvé les blasphèmes proférez en public contre la Vierge que je sers par un présomptueux Sophiste, qui, jetant de dépit aux orties le blanc et candide froc des philosophes, s’est voulu acquérir rang honorable entre les doctes, en contrefaisant l’Aristarque & de la Ponce de certains vers maigres & mal limez, essayant d’effacer du livre de vie le nom de cette Nimphe et de tous ceux qui l’ont aymee. Le vif ressentiment de cette injure a donc tellement desbordé mon fiel, qu’en l’excès d’une impatiente et trop légitime douleur j’ay voué a cette belle, et aux Manes de tant de glorieux Héros qui l’ont idolâtrée, de venger leur commun affront ; & d’opposer aux armes frivoles dont ils sont ignoramment ou malicieusement attaquez, les nues naïveté de mes conceptions ; forgées de la plus pure et mieux trempée estoffe de cent autheurs illustres, à qui je doy l’honneur de mon pénible apprentissage. Et d’autant qu’Apollon, comme Prince de ma naissance, destina mon âge au service des Muses (qui jamais ne m’ont desnié l’entrée de leur Sanctuaire), j’ay bien voulu en requérir la bénédiction, & prendre dans leur sacré Arsenal les mesmes bastons dont l’ennemy s’estoit servy. Avec lesquels j’estime l’avoir réduit à tel point, qu’il ne se hazardera jamais de retourner sur les rangs, pour y quereller avec moy les lauriers de cette victoire, non plus que l’honneur des bonnes graces de vostre ALTESSE, si par le prix d’une sincère et fervente dévotion elles se doivent acquérir. Elle recevra donc, s’il luy plaist,

Monseigneur, l’histoire de cette guerre philosophique, avec l’inviolable voeu d’une perpétuelle fidélité, que luy dédie.
Son très humble et très obeyssant serviteur,
De Nuisement.

SONNET

Dessus le double mont consacré aux neuf Soeur,
Les Lauriers, peu cueillis, trop espais de branchage ;
Estouffent maintenant d’un suffoquant ombrage,
Le parfum & l’esmail des immortelles fleurs.

Un million, d’amants afpirans aux saveurs
De ces neufs Déites, y vont leur faire hommage ;
Sans qu’à peine un seul touche à ce sacré feuillage,
Qu’elles donnaient aux vieux pour prix de leurs labeurs.

Cette tourbe usurpant le saint nom de Poètes,
(Nom, sans plus convenable aux divins interprètes)
D’une Ryme stérile emplit tout l’univers :

Les vieux chantoient envers des Dieux l’essence pure ;
Les merveilles des Cieux ; les secrets de Nature :
Ceux-cy ne chantent rien, font-ils donques des vers ?

POEME PHILOSOPHIC DE LA VERITE DE LA PHISIQUE MINERALLE

Je parle aux entendus : esloignez vous prophanes.

Car mon âme s’eslève aux plus secrets arcanes :
Pour d’une main divine humainement tracer
Mille traits que mille ans ne pourront effacer.

Fille de ce grand Roy qui l’univers tempere ;
Reine unique du monde, universelle mère ;
Alme, et saincte nature, animez la clameur
Qu’en votre honneur j’eslance encontre un sot rimeur :
Qui d’un ongle envieux égratignant Minerve,
Pour déshonorer l’Art, tasche à vous rendre serve.
Fille de l’Ocean, féconde Déité,
Des Dieux & des humains la douce volupté ;
Et vous Roy de Lemnie, aydez à la vengeance.
Et puisque cet Impie en commun vous offence,
Qu’Apollon & sa soeur de moy ne soient distraits
Que l’un prête son arc, l’autre prête ses traits,
Pour descocher mon ire aussi dru sur sa teste
Que chet sur l’Apennin la grelleuse tempeste.
Et vous courrier aellé de ces Dieux le soucy,
Comme leur guidedance assistez les aussi.
Castaliennes soeurs, neuvaine docte & belle,
Du Monarque des Cieux la semence immortelle ;
Quittez pour m’assister contre cet orgueilleux,
De votre sacré mont les sommets sourcilleux,
La source Aganipide, & l’argent vif qui coule
D’Eurothe, de Permesse, et de Dircé qui roule
Ses flots entrebrisez par les prez fleurissans,
Chaque soir refoulez de vos pieds bondissans,
Au son du luth doré que vostre frère touche,
Compagnon des accents de sa profonde bouche,
Si j’eu part dès l’enfance à vos sainctes faveurs,
Soufflez dans mes poulmons vos divines fureurs.
S’il abonde en discours, qu’en sentences j’abonde :
Et s’il blasphème en vers, qu’en vers je le confonde.
Ainsi de vos lauriers l’auguste sommité
Brave les ans, la foudre, et la fatalité.
Car bien qu’en mon courroux d’attaquer il me fasche,
Un esprit si volage, un courage si lasche,
Qui blasmant indiscret ce qu’il a plus loué,
Qui déshonorant l’Art où il s’est plus voué,
Aussi douteux du faux comme du véritable,
De ses vers et de soy fait une maigre fable.
Bien que le papier rouge en maint lieu soit farcy
De son nom que maint crime a sallement noircy ;
Et qu’après le trafic d’une vie affronteuse
La juste peur le force à la fuite honteuse ;
Je veux ce témeraire au combat appeller,
Et son outrecuidance en public reveller ;
Afin qu’en l’eau d’oubly le plomb de mes paroles
Face faire naufrage à ses esprits frivolles.
Donc, Marsye nouveau, fol calomniateur,
De l’Art & de Nature ignorant contempteur,
Oses tu bien souiller avec tes vers barbares
La candeur des escrits de tant d’esprits si rares,
Qui brillans des rayons de la divinité
Ornent comme Soleils la saincte antiquité ;
Esperant par tes cris (victime hiperboree)
Abollir une chose en tout siècle honorée,
Tu n’est point philosophe, et tu veux toutesfois
Cette Reine des Arts esclaver sous tes lois.
Lors que tu fis ton cours ce fut à toute bride,
Car tu n’as arguments ny subtil ny solide.
Ton babill relevé d’une ostentation
A pour tout fondement l’aveugle opinion
Du vulgaire imbécile, à qui rien n’est croyable
Sinon ce que l’usage a prouvé véritable !
Accablant du fardeau d’impossibilité
Tout ce que n’a compris son incapacité.
Tu dis qu’au long circuit de mille experiences
Tu as perdu ton temps, ta peine, et tes despences ;
Que tu en as veu mille & mille qui leur bien
Par un mesme désastre ont converty en rien :
Est ce un ferme argument, est ce une conséquence,
Que de l’Art ignoré fausse soit la science ?
Combien ont prodigué leurs moyens & leurs jours
A chercher curieux les incognus retours
Du mouvement de soy ? Combien cherchent encore
La carrure du cercle ? Et si on les ignore
Est-ce un poinct asseuré pour maxime receu
Qu’Archimede et Euclide oncque ny ont rien sceu ?
Il ne faut pas au pied de l’humaine ignorance
Mesurer les secrets de la nature immense.
Elle est tant infinie en sa diversité
Qu’il faut pour la cognoistre un âge illimité.
Les ans d’Arthephius, voire de Pythagore
Les trois siècles conjoints n’y suffiraient encore.
Mais, dy moy, qui eust meu tant d’illustres docteurs,
De Rois, et d’hommes saincts, d’escrire en imposteurs ?
Hermes le trois fois grand à qui est dieu l’usage
Des sept arts liberaux garantis du naufrage,
Qui premier dans sa table a cet art insculpé,
Fut-il sçavant pippeur, ou ignorant pippé ?
Geber dont l’Arabie encore se glorifie,
Que pour son haut sçavoir presque l’on déifie,
Grand Roy, grand philosophe, eust-il voulu mentir,
Aux despens de sa gloire ; & lasche consentir
A diffamer son sceptre, & à souiller son âme
D’un acte scélerat, digne d’éternel blasme ?
Morien, dont la vie austère a mérité
Le tiltre que l’on donne à sa grand probité
De bon & de sainct homme, auroit-il eu envie
D’obscurcir en mentant le lustre de sa vie ?
Et ses doctes escrits citez en tant de lieux
Seraient-ils bien sortis d’un cœur malicieux ?
Ce grand Thomas d’Aquin que Saint nous tenons estre,
Si les autres mentoient est des menteurs le maître :
Car il escrit comme eux qu’il a sceu, veu, & fait,
Ce divin Elixir qui les metaux parfaict.
Et tant d’autres auteurs dont les célèbres plumes
Ont escrit en cet art un monde de volumes,
Que tu vas, juge faux, condamnant follement,
Parce qu’ils vont passant ton faible entendement ?
Et que ton fresle esquif, où l’ignorance est peinte,
Ne fut jamais fretté pour voguer vers Corinthe :
Supposant que ces noms d’hommes très renommez
Qu’ont au front tant d’escrits par le monde semez
Sont autant de gluaux que l’humaine malice
Tend aux esprits pippez du sifflet d’avarice.

Pippeur, tu ne sonnois cette feinte chanson
Quand tu proposais l’œuvre au grand Duc d’Alençon,
Comme pouvant par elle à l’empire prétendre,
Faisant ses marchepieds d’Angleterre & de Flandre.
Qu’importe au vin le tiltre ou de Beaune ou d’Ay,
Quand il est excellent ? Un livre est-il hay
Pour estre sans autheur, quand il est véritable ;
Et que sa vérité au monde est profitable ?
Celuy qui d’un oeil fixe et d’un esprit tendu
Pénétrant leur escorce à leur style entendu,
Juge la vérité d’eux & de leur science
Par le flambant esclair de leur correspondance.

Or sus, entrons en lice, & de méthode & d’art
Pour combattre à outrance, arborons l’estendart
De ce grand prince Hermès, pour voir a qui la gloire
A desja consacré les palmes de victoire :
Ma trop juste querelle et mon désir bouillant
Sous un auspice heureux me font estre assaillant.

Dieu, essence première, éternel, impassible,
Invisible, infiny, incompris, indicible,
Fut avant toute chose. Et en luy seul estoit
Tout, par l’estre idéal que seul il projettoit.
Pour principe actuel du bastiment du monde
Il feit une substance en substances féconde,
Qu’essence pure et quinte aucuns vont appellant,
En qui toute nature il alla recelant.
Par luy cette substance en trois fut divisée,
Et de la part plus pure au mesme instant puisée,
La nature angélique, & le corps glorieux
Du haut du Ciel empirée, habitacle des Dieux.
Puis de la part seconde un peu moins précieuse
Il feit du Firmament la rondeur spacieuse ;
La Lune, le Soleil, & les corps radieux
Qui sa grandeur supresme attestent à nos yeux.
Et de la part troisiesme encor moins pure & monde
Il créa quatre corps pour membres de ce Monde :
Où, pour sang il glissa cette quinte vertu
Dont par eux icy bas tout corps est revestu.
Puis de son divin souffle il donna la naissance
A la belle Nature infinie en puissance.
Et pour mieux l’exercer en la production
Du dessein crayonné dans son intention,
Il comprit toute Idée en sa première Idée :
Par qui la docte ouvrière en son progrez guidée,
De cet objet premier concevant tous objects,
Au moulle paternel forma tous ses projets.

Nature obéissante à l’effect se dispose,
Et de ces quatre corps tous autres corps compose,
En leur donnant vigueur, & vie, & mouvement,
Par l’esprit espuré du cinquième élément,
Que des quatre premiers artiste elle alembique,
Principe & fondement de ce bel art Chimique.
Bel Art qui sa maistresse aide en la surmontant ;
Et ses oeuvres d’un siècle achevé en un instant.
Bel Art qui seul à l’homme a donné cognoissance,
Comme on peut tout réduire à cette quinte essence.

Dieu donc, Nature, & l’Art, d’unanime vouloir
Montrent l’infinité de leur triple pouvoir.
Dieu commande à Nature, et fournit la matière :
La Nature l’informe et la met en lumière :
Et puis l’Art polissant ce que Nature a fait
Le vicieux corrige, & parfait l’imparfait.
Tellement que sans l’Art, qui les choses illustre,
Leurs vertus languiraient sans effect & sans lustre :
Car Nature ne peut par simples actions
Accomplir comme l’art par préparations.
Et de l’Art toutefois la vertu singulière
N’est qu’en l’amendement de la propre matière
En qui Nature a mis ce trésor affluant
Qu’en tous corps composez les Cieux vont influant.

La Nature est un ordre et puissance infaillible,
Que l’esprit incompris de l’incompréhensible
Dés le naistre du monde au monde a estably,
Pour veoir d’effects divers son dessein anobly,
Produisant, conservant, et augmentant les choses
Que dans sa prescience il réservait encloses,
De toute éternité à toute éternité,
Sous l’infiny progrez d’un project limité.
Et ce qu’Art on appelle est un acte incroyable
De l’intellect humain, qui rend l’homme admirable
En l’imitation des naturels effects,
Que souvent il corrige, et fait voir plus parfaits.

La terre aux larges flancs, du germe de ses frères
Qui de tout corps phisic sont egalement pères,
Conçoit, nourrit, augmente, en son intérieur,
L’esprit universel du monde inférieur ;
Qu’en blanche et fine fleur la Nature fait naistre,
Et qu’en cristal luysant l’Art nous fait apparoitre.

En sa simplicité, cet esprit général,
Triple un, est animal, végetal, minéral,
Commencement et fin de tout corps corruptible,
Dont il est la substance et le baulme invisible.
Mais s’il plaist à sa mère un corps édifier,
Et qu’il s’aille glissant pour le vivifier,
Il reçoit la Nature, & le nom de la chose,
Ou par obéissance il se métamorphose.
Il anime tous corps, ; il les fait vegetter ;
Et selon qu’il abonde, accroistre et augmenter.
C’est l’Apelle divin, le Peintre de Nature,
Qui bigarre les fleurs de naïve peinture.
Qui sans couleur produit cent diverses couleurs ;
Et confit sans odeur cent diverses odeurs.
C’est le Caméléon, c’est l’inconstant Protée,
Qui reçoit toute forme et couleur présentée.
L’on aurait beau sans luy les herbes replanter ;
Semer les grains en terre, & les arbres anter.
C’est luy seul qui la plante & l’arbre vivifie ;
Qui la graine semée en terre putrifie,
Qui cause la naissance et la fécondité,
Selon la chaleur joincte avec l’humidité.
En luy seul les vertus de tous les corps consistent ;
Car ceux ou plus il est plus longuement persistent :
Et ceux où il est moins, comme moins animez,
Plus subjects à la mort sont plustost consommez.
La mort ne peut pourtant sa puissance destruire,
Car la vertu des corps en luy se vient réduire.
Il vit très-salutaire ou très pernicieux,
Suivant l’instinct du corps bon ou malicieux.
Un grain de cet esprit, de céleste origine,
Pris seul, fait plus d’effects qu’un pot de médecine.
Car, bien qu’il soit en elle esgallement diffus,
L’impure quantité rend son pouvoir confus ;
Et la pauvre Nature atteinte & abbatue,
Du mal et du remède ensemble est combattue.
Ainsi de maints docteurs la paresse ou l’orgueil
Nos corps avant le terme emprisonne au cercueil.

Ce qui fait que la Parque exerce sa puissance
En l’un plustost qu’en l’autre, est l’impure semence,
Et l’alliment impur ; auquel on va joignant
Le désordre indiscret ; Triple glaive poignant
Dont l’impiteuse soeur perçant la faible trame
De nos ans mal tissus fait passage à notre âme.

On lit d’Artephius qu’il s’est glorifié
D’avoir mille ans, et plus, la Parque deffié.
Et Trismégiste escrit que le fréquent usage
De sa grand Médecine accomplit un long âge ;
Conservant la jeunesse en sa verte vigueur :
Et repoussant des ans l’importune rigueur.
Le cacquet insolent de ta langue ennemie
Blasonne l’escusson de cette longue vie
Des couleurs d’imposture : & desgorgeant son fiel
Dit que c’est blasphémer contre les lois du Ciel,
Qui a borné nos jours à sept fois dix années.
Mais avec tes raisons sans raison amenées,
Je te veux demander pourquoy mille paysans
Sans aucun artifice ont passe six vingts ans ?
Pourquoy le Cerf timide, & l’Aigle ravissante,
L’inutile Corbeau, la Couleuvre nuysante,
Et le Serpent maudit, par Nature enseignez,
Ne sont ainsi que l’homme à briefs jours assignez ?
Dieu les aurait il fait de la paste des Anges
Pour aux siècles derniers annoncer ses louanges ?
On tient que l’Elephant adore le Soleil ;
Et que l’ Aigle luy chante hymne à son resveil :
Mais il n’est animal, quand cet astre l’esclaire
A chercher par les champs sa pasture ordinaire,
Et réchauffe de l’air la froide humidité,
Qui ne donne un signal de sa félicité ;
Car il n’est créature au monde si discrète
Qui estouffe sa joye en la tenant secrète ;
Mais quand le triste hiver hérisse de glaçons
Les champs et les forests, on n’oit plus ces chansons :
Chacun de deuil atteint muettement lamente
Sa pasture ravie & la chaleur absente.

Ô Muses quelle erreur pleine d’absurdité,
D’attribuer à l’homme un poinct de déité,
Et le proclamer Roy de la terre & de l’onde,
Si privé de tous biens en tous maux il abonde :
Et si les animaux à son joug destinez,
Avec plus de franchise et de grâce estoient nez.

Contre nos milliers d’ans (insolent Aristarque)
Tu prends le fer tranchant de l’antique remarque
Des ans Egyptiens, ourdis du peu de jours
Que la Lune demeure à parfaire son cours.
Mais si d’Artephius & du triple Mercure
Les ans n’estoient que mois, comme ton imposture
Vomit contre l’honneur de cet Art sans pareil,
Ils n’auroient pas cent ans veu les rays du soleil :
Et chétifs trop à tort jaloux de leurs fortunes
Fascherions nous le ciel de plaintes importunes.
Ceux des siècles premiers qu’on dit avoir vescu
Depuis que du péché Adam fut convaincu,
Sept, huit, et neuf cens ans les contoient ils par Lunes?
Leurs bénédictions eussent esté communes,
Veu que plus esloignez de l’estre plus heureux,
Il s’en void parmy nous vivre autant & plus qu’eux.
Je te laisse (ô Zoille) avec tes ans lunaires,
Pour suivre nos majeurs couronnez d’ans solaires,
Qui meus par le miracle à l’admiration,
Et puis par la merveille à l’imitation ;
Considérant l’effect des vertus naturelles
Que la racine, l’herbe, et la fleur ont en elles,
Par qui les animaux de leur instinct conduits,
Retardaient les horreurs des éternelles nuicts,
Ils feirent des Métaux la vraye anatomie ;
Vivifiant par Art leur vigueur endormie ;
Vigueur que prend du ciel l’esprit universel,
Eternel en puissance ; & en acte immortel.
Qui t’aurait sans ambage enseigné leur mystère,
Dont ta seule ignorance est le pire adversaire ;
Après que de l’extase on t’aurait resveillé,
Tu t’esmerveillerois de t’estre emerveillé ;
Car du moindre artisan l’oeuvre la plus facile,
A celuy qui l’ignore est aussi dificile.

Ce qui les a fait prendre à ces corps pondéreux
C’est la longue action qu’ont les Astres sur eux :
Rendant leurs éléments si bien collez ensemble
Qu’ils résistent à tout ce qui tout désassemble.
Il n’est corps si petit où cet esprit ne soit,
Qui des corps radieux l’influence reçoit :
Et tant plus la matière est tendre & délicate,
Et plus cette influence infuse ce dilate.
Mais ce qui dure peu ne sçauroit endurer
Ce qu’endure le corps qui peut longtemps durer.
Les herbes et les fleurs en peu de jours périssent,
Et les astres sur eux ce peu de temps agissent,
Ils ont force matière, et de forme bien peu.
Beaucoup de terre & d’eau, bien peu d’air, point de feu.
Voila ce qui les rend plus soudain périssables.
Les corps des animaux se trouvent dissemblables ;
Car beaucoup mieux pourveus du plus noble élément,
Comme mieux animez vivent plus longuement :
Et plus longtemps repeus des viandes célestes
Ont leur baulme plus propre aux accidents funestes.
Les Gemmes, pour les grands, d’excessive valeur
L’une pour sa dureté, l’autre pour sa couleur,
Recevant plus l’aspect des flammes immortelles,
A l’envy pourroient estre aussi bonnes que belles,
Mais leur baulme de vie où loge la bonté
Est par la sécheresse esteint & surmonté.
Les moyens Minéraux, avortons de Nature,
Abondent plus en sel, en souphre, & en Mercure,
Et ces trois Elements dont ils sont composez,
Comme par un long âge aux Astres exposez,
Font contre certains maux des effects incroyables.
Les Métaux imparfaits beaucoup plus vénérables,
Aspirant à l’Estat, comme Princes du Sang,
Sembent bien mériter de tenir autre rang :
Toutesfois leur puissance a des bornes certaines,
Par les impuritez qui infectent leurs veines :
Et parce que ces feux qui les vont animant
Influent en chacun quelque effect seulement.

Si des Astres sans plus l’ordinaire influence
Parfaict en cet esprit la supresme excellence ;
Le corps qui plus longtemps l’aura peu recevoir
Sera par conséquent plus parfaict en pouvoir.
Et si du Ciel brillant l’estoille plus petite
A pour son influence un pouvoir sans limite ;
Le Roy des clairs flambeaux qui ce bien leur départ
Doit avoir la plus grande & precievse part.

Tu ne sçaurois nier sans coulpe d’impudence
Que chacun donne à l’or mille ans pour son enfance ;
Et que pendant le cours de sa minorité
Jupiter et Phoebus prennent l’autorité
De regir ce pupile. Or voulant qu’on descœuvre
Leur puissance infinie en ce petit chef d’œuvre ;
Ils l’ont fait si esgai en tous ses éléments,
Que l’excés impiteux des feux plus véhéments
Au lieu de le destruire est sa douce pasture :
Que l’eau, la terre, et l’air, par rouille ou pourriture
Et par tout autre effort, perdroient leur action
S’ils cuidoient faire brèche à sa perfection.
Si donc des éléments les choses mieux formées
Sont par leurs geniteurs hormis l’or difformées,
Qui m’osera nier que dans l’or précieux
Ces Dieux n’ayent logé le comble de leur mieux ?
Et que très justement la voix des philosophes
A nommé l’or sans plus, l’estoffe des estoffes
Dont le sage construit son secret bastiment ;
Car de l’or la semence est en l’or seulement ?
Semence précieuse, esprit incomparable ;
En qui Nature imprime un effect incroyable ;
Après que le corps mort par l’art est ramené
Aux principes seconds dont premier il fut né.
Si toute la nature au Soleil est diffuse ;
Si toute la Nature il a dans l’or infuse ;
L’or seul pourra donc estre un remède à tous maux,
Guarissant la Nature en tous les animaux ;
Pourveu qu’on le réduise en telle consistance
Qu’il se puisse conjoindre à l’humaine substance.
Il chassera du cœur toute contagion :
Empeschera le sang de putrefaction :
Augmentera la baume & l’humeur radicale :
Maintiendra la chaleur en tempérance egale :
Consommera du corps la superfluité :
Purgera du cerveau la froide humidité :
Rallumera des sens la vigueur alentie :
Et bref nous fera vivre une parfaicte vie.

Tu dis que nous naissons seulement pour mourir ;
Et fuyant le trespas ne cessons d’y courir :
En ce lieu ta sentence est pleine d’ineptie,
Et ne faut pour cela le don de prophétie.
Ignorons nous que l’homme est comme n’estant pas ;
Et que le jour du naistre est veille du trespas ?
Ce sont propos communs des âmes plus grossières.
Hermès illuminé des plus claires lumières
Du Ciel & de Nature, ignorait-il qu’un jour
Il faudrait qu’il changeast de vie et de séjour ?
Il ne laissa pourtant d’enquerir & d’apprendre
Ce bel Art qui pouvoit presque immortel le rendre.
Si tu es las de vivre, aleché de l’espoir
De voir un plus beau jour, haste ton dernier soir
Comme feit Cleombrote ; et ton âme immortelle
Mène au champ Elisée une vie plus belle.
Pour moy j’ayme ce monde, & fais prière aux Dieux
Qu’eureux j’y puisse vivre un pauvre siècle ou deux ;
Puis chanter en mourant quelque hymne de liesse
D’avoir peu si longtemps combattre la vieillesse.
Non pourtant que j’espère immortel devenir
Puisque ce monde mesme une fois doit finir.
Les ans aux dents d’acier rongeront ma despouille,
Puis qu’ils rongent l’acier avec des dents de rouille.
Mais comme on peut l’acier quelque temps maintenir,
Mon corps se peut un temps par art entretenir.
L’eau tombant goutte à goutte en fin cave le marbre,
Et pourrit peu a peu le cœur du plus gros arbre :
Mais ce sont accidents que l’Art peut retarder
Quand on veut à couvert avec soin les garder :
Car souvent d’un grand mur vient la ruyne entière
Par l’impreveu malheur d’une simple gouttière.
Tant plus l’âme bien née habite ces bas lieux
Plus elle fuit la terre et s’approche des Cieux ;
Car du fais des pechez son dos elle descharge
Par mille charitez qu’exerce sa main large.
La fièvre de Tantalle est au cœur des humains,
Ils ont des fleuves d’or qu’ils puisent de leurs mains
Mais quand l’ardeur mortelle allume en eux sa rage
Ils pleignent à leur soif un doigt de ce breuvage.
Comme si les ducats par arches entassez
Rachettoient de Pluton leurs seigneurs trespassez.
Plus que la Royauté la vie est désirable,
Et n’est à la santé nul trésor comparable.

Tu veux que nos docteurs ne soient point ignorants
De ce remède exquis, puisqu’en leurs restaurants
Ils font bouillir de l’or suivant l’usage antique.
Ils suivent bien la lettre et non le sens mystique
De leurs divins ayeulx qui n’ont pas entendu
Que l’or par tels bouillons soit potable rendu.
Autant y vaudrait mettre un marbre, ou un porfire,
Que ce corps dont cette eau nulle vertu n’attire.
Et ne sont moins frustrez de leurs intentions
Quand ils meslent sa poudre en leurs confections ;
Car ce que la chaleur de l’estomach peut cuire
Peut naturellement en Chille se réduire :
Mais pour l’humaine ardeur l’or est trop endurcy :
Et tout tel qu’on le prend on le remet aussi.
L’or substante Nature, et luy donne allegeance
Quand il luy communicque et adjoint sa substance :
C’est pourquoi l’Alchimiste expert en son mestier
Remet ce corps solide en son estre premier :
Car toute médecine excellente & louable
Doit estre un sel fusible, ou chose au sel semblable.

Si l’auteur des destins en modérant ses lois
Avoit au moins permis qu’on peust naistre deux fois :
Mais un coup & non plus l’homme monte à la vie,
Qui cent fois tous les jours luy est presque ravie.
L’ambition, l’orgueil, et la témérité ;
Le chaut désir d’atteindre à l’immortalité ;
La bruslante avarice, & les terreurs paniques
Que maints fols vont paissant d’humeurs mélancoliques,
Exercent contre nous leur tyrannique effort,
Et causent plus de morts que l’ordinaire mort.
Déesse opinion, Reine des fantaisies,
Qui peints aux cerveaux secs tes vertes frénésies,
Logeant l’heur et l’honneur aux lieux plus périlleux,
Que tu produits en nous des effects merveilleux !
Les enfers t’ont fait naistre une Atropos seconde
Pour peupler leurs déserts, et déserter le monde.

Misérable goutteux qui vis pis qu’en Enfer,
Que te sert ce métal dans un coffre de fer,
Ou que son riche lustre en tes meubles éclate,
Si tu maudis ta vie en un lict d’écarlatte ?
Te vaudroit il pas mieux ce corps rarifier ;
Par l’esprit tirer l’âme & la mondifier ;
Puis à douce chaleur d’art facile, & possible
Faire de ce mélange un sel fixe & fusible ?
Tu aurois cet esprit qui va l’or animant ;
Des imparfaits Métaux le parfait aliment :
Tu aurois l’or réduit à l’essence première,
Qui jamais ne retourne en sa masse grossière.
Mais tu es fasciné de tel enchantement,
Que si quelqu’un t’offroit ce sainct médicament,
Et que ton Médecin t’en défendit l’usage ;
Tu souffrirais plustost la Plutonique rage
Qui te tient pour ta vie en un lit attaché,
Que voir en guérissant ton Médecin faché.

O cher fils du Soleil comment pourroit-on faire
Pour à ton lot sacré dignement satisfaire ?
L’Orphée des François sur sa Lyre a chanté
Un hymne en ton honneur ; mais il s’est contenté
De dépeindre ta robe, & de proprement dire
Tes communes vertus que le vulgaire admire.
Que sa muse pardonne à ma témérité ;
Je veux d’un ton plus haut chanter ta déité ;
Et faut bien que j’oppose aux puissantes cohortes
Qu’on arme contre toy, des légions plus fortes ;
Afin que les lauriers pour ta gloire aprestez,
Te soient comme vainqueur sur le champ apportez :
Si que tout adversaire apprenant la manière
Du Parthe qui bataille en tournant le derrière,
N’ait espoir qu’en la fuite, & craignant tes regards
Elance à coups perdus ses inutiles dards.
Ton père lumineux t’a rempli de lumière ;
De Majesté, d’Empire, et de puissance entière,
Sur l’œil, l’âme, et l’esprit, des avides mortels.
Autant qu’il est de cœurs, tu as autant d’Autels
Où l’on t’append des vœux, où l’on te sacrifie,
Industrie, labeur, amour, honneur, & vie.

Tout ainsi que les Cieux n’ont tous qu’un seul Soleil,
Tu es unique en terre, à ton père pareil.
Chercher ailleurs qu’en toy ta puissance supresme ;
C’est chercher le soleil ailleurs qu’au Soleil mesme ;
Du serf, non du seigneur, vouloir prendre la Loi ;
Et colloquer l’esclave au trosne de son Roy :
Car de toy seul dépend leur gloire & leur fortune.
Par destin toutes fois un d’entr’eux t’importune ;
Débilite ta force, avilit ta beauté,
Exerçant tous efforts d’ingrate cruauté :
Sans qu’il puisse pourtant ta Nature détruire.
Car ta mère pieuse au besoin sçait réduire
En leur état premier tes membres séparez :
D’un lustre plus illustre enrichis et parez.
Bien que la bonne mère en faisant cet office,
A ses serfs, de son fils face le sacrifice.

Mais c’est pour t’agrandir outre l’infinité :
Et tirer de la mort leur immortalité.
Car si tu ne mourais tu ne pourrais renaistre,
Pour les rendre aussi grands que grand tu voulois estre :
Et te dire Monarque, Empereur, Roy des Rois ;
Couronnant tes subjects, puis leur donnant tes lois.

Je vays donc attaquer l’objection commune
Que nostre ennemy trempe au fiel de sa rancune.
Il dit que par miracle à Dieu tant seulement
Appartient le pouvoir de faire changement
D’une espèce en une autre, & que l’Oracle antique
D’Aristote, l’affirme en sa Methaphisique :
Mais il troncque le texte, ostant l’exception
Qu’au lieu mesme il réfère à la réduction
De tout corps convertible en première matière :
Et n’a jamais compris l’intention dernière
Des sages inventeurs de l’Art qui va muant
En vermeil et pur or le plomb noir & puant.
Si pour faire un moyen deux estresmes se rangent ;
Si les quatre éléments l’un en l’autre se changent
Unissant dans un corps leurs contrariétez ;
Les Métaux tous pareils en leurs nativitez,
Bien que quelque accident les rende dissemblables ;
Estant les accidents du subject séparables,
Leur deffault naturel par nostre Art reformé,
L’un sera sans miracle en l’autre transformé.
Le Verrier fait bien plus, qui n’est n’y Dieu ny Anges ;
Lorsque dans sa fournaise en luisant verre il change
La soulde, la fougère, & le sable menu,
Qui verre par Nature onc ne feust devenu.
J’en puis dire une preuve encor plus admirable,
Au vulgaire douteuse et pourtant véritable,
Tant nature se joue en diverses façons :
Un paysan m’a fait voir nombre de Limaçons,
Convertis soubz leur forme entière et apparente
En Marcassite d’or pesamment éclatante.
Et le fameux PLATERE honneur Helvetien,
De son temps le plus docte & le plus antien,
Entre cent raretez dont il rendoit confuses
Les âmes qui entraient au séjour de ses Muses,
Il monstroit un long pieux massivement espois,
Dont le tiers estoit fer, l’autre tiers estoit boys,
L’autre tiers estoit pierre ; & de ce cas estrange
Il accusoit le lieu qui la matière change.
Ainsi le grand Albert escrit que quelques eaux
En pierres transmuoient branches, nids, & oiseaux.
Maints Prelatz, maints Seigneurs, des Illustres de France ;
Qui depuis quarante ans ont visité Florence,
Attestent que le Prince a dedans son trésor
Un clou qu’en sa présence on a changé en or,
Le plongeant (embrasé) dans une huile Chimique ;
Dont le sage artisan desguisant la pratique,
Au Duc persuada que la peine et le coust,
Luy en devoient oster le désir et le goust.

Qui n’a sçeu le desastre et la tragicque histoire
Du chétif Bragadin confit en vaine gloire ;
Et du fol Paisserolle aussi venteux que luy,
Abusant de l’estude et du labeur d’autruy ?
L’un fut l’estonnement des sages Magnifiques,
Qui en gardent ravis les fameuses reliques :
Et l’autre de merveille attira hors de soy
Pendant Charles neufiesme & la Court & le Roy.
Une sinistre mort fut le fruict de leur pompe ;
Est-il pas vray trompeur, qui soy mesme se trompe ?
Croyant qu’avec la poudre ils avoient le secret,
Leur honte couronna leur orgueil indiscret.
Combien de gens d’honneur feraient foy solemnelle
Des transmutations du Belgien Vanguelle :
Du saxon Inderôure : et du Cracovitain ;
Qui se masquant du nom de Cosmopolitain
Voyage par le monde, avec suite honorable
Et pour montrer que l’oeuvre est sienne, & véritable
Joint aux effects divins les sublimes discours
Qu’il voue aux curieux qui en l’art fit leur cours ?
J’ay veu des deux premiers les deux preuves premières
Qui ont illuminé mes confuses lumières ;
Et bénis le premier de m’avoir conseillé ;
Le second, & le tiers, de m’avoir dessillé.

O toy, qui que tu sois, vray Citoyen du monde :
Qui au monde as donné la richesse féconde
De ton esprit céleste en tes divins escrits ;
Je t’advoue & te nomme un Phénix des esprits :
Puisqu’en la pureté de ton sçavoir supresme
On ne peut t’esgaller sinon avec toy mesme ;
N’ayant comme les vieux, envié tes neveux :
Aussi es tu le temple et le sainct de mes voeuz.
Ce qui fait qu’aujourd’huy toute l’Escosse admire
Le valeureux et docte Alexandre Napire,
Chevalier du grand Roy, Baron de Marquiston,
De qui le premier poil dore encore le menton ;
C’est qu’outre les vertus ausquelles il succède,
(Vray fils d’un parfait père) il est vray qu’il possède
Comme un don paternel hautement & en paix,
L’Elixir, et le feu qui ne s’esteint jamais.

J’ay veu fluer l’Acier ainsi qu’une onde vive,
Alors qu’étincelant par chaleur excessive
A la bille de souffre il estoit opposé :
J’ay veu de ce mélange un saffran composé,
Dont un poids mis en l’eau tellement se dilatte,
Qu’il en teint mille poids en couleur d’écarlatte :
Couleur que de l’eau claire on ne void desunir,
Ny mesme avec le temps moins rouge devenir.
Si du souffre & du Mars l’imparfaicte tinture
Se joinct si fort à l’eau qui n’est de leur nature,
Est-ce chose impossible à notre or exalté,
Et fait plus que parfait presqu’en infinité,
D’espandre sa couleur dans les corps métalliques
Pour les rendre à jamais temples de ses reliques,
Puisque le patient est semblable à l’agent ?
En son corps volontiers l’âme se va logeant.

Ce docteur révolté qui d’une main cruelle
Impie a massacré l’Alchimie immortelle ;
Et d’ongles & de dents luy deschirant le flanc,
Se teint muffle & moustache au bouillon de son sang ;
Soit en Loup, soit en Asne, a beau hurler & braire,
Puisque la vérité luy est du tout contraire ;
Il faut que son pardon et le tien demandant,
Avec toy il s’advoue ignare & impudent.
Le but universel de la vraye Alchimie
Est d’oster aux Métaux une impure cadmie,
Qui leur pure substance empesche en l’infectant
D’arriver au sommet où la nature tend :
Puis joindre en secourant leur nature affligée
Au soulfre très-parfait leur semence purgée ;
Car le plus précieux est au plus vil métal,
En semence première et en naissance égal.
Une mère bien saine eut six enfants d’un père,
Dont on veid la naissance egallement prospère ;
Chacun a la mamelle encor feit esperer
De voir egallement leur âge prospérer.
Contre cette esperance un devint pulmonique;
L’autre devint goutteux ; l’autre devint étique ;
L’autre fut grancleux ; l’autre fut catharreux ;
Et l’autre en sa santé parfaictement heureux.
Apollon fut enquis d’où proceddoient ces vices ;
Il en blâma le laict des impures nourrices.
Ainsi, la différence & l’imperfection
Des métaux, ne provient que de l’infection
Des soufres corrompants ; que boit le pur Mercure
Dans les impurs tetins dont il prend nourriture :
Et comme on peut guarir ces enfans affligez,
Les Métaux peuvent estre accomplis & purgez.

Lulle a voulu prouver par argument valable
Quel’ Alchimie est vraye, et saincte, et vénérable :
Disant que si le but de cet art singulier
Est faire or et argent puis les multiplier,
Qu’il faut qu’en son subjet on trouve au préalable
Or, argent, et Mercure, et vif et végétable :
Car, comme l’air sur tout a force d’humecter,
Et le feu d’eschauffer, l’effect de végéter
Est dans les végétaux : et le pouvoir supresme
De faire or & argent, en l’or et l’argent mesme.
Or tout cela se trouve au naturel subject,
Que l’expert Alchimiste a pour unique objet.
L’or, l’argent, le Mercure, y vivent et vegettent,
Sous une vile peau qu’en croissant ils rejettent.
L’or et l’argent sont vrais, vray le Mercure aussi :
L’ Art qui en fait sa baze est donc vray tout ainsi.

Si l’eau d’une fontaine, en Hongrie coulante,
Sans aucun artifice est bien si violente
Que le fer de sa forme elle rend desnué,
Puis par la seule fonte en cuivre transmué :
Si l’odeur du plomb seule arreste le Mercure
En forme de métal qui quelque fonte endure,
Après que dans le Mars il a bouilly neuf fois
Avec l’huile d’olive, ou de lin, ou de noix :
Si le souffre l’arreste en masse rougissante ;
Si l’ Arcenic l’attache en crouste estincelante
Avec l’ayde du Tartre aux boulles de Venus :
Si son vol et son cours sont encor retenus
Par l’esprit du Verdet et de la couperose :
Pourquoy ne peut nature et l’art faire une chose
Qui plus fixe, plus pure, et plus haute en couleur,
L’arreste et le conduise à l’extresme valeur ?
Qui doute que si l’âme en nostre or vif cachée,
Est par une main docte avec art arrachée ;
Qu’elle ait faict pénitence en la rigueur du feu ;
Puis soit par son esprit rejointe peu à peu
A son corps fait céleste et net de toute ordure ;
Qu’elle n’ayt au centuple exalté sa teinture :
Et qu’ayant eu par Art telle augmentation
Elle ne la départe en sa projection
Aux siens, et à l’autheur d’où vient leur origine,
Pour en or les parfaire, ou bien en médecine,
Dont la force indomptable, à toute éternité,
S’ira multipliant jusqu’en infinité ?
Nous voyons ce miracle en un autre vulgaire
Que le simple rustique est coutumier de faire ;
Lors qu’en un seau de laict il mesle industrieux
Quelques grains de presure, ou d’un formage vieux,
Que la chaleur assemble, et fait partout épendre
En ce laict, qu’en formage aussi tost on void prendre;
Qu’estoit cette presure, & ce fourmage encor,
Sinon un laict caillé, ne plus ne moins que l’or
Un Mercure espaissy, et confit par nature,
Avec un souffre épars qui luy sert de presure ?

Qui croirait, sans le voir, qu’un poinct d’un Scorpion
Comblast un Elefant de sa contagion ;
Et presqu’en un instant d’une enflure mortelle
Excedast sa grandeur et grosseur naturelle ?
Il est trop véritable, ô combien inégal
Est ce petit meurtrier à ce grand animal ?
Et ce qu’on peut encor trouver plus admirable,
C’est que l’Elefant mort feroit l’effect semblable,
Tuant mille Elefans s’ils en avoient mangé ;
Tant ce point, tout ce corps, en venin a changé.
Les semences du bien sont elles és choses
Comme celles du mal fatalement encloses ?
Et ce qu’un corps mortel, de nature imparfaict,
Soit au bien, soit au mal, sans aucune ayde fait ;
Le corps que la Nature à seul voulu parfaire,
Plusque parfait par Art le pourrait il pas faire :
Veu qu’il est composé d’esprit, d’âme, & de corps,
Egallement unis par différends accords ?
La parole de Dieu n’est ny fable ny songe ;
C’est la vérité mesme, et l’effroy du mensonge.
Il a comme une loy dès le commencement
De se multiplier faict le commandement ;
Et n’a rien excepté de cette loy première,
Ains diversifié seulement la manière.
L’animal raisonnable, & le brutal aussi,
Tant masle que femelle, ont un commun soucy
D’augmenter leur espèce en leur propre semence ;
Dont l’effect naturel dépend de leur puissance.
Les végétaux sont bien pour leur production
En semences féconds, mais ils n’ont l’action
De l’un en l’autre sexe, et le masle fertile
Ne fait jam ais porter sa femelle stérile.
La terre est la matrice où le grain va germant ;
La Lune & le Soleil luy donnent l’aliment.
Mais ce Roy des Métaux, unique en sa nature,
Se produict à peu près comme la créature,
Il a une femelle où gist tout son amour ;
Sa femelle l’embrasse, il l’embrasse à son tour :
Et vivement épris d’une amour mutuelle,
Elle se glisse en luy, & luy se fond en elle.
Dans la claire matrice en tel accouplement
Des deux spermes conjoints se fait premièrement
Une mattiere informe, & comparable à celle
Qu’entre les animaux Embrion l’on appelle.
Cet Embrion s’anime, & s’en forme un enfant,
Qui naist Roy ; puis devient Monarque triomphant ;
Dont l’exquise richesse, extresme & perdurable,
Le moindre des métaux peut rendre à l’or semblable,
Et luy faire porter comme Roy souverain
Au front le diadesme et le sceptre en la main.
Mais bien qu’il ait en soy cette grandeur supresme,
Si ne la peut il mettre en acte par soy mesme :
Il luy faut le secours d’un maistre ingénieux,
Qui sçaiche corriger ce qui est vicieux
En sa moitié débile ; et qui dextrement sçache
Extraire le pur sang qu’en ses veines il cache :
Qui le sçache tuer, puis revivifier.
Pour luy faire immortel les siècles deffier.

Car si du feu dernier les flammes ravissantes,
Peuvent en quelque effect demeurer impuissantes,
Rien ne les doit braver que ce Roy, qui des Cieux
Et des quatre éléments tient le plus précieux.
Quoy qu’il ait mérité que ce feu le moleste
Comme insigne pécheur, qui commet double inceste,
Abusant de sa mère & de sa propre soeur
Quand il se perpétue, et crée un successeur.
Vray est que de ce crime il fait bien pénitence,
Alors que de son sang expiant toute offence,
Il substante & nourrit, comme les Pélicans,
Ses frères, ses neveux, sa mère, & ses enfans.

Ceux donc qui avec toy privez de cognoissance,
Au sang des animaux cherchent cette science ;
Au crachat, aux cheveux, aux salles excréments ;
Aux herbes, aux raisins, aux sels, aux atraments ;
Aux Métaux du vulgaire, encore que du Mercure
Ils ont comme nostre or tiré leur géniture ;
Aux moyens Minéraux, sont trompez, veu ce poinct
Que nul ne peut donner la chose qu’il n’a point.
La teinture du sage est fixe, & permanente ;
Qui dissoute et recuite à l’infini s’augmente
En puissance et en nombre, avec le mesme laict,
Et le mesme caillé dont le fourmage est fait.
Quelle vraye tinture, & qu’elle permanence
Veux tu trouver és corps que la flamme a puissance
De réduire en charbons, ou d’envoyer au vent ?
Mais je veux plus courtois t’estimer plus sçavant,
Et te faire un prophète entre tels hérétiques,
T’arrachant du bourbier des labeurs sophistiques.

Tu as cognu qu’en l’or gist le souffre parfaict,
Mais tu as ignoré comme il doit estre extraict.
Tu as cogneu le grain, mais ignoré la terre
Où le parfait artiste en sa saison l’enserre.
Tu as cogneu la terre, et n’as pas sceu trouver
Le mistere secret pour la bien cultiver.
Tu l’as bien cultivée, et n’as pas sceu conduire
La chaleur qui peut l’oeuvre avancer ou destruire.
Observance où l’ouvrier a besoin d’estre expert,
Car le feu est tout l’Art dont Nature se sert.
Tu l’as bien sceu conduire, & n’as eu cognoissance
Du terme auquel l’enfant doit prendre sa naissance.
Tu as veu l’enfant naistre, et n’as appris comment
Ni de quelle viande on luy donne aliment.
Ainsi tu es de ceux qui dès l’hiver se vantent
Qu’ils rempliront leur grange, & ne semment, ny plantent ;
Ou bien s’ils ont semé précipitent le temps ;
Et font impassiens moisson des le Printemps.

Tu dis que sans user d’un tas de parabolles,
On devoit tout escrire en expresses paroles ;
Car d’ouvrir un chemin où l’on ne peut marcher
C’est donner le désir et l’espoir arracher.
pauvre Thiresie, o malheureux Phinee ;
Quel destin conduirait ton âme facinée ?
Ta raison asservie à ton désir brutal
Voudrait d’un petit bien faire naistre un grand mal :
Car si la dent vulgaire en ce fruit pouvoit mordre
On ne vit onc sur terre un semblable désordre.
Tout le monde a souhait riche d’or & d’argent
De cent commoditez deviendrait indigent.
Chacun, nouveau Cresus, fermeroit sa boutique,
Aborrant le trafic de son Art mécanique.
Le chétif buscheron dédaignant ses fagots
Serpe et hache fondue estendroit en lingots.
Le pescheur diligent a ses filets destruire
Arracherois le plomb pour en or le réduire.
Le Mareschal fondrait enclumes & marteaux.
Le laboureur voudrait defferer ses chevaux ;
Desarmer sa charrue, et Cérès délaissée,
N’aurait plus d’épics blonds l’eschine hérissée.
Bref le beau siècle d’or jadis tant admiré,
Renaistroit icy bas follement désiré :
Car le gland des forets, avec l’eau des fontaines,
Seraient de nos festins les douceurs souveraines ;
Nous les servant dans l’or qui aux yeux plus riant
Ne rendrait au palais le morceau plus friand.
Il faudrait aller nuds : & comme les sauvages
Opposer des museaux aux célestes orages.
Tourne donc la médalle, & voy (pauvre Midas)
Les fruicts de tes souhaits dont tu ne vivrais pas.
Celuy romprait vrayment la céleste ordonnance,
Et commettrait impie une exécrable offence,
Indigne d’esperer ny pardon ny mercy,
Qui ce divin secret divulguerait ainsi.
L’ire que Jupiter conceut contre sa femme
Voyant consommer Troye à la Gregeoise flame ;
Ou contre l’attentat des Geants terrenez :
Qui trop yvres de rage, et d’orgueil forcenez,
Cuidoient les immortels arracher de leur sièges,
Lors que le vain effort de leurs mains sacrilèges,
Travaillant au dessein de leur rébellion,
Sur Ollimpe, & sur Osse, avoient mis Pellion ;
N’aurait esté qu’un songe : Et pardonneroit ore
Au voleur qu’un Vaultour sur Caucase dévore,
Pour le mettre en sa place ; où son coeur renaissant
Irait Aigles, Vaultours, et Corbeaux repaissant.
Ou bien le réservant pour butte de son foudre,
(Phénix des malheureux renaissant de sa poudre,)
Il serait chacun jour foudroyé plus de fois
Qu’il n’aurait peint de mots de ses iniques doigts :
Et de tous ses tourments l’aigreur plus importune,
Il se verrait macqué en sa triste infortune.
Farceur, lève le masque, & à visage ouvert,
Confesse ton dessein puisqu’il est descouvert ;
Tu voudrais bien chanter une palinodie :
Mais l’air de l’himne sainct qu’ores je psalmodie
Est de trois tons plus haut qu’il ne faut pour ta voix,
Et trop doux pour l’accent de tes rudes abbois.

Pour rendre ta couronne à très hauts faits semblable,
Tu dis que si cette oeuvre eust esté véritable,
Qu’entre tant de milliers d’hommes ambitieux
Qui se sont appauvris, et sont devenus vieux
Chez cette Calipson, épris d’une amour vaine,
Quelqu’un de qui les cieux auraient beny la peine,
Ayant la Taprobane et le Perou chez soy,
Chef de cent Regiments eust fait la guerre au Roy.
Belle catastrophe ! ô beau trait de logique !
Vouloir qu’un Philosophe ayt l’âme tyrannique ;
Et tienne entre des loups de loup le premier rang,
Versant en sa patrie un déluge de sang.
Qu’est-ce qu’un Philosophe ? un amant de sagesse.
D’où viennent ces trésors ? de Dieu seul, qui adresse
L’âme droicte et discrette à ce but désiré,
Où maint grand et maint docte en vain ont aspiré.
Te tiendrait-on pour sage, ayant cette science,
Si au prix de ta vie & de ta conscience
Aspirant de ranger quelque peuple à ta loy,
Il te faisait esclave et triomphait de toy ?
Contre tes arguments fondez sur une glace,
Je tiens que l’éternel immuable en sa grâce
N’abandonne jamais ses esleus bien aymez :
Qu’il rend d’amour, de crainte, et de constance armez.
Au long cours de leur estre il leur sert de pilotte ;
Et leur nerf asseuree en la tourmente flotte.
Car si le chaud bouillon d’un sang impétueux
Enfle quelque jeune âme, il la prend aux cheveux
Comme Palas Ulisse : & ne luy permet faire
Chose qui peust contr’elle allumer sa colère.
Il faudrait supposer un vice en sa bonté,
S’il n’exerçait constant sa libre volonté.

Veux tu scavoir l’erreur qui tes pareils surmonte ?
Qui de moyens les vuide & les comble de honte ?
C’est qu’à peine entre mille un met l’oeil & l’esprit
Sur les divers autheurs qui cet oeuvre ont descrit.
L’un sçait une pratique avec souffre et Mercure :
L’autre un beau medion qui le Verdet endure :
L’un sçait un poids pour quinze au blanc sur le Venus,
Par qui deux grands Prélats se sont entretenus :
L’autre és minières cherche un souffre blanc fusible ;
L’autre le sçait blanchir, mais il est combustible :
L’un a le vray secret de l’opération
Pour conduire la Lune a la fixation ;
L’autre en sçait la teinture à plus de vingt & quatre :
L’un endurcit l’estain, mais il ne se peut battre :
L’un joinct la Lune au sol inséparablement ;
Et l’autre la transmue en sol par le Ciment :
L’un ne veut que vingt jours ; l’autre n’en veut que trente :
Ainsi chacun se flatte, et de vent se contente :
Différents en matière autant qu’en actions,
Mais fols égallement en leurs conceptions :
Puisque l’art comme un singe imitant sa maîtresse
N’a que le seul subject qu’elle engendre et luy laisse ;
N’a qu’une procédure, un poids, un feu pareil ;
Et fait dans un vaisseau l’oeuvre blanc & vermeil.
Pour faire apprentissage en quelque Art il faut estre
Cinq ou six ans esclave au joug d’un fascheux Maistre ;
A se lever matin, & se coucher bien tard :
Mais pour faire chef d’oeuvre en ce précieux Art,
On plaint un an ou deux, on ne veut rien despendre ;
Esperant par miracle, ou en songe l’apprendre,
Ainsi que sur Parnasse aux frais des lauriers verds
En dormant Hésiode apprit l’Art des beaux vers.

Celuy qui n’a vogué dans les mers sophistiques
Et passé les destroits de cent folles pratiques,
Ne mouille l’ancre au port de la perfection
Si ce n’est par un vent de révélation.
Fust il un Pithagore, un Pline, un Aristote,
Il doit courir fortune ainsi qu’un Argonaute,
Parmy cet Océan de contrarietez,
Pour descouvrir les bancs de mille obscuritez.
C’est bien quelque advantage à celuy qui fait voille
D’avoir le vent prospice, et de voir son estoille :
Mais dans l’onde Chimique il y a maints rochers ;
Où souvent ont pery maints excellents nauchers,
Car tel void son Estoille (encore qu’entre mille
A peine un la regarde) & luy reste inutile,
Parce qu’il n’est expert aux opérations
Qui nous donnent l’entrée aux préparations.
Vieillisse qui voudra penché dessus un livre,
Deust il siècles pour ans, voire ans pour moments vivre,
Et ne met ou fait mettre l’ouvrage la main,
Il perd son temps, son huile, et se tourmente en vain.

Le pauvre laboureur qui transit ou qui sue,
Et qui les mains ampoule en serrant sa charrue,
Puis sous un frelle espoir du profit incertain
Se nourrit de l’Ivroye & sème le bon grain,
Mal vestu, mal couché, souvent passe l’année
Sans revoir une gerbe en sa grange amenée.

Le vigneron sans cesse aux collines beschant,
Qui a dos recourbé col et teste penchant
Travaille tout un an sans pouvoir d’une grappe
Faire offrande en Septembre à Baccus ou Priappe,
Attend bien l’autre année, & peu certain du fruict
S’engage à l’usurier qui le ronge & detruict.
Mais nos petits Croesus dont l’âme insatiable
Idolâtre le but de cet Art vénérable,
Cillez d’un fol désir, pippez d’un vain espoir,
Voudroient bien sans hazard nos lauriers recevoir.
Si Hermès et Geber dont la cendre on honore,
Comme nouveaux Phoenix venoient à renaistre ore,
Et picquez du désir d’assouvir cette faim
Leur demandoient sans plus le couvert & le pain
Pour douze ou quinze mois, d’une rare faconde
Ils respondroient qu’alors on ne verroit au monde
Vivre bestes ny gens, quoyque ces mois passez
On ne veist les voyant que des bestes assez.
La Nature mille ans a faire l’or demeure,
Et ces veaux n’y voudraient qu’un mois, qu’un jour, qu’une heure.
O doctes aveuglez ne vous sufit il pas
Que l’art aydant nature avance tant ses pas.
Qu’en un an elle face une souffreuse poudre
Qui meurtrit le Mercure ainsi qu’un coup de foudre ?
Chose trop véritable, & que l’oeil ayant veu
Criroit pourtant par charme avoir esté deceu.
C’est pourquoy maint grand homme à sceu cette science,
Ayant eu pour son Nord l’astre de sapience,
Qui faute de moyens en désespoir est mort,
Submergé dans sa rade à la veue du port.
Car le riche & le pauvre ont un dessein semblable :
Mais bien souvent le pauvre aux Dieux plus agréable
Emporte la couronne à force de veiller
Non le riche à souhait ronflant sur l’oreiller.

Puis, doit on s’estonner si mainte âme balance,
Et vague irrésolue en la double créance,
Si d’ambages couverts et de propos noircis
Les principes de l’Art sont par ruse obscurcis ?

L’un nous dépeint un Roy noyé dans sa fontaine,
Pour immortel renaistre en grandeur souveraine.
L’autre joinct en la couche un frère avec sa soeur
D’où doit naistre un nepveu du monde possesseur.
L’un irrite un Lion contre une Aigle vollante ;
L’Aigle le rend volage, & luy la rend constante.
L’autre peint deux dragons qui se vont dévorant,
Dont l’un d’aellerons d’or va son dos honorant.
Puis donnant mille noms à une mesme chose
Celuy là cache plus qui plus à plein l’expose :
Tout pour desesperer l’ignorant vicieux ;
Et tant plus alecher le docte ingénieux.
Car s’ils n’eussent d’erreurs leur œuvre entretissue
Le plus simple du monde en une heure l’eust sceuë.
Mais voyons la fontaine ou ceux cy ont puisé,
Et comme l’inventeur l’a premier desguisé.

Il est vray, sans mentir, certain, très véritable,
Que ce qui est dessous au dessus est semblable :
Pour d’une chose seule accomplir des effects
Que par secret miracle on croirait estre faits.
Et comme du seul Dieu la pensée profonde
D’une chose à produict toutes choses au monde ;
De cette chose unique ont pris leur estre aussi
Par adaptation toutes choses icy.
Phoebus l’a engendrée, & Phoebé enfantée.
Le vent comme matrice en ses flancs l’a portée.
La Terre est sa nourrice ; et de tout l’univers
Le père des trésors est compris en ces vers.

Avec douceur constante & d’artifice rare,
Sans violance ou haste, il convient qu’on sépare
Le subtil de l’espois, & la terre du feu.
Lors elle monte au Ciel & descend peu à peu
En terre, ou elle acquiert les deux vertus ensemble ;
Qu’un neud indissoluble estroittement assemble.
Si on la mue en terre entier est son pouvoir ;
Et rien pareil en force au monde on ne peut voir :
Car de son odeur seule elle tue & renverse
Toute chose subtile ; & les dures transperce.
Ainsi fut fait le monde, & à ces actions
Admirables seront les adaptations.
Ainsi sur tout désastres emportant la victoire
Tu iras triomphant du monde & de sa gloire.
J’ay l’oeuvre du Soleil plainement révellé ;
Aussi suis-je Hermès Trismégiste appellé ;
Comme ayant les trois parts de toute sapience.

Ce centre est convenable à sa circonférence :
Car ce principe ombreux, noir d’ambiguïté,
Est l’obscure lanterne où luit la vérité ;
Qu’on ne peut discerner qu’entrant aux sanctuaires
D’un milion d’Autheurs qui font ses commentaires.
C’est le tige fécond de tous ces grands Rameaux ;
Et l’immense Océan de tous ces gros ruisseaux.

A l’exemple du père, escoute la parole
Des fils, que Pithagore en ses troupes enrolle.
Prends cela et cela, fais ainsi et ainsi :
Et tu auras cela. Si tu n’entens cecy,
Conjoincts l’eau & le feu ; le soulfre et le Mercure ;
Et mets toujours Nature en sa propre Nature.
Ou bien joincts en un corps la Lune & le Soleil ;
Et puis faits banqueroute à tout autre appareil.
Fais de deux corps un cercle, et du cercle un quadrangle.
Ramène ce carré en forme de triangle,
Et puis de ce triangle un cercle estant refait,
Tu auras aux status de cet art satisfait.
Que ton rouge blanchisse et que ton blanc rougisse,
Et tu auras de l’oeuvre accomply l’artifice.
Fais avec son esprit ton corps spirituel ;
Et par le mesme corps cet esprit corporel :
Puis dans cet esprit corps, fais leur propre âme infondre ;
Et tu auras un bien que rien ne peut confondre.
Le corps n’agist au corps ; n’y l’esprit en l’esprit :
Jamais forme de forme impression ne prit :
Matière de matière : & n’est rien plus probable
Qu’un semblable ne prend la loy de son semblable.
Mais il faut s’exposer au choc de mille maux,
Il faut pour y monter l’eschelle des travaux.
Lire un livre cent fois, par un autre l’entendre,
Son bien, son temps, sa peine, avancer & despendre.
Car nature & le Ciel ne plantent ces lauriers
Pour les jeunes Soldats, ains pour les vieux routiers,
Non que tous les vieillards obtiennent la couronne ;
Mais ceux à qui Dieu seul par mérite la donne.

Combien de beaux esprits d’abus empoisonnez,
Après la sandarache ay-je veu addonnez :
Poison qu’ils surnommoient la reine des minières,
Idolastrant ce nom jusqu’aux heures dernières,
Parce que la Sibille en ses vers a prescrit
Que le subject doit estre en neuf lettres escrit
Figure, énigme, ambage, oracle véritable,
Car c’est nostre Arsenic, qui d’Art emerveillable
Est arraché des reins du frère, & de la soeur,
Par les ongles poignants de l’Aigle ravisseur.
L’un a tenu vingt ans une lampe allumée ;
L’autre douze ; & tous deux n’ont rien veu que fumée.
Ces esprits transcendants ailleurs sont à priser ;
Mais c’est vice en cet art de trop subtiliser :
Se voulant peindre en l’air maints succès impossibles ;
Et frayer des sentiers en lieux inaccessibles.
Il faut par les raisons, & d’un jugement sain,
Considérant Nature imiter son desseing.
Fuyr les lieux ruyneux, & les voyes obliques
Où nous vont esgarant les labeurs sophistiques
Il faut marcher sans crainte au chemin naturel,
Aysé, commun, certain, droict, & continuel.
Enfin quittant Icare, il faut suivre Dedalle ;
Vollant entre deux airs d’ælle toujours egalle.
Quoy qu’on puisse au labeur père & fils appliquer,
Si l’on sçait bien leur fable au vray sens expliquer.

Dedalle est le corps double en son premier meslange,
Lors que la terre lourde en se dissolvant change
Sa nature grossière, & monte en s’eslevant
Sur les ælles de l’eau, non de l’air ny du vent.
Ce jeune audacieux, cet insolent Icare,

Qui d’un vol plus hardy près du Soleil s’esgare ;
Qui void fondre sa Cire et ses bras despumer ;
Puis dans la mer qu’il nomme en tombant s’abismer :
C’est l’esprit qui son corps dans les ondes délaisse
En ayant ravi l’âme : & de monter ne cesse
Tant qu’au hault de son Ciel peu à peu parvenu
Il retombe en la Mer d’où il estoit venu.
Fable que dès longtemps le grand Moise a teincte
Au pourpre Hermionic de son histoire Saincte,
Quand il dit que la voix de l’Artiste immortel,
Bastissant l’univers son chef d’oeuvre eternel,
Sépara l’eau de l’eau, pour de la plus grossière
Faire en l’espaississant la terre nourrissiere :
Et que la plus subtile il meit au firmament,
Qui se forme en rosée, & coule incessamment
Par les yeux de la nuit sur la terrestre masse,
Où du soleil luysant l’esponge la ramasse.

Mais combien vont encore l’antimoyne adorant
Comme leur Dieu Chimique ; & tiennent ignorant
Celuy qui ne se pasme en merveille si rare,
De voir que le Soleil le calcine & prépare,
Voire augmente son poids s’il va sur luy dardant
Ses rayons enflammez par le miroir ardent ?
Et quand mon souvenir mes erreurs me tesmoigne,
Je pallis de tristesse et rougis de vergongne
D’avoir tant négligé l’Ange des bons auteurs,
Pour croire aux faux démons des traîtres imposteurs,
Race inique et maudite, engeance de Harpie ;
Infectant et vollant quiconque en eux se fie.
L’esprit universel, où maint esprit confus
Avec moy s’est pippé, fut mon premier abus.
Je l’ay noircy, blanchy, & rougy en une heure :
Mais nulle impression aux métaux n’en demeure.
Quoy qu’il soit esprit, corps, cuit & rubifié,
Il demeure impuissant s’il n’est spécifié :
Car propre à toute espèce il reçoit toute forme ;
Et serf de tous subjects en tout il se transforme.
Quittant ce fol dessein je me suis, peu ruzé,
Aux métaux du Vulgaire un long temps amusé ;
Souillant cet art sacré de pensées profanes.
Car j’ay mis Sol et Lune en liqueurs diaphanes,
Et cuits avec Mercure à très lente chaleur :
Mais cet ingrat travail fut de mesme valeur ;
Nature veut Nature, & l’espèce l’espèce ;
Aborrant au congrez la semence diverse.
Celuy ne peut pas rendre un pays bien peuplé
Qui a masle avec masle au coït accoupé :
Crime contre Nature, & faute abominable,
Que tout le feu d’enfer d’expier n’est capable.
Ainsi maints voyageurs par la nuict desvoyez,
Trompez des fols ardans en un lac sont noyez.

Or si de ces faux Dieux tu as creu les oracles
Qui pippeurs t’ont rendu odieux nos miracles ;
Déteste les conseils de ces pernicieux,
Comme peste infernale & maudisson des Cieux.
Puis toy mesme appellant de tes sentences folles,
A genoux avec moy viens dire ces paroles :
O science divine, ô surnaturel Art,
Que Dieu comme par grâce à ses esleus départ ;
Des malheurs de la vie unique & prompt remède ;
Qu’on peut bien dire heureux celuy qui te possède,
Et qu’il fut d’un bon Astre aperceu en naissant :
Puisque tant de trésors dont il est jouyssant
Proviennent de sa peine & de son industrie,
Et non d’oppression, d’usure, ou tromperie.
S’il est sage & discret pour la cause cacher
De son contentement, rien ne le doit fascher,
Car il peut aller vivre en tous les coins du monde
Portant comme Bias sa richesse féconde.
S’il trouve un languissant au danger de mourir,
En passant charitable il peut le secourir.
S’il rencontre une vesue avec sa triste bande
D’orfelins, qui l’aumosne à un marbre demande
(Car plusieurs ont un coeur de marbre dans le sein)
Il leur peut rendre pleine & l’une & l’autre main.
Le laboureur chenu, le marchant honorable,
Que la guerre ou le feu a rendu misérable ;
Celuy que l’usurier comme un chancre a rongé ;
Le captif qui lamente en désespoir plongé ;
Pourront sans y penser & sans qu’il y paroisse
Sortir par ses bien-faits de prison & d’angoisse.
Qui s’estonnera donc si le brave Jason
Mesprisa les bazars pour gaigner la Toison,
Puisqu’il se veit par elle assouvir de richesse,
Et rentrer son vieil père en sa fleur de jeunesse ?
Ou qu’aux yeux de Caron près de l’infernalle eau
Ænée alla cueillir le jaunissant rameau ?
L’on se plaindra plustost que la Muse divine
Qui du docte Saluste animoit la poitrine,
Ait noyé dans Laethé ce précieux subject,
Le plus digne ornement de son riche project ;
Puisqu’il vouloit de Dieu rechanter les merveilles ;
Car celle cy s’enrolle au front des nompareilles.
Vray est qu’il a mieux fait que Gamon, ny Linthault ;
Qui d’un discours si brave et d’un stille si hault,
L’un comme un Apollon Philosophe & Poète ;
L’autre enfant d’Esculape estant son interprète ;
Ont pensé garantir leur renom du trespas
Enseignant au public ce qu’ils n’entendoient pas.
Je n’en veux pour tesmoin que leur vulgal Mercure
Dont ils cuident par art corriger la Nature ;
Secret ou l’un et l’autre erre tout esgaré,
Puisque Nature à l’ Art le nostre a préparé.
Ils ont beau sublimer & luy donner pour âme
L’esprit du vitriol, puis en faire amalgame
Avec l’or cimenté ; ce progrez ne vault rien.
Il faut trouver conjoincts d’un naturel lien
Dans nostre vif argent le Soleil & la Lune.
Non argent vif commun, sol ny lune commune,
Mais ce couple jumeau que Jupin enflamé
Au ventre virginal de Latone a formé.
C’est nostre vif Soleil, c’est nostre Lune vifve ;
Thériaque et venin du vif qui les avive.
De ces trois ainsi joints le vray Mercure est fait,
Qui par l’or & l’argent se fermente & parfait.
C’est nostre Lion verd, c’est nostre eau permanente :
Dont l’oeuvre se compose, et dont elle s’augmente.
C’est le laict virginal ; le Mercure animé ;
Nostre terre feuillée ; & nostre sublimé.
Des couleurs d’Hiacinthe & de Narcis capable
Transmuant tout en soy, comme en tout transmuable.
Qui devient immortel quand la mort il reçoit :
Et meurtrit ses enfans alors qu’il les conçoit.
En premier lieu l’artiste a besoin de cognoistre
De quoy, & en quel lieux, les Métaux doivent naistre
Comment ils sont conceus, engendrez, achevez ;
Mais non à mesme honneur par Nature eslevez.
Puis, s’il ne veut aveugle errer à l’aventure,
Qu’il sçache où il doit suivre ou quitter la Nature,
Qui a pour tout dessein (travaillant simplement)
Des deux principes joincts faire l’or seulement.
Qu’il tienne ma parole à foy Evangelique,
De ne quitter jamais l’espèce Metallique ;
Et ne prendre pourtant les Métaux du commun,
Despouillez de leur vie, & sans esprit aucun :
Car, bien que maints Autheurs ordonnent de les prendre,
On ne doit si crument leurs sentences entendre.
L’un possible en son dire est supersticieux ;
Et l’autre en ses escrits est peut estre enuieux.

Nature a compose de feu, d’air, d’eau, & terre,
Un principe à cet Art qui est Pierre & non Pierre.
Pierre quant à l’aspect & à l’atouchement ;
Mais quant au naturel Métal entierement,
Métal qui toutefois nul Métal ne ressemble ;
Encore qu’en luy soient tous les métaux ensemble.
Cette masse indigeste avec peu d’action
Est aisément conduite à la perfection ;
Car en ses éléments rien ne manque ou n’excède,
Ainsi tout ce qu’il luy faut elle embrasse & possède.
Le feu qui tout consomme en son avidité,
Desnuant tous les corps de leur humidité,
Est le seul aliment dont elle est substantée ;
Car plus elle y demeure et plus est augmentée
Son humeur radicale ; arrivant à tel poinct
Que le Roy des Métaux ne s’y compare point.

Grand Roy, qui sans autre ayde a pris son origine
De cet Hermaphrodite, ou de cette Androgyne.
De ce Cahos Phisic en qui vivent cachez
Sept esprits minéraux, par Art sont arrachez
Leurs quatre géniteurs, en la double semence
Dont l’Embrion Chimic doit tirer sa naissance.
Les deux sont au Mercure, & les deux autres sont
Au souphre : & tous ensemble en mourant se parfont.
Mercure est le mary, & Vénus est la femme.
L’Art en a fait deux corps, mais ces corps n’ont qu’une âme.
L’un et l’autre patit, puis agit à son tour,
Sous les effects divers d’un mutuel amour :
Amour qui les rassemble, & des deux morts fait naistre
Un tiers tout dissemblable à ceux dont il prend l’estre.
Voila cet un mystique, et cette trinité,
Qui comprend tout mystère en sa triple unité.

Déesse engendre-amours, germeuse Citherée,
Qui par les régions de la voulte éthérée
Fais ta ronde eternelle en ton char radieux,
Montant de sphère en sphère au dernier de sept Cieux,
Puis devallant soigneuse, à nos voeux oportune,
Du cercle de Saturne au cercle de la Lune
Ta vertu génitrice espands egallement
Dans les reins amoureux de chacun élément.
Comme au grand univers ta féconde influence
Par l’esprit général à tout donne naissance,
Tu produis les effects de maints actes divers
Par l’esprit minéral au Chimique univers :
C’est pourquoy de ton nom nostre terre on appelle,
Car nostre Hermaphrodit est conceu & nay d’elle :
Apres qu’estant recuitte au bouillon de son eau
De sa tombe funeste elle a fait son berceau.

Gentille Salmacis, que tu vis glorieuse
D’embrasser le subject de ta flamme amoureuse ;
Baignant un corps si noble et des membres si beaux,
Dans le flot cristallin de tes larmeuses eaux !
Honteux adolescent, ton heureuse infortune
Te rend en t’offençant cette gloire commune ;
Soit que ton double sexe à ses flots s’unissant
Tu sois fait pour produire agent ou patissant !
Mais qui est le docteur tant subtil & tant sage
Qui prouvant par exemple, ou monstranst par usage,
Qu’on puisse unir deux corps ; de centres si divers
Que l’un aspire au Ciel, l’autre aspire aux enfers,
Qu’en muant leur Nature ; & changeant leur substance ?
Chose très difficile à l’humaine ignorance ;
Mais possible, et requise à la perfection
Que produit en cet Art cette conversion :
Joignant l’esprit agille au corps lourd & stupide ;
Le chault vif au froid morne ; et le secq à l’humide ;
Pour faire un composé, auquel soient limitez
Les discordants effects des contrequalitez.
L’air est de tous les corps le soustien & la vie.
Il substante le feu ; comme l’eau vivifie
Le grand corps de la terre, & l’eau reçoit de l’air
Cet esprit animant ; qu’elle laisse exaller
Aux rais de la chaleur & céleste & centrale,
Pour renvoyer à l’air ce qui de l’air devalle.
Ainsi par le secours d’un prest continuel
Chacun des éléments se rend perpétuel,
En estre, en action, en vertus, en puissance ;
Donnant ce qu’il reçoit, riche en son indigence.
Autrement ce bel ordre à néant passeroit ;
Et par tout la nature inutile seroit.
Mais cette sage mère a par sa providence
Obstaclé ce désastre, ayant fait l’ordonnance
Que circulairement (par eux mesme excitez)
En se communiquant leurs propres qualitez,
Par leur muation proprement circulaire.
Les transmutations en tout se pourraient faire,
Ainsi la terre prette au feu sa siccité ;
Le feu, son chault à l’air ; l’air son humidité,
A l’eau, qui va prettant sa froideur à la terre ;
Et tous vivent en paix en se faisant la guerre.
Voyla comme ces corps miraculeusement
Se changeant changent tout, & vont tout reformant.

Docte Libavius, j’admire ta constance
A prouver & réduire en Art cette science :
Mais en tous tes escrits je n’ay oncque apperceu
Que ce divin secret tu ayes jamais sceu.
Toutefois je t’honore ainsi qu’un autre Alcide,
Chassemal de ton siecle, & vaillant monstricide.
Crois tu que tous les vieux qui ce but ont atteint
Sçeussent rien des labeurs que tu nous as dépeint ?
Ce sont inventions modernes & frivolles,
Contraires aux leçons de leurs vrayes Escolles.
Pardonne je te prie à la naifveté
Dont use ma franchise et ma sincérité :
Je te cède en doctrine & en grave éloquence ;
Mais non en la secrette & vraye intelligence
De ce rare mistere, où la grâce d’en haut,
Sans qui l’estude humaine et l’addresse ne vaut,
M’a conduict par miracle, alors que mon courage
Par tant d’erreurs vaincu renonçoit à l’ouvrage.

Ceux à qui ce grand Dieu extresme en charité,
Pour leur persévérance & leur fidélité
A cette sapience à la fin departie,
Veulent que son mystère abonde en sympathie
Avec le plus secret des mystères divins.
Qu’elle ait fait aux premiers prévoir comme devins
Le ravage humain de l’universelle onde ;
Et le feu général consommateur du monde ;
Puis ait ravy leurs sens en la félicité
De l’espoir non trompeur d’une immortalité :
Lors que des bienheureux les glorieuses âmes
Prendront leurs corps purgez par le Ciment des flammes.
Et moy suivant leur trace y recognois assez
Les effects à venir par les effects passez.
Car si l’eau du déluge a possédé la terre
Cent cinquante six jours ; autant en nostre verre
Apparoist un déluge, & ne se void rien qu’eau.
Si Noé hors de l’arche envoya le Corbeau
Qui s’arresta gourmand à la charongne morte ;
La noirceur qu’aux deux corps la pourriture apporte,
Comme un corbeau les ronge & les quitte à regret.
Si la blanche colombe annonça le secret
De la future paix par la branche d’olive :
La verdeur qui se montre au vaisseau claire & vive
Lors que nostre soleil a beu l’humidité.
Vient prononcer l’arrest de la tranquilité.
Comme en l’arche sacrée estoient masle & femelle ;
En nostre arche luysante est la couple jumelle.
Comme l’eau vengeresse emporta les forfaits,
Nostre eau purge nos corps par la noirceur infects.
Or si l’un a esté l’autre se peult bien croire,
Puisque Dieu a voué l’un & l’autre à sa gloire :
Et que sans l’action de ce contraire effect
L’ouvrage projetté ne peult estre parfaict.

Escou te une maxime au commun non commune,
Qu’en la nuict du Soleil est le jour de la Lune ;
Et la froideur solaire en la lunaire ardeur.
Lors que la Lune obscure en sa moitte froideur,
Reçoit du clair Soleil la chaleur radieuse,
Le Soleil entre en elle & la rend lumineuse,
Eschauffant & seichant sa froide humidité.
Du Soleil au rebours la chaude siccité
S’alentit & humecte, & d’une obscure nue
Offusqué fait eclypse à nostre humaine veue.
Puis si tost qu’au Soleil la Lune fait retour,
Le Soleil se ranime et rallume le jour,
Arrachant à sa soeur sa lumière volée,
Qui vefve de clairté vit sombre et désolée.
J’ay dit cent et cent fois, je le redis encor,
Que le soleil chimique est le vif & pur or.
Non pas cet or vulgaire afoibly du martire
Des flames et des eaux qui bornent son empire.
Qui n’a rien de parfaict pour autre que pour luy ;
Et qui deviendroit pauvre enrichissant autruy.
Ains celuy que Saturne en sa sphère recelle ;
Qui n’est connu d’aucun si Dieu ne luy revelle.
Verdoyant, végétable, animé, animant ;
Vif Soleil, qui paroist Lune premièrement.
Et qui n’aura des vieux desnoué les ambages
Ne connoistra non plus cette Lune des sages.
Lune qu’un vaille noir infecte & va tachant :
En son croissant premier à nos yeux la cachant :
Diane ouvre Phœbus, & Phœbus clost Diane ;
Rendant l’esprit opaque, et le corps diaphane.
Oste donc du Soleil l’ombreuse obscurité,
Puis par tout l’univers s’espandra sa clairté :
Mais sa vive splendeur ne sera departie
Tout en un moment d’heure à la brune Cinthie.
La froide Thitonide au teint jaulne vermeil
Annonçant aux mortels le retour du Soleil,
Leur aprent de sa soeur le coucher & l’absence,
Qui paroist toujours moins, plus son frère s’avance.

Laissons ces deux jumeaux vuider leurs differents,
Et vuidons d’autres points, combien qu’indifférents.
On dit que Ciel & terre en un se doivent rendre.
Di moy donc si le Ciel en terre doit descendre ;
Ou si plustost au Ciel la terre doit monter ?
Tout esprit qui se laisse à la raison donter
Croit qu’il faut que le Ciel vers la terre descende,
Puis dissolve sa masse et légère la rende.
Or l’on tient que la terre au Ciel va s’esleuvant
Lors qu’avec son esprit qui la va dissolvant
Elle demeure en luy vive & spirituelle.
Qu’une similitude ingénieuse & belle
Te peut faire comprendre avec étonnement.
Lors que le fils de Dieu quittant le firmament
Descendit en la Vierge, il y prit sa naissance,
Joignant nostre nature à la divine essence.
Il fut vif entre nous pour de nostre salut
Prescrire charitable & la voye & le but.
Puis endurant pour nous une mort volontaire,
Immortel il retourne au paternel repaire :
Haussant l’humanité de son corps précieux
Sur les cercles du monde ; Où il vit glorieux
Au palais éternel de la Trinité saincte.
Ainsi lors que la Parque aura ma vie esteincte,
Mon âme s’eslevant sur l’ælle de la foy,
(Par l’infiny mérite et faveur de son Roy)
S’en ira dans le ciel d’où elle est descendue,
Ayant sa fresle escorce à la terre rendue :
A laquelle, purgée, au jour du jugement
Elle se viendra joindre inséparablement ;
Pour remonter ensemble à la vie éternelle.
Mais d’un doute nouveau la question nouvelle
Autrefois me fut faite, assavoir si l’esprit
(Qui de l’âme et du corps tous les secrets comprit)
Monte au Ciel avec l’âme, ou reste au corps en terre,
Pour aller au triomphe ou mourir en la guerre ?
Je maintiens que l’esprit les assemble icy bas ;
Et pendant cette vie est tiers en leurs combats :
Mais la noirceur muée en blancheur pure & monde
Il y aura sur terre un plus excellent monde ;
Duquel l’esprit tiendra justement le milieu,
Le corps tiendra le fonds, et l’âme ira vers Dieu.
Quelqu’un dit que la terre est le vray Ciel de l’âme,
L’âme celuy du corps, & que l’esprit qu’on blasme
D’avoir fait souiller l’âme en la solution,
Participe aux tourments de sa punition,
Dans les tristes cachots de l’ombreux purgatoire,
Où la flame blanchit l’âme de crimes noirs :
Puis, que l’âme purgée au Ciel se resjouit,
Et qu’avec ses pechez l’esprit s’esvanouit.
Car s’il faisait toujours avec eux résidence
Ils n’auraient jamais paix ny constante alliance.
Ce fol disait à l’âme, en son courroux pervers,
Je t’yray conduisant par l’horreur des enfers
A la mort éternelle, aux maisons ténébreuses
Où Pluton va logeant ses Idolles ombreuses.
L’âme tirant à peine un sanglot du profond,
A voix entrecoupée en pleurant luy respond :
Las pourquoy, cher esprit, m’as tu donc arrachée
De l’agréable sein où j’estois attachée ?
Je te croyois à moy joinct d’un noeud Gordien :
Que me donnant à toy tu devois estre mien :
Et ta bouche aujourd’huy le contraire m’annonce.
Mais je pardonne aux maux que ton ire prononce,
Comme dits de la langue, et du coeur non dictez,
Et veux tout au contraire (égalle aux deitez)
Avec moy te conduire à la gloire eternelle,
Honorant nostre corps d’une essence plus belle.
Qu’on ne m’accuse point d’avoir escrit cecy
Pour rendre le secret de cet Art obscurcy :
De corps, d’âme, & d’esprit, la pierre se compose ;
Et ces trois s’embrassant font une seule chose ;
Comme ces trois font l’homme unissant leurs accords.
La matière imparfaicte est prise pour le corps ;
Le ferment en est l’âme ; & l’eau qui les assemble
Est l’esprit, enchaisnant l’âme & le corps ensemble.
Le corps lourd & stupide est de soy vil & mort.
L’âme le ressuscite, & le rend vif et fort.
Et l’esprit qui le purge à la fin le fait digne
Du manteau reluisant, de la blancheur insigne.
Le corps, l’âme, et l’esprit, qui en nombre sont trois ;
En leur genre commun ne sont qu’un toutefois.

Car Sol, Lune & Mercure, en leur substance entière,
Sont différents de forme & non pas de matière.
Combien de hauts secrets de sophismes couverts
Moisissent incognus dans les antiques vers ?
Le combat de Thésée et du fier Minautaure.
La riche cuisse d’or du divin Pitagore.
L’incroyable façon de se régénérer.
Trois fois en trois cens ans, se faisant digérer
Dans un bain d’eau bouillante ; & d’estrange manière
Pour cent ans se remettre en sa forme première ;
Sont autant de tesmoins des plus qu’humains effects
Qui par cet Art sublime ont jadis esté faits.

Ce courageux Thésée est le vray philosophe ;
Qui joignant de son oeuvre et l’une et l’autre estoffe,
Combat dans les destours de son triple vaisseau
L’inaccessible orgueil du monstre Mytaureau :
Puis vainqueur triomphant pour couronne de gloire
Fait la fille d’un roy le prix de sa victoire.
Ce Roy, c’est le soleil des astres sousterrains,
Qui n’engendre que Roys & Princes souverains :
Et sa fille est la pierre en rougeur esclattante,
Qui paye ses travaux, ses frais, et son attente.
Si son bel oeil daignoit un jour luire à mes yeux,
J’irais, nouveau Thésée, au ciel des demydieux.
Car c’est l’estoille heureuse au lustre de laquelle
Du perleux Orient comme aurore nouvelle
Vint la Reine de l’Austre, ouïr, entendre & voir,
Du grand Roy Salomon la sagesse & l’avoir.
Comme en un seur azille en ses mains se retire
La puissance, l’honneur, la vertu, & l’empire.
Le royal diadesme ornement spécieux
De son auguste front, sont les feux radieux
De sept Astres brillans qui le monde illuminent.
Devant sa Majesté les plus grands Rois s’inclinent.
Et comme espouze ornée vers son espoux
Aux vestemens pompeux flottant sur ses genoux,
On lict en lettres d’or Grecques & Arabicques,
Je suis l’unique fille aux Prophètes antiques.

L’ignorance a fait dire à maint célèbre auteur
Que le vieil Pithagore estoit un enchanteur
Qui montrait en cachette une cuisse d’or nue.
Mais cette cuisse estoit la richesse incognue
Que par ce haut miracle il alloit possédant,
Et du sceau du silence estroitement gardant.
La chaudière où sa chair fut trois fois consommée,
C’est la cuve secrette en sa chambre enfermée,
Où dans un bain de fleurs confites par le Vin
Il prenoit (quelques jours) de ce soulphre divin
Qu’au decrepit Aeson l’amoureuse Médée
Donna, pour despouiller sa vieillesse riddée.
On employe maint texte à maint grave subject,
Dont l’auteur n’eut jamais que cet Art pour object.

Les labeurs d’Hercules qu’on tient pour vaines fables,
Sont de cet Art secret figures véritables.
Gerion aux trois corps, redoutable & puissant ;
Est le triple argent vif Sol & Lune embrassant.
Le géant terrené, l’inexpugnable Anthée,
Dont la force n’estoit par aucun supplantée
Tant qu’il touchoit sa mère, est l’esprit, & et chaud
De nostre or, que nostre eau attire & lève en haut.
L’Hydre toujours naissante à sept testes horribles ;
Est l’eau, mère de l’or et de tous corps fusibles :
Eau qui ne mouille point, et n’esteint point le feu :
Serpent que le soleil doit tuer peu à peu.
Des Centaures légers l’espèce monstrueuse ;
C’est des deux spermes joints la matière hideuse.
Le traistre Diomède et ses cruels chevaux ;
C’est !’Artiste logeant ce cahos des Métaux
Dans la chambre secrette où son eau le dévore.
Le bouclier d’Hippolite ; est l’Iris qui décore
Cette eau de cent couleurs. Le fumier meurtrisseur
De l’estable d’Augée, est l’infecte noirceur
Qui couvre les corps morts après leur pourriture.
Les oyseaux stinphalins ravissans la pasture
Du desastré Phinée, & l’allant infectant ;
Sont les fortes vapeurs qui des corps vont sortant.
Du sanglier escumant la poursuite & la prise ;
C’est lors que la matière entre à la couleur grise ;
Et quittant pour blanchir son orde obscurité
Donne un signe à l’ouvrier de sa félicité.
La peau du grand Lyon que ce demidieu porte ;
C’est la rousse couleur qui la blancheur emporte.
Le Taureau qu’il dompta, le corps qu’on va fixant.
Le Cerf aux cornes d’or ; le corps fixe jaunissant.
Cerbère aux trois gosiers ; l’enfant nay, qui demande
Qu’on l’aille allimentant de nouvelle viande.
Voilà comment les vieux cet oeuvre alloient cachant
A l’avare, à l’ignare, au fol, & au méchant.

Mais quelle Thisiphon, de ses rouges tenailles,
Extresme en cruautez bourelle les entrailles
Des haineux de cet Art, d’ignorance aveuglez ;
Qui troublez des vapeurs de leurs sens desreiglez,
Nous proposent pour lois leurs discours chimériques
Voulant qu’on les préfère aux plus belles reliques
Dont l’Egypte et la Grèce en leur prospérité
Doüerent les autels de leur posterité.
Hayr ce qu’on n’a pas, blasmer ce qu’on ignore ;
C’est un mal qui demande un quintal d’Helebore.

De ton trosne pourtant tu ne sois deboutté
Bel Art, puisqu’il n’est rien dont quelqu’un n’ayt douté.
Les mystères divins souvent en controverse
Ne permettent pourtant que l’Église on renverse.
Jupiter ne sceut onc les mortels contenter ;
Ce qui fait pleurer l’un induit l’autre à chanter.

Des flancs du Montgibel la souffreuse insolence
Tant de langues de feu à plis Ondeux n’eslance,

Que la traistresse envie aux funestes regards
Descoche par cent yeux de Basiliques dards,
Au blanc de ton honneur (grand Reine des merveilles)
Et tous, sans te blesser passent dans tes oreilles.

Que ce monstre deschire un soufleur enfumé,
Qui d’eau forte, de soulphre, & d’orpin parfumé,
Ressemble au forgeron qu’une flame vert-bleuë
Rend sous la nuict ombreuse un fantosme à la veue,
Cela n’est qu’à ta gloire, & luy vais pardonnant.
Mais un fils légitime à qui tu vas donnant
Le filet d’Ariadne en ce confus Dedalle,
Doit estre exempt du fil de sa langue infernalle.
Et faut qu’un vray Thésée, ou Persée irrité,
Extermine ce Monstre enflé d’iniquité.

Viendras tu point du Ciel, belle âme Aurelienne,
Geler de ces Corbeaux la voix magicienne ;
Et deffendre l’honneur de ton Pontife aymé,
Qu’ils ont pour t’offencer meschamment diffamé.
De tes beaux vers dorez à l’égal doux & graves,
Burins par qui ta gloire au front des ans tu graves,
L’estoffe précieuse et l’oeuvre plus exquis
N’ont sinon des Lauriers pour ton loyer requis.
Leur torrent plus fécond que le riche Pactolle
Roulloit trop d’or caché dans son areine molle
Pour une seule bource ; où la bource eust esté
Comme estoit le trésor grande en infinité.

Rongnez Muses rongnez l’ongle & le bec qui pince
Vostre opulent Poète et son illustre Prince.
Empruntez de Pallas l’effroyable bouclier,
D’où l’horrible Gorgonne eslançant maint esclair
De ses gros yeux fataux empierre l’ignorance,
Qui d’un dart espointé combat cette science.
Et conseillez à ceux qui blasment tel secrets,
D’estre un peu plus sçavants, ou beaucoup plus discrets.

FIN

Stances

Au gracieux resveil de la vermeille aurore
Son œil chasse l’obscur du vuide aérien,

Illustrant le contour du globe terrien
Par son esclair brillant qui le Ciel recolore.

Ainsi, quand la splendeur d’un sçavoir décore
Quelque esprit espuré du brouillas ancien
De vulgaire doctrine, il void tout, & n’est rien
Pour secret qu’il puisse estre au monde, qu’il ignore.

D’imposture et d’erreur la grande tourbe le fuit ;
(Ainsi que le Hiboux fuit le Soleil qui luict)
Ne pouvant supporter l’esclat de sa science.

Il marche en sa main dextre ayant longueur de jours ;
Richesses et honneurs en la gauche; & tousjours
Suit pour phare & pour nord l’astre de sapience.

Muses, chassez bien loing de vostre sanctuaire
Tous excommuniez et maudits imposteurs ;
Qui prophanant cet Art, sacrilèges menteurs,
Font de son nom sacré une fable au vulgaire.

Que ces esprits sillez d’une erreur populaire ;
Et ces Asnes chargez de livres & d’autheurs
Qui par opinion mesprisent nos Docteurs,
N’approchent point aussi vostre autel salutaire.

Que de sa main sordide un avaricieux,
Que de son ongle impie un vain ambitieux ;
N’attentent de cueillir nos précieuses roses :

Mais que l’humble & que le sage entrent en ce saint lieu.
Car pour eux seulement sont reservez de Dieu,
Et les fleurs, & les fruits, de nos métamorphoses.

De ces preux champions pour le prix contendans,
Qui dans le champ d’Hermès font voler la poussière
Un à peine entre mille a cognu la matière ;
Dont se fait la couronne où ils sont prétendans.

Les uns, plus qu’il ne faut, subtils & transcendans,
Loin du trac de Nature, essayant leur carrière,
Abandonnent le cours de cette grand guerrière ;
Et frayent des sentiers aux siens tous discordans.

Tels esprits facinez quittent leur bonne mère ;
Et vollent vagabons après mainte chimère,
Qui les paissant d’erreurs les porte au désespoir.

Chacun à son objet, chacun à sa practique ;
Et n’y a qu’un subject et qu’une voye unique :
Qu’on ne peut sans Nature obtenir ny sçavoir.

Mille & mille avant moy, comme moy curieux,
Ont consommé leur âge, & leur bien, & leur peine,
A chercher incertains, une chose certaine,
Et, à qui la cognoist, tousjours présente aux yeux.

Mais mille et mille aussi (plus favoris des Cieux)
Avant moy comme moy ont cognu la fontaine
Qui sur un sablon d’or son eau vive pourmène ;
Eau d’immortalité dont s’abreuvent les Dieux.

Les uns comme aveuglez erraient à l’advanture,
Les autres mieux appris, disciples de Nature,
Au Ciel de ses secrets adresserent leurs pas.

Ceux-là firent naufrage & de biens & de vie :
Ceux cy guidez au port, francs de crainte & d’envie,
Vinquirent toute angoisse, & presque le trespas.

Les visions hermétiques

Bien que notre art consiste en une seule chose ;
Et que d’un vil habit notre roi soit caché :
Voyez comme il se change & se métamorphose,
Avant que du sépulcre il puisse être arraché.

Je voy par un fort aigle un vieillard vénérable
Au sein d’un gros nuage enlever jusqu’aux Cieux.
Puis tournant dans un globe en façon effroyable,
Devenir eau très claire, et sel très précieux.

Je voy dans notre mer deux poissons admirables
Qui sans chaire & sans os cuisoient en leur propre eau
Et de leur suc enfloient les Ondes délectables
Qui leur donnèrent l’être, & qui sont leur tombeau.

Je voy dans un bourbier une Phere sauvage,
Plus vile qu’un sanglier en la fange dormant ;
Qui changeant peu à peu de poil & de corsage,
S’alloit en biche blanche à la fin transformant.

Je voy dans le profond de notre foret noire,
Auprès d’une Unicorne, un cerf audacieux ;
Suivi de cent veneurs, dont un seul plein de gloire
Fait de leur chair dorée un mets délicieux.

Dans un vallon ombreux de cette foret même
Je voy deux fiers lion l’un sur l’autre acharnés ;
Qui pris par ce veneur avec travail extrême,
Furent sous un joug même en triomphe amenés.

Je voy un chien superbe, & un loup plein de rage
Se colleter l’un sur l’autre ; & s’étranglant tous deux
Convertir en venin leur sang & leur cornage :
Puis ce venin résoudre en baume précieux.

Je voy dessous un autre un grand dragon horrible,
Vomissant son venin aux rayons du soleil.
A tout autre animal redoutable & nuisible,
Car il n’est basilic en cruauté pareil.

Je le voy tôt après surpris dans le cordage
Du veneur cauteleux ; où pire qu’enrage
Il dévorait sa queue, et par son propre outrage
En fine Thériaque estre son sang changé.

Dans la même foret ma vue fut conduite
Sur un nid, ou gisait les deux oiseaux d’Hermès,
L’un tachait à voller, l’autre empêchait sa fuite ;
Ainsi l’un retient l’autre, et n’en partent jamais.

Au dessus de ce nid je voy sur une branche
Deux oiseaux se piller & se donner la mort.
L’un de couleur de sang, l’autre de couleur blanche ;
Et tous deux en mourant prendre un plus heureux sort.

Je les voy transmuer en blanches colombelles,
Puis en un seul phoenix toutes deux se changer.
Qui semblable au Soleil, sur ses brillantes allées
Affranchit de la parque au ciel s’alla ranger.

Je voy un fier monarque en sa royale pompe,
Sortant de ces forets dont il se disait roi ;
Aux quatre parts du monde au beau son d’une trompe
Appeler ses vassaux pour recevoir sa loi.

Sur son chef éclatait une triple couronne,
Ou maint large escarboucle allait estincellent.
Et flambait en sa dextre un beau sceptre, ou rayonne
Avec l’or précieux un émail excellent.

D’un pourpre cirien orné de broderie,
Sa robbe imperialle à lays large & longs
Par-dessus un harnois riche d’orfevrerie
Lui pendait de l’épaule au dessous des talons.

Pompeux de Majesté, d’un front sévère & grave,
Il dit à mille Rois à ses pieds prosternés,
Le plus puissant de vous n’est ore qu’un esclave ;
Car tous pour mon trophée estes prédestinés.

Sur tous mes ennemis j’ai gagné la victoire ;
Et bravé la mort même en rompant mon tombeau,
Je suis incomparable en puissance & en gloire ;
Plus riche que Pluton et plus qu’Apollon beau.

J’élève le plus pauvre en dignité Royale ;
Je donne aux imparfaits toutes perfection,
Et ceux que je parfais à moi-même s’égale
Leur donnant les effets de la même action.

J’assouvis de trésors les âmes plus avares ;
Je comble de santé les corps plus abatus ;
J’exalte le cristal sur les gemmes plus rares :
Universel en force, & unique en vertus.

Qui ne tiendrai pour fable un progrès si étrange ?
Vu qu’une chose vile, à chacun en mépris ;
Sans travail, sans despens de soi même se change
En un triple trésor sans pareil & sans prix.

Je suis donc le Phoenix qui renait de sa cendre :
Le grain que pour produir en la terre pourrit :
Je suis ce Pellican ; Et cette Salamandre,
Qui au feu prend naissance et au feu se nourrit.

Je suis tant que la terre en ses flancs me recelle,
En trinité unique ou trine en unité.
Et viendrais de moi-même en grande authorité,
Si l’avare envieux ne me séparait d’elle.

Tout le monde à vil prix m’achète & me possède :
Mais c’est après ma mort & quand seul et je suis,
Qui donc me prend vif, & sait ce que je puis,
Peut dire qu’au trésor des esleuz il succède.

Vœu à la fortune

O princesse d’Antie, invincible fortune ;
Opport~ne à quelqu’heure, à quelqu’autre importune,
Déesse incomparable, exigeant des mortels
Les âmes pour victimes, & les coeurs pour autels,
Sur les plus grands palais tu fais naistre des herbes :
Changeant aux tristes pleurs les triomphes superbes.
Le Monarque te suit : l’Empereur & le Roy
Courbent leurs chefs vainqueurs sous le joug de ta loy.
Ceux que Mars & Bellonne animent à la guerre :
Ceux que Cérès destine au labeur de la terre :
Ceux que le Dieu du gain, à la mercy des eaux
Ensepulture vifs dans leurs fresles vaisseaux :
Le Dace belliqueux : le Gelon plus farouche
Que l’Ource avorte aux bords où le Soleil se couche :
Les Libiens recuits : les Scithes passagers :
Les Parthes cauteleux : & les Gettes légers :
Redoutent le revers de ta dextre puissante ;
Et le tour incertain de ta Roue inconstante.

La force aux points d’acier accompagne tes pas ;
Qui fait voir le pouvoir que tu as icy bas,
Au globe qu’elle porte en signe de conqueste ;
Où est peinte l’horreur d’une obscure tempeste :
D’airain est sa Cuirace, & son Casque profond ;
Dont la pointe devalle au milieu de son front.
De grands clous acerez, & de forts gonds de cuivre,
Sa main gauche est garnie : & fière se fait suivre
Par Saturne enchaisné ; qui porte suspendu
Un pot d’Argille cuitte emply de plomb fondu.

La foy marche à ton flanc, d’un voile blanc couverte
L’espérance te suit sous une robe verte ;
Les yeux doux et riants, le visage tout feinct ;
Le chef couvert de fleurs ; & l’entour du col ceinct
Des carcans précieux, la bouche & les mains pleines
De propos abuseurs, & de promesses vaines.
Ces trois te font escorte, et d’elles sont chéris
Autant peuples que Rois, s’ils sont tes favoris.
Mais si le plus illustre est atteint de ton ire,
Cette troupe les quitte, & quant & soy retire
Les subjects peu loyaux, & les amis bornez,
Qui n’ayment que l’honneur dont les grands sont ornez.

Reçoy mes humbles vœuz ô puissante déesse,
Si que ta faveur chère au besoin ne me laisse.
Je n’aspire insolent aux pompeuses grandeurs
Ny au gouvernement de Roys ou d’Empereurs.
Mes désirs n’ont objet que la plume & le livre ;
Pour les labeurs d’Hercule, & de Jason poursuivre.
Ton œil soit mon sainct Herme, & mon phare & mon nord.
Et pour guider ma barque au salutaire port,
Fay qu’au milieu des flots, pour remarque asseurée,
Quelque jeune Triton sur sa teste azurée
Eslevant hors de l’onde un gazon verdissant,
Tesmoigne que les Dieux vont mon cours bénissant :
Comme de leur saveur & de ton secours digne.

Lors pour juste guerdon de ce bien fait insigne
Je doreray ta roue ; & le globe roullant

Que tes pieds immortels pour baze vont foullant.