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Discours d’initiation ou Asclépios🔗 cataloguesEntrée Data.Bnf absente Rechercher sur Sudoc Rechercher sur Openlibrary Rechercher sur Worldcat
Verbum perfectum, Λόγος τέλειος (Lógos téleios)


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
ecr. 𝔏 Hermès Trismégisteecr. IV Littératureecr. ? Alexandrie (Égypte)HermétismeNon applicable

► L’Asclepios(1), d’accès aisé, est un texte d’introduction aux Hermetica.

► L’original grec est perdu. Contrairement au Corpus redécouvert au XV, ce texte est encore disponible durant le moyen-âge. On attribuait jusqu’au XIX sa traduction du grec au latin (qui serait plutôt du IV) à Apulée.


1. Imhotep, qui avait depuis déjà longtemps, réputation d’être un sage et un magicien.


Texte et traduction : du grec ancien au français, Louis Ménard in Hermès Trismégiste, 1867. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France

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I

[Cet Asclépios est pour moi le soleil]. C’est un Dieu qui t’amène à nous, ô Asclèpios, pour te faire assister à un sermon divin, à celui qui sera le plus vraiment religieux de tous ceux que nous avons faits jusqu’ici, ou qui nous ont été inspirés d’en haut. En le comprenant, tu seras en possession de tous les biens, si toutefois il y a plusieurs biens, et s’il n’est pas plus vrai qu’il n’y en a qu’un seul qui les contient tous. Car chacun d’eux est lié à un autre, tous dérivent d’un seul et n’en font qu’un, tant leurs liens réciproques en rendent la séparation impossible. C’est ce que lu comprendras en prêtant attention à ce que nous allons dire. Mais d’abord, Asclèpios, retire-toi un instant, et va chercher un nouvel auditeur de nos discours.
Asclèpios suggéra l’idée d’appeler Ammon.
Rien ne s’oppose, dit Trismégiste, à la présence d’Ammon parmi nous. Je n’ai pas oublié que je lui ai adressé, comme à un fils chéri, beaucoup d’écrits sur la nature, et d’autres relatifs à l’enseignement exotérique. Mais c’est ton nom, Asclèpios, que j’inscrirai en tête du présent traité ; et n’appelle personne autre qu’Ammon, car un sermon sur les matières les plus saintes de la religion serait profané par un auditoire trop nombreux ; c’est une impiété de livrer à la connaissance du grand nombre un traité tout rempli de la majesté divine.
Ammon entra dans le sanctuaire, et compléta ce quatuor sacré, rempli de la présence de Dieu. L’invitation au silence religieux sortit de la bouche d’Hermès, et, devant les âmes attentives et suspendues à ses paroles, le divin Amour commença en ces termes :
O Asclèpios, toute âme humaine est immortelle, mais celte immortalité n’est pas uniforme, elle varie dans le mode et dans le temps.

ASCLÈPIOS.
C’est que les âmes, ô Trismégiste, ne sont pas toutes d’une même qualité.

HERMÈS.
Que tu comprends vite la raison des choses, Asclèpios ! Je n’ai pas encore dit que tout est un et que l’unité est tout, parce que toutes choses étaient dans le créateur avant la création, et on peut l’appeler le tout, puisque toutes choses sont ses membres. Souviens-toi donc, dans toute cette discussion, de celui qui est un et tout, du créateur de toutes choses.
Tout descend du ciel sur la terre, dans l’eau, dans l’air. Le feu seul est vivifiant, parce qu’il tend vers le haut ; ce qui tend vers le bas lui est subordonné. Ce qui descend d’en haut est générateur, ce qui émane et s’élève est nourrissant. La terre seule, appuyée sur elle-même, est le réceptacle de toutes choses et reconstitue les genres qu’elle reçoit. Cet ensemble, qui contient tout et qui est tout, met en mouvement l’âme et le monde, tout ce que comprend la nature.
Dans l’unité multiple de la vie universelle, les espèces innombrables, distinguées par leurs différences, sont unies cependant de telle sorte que l’ensemble est un et que tout procède de l’unité. Or, cet ensemble, qui constitue le monde, est formé de quatre éléments : le feu, l’eau, la terre, l’air ; un seul monde, une seule âme, un seul Dieu. Maintenant, prête-moi toute la puissance et toute la pénétration de ta pensée, car l’idée de la divinité, qui ne peut être conçue que par une assistance divine, ressemble à un fleuve rapide qui se précipite avec impétuosité ; aussi dépasse-t-elle souvent l’attention des auditeurs, et même de celui qui enseigne.

II

Le ciel, Dieu visible, gouverne tous les corps ; leur accroissement et leur déclin son réglés par le soleil et la lune ; mais celui qui dirige le ciel, l’âme elle-même et tout ce qui existe dans le monde, est le Dieu créateur lui-même. Des hauteurs où il règne descendent de nombreux effluves qui se répandent dans le monde, dans toutes les âmes générales et spéciales, et dans la nature des choses. Le monde a été préparé par Dieu pour recevoir toutes les formes particulières. Réalisant ces formes par la nature, il a mené le monde jusqu’au ciel par les quatre éléments. Tout est conforme aux vues de Dieu, mais ce qui dépend d’en haut a été partagé en espèces de la manière suivante : Les genres de toutes choses suivent leurs espèces, de telle sorte que le genre est un tout, l’espèce est une partie du genre. Ainsi les Dieux forment un genre, les démons aussi. De même les hommes, les oiseaux et tous les êtres que le monde contient constituent des genres produisant des espèces semblables à eux. Il y a un autre genre, dénué de sensation, mais non pas d’âme ; c’est celui de tous les êtres qui entretiennent leur vie au moyen de racines fixées dans la terre ; les espèces de ce genre sont répandues partout.
Le ciel est plein de Dieu. Les genres dont nous avons parlé habitent jusqu’au lieu des êtres dont les espèces sont immortelles. Car l’espèce est une partie du genre, par exemple l’homme de l’humanité, et chacune suit la qualité de son genre. De là vient, quoique tous les genres soient immortels, que les espèces ne sont pas toutes immortelles. La divinité forme un genre dont toutes les espèces sont immortelles comme lui. Dans les autres êtres, l’éternité n’appartient qu’au genre ; il meurt dans ses espèces et se conserve par la fécondité reproductrice. Il y a donc des espèces mortelles ; ainsi l’homme est mortel, l’humanité est immortelle. Cependant les espèces de tous les genres se mêlent à tous les genres. Il en est de primitives ; d’autres sont produites par celles-ci, par les Dieux, par les démons, par les hommes, et toutes sont semblables à leurs genres respectifs. Car les corps ne peuvent être formés que par la volonté divine, les espèces ne peuvent être figurées sans le secours des démons, l’éducation et l’entretien des animaux ne peut se faire sans les hommes. Tous les démons qui, sortant de leur genre, se sont par hasard unis en espèce à une espèce du genre divin sont regardés comme voisins et consorts des Dieux. Les espèces de démons qui conservent le caractère de leur genre, et qu’on nomme proprement les démons, aiment ce qui se rapporte à l’homme. L’espèce humaine est semblable, ou même supérieure, car l’espèce du genre humain est multiple et variée, et produite par le concours dont il a été question plus haut. Elle est le lien nécessaire de la plupart des autres espèces et de presque toutes. L’homme, qui se réunit aux Dieux par l’intelligence, qu’il partage avec eux, et par la piété, est voisin de Dieu. Celui qui s’unit aux démons se rapproche d’eux. Ceux qui se contentent de la médiocrité humaine restent partie du genre humain ; les autres espèces d’hommes seront voisines des genres aux espèces desquels ils se seront unis.

III

C’est donc, ô Asclèpios, une grande merveille que l’homme, un animal digne de respect et d’adoration. Car il passe dans la nature divine comme si lui-même était Dieu, il connaît la race des démons, et, sachant qu’il se rattache à la même origine, il méprise la partie humaine de son être pour ne s’attacher qu’à l’élément divin. Que la nature humaine est heureusement constituée et voisine des Dieux ! En s’unissant au divin, l’homme dédaigne ce qu’il y a en lui de terrestre, il se rattache par un lien de charité à tous les autres êtres, et par là il se sent nécessaire à l’ordre universel. Il contemple le ciel, et dans cet heureux milieu où il est placé il aime ce qui est au-dessous de lui, il est aimé de ce qui est au-dessus. Il cultive la terre, il emprunte la rapidité des éléments ; sa pensée pénétrante descend dans les profondeurs de la mer. Tout est clair pour lui ; le ciel ne lui semble plus trop haut, car la science l’en rapproche ; la lucidité de son esprit n’est pas offusquée par les épais brouillards de l’air, la pesanteur de la terre n’est pas un obstacle à son travail, la hauteur des eaux profondes ne trouble pas sa vue ; il embrasse tout et reste partout le même.
Tous les êtres appartenant à la classe animée ont des (membres qui sont comme des) racines allant de haut en bas ; chez les êtres inanimés au contraire, une seule racine allant de bas en haut supporte toute une forêt de branches. Certains êtres se nourrissent de deux éléments, d’autres d’un seul. Il y a deux sortes d’aliments pour les deux parties de l’animal, pour l’âme et pour le corps. L’âme du monde se nourrit par une agitation perpétuelle. Les corps se développent au moyen de l’eau et de la terre, aliments du monde inférieur. Le souffle qui remplit tout, se mêle à tout et vivifie tout, ajoute le sentiment à l’intelligence que, par un privilège unique, l’homme emprunte au cinquième élément, à l’éther. Dans l’homme le sentiment est élevé jusqu’à la connaissance de l’ordre divin.
Puisque je suis amené à parler du sentiment, je vous en exposerai tout à l’heure la fonction, grande et sainte comme dans la divinité elle-même. Mais terminons d’abord l’explication commencée. Je parlais de cette union avec les Dieux, privilège qu’ils n’ont accordé qu’à l’humanité. Quelques hommes seulement ont le bonheur de s’élever jusqu’à cette perception du divin qui n’existe qu’en Dieu et dans l’intelligence humaine.

ASCLÈPIOS.
Les hommes ne sentent donc pas tous de la même manière, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
Tous n’ont pas, ô Asclèpios, la vraie intelligence. Ils sont trompés lorsqu’ils se laissent entraîner à la suite de l’image sans chercher la véritable raison des choses. C’est ainsi que le mal se produit dans l’homme et que le premier de tous les êtres descend presque à la condition des brutes. Mais je vous parlerai du sentiment et de tout ce qui s’y rattache quand je m’expliquerai sur l’esprit. Car l’homme seul est un animal double. L’une des deux parties qui le composent est simple et, comme disent les Grecs, essentielle, c’est-à-dire formée à la ressemblance divine. La partie que les Grecs appellent cosmique, c’est-à-dire appartenant au monde, est quadruple et constitue le corps, qui, dans l’homme, sert d’enveloppe à l’élément divin. Cet élément divin et ce qui s’y rattache, les sens de l’intelligence pure, s’abritent derrière le rempart du corps.

IV

ASCLÈPIOS.
Pourquoi donc fallait-il, ô Trismégiste, que l’homme fût placé dans le monde, au lieu de jouir de la suprême béatitude dans la partie divine de son être ?

HERMÈS.
Ta question est naturelle, ô Asclèpios, et je prie Dieu de m’aider à y répondre, car tout dépend de sa volonté, surtout les grandes choses qui sont en ce moment l’objet de nos recherches ; écoute-moi donc, ASCLÈPIOS.
Le seigneur et l’auteur de toutes choses, que nous appelons Dieu, créa un second Dieu, visible et sensible ; je l’appelle ainsi non parce qu’il sent lui-même, car ce n’est pas ici le lieu de traiter cette question, mais parce qu’il est perçu par les sens. Ayant donc créé cet être unique, qui tient le premier rang parmi les créatures et le second après lui, il le trouva beau et rempli de tous les biens, et il l’aima comme son propre enfant. Il voulut donc qu’un autre put contempler cet être si grand et si parfait, qu’il avait tiré de lui-même, et à cet effet il créa l’homme, doué de raison et d’intelligence. La volonté de Dieu, c’est l’accomplissement absolu ; vouloir et accomplir, c’est pour lui l’œuvre d’un même instant. Et comme il savait que l’essentiel ne pouvait connaître toutes choses sans être enveloppé par le monde, il lui donna un corps pour demeure. Il voulut qu’il eût deux natures, il les unit intimement et les mêla dans une juste mesure.
C’est ainsi qu’il forma l’homme d’esprit et de corps, d’une nature éternelle et d’une nature mortelle, afin qu’un animal ainsi constitué pût, en raison de sa double origine, admirer et prier ce qui est céleste et éternel, cultiver et gouverner ce qui est sur la terre ; je parle ici des choses mortelles, non pas des deux éléments soumis à l’homme, la terre et l’eau, mais des choses qui viennent de l’homme, sont en lui ou dépendent de lui, comme la culture du sol, les pâturages, la construction, les ports, la navigation, les communications, les échanges réciproques qui sont le lien le plus fort entre les hommes. La terre et l’eau forment une part du monde, et cette part terrestre est entretenue par les arts et les sciences, sans lesquelles le monde serait imparfait aux yeux de Dieu. Or, ce qui plaît à Dieu est nécessaire, et l’effet accompagne sa volonté ; on ne peut croire que ce qui lui a plu cesse de lui plaire, car il savait d’avance ce qui serait et ce qui lui plairait.

V

Mais je m’aperçois, ô Asclèpios, que tu as hâte de savoir comment le ciel et ceux qui l’habitent peuvent être l’objet du choix et du culte de l’homme ; apprends-le donc, ô ASCLÈPIOS. Choisir le Dieu du ciel et tous ceux qui sont en lui, c’est leur rendre de fréquents hommages ; or, de tous les êtres animés, divins et humains, l’homme seul est en état de les rendre. L’admiration, l’adoration, les louanges, les hommages de l’homme réjouissent le ciel et les célestes, et le chœur des Muses a été envoyé au milieu des hommes par la grande divinité pour que le monde terrestre ne fût pas privé de la douce culture des hymnes, ou plutôt, pour que la voix humaine célébrât celui qui seul est tout, puisqu’il est le père de toutes choses, et pour que les suaves harmonies de la terre s’unissent toujours aux célestes concerts. Quelques hommes peu nombreux et doués d’une intelligence pure sont chargés de cette sainte fonction de regarder le ciel. Ceux chez qui la confusion des deux natures enchaîne l’intelligence sous la masse du corps sont préposés à l’entretien des éléments inférieurs. L’homme n’est donc pas abaissé pour avoir une partie mortelle, au contraire cette mortalité augmente ses aptitudes et sa puissance ; ses doubles fonctions ne lui sont accessibles que par sa double nature ; il est constitué de manière à embrasser à la fois le terrestre et le divin. Je souhaite, ô Asclèpios, que tu apportes à cette explication toute l’attention et toute l’ardeur de ton esprit, car plusieurs manquent de foi au sujet de ces choses. Et maintenant, je vais développer des principes vrais, pour l’instruction des plus sainte» intelligences.

VI

Le maître de l’éternité est le premier Dieu, le monde est le second, l’homme est le troisième. Dieu, créateur du monde et de tout ce qu’il contient, gouverne tout cet ensemble et le soumet au gouvernement de l’homme. Celui-ci en fait l’objet de son activité propre, de sorte que le monde et l’homme sont l’ornement l’un de l’autre, et c’est avec raison que le monde en grec s’appelle κόσμος. L’homme se connaît et connaît le monde ; il doit donc distinguer ce qui est en rapport avec lui, ce qui est à son usage et ce qui a droit à son culte ; en adressant à Dieu ses louanges et ses actions de grâces, il doit vénérer le monde, qui en est l’image, et se souvenir que lui-même est la seconde image de Dieu ; car Dieu a deux images, le monde et l’homme. La nature de l’homme étant complexe, cette part de lui qui se compose d’âme, de sentiment, d’esprit et de raison, est divine, et des éléments supé-sieurs semble pouvoir monter au ciel ; tandis que la partie cosmique, mondaine, formée de feu, d’eau, de terre et d’air, est mortelle et reste sur la terre, afin que ce qui est emprunté au monde lui soit restitué. C’est ainsi que l’humanité se compose d’une partie divine et d’une partie mortelle, le corps. La règle de cet être double, qui est l’homme, est la religion, qui a pour conséquence la bonté. La perfection est atteinte quand la vertu de l’homme le préserve des désirs et lui fait mépriser tout ce qui lui est étranger. Car les choses terrestres, dont le corps désire la possession, sont étrangères à toutes les parties de la divine pensée. On peut les appeler des possessions, car elles ne sont pas nées avec nous, elles ont été acquises plus tard. Elles sont donc étrangères à l’homme, et le corps lui-même nous est étranger, de sorte qu’il faut mépriser et l’objet du désir et ce qui nous rend accessibles au désir.
Donner à la raison la direction de l’âme, tel est le devoir de l’homme afin que la contemplation du divin lui fasse prendre en mépris et en dédain cette partie mortelle qui lui a été unie pour la conservation du monde inférieur. Pour que l’homme fût complet dans ses deux parties, remarque que chacune d’elles possède quatre subdivisions binaires, les deux mains et les deux pieds, qui, ave les autres organes du corps, le mettent en rapport avec le monde inférieur ou terrestre ; et, d’autre part, quatre facultés : le sentiment, l’âme, la mémoire et la prévoyance, qui lui permettent de connaître et de percevoir les choses divines. Il peut donc embrasser dans ses investigations les différences, les qualités, les effets, les quantités. Mais s’il est trop entravé par le poids du Corps, il ne peut pénétrer la véritable raison des choses.
Quand l’homme, ainsi formé el constitué, ayant reçu pour fonction du Dieu suprême le gouvernement du monde et le culte de la divinité, s’est bien acquitté de cette double tâche et a obéi à la volonté divine, quelle doit être sa récompense ? Car si le monde est l’œuvre de Dieu, celui qui, par ses soins, en entretient et eu augmente la beauté, est l’auxiliaire de la volonté divine, employant son corps et son travail de chaque jour au service de l’œuvre sortie des mains de Dieu. Quelle peut être sa récompense, si ce n’est celle qu’ont obtenue nos ancêtres ? Qu’il plaise à la bonté divine de nous l’accorder aussi ; tous nos vœux et toutes nos prières tendent à l’obtenir ; puissions-nous, délivrés de la prison du corps et de nos chaines mortelles, être rendus, purs et sanctifiés, à la partie divine de notre nature.

ASCLÈPIOS.
Ce que tu dis est juste et vrai, ô Trismégiste. Tel est le prix de la piété envers Dieu, des soins donnés à l’entretien du monde. Mais le retour au ciel est refusé à ceux qui ont vécu dans l’impiété ; une peine leur est imposée à laquelle échappent les âmes saintes : la migration dans d’autres corps. La suite de ce discours nous amène, ô Trismégiste, à l’espérance d’une éternité future de l’âme, conséquence de sa vie dans le monde. Mais cet avenir est difficile à croire pour les uns, pour les autres c’est une fable, pour d’autres peut-être un sujet de moqueries. Car c’est une douce chose que de jouir de ce qu’on possède dans la vie corporelle. Voilà le mal qui, comme on dit, tourne la tête à l’âme, l’attache à sa partie mortelle, l’empêche de connaître sa partie divine et lui envie l’immortalité. Car, je te le dis par une inspiration prophétique, nul après nous ne choisira la voie simple de la philosophie, qui est tout entière dans l’application à la connaissance du divin et dans la sainte religion. La plupart l’égarent dans des questions différentes. Comment donc y rattachent-ils une philosophie qui ne doit pas y être comprise, ou comment y mêlent-ils des questions diverses ?

HERMÈS.
O Asclèpios, ils y mêlent, à force de subtilités, diverses sciences qui n’y sont pas comprises, l’arithmétique, la musique, la géométrie. Mais la pure philosophie, dont l’objet propre est la divine religion, ne doit s’occuper des autres sciences que pour admirer les phases régulières des astres, leurs positions et leurs courses réglées par les nombres. Qu’elle admire aussi les dimensions de la terre, les qualités, les quantités, la profondeur de la mer, la puissance du feu, et connaisse les effets de toutes ces choses et la nature ; qu’elle adore l’art, et l’ouvrier et sa divine intelligence. Quant à la musique, on la connaît quand on connaît la raison et la divine ordonnance des choses. Car cet ordre qui classe chacune d’elles dans l’unité de l’ensemble est vraiment un admirable concert et une divine mélodie.

ASCLÈPIOS.
Que seront donc les hommes après nous ?

HERMÈS.
Trompés par les subtilités des sophistes, ils se détourneront de la vraie, pure et sainte philosophie. Adorer la divinité dans la simplicité de la pensée et de l’âme, vénérer ses œuvres, bénir sa volonté qui seule est la plénitude du bien, voilà la seule philosophie qui ne soit pas viciée par l’inutile curiosité de l’esprit. C’en est assez sur ce sujet.

VII

Commençons à parler de l’esprit et autres choses semblables. Il y avait Dieu et Hylè, c’est ainsi que les Grecs appellent la matière ou substance du monde. L’esprit était avec le monde, mais non de la même manière qu’avec Dieu. Ces choses dont se compose le monde ne sont pas Dieu, aussi n’existaient-elles point avant leur naissance, mais elles étaient déjà dans ce qui devait les produire. Car en dehors de la création il n’y a pas seulement ce qui n’est pas encore né, mais ce qui est privé de fécondité génératrice et ne peut rien faire naître. Tout ce qui a la puissance d’engendrer contient en germe tout ce qui peut en naître, car il est facile à ce qui est né de soi de faire naître ce qui produit tout. Donc le Dieu éternel ne peut et n’a pu naître ; il est, il a été, il sera toujours. La nature de Dieu est d’être son propre principe. Mais la matière ou la nature du monde et l’esprit, quoique paraissant nés dès l’origine, possèdent la puissance de naître et de procréer, la force féconde. Car le commencement est dans la qualité de la nature qui possède en elle-même la puissance de conception et de production. Elle est donc sans intervention étrangère, principe de création. Il en est autrement de ce qui possède seulement la force de conception par le mélange avec une autre nature. Le lieu du monde et de tout ce qu’il contient semble n’être pas né, et il a en lui toute la nature en puissance. J’appelle lieu ce qui contient toutes choses, car elles n’auraient pu être sans avoir un lieu pour les contenir. Tout ce qui existe a besoin d’une place ; ni qualités, ni quantités, ni positions, ni effets ne pourraient se distinguer dans des choses qui ne seraient nulle part. Ainsi le monde, quoiqu’il ne soit pas né, a en lui le principe de toute naissance, puisqu’il offre à toutes choses un sein propre à leur conception. Il est donc la somme de qualités et de matière susceptible d’être créée, quoique non créée encore.
La matière, étant féconde en toute qualité, peut aussi engendrer le mal. J’écarte donc, ô Asclèpios et Ammon, la question posée par plusieurs : « Dieu pouvait-il retrancher le mal de la nature des choses ? » Il n’y a absolument rien à leur répondre ; mais pour vous je poursuivrai le discours commencé et je donnerai des explications. Ils disent que Dieu aurait dû préserver le monde du mal ; or, le mal est dans le monde comme un membre qui en fait partie. Le souverain Dieu y a pourvu autant qu’il était raisonnable et possible, quand il a daigné accorder à l’humanité Je sentiment, la science et l’intelligence. Par ces facultés qui nous placent au-dessus des autres animaux, nous pouvons seuls échapper aux pièges du mal et aux vices. L’homme sage et garanti par l’intelligence divine sait s’en préserver dès qu’il les voit et avant de s’y être laissé entraîner. Le fondement de la science est la souveraine bonté. L’esprit gouverne et fait vivre tout ce qui est dans le monde ; c’est un instrument ou une machine qu’emploie la volonté du souverain Dieu. Ainsi nous devons comprendre, par la seule intelligence, le suprême intelligible qu’on nomme Dieu. Par lui est dirigé cet autre Dieu sensible qui comprend tous les lieux, toutes les substances, la matière de tout ce qui engendre et produit, en un mot, tout ce qui est.
Quant à l’esprit, il fait mouvoir ou gouverne tous les êtres particuliers qui sont dans le monde, selon la nature que Dieu leur a assignée. La matière, Hylè, ou le monde, est le réceptacle, le mouvement, la répétition de toutes les choses que Dieu gouverne, dispensant à chacune d’elles ce qui lui est nécessaire, les remplissant d’esprit selon leurs qualités. La forme du monde est celle d’une sphère creuse, ayant en elle-même la cause de sa qualité ou de sa forme entièrement invisible ; si, choisissant un point quelconque de sa surface, on voulait en regarder le fond, on ne pourrait rien voir. Elle ne paraît visible que par les formes spéciales dont les images semblent gravées sur elle ; elle se montre en effigie, mais en réalité elle est toujours invisible pour elle-même. C’est pourquoi le centre, la partie inférieure de la sphère, si toutefois c’est un lieu, s’appelle en grec ἄδης, invisible, de εἴδειν voir, parce qu’on ne peut voir le centre d’une sphère. Aussi les espèces ou apparences s’appellent-elles idées, ἰδέαι, parce que ce sont les formes de l’invisible. Ce fond de la sphère, que les Grecs appellent Adès, parce qu’il est invisible, les latins le nomment Enfer, à cause de sa position inférieure. Tels sont les principes primordiaux, les sources premières de toutes choses. Tout est en eux ou par eux, ou vient d’eux.

ASCLÈPIOS.
Ces principes sont donc, ô Trismégiste, la substance universelle de toutes les apparences particulières ?

HERMÈS.
Le monde nourrit les corps, l’esprit nourrit les âmes ; la pensée, don céleste qui est l’heureux privilège de l’humanité, nourrit l’intelligence ; mais un petit nombre seulement ont une intelligence capable de recevoir un tel bienfait. C’est une lumière qui illumine l’intelligence comme le soleil illumine le monde et plus encore, car la lumière du soleil est souvent interceptée par la lune, ou par la terre quand vient la nuit ; mais quand la pensée a pénétré une fois dans l’âme humaine, elle se mêle intimement à sa nature, et l’intelligence ne peut plus être obscurcie par aucun brouillard. C’est pourquoi on a dit avec raison que les âmes des Dieux sont des intelligences ; pour moi, je ne dis pas cela de tous, mais des grands Dieux supérieurs.

VIII

ASCLÈPIOS.
Quels sont, ô Trismégiste, les principes primordiaux des choses ?

HERMÈS.
Je te révèle de grands et divins mystères, et au début de cette initiation j’implore la faveur du ciel. Il y a plusieurs classes de Dieux, et dans tous il y a une partie intelligible. Ce n’est pas qu’on suppose qu’ils ne tombent pas sous nos sens ; nous les percevons, au contraire, mieux encore que ceux qu’on nomme visibles, comme cette discussion te l’enseignera. Tu le reconnaîtras si tu y apportes toute ton attention, car cet ordre d’idées si sublime, si divin, si élevé au-dessus de l’intelligence de l’homme, exige une attention soutenue, sans laquelle les paroles s’envolent et traversent l’esprit, ou plutôt remontent à leur source et s’y perdent.
Il y a donc des Dieux supérieurs à toutes les apparences ; après eux viennent les Dieux dont l’essence est le principe ; ces Dieux sensibles, conformément à leur double origine, manifestent toutes choses par la nature sensible, chacun d’eux éclairant ses œuvres les unes par les autres. L’Ousiarque du ciel, ou de tout ce qui est compris sous ce nom, est Zeus, car c’est par le ciel que Zeus donne la vie à toutes choses. L’Ousiarque du soleil est la lumière, car c’est par le disque du soleil que nous recevons le bienfait de la lumière. Les trente-six Horoscopes des étoiles fixes ont pour Ousiarque, ou prince, celui qu’on nomme Pantomorphos, ou omniforme, parce qu’il donne des formes diverses aux diverses espèces. Les sept planètes, ou sphères errantes, ont pour ousiarques la Fortune et la Destinée, qui maintiennent l’éternelle stabilité des lois de la nature à travers les transformations incessantes et l’éternelle agitation. L’air est l’instrument, la machine par laquelle tout se produit ; son ousiarque.... Ainsi du centre aux parties extrêmes tout se meut, et les rapports s’établissent d’après les analogies naturelles : ce qui est mortel se rapproche de ce qui est mortel, ce qui est sensible de ce qui est sensible. La direction suprême appartient au maître suprême, de sorte que la diversité se résout dans l’unité. Car toutes choses dépendent de l’unité ou en découlent, et comme elles semblent distantes les unes des autres, on croit qu’elles sont plusieurs, mais dans leur ensemble elles ne forment qu’un principe ou deux. Ces deux principes, d’où tout procède et par qui tout existe, sont la matière dont les choses sont formées et la volonté de celui qui les diversifie.

ASCLÈPIOS.
Quelle est la raison de ceci, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
La voici, Asclèpios : Dieu, le père, le seigneur universel, ou quel que soit le nom encore plus saint et plus religieux qu’on pourra lui donner, et qui, à cause de notre intelligence, doit être sacré entre nous ; mais en considérant sa divinité, nous ne pouvons le définir par aucun de ces noms. Car cette voix est un son provenant de la percussion de l’air et déclarant toute volonté de l’homme, ou la perception que son esprit a reçu par les sens. Ce nom, composé d’un nombre déterminé de syllabes pour servir de lien entre la voix et l’oreille, et de plus la sensation, le souffle, l’air, tout ce qui y est contenu, tout ce qui s’y rattache, voilà tout ce qu’exprime le nom de Dieu, et je ne crois pas qu’un nom, quelque complexe qu’il soit, puisse désigner le principe de toute majesté, le père et le maître de toutes choses. Mais il est nécessaire de lui donner un seul nom, ou plutôt tous les noms, puisqu’il est un et tout ; il faut, ou dire que toutes choses sont son nom, ou le nommer des noms de toutes choses. Lui donc qui est seul et tout, possédant la pleine et entière fécondité des deux sexes, toujours fécondé par sa propre volonté, enfante tout ce qu’il a voulu procréer. Sa volonté est la bonté universelle, la même bonté qui existe en toutes choses. La nature est née de sa divinité, afin que toutes choses soient comme elles sont, comme elles ont été, et que la nature suffise à faire naître d’elle tout ce qui naîtra dans l’avenir. Voilà, ô Asclèpios, pourquoi et comment toutes choses ont les deux sexes.

ASCLÈPIOS.
Tu le dis donc de Dieu, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
Non seulement de Dieu, mais de tous les êtres animés et inanimés. Car il est impossible que quelqu’une des choses qui existent soit stérile. Supprimons la fécondité de toutes les choses qui existent, il sera impossible qu’elles soient toujours ce qu’elles sont. Car je dis que cette [loi de génération] est contenue dans la nature, dans l’intelligence, dans le monde, et conserve tout ce qui est né. Les deux sexes sont pleins de procréation, et leur union, ou plutôt leur unification incompréhensible peut être appelé Éros (Cupidon), ou Aphrodite (Vénus), ou de ces deux noms à la fois. Si l’esprit conçoit quelque chose de plus vrai et de plus clair que toute vérité, c’est ce devoir de procréer que le Dieu de l’universelle nature a imposé à jamais à tous les êtres, et auquel il a attaché la suprême charité, la joie, la gaieté, le désir et le divin amour. Il faudrait montrer la puissance et la nécessité de cette loi si chacun ne pouvait la reconnaître et l’observer par le sentiment intérieur. Considère, en effet, qu’au moment où la vie descend du cerveau, les deux natures se confondent, et l’une saisit avidement et cache en elle-même la semence de l’autre. À ce moment, par l’effet de cet enchaînement mutuel, les femelles reçoivent la vertu des mâles, et les mâles reposent sur le corps des femelles. Ce mystère si doux et si nécessaire s’accomplit en secret, de peur que la divinité des deux natures ne fût contrainte de rougir devant les railleries des ignorants, si l’union des sexes était exposée aux regards irréligieux. Or, les hommes pieux ne sont pas nombreux dans le monde, ils sont même rares et on pourrait facilement les compter. Dans la plupart la malice demeure par défaut de prudence et de science des choses de l’univers.
L’intelligence de la divine religion, base de toutes choses, fait mépriser tous les vices qui sont dans le monde, et en fournit le remède ; mais quand l’ignorance se prolonge, les vices se développent et font à l’âme une blessure incurable. Infectée par les vices, l’âme est comme gonflée de poisons et ne peut être guérie que par la science et l’intelligence. Poursuivons donc cet enseignement, dût-il ne profiter qu’à un petit nombre, et apprends pourquoi à l’homme seul Dieu a donné une part de son intelligence et de sa science. Écoute donc, ô ASCLÈPIOS.
Dieu, le père et le seigneur, après les Dieux forma les hommes par l’union en proportions égales de la partie corruptible du monde et de sa partie divine, et il arriva que les défauts du monde restèrent mêlés au corps. Le besoin de nourriture, qui nous est commun avec tous les animaux, nous soumet aux désirs et à tous les autres vices de l’âme. Les Dieux, formés de la partie la plus pure de la nature, n’ont pas besoin du secours du raisonnement et de l’étude ; l’immortalité et l’éternelle jeunesse sont pour eux la sagesse et la science. Cependant, en vue de l’unité d’ordre, et afin qu’ils ne fussent point étrangers à ces choses, Dieu leur a donné pour raison et pour intelligence la loi éternelle de la nécessité. Seul entre tous les animaux, pour éviter ou vaincre les maux du corps, l’homme a le secours de la raison et de l’intelligence, et l’espoir de l’immortalité. L’homme, créé bon et pouvant être immortel, a été formé de deux natures, l’une divine et l’autre mortelle, et en le formant ainsi, la volonté divine l’a rendu supérieur aux Dieux qui n’ont que la nature immortelle, aussi bien qu’à tous les êtres mortels. C’est pourquoi l’homme, uni par un lien étroit avec les Dieux, leur rend un culte religieux, et les Dieux, à leur tour, veillent sur les choses humaines avec une douce affection. Mais je ne parle ici que des hommes pieux ; quant aux méchants, je n’en veux rien dire, pour ne pas souiller, en m’arrêtant sur eux, la sainteté de ce discours.

IX

Et puisque nous sommes amenés à parler de la parenté et de la ressemblance des hommes et des Dieux, connais, ô Asclèpios, le pouvoir et la force de l’homme. Comme le seigneur et le père, ou, ce qui est le terme le plus élevé, Dieu, est le créateur des Dieux célestes, ainsi l’homme est créateur des Dieux qui sont dans les temples, contents de la proximité de l’homme, et non seulement sont illuminés, mais encore illuminent. Cela en même temps profite à l’homme et affermit les Dieux. Admires-tu, ô Asclèpios, ou manques-tu de foi comme plusieurs ?

ASCLÈPIOS.
Je suis confondu, ô Trismégiste ; mais, m’accordant volontiers à tes paroles, je juge très heureux l’homme qui a obtenu une telle félicité.

HERMÈS.
Certes, il mérite qu’on l’admire, celui qui est le plus grand de tous les Dieux. Car leur race est formée de la partie la plus pure de la nature, sans mélange d’autres éléments, et leurs signes visibles ne sont pour ainsi dire que des têtes (les astres). Mais l’espèce de Dieux que forme l’humanité est composée de deux natures, l’une divine, qui est la première et de beaucoup la plus pure ; l’autre qui appartient à l’homme, c’est la matière dont sont fabriqués ces Dieux, qui n’ont pas seulement des têtes, mais des corps entiers avec tous leurs membres. Ainsi l’humanité, se souvenant de sa nature et de son origine, persévère en cela dans l’imitation de la divinité : car de même que le père et le seigneur a fait les Dieux éternels semblables à lui-même, ainsi l’humanité a fait ses Dieux à sa propre ressemblance.

ASCLÈPIOS.
Veux-tu dire les statues, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
Oui, les statues, ô Asclèpios ; vois-tu comme tu manques de foi ? Les statues animées, pleines de sentiment et d’aspiration, qui font tant et de si grandes choses ; les statues prophétiques, qui prédisent l’avenir par les songes et toutes sortes d’autres voies, qui nous frappent de maladies ou guérissent nos douleurs selon nos mérites. Ignores-tu, ô Asclèpios, que l’Egypte est l’image du ciel, ou plutôt, qu’elle est la projection ici-bas de toute l’ordonnance des choses célestes ? S’il faut dire la vérité, notre terre est le temple du monde. Cependant, comme les sages doivent tout prévoir, il est une chose qu’il faut que vous sachiez : un temps viendra où il semblera que les Égyptiens ont en vain observé le culte des Dieux avec tant de piété, et que toutes leurs saintes invocations ont été stériles et inexaucées. La divinité quittera la terre et remontera au ciel, abandonnant l’Egypte, son antique séjour, et la laissant veuve de religion, privée de la présence des Dieux. Des étrangers remplissant le pays et la terre, non seulement on négligera les choses saintes, mais, ce qui est plus dur encore, la religion, la piété, le culte des Dieux seront proscrits et punis par les lois. Alors, cette terre sanctifiée par tant de chapelles et de temples sera couverte de tombeaux et de morts. O Egypte, Egypte ! il ne restera de tes religions que de vagues récits que la postérité ne croira plus, des mots gravés sur la pierre et racontant la piété. Le Scythe ou l’Indien, ou quelque autre voisin barbare habitera l’Egypte. Le divin remontera au ciel, l’humanité abandonnée mourra tout entière, et l’Egypte sera déserte et veuve d’hommes et de Dieux.
Je m’adresse, à toi, fleuve très saint, et je t’annonce l’avenir. Des flots de sang, souillant tes ondes divines, déborderont tes rivages, le nombre des morts surpassera celui des vivants, et s’il reste quelques habitants, Égyptiens seulement par la langue, ils seront étrangers par les mœurs. Tu pleures, ô Asclèpios ! Il y aura des choses plus tristes encore. L’Egypte elle-même tombera dans l’apostasie, le pire des maux. Elle, autrefois la terre sainte, aimée des Dieux pour sa dévotion à leur culte ; elle sera la perversion des saints, l’école de l’impiété, le modèle de toutes les violences. Alors, plein du dégoût des choses, l’homme n’aura plus pour le monde ni admiration ni amour. Il se détournera de cette œuvre parfaite, la meilleure qui soit dans le présent comme dans le passé et l’avenir. Dans l’ennui et la fatigue des âmes, il n’y aura plus que dédain pour ce vaste univers, cette œuvre immuable de Dieu, cette construction glorieuse et parfaite, ensemble multiple de formes et d’images, où la volonté de Dieu, prodigue de merveilles, a tout rassemblé dans un spectacle unique, dans une synthèse harmonieuse, digne à jamais de vénération, de louange et d’amour. On préférera les ténèbres à la lumière, on trouvera la mort meilleure que la vie, personne ne regardera le ciel.
L’homme religieux passera pour un fou, l’impie pour un sage, les furieux pour des braves, les plus mauvais pour les meilleurs. L’âme et toutes les questions qui s’y rattachent, — est-elle née mortelle, peut-elle espérer conquérir l’immortalité ? — tout ce que je vous ai exposé ici, on ne fera qu’en rire, on n’y verra que vanité. Il y aura même, croyez-moi, danger de mort pour qui gardera la religion de l’intelligence. On établira des droits nouveaux, une loi nouvelle, pas une parole, pas une croyance sainte, religieuse, digne du ciel et des choses célestes. Déplorable divorce des Dieux et des hommes ! il ne reste plus que les mauvais anges, ils se mêlent à la misérable humanité, leur main est sur elle, ils la poussent à toutes les audaces mauvaises, aux guerres, aux rapines, aux mensonges, à tout ce qui est contraire à la nature des âmes. La terre n’aura plus d’équilibre, la mer ne sera plus navigable, le cours régulier des astres sera troublé dans le ciel. Toute voix divine sera condamnée au silence, les fruits de la terre se corrompront et elle cessera d’être féconde ; l’air lui-même s’engourdira dans une lugubre torpeur. Telle sera la vieillesse du monde, irréligion et désordre, confusion de toute règle et de tout bien.
Quand toutes ces choses seront accomplies, ô Asclèpios, alors le seigneur et le père, le souverain Dieu qui gouverne l’unité du monde, voyant les mœurs et les actions des hommes, corrigera ces maux par un acte de sa volonté et de sa bonté divine ; pour mettre un terme à l’erreur et à la corruption générale, il noiera le monde dans un déluge, ou le consumera par le feu, ou le détruira par des guerres et des épidémies, et il rendra au monde sa beauté première, afin que le monde semble encore digne d’être admiré et adoré, et qu’un concert de louanges et de bénédictions célèbre encore le Dieu qui a créé et restauré un si bel ouvrage. Cette renaissance du monde, ce rétablissement de toutes les bonnes choses, cette restitution sainte et religieuse de la nature aura lieu après le temps fixé par la volonté divine et partout éternelle, sans commencement et toujours la même.

ASCLÈPIOS.
En effet, la nature de Dieu est volonté réfléchie, bonté souveraine et sagesse, ô Trismégiste.

HERMÈS.
O Asclèpios, la volonté naît de la réflexion, et vouloir même est un acte de volonté. Car il ne veut rien au hasard, celui qui est la plénitude de toutes choses et qui possède tout ce qu’il veut. Mais tout ce qu’il veut est bon et il a tout ce qu’il veut ; tout ce qui est bon il Je pense et il le veut. Tel est Dieu, et le monde est l’image de sa bonté.

ASCLÈPIOS.
Le monde est-il bon, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
Oui, le monde est bon, ô Asclèpios, comme je te renseignerai. De même que Dieu accorde à tous les êtres et à toutes les classes qui sont dans le monde les biens de toutes sortes, c’est-à-dire la pensée, l’âme et la vie, ainsi le monde partage et distribue tout ce qui semble bon aux mortels, les périodes alternées, les fruits de chaque saison, la naissance, J’accroissement, la maturité et autres choses semblables. Et c’est ainsi que Dieu est assis au-dessus du sommet du ciel, présent partout et voyant tout. Car il y a au-delà du ciel un lieu sans étoiles, en dehors de toutes choses corporelles. Entre le ciel et la terre règne le dispensateur de la vie que nous appelons Jupiter (Zeus). Sur la terre et la mer règne Jupiter Plutonius (Zeus souterrain, Sarapis ?) qui nourrit tous les animaux mortels, les plantes et les arbres qui portent des fruits sur la terre. Ceux qui doivent dominer la terre seront envoyés et établis à l’extrémité de l’Egypte, dans une ville qui sera bâtie vers l’occident et où, par mer et par terre, affluera toute la race mortelle.

ASCLÈPIOS.
Mais où sont-ils maintenant, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
Ils sont établis dans une grande cité, sur la montagne de Libye. Et en voilà assez.

X

Il nous faut parler maintenant de l’immortel et du mortel. La multitude, ignorante de la raison des choses, est troublée par l’attente et la crainte de la mort. La mort arrive par la dissolution du corps, fatigué de son travail. Quand le nombre qui maintient l’unité est complet, car le lien du corps est un nombre, le corps meurt. Cela arrive quand il ne peut plus supporter les charges de la vie. Voilà donc ce qu’est la mort, la dissolution du corps et la fin des sensations corporelles. Il est superflu de s’en inquiéter. Mais il est une autre loi nécessaire que méprise l’ignorance ou l’incrédulité humaine.

ASCLÈPIOS.
Quelle est cette loi qu’on ignore ou à laquelle on ne croit pas ?

HERMÈS.
Écoute, ô ASCLÈPIOS. Quand Pâme s’est séparée du corps, elle passe, pour être jugée selon ses mérites, sous la puissance suprême du démon ; s’il la trouve pieuse et juste, il lui permet de demeurer dans le séjour qui lui appartient ; mais s’il la voit souillée de taches et de vices, il la précipite de haut en bas et la livre aux tempêtes et aux tourbillons contraires de l’air, du feu et de l’eau. Sans cesse agitée entre le ciel et la terre par les flots du monde, elle sera entraînée de côté et d’autre dans d’éternelles peines ; son immortalité donne une éternelle durée au jugement porté contre elle. Tu comprends combien nous devons craindre et redouter un sort pareil. Ceux qui refusent d’y croire seront forcément convaincus alors, non par des paroles, mais par des exemples, non par des menaces, mais par les peines qu’ils souffriront.
Les fautes des hommes, ô Trismégiste, ne sont donc pas punies seulement par la loi humaine ?
O Asclèpios, tout ce qui est terrestre est mortel. Ceux qui vivent selon la condition corporelle, et qui manquent pendant la vie aux lois imposées à cette condition, sont soumis après la mort à des châtiments d’autant plus sévères que plusieurs des fautes qu’ils ont commises ont pu rester cachées ; la prescience universelle de Dieu rendra la punition proportionnelle aux fautes.

ASCLÈPIOS.
Quels sont ceux qui méritent les plus grandes peines, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
Ceux qui, condamnés par les lois humaines, périssent de mort violente, en sorte qu’ils semblent, non pas avoir payé leur dette à la nature, mais avoir reçu le prix de leurs actes. L’homme juste, au contraire, trouve dans la religion et la piété un grand secours, et Dieu le garantit contre tous les maux. Le père et seigneur de toutes choses, qui seul est tout, se manifeste volontiers à tous ; non qu’il montre en quel lieu il réside, ni quelle est sa qualité ou sa grandeur, mais il éclaire l’homme par la seule intelligence, qui dissipe les ténèbres de l’erreur et découvre les lumières de la vérité. Par elle l’homme s’unit à l’intelligence divine ; en aspirant à elle, il se délivre de la partie mortelle de sa nature et conçoit l’espérance de l’immortalité. Telle est la différence des bons et des méchants. Celui qu’éclairent la piété, la religion, la sagesse, le culte et la vénération de Dieu, voit, comme avec les yeux, la vraie raison des choses, et, par la confiance de sa foi, l’emporte autant sur les autres hommes que le soleil sur les autres astres du ciel. Car si le soleil illumine le reste des étoiles, ce n’est pas tant par sa grandeur et sa puissance que par sa divinité et sa sainteté. Il faut voir en lui, ô Asclèpios, un second Dieu qui gouverne le reste du monde et en éclaire tous les habitants, animés ou inanimés.
Si le monde est un animal qui est, qui a été et qui sera toujours vivant, rien en lui n’est mortel. Chacune de ses parties est vivante ; car dans un seul et même animal toujours vivant il n’y a pas de place pour la mort. Ainsi Dieu est rempli de vie et d’éternité, puisqu’il vit nécessairement toujours ; le soleil est éternel comme le monde, il gouverne à jamais les êtres vivants, il est la source et le distributeur de toute vitalité. Dieu est donc le gouverneur éternel de fout ce qui reçoit la vie et de tout ce qui la donne, le dispensateur éternel de la vie du monde. Or, il a dispensé une fois la vie à tous les vivants par une loi éternelle que je vais expliquer : Le mouvement du monde est la vie de l’éternité ; le lieu où il se meut est l’éternité de la vie. Il ne s’arrêtera jamais ; il ne se corrompra jamais ; la permanence de la vie éternelle l’entoure et le protège comme un rempart. Il dispense la vie à tout ce qui est en lui ; il est le lien de tout ce qui est ordonné sous le soleil. L’effet de son mouvement est double ; il est vivifié par l’éternité qui l’enveloppe, et il vivifie à son tour tout ce qu’il contient, diversifiant toutes choses selon des nombres et des temps fixes et déterminés. Par l’action du soleil et des étoiles, tout est classé dans le temps d’après une loi divine. Le temps terrestre se distingue par l’état de l’atmosphère, par les alternatives de chaleur et de froid ; le temps céleste par les révolutions des astres qui reviennent périodiquement aux mêmes lieux. Le monde est le réceptacle du temps, dont la course et le mouvement entretiennent la vie. L’ordre et le temps produisent le renouvellement de tout ce qui est dans le monde, par des périodes alternées.

XI

Puisque tel est l’état de l’univers, il n’y a rien de fixe, rien de stable, rien d’immobile dans la nature, ni dans le ciel, ni sur la terre. Car Dieu seul, et justement seul, est totalement plein et parfait en soi, de soi et autour de soi. Lui-même est sa ferme stabilité ; il ne peut être mû par une impulsion quelconque, puisque tout est en lui et que lui seul est tout : À moins qu’on n’ose dire que son mouvement est dans l’éternité ; mais c’est, au contraire, cette éternité elle-même qui est immobile, puisque tout le mouvement des temps revient à elle et prend en elle sa forme. Dieu a donc été et est à jamais stable ; avec lui est l’éternité immobile, ayant en soi le monde incréé, qu’on peut appeler sensible (?). Le monde, image de Dieu, est l’imitation de l’éternité. Le temps, malgré son perpétuel mouvement, possède, par ses retours nécessaires sur lui-même, la force et la nature de la stabilité. Ainsi, quoique l’éternité soit fixe et immobile, cependant, comme le mouvement du temps se replie dans l’éternité, et que cette mobilité est la condition du temps, il semble que l’éternité, immobile par elle-même, se meuve par le moyen du temps qui est en elle et qui contient tout mouvement. Il en résulte que la stabilité de l’éternité se meut, et que la mobilité du temps devient stable par la loi fixe de sa course. Ainsi on peut croire que Dieu se meut en lui-même dans son immobilité. L’agitation immobile de sa stabilité est dans sa grandeur ; la loi de la grandeur est une agitation immobile.
Ce qui ne tombe pas sous les sens, l’infini, l’incompréhensible, l’inappréciable, ne peut être ni soutenu, ni porté, ni recherché. On ne peut dire d’où il vient, où il va, où il est, comment il est, ni qui il est. Il est porté en sa stabilité suprême, et sa stabilité est en lui, soit Dieu, soit l’éternité, soit l’un et l’autre, soit l’un dans l’autre, soit l’un et l’autre dans tous les deux. L’éternité est dans le temps indéfini, et le temps, qui peut se définir par le nombre, l’alternative, le retour périodique, est éternel. Ainsi l’un et l’autre paraissent infinis et éternels. La stabilité, étant un point fixe qui sert de base au mouvement, doit, en raison de cette fixité, occuper le premier rang. Dieu, avec l’éternité, est le principe de toutes choses ; le monde, qui est mobile, ne peut être mis en première ligne. En lui la mobilité vient avant la stabilité, par cette loi d’agitation éternelle dans une fermeté immobile. Tout le sentiment de la divinité est donc immobile et se meut dans sa stabilité ; il est saint, incorruptible, éternel, et pour le définir mieux encore, il est l’éternité, consistant dans la vérité du Dieu suprême, la plénitude de toute sensation et de toute science, consistant pour ainsi dire en Dieu. Le sentiment du monde est le réceptacle de toutes les choses sensibles, des espèces et des sciences. Le sentiment humain consiste dans la mémoire, par laquelle l’homme se souvient de tous ses actes.
Le sentiment de la divinité descend jusqu’à ranimai humain. Dieu n’a pas voulu répandre sur tous les êtres ce sens suprême et divin, de peur d’en abaisser la grandeur en le mêlant à d’autres animaux. L’intelligence du sens humain, quelles qu’en soient l’intensité et la force, est tout entière dans la mémoire du passé ; c’est par cette ténacité de la mémoire que l’homme est devenu le roi de la terre. L’intelligence de la nature et de la qualité, le sens du monde, peut se découvrir par les choses sensibles qui sont dans le monde. L’éternité, qui tient le second rang, son sens est donné et sa qualité se connaît d’après le monde sensible. Mais l’intelligence de la nature divine, la connaissance du souverain Dieu, est la seule vérité, et on ne peut découvrir cette vérité, ni même son ombre, dans ce monde plein de mensonges, d’apparences changeantes et d’erreurs.
Tu vois, ô Asclèpios, à quelles hauteurs nous osons atteindre. Je te rends grâces, Dieu suprême ! qui m’as illuminé des rayons de ta divinité. Pour vous, ô Tat, Asclèpios et Ammon, gardez ces divins mystères dans le secret de vos cœurs et couvrez-les de silence. L’intelligence diffère du sentiment en ce que notre intelligence parvient par l’application à comprendre et à connaître la nature du monde. L’intelligence du monde arrive jusqu’à la connaissance de l’éternité et des Dieux hypercosmiques. Nous autres hommes, c’est comme à travers un brouillard que nous voyons ce qui est dans le ciel, autant que le permet la condition du sens humain. Nos efforts sont bien faibles pour découvrir de si grands biens ; mais, quand nous y parvenons, nous en sommes récompensés par la félicité de la conscience.

XII

Quant au vide, auquel la plupart attachent tant d’importance, mon avis est qu’il n’existe pas, qu’il n’a jamais pu exister et qu’il n’existera jamais. Car tous les membres du monde sont parfaitement pleins, comme le monde lui-même est parfait et plein de corps différant de qualité et de forme, ayant leur apparence et leur grandeur : l’un plus grand, l’autre plus petit ; l’un plus solide, l’autre plus ténu. Les plus grands et les plus forts se voient facilement ; les plus petits et les plus ténus sont difficiles à apercevoir ou tout à fait invisibles. Nous ne connaissons leur existence que par le toucher ; aussi plusieurs les regardent-ils non comme des corps, mais comme des espaces vides, ce qui est impossible. Si on dit qu’il y a quelque chose hors du monde, ce que je ne crois pas, ce sera un espace rempli de choses intelligibles et analogues à sa divinité, de sorte que même le monde qu’on appelle sensible soit rempli de corps et d’êtres en rapport avec sa nature et sa qualité. Nous n’en voyons pas toutes les faces ; les unes sont très grandes, les autres sont très petites, ou nous semblent telles par l’effet de l’éloignement ou par l’imperfection de notre vue ; leur extrême ténuité peut même faire croire à plusieurs qu’elles n’existent pas. Je parle des démons, que je crois habiter avec nous, et des héros qui habitent au-dessus de nous, entre la terre et la partie la plus pure de l’air, où il n’y a ni nuages ni aucune trace d’agitation.
On ne peut donc pas dire, ô Asclèpios, que rien soit vide, à moins qu’on ne dise de quoi telle ou telle chose est vide ; par exemple, vide de feu, d’eau, ou autre chose semblable. S’il arrive même que ceci ou cela, petit ou grand, soit vide d’objets de ce genre, rien ne peut être vide de souffle ou d’air. On en peut dire autant du lieu ; ce mot seul ne peut se comprendre si on ne l’applique pas à quelque chose. En ôtant le terme principal, on mutile le sens ; aussi dit-on avec raison : le lieu de l’eau, le lieu du feu ou autre chose semblable. Comme il est impossible qu’il y ait quelque chose de vide, on ne peut comprendre un lieu seul. Si on suppose un lieu sans ce qu’il contient, ce doit être un lieu vide, ce qui selon moi n’existe pas dans le monde.
Si rien n’est vide, on ne voit pas ce que serait le lieu en soi, si on n’y ajoute une longueur, une largeur, une profondeur, comme les corps humains ont des signes qui les distinguent.
Cela étant ainsi, ô Asclèpios, et vous qui êtes présents, sachez que le monde intelligible, c’est-à-dire Dieu, qui n’est perçu que par le regard de l’intelligence, est incorporel, et qu’il ne peut se mêler à sa nature rien de corporel, rien qui puisse être défini par la qualité, la quantité ou le nombre, car il n’y a rien de pareil en lui. Ce monde, qu’on nomme sensible, est le réceptacle de toutes les apparences sensibles, des qualités des corps, et tout cet ensemble ne peut exister sans Dieu. Car Dieu est tout, et tout vient de lui et dépend de sa volonté ; il renferme tout ce qui est bon, convenable, sage, inimitable, sensible pour lui seul, intelligible pour lui seul. Hors de lui rien n’a été, rien n’est, rien ne sera ; car tout vient de lui, est en lui et par lui : les qualités multiples, les plus grandes quantités, les grandeurs qui dépassent toute mesure, les espèces de toutes formes. Si tu comprends ces choses, ô Asclèpios, tu rendras grâces à Dieu ; en observant l’ensemble, tu comprendras clairement que ce monde sensible et tout ce qu’il contient est enveloppé comme d’un vêtement par le monde supérieur. O Asclèpios, les êtres de tout genre, mortels, immortels, raisonnables, animés, inanimés, à quelque classe qu’ils appartiennent, offrent l’image de leur classe, et quoique chacun d’eux ait la forme générale de son genre, cependant tous ont entre eux des différences. Ainsi le genre humain est uniforme et on peut définir l’homme par son type ; cependant les hommes, sous cette forme unique, sont dissemblables. Car l’espèce (le caractère individuel) qui vient de Dieu est incorporelle, comme tout ce qui est compris par l’intelligence. Puisque les deux éléments qui déterminent la forme sont les corps et les incorporels, il est impossible qu’il naisse une forme entièrement semblable à une autre, à des distances de temps et de lieu différentes. Les formes changent autant de fois que l’heure a de moments dans le cercle mobile où est ce Dieu omniforme dont nous avons parlé. L’espèce (l’individualité) persiste en produisant autant d’images d’elle-même que la révolution du monde a d’instants. Le monde change dans sa révolution, mais l’espèce n’a ni période ni changements. Ainsi les formes de chaque genre sont permanentes et dissemblables dans le même type.

ASCLÈPIOS.
Le monde change-t-il aussi d’apparence, ô Trismégiste ?

HERMÈS.
On dirait que tu as dormi pendant cette explication. Qu’est-ce que le monde, de quoi se compose-t-il, sinon de tout ce qui naît ? Tu veux donc parler du ciel, de la terre et des éléments, car les autres êtres changent fréquemment d’apparence ? Le ciel, pluvieux ou sec, chaud ou froid, clair ou couvert de nuages, voilà autant de changements successifs d’aspect dans l’apparente uniformité du ciel. La terre change continuellement d’aspect, et lorsque elle fait naître ses fruits et lorsque elle les nourrit, lorsqu’elle porte des produits si divers de qualité, de quantité : ici du repos, là du mouvement, et toute cette variété d’arbres, de fleurs, de graines, de propriétés, d’odeurs, de saveurs, de formes. Le feu a aussi ses transformations multiples et divines, car le soleil et la lune ont toutes sortes d’aspects comparables à cette multitude d’images que reproduisent nos miroirs. Mais en voilà assez sur ce sujet.

XIII

Revenons à l’homme et au don divin de la raison qui a fait appeler l’homme un animal raisonnable. Parmi toutes les merveilles que nous avons observées dans l’homme, celle qui commande surtout l’admiration c’est que l’homme ait pu trouver la nature divine et la mettre en œuvre. Nos ancêtres qui [s’égaraient dans l’incrédulité] sur ce qui touche aux Dieux [ne] tournant [pas] leur esprit vers le culte et la religion divine, trouvèrent l’art de faire des Dieux, et, l’ayant trouvé, ils y mêlèrent une vertu convenable tirée de la nature du monde· Comme ils ne pouvaient faire des âmes, ils évoquèrent celles des démons ou des anges et les fixèrent dans les saintes images et les divins mystères, seul moyen de donner aux idoles la puissance de faire du bien ou du mal. Ainsi, ton aïeul, ô Asclèpios, le premier inventeur de la médecine, a un temple sur la montagne de Libye, au bord du fleuve des crocodiles, où est couché ce qui en lui appartenait au monde, c’est-à-dire son corps ; le reste, la meilleure partie de lui, ou plutôt lui-même, car le principe du sentiment et de la vie est l’homme tout entier, est remonté au ciel. Maintenant il porte secours aux hommes dans leurs maladies, après leur avoir enseigné l’art de guérir. Hermès, mon aïeul, dont je porte le nom, établi dans la patrie à qui son nom a été aussi donné, exauce ceux qui y viennent de toutes parts pour obtenir de lui aide et salut. Que de biens répand sur les hommes Isis, épouse d’Osiris, lorsque elle leur est propice ; que de maux lorsque elle est irritée ! Car les Dieux terrestres et mondains sont accessibles à la colère, parce qu’ils sont formés et composés par les hommes en dehors de la nature. De là vient en Egypte le culte rendu aux animaux qu’ils ont consacrés pendant leur vie ; chaque ville honore l’âme de celui qui lui a donné des lois et dont elle garde le nom. Et c’est pour cela, ô Asclèpios, que ce qui est adoré par les uns ne reçoit aucun culte des autres, ce qui cause souvent des guerres entre les villes de l’Egypte.

ASCLÈPIOS.
Quelle est la qualité de ces Dieux qu’on nomme terrestres ?

HERMÈS.
Elle consiste dans la vertu divine qui existe naturellement dans les herbes, les pierres, les aromates ; c’est pourquoi ils aiment les sacrifices fréquents, les hymnes et les louanges, une douce musique rappelant l’harmonie céleste ; et ce souvenir du ciel, conforme à leur céleste nature, les attire et les retient dans les idoles et leur fait supporter un long séjour parmi les hommes. C’est ainsi que l’homme fait des Dieux ; et ne crois pas, ô Asclèpios, que ces Dieux terrestres agissent au hasard. Pendant que les Dieux célestes habitent les hauteurs du ciel, gardant chacun le rang qu’il a reçu, nos Dieux ont leurs fonctions particulières ; ils annoncent l’avenir par les sorts et la divination, ils veillent, chacun à sa manière, aux choses qui dépendent de leur providence spéciale et viennent à notre aide comme des auxiliaires, des parents et des amis.

XIV

ASCLÈPIOS.
Quelle est donc, ô Trismégiste, la part d’action de la destinée ? Si les Dieux du ciel règlent l’ensemble, si les Dieux de la terre règlent les choses particulières, qu’appelle-t-on la destinée ?

HERMÈS.
O Asclèpios, c’est la nécessité générale, l’enchaîne ment des événements liés entre eux. C’est ou la cause créatrice, ou le Dieu suprême, ou le second Dieu créé par Dieu, ou la science de toutes les choses du ciel et de la terre établie sur les lois divines. La destinée et la nécessité sont liées entre elles par un lien indissoluble ; la destinée produit les commencements de toutes choses, la nécessité les pousse à l’effet qui découle de leurs débuts. La conséquence de cela est l’ordre, c’est-à-dire une disposition de tous les événements dans le temps ; car rien ne s’accomplit sans ordre. De là résulte la perfection du monde ; car le monde a l’ordre pour base, c’est dans l’ordre qu’il consiste tout entier. Ces trois principes, la destinée ou fatalité, la nécessité et l’ordre, dérivent de la volonté de Dieu, qui gouverne le monde par sa loi et par sa raison divine. Ces principes n’ont donc aucune volonté propre ; inflexibles et étrangers à toute bienveillance comme à toute colère, ils ne sont que les instruments de la raison éternelle, qui est immobile, invariable et indissoluble. Ainsi la destinée vient la première et, comme une terre ensemencée, contient les événements futurs ; la nécessité suit et les pousse à leur accomplissement. En troisième lieu, l’ordre maintient le tissu des choses qu’établissent la destinée et la nécessité. C’est donc là l’éternité sans commencement ni fin, maintenue dans un moment éternel par sa loi immuable. Elle s’élève et retombe alternativement, et, selon la différence des temps, ce qui avait disparu reparaît. Car telle est la condition du mouvement circulaire : tout s’enchaîne sans qu’on puisse déterminer le commencement, et il semble que toutes choses se précèdent et se suivent sans cesse. Quant à l’accident et au sort, ils sont mêlés à toutes les choses du monde.

XV

Nous avons parlé de tout, autant qu’il est donné à l’homme et autant que Dieu nous l’a permis ; il ne nous reste plus qu’à bénir Dieu et à revenir aux soins du corps, après avoir rassasié notre intelligence en traitant des choses divines.
Et sortant du sanctuaire, ils se mirent à prier Dieu en regardant vers le midi, car c’est de ce côté qu’on doit se tourner au déclin du soleil, de même que quand il se lève on doit se tourner vers l’orient. Tandis qu’ils prononçaient déjà leurs prières, Asclèpios dit à voix basse : « O Tat, invitons notre père à faire accompagner nos prières d’encens et de parfums.» Trismégiste l’entendit et s’en émut : « Non, non, dit-il, Asclèpios, c’est presque un sacrilège que de brûler l’encens ou un autre parfum pendant la prière ; rien ne manque à celui qui est tout et qui contient tout. Rendons grâces et adorons ; le parfum suprême, c’est l’action de grâces des mortels à Dieu.
« Nous te rendons grâces, ô souverain très haut ; par ta grâce nous avons reçu la lumière de ta connaissance ; nom saint et vénérable, nom unique par lequel Dieu seul doit être béni selon la religion paternelle ! Puisque tu daignes nous accorder à tous la piété paternelle, la religion, l’amour et les plus doux bienfaits, quand tu nous donnes le sens, la raison, l’intelligence : le sens pour te connaître, la raison pour te chercher, l’intelligence pour avoir le bonheur de te comprendre. Sauvés par ta puissance divine, réjouissons-nous de ce que tu te montres à nous tout entier ; réjouissons-nous de ce que tu daignes, dès notre séjour dans ce corps, nous consacrer à l’éternité. La seule joie de l’homme c’est la connaissance de ta grandeur. Nous t’avons connue, très grande lumière, toi qui n’es sensible qu’à la seule intelligence. Nous t’avons comprise, ô vraie voie de la vie ! ô source féconde de toutes les naissances ! Nous t’avons connue, ô plénitude génératrice de toute la nature ! nous t’avons connue, ô permanence éternelle ! Dans toute celte prière, adorant le bien de ta bonté, nous ne te demandons que de vouloir nous faire persévérer dans l’amour de ta connaissance, afin que nous ne quittions jamais ce genre de vie. Pleins de ce désir, nous allons prendre un repas pur et sans viandes d’animaux. »





Version: 2.0
Maj : 20/12/2024