Corpus Hermétique🔗 catalogues
Corpus Hermeticumⁱ
Auteurs | Dates | Type | Lieu | Thèmes | Statut |
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𝔏 Hermès Trismégiste | ecr. ≈ II – III | Littérature | ecr. ? Alexandrie (Égypte) | Hermétisme |
► Concernant les Hermetica en tant que telles, il s’agit du texte principal de l’hermétisme alexandrin. C’est une collection de logoi (un nombre considérable ce sont vraisemblablement perdus), composée entre le VI et le XI. D’abord cités de façon individuelle comme par exemple chez Stobée, ils sont par la suite rassemblés plus tardivement, peut-être par Psellos qui en fait la première mention en tant que corpus unique.
► D’influence gnostique et néoplatonique, les textes qui la composent remontent à l’époque du syncrétisme alexandrin qui fleurit durant la thalassocratie Lagide. Dans ces textes mystico-magiques, où Trismégiste apparaît en qualité de mystagogue, l’accent est mis d’une part sur une sotériologie purificatoire dont le but est de participer volontairement à la gnose et au pouvoir du νοῦς. On reconnaît ici le lien avec Anaxagore, pour qui le noûs est l’essence de la divinité et cause de la création. Il serait vain de rechercher de ce corpus une doctrine unifiée puisque les différents textes recèlent des positions contradictoires, du fait de la multiplicité manifeste des auteurs et que ces derniers ne recherchent vraisemblablement pas à édifier un dogme. Cette versatilité propre au Poimandros, on la retrouve également dans ce corpus, constitué à l’origine des textes autonomes : les formes même des différentes œuvres et les genres littéraires qu’elles emploient varient de même.
↳ On distingue néanmoins deux influences théoriques principales : l’un, plus conforme aux spéculations antérieures se veut optimiste, estimant la nature bonne et puisque résultant du divin, capable de soutenir l’Homme dans sa quête spirituelle en faisant office d’intermédiaire. L’autre, gagnée par la mélancolie gréco-romaine de l’époque est pessimiste et il y est au contraire affirmé la nette séparation entre le démiurge bon et la matière qui manifeste le mal : en conséquence, cette position intime l’Homme de refouler ladite matière afin de pouvoir communiquer de façon mystérique avec le divin transcendant. Aussi, la notion de culte et de prière ainsi que de révélation et de vision qui en découle, prend de l’importance dans ces textes. Pour ses auteurs en effet, l’observation de la nature ou la spéculation rationnelle des anciens philosophes s’avère insuffisante afin d’entrer en contact avec une divinité qui est dès lors lointaine, qui multiplie les intermédiaires entre elle et sa création ou même, qui se révèle en confrontation avec un principe contraire. On trouve ainsi dans la création hermétique, quatre étapes principales à la manifestation, figurées par quatre entités : le nous à la fois mâle et femelle, le logos, le démiurge et l’anthrôpos. Néanmoins, la dualité hermétique n’est pas radicale : entre les mondes, existent des rapports homologiques et analogiques qui reconnus par l’intellect sont autant de passerelles entre les mondes.
► Ce corpus jouit à la renaissance d’une grande popularité, attendu qu’on lui supposait une origine plus ancienne que celle que Casaubon met en lumière en 1614 en soulignant que ces textes ne pouvaient être antérieurs aux premiers siècles. Cette perte de prestige lui permet pourtant de susciter l’intérêt de commentateurs comme Fludd ou les platoniciens de Cambridge. Le Pymandre est sans doute le traité le plus célèbre du corpus et fut édité et étudié tant par Ficin, que Lazarelli (1522), François de Foix (1579), Hannibal Rossel (1585) ou John Everard (1650 puis 1657 avec l’Asclépios). D’accent théosophique, il dévoile une cosmogonie et une anthropogonie s’articulant autour des motifs de la chute et de la rédemption qui trouve sa résolution dans l’utilisation des facultés de l’esprit. La contextualisation historique et l’analyse thématique de ce texte invite à le comparer avec l’Évangile johannique de la même époque, afin d’en dégager des comparaisons vis à vis du concept clef de verbe qui dans le corpus, par son action démiurgique évoque le souffle de la Genèse ou le pneuma stoïcien.
■ Les deux autres textes d’importance du corpus que nous avons séparé de ce recueil sont l’Asclépios et les fragments des Églogues Stobée notamment La Vierge du Monde. Le premier, qui a circulé sous le nom d’Apuleius durant le haut moyen-âge a exercé une importante influence sur l’ésotérisme፧ alchimico-astrologique par le biais de sa théorie des correspondances.
► Les titres de ces textes sont pour la plupart perdus (bien qu’il subsiste l’adresse) et ceux indiqués dans les traductions paraphrasent simplement leur contenu. Errements du temps et des copistes, certains textes sont perdus comme celui s’intercalant entre Pymandre et Discours universel et dont on ne peut déterminer que l’adresse. Ils sont en outre altérés comme Le Plus grand mal pour les Hommes dont la taille laisse penser qu’il s’agit d’un fragment.
■ La traduction d’origine de Ficin reprise par Ménard se base sur le Laurentianus LXXI33a couvre les textes I à XIV. Pour des raisons philologiques, le texte XV (a qui l’on attribue les fragments de Stobée) n’existe pas. N’ayant pas trouvé de version française libre satisfaisante, nous ne rapportons pas XVII et XVIII (on les trouve chez Mead : Thrice Greatest Hermes, T°II, pp. 285-298 ). Tat s’adresse à des rois et comme dans XVI, Hermès est absent. Nonobstant, le style étant notablement différent la plupart des spécialistes les retranchent des Hermetica proprement dites.
■ Il existe également une version traduite et commentée par Jan Van Rijckenborgh, co-fondateur de l’École de la Rose-Croix d’Or. Le chapitrage y est par ailleurs différent.
◆ Grillot de Givry in Anthologie de l’ésotérisme dit à propos des Hermetica en général : […] c’est d’eux que l’on a fait dériver les termes : hermétisme, sciences hermétiques, que l’on emploie souvent, et bien à tort, pour désigner soit l’alchimie, soit l’ensemble de toutes les doctrines occultes. On a cru reconnaître dans l’auteur de ces livres, tantôt un chrétien, tantôt un gnostique, tantôt un philosophe de l’école d’Alexandrie. Mais il est bien certain que le fonds dominant de sa doctrine appartient à l’Egypte. Il est contemporain, soit de la rédaction de l’évangile de Saint-Jean, soit des grands alexandrins ; et la connaissance qu’il possédait de l’initiation égyptienne ne doit pas surprendre, car il est certain que jusqu’au VII° siècle et jusqu’à Mohammed il y eut des lettrés qui savaient encore le sens secret de l’écriture hiéroglyphique. […] Les livres d’Hermès contiennent la philosophie la plus élevée et la plus sublime qu’il ait peut-être été donné aux hommes de connaître. Ce qui explique l’enthousiasme qu’ils suscitèrent sous la Renaissance, lors que la pensée humaine, lasse de la stérilité de l’enseignement scolastique, aspira à une doctrine plus vivante et plus lumineuse.
🕮 Guaita, ref.1612 (Pymandre),1613 (Pymandre).
🕮 Jouin, ref.55 (Pymandre), 113 (Pymandre) : […] On sait que Mercure Trismégiste est un personnage légendaire, Hermès chez, les Grecs, Thot chez les Egyptiens. L’antiquité chrétienne a connu un très grand nombre de livres circulant sous son nom. Nous ne possédons plus aujourd’hui que des fragments, dont une édition critique a été donnée par M. Parthey, en 1854. Le premier et plus important de ces fragments s’appolle le Poemander ; un autre assez considérable est le Discours d’initiation, ou Asclepios ; le dernier auquel se réfère le second titre de notre catalogue contient les Définitions d’Asclepios au roi Ammon. Les écrits d’Hermès Trismégiste datent seulement des premiers siècles de l’ère chrétienne. D’après les travaux les plus récents, ils paraissent avoir été composés dans le milieu judéo-chrétien d’Alexandrie ; leur tendance générale est gnostique et néoplatonicienne. Cf. Glem. Alex., Migne, P. G., IX, Strom. VI, col. 25G, et Dissert. de Le Nourry, col. 1335 ; - Lactance, Migne, P. L., VI, Divin. Inst., l. I, ch. VI, col. 138 et seq ; - S. Augustin, Migne, P. L., t. XXXIII, Epist. CCXXXIV col. 1031 ; t. XLI, De civit. Dei, l. VIII, ch. XXIII. col. 247 ; ch. XXVI, col. 254 ; XVIII, ch.XL, col. 599 ; t. XLII, Cont. Faustum, l. XIII, ch. 1, col. 281 ; ch. XV col. 290 ; et ch. XVII, col. 292 ; t. XLIII, De Baptismo, l.VI. ch. XLIV, col. 224., D. Calmet, Dict. II, p. 56-57, art. Mercurius, Aug. Vind., Ig. Adam, 1759 ; H. Ursinus, De Herm. Trism., Exerc. sect., p. 73-180, Norimbergae, Endter, 1661 ; Lenglet du Fresnoy, III, p. 372 ; Guaita, Catal., nos 394, 415, 634, 805, 1451, 1462, 1612, 1613 ; Louis Ménard, Hermès Trismégiste, Paris, Perrin, 1910.
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🕮 Ouvaroff, ref.177 (Pymandre).
☩ Texte et traduction : du grec au français, Louis Ménard in Hermès Trismégiste, 1977. | bs. Bibliothèque Nationale de France (Paris, France).
☩ On consultera avant tout l’article Le Dossier des Hermetica in La Révélation d’Hermès Trismégiste (1944 – 1954) de Festugière.
⟴I
Ποιμάνδρης {Poimándrēs}, Pimander, Pimandre.
Je réfléchissais un jour sur les êtres ; ma pensée planait dans les hauteurs, et toutes mes sensations corporelles étaient engourdies comme dans le lourd sommeil qui suit la satiété, les excès ou la fatigue. Il me sembla qu’un être immense, sans limites déterminées, m’appelait par mon nom et me disait : Que veux-tu entendre et voir, que veux-tu apprendre et connaître ?
— Qui donc es-tu, répondis-je ? — Je suis, dit-il, Poimandrès (le pasteur de l’homme), l’intelligence souveraine. Je sais ce que tu désires, et partout je suis avec toi.
— Je veux, répondis-je, être instruit sur les êtres, comprendre leur nature et connaître Dieu. — Reçois dans ta pensée tout ce que tu veux savoir, me dit-il, je t’instruirai.
À ces mots, il changea d’aspect, et aussitôt tout me fut découvert en un moment, et je vis un spectacle indéfinissable. Tout devenait une douce et agréable lumière qui charmait ma vue. Bientôt après descendirent des ténèbres effrayantes et horribles, de forme sinueuse : il me sembla voir ces ténèbres se changer en je ne sais quelle nature humide et trouble, exhalant une fumée comme le feu et une sorte de bruit lugubre. Puis il en sortit un cri inarticulé qui semblait la voix de la lumière.
Une parole sainte descendit de la lumière sur la nature, et un feu pur s’élança de la nature humide vers les hauteurs ; il était subtil, pénétrant et en même temps actif. Et l’air, par sa légèreté, suivait le fluide : de la terre et de l’eau il s’élevait jusqu’au feu, d’où il paraissait suspendu. La terre et l’eau demeuraient mêlées, sans qu’on pût voir l’une à travers l’autre, et recevaient l’impulsion de la parole qu’on entendait sortir du fluide supérieur.
As-tu compris, me dit Poimandrès, ce que signifie cette vision ? — Je vais l’apprendre, répondis-je. — Cette lumière, dit-il, c’est moi, l’Intelligence, ton Dieu, qui précède la nature humide sortie des ténèbres. La parole lumineuse (le Verbe) qui émane de l’Intelligence, c’est le fils de Dieu. — Que veux-tu dire, répliquai-je ? — Apprends-le : ce qui en toi voit et entend est le Verbe, la parole du Seigneur ; l’Intelligence est le Dieu père. Ils ne sont pas séparés l’un de l’autre, car l’union est leur vie. — Je te remercie, répondis-je. — Comprends donc la lumière, dit-il, et connais-la.
À ces mots, il me regarda longtemps en face, et je tremblais à son aspect : et, sur un signe de lui, je vois dans ma pensée la lumière et ses puissances innombrables, le monde indéfini se produire, et le feu, maintenu par une force très grande, arriver à son équilibre. Voilà ce que je compris par la parole de Poimandrès.
Comme j’étais frappé de stupeur, il me dit encore : Tu as vu dans ta pensée la forme primordiale antérieure au principe indéfini. Voilà ce que me dit Poimandrès. — D’où sont venus, répondis-je, les éléments de la nature ? Il me dit : — De la volonté de Dieu, qui, ayant pris la Raison (le Verbe), et y contemplant l’ordre et la beauté, construisit le monde d’après ce modèle, avec des éléments tirés d’elle-même et avec des germes d’âmes.
L’Intelligence, le Dieu mâle et femelle qui est la vie et la lumière, engendra par la parole une autre intelligence créatrice, le Dieu du feu et du fluide (souffle), qui forma à son tour sept ministres, enveloppant dans leurs cercles le monde sensible et le gouvernant par ce qu’on nomme la destinée.
La parole ou raison de Dieu s’élança bientôt des éléments inférieurs dans la pure création de la nature, et s’unit à la pensée créatrice, car elle est de la même essence. Et les éléments inférieurs et sans raison furent laissés à l’état de simple matière.
La pensée créatrice, unie à la raison, enveloppant les cercles et leur imprimant une rotation rapide, ramena ses créations sur elle-même et les fit tourner de leur principe à leur fin comme entre deux limites inaccessibles, car là où tout finit, tout commence éternellement. Cette circulation, par la volonté de l’Intelligence, fit sortir des éléments inférieurs les animaux sans parole, à qui la raison n’a pas été donnée. L’air porta ceux qui volent, l’eau ceux qui nagent. La terre et l’eau furent séparées l’une de l’autre selon la volonté de l’Intelligence (motrice), et la terre fit sortir de son sein les animaux qu’elle contenait, quadrupèdes, reptiles, bêtes féroces et domestiques.
Mais le moteur, père de toutes choses, qui est la vie et la lumière, engendra l’homme semblable à lui-même et l’aima comme son propre enfant. Par sa beauté il reproduisait l’image du père : Dieu aimait donc en réalité sa propre forme, et il lui livra toutes ses créatures.
Mais l’homme, ayant médité sur l’œuvre de la création, voulut créer à son tour, et il se sépara du père en entrant dans la sphère de la création. Ayant plein pouvoir, il médita sur les créations de ses frères, et ceux-ci s’éprirent de lui, et chacun d’eux l’associa à son rang. Alors, connaissant leur essence et participant à leur nature, il voulut franchir la limite des cercles et surmonter la puissance qui siège sur le feu.
Et ce souverain du monde et des êtres mortels et privés de raison, à travers l’harmonie et la puissante barrière des cercles, fit voir à la nature inférieure la belle image de Dieu. Devant cette merveilleuse beauté, où toutes les énergies des sept gouverneurs étaient unies à la forme de Dieu, la nature sourit d’amour, car elle avait vu la beauté de l’homme dans l’eau et son ombre sur la terre. Et lui, apercevant dans l’eau le reflet de sa propre forme, s’éprit d’amour pour elle et voulut la posséder. L’énergie accompagna le désir, et la forme privée de raison fut conçue. La nature saisit son amant et l’enveloppa tout entier, et ils s’unirent d’un mutuel amour.
Et voilà pourquoi, seul de tous les êtres qui vivent sur la terre, l’homme est double, mortel par le corps, immortel par sa propre essence. Immortel et souverain de toutes choses, il est soumis à la destinée qui régit ce qui est mortel : supérieur à l’harmonie du monde, il est captif dans ses liens ; mâle et femelle comme son père et supérieur au sommeil, il est dominé par le sommeil.
— Ce discours me charme, dit alors ma pensée. Et Poimandrès dit : — Voilà le mystère qui a été caché jusqu’à ce jour. La nature unie à l’homme a produit la plus étonnante des merveilles. Il était, je te l’ai dit, composé d’air et de feu, comme les sept princes de l’harmonie ; la nature ne s’arrêta pas et produisit sept hommes, mâles et femelles, et d’un ordre élevé, répondant aux sept gouverneurs. — O Poimandrès, m’écriai-je, poursuis, ma curiosité redouble. — Fais donc silence, dit Poimandrès, car je n’ai pas achevé mon premier discours. — Je me tais, répondis-je.
La génération de ces sept hommes, comme je l’ai dit, eut donc lieu de cette manière. La terre était femelle, l’eau génératrice ; le feu fournit la chaleur, l’air fournit le souffle, et la nature produisit les corps de forme humaine. L’homme reçut de la vie et de la lumière son âme et son intelligence : l’âme lui vint de la vie, l’intelligence lui vint de la lumière. Et tous les membres du monde sensible demeurèrent ainsi jusqu’à la complète évolution des principes et des genres.
Maintenant, écoute le reste du discours que tu désires entendre. La période étant accomplie, le lien universel fut dénoué par la volonté de Dieu : car tous les animaux, d’abord androgynes, furent divisés en même temps que l’homme, et il se forma des mâles d’un côté, des femelles de l’autre. Aussitôt Dieu dit de sa parole sainte : Croissez en accroissement et multipliez en multitude, vous tous, mes ouvrages et mes créatures ; et que celui en qui est l’intelligence sache qu’il est immortel et que la cause de la mort est l’amour du corps, et qu’il connaisse tous les êtres.
À ces mots, sa providence unit les couples selon les lois nécessaires et harmoniques, et établit les générations. Et tous les êtres se multiplièrent par genres, et celui qui se connut lui- même arriva au bien parfait ; mais celui qui, par une erreur de l’amour, a aimé le corps, celui-là demeure égaré dans les ténèbres, soumis par les sens aux conditions de la mort.
Quelle est donc, m’écriai-je, la faute si grande des ignorants, pour qu’ils soient privés de l’immortalité ? — Il semble, répondit-il, que tu n’as pas compris ce que tu as entendu ; ne t’avais-je pas dit de réfléchir ? — Je réfléchis, dis-je, et je me souviens, et je te remercie. — Si tu as réfléchi, dis-moi pourquoi ceux qui sont dans la mort sont dignes de la mort. — C’est, répondis-je, que notre corps procède de cette obscurité lugubre d’où est sortie la nature humide ; c’est par là que le corps est constitué dans le monde sensible, abreuvoir de la mort.
— Tu as compris, dit-il ; mais pourquoi celui qui réfléchit sur lui-même marche-t-il vers Dieu, comme le dit la parole divine ? —Parce que, répondis-je, c’est de vie et de lumière qu’est constitué le père de toutes choses, de qui est né l’homme. — De bonnes paroles, dit-il ; le Dieu et le père de qui l’homme est né est la lumière et la vie. Si donc tu sais que tu es sorti de la vie et de la lumière et que tu en es formé, tu marcheras vers la. vie. Telles furent les paroles de Poimandrès. Apprends-moi donc encore, lui dis-je, ô Intelligence, comment je puis entrer dans la vie. — Que l’homme en qui est l’intelligence, répondit mon Dieu, se connaisse lui-même.
— Tous les hommes, dis-je, n’ont donc pas d’intelligence ? — De bonnes paroles, dit-il, pense à ce que tu dis. Moi, l’Intelligence, j’assiste les saints, les bons, les purs, les charitables, ceux qui vivent dans la piété. Ma puissance est pour eux un secours, et aussitôt ils connaissent toutes choses, et ils invoquent le père avec amour et lui adressent les actions de grâces, les bénédictions et les louanges qui lui sont dues, et avant même d’abandonner leur corps à la mort, ils détestent les sens dont ils connaissent les œuvres ; ou plutôt, moi, l’Intelligence, je ne laisserai pas s’accomplir les œuvres du corps ; comme un portier je fermerai la voie aux œuvres mauvaises et honteuses en écartant les désirs.
Mais quant aux insensés, vicieux et méchants, envieux et avides, meurtriers et impies, je suis loin d’eux et je les livre au démon vengeur qui verse dans leurs sens un feu pénétrant, les pousse de plus en plus au mal pour aggraver leur châtiment, et sans trêve irrite leurs passions par d’insatiables désirs, les torture, invisible ennemi, et ravive en eux la flamme inextinguible.
— Tu m’as instruit de tout, dis-je, comme je le désirais, ô Intelligence ; mais éclaire-moi encore sur la manière dont se fait l’ascension. — D’abord, dit Poimandrès, la dissolution du corps matériel en livre les éléments aux métamorphoses ; la forme visible disparaît, le caractère, perdant sa force, est livré au démon, les sens retournent à leurs sources respectives et se confondent dans les énergies (du monde). Les passions et les désirs rentrent dans la nature irrationnelle ; ce qui reste s’élève ainsi à travers l’harmonie, abandonnant à la première zone la puissance de croître et de décroître ; à la seconde l’industrie du mal et la ruse devenue impuissante ; à la troisième l’illusion désormais impuissante des désirs ; à la quatrième la vanité du commandement qui ne peut plus être satisfaite ; à la cinquième l’arrogance impie et l’audace téméraire ; à la sixième l’attachement aux richesses, maintenant sans effet ; à la septième le mensonge insidieux.
Et, dépouillé ainsi de toutes les œuvres de l’harmonie du monde, il arrive dans la huitième zone, ne gardant que sa puissance propre, et chante avec les êtres des hymnes en l’honneur du père. Ceux qui sont là se réjouissent de sa présence, et devenu semblable à eux, il entend la voix mélodieuse des puissances qui sont au-dessus de la huitième nature et qui chantent les louanges de Dieu. Et alors ils montent en ordre vers le père et s’abandonnent aux puissances, et devenus puissances, ils naissent en Dieu. Tel est le bien final de ceux qui possèdent la Gnose, devenir Dieu. Qu’attends-tu maintenant ? tu as tout appris, tu n’as plus qu’à montrer la route aux hommes, afin que par toi Dieu sauve le genre humain.
Ayant ainsi parlé, Poimandrès se mêla aux puissances. Et moi, bénissant le père de toutes choses et lui rendant grâces, je me levai fortifié par lui, connaissant la nature de l’univers et la grande vision. Et je commençai à prêcher aux hommes la beauté de la religion et de la Gnose : peuples, hommes nés de la terre, plongés dans l’ivresse, le sommeil et l’ignorance de Dieu, secouez vos torpeurs sensuelles, réveillez-vous de votre abrutissement !
Ils m’entendirent et se rassemblèrent autour de moi. Alors j’ajoutai : Pourquoi, ô hommes nés de la terre, vous abandonnez-vous à la mort, quand il vous est permis d’obtenir l’immortalité ? Revenez à vous mêmes, vous qui marchez dans l’erreur, qui languissez dans l’ignorance ; éloignez-vous de la lumière ténébreuse, prenez part à l’immortalité en renonçant à la corruption.
Et les uns, se moquant, se précipitaient dans la route de la mort ; les autres, se jetant à mes pieds, me suppliaient de les instruire. Et moi, m’étant levé, je devins le guide du genre humain, lui enseignant par mes discours la voie du salut ; je semai en eux les paroles de la sagesse et ils furent nourris de l’eau d’ambroisie (d’immortalité). Et le soir étant venu, les dernières lueurs du soleil commençant à disparaître, je les invitai à la prière. Et ayant accompli l’eucharistie (actions de grâces), chacun regagna sa couche.
Et moi, j’écrivis en moi-même le récit des bienfaits de Poimandrès, et possédant l’objet de mes vœux, je me reposai plein de joie. Le sommeil du corps produisait la lucidité de l’âme, mes yeux fermés voyaient la vérité, ce silence fécond portait dans son sein le bien suprême, les paroles prononcées étaient des semences de biens. Voilà le bienfait que je reçus de mon intelligence, c’est-à-dire de Poimandrès, la raison souveraine ; ainsi, par une inspiration divine, je possédai la vérité. C’est pourquoi de toute mon âme et de toutes mes forces je bénis le divin père :
Saint est Dieu le père de toutes choses. Saint est Dieu dont la volonté s’accomplit par ses propres puissances. Saint est Dieu qui veut être et qui est connu de ceux qui sont à lui. Tu es saint, toi qui as constitué les êtres par ta parole : tu es saint, toi dont toute la nature est l’image : tu es saint, toi que la nature n’a pas formé. Tu es saint et plus fort que toute puissance, tu es saint et plus grand que toute majesté, tu es saint et au-dessus de toute louange. Reçois le pur sacrifice verbal de l’âme et du cœur qui monte vers toi, ô inexpressible, ineffable, que le silence seul peut nommer.
Ne permets pas que je m’égare, donne-moi la connaissance de notre essence, donne-moi la force, illumine de ta grâce ceux qui sont dans l’ignorance, les frères de ma race, tes enfants. Je crois en toi et je te rends témoignage, je marche dans la vie et la lumière. O père, sois béni ; l’homme qui t’appartient veut partager ta sainteté, comme tu lui en as donné plein pouvoir.
⟴II
Mercurii ad Aescu Sermo universalis, Discours universel d’Hermès à Asclèpios
HERMÈS.
Tout mobile, ô Asclèpios, n’est-il pas mu dans quelque chose et par quelque chose ?
ASCLÈPIOS.
Sans doute.
HERMÈS.
Le mobile n’est-il pas nécessairement moins grand que le lieu du mouvement.
ASCLÈPIOS.
Nécessairement.
HERMÈS.
Le moteur n’est-il pas plus fort que le mobile ?
ASCLÈPIOS.
Assurément.
HERMÈS.
Le lieu du mouvement n’a-t-il pas nécessairement une nature contraire à celle du mobile ?
ASCLÈPIOS.
Oui, certes.
HERMÈS.
Ce monde est si grand qu’il n’y a pas de corps plus grand que lui.
ASCLÈPIOS.
J’en conviens.
HERMÈS.
Et il est solide, car il est rempli par un grand nombre de corps, ou plutôt par tous les corps qui existent.
ASCLÈPIOS.
Cela est vrai.
HERMÈS.
Le monde est-il un corps ?
ASCLÈPIOS.
Oui.
HERMÈS.
Et est-il mobile ?
ASCLÈPIOS.
Sans doute.
HERMÈS.
Quel doit donc être le lieu de son mouvement, et de quelle nature ? Ne faut-il pas qu’il soit beaucoup plus grand que le monde, pour que celui-ci puisse s’y mouvoir sans être retenu ni arrêté dans sa marche ?
ASCLÈPIOS.
C’est quelque chose de bien grand, ô Trismégiste.
HERMÈS.
Et de quelle nature ? D’une nature contraire, n’est-il pas vrai ? Et le contraire du corps, n’est-ce pas l’incorporel ?
ASCLÈPIOS.
J’en conviens.
HERMÈS.
Le lieu est donc incorporel. Mais l’incorporel est divin ou Dieu. J’appelle divin, non ce qui est engendré, mais ce qui est incréé. S’il est divin, il est essentiel ; s’il est Dieu, il est au-dessus de l’essence. D’ailleurs, il est intelligible, et voici comment : Le premier Dieu est intelligible pour nous, non pour lui-même, car l’intelligible tombe sous la sensation de l’intelligent. Dieu n’est donc pas intelligible pour lui-même, car en lui le sujet pensant n’est pas autre que l’objet pensé. Pour nous il est différent, c’est pourquoi nous le concevons. Si l’espace est intelligible, il n’est pas Dieu, il est l’espace. S’il est Dieu, c’est, non comme espace, mais comme principe de l’étendue. Mais tout ce qui est mu se meut non dans le mobile, mais dans le stable. Le moteur est stable, car il ne peut partager le mouvement du mobile.
ASCLÈPIOS.
Comment donc, ô Trismégiste, voyons-nous ici le mouvement des mobiles partagé par leur moteur ? Car tu disais que les sphères errantes étaient mues par la sphère fixe.
HERMÈS.
Ce n’est pas là un mouvement partagé, ô Asclèpios, mais un contre-mouvement. Ces sphères ne se meuvent pas dans le même sens, mais en sens contraire. Cette opposition offre au mouvement une résistance fixe ; car la réaction des mouvements est l’immobilité ; les sphères errantes étant mues en sens contraire de la sphère fixe, leur mouvement inverse est produit par la résistance qu’elles s’opposent entre elles, et il n’en peut être autrement. Tu vois ces Ourses, ces constellations qui ne se couchent ni ne se lèvent ? Tournent-elles autour d’un point, ou sont-elles immobiles ?
ASCLÈPIOS.
Elles sont mues, ô Trismégiste !
HERMÈS.
Quel est leur mouvement, ô Asclèpios ?
ASCLÈPIOS.
Elles tournent sans cesse autour du même point.
HERMÈS.
Une révolution autour d’un point est un mouvement contenu par la fixité. Car la circulation empêche l’écart, et l’écart empêché se fixe dans la circulation. L’opposition de ces deux mouvements produit un état stable toujours maintenu par les résistances mutuelles. Je t’en donnerai un exemple pris dans les objets terrestres. Vois la natation de l’homme et des animaux, par exemple : la réaction des pieds et des mains rend l’homme immobile, et l’empêche d’être emporté dans le mouvement de l’eau et de se noyer.
ASCLÈPIOS.
Cette comparaison est très claire, ô Trismégiste.
HERMÈS.
Tout mouvement est donc produit dans le repos et par le repos. Ainsi, le mouvement du monde et de tout animal matériel ne vient pas du dehors, mais il est produit du dedans au dehors par l’âme, par l’esprit ou quelque autre principe incorporel. Car un corps ne peut mouvoir ce qui est animé : il ne peut pas même mouvoir un corps inanimé.
ASCLÈPIOS.
Que veux-tu dire, ô Trismégiste ? Le bois, la pierre et tous les autres corps inanimés ne sont-ils pas des moteurs ?
HERMÈS.
Pas du tout, ô
ASCLÈPIOS.
Ce qui est au dedans du corps, ce qui meut l’objet inanimé, voilà le moteur commun du corps qui porte et de l’objet porté. Jamais un objet inanimé ne peut mouvoir un autre objet inanimé. Tout moteur est animé puisqu’il produit le mouvement. Aussi voit-on que l’âme est appesantie quand elle a deux objets à porter. Il est donc évident que tout mouvement est produit par quelque chose et dans quelque chose.
ASCLÈPIOS.
Mais le mouvement doit être produit dans le vide, ô Trismégiste.
HERMÈS.
Ne dis pas cela,
ASCLÈPIOS.
Il n’y a pas de vide dans l’univers. Le non être seul est vide et étranger à l’existence. Mais l’être ne pourrait pas être s’il n’était plein d’existence. Ce qui est ne peut jamais être vide.
ASCLÈPIOS.
N’y a-t-il donc pas des choses vides, ô Trismégiste, par exemple un vase vide, un tonneau vide, un puits vide, un coffre et autres choses semblables ?
HERMÈS.
Quelle erreur, Asclèpios ! Tu prends pour vides des choses toutes pleines et toutes remplies.
ASCLÈPIOS.
Que veux-tu dire, Trismégiste ?
HERMÈS.
L’air n’est-il pas un corps ?
ASCLÈPIOS.
Oui, c’est un corps.
HERMÈS.
Ce corps ne traverse-t-il pas toutes choses, et ne remplit-il pas ce qu’il traverse ? Tout corps n’est-il pas composé de quatre éléments ? Tout ce que tu crois vide est donc plein d’air, et par conséquent des quatre éléments. Et en sens inverse, on peut dire que ce que tu crois plein est vide d’air, parce que la présence d’autres corps ne permet pas à l’air d’occuper la même place. Ainsi, les objets que tu appelles vides sont creux, et non pas vides, car ils existent et sont pleins d’air et de fluide.
ASCLÈPIOS.
Il n’y a rien à répondre à cela, ô Trismégiste ; l’air est un corps, et ce corps pénètre tout, remplit tout ce qu’il pénètre. Mais que disons-nous du lieu où se meut l’univers ?
HERMÈS.
Il est incorporel, ô Asclèpios.
ASCLÈPIOS
Qu’est-ce donc que l’incorporel ?
HERMÈS.
L’intelligence et la raison s’embrassant elles-mêmes, libres de tout corps, exemptes d’erreur, impassibles et intangibles, restant fixes en elles-mêmes, contenant tout, conservant tous les êtres. Ses rayons sont le bien, la vérité, le principe de la lumière, le principe de l’âme.
ASCLÈPIOS.
Qu’est-ce donc que Dieu ?
HERMÈS.
Dieu n’est rien de tout cela, mais il est la cause de tout en général et de chaque être en particulier. Il n’a rien laissé au non être ; tout être vient de ce qui est, et non de ce qui n’est pas. Le néant ne peut devenir quelque chose ; il est dans sa nature de ne pouvoir être. La nature de l’être, au contraire, est de ne pouvoir cesser d’être.
ASCLÈPIOS.
Comment donc définis-tu Dieu ?
HERMÈS.
Dieu n’est pas l’intelligence, mais la cause de l’intelligence ; il n’est pas l’esprit, mais la cause de l’esprit ; il n’est pas la lumière, mais la cause de la lumière. Les deux noms sous lesquels il faut honorer Dieu ne conviennent qu’à lui seul, et à aucun autre. Aucun de ceux qu’on nomme Dieux, aucun des hommes ni des démons ne peut en aucune manière être appelé bon : ce titre ne convient qu’à Dieu seul : il est le bien et n’est pas autre chose. Tous les autres êtres sont en dehors de la nature du bien ; ils sont corps et âme, et il n’y a pas place en eux pour le bien. Le bien égale en grandeur l’existence de tous les êtres corporels et incorporels, sensibles et intelligibles. Tel est le bien, tel est Dieu. Ne dis donc pas d’un autre être qu’il est bon, c’est une impiété ; ne dis pas de Dieu qu’il est autre chose que le bien, c’est encore une impiété. Tout le monde emploie le mot de bien, mais tout le monde n’en comprend pas le sens ; aussi tout le monde ne conçoit pas Dieu, et par suite de cette ignorance, on appelle bons les Dieux et quelques-uns des hommes, quoiqu’ils ne puissent ni être bons, ni le devenir. Tous les autres Dieux sont appelés immortels, et on leur donne le nom de Dieux comme une dignité. Mais pour Dieu le bien n’est pas une dignité, c’est sa nature. Dieu et le bien sont une seule et même chose et le principe de toutes les autres ; car le propre de la bonté est de tout donner sans rien recevoir. Or, Dieu donne tout et ne reçoit rien. Dieu est donc le bien, et le bien est Dieu. Son autre nom est celui de Père, à cause de son rôle de créateur ; car le propre du père est de créer. C’est pourquoi la plus haute fonction de la vie et la plus sacrée est la génération, et le plus grand malheur et la plus grande impiété est de quitter la vie humaine sans avoir d’enfant. Ceux qui manquent à ce devoir sont punis par les démons après la mort. Voici quelle est leur punition : leur âme est condamnée à entrer dans un corps qui n’est ni homme ni femme, condition maudite sous le soleil. Ainsi, ô Asclèpios, n’envie pas le sort de celui qui n’a pas d’enfant, mais plains son malheur en songeant à l’expiation qui l’attend.
Tels sont, ô Asclèpios, les premiers éléments de la connaissance de la nature.
⟴III
Mercurii sermo sacer, Discours sacré d’Hermès Trismégiste
Gloire de toutes choses, Dieu, le divin et la nature divine. Principe des êtres, Dieu, l’Intelligence, la nature et la matière. La sagesse manifeste l’univers, dont le divin est le principe, la nature, l’énergie, la nécessité, la fin et le renouvellement.
Il y avait des ténèbres sans limites sur l’abîme, et l’eau, et un esprit subtil et intelligent, contenus dans le chaos par la puissance divine. Alors jaillit la lumière sainte, et sous le sable les éléments sortirent de l’essence humide, et tous les Dieux débrouillèrent la nature féconde. L’univers étant dans la confusion et le désordre, les éléments légers s’élevèrent, et les plus lourds furent établis comme fondement sous le sable humide, toutes les choses étant séparées par le feu, et suspendues pour être soulevées par l’esprit. Et le ciel apparut en sept cercles, et les Dieux se manifestèrent sous la forme des astres avec tous leurs caractères, et les astres furent comptés avec les Dieux qui sont en eux. Et l’air enveloppa le cercle extérieur, porté dans son cours circulaire par l’esprit divin. Chaque Dieu, selon sa puissance, accomplit l’œuvre qui lui était prescrite. Et les bêtes à quatre pieds naquirent, et les reptiles, et les bêtes aquatiques, et les bêtes ailées, et toute graine féconde, et l’herbe et la verdure de toute fleur ayant en soi une semence de régénération.
Et ils semèrent aussi les générations humaines pour connaître les œuvres divines et témoigner de l’énergie de la nature, et la multitude des hommes pour régner sur tout ce qui est sous le ciel et connaître le bien, pour croître en grandeur et multiplier en multitude, et toute âme enveloppée de chair par la course des Dieux circulaires, pour contempler le ciel, la course des Dieux célestes, les œuvres divines et les énergies de la nature, et pour distinguer les biens, pour connaître la puissance divine, pour apprendre à discerner le bien et le mal, et découvrir tous les arts utiles. Leur vie et leur sagesse sont réglées dès l’origine par le cours des Dieux circulaires et viennent s’y résoudre.
Et il y aura de grands et mémorables travaux sur la terre, laissant la destruction dans la rénovation des temps. Et toute génération de chair animée et de graine de fruits, et toutes les œuvres périssables seront renouvelées par la nécessité et le renouvellement des Dieux, et la marche périodique et régulière de la nature. Car le divin est l’ordonnance du monde et son renouvellement naturel, et la nature est établie dans le divin.
⟴IV
Mercurii ad tatium crater sive monas, Le Cratère ou La Monade. Hermès Trismégiste à son fils Tat
HERMÈS.
L’Ouvrier a fait le monde, non de ses mains, mais de sa parole. Il faut te le représenter comme présent et toujours existant, comme l’auteur de tout, l’un et le seul, qui a créé les êtres par sa volonté. Son corps n’est ni tangible, ni visible, ni mesurable, ni étendu, ni semblable à aucun autre corps. Il n’est ni le feu, ni l’eau, ni l’air, ni l’esprit, mais tout vient de lui. Étant bon, il a voulu créer le monde pour soi-même et orner la terre. Comme ornement du corps divin il a placé l’homme, animal immortel et mortel. L’homme l’emporte sur les animaux par la raison et l’intelligence ; il est né pour contempler les œuvres de Dieu, les admirer et en connaître l’auteur. Dieu a distribué la raison à tous les hommes, mais non l’intelligence ; ce n’est pas qu’il l’ait enviée à quelques-uns, car l’envie lui est étrangère, elle naît dans les âmes des hommes qui n’ont pas l’intelligence.
TAT.
Pourquoi donc, ô père, Dieu n’a-t-il pas distribué l’intelligence à tous ?
HERMÈS.
Il a voulu, ô mon fils, l’établir au milieu des âmes comme un prix à conquérir.
TAT.
Et où l’a-t-il établie ?
HERMÈS.
Il en a rempli un grand cratère et l’a fait porter par un messager, lui ordonnant de crier ceci aux cœurs des hommes : « Baptisez-vous, si vous le pouvez, dans le cratère, vous qui croyez que vous retournerez à celui qui l’a envoyé, vous qui savez pourquoi vous êtes nés. » Et ceux qui répondirent à cet appel et furent baptisés dans l’Intelligence, ceux-là possédèrent la Gnose et devinrent les initiés de l’Intelligence, les hommes parfaits. Ceux qui ne le comprirent pas possèdent la raison, mais non l’intelligence, et ignorent pour quoi et par qui ils ont été formés. Leurs sensations ressemblent à celles des animaux sans raison. Composés uniquement de passions et de désirs, ils n’admirent pas ce qui est digne d’être contemplé, ils se livrent aux plaisirs et aux appétits du corps et croient que c’est là le but de l’homme. Mais ceux qui ont reçu le don de Dieu, ceux-là, ô Tat, à considérer leurs œuvres, sont immortels et non plus mortels. Ils embrassent par l’intelligence ce qui est sur la terre et dans le ciel, et ce qu’il peut y avoir au-dessus du ciel. À la hauteur où ils sont parvenus, ils contemplent le bien, et ce spectacle leur fait considérer comme un malheur leur séjour ici-bas. Dédaignant toutes les choses corporelles et incorporelles, ils aspirent vers l’Un et le Seul. Tel est, ô Tat, la science de l’intelligence : contempler les choses divines et comprendre Dieu. Tel est le bienfait du divin cratère.
TAT.
Je veux aussi y être baptisé, ô père.
HERMÈS.
Si tu ne commences par haïr ton corps, ô mon fils, tu ne peux pas t’aimer toi-même. En t’aimant toi-même, tu auras l’intelligence, et alors tu obtiendras la science.
TAT.
Que veux-tu dire, ô père ?
HERMÈS.
Il est impossible, ô mon fils, de s’attacher à la fois aux choses mortelles et aux choses divines. Les êtres sont corporels ou incorporels, et c’est par là que le mortel se distingue du divin ; il faut choisir l’un ou l’autre, car on ne peut s’attacher aux deux à la fois. Lorsqu’on a fait un choix, celui qu’on abandonne manifeste l’énergie de l’autre ; en choisissant le meilleur, on obtient d’abord une magnifique récompense, l’apothéose de l’homme, et on montre de plus sa piété envers Dieu. Un mauvais choix est la perte de l’homme, mais sans faire de tort à Dieu : seulement, comme ces promeneurs oisifs qui embarrassent les chemins, on passe à travers le monde, entraîné par les plaisirs du corps.
Puisqu’il en est ainsi, ô Tat, le bien qui vient de Dieu est à notre disposition, nous n’avons plus qu’à le prendre sans retard. Le mal ne vient pas de Dieu, il vient de nous-mêmes qui le préférons au bien. Tu vois, ô mon fils, combien de corps il nous faut traverser, combien de chœurs de démons et de révolutions d’étoiles pour arriver jusqu’au Dieu seul et un. Le bien est inaccessible, infini et sans bornes ; par lui-même il n’a pas de commencement, mais pour nous il semble en avoir un qui est la Gnose. La Gnose n’est pas précisément le principe du bien, mais c’est par elle que nous arrivons à lui. Prenons-la donc pour guide, nous avancerons à travers tous les obstacles. Il est difficile de quitter les choses présentes et accoutumées pour revenir aux voies anciennes. Les apparences nous charment, on refuse de croire à l’invisible ; or, les choses mauvaises sont apparentes, le bien est invisible aux yeux, car il n’a ni forme ni figure ; il est semblable à lui-même et différent de tout le reste. L’incorporel ne peut se manifester au corps. Voilà en quoi le semblable se distingue du différent, et en quoi le différent est inférieur au semblable.
L’unité, principe et racine de toutes choses, existe dans tout comme principe et racine. Il n’y a rien sans principe ; le principe ne dérive de rien que de lui-même, puisque tout dérive de lui. Il est lui-même son principe, puisqu’il n’en a pas d’autre. L’unité qui est le principe, contient tous les nombres, et n’est contenu par aucun ; elle les engendre tous et n’est engendrée par aucun autre. Tout ce qui est engendré est imparfait, divisible, susceptible d’augmentation ou de diminution. Le parfait n’a aucun de ces caractères. Ce qui peut s’accroître s’accroît par l’unité, et succombe à sa propre faiblesse lorsqu’il ne peut plus recevoir l’unité.
Voilà, ô Tat, l’image de Dieu, autant qu’on peut se la représenter. Si tu la contemples attentivement, et si tu la comprends par les yeux du cœur, crois-moi, mon fils, tu trouveras la route de l’ascension, ou plutôt cette image elle-même te conduira ; car telle est la vertu de la contemplation, elle enchaîne et elle attire, comme l’aimant attire le fer.
⟴V
Mercurii ad tatium filium suum. Quod deus latens simul ac patens est, Le Dieu invisible est très apparent. Discours d’Hermès à son fils Tat
Je t’adresse ce discours, ô Tat, afin que tu sois initié au nom du Dieu supérieur. Si tu le comprends, ce qui semble invisible à la plupart sera pour toi très apparent. S’il était apparent, il ne serait pas ; toute apparence est créée, puisqu’elle a été manifestée ; mais l’invisible est toujours, sans avoir besoin de manifestation. Il est toujours et rend toutes choses visibles. Invisible, parce qu’il est éternel, il fait tout apparaître, sans se montrer. Incréé, il manifeste toutes choses dans l’apparence ; l’apparence n’appartient qu’aux choses engendrées ; elle n’est pas autre chose que la naissance. Celui qui seul est incréé est donc par cela même irrévélé et invisible, mais, en manifestant toutes choses, il se révèle en elles et par elles, à ceux surtout auxquels il veut se révéler.
Ainsi, ô mon fils Tat, prie d’abord le seigneur et le père, le seul, l’unique d’où est sorti l’unique, afin qu’il te soit propice et que tu puisses comprendre ce Dieu. Il faut pour cela qu’un de ses rayons illumine ta pensée. C’est la pensée seule qui voit l’invisible, parce qu’elle est invisible elle-même. Si tu le peux, tu le verras par les yeux de l’intelligence, ô Tat, car le seigneur n’est pas avare, il se révèle dans l’univers entier. Tu peux le comprendre, le voir, le saisir de tes mains et contempler l’image de Dieu. Mais comment pourrait-il se manifester à tes yeux, si ce qui est en toi est invisible pour toi-même ? Si tu veux le voir, pense au soleil, pense au cours de la lune, pense à l’ordre des astres. Qui maintient cet ordre ? car tout ordre est déterminé par le nombre et la place. Le soleil est le plus grand des Dieux du ciel, tous les Dieux célestes le reconnaissent comme leur roi et leur chef ; et cet astre, plus grand que la terre et la mer, laisse rouler au-dessus de lui des astres bien plus petits que lui. Quel respect, quelle crainte l’y oblige, ô mon fils ? Les courses de chacun de ces astres dans le ciel sont différentes et inégales : qui a fixé à chacun d’eux la direction et la longueur de sa course ? L’Ourse tourne sur elle-même et entraîne l’univers avec elle ; qui s’en sert comme d’un instrument ? Qui a fixé à la mer ses limites ? Qui a posé les fondements de la terre ?
Il y a donc, ô Tat, un créateur et un maître de tout cet univers. La place, le nombre, la mesure ne pourraient se conserver sans un créateur. L’ordre ne peut se faire sans une place et une mesure, il faut donc un maître, ô mon fils. Le désordre en a besoin pour arriver à l’ordre : il obéit à celui qui ne l’a pas encore ordonné. Si tu pouvais avoir des ailes, voler dans l’air, et là, entre la terre et le ciel, voir la solidité de la terre, la fluidité de la mer, le cours des fleuves, la légèreté de l’air, la subtilité du feu, le cours des astres et le mouvement du ciel qui les enveloppe, ô mon fils, le magnifique spectacle ! Comme tu verrais en un instant se mouvoir l’immuable, apparaître l’invisible dans l’ordre et la beauté du monde.
Si tu veux contempler le créateur, même dans les choses mortelles, dans ce qui est sur la terre ou dans les profondeurs, réfléchis, ô mon fils, à la création de l’homme dans le ventre de sa mère ; examine avec soin l’art de l’ouvrier, apprends à le connaître d’après la divine beauté de son œuvre. Qui a tourné la sphère des yeux ? qui a percé l’ouverture des narines et des oreilles ? qui a ouvert la bouche ? qui a tendu et enlacé les nerfs ? qui a tracé les canaux des veines ? qui a durci les os ? qui a enveloppé la chair de peau ? qui a séparé les doigts et les membres ? qui a élargi la base des pieds ? qui a creusé les pores ? qui a étendu la rate ? qui a formé la pyramide du cœur ? qui a dilaté les flancs ? qui a élargi le foie ? qui a formé les cavernes des poumons, la cavité du ventre ? qui a mis en évidence les parties honorables et caché les autres ? Vois combien d’art sur une seule matière, quel travail sur une seule œuvre ; partout la beauté, partout la proportion, partout la variété. Qui a fait toutes ces choses ? quelle est la mère, quel est le père, si ce n’est l’unique et invisible Dieu qui a tout créé par sa volonté ?
Personne ne prétend qu’une statue ou un tableau peut exister sans un sculpteur ou un peintre, et cette création n’aurait pas de créateur ? O aveuglement, ô impiété, ô ignorance ! Garde-toi, mon fils Tat, de priver l’œuvre de l’ouvrier ; donne plutôt à Dieu le nom qui lui convient le mieux, appelle-le le père de toutes choses, car il est l’unique, et sa fonction propre est d’être père : et si tu veux que j’emploie une expression hardie, son essence est d’engendrer et de créer. Et comme rien ne peut exister sans créateur, ainsi lui-même n’existerait pas s’il ne créait sans cesse, dans l’air, sur la terre, dans les profondeurs, dans l’univers, dans chaque partie de l’univers, dans ce qui existe et dans ce qui n’existe pas. Car il n’y a rien dans le monde entier qui ne soit lui, il est ce qui est et ce qui n’est pas, car ce qu’il est il l’a manifesté, ce qui n’est pas il le tient en lui-même.
Tel est le Dieu supérieur à son nom, invisible et apparent, qui se révèle à l’esprit, qui se révèle aux yeux, qui n’a pas de corps et qui a beaucoup de corps, ou plutôt tous les corps, car il n’est rien qui ne soit lui et tout est lui seul. C’est pourquoi il a tous les noms, car il est le père unique, et c’est pourquoi il n’a pas de nom, car il est le père de tout. Que peut-on dire de toi, que peut-on te dire ? Où porterai-je mes regards pour te bénir, en haut, en bas, en dedans, en dehors ? Nulle voie, nulle place qui soit hors de toi, il n’existe pas d’autres êtres, tout est en toi, tout vient de toi, tu donnes tout et tu ne reçois rien : car tu possèdes tout et il n’y a rien qui ne t’appartienne.
Quand te louerai-je, ô père ? car on ne peut saisir ni ton temps ni ton heure. Pour quoi te louerai-je ? pour ce que tu as créé, ou pour ce que tu n’as pas créé ? pour ce que tu révèles ou pour ce que tu caches ? Comment te louerai-je ? comme m’appartenant et ayant quelque chose en propre, ou comme étant un autre ? car tu es tout ce que je puis être, tu es tout ce que je puis faire, tu es tout ce que je puis dire, car tu es tout et il n’est rien que tu ne sois ! Tu es tout ce qui est né et tout ce qui n’est pas né, l’intelligence pensée, le père créateur, le Dieu agissant, le bien et l’auteur de toutes choses. Ce qu’il y a de plus subtil dans la matière est l’air, dans l’air l’âme, dans l’âme l’intelligence, dans l’intelligence Dieu.
⟴VI
Quod in solo Deo bonum est : alibi verone quaquam ad Aesculapium, Le Bien est en Dieu seul et nulle part ailleurs
Le bien, ô Asclèpios, n’est nulle part ailleurs qu’en Dieu seul, ou plutôt, le bien est toujours Dieu lui-même. C’est donc une essence immuable, incréée, présente partout, ayant en elle-même une activité stable, parfaite, complète et inépuisable. L’unité est le principe de tout, le bien est la source de tout. Quand je dis le bien, j’entends ce qui est entièrement et toujours bon. Or, ce bien parfait ne se trouve qu’en Dieu seul, car il n’est rien qui lui manque et dont le désir puisse le rendre mauvais, il n’est rien qu’il puisse perdre et dont la perte puisse l’affliger ; la tristesse est une forme du mal. Il n’est rien de plus fort que lui et qui puisse le vaincre, il n’est rien d’égal à lui et qui puisse lui nuire ou lui inspirer un désir. Il n’est rien qui puisse, en lui désobéissant, exciter sa colère, ni rien de plus sage qu’il puisse envier. Tout cela étant étranger à son essence, il ne lui reste que le bien, et comme dans cette essence il n’y a rien de mauvais, le bien ne peut se trouver dans aucun autre. La diversité existe dans tous les êtres particuliers petits ou grands, et même dans le plus grand et le plus fort de tous les êtres vivants. Tout être créé est passible, la naissance même étant une passion. Or, où il y a passion, le bien n’existe pas ; et là où est le bien il n’y a pas de passion, de même que le jour n’est pas la nuit et que la nuit n’est pas le jour. Le bien ne peut donc exister dans la création, mais seulement dans l’incréé. La matière de toutes choses participe du bien comme de l’existence, c’est en ce sens que le monde est bon, puisqu’il produit toutes choses : il est bon en tant qu’il crée, en tout le reste il n’est pas bon, puisqu’il est passible, mobile, et qu’il produit des êtres passibles. Dans l’homme, lorsqu’il s’agit du bien, c’est par comparaison avec le mal ; ici-bas tout ce qui n’est pas trop mauvais est bon, et le bien n’est que le moindre mal. Mais le bien ne peut être entièrement pur de mal ici-bas ; il s’altère par le mélange du mal, et alors il cesse d’être le bien et devient le mal. Le bien n’existe donc qu’en Dieu seul, ou Dieu est le bien. Parmi les hommes, ô Asclèpios, le bien n’existe que de nom, nullement de fait. Le bien est incompatible avec un corps matériel, enveloppé de tous côtés par les maux, par les douleurs, par les désirs, par les colères, par les erreurs, par les opinions fausses. Mais le pire de tout, ô Asclèpios, c’est qu’on regarde ici-bas comme des biens chacun des maux qu’il faudrait éviter, les excès du ventre, l’erreur qui entraîne tous les maux et qui nous éloigne du bien. Pour moi, je rends grâces à Dieu, qui a mis dans mon intelligence la connaissance du bien, puisque le bien lui-même ne peut exister dans le monde ; car le monde est la plénitude du mal, Dieu est la plénitude du bien, ou le bien la plénitude de Dieu. Le beau rayonne autour de l’essence, c’est même là peut-être qu’elle apparaît sous sa forme la plus transparente et la plus pure. Ne craignons pas de le dire, ô Asclèpios, l’essence de Dieu, si toutefois Dieu a une essence, c’est la beauté. Le beau et le bien ne peuvent se trouver dans le monde : tous les objets visibles ne sont que des images et comme des silhouettes. C’est au delà de ce qui tombe sous les sens qu’il faut chercher le beau et le bien, et l’œil ne peut les voir parce qu’il ne peut voir Dieu : ils en sont les parties intégrantes, les caractères propres, inséparables et très désirables, qu’il aime ou dont il est aimé. Si tu peux comprendre Dieu, tu comprendras le beau et le bien, le pur rayonnement de Dieu, l’incomparable beauté, le bien sans égal, comme Dieu lui-même. Autant tu comprends Dieu, autant tu comprends le beau et le bien : ils ne peuvent être communiqués aux autres êtres, parce qu’ils ne peuvent être séparés de Dieu. Quand tu cherches Dieu, tu cherches la beauté. La seule route qui y conduise est la piété unie à la Gnose. Les ignorants, ceux qui ne marchent pas dans la voie de la piété, osent appeler l’homme beau et bon, lui qui n’a pas vu, même en rêve, ce que c’est que le bien, lui que le mal enveloppe de toutes parts, qui regarde le mal comme un bien, s’en nourrit sans se rassasier, en redoute la perte et s’efforce non seulement de le conserver, mais de l’augmenter. Ces choses que les hommes trouvent bonnes et belles, ô Asclèpios, nous ne pouvons ni les éviter, ni les haïr, car ce qu’il y a de plus dur, c’est que nous en avons besoin et que nous ne pouvons vivre sans elles.
⟴VII
Quod summu malu hominibus ignorare deum, Le Plus grand mal pour les Hommes est l’ignorance de Dieu
Où courez-vous, hommes ivres ? Vous avez bu le vin de l’ignorance, et vous ne pouvez pas le supporter, vous le rejetez déjà. Devenez sobres et ouvrez les yeux de votre cœur, sinon tous, du moins ceux qui le peuvent. Car le fléau de l’ignorance inonde toute la terre, corrompt l’âme enfermée dans le corps et l’empêche d’entrer dans le port du salut. Ne vous laissez pas emporter par le courant ; revenez, si vous le pouvez, au port du salut ! Cherchez un pilote pour vous conduire vers les portes de la Gnose, où brille l’éclatante lumière, pure de ténèbres, où nul ne s’enivre, où tous sont sobres et tournent les yeux du cœur vers celui qui veut être contemplé, l’inouï, l’ineffable, invisible aux yeux, visible à l’intelligence et au cœur.
Avant tout, il faut déchirer cette robe que tu portes, ce vêtement d’ignorance, principe de la méchanceté, chaîne de corruption, enveloppe ténébreuse, mort vivante, cadavre sensible, tombeau que tu portes avec toi, voleur domestique, ennemi dans l’amour, jaloux dans la haine. Tel est le vêtement ennemi dont tu es revêtu : il t’attire en bas vers lui, de peur que le spectacle de la vérité et du bien ne te fasse haïr sa méchanceté, découvrir les embûches qu’il te dresse, obscurcissant pour toi ce qui nous semble clair, t’étouffant sous la matière, t’enivrant d’infâmes voluptés, afin que tu ne puisses entendre ce que tu dois entendre, voir ce que tu dois voir.
⟴VIII
De anima & corpore o fili dicedum, Rien ne se perd et c’est par erreur que les changements sont appelés mort et destruction
Parlons maintenant, mon fils, de l’âme et du corps, de l’immortalité de l’âme, de la constitution du corps et de sa décomposition. Car la mort n’existe pas ; le mot mortel est vide de sens, ou n’est autre chose que le mot immortel ayant perdu sa première syllabe. La mort serait la destruction, et rien ne se détruit dans le monde. Si le Monde est le second Dieu, un animal immortel, aucune partie d’un être vivant et immortel ne peut mourir. Or, tout fait partie du monde, surtout l’homme, qui est l’animal raisonnable. Le premier des êtres est l’éternel, l’incréé, le Dieu créateur de toutes choses. Le second est fait à son image : c’est le Monde qu’il a engendré, qu’il conserve et qu’il nourrit : il a reçu l’immortalité de son père, il est donc toujours vivant : L’immortalité diffère de l’éternité : l’éternel n’a pas été engendré par un autre : il s’est produit lui-même, ou plutôt il se crée éternellement. Qui dit éternel dit universel. Le père est éternel par lui-même, le monde a reçu du père la vie perpétuelle et l’immortalité.
De toute la matière qu’il avait sous sa puissance, le père fît le corps de l’univers, lui donna une forme sphérique, en fixa les attributs et le rendit immortel et éternellement matériel. Possédant la plénitude des formes, le père répandit les attributs dans la sphère et les y enferma comme dans un antre, voulant orner sa création de toutes les qualités. Il entoura d’immortalité le corps de l’univers, de peur que la matière, voulant se dissoudre, ne rentrât dans le désordre qui lui est naturel. Car lorsque elle était incorporelle, la matière était désordonnée. Elle en conserve même ici-bas une faible trace dans la faculté d’augmentation et dans celle de diminution que les hommes nomment la mort. Ce désordre ne se produit que dans les animaux terrestres ; les corps célestes gardent l’ordre unique qu’ils ont reçu du père dès le principe et qui se conserve indissoluble par la restitution de chacun d’eux. La restitution maintient les corps terrestres, leur dissolution les restitue aux corps indissolubles, c’est-à-dire immortels, et ainsi il y a privation de sensation et non destruction des corps.
Le troisième animal est l’homme, fait à l’image du monde : par la volonté du père, il possède, de plus que les autres animaux terrestres, l’intelligence : il est en rapport par la sensation avec le second Dieu, par la pensée avec le premier, il perçoit l’un comme corporel, l’autre comme l’être incorporel, l’intelligence et le bien.
TAT.
Cet animal ne meurt donc pas ?
HERMÈS.
Parle bien, mon fils, et comprends ce que c’est que Dieu, le monde, l’animal immortel, l’animal sujet à la dissolution. Comprends que le monde vient de Dieu et est en Dieu, que l’homme vient du monde et est dans le monde. Le principe, la perfection et la permanence de toutes choses est Dieu.
⟴IX
Eri o Aesculapi perfecta edidi oratione in praesentiar aute necessariu esse arbitror, De la pensée et de la sensation le beau et le bien sont en dieu seul et nulle part ailleurs
Hier, ô Asclèpios, j’ai donné un discours d’initiation. Maintenant je crois nécessaire de le faire suivre d’un autre, et de parler de la sensation. Il paraît exister entre la sensation et la pensée cette différence que l’une est matérielle, l’autre essentielle. Chez les autres animaux la sensation, chez l’homme la pensée est unie à la nature. La pensée diffère de l’intelligence comme la divinité diffère de Dieu : la divinité naît de Dieu, la pensée naît de l’intelligence ; elle est sœur de la parole et l’une sert d’instrument à l’autre. Toute parole exprime une pensée et toute pensée se manifeste par la parole. La sensation et la pensée ont donc dans l’homme une influence réciproque et sont indissolublement unies. Il n’y a pas de pensée possible sans la sensation, ni de sensation sans la pensée. On peut cependant supposer une pensée sans sensation, comme les images fantastiques qu’on voit en songe : mais il me semble que les deux actions se produisent dans le rêve, et que la sensation excitée passe du sommeil à l’état de veille. L’homme se compose d’un corps et d’une âme. Quand les deux parties de la sensation sont d’accord, alors s’exprime la pensée conçue par l’intelligence. Car l’intelligence conçoit toutes les pensées, les bonnes lorsque elle est fécondée par Dieu, les autres sous quelque influence démoniaque. Aucune partie du monde n’est vide de démons, je parle de démons séparés de Dieu : celui qui entre en nous y sème le germe de sa propre énergie, et l’intelligence, recevant ce germe, conçoit les adultères, les meurtres, les parricides, les sacrilèges, les impiétés, les oppressions, les renversements dans les précipices et toutes les autres œuvres des mauvais démons.
Les semences de Dieu, peu nombreuses, mais grandes, belles et bonnes, sont la vertu, la tempérance et la piété. La piété est la connaissance de Dieu, celui qui la possède est rempli de tous les biens : il conçoit des pensées divines et différentes de celles de la foule. C’est pourquoi ceux qui sont dans la Gnose ne plaisent pas à la foule et la foule ne leur plaît pas. On les croit insensés, on se moque d’eux, ils sont haïs et méprisés ; ils peuvent même être mis à mort ; car, nous l’avons dit, il faut que la méchanceté habite ici-bas, c’est sa place. La terre est son séjour, et non pas le monde, comme le diront quelques blasphémateurs. Mais l’homme pieux est au-dessus de tout par la possession de la Gnose. Tout est bon pour lui, même ce qui serait mauvais pour les autres. Ses méditations rapportent tout à la Gnose, et, chose merveilleuse, seul il change les maux en bien.
Je reviens à mon discours sur la sensation. L’union intime de la sensation et de la pensée est le caractère de l’homme. Tous les hommes, comme je l’ai dit, ne jouissent pas de l’intelligence ; les uns sont matériels, les autres essentiels. Les méchants sont matériels et reçoivent des démons la semence de leurs pensées ; ceux qui sont unis en essence avec le bien sont sauvés par Dieu. Dieu est le créateur de toutes choses et fait toutes ses créations semblables à lui, mais ces créations bonnes sont stériles dans l’action. Le mouvement du monde fait naître des productions diverses, les unes souillées par le mal, les autres purifiées par le bien. Le monde, ô Asclèpios, possède une sensation et une pensée, non pas semblable à celle de l’homme ni aussi variée, mais supérieure et plus simple. Le monde n’a qu’un sentiment, qu’une pensée : créer toutes choses et les faire rentrer en lui-même. Il est l’instrument de la volonté de Dieu, et son rôle est de recevoir les semences divines, de les conserver, de produire toutes choses, de les dissoudre et de les renouveler. Comme un bon laboureur de la vie, il renouvelle ses productions en les transformant, il engendre toute vie, il porte tous les êtres vivants, il est à la fois le lieu et l’ouvrier de la vie.
Les corps diffèrent quant à la matière : les uns sont formés de terre, les autres d’eau, d’autres d’air, d’autres de feu. Tous sont composés, mais les uns le sont davantage, les autres sont plus simples : les premiers sont plus lourds, les seconds plus légers. La rapidité du mouvement du monde produit la variété des genres ; sa respiration fréquente étend sur les corps des attributs multiples avec la plénitude uniforme de la vie. Dieu est le père du monde, le monde est le père de ce qui est en lui : le monde est le fils de Dieu, ce qui est dans le monde lui est soumis. C’est avec raison qu’on appelle le monde κόσμος, de κοσμέω, orner, car il orne tout et met tout en ordre par la variété des espèces, la vie inépuisable, l’activité constante, la nécessité du mouvement, la combinaison des éléments et l’ordre des créations. On doit donc l’appeler κόσμος, c’est le nom qui lui convient.
Dans tous les animaux, la sensation, la pensée vient du dehors, du milieu ambiant ; le monde l’a reçue une fois pour toutes à sa naissance, il la tient de Dieu. Dieu n’est pas privé de sentiment et de pensée, comme le croient quelques-uns : c’est un blasphème de la superstition. Tout ce qui existe, ô Asclèpios, est en Dieu, produit par lui et dépendant de lui ; ce qui agit par les corps, ce qui meut par l’essence animée, ce qui vivifie par l’esprit, ce qui sert de réceptacle aux créations mortes, tout cela est en Dieu. Et je ne dis pas seulement qu’il contient tout, mais que véritablement il est tout. Il ne tire rien du dehors, il fait tout sortir de lui. Le sentiment, la pensée de Dieu, c’est le mouvement éternel de l’univers ; jamais en aucun temps il ne périra un être quelconque, c’est à-dire une partie de Dieu, car Dieu contient tous les êtres, rien n’est hors de lui et il n’est hors de rien.
Ces choses, ô Asclèpios, sont vraies pour qui les comprend : l’ignorant n’y croit pas, car l’intelligence est la foi ; ne pas croire c’est ne pas comprendre. Ma parole atteint la vérité, l’intelligence est grande, et peut, lorsqu’on lui montre la route, arriver à la vérité. Lorsqu’elle médite sur toutes choses, les trouvant d’accord avec les interprétations de la parole, elle croit et se repose dans cette foi bienheureuse. Ceux qui comprennent les paroles divines ont la foi, ceux qui ne comprennent pas sont incrédules. Voilà ce que j’avais à dire sur le sentiment et la pensée.
⟴X
Mercurii Trismegisti Clauis'ad Tatium, La Clé. Hermès Trismégiste à son fils Tat
Je t’ai adressé mon sermon d’hier, ô Asclèpios, il est juste d’adresser celui d’aujourd’hui à Tat, d’autant plus que c’est le résumé des généralités que je lui ai exposées. Dieu, le père et le bien, ô Tat, ont une même nature, ou plutôt une même énergie, car le mot de "nature" (φύσις), qui signifie aussi croissance, s’applique aux créations de la volonté de Dieu, changeantes ou permanentes, mobiles ou immuables, c’est-à-dire divines ou humaines ; il faut le comprendre ici.
L’énergie de Dieu est la volonté ; son essence est de vouloir que l’univers soit ; car Dieu, le père ou le bien n’est que l’existence de ce qui n’est pas encore. Cette existence des êtres, voilà Dieu, voilà le père, voilà le bien, ce n’est pas autre chose. Le monde ou le soleil, père de ce qui participe à l’être, n’est pas cependant pour les vivants la cause du bien et de la vie : son action est l’effet nécessaire de la volonté du bien, sans laquelle rien ne pourrait exister ni devenir. C’est le père qui est la cause de ses enfants, de leur naissance et de leur nourriture ; le bien agit par le moyen du soleil : le bien est le principe créateur. Aucun autre ne peut avoir ce caractère, de ne rien recevoir et de vouloir l’existence de toutes choses. Je ne dis pas de tout produire, ô Tat, car l’action créatrice est intermittente ; tantôt elle crée, tantôt elle ne crée pas ; elle varie en qualité et en quantité : tantôt elle produit telles et telles choses, tantôt leurs contraires. Mais Dieu est le père et le bien parce qu’il est l’existence universelle ; c’est ainsi qu’on peut le considérer. Voilà ce qu’il veut être et ce qu’il est ; il a son but en lui-même et il est le but de tout le reste. Le propre du bien est d’être connu : voilà le bien, ô TAT.
TAT.
Tu nous as conduits, ô père, à la contemplation du bien et du beau, et cette contemplation a presque sanctifié l’œil de mon intelligence, car elle n’est pas comme les rayons de feu du soleil qui éblouissent et font fermer les yeux ; au contraire, la contemplation du bien augmente d’autant plus la puissance du regard qu’on est plus capable de recevoir les flots de la splendeur idéale. C’est une clarté vive et pénétrante, inoffensive et pleine d’immortalité. Ceux qui peuvent s’en abreuver entrent souvent, en quittant le corps, dans la vision bienheureuse, comme nos ancêtres Ouranos et Kronos. Puissions-nous leur ressembler, ô père !
HERMÈS.
Souhaitons-le, mon fils. Mais maintenant cette vision est au-dessus de nos forces ; les yeux de notre intelligence ne peuvent pas encore contempler la beauté incorruptible et incompréhensible du bien. Tu la verras quand tu n’auras rien à dire d’elle ; car la Gnose, la contemplation, c’est le silence et le repos de toute sensation. Celui qui y est parvenu ne peut plus penser à autre chose, ni rien regarder, ni entendre parler de rien, pas même mouvoir son corps. Il n’y a plus pour lui de sensation corporelle ni de mouvement : la splendeur qui inonde toute sa pensée et toute son âme l’arrache aux liens du corps et le transforme tout entier dans l’essence de Dieu. L’âme humaine arrive à l’apothéose lorsque elle a contemplé la beauté du bien.
TAT.
Qu’entends-tu par l’apothéose, mon père ?
HERMÈS.
Toute âme partielle, mon fils, est sujette à des changements successifs.
TAT.
Que signifie partielle ?
HERMÈS.
N’as-tu pas appris, dans les généralités, que de l’âme unique de l’univers sortent toutes les âmes qui se répandent et sont distribuées dans toutes les parties du monde ? Ces âmes traversent de nombreux changements, soit heureux, soit contraires. Les âmes rampantes passent dans les êtres aquatiques, celles des animaux aquatiques dans ceux qui habitent la terre, celles des animaux terrestres dans les volatiles, les âmes aériennes dans les hommes ; les âmes humaines parviennent à l’immortalité en devenant des démons. Ensuite elles entrent dans le chœur des Dieux immobiles ; car il y a deux chœurs de Dieux, les uns errants, les autres fixes ; celui-ci est le dernier degré de l’initiation glorieuse de l’âme. Mais quand l’âme, après être entrée dans un corps humain, reste mauvaise, elle ne goûte pas l’immortalité et ne participe pas au bien. Elle retourne en arrière et redescend vers les reptiles. Telle est la punition de l’âme mauvaise, et le mal de l’âme c’est l’ignorance. L’âme aveuglée, ne connaissant rien des êtres, ni leur nature, ni le bien, est enveloppée dans les passions corporelles. La malheureuse, se méconnaissant elle-même, est asservie à des corps étrangers et abjects : elle porte le fardeau du corps ; au lieu de commander, elle obéit. Voilà le mal de l’âme. Au contraire, la vertu de l’âme, c’est la Gnose ; car celui qui connaît est bon, pieux et déjà divin.
TAT.
Quel est-il, ô père ?
HERMÈS.
Celui qui ne prononce ni n’écoute beaucoup de paroles ; passer son temps à discuter, mon fils, c’est lutter contre les ombres, car Dieu, le père, le bien, n’est ni parlé, ni entendu. Les êtres ont des sensations parce qu’ils ne peuvent exister sans elles ; mais la connaissance (Gnose) diffère beaucoup de la sensation. Celle-ci est une influence qu’on subit, la connaissance est la fin de la science, et la science est un don de Dieu. Car toute science est incorporelle et emploie pour instrument l’intelligence, comme l’intelligence emploie le corps. Ainsi l’une et l’autre se servent d’un corps, soit intellectuel, soit matériel ; car tout doit résulter de l’opposition des contraires, et il ne peut en être autrement.
TAT.
Quel est donc ce Dieu matériel ?
HERMÈS.
Le monde, qui est beau mais non pas bon, car il est matériel et passible. Il est le premier des passibles, mais le second des êtres, et ne se suffit pas à lui-même. Il est né, quoiqu’il soit toujours, mais il est dans la naissance, et il devient perpétuellement. Le devenir est un changement en qualité et en quantité ; tout mouvement matériel est une naissance. L’intelligence met la matière en mouvement et voici comment : le monde est une sphère, c’est-à-dire une tête ; au dessus de la tête rien n’est matériel, comme au-dessous des pieds rien n’est intellectuel, tout est matière. L’intelligence est sphérique, comme la tête. Tout ce qui touche à la membrane de cette tête où est placée l’âme est immortel, comme ayant un corps enveloppé d’âme et plus d’âme que de corps. Mais ce qui est loin de cette membrane, là où tout a plus de corps que d’âme, est mortel. L’univers est un animal composé de matière et d’intelligence. Le monde est le premier des vivants (animaux), l’homme est le second après le monde, et le premier des mortels : comme les autres animaux, il est animé, non seulement il n’est pas bon, mais il est mauvais, comme étant mortel. Le monde n’est pas bon, puisqu’il est mobile ; mais, étant immortel, il n’est pas mauvais. L’homme, à la fois mobile et mortel, est mauvais.
Voici comment est constituée l’âme de l’homme : l’intelligence est dans la raison, la raison dans l’âme, l’âme dans l’esprit, l’esprit dans le corps. L’esprit, pénétrant par les veines, les artères et le sang, fait mouvoir l’animal et le porte pour ainsi dire. Aussi quelques-uns ont-ils cru que le sang était l’âme ; c’est mal connaître la nature ; il faut savoir que l’esprit doit d’abord retourner dans l’âme, et qu’alors le sang se coagule, les veines et les artères se vident et l’animal périt. Telle est la mort du corps : tout dépend d’un seul principe et ce principe sort de l’unité ; il est mis en mouvement, puis redevient principe, mais l’unité est fixe et immuable. Il y a donc trois choses à considérer : d’abord Dieu, le père, le bien, puis le monde, et enfin l’homme. Dieu contient le monde, le monde contient l’homme. Le monde est le fils de Dieu, l’homme est comme le rejeton du monde. Dieu n’ignore pas l’homme, il le connaît au contraire et veut être connu de lui. Le seul salut de l’homme est la connaissance de Dieu ; c’est la voie de l’ascension vers l’Olympe ; c’est par là seulement que l’âme devient bonne, non pas tantôt bonne, tantôt mauvaise, mais nécessairement bonne.
TAT.
Que veux-tu dire, ô Trismégiste ?
HERMÈS.
Contemple, mon fils, l’âme de l’enfant ; sa séparation n’est pas encore accomplie ; son corps est petit et n’a pas encore reçu un plein développement. Elle est belle à voir, non encore souillée par les passions du corps, encore presque attachée à l’âme du monde. Mais quand le corps s’est développé et la retient dans sa masse, la séparation s’accomplit, l’oubli se produit en elle, elle cesse de participer au beau et au bien. Cet oubli devient le vice. La même chose arrive à ceux qui sortent du corps. L’âme rentre en elle-même, l’esprit se retire dans le sang, l’âme dans l’esprit. Mais l’intelligence, purifiée et affranchie de ses enveloppes, divine par sa nature, prend un corps de feu et parcourt l’espace, abandonnant l’âme au jugement et à la punition méritée.
TAT.
Que veux-tu dire, ô père ? L’intelligence se sépare de l’âme et l’âme de l’esprit, puisque tu as dit que l’âme était l’enveloppe de l’intelligence, et l’esprit l’enveloppe de l’âme.
HERMÈS.
Il faut, mon fils, que l’auditeur suive la pensée de celui qui parle et qu’il s’y associe ; l’oreille doit être plus fine que la voix. Ce système d’enveloppes existe dans le corps terrestre. L’intelligence toute nue ne pourrait s’établir dans un corps de terre, et ce corps passible ne pourrait contenir une telle immortalité ni porter une telle vertu. L’intelligence prend l’âme pour enveloppe ; l’âme, qui est divine elle-même, s’enveloppe d’esprit, et l’esprit se répand dans l’animal. Quand l’intelligence quitte le corps terrestre, elle prend aussitôt sa tunique de feu, qu’elle ne pouvait garder lorsque elle habitait ce corps de terre : car la terre ne supporte pas le feu dont une seule étincelle suffirait pour la brûler. C’est pour cela que l’eau entoure la terre et lui forme un rempart qui la protège contre la flamme du feu. Mais l’intelligence, la plus subtile des pensées divines, a pour corps le plus subtil des éléments, le feu. Elle le prend pour instrument de son action créatrice. L’intelligence universelle emploie tous les éléments, celle de l’homme seulement les éléments terrestres. Privée du feu, elle ne peut construire des œuvres divines, soumise qu’elle est aux conditions de l’humanité. Les âmes humaines, non pas toutes, mais les âmes pieuses, sont démoniaques et divines. Une fois séparée du corps, et après avoir soutenu la lutte de la piété, qui consiste à connaître Dieu et à ne nuire à personne, une telle âme devient toute intelligence. Mais l’âme impie reste dans son essence propre et se punit elle-même en cherchant pour y entrer un corps terrestre, un corps humain, car un autre corps ne peut recevoir une âme humaine, elle ne saurait tomber dans le corps d’un animal sans raison : une loi divine préserve l’âme humaine d’une telle injure.
TAT.
Comment donc est-elle punie, mon père ?
HERMÈS.
Y a-t-il un plus grand châtiment que l’impiété, mon fils ? Y a-t-il une flamme plus dévorante ? Quelle morsure peut déchirer le corps autant que l’impiété déchire l’âme ? Ne vois-tu pas ce que souffre l’âme impie, criant et hurlant : « Je brûle, je cuis ! que dire, que faire, malheureuse, au milieu des maux qui me dévorent ? infortunée, je ne vois rien, je n’entends rien ! » Voilà les cris de l’âme châtiée : mais elle n’entre pas dans le corps des bêtes, comme on le croit généralement et comme tu le crois peut-être toi-même, mon fils ; c’est là une grave erreur. Le châtiment de l’âme est tout autre. Quand l’intelligence est devenue démon, et que, d’après les ordres de Dieu, elle a pris un corps de feu, elle entre dans l’âme impie et la flagelle du fouet de ses péchés. L’âme impie se précipite alors dans les meurtres, les injures, les blasphèmes, les violences de toutes sortes et toutes les méchancetés humaines. Mais en entrant dans l’âme pieuse, l’intelligence la conduit à la lumière de la Gnose. Une telle âme n’est jamais rassasiée d’hymnes et de bénédictions pour tous les hommes ; toutes ses actions, toutes ses paroles sont des bienfaits ; elle est l’image de son père. Il faut donc rendre grâces à Dieu, mon fils, et lui demander une bonne intelligence.
L’âme change de condition en mieux, mais non en pire. Il y a une communion entre les âmes ; celles des Dieux communiquent avec celles des hommes, celles-ci avec celles des animaux. Les plus forts prennent soin des plus faibles, les Dieux des hommes, les hommes des animaux sans raison, et Dieu de tous, car il surpasse tout le reste et tout lui est inférieur. Le monde est soumis à Dieu, l’homme au monde, les animaux à l’homme, et Dieu est au-dessus de tout et embrasse tout. Les rayons de Dieu sont les énergies, les rayons du monde sont les créations, les rayons de l’homme sont les arts et les sciences. Les énergies agissent sur l’homme à travers le monde et par ses rayons créateurs : les créations agissent par les éléments, l’homme par les arts et les sciences. Telle est l’économie universelle, conséquence de l’unité, dont l’intelligence pénètre toutes choses. Car rien n’est plus divin et plus puissant que l’intelligence. Elle unit les Dieux aux hommes et les hommes aux Dieux. C’est elle qui est le bon démon ; l’âme bienheureuse en est remplie, l’âme malheureuse en est vide.
TAT.
Que veux-tu dire, mon père ?
HERMÈS.
Tu crois donc, mon fils, que toute âme a une bonne intelligence ? Car c’est de celle-là que je parle, et non de celle qui est au service de l’âme et qui sert d’instrument à la justice. L’âme sans intelligence ne pourrait ni parler, ni agir. Souvent l’intelligence quitte l’âme, et dans cet état, l’âme ne voit rien, n’entend rien, et ressemble à un animal sans raison. Tel est le pouvoir de l’intelligence. Mais elle ne soutient pas l’âme vicieuse et la laisse attachée au corps, qui l’entraîne en bas. Une telle âme, mon fils, n’a pas d’intelligence, et dans cette condition, un homme ne peut plus s’appeler un homme. Car l’homme est un animal divin qui doit être comparé, non aux autres animaux terrestres, mais à ceux du ciel qu’on nomme les Dieux. Ou plutôt, ne craignons pas de dire la vérité, l’homme véritable est au-dessus d’eux ou tout au moins leur égal. Car aucun des Dieux célestes ne quitte sa sphère pour venir sur la terre, tandis que l’homme monte dans le ciel et le mesure. Il sait ce qu’il y a en haut, ce qu’il y a en bas ; il connaît tout avec exactitude, et, ce qui vaut mieux, c’est qu’il n’a pas besoin de quitter la terre pour s’élever. Telle est la grandeur de sa condition. Ainsi, osons dire que l’homme est un Dieu mortel et qu’un Dieu céleste est un homme immortel.
Ainsi, toutes les choses sont gouvernées par le monde et par l’homme, et au-dessus de tout est l’Un.
⟴XI
Mens ad Mercurium, L’Intelligence à Hermès
L’INTELLIGENCE.
Mets fin à tes discours, Trismégiste Hermès, et rappelle-toi ce qui a été dit. Je ne tarderai pas à m’expliquer.
HERMÈS.
Les opinions sur l’univers et sur Dieu sont nombreuses et différentes, et je ne connais pas la vérité. Éclaire-moi, ô maître, car je n’en croirai que ta révélation.
L’INTELLIGENCE.
Apprends, mon fils, ce que c’est que Dieu et l’univers. Dieu, l’éternité, le monde, le temps, la génération, le devenir ; Dieu fait l’éternité, l’éternité fait le monde, le monde fait le temps, le temps fait la génération. Dieu a pour essence, en quelque sorte, le bien, le beau, le bonheur, la sagesse. L’essence de l’éternité est l’identité, celle du monde est l’ordre, celle du temps est le changement, celle de la génération est la vie et la mort. Les énergies de Dieu sont l’intelligence et l’âme, celles de l’éternité la permanence et l’immortalité, celles du monde la composition et la décomposition, celles du temps l’augmentation et la diminution, celle de la génération est la qualité. L’éternité est en Dieu, le monde dans l’éternité, le temps dans le monde, la génération dans le temps. L’éternité se tient fixe en Dieu, le monde se meut dans l’éternité, le temps s’accomplit dans le monde, la génération se produit dans le temps. La puissance de Dieu est l’éternité, l’œuvre de l’éternité est le monde, qui n’a pas été produit une fois, mais qui est toujours produit par l’éternité. Aussi ne périra-t-il jamais, car l’éternité est impérissable, et rien ne se perd dans le monde, parce que le monde est enveloppé par l’éternité.
HERMÈS.
Et la sagesse de Dieu, quelle est-elle ?
L’INTELLIGENCE.
Le bien, le beau, le bonheur, toute vertu et l’éternité. En pénétrant la matière, l’éternité lui donne l’immortalité et la permanence, car sa génération dépend de l’éternité, comme l’éternité dépend de Dieu. La génération et le temps sont de deux natures différentes dans le ciel et sur la terre, immuables et incorruptibles dans le ciel, mobiles et périssables sur la terre. L’âme de l’éternité est Dieu, l’âme du monde est l’éternité, l’âme de la terre est le ciel. Dieu est dans l’intelligence, l’intelligence dans l’âme, l’âme dans la matière, et tout cela à travers l’éternité. L’âme remplit ce corps universel qui contient tous les corps ; l’intelligence et Dieu remplissent l’âme. Remplissant l’intérieur, enveloppant l’extérieur, l’âme vivifie l’univers : au dehors, ce grand et parfait animal, le monde ; au dedans, tous les êtres vivants. Là-haut, dans le ciel, elle demeure dans l’identité ; ici-bas, sur la terre, elle transforme la génération. L’éternité soutient le monde par la nécessité, par la providence, par la nature ; peu importe l’explication qu’on en peut donner. Dieu agit dans tout l’univers. Son énergie est une puissance souveraine à laquelle rien d’humain ou de divin ne peut se comparer. Ne crois donc pas, Hermès, que rien, ni en bas, ni en haut, soit semblable à Dieu ; tu serais hors de la vérité. Rien ne ressemble au dissemblable, au seul, à l’unique. Et ne crois pas qu’un autre partage sa puissance. À quel autre attribuer la vie, l’immortalité, le changement de qualité ? Que ferait-il autre chose ? Car Dieu n’est pas oisif, autrement tout serait en repos, puisque Dieu remplit tout. L’inertie n’existe ni dans le monde, ni nulle part, ni dans le créateur, ni dans la création : c’est un mot vide. Il faut que toutes choses deviennent, et toujours et partout. Car le créateur est dans tout, il n’a pas de résidence particulière ; il ne crée pas une chose ou l’autre, mais toutes ; sa puissance créatrice ne demeure pas dans les êtres qu’il crée, ils restent sous sa dépendance.
Contemple par moi le monde qui s’offre à tes regards, considère avec soin sa beauté, son corps impérissable, plus ancien que tout, sa vigueur toujours rajeunie et toujours croissante. Regarde aussi les sept mondes disposés dans un ordre éternel, poursuivant éternellement leurs courses différentes. La lumière partout, le feu nulle part, car de la concorde et de la combinaison des contraires et des dissemblables est née la lumière allumée par l’énergie du Dieu générateur de tout bien, chef de tout ordre, conducteur des sept mondes. La lune, qui leur sert d’avant-garde, instrument de la naissance, transformant la matière inférieure. La terre, centre immobile de ce monde magnifique, nourrice et aliment de tout ce qu’elle porte. Contemple la multitude des êtres vivants, mortels et immortels, et la lune qui marque la limite entre les uns et les autres ; et l’âme qui remplit tout, qui met tout en mouvement dans le ciel et sur la terre, sans pousser la gauche sur la droite, ni la droite sur la gauche, ni le haut sur le bas, ni le bas sur le haut.
Que tout cela ait été engendré, ô mon cher Hermès, je n’ai pas besoin de te le dire : car ce sont des corps, ils ont une âme, ils sont en mouvement. Pour concourir à l’unité, il leur faut un guide. Il existe donc, et il est absolument unique : car les mouvements sont différents et multiples, les corps sont dissemblables, et pourtant la vitesse totale est une : il ne peut donc y avoir deux ou plusieurs créateurs, car plusieurs ne maintiendraient pas l’unité d’ordre. Il y aurait jalousie et lutte entre le plus faible et le plus fort. Et si l’un des deux était créateur des êtres changeants et mortels, il voudrait créer des êtres immortels, et réciproquement. Suppose qu’ils soient deux : la matière est une, l’âme est une, qui dirigera la création ? S’ils possèdent quelque chose à deux, qui en aura la plus grande part ? Comprends donc que tout corps vivant est composé d’âme et de matière, qu’il soit immortel, mortel ou privé de raison. Tous les corps vivants sont animés, ceux qui ne vivent pas ne sont que matière. De même l’âme seule, entre les mains du créateur, est cause de la vie. Le principe de toute vie produit des êtres immortels.
Comment donc les animaux mortels différent les uns des autres ? Comment l’être immortel, qui fait l’immortalité, ne ferait-il pas les animaux ?
Il y a donc évidemment un créateur, et il est très clair qu’il est un, car l’âme est une, la matière est une, la vie est une, la matière est une. Et qui peut-il être, si ce n’est le Dieu unique ? Quel autre pourrait créer les êtres animés, sinon Dieu seul ? Quoi ! Lorsqu’il n’y a qu’un monde, un soleil, une lune, une divinité, tu voudrais que Dieu fût multiple ! N’est-ce donc pas le même qui agit de plusieurs manières ? Quoi d’étonnant que Dieu fasse la vie, l’âme, l’immortalité, le changement, quand toi-même tu fais tant d’actions différentes ? Car tu vois, tu parles, tu entends, tu perçois les odeurs, les saveurs, tu touches les objets, tu marches, tu penses, tu respires. Et il n’y a pas un être qui voit, un autre qui parle, un autre qui touche, un autre qui flaire, un autre qui marche, un autre qui pense et un autre qui respire ; c’est le même qui fait tout cela. Si quelqu’une de ces fonctions se reposait, l’animal vivant ne serait plus ; de même, si Dieu se reposait de ses fonctions divines, ce qui ne peut se supposer, il ne serait plus Dieu. Car s’il est démontré que rien ne peut être inerte et oisif, à plus forte raison Dieu. Si on pouvait supposer quelque chose qu’il ne fît pas, il serait incomplet. Mais il n’est pas oisif, il est complet, donc il fait tout.
Prête-moi encore ton attention, Hermès, tu comprendras mieux que l’œuvre de Dieu est une, c’est de faire naître ce qui naît, ce qui est né et ce qui naîtra. Cette œuvre, ô mon cher, c’est la vie, c’est le beau, c’est le bien, c’est Dieu. Si tu veux comprendre par un exemple, vois ce qui t’arrive quand tu veux engendrer ; sauf une différence, c’est qu’il n’y a pas pour lui de plaisir, car personne n’est associé à son œuvre : il est à la fois le créateur et la création. S’il se séparait de son œuvre, tout s’écroulerait, tout périrait fatalement, car la vie se serait retirée. Mais si tout est vivant, et si la vie est une, Dieu est donc un. Et si tout est vivant, dans le ciel et sur la terre, si dans tout il y a une vie unique qui est Dieu, tout vient donc de Dieu.
La vie est l’union de l’intelligence et de l’âme ; la mort n’est pas la destruction de ce qui était uni, mais la rupture de l’unité. L’image de Dieu est l’éternité, de l’éternité le monde, du monde le soleil, du soleil l’homme. Les peuples appellent mort la transformation, parce que le corps se décompose et que la vie cesse d’être apparente. Mais, de la même manière, mon cher Hermès, tu peux entendre dire que le monde lui-même se transforme continuellement ; chaque jour quelque partie de lui disparaît sans que jamais il se décompose. Ces révolutions et ces disparitions sont les passions (les phases) du monde. La révolution est un retour, la disparition un renouvellement. Le monde a toutes les formes ; elles ne sont pas hors de lui, il se transforme en elles. Mais si le monde a toutes les formes, que sera son créateur ? Il ne peut être sans forme, et si lui-même les a toutes, il sera semblable au monde. S’il a une seule forme, il sera en cela inférieur au monde. Que dirons-nous donc de lui, pour ne rien dire d’imparfait ? Car on ne peut rien penser d’incomplet sur Dieu. Il a une seule forme, qui lui est propre, qui ne se montre pas aux yeux du corps et qui les manifeste toutes par les corps. Et ne t’étonne pas qu’il y ait une forme incorporelle. Il en est ainsi de la forme d’un discours ou des marges d’un manuscrit, qui dépassent les lignes et sont lisses et égales.
Réfléchis sur une parole plus hardie et plus vraie : de même que l’homme ne peut vivre sans la vie, ainsi Dieu ne peut vivre sans faire le bien. La vie et le mouvement de Dieu c’est de faire mouvoir et de faire vivre. Quelques paroles ont un sens particulier ; ainsi, réfléchis à ce que je te dis : Tout est en Dieu, non comme ce qui est placé dans un lieu, car le lieu est corporel et immobile, et les choses qui sont en place n’ont pas de mouvement, Il en est dans l’incorporel autrement que dans l’apparence. Songe qu’il enveloppe tout, songe que rien n’est plus rapide, plus vaste, plus fort que l’incorporel ; il dépasse tout en capacité, en vitesse, en puissance. Réfléchis d’après toi-même ; ordonne à ton âme d’aller en Inde, et elle y est plus vite que ton ordre ; ordonne-lui d’aller vers l’Océan, et elle y sera aussitôt, non en passant d’un lieu à un autre, mais instantanément. Ordonne-lui de monter dans le ciel et elle n’aura pas besoin d’avoir des ailes ; rien ne l’arrêtera, ni le feu du soleil, ni l’éther, ni le tourbillon, ni les corps des astres ; elle traversera tout et volera jusqu’au dernier corps. Veux-tu franchir cette limite et contempler ce qui est hors du monde, s’il y a quelque chose, tu le peux. Vois quelle puissance, quelle vitesse tu possèdes. Et ce que tu peux, Dieu ne le pourrait pas ?
Conçois Dieu comme ayant en lui-même toutes ses pensées, le monde tout entier. Si tu ne peux t’égaler à Dieu, tu ne peux le comprendre. Le semblable comprend le semblable. Augmente-toi d’une grandeur immense, dépasse tous les corps, traverse tous les temps, deviens l’éternité et tu comprendras Dieu. Rien ne t’empêche de te supposer immortel et connaissant tout, les arts, les sciences, les mœurs de tous les animaux. Élève-toi au-dessus de toute hauteur, descends au-dessous de toute profondeur ; rassemble en toi toutes les sensations des choses créées, de l’eau, du feu, du sec, de l’humide. Suppose que tu es à la fois partout, sur la terre, dans la mer, dans le ciel : que tu n’es jamais né, que tu es encore embryon, que tu es jeune, vieux, mort, au-delà de la mort. Comprends tout à la fois : les temps, les lieux, les choses, les qualités, les quantités, et tu comprendras Dieu. Mais si tu enfermes ton âme dans le corps, si tu l’abaisses et si tu dis : Je ne comprends rien, je ne puis rien, je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je serai, qu’as-tu de commun avec Dieu ? Si tu es mauvais et attaché au corps, que peux-tu comprendre des bonnes et belles choses ? La perfection du mal c’est de méconnaître le divin : mais pouvoir le connaître, et le vouloir, et l’espérer, c’est le moyen d’arriver au bien par une route directe, unie et facile. En la suivant tu le rencontreras partout, tu le verras partout, dans le lieu et à l’heure où tu t’y attends le moins, dans la veille, dans le sommeil, en mer, en voyage, la nuit, le jour, en parlant, en gardant le silence. Car il n’est rien qui ne soit l’image de Dieu.
HERMÈS.
Dieu est-il invisible ?
L’INTELLIGENCE.
Ne dis pas cela : qui est plus apparent que lui ? S’il a tout créé, c’est pour que tu puisses le voir à travers toutes choses. C’est là le bien de Dieu, c’est là sa vertu, d’apparaître dans tout. Rien n’est invisible même parmi les incorporels. L’intelligence se voit dans la pensée, Dieu dans la création.
Voilà ce que j’avais à te révéler, ô Trismégiste ; quant au reste, réfléchis-y en toi-même, tu ne t’égareras pas.
⟴XII
Mercurii ad tatium de comuni, De l’Intelligence commune. Hermès Trismégiste à son fils Tat
L’intelligence, ô Tat, appartient à l’essence même de Dieu, si toutefois Dieu a une essence, ce que lui seul peut savoir exactement. L’intelligence n’est donc pas séparée de la nature de Dieu, elle lui est unie comme au soleil sa lumière. Cette intelligence est le Dieu qui est en nous, c’est par elle que certains hommes sont des Dieux et que leur humanité est voisine de la divinité. Le bon démon dit, en effet, que les Dieux sont des hommes immortels et que les hommes sont des Dieux mortels. Dans les animaux sans raison l’intelligence est la nature : car où il y a âme il y a intelligence, de même que là où est la vie, là aussi est une âme. Mais dans les animaux sans raison, l’âme est une vie privée d’intelligence. L’intelligence est le guide bienfaisant des âmes humaines, elle les conduit vers leur bien. Chez les animaux elle agit dans le sens de leur nature, chez l’homme en sens contraire. Car dès que l’âme est entrée dans un corps, elle est vivifiée par la douleur et le plaisir, qui sont comme des effluves émanés du corps et où l’âme descend et se plonge. L’intelligence, découvrant sa splendeur aux âmes qu’elle gouverne, lutte contre leurs tendances, de même qu’un bon médecin emploie le feu et le fer pour combattre les maladies du corps et y ramener la santé. C’est ainsi que l’intelligence afflige l’âme en l’arrachant au plaisir qui est la source de toutes ses maladies. La grande maladie de l’âme c’est l’éloignement de Dieu ; c’est l’erreur qui entraîne tous les maux sans aucun bien. L’intelligence la combat et ramène l’âme au bien, comme le médecin rend la santé au corps. Les âmes humaines qui n’ont pas l’intelligence pour guide sont dans le même état que celles des animaux sans raison. L’intelligence les abandonne aux passions, qui les entraînent par l’appât du désir vers l’irrationnel, comme l’instinct irréfléchi des animaux. Leurs colères et leurs appétits, également aveugles, les poussent vers le mal sans qu’elles en soient jamais rassasiées. Contre ce débordement du mal Dieu a établi une digue, un châtiment, qui est la loi.
TAT.
Ceci, mon père, semble contredire ce que tu m’as dit précédemment au sujet de la destinée. Si tel ou tel est fatalement destiné à commettre un adultère, un sacrilège, ou quelque autre crime, pourquoi est-il puni, lorsqu’il a agi d’après une nécessité fatale ?
HERMÈS.
Tout est soumis à la destinée, mon fils, et dans les choses corporelles rien n’arrive en dehors d’elle, ni bien ni mal. Il est fatal que celui qui a mal fait soit puni, et il agit afin de subir la punition de son acte. Mais laissons la question du mal et de la destinée, que nous avons traitée ailleurs. Nous parlons maintenant de l’intelligence, de sa puissance, de ses effets, différents dans l’homme et dans les animaux sans raison, sur lesquels son action bienfaisante ne s’exerce pas, tandis que chez l’homme elle éteint les passions et les désirs. Mais parmi les hommes il faut distinguer les raisonnables de ceux qui sont sans raison. Tous les hommes sont soumis à la destinée, à la nature, au devenir et au changement, qui sont le principe et la fin de la destinée, et tous les hommes souffrent ce qui leur est destiné. Mais les raisonnables, qui sont, comme nous l’avons dit, guidés par l’intelligence, ne souffrent pas ce que souffrent les autres ; ils sont étrangers au mal, et, n’étant pas mauvais, ne souffrent pas de mal.
TAT.
Que veux-tu dire, ô père ?
HERMÈS.
L’adultère n’est-il pas mauvais, le meurtrier n’est-il pas mauvais ? Mais le sage, n’ayant pas commis d’adultère, souffrira, mais comme adultère : n’ayant pas tué, il souffrira, mais comme meurtrier. Il est impossible d’échapper aux conditions du changement comme à celle de la naissance, mais celui qui a l’intelligence peut éviter le vice. Aussi, mon fils, l’ai-je souvent entendu dire à un bon démon, et s’il avait écrit il aurait rendu un grand service aux hommes : car lui seul, mon fils, comme le Dieu premier né, savait tout et prononçait des paroles divines : je l’ai donc entendu dire que tout est un, et surtout les corps intelligibles : que nous vivons en puissance, en acte et en éternité : aussi la bonne intelligence de chacun ressemble à son âme. Cela étant ainsi, rien n’est séparé des intelligibles : ainsi l’intelligence, principe de toutes choses et âme de Dieu, peut faire tout ce qu’elle veut. Réfléchis donc et rapporte cette parole à la question que tu me posais au sujet de la fatalité de l’intelligence. Car, en mettant de côté les paroles qui prêtent à la discussion, tu trouveras, mon fils, que l’intelligence, âme de Dieu, domine vraiment toutes choses, la destinée, la loi et tout le reste. Rien ne lui est impossible, ni de placer l’âme au-dessus de la destinée, ni de la soumettre à la destinée en la rendant indifférente aux accidents. C’est ainsi que parlait ce bon démon.
TAT.
C’étaient des paroles divines, vraies et utiles : mais, encore une explication : Tu as dit que dans les animaux sans raison l’intelligence agissait conformément à la nature et dans le sens de leurs appétits. Mais les appétits des animaux sans raison sont, ce me semble, des passions ; l’intelligence est donc une passion, puisqu’elle se confond avec les passions ?
HERMÈS.
Bien, mon fils, ton objection est sérieuse et j’y dois répondre. Tout ce qu’il y a d’incorporel dans le corps est passif, et c’est là proprement ce qu’on nomme passion. Car tout moteur est incorporel et tout mobile est corporel. L’incorporel est mu par l’intelligence, et le mouvement est une passion. Le mobile, ce qui commande et ce qui obéit, sont donc également passifs. Mais en se séparant du corps, l’intelligence échappe à la passion. Ou plutôt, mon fils, il n’y a rien d’impassible, tout est passif. Mais la passion diffère du passif : l’une agit, l’autre subit. Les corps mêmes ont une énergie propre, qu’ils soient mobiles ou immobiles, c’est toujours une passion. Mais l’incorporel est toujours agité, et par conséquent passif. Ne te laisse donc pas troubler par les mots ; action ou passion c’est tout un, mais il n’y a pas de mal à se servir de l’expression la plus noble.
TAT.
Cette explication est très claire, mon père.
HERMÈS.
Remarque en outre, mon fils, que l’homme a reçu de Dieu, de plus que tous les animaux mortels, deux dons égaux à l’immortalité, savoir : l’intelligence et la raison : et outre cela, il possède la raison énonciative (le langage). S’il fait de ces dons un emploi convenable, il ne différera en rien des immortels ; sortant du corps, il s’élèvera, conduit par l’intelligence et la parole, vers le chœur des bienheureux et des Dieux.
TAT.
Les autres animaux n’ont donc pas l’usage de la parole, mon père ?
HERMÈS.
Non, mon fils, ils ont seulement la voix. La parole et la voix sont deux choses très différentes. La parole est commune à tous les hommes, la voix est différente dans chaque genre d’animaux.
TAT.
Mais, mon père, le langage diffère aussi chez les hommes d’une nation à l’autre.
HERMÈS.
Le langage est différent, mais l’homme est le même ; c’est pourquoi la raison parlée est une, et par la traduction on voit qu’elle est la même en Egypte, en Perse, en Grèce. Il me semble, mon fils, que tu méconnais la vertu et la grandeur de la parole. Le Dieu bienheureux, le bon démon, a dit que l’âme est dans le corps, l’intelligence dans l’âme, le verbe (raison parlée) dans l’intelligence, et que Dieu est le père de tout cela. Le verbe est donc l’image de l’intelligence, l’intelligence est l’image de Dieu, le corps est l’image de l’idée, et l’idée l’image de l’âme. La partie la plus subtile de la matière est l’air, de l’air l’âme, de l’âme l’intelligence, de l’intelligence Dieu. enveloppe et pénètre tout, l’intelligence enveloppe l’âme, l’âme enveloppe l’air, l’air enveloppe la matière. La nécessité, la providence et la nature sont les instruments du monde et de l’ordre matériel. Chacun des intelligibles est une essence, et leur essence est l’identité.
Chacun des corps qui composent l’univers est multiple ; car les corps composés ayant en eux l’identité et se transformant les uns dans les autres conservent l’identité intacte. Dans tous les autres corps composés est le nombre de chacun, car sans le nombre il ne peut y avoir ni composition, ni combinaison, ni dissolution. Les unités engendrent les nombres et l’augmentent, et, en se séparant, rentrent en elles-mêmes. La matière est une, et le monde tout entier, ce grand Dieu, image du Dieu suprême, uni à lui, gardien de l’ordre établi par la volonté du père, est la plénitude de la vie. Et il n’y a rien en lui, dans toute l’éternité de la constitution qu’il a reçue du père, il n’y a rien, ni dans l’ensemble ni dans aucune de ses parties, qui ne soit vivant. Rien de mort n’a été, n’est et ne sera dans le monde. Le père a voulu qu’il fût vivant tant qu’il durera. Il est donc nécessairement un Dieu, Comment dans un Dieu, dans l’image de l’univers, dans la plénitude de la vie, pourrait-il y avoir des choses mortes ? Un cadavre, c’est ce qui se corrompt, ce qui se détruit ; comment une partie de l’incorruptible pourrait-elle être corrompue, comment pourrait-il périr quelque chose de Dieu ?
TAT.
Les êtres vivants qui sont en lui et qui sont des parties de lui ne meurent donc pas, mon père ?
HERMÈS.
Ne dis pas cela, mon fils, c’est une expression fausse ; rien ne meurt, mais ce qui était composé se divise. Cette division n’est pas une mort, c’est l’analyse d’une combinaison : mais le but de cette analyse n’est pas la destruction, c’est le renouvellement. Quelle est en effet l’énergie de la vie ? n’est-ce pas le mouvement ? Et qu’y a-t-il d’immobile dans le monde ? Rien, mon fils.
TAT.
La terre même ne te paraît pas immobile, mon père ?
HERMÈS.
Non, mon fils, il y a en elle beaucoup de mouvements en même temps qu’elle est stable. Ne serait-il pas absurde de la supposer immobile, elle, la nourrice universelle, qui fait tout naître et tout grandir ? Il ne peut y avoir de production sans mouvement. C’est une question ridicule de demander si la quatrième partie du monde est inerte, car un corps immobile ne signifie rien autre chose que l’inertie. Sache donc, mon fils, que tout ce qui est dans le monde, sans exception, est le siège d’un mouvement, soit d’augmentation, soit de diminution. Or, tout ce qui se meut est vivant, et la vie universelle est une transformation nécessaire. Dans son ensemble, le monde ne change pas, mon fils, mais toutes ses parties se transforment. Rien ne se détruit ou ne se perd, mais il y a une confusion dans les mots ; ce n’est pas la naissance qui est la vie, c’est la sensation ; ce n’est pas le changement qui est la mort, c’est l’oubli. S’il en est ainsi, tout est immortel, la matière, la vie, l’intelligence, le souffle, l’âme, tout ce qui constitue l’être vivant. Tout animal est donc immortel par l’intelligence, et surtout l’homme qui est capable de recevoir Dieu et qui participe à son essence. Car il est le seul animal qui soit en communication avec Dieu, la nuit par les songes, le jour par les symboles (présages). Dieu lui annonce l’avenir par toutes sortes de voies, par les oiseaux, par les entrailles, par le souffle, par le chêne. L’homme peut donc dire qu’il connaît le passé, le présent et l’avenir.
Considère encore ceci, mon fils, que chacun des autres animaux ne vit que dans une partie du monde : les animaux aquatiques dans l’eau, les animaux terrestres sur la terre, les volatiles dans l’air ; tandis que l’homme use de tous les éléments : la terre, l’eau, l’air, le feu. Il voit même le ciel et le touche par cette sensation.
Dieu enveloppe tout et pénètre tout, car il est l’action et la puissance, et il n’y a rien de difficile à concevoir Dieu, mon fils. Mais si tu veux le contempler, mon fils, regarde l’ordre et la beauté du monde, la nécessité qui préside à ses manifestations, la providence qui règle ce qui a été et ce qui devient ; vois la vie remplissant la matière, et le mouvement de ce grand Dieu avec tous les autres Dieux bons et beaux, et avec les démons et les hommes.
TAT.
Mais ce sont de pures énergies, mon père ?
HERMÈS.
Si ce sont des énergies, qui les fait agir si ce n’est Dieu ? Ignores-tu que si le ciel, la terre, l’eau et l’air font partie du monde, de même la vie et l’immortalité font partie de Dieu, et l’énergie, et le souffle, et la nécessité, et la providence, et la nature, et l’âme, et l’intelligence, et la permanence de toutes ces choses qu’on nomme le bien ? Il n’y a rien dans ce qui est ou dans ce qui se produit où Dieu ne soit pas.
TAT.
Il est donc dans la matière, mon père ?
HERMÈS.
La matière, mon fils, est hors de Dieu, si tu veux lui attribuer un lieu spécial ; mais la matière qui n’est pas mise en œuvre est-elle autre chose qu’une masse confuse ? Et si elle est mise en œuvre n’est-ce pas par des énergies, et nous avons dit que les énergies sont des parties de Dieu. De qui les vivants reçoivent-ils la vie et les immortels l’immortalité ? Qui produit les transformations ? Que ce soit matière, corps ou essence, sache que ce sont là des énergies de Dieu, énergie matérielle dans la matière, énergie corporelle dans les corps, énergie essentielle dans l’essence. Tout cet ensemble est Dieu, et dans l’univers il n’est rien qui ne soit Dieu. Ainsi il n’y a ni grandeur, ni lien, ni qualité, ni forme, ni temps au-delà de Dieu, car il est tout, il pénètre tout, il enveloppe tout. Adore cette parole et prosterne-toi, mon fils, et rends à Dieu le seul culte qui lui convienne, qui est de n’être pas mauvais.
⟴XIII
Mercurii ad tatium filiu suum de generatione & ipositione filentii Tatius, De la Renaissance et de la règle du silence. Sermon secret sur la montagne
TAT.
Dans les discours généraux, mon père, tu as parlé par énigme sur la divinité, et tu n’as pas révélé le sens de tes paroles quand tu as dit que nul ne pouvait être sauvé sans renaître. Je m’adressai à toi en suppliant après les paroles que tu m’avais dites dans le passage de la montagne, désirant apprendre la parole de la renaissance, qui m’est plus inconnue que tout le reste, et tu m’as dit que tu me la transmettrais quand je serais devenu étranger au monde : je me préparai donc à rendre ma pensée étrangère à l’illusion du monde. Conduis-moi maintenant selon ta promesse à l’initiation dernière de la renaissance, soit par la voix, soit par un chemin caché. J’ignore, ô Trismégiste, de quelle matière, de quelle matrice, de quelle semence l’homme est né.
HERMÈS.
O mon fils, la sagesse idéale est dans le silence, et la semence est le véritable bien.
TAT.
Qui la sème, mon père, car j’ai besoin de tout apprendre ?
HERMÈS.
La volonté de Dieu, mon fils.
TAT.
Et d’où vient l’engendré, mon père ? Étant privé de l’essence intelligible qui est en moi, autre sera le Dieu engendré, le fils de Dieu.
HERMÈS.
Le tout dans le tout, composé de toutes les forces.
TAT.
C’est une énigme, mon père, et tu ne me parles pas comme un père parle à son fils.
HERMÈS.
Ce genre de vérité ne s’apprend pas, mon fils, on s’en souvient quand Dieu le veut.
TAT.
Tes paroles sont impossibles et arrachées par la force, mon père ; je veux te répondre à mon tour. Suis-je un étranger, le fils d’une autre race ? Ne me repousse pas, mon père, je suis ton véritable fils ; explique-moi le mode de la renaissance.
HERMÈS.
Que te dirais-je, mon fils ? Je n’ai rien à te dire que ceci : une vision ineffable s’est produite en moi. Par la miséricorde de Dieu, je suis sorti de moi-même, j’ai revêtu un corps immortel, je ne suis plus le même, je suis né en intelligence. Cela ne s’apprend pas par cet élément modelé à l’aide duquel on voit, et c’est pourquoi je ne m’inquiète plus de ma première forme composée, ni si je suis coloré, tangible et mesurable. Je suis étranger à tout cela. Tu me vois avec tes yeux et tu penses à un corps et à une forme visibles, ce n’est pas avec ces yeux-là que l’on me voit maintenant, mon fils.
TAT.
Tu me rends fou, tu me fais perdre la raison, mon père ; je ne me vois plus moi-même maintenant.
HERMÈS.
Puisses-tu, mon fils, sortir de toi-même sans dormir, comme on est en dormant transporté dans le rêve !
TAT.
Dis-moi encore ceci : quel est le générateur de la renaissance ?
HERMÈS.
Le fils de Dieu, l’homme un, par la volonté de Dieu.
TAT.
Maintenant, mon père, tu m’as rendu muet, je ne sais que penser, car je te vois toujours de la même grandeur et avec la même figure.
HERMÈS.
Tu te trompes même en cela, car les choses mortelles changent d’aspect tous les jours, le temps les augmente ou les diminue, elles ne sont que mensonge.
TAT.
Qu’est-ce donc qui est vrai, ô Trismégiste ?
HERMÈS.
Ce qui n’est pas troublé, mon fils, ce qui n’a ni limites, ni couleur, ni forme : l’immuable, le un, le lumineux ; ce qui se comprend soi-même ; l’inaltérable, le bien, l’incorporel.
TAT.
En vérité, je perds l’esprit, mon père. Il me semblait que tu m’avais rendu sage, et cette pensée annule mes sensations.
HERMÈS.
Il en est ainsi, mon fils ; les sens perçoivent ce qui s’élève comme le feu, ce qui descend comme la terre, coule comme l’eau, souffle comme l’air ; mais comment pourrais-tu saisir par les sens ce qui n’est ni solide, ni liquide, ni dur, ni mou, ce qui se conçoit seulement en puissance et en énergie. Pour comprendre la naissance en Dieu, il te faut l’intelligence seule.
TAT.
J’en suis donc incapable, mon père ?
HERMÈS.
Ne désespère pas, mon fils, ton désir s’accomplira, ta volonté aura son effet ; endors les sensations corporelles, et tu naîtras en Dieu ; purifie-toi des bourreaux aveugles de la matière.
TAT.
J’ai donc des bourreaux en moi, mon père ?
HERMÈS.
Ils ne sont pas en petit nombre, mon fils, ils sont redoutables et nombreux.
TAT.
Je ne les connais pas, mon père ?
HERMÈS.
Le premier est l’ignorance, le second est la tristesse, le troisième l’intempérance, le quatrième la concupiscence, le cinquième l’injustice, le sixième l’avarice, le septième l’erreur, le huitième l’envie, le neuvième la ruse, le dixième la colère, le onzième la témérité, le douzième la méchanceté. Ils sont douze et en ont sous leurs ordres un plus grand nombre encore. Par la prison des sens, ils soumettent l’homme intérieur aux passions des sens. Ils s’éloignent peu à peu de celui que Dieu a pris en pitié, et voilà en quoi consistent le mode et la raison de la renaissance. Et maintenant, mon fils, silence et louange à Dieu, sa miséricorde ne nous abandonnera pas. Réjouis-toi maintenant, mon fils, purifié par les puissances de Dieu dans l’articulation de la parole. La connaissance de Dieu (Gnose) est entrée en nous, et aussitôt l’ignorance a disparu. La connaissance de la joie nous arrive, et devant elle, mon fils, la tristesse fuira vers ceux qui peuvent encore l’éprouver. La puissance que j’évoque après la joie, c’est la tempérance ; ô charmante vertu ! Hâtons-nous de l’accueillir, mon fils, son arrivée chasse l’intempérance. En quatrième lieu j’évoque la continence, la force opposée à la concupiscence. Ce degré, mon fils, est le siège de la justice ; vois comme elle a chassé l’injustice sans combat. Nous sommes justifiés, mon fils, l’injustice est partie. J’évoque la sixième puissance, la communauté, qui vient en nous pour lutter contre l’avarice. Quand celle-ci est partie, j’évoque la vérité, l’erreur fuit et la réalité paraît. Vois, mon fils, la plénitude de bien qui suit l’apparition de la vérité ; car l’envie s’éloigne de nous, et par la vérité le bien nous arrive avec la vie et la lumière, et il ne reste plus en nous de bourreaux de ténèbres, tous se retirent vaincus. Tu connais, mon fils, la voie de la régénération. Quand la décade est complétée, mon fils, la naissance idéale est accomplie, le douzième bourreau est chassé et nous naissons à la contemplation. Celui qui obtient de la miséricorde divine la naissance en Dieu, est affranchi des sensations corporelles, reconnaît les éléments divins qui le composent et jouit d’un bonheur parfait.
TAT.
Fortifié par Dieu, mon père, je contemple, non par les yeux, mais par l’énergie intellectuelle des puissances. Je suis dans le ciel, sur la terre, dans l’eau, dans l’air ; je suis dans les animaux, dans les plantes, dans l’utérus, avant l’utérus, après l’utérus, partout. Mais, dis-moi encore ceci : comment les bourreaux des ténèbres, qui sont au nombre de douze, sont-ils chassés par les dix puissances ? Quel est le mode, ô Trismégiste ?
HERMÈS.
Cette tente que nous avons traversée, mon fils, est formée par le cercle zodiacal, qui se compose de signes au nombre de douze, d’une seule nature et de toutes sortes de formes. Il existe là des couples destinés à égarer l’homme et qui se confondent dans leur action. La témérité est inséparable de la colère, elles ne peuvent être distinguées. Il est donc naturel et conforme à la droite raison qu’elles disparaissent ensemble, chassées par les dix puissances, c’est-à-dire par la décade ; car la décade, mon fils, est génératrice de l’âme. La vie et la lumière sont unies là où naît l’unité de l’esprit. L’unité contient donc rationnellement la décade, et la décade contient l’unité.
TAT.
Mon père, je vois l’univers et moi-même dans l’intelligence.
HERMÈS.
Voilà la renaissance, mon fils, détourner sa pensée du corps aux trois dimensions, selon ce discours sur la renaissance, que j’ai commenté, afin que nous ne soyons pas des diables ennemis de l’univers pour la foule à qui Dieu ne veut pas le révéler.
TAT.
Dis-moi, mon père, ce corps composé de puissances se décompose-t-il jamais ?
HERMÈS.
Ne dis pas cela, mon fils, ne dis pas de choses impossibles, ce serait une erreur et une impiété de l’œil de ton intelligence. Le corps sensible de la nature est loin de la génération essentielle. L’un est décomposable, l’autre ne l’est pas : l’un est mortel, l’autre immortel. Ignores-tu que tu es devenu Dieu et fils de l’Un ainsi que moi ?
TAT.
Je voudrais, ô père ! la bénédiction de l’hymne que tu as promis de me faire entendre quand je serais arrivé à l’ogdoade des puissances.
HERMÈS.
Selon l’ogdoade révélée par Poimandrès, tu te hâtes avec raison, mon fils, de sortir de la tente, car tu es purifié. Poimandrès, l’intelligence souveraine, ne m’a rien transmis de plus que ce qui est écrit, sachant que je pourrais par moi-même comprendre et entendre tout ce que je voudrais et voir toutes choses, et il m’a prescrit de faire ce qui est beau. C’est pourquoi toutes les puissances qui sont en moi le chanteront.
TAT.
Je veux, mon père, entendre cela et le comprendre.
HERMÈS.
Repose-toi, mon fils, et entends la bénédiction parfaite, l’hymne de régénération que je n’ai pas voulu révéler ainsi facilement, si ce n’est à toi, à la fin de tout. Car il ne s’enseigne pas, il se cache dans le silence. Ainsi, mon fils, tiens-toi dans un lieu découvert, et regardant vers le vent du sud, prosterne-toi au coucher du soleil, et de même à son lever du côté du vent d’est. Écoute donc, mon fils.
TAT.
O mon père, je t’ai placé dans mon monde.
HERMÈS.
Dis : dans l’intelligible, mon fils.
TAT.
Dans l’intelligible, mon père, je le puis. Ton hymne et ta bénédiction ont illuminé mon intelligence ; je veux, moi aussi, envoyer de ma propre pensée une bénédiction à Dieu.
HERMÈS.
Ne le fais pas à la légère, mon fils.
TAT.
Dans l’intelligence, mon père, ce que je contemple, je te le dis, ô principe de la génération ; moi, Tat, j’envoie à Dieu le sacrifice verbal. Dieu, tu es le père, tu es le seigneur, tu es l’intelligence ; reçois le sacrifice verbal que tu veux de moi, car tout ce que tu veux s’accomplit.
HERMÈS.
Toi, mon fils, envoie au Dieu père de toutes choses le sacrifice qui lui convient ; mais ajoute, mon fils : par le verbe.
TAT.
Je te remercie, mon père, de m’en avertir.
HERMÈS.
Je me réjouis, mon fils, que tu aies reçu les bons fruits de la vérité, les germes immortels. Apprends de moi à célébrer le silence de la vertu, sans révéler à personne la régénération que je t’ai transmise, de peur que nous ne soyons regardés comme des diables. Car chacun de nous a médité, moi parlant, toi écoutant. Tu as connu intellectuellement toi-même et notre père.
⟴XIV
Mercurii ad Aesculapium epylogus, Hermès Trismégiste à Asclèpios, Sagesse
En ton absence, mon fils Tat a voulu être instruit de la nature des êtres ; je n’ai pas passé outre, parce qu’il est mon fils et à cause de sa jeunesse, et, arrivant aux connaissances particulières, j’ai été obligé de m’étendre, pour lui en rendre l’explication plus facilement abordable. Mais j’ai voulu t’envoyer un extrait de ce qui a été dit de plus important, avec une interprétation plus mystique, vu ton âge plus avancé et ta science de la nature.
Tout ce qui se manifeste a eu un commencement, une naissance, et est né, non de soi-même, mais d’autre chose. Les choses créées sont nombreuses, ou plutôt, toute chose apparente, différente et non semblable, naît d’autre chose. Il y a donc quelqu’un qui les fait et qui lui-même est incréé et antérieur à toute création. Je dis que tout ce qui est né est né d’un autre, et qu’aucun être créé ne peut être antérieur à tous les autres, mais seulement l’incréé. Il est supérieur eu force, un et seul vraiment sage en toutes choses, puisque rien ne l’a précédé. De lui dépendent la multitude, la grandeur, la différence des êtres créés, la continuité de la création et son énergie. En outre, les créatures sont visibles, mais lui est invisible. Il faut donc le concevoir par l’intelligence ; le comprendre c’est l’admirer ; qui l’admire arrive à la béatitude par la connaissance de son vénérable père.
Car il n’y a rien de meilleur qu’un père. Quel est-il. et comment le connaîtrons-nous ? Faut-il le designer par le nom de Dieu, ou par ceux de créateur ou de père, ou par ces trois noms à la fois ? Dieu répond à sa puissance, créateur à son activité, père à sa bonté. Sa puissance est distincte de ses créatures, son énergie réside dans l’universalité de sa création. Laissons donc de côté le bavardage et les mots vides, et concevons deux termes : l’engendré et le créateur ; entre eux il n’y a pas place pour un troisième. Chaque fois que tu réfléchis sur l’univers et que tu en entends parler, souviens-toi de ces deux termes, et pense qu’ils sont tout ce qui existe, sans qu’on puisse rien laisser hors d’eux, soit en haut, soit en bas, soit dans le divin, soit dans le changeant, soit dans les profondeurs. Ces deux termes, l’engendré et le créateur, comprennent tout l’univers, et sont inséparables l’un de l’autre, car il ne peut exister de créateur sans création, ni de création sans créateur. Chacun d’eux est défini par sa fonction, et ne peut pas plus s’abstraire de l’autre que de lui-même.
Si le créateur n’est pas autre que celui qui crée, fonction unique, simple et non complexe, il se crée nécessairement lui-même, car c’est en créant qu’il devient créateur. De même l’engendré naît nécessairement d’un autre ; sans créateur l’engendré ne peut naître ni exister. Chacun d’eux perdrait sa propre nature s’il était séparé de l’autre. Si donc on reconnaît l’existence de deux termes, l’un créé, l’autre créant, leur union est indissoluble ; l’un précède, l’autre suit ; le premier est le Dieu créateur, le second est l’engendré, quel qu’il soit. Et ne crains pas que la gloire de Dieu soit abaissée par la variété de la création ; son unique gloire est de produire, et cette fonction est pour ainsi dire son corps. Mais rien de mauvais ni de laid ne peut être regardé comme son œuvre. Ces accidents sont des conséquences attachées à la création comme la rouille à l’airain ou la crasse au corps. Ce n’est pas le forgeron qui fait la rouille, ni les parents qui font la crasse, ni Dieu qui fait le mal ; mais, par la durée et les vicissitudes des choses créées, ces efflorescences s’y produisent, et c’est pour cela que Dieu a fait le changement, comme pour purifier la création.
Le même peintre peut faire le ciel et les Dieux, la terre, la mer, les hommes et les animaux de toute espèce, les êtres immortels et les plantes, et Dieu ne pourrait pas créer tout cela ? O folie et ignorance de la nature divine ! Cette opinion est la pire de toutes. Se prétendre plein de religion et de piété et refuser à Dieu la création de toutes choses, c’est ne pas même le connaître, et c’est joindre à cette ignorance une souveraine impiété, car c’est le croire soumis à l’orgueil, à l’impuissance, à l’ignorance et à l’envie. Car s’il ne crée pas tout, c’est par orgueil qu’il ne crée pas, ou parce qu’il ne peut pas ou ne sait pas, ou parce qu’il envierait l’existence à ses créatures ; c’est une impiété de le penser. Car Dieu n’a qu’une seule passion, le bien, et la bonté exclut l’orgueil, l’impuissance et le reste. Voilà ce qu’est Dieu, le bien ayant toute puissance de tout créer. Toute créature est engendrée par Dieu, c’est-à-dire par le bien et la toute-puissance créatrice. Si tu veux savoir comment Dieu produit et comment naît la création, tu le peux ; tu en as la plus belle et la plus ressemblante image dans un laboureur jetant des semences dans la terre, ici de l’orge, là du blé, ailleurs quelque autre graine : vois-le planter une vigne, un pommier, un figuier et d’autres arbres. C’est ainsi que Dieu sème au ciel l’immortalité, sur terre le changement, partout le mouvement et la vie. Ces principes ne sont pas nombreux, ils sont faciles à compter. Il y en a quatre en tout, et ce sont eux, Dieu lui-même, et la création, qui constituent tout ce qui existe.
⟴XVI
Όροι Ασκληπιού προς Άμμωνα βασιλέα {Óroi Asklipioú pros Ámmona basiléa}, Les Définitions, Asclépios au roi Ammon
I
DU SOLEIL ET DES DÉMONS
Je t’adresse, ô roi, un grand discours qui est comme la somme et le résumé de tous les autres. Loin d’être conforme à l’opinion de la foule, il lui est très contraire. Il te semblera même contredire quelques-uns de mes discours. Hermès, mon maître, qui s’entretenait souvent avec moi, seul à seul ou en présence de Tat, disait que ceux qui liraient mes livres en trouveraient la doctrine simple et claire, tandis qu’au contraire elle est obscure et contient un sens caché. Elle est devenue plus obscure encore depuis que les Grecs ont voulu la traduire de notre langue dans la leur. C’est là une source de contresens et d’obscurité. Le caractère de la langue égyptienne, l’énergie des mots qu’elle emploie, en font comprendre le sens. Autant donc que tu le pourras, ô roi, et tu peux tout, fais que ce discours ne soit pas traduit, de peur que ces mystères ne pénètrent chez les Grecs, et que leur phrase pompeuse, diffuse et surchargée d’ornements n’affaiblisse la vigueur et n’amoindrisse la gravité auguste et l’énergie de l’expression. Les Grecs, ô roi, ont des formes nouvelles de langage pour produire des preuves, et leur philosophie est un bruit de paroles. Nous, au contraire, nous employons, non des paroles, mais la grande voix des choses.
Je commencerai ce discours par invoquer le Dieu maître de l’univers, le créateur et le père, qui enveloppe tout, qui est tout dans un et un dans tout. Car la plénitude de toutes choses est l’unité et dans l’unité ; il n’y a pas un terme inférieur à l’autre, les deux ne sont qu’un. Conserve cette pensée, ô roi, pendant toute l’exposition de mon discours. On chercherait en vain à distinguer le tout et l’unité en appelant tout la multitude des choses et non la plénitude ; celte distinction est impossible, car le tout n’existe plus si on le sépare de l’unité ; si l’unité existe, elle est dans la totalité ; or, elle existe et ne cesse jamais d’être une pour dissoudre la plénitude.
Il se trouve dans l’intérieur des terres des sources jaillissantes d’eau et de feu ; on voit là les trois natures du feu, de l’eau et de la terre, partant d’une commune racine, ce qui fait penser qu’il y a un réservoir général de la matière, fournissant tout en abondance et recevant l’existence d’en haut. C’est ainsi que le ciel et la terre sont gouvernés par le créateur, j’entends le soleil, qui fait descendre l’essence et monter la matière, qui attire l’univers à lui, qui donne tout à tous et prodigue les bienfaits de sa lumière. C’est lui qui répand ses bienfaisantes énergies non seulement dans le ciel et dans l’air, mais sur la terre et jusque dans les profondeurs de l’abîme. Et s’il y a une essence intelligible, ce doit être la substance même du soleil, dont sa lumière est le réceptacle. Quelle en est la constitution et la source, lui seul le sait. Pour comprendre par induction ce qui se dérobe à notre vue, il faudrait être près de lui et analogue à sa nature. Mais ce qu’il nous laisse voir n’est pas une conjecture, c’est la vision splendide qui illumine l’ensemble du monde supérieur.
Il est établi au milieu de l’univers comme celui qui porte les couronnes ; et, pareil à un bon cocher, il dirige et maintient le char du monde et l’empêche de s’égarer. Il en tient les rênes, qui sont la vie, l’âme, l’esprit, l’immortalité, la génération. Il le laisse courir à peu de distance de lui, ou, pour être plus vrai, avec lui. Et voici de quelle manière il forme toutes choses : Il distribue aux immortels l’éternelle permanence. La lumière, qui de sa partie supérieure monte vers le ciel, nourrit les parties immortelles du monde. Le reste, enveloppant et illuminant l’ensemble de l’eau, de la terre, de l’air, est la matrice où germe la vie, où se meuvent les naissances et les métamorphoses. Comme une hélice en mouvement, il transforme les animaux qui habitent ces portions du monde, il les fait passer d’un genre à l’autre et d’une apparence à l’autre, équilibrant leurs mutuelles métamorphoses, comme dans la création des grands corps. Car la permanence d’un corps est toujours une transformation. Mais les corps immortels sont indissolubles, les corps mortels se décomposent ; telle est la différence qui existe entre l’immortel et le mortel. Cette création de la vie par le soleil est continue comme sa lumière, et rien ne l’arrête ou ne la limite. Autour de lui, comme une armée de satellites, sont de nombreux chœurs de Démons. Ils habitent dans le voisinage des immortels, et de là ils surveillent les choses humaines. Ils exécutent les ordres des Dieux par les tempêtes et les ouragans, les métamorphoses du feu et les tremblements de terre, ainsi que par les famines et les guerres, pour punir l’impiété. Car le plus grand crime des hommes c’est l’impiété envers les Dieux. La fonction des Dieux est de faire le bien, celle des hommes d’être pieux, celle des Démons de châtier. Les Dieux ne demandent pas compte à l’homme des fautes commises par erreur, par témérité, par cette nécessité qu’on nomme la destinée, ou par ignorance ; l’impiété seule tombe sous le coup de leur justice.
C’est le Soleil qui conserve et nourrit tous les êtres ; et de même que le monde idéal, qui enveloppe le monde sensible, y répand la plénitude et l’universelle variété des formes : ainsi le soleil, enveloppant tout de sa lumière, accomplit partout la naissance et le développement des êtres, et les recueille quand ils tombent fatigués de leur course. Il a sous ses ordres le chœur des Démons, ou plutôt les chœurs, car ils sont plusieurs et différents, et leur nombre répond à celui des astres. Chaque astre a ses démons, bons et méchants par leur nature, c’est-à-dire parleur action, car l’action est l’essence des démons. Dans quelques-uns il y a du bon et du mauvais. Tous ces démons sont préposés aux choses de la terre ; ils agitent et bouleversent la condition des États et des individus, ils façonnent nos âmes à leur ressemblance, s’établissent dans nos nerfs, notre moelle, nos veines, nos artères et même dans notre cervelle, et jusqu’au fond de nos viscères. Au moment où chacun de nous reçoit la vie et Pâme, il est saisi par les démons qui président aux naissances, et qui sont classés dans les astres. À chaque instant ils sont changés, ce ne sont pas toujours les mêmes, ils tournent en cercle. Ils pénètrent par le corps dans deux des parties de l’âme, pour la façonner chacun selon son énergie. Mais la partie raisonnable de l’âme n’est pas soumise aux démons, elle est disposée pour recevoir Dieu, qui l’éclairé d’un rayon de soleil. Ceux qui sont éclairés ainsi sont peu nombreux, et les démons s’en abstiennent ; car ni les démons ni les Dieux n’ont aucun pouvoir contre un seul rayon de Dieu. Tous les autres, âmes et corps, sont dirigés par les démons, s’y attachent et en aiment les œuvres ; mais la raison n’est pas comme le désir qui trompe et qui s’égare. Les démons ont donc la direction des choses terrestres, et nos corps leur servent d’instruments. Cette direction, Hermès l’appelle la Destinée.
Le monde intelligible se rattache à Dieu, le monde sensible au monde intelligible ; le soleil conduit à travers ces deux mondes l’effluve de Dieu, c’est-à-dire la création. Autour de lui sont les huit sphères qui s’y rattachent, la sphère des étoiles fixes, les six sphères des planètes et celle qui entoure la terre. Les démons sont attachés à ces sphères, les hommes aux démons, et ainsi tous les êtres se rattachent à Dieu, qui est le père universel. Le créateur, c’est le soleil ; le monde est l’instrument de la création. L’essence intelligible dirige le ciel, le ciel dirige les Dieux, au-dessous desquels sont classés les démons qui gouvernent les hommes. Telle est la hiérarchie des Dieux et des démons, et telle est l’œuvre que Dieu accomplit par eux et pour lui-même. Toute chose est une partie de Dieu, ainsi Dieu est tout. En créant tout, il se crée lui-même sans jamais s’arrêter, car son activité n’a pas de terme, et, de même que Dieu est sans bornes, sa création n’a ni commencement ni fin.
Si tu y réfléchis, ô roi, il y a des corps incorporels. — Lesquels, dit le roi ? — Les corps qui apparaissent dans les miroirs ne te semblent-ils pas incorporels ? — C’est vrai, ô Tat, dit le roi ; tu as une pensée merveilleuse. — Il y a encore des incorporels ; par exemple, les formes, qu’en penses-tu ? Elles sont incorporelles et se manifestent dans les corps animés et inanimés. — Tu dis vrai, ô Tat. — Il y a donc une réflexion des incorporels sur les corps, et des corps sur les incorporels, c’est-à-dire du monde sensible sur le monde idéal, et du monde idéal sur le monde sensible. O roi, adore donc les statues, qui, elles aussi, empruntent leurs formes au monde sensible.
Le roi, s’étant levé, dit : « Ne doit-on pas, ô prophète, s’occuper du soin de ses hôtes ? Demain nous continuerons cet entretien théologique.»
II
DES ENTRAVES QU’APPORTENT À L’AME LES PASSIONS DU CORPS
Lorsqu’un musicien, voulant exécuter une mélodie, se trouve arrêté par le défaut d’accord des instruments, il n’obtient qu’un résultat ridicule ; ses efforts inutiles excitent les railleries des assistants ; c’est en vain qu’il déploie toutes les ressources de son art et accuse l’instrument faux qui le réduit à l’impuissance. Le grand musicien de la nature, le Dieu qui préside à l’harmonie des odes et qui fait résonner les instruments selon le rythme de sa mélodie, est infatigable, car la fatigue n’atteint pas les Dieux. Si un artiste veut donner un concert de musique, quand les joueurs de trompette ont donné la mesure de leur talent, quand les joueurs de flûte ont exprimé les finesses de la mélodie, quand la lyre et l’archet ont accompagné le chant, on n’accuse pas l’inspiration du musicien, on lui accorde l’estime que mérite son œuvre ; mais on se plaint de l’instrument dont le désaccord a troublé la mélodie et empêché les auditeurs d’en saisir la pureté. De même la faiblesse de notre corps ne peut sans impiété être reprochée à (l’auteur de) notre race. Mais sache que Dieu est un artiste au souffle infatigable, toujours maître de sa science, toujours heureux dans ses efforts, et répandant partout les mêmes bienfaits. Si Phidias, l’ouvrier créateur, a trouvé une résistance dans la matière qu’il lui fallait employer pour son œuvre, n’accusons pas l’artiste qui a travaillé selon son pouvoir ; plaignons-nous d’une corde trop faible qui, en abaissant ou en élevant la note, a fait disparaître le rythme, mais n’accusons pas l’artiste des vices de l’instrument ; plus celui-ci est mauvais, plus celui-là mérite d’éloges quand il parvient à en jouer dans le ton juste. Les auditeurs l’en aiment davantage, loin de lui rien reprocher. C’est ainsi, ô très illustres, qu’il faut mettre notre lyre intérieure d’accord avec la pensée du musicien.
Je vois même qu’un musicien, privé du secours de la lyre et devant produire un grand effet d’harmonie, a pu suppléer par des moyens inconnus à l’instrument dont il avait l’habitude, au point d’exciter l’enthousiasme de ses auditeurs. On dit qu’un joueur de cithare, auquel le Dieu de la musique était favorable, ayant été arrêté par la rupture d’une corde pendant l’exécution d’une mélodie, la bienveillance du Dieu y suppléa et fit valoir son talent ; par un secours providentiel, une cigale remplaça la corde rompue et exécuta les notes qui manquaient. Le musicien, consolé de l’accident qui l’avait affligé, remporta la victoire. Je sens en moi quelque chose de pareil, ô très honorables ; tout à l’heure j’étais convaincu de mon impuissance et de ma faiblesse, mais la puissance de l’être suprême complète à ma place la mélodie en faveur du roi. Car le but de ce discours est de célébrer la gloire des rois et leurs trophées. En avant, donc ! le musicien le veut, et c’est pour cela que la lyre est accordée. Que la grandeur et la suavité de la mélodie répondent à l’objet de nos chants !
Puisque nous avons accordé la lyre pour chanter l’éloge des rois et célébrer leurs louanges, chantons d’abord le Dieu bon, le roi suprême de l’univers. Après lui, nous glorifierons ceux qui nous offrent son image et qui tiennent le sceptre. Il plaît aux rois eux-mêmes que l’ode descende d’en haut, de degrés en degrés, el que les espérances se rattachent au ciel d’où leur vient la victoire. Que le musicien chante donc le grand Dieu de l’univers, toujours immortel, dont la puissance est éternelle comme lui, le premier vainqueur de qui viennent toutes les victoires qui succèdent aux victoires. Accélérons la marche de notre discours, arrivons à l’éloge des rois, gardiens de la paix et de la sécurité publique, qui tiennent du Dieu suprême leur antique pouvoir, qui ont reçu la victoire de sa main ; ceux dont le sceptre a été orné même avant les désastres de la guerre, dont les trophées ont précédé le combat ; ceux auxquels il a été donné non seulement de régner, mais de triompher de tous ; ceux qui, même avant de s’être mis en mouvement, frappent les barbares d’épouvante.
III
LOUANGES DE L’ÊTRE SUPRÊME ET ÉLOGE DU ROI
Ce discours finit par où il a commencé, par les louanges de l’être suprême, et ensuite des rois très divins qui nous garantissent la paix. Après avoir commencé par célébrer la puissance suprême, c’est à cette puissance que nous revenons en terminant. De même que le soleil nourrit tous les germes et reçoit les prémices des fruits qu’il cueille avec ses rayons, comme avec de grandes mains, de même que ces mains ou ces rayons cueillent d’abord ce qu’il y a de plus suave dans les plantes, ainsi nous-mêmes, après avoir commencé par célébrer l’être suprême et l’effluve de sa sagesse, après avoir recueilli dans nos âmes ces plantes célestes, il nous faut cultiver encore cette moisson bénie qu’il arrosera de ses pluies fécondes.
Il faudrait dix mille bouches et dix mille voix pour bénir le Dieu de toute pureté, le père de nos âmes, et nous serions impuissants à le célébrer dignement ; car des enfants nouveau nés ne peuvent dignement célébrer leur père, mais ils font selon leurs forces et obtiennent ainsi l’indulgence. Ou plutôt, la gloire de Dieu, c’est qu’il est supérieur à toutes ses créatures ; il est le prélude, le but, le milieu et la fin de leurs louanges ; elle confessent en lui leur père tout-puissant et infini.
Il en est de même du roi. Il est naturel à nous, qui sommes ses enfants, de le bénir ; mais il nous faut demander l’indulgence de notre père, quand même elle nous aurait été accordée avant notre demande. Un père, loin de se détourner de ses petits-fils et de ses enfants nouveau-nés à cause de leur faiblesse, se réjouit de se voir reconnu par eux. Cette connaissance (gnose) universelle qui communique la vie à tous et nous permet de bénir Dieu est elle-même un don de Dieu. Car Dieu, étant bon, a en lui-même le terme de toute perfection ; étant immortel, il enveloppe en lui l’immortelle quiétude, et sa puissance éternelle envoie dans ce monde une bénédiction salutaire. Il n’y a pas de différences entre les êtres qu’il contient, pas de variations ; tous sont sages, une même providence est en tous, une même intelligence les gouverne, un même sentiment les pousse à une mutuelle bienveillance, et un même amour produit une harmonie universelle.
Ainsi, bénissons Dieu et redescendons à ceux qui ont reçu de lui le sceptre. Après avoir commencé par les rois et nous être exercés à célébrer leurs louanges, il nous faut glorifier la piété envers l’être suprême. Que lui-même nous instruise à le bénir ; exerçons-nous par lui à cette étude. Que notre premier et principal exercice soit la piété envers Dieu et la louange des rois. Car notre reconnaissance leur est due pour la paix féconde dont ils nous font jouir. C’est la vertu du roi, c’est son nom seul qui garantit la paix ; on le nomme le roi (βασιλεύς) parce qu’il marche (βαίνειν) dans sa royauté et sa puissance, et qu’il règne par la raison et la paix. Il est au-dessus de toute royauté barbare ; son nom même est un symbole de paix. Le nom seul du roi suffit souvent pour repousser l’ennemi. Ses statues sont des phares de paix dans la tempête. La seule image du roi produit la victoire, donne à tous la sécurité et rend invulnérable.