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La Philosophie Naturelle restituée
Enchiridion Physicae Restitutae


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
attr. Jean d’Espagnetpubl. 1623Littératurepubl. Bordeaux (France)AlchimieNon applicable

■ Les chapitres 60 à 132, 157 à 212 et 226 à 236 ainsi que les titre des chapitres sont manquants dans certaines versions et les retranscriptions actuellement indisponibles. Nous les avons donc recopiées et partiellement adaptées au français moderne depuis l’édition de 1651 (L’orthographe à été adaptée mais la grammaire conservée). Afin de les différencier, nous avons laissé les numéros de chapitres en latin. Notez que le chapitre 181 est manquant (erreur d’impression ou texte fautif ?). Manque en outre les notes de l’auteur que nous ajouterons DOPoFD.

L’Œuvre Secret de la Philosophie d’Hermès du même auteur peut être considéré comme le volet pratique de ce texte.

■ Ajout d’un chapitrage artificiel tous les dix chapitres.

🕮 Bosc, ref.76,77,99,515-517.

1. C’est probablement la première édition (1608) de cette œuvre, attribuée avec raison, comme nous allons le voir dans le numéro suivant, à d’Espagnet. Si c’est la première, Morhose se serait trompé pensant que cet ouvrage était de Philalète. L’abbé Houel à consigné cette édition dans son Catalogue, p.12 (de même chez Barbier et Ferguson d’ailleurs mais nous n’avons pas la preuve).

2. On lit sur le frontispice de la première partie de ce livre : Spes mea est in Agno, devise du président Jean d’Espagnet, qui serait donc bien l’auteur de ce livre anonyme. Ce qui confirme cette opinion, c’est que la seconde partie porte ces mots : Penes nos unda Tagi. […]

🕮 Caillet, ref.3668 : Ouvrage de grande réputation parmi les Adeptes de la Philosophie Hermétique.

🕮 Dorbon-Aîné, ref.1206,1207,5681 :

1. Cet écrit, qui parut d’abord sous le titre latin de « Enchiridion physicæ restitutæ » est de Joannes d’Espagnet qui s’est caché sous les deux anagrammes suivantes : « Spes mea est in Agno » et « Penes nos unda tagi ». Quoique très adonné à l’alchimie, ce Jean d’Espagnet, qui fut président du Tribunal de Bordeaux, n’avait aucune indulgence pour les sorciers ; il s’associa à Pierre de Lancre dans la guerre acharnée que celui-ci fit à de malheureux habitants du Sud-Ouest. […] La traduction de l’ouvrage entier est de Jean Bachou.

2. […] Il contient en regard du texte latin de Jean d’Espagnet une traduction française qui diffère entièrement de celle publiée en 1651 par Jean Bachou. […]

3. Jean d’Espagnet […] s’est caché sous cet anagramme « Spes mea in Agno » […]

🕮 Guaita, ref.233,1309 (recueil) :

1. Traduction française de Jean Bachou beaucoup plus recherchée que le texte latin et qui jouit d’une grande réputation parmi les adeptes de la philosophie hermétique.

2. Excellents traités traduits par Jean Bachou, précieux à consulter par tous ceux qui s’occupent de la Pierre philosophale.

🕮 Lenglet Du Fresnoy, ref.I:7,279,286:1,2,3. : Jean Espagnet étoit président à Bordeaux, il n’a pas mis son nom à cet ouvrage qui est fort estimé des connoisseurs ; c’est principalement la deuxième partie, qui fait rechercher ce petit livre, qui se trouve encore en quelques recueils. L’auteur s’est déguisé de deux manières, la première par ces mots, Spes mea in agno est, et dans la seconde partie par ceux-ci, Penes nos unda Tagi. On ne doute pas qu’il n’ait eu le secret de la transmutation métallique ; mais on prétend que ce petit ouvrage du secret de la philosophie hermétique n’est pas de lui ; mais d’un adepte connu sous le nom de Chevalier impérial de l’ouvrage duquel nous parlons ailleurs.

🕮 Ouvaroff, ref.1128 : […] Cet ouvrage, dit Lenglet Dufresnoy, passe pour être de la composition du Chevalier Impérial, J. d’Espagnet n’en serait que l’éditeur.


Texte : version numérique de La Philosophie Naturelle restituée, Jean d’Espagnet, 1651. | bs. Bibliothèque interuniversitaire de santé (Paris, France). Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre

Traduction : de l’ancien français au français moderne, ORAEDES, 2017.

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I - Dieu

Dieu est l’étant éternel, l’unité infinie, le principe radical de toutes choses. Son essence est une lumière inépuisable ; sa puissance, une omnipotence ; sa volonté, le souverain bien, et son moindre désir un ouvrage parfait. À qui voudrait sonder davantage la profondeur de sa gloire, surviendraient l’étonnement, le silence, et l’abîme.

II - Le Monde

La plupart des Sages ont enseigné que, de toute éternité, le Monde était dessiné dans son (propre) Archétype. Mais cet Archétype, qui est toute lumière, replié sur lui-même comme un livre avant la création de l’Univers, ne brillait que pour soi. Il s’est ouvert et développé, dans la production du Monde comme s’il accouchait. Il a rendu manifeste son ouvrage, auparavant caché en esprit comme dans une matrice, par une extension de son essence, et il a ainsi produit le Monde idéal, puis — comme d’après une image (déjà) redoublée de la divinité — le Monde actuel et matériel. C’est ce qu’indique le Trismégiste l, lorsqu’il dit que Dieu changea de forme, et que toutes choses furent soudain révélées et converties en lumière. Le Monde n’est à la vérité rien d’autre qu’une image à découvert de la divinité dissimulée. Il semble que les Anciens aient fait comprendre cette naissance de l’Univers par (le mythe de) leur Pallas, extraite du cerveau de Jupiter grâce à Vulcain, c’est-à-dire à l’aide d’un feu ou d’une lumière.

III

L’éternel auteur des choses, non moins sage dans leur ordonnance que puissant dans leur création, a réparti la masse organique du Monde dans un ordre tellement admirable, que les (choses les) plus hautes avec les plus profondes, et les plus profondes avec les plus hautes, sont mélangées sans se confondre, et se ressemblent par quelque analogie. De sorte que les extrémités de tout l’ouvrage, grâce à un nœud secret, sont jointes très étroitement entre elles par des degrés intermédiaires insensibles, et que toutes concourent spontanément au respect du modérateur suprême, et à la modération de la nature inférieure, prêtes qu’elles sont à se dissoudre au moindre commandement de celui qui les a liées ensemble. C’est pourquoi le même Hermès affirme à bon droit que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.

IV - La Nature

Celui qui transfère l’autorité suprême de l’Univers à une nature autre que la nature divine, nie qu’il y ait un Dieu. En effet, il n’est pas permis de reconnaître un (autre) vouloir incréé que cette nature, tant pour produire que pour conserver les individualités de la machine étendue, sinon l’esprit lui-même du divin Architecte, cet esprit qui au commencement planait sur les eaux, qui fit passer de la puissance à l’acte les semences de toutes choses confusément mêlées dans le chaos, et après qu’il les en eût tirées, traita les essences inférieures en faisant tourner la roue d’une constante altération, pour les composer et les dissoudre selon un mode géométrique.

V

Quiconque ne sait pas que cet esprit, créateur et recteur du Monde, qui est répandu et infus dans les œuvres de la Nature comme par un souffle continu, qui se diffuse largement en toutes choses, et qui meut selon son genre chaque universel et chaque singulier par un acte secret et pérenne, est l’Ame du Monde, celui-là ignore les lois de l’Univers. Car le créateur se réserve le droit de gouverner ce qu’il a créé. Et il faut confesser que cet Esprit, toujours le même, préside à la création, à la génération et à la conservation.

VI

Cependant, celui qui reconnaîtra que la Nature est la cause seconde universelle, au service de la première, et comme un instrument soumis au pouvoir de celle-ci, qui meut sans (autre) médiation et avec ordre toutes choses dans le Monde matériel, celui-là ne s’éloignera pas de la pensée des Philosophes et Théologiens, qui ont appelé la première, Nature naturante, et la seconde. Nature naturée.

VII

Celui qui a été instruit dans les arcanes de la Nature, ne contestera point que cette Nature seconde, servante de la première, est l’Esprit de l’Univers, c’est-à-dire une vertu vivifiante, et douée d’une fécondité secrète, de la lumière qui fut créée au commencement, et contractée dans le corps du Soleil. C’est cet Esprit de feu que Zoroastre et Héraclite ont appelé un feu invisible, et l’Ame du Monde.

VIII

L’Ordre de la Nature n’est rien autre que la suite, formant texture, des lois éternelles qui furent émises et promulguées par le Souverain suprême, et imprimées à de multiples exemplaires pour ses peuples innombrables, chacun (les recevant) à sa manière. C’est sous leurs auspices que la masse de l’Univers exécute ses mouvements. La vie et la mort occupent tour à tour les extrémités ultimes de ce volume, et tout le reste est le mouvement qui se fait de l’une à l’autre et réciproquement.

IX - Le Monde

Le Monde est comme un ouvrage d’artisan fait au tour. Ses parties sont nouées par des étreintes mutuelles comme les anneaux d’une chaîne . La Nature est placée au milieu comme une Ouvrière remplaçante (de l’Architecte), qui dirige les changements de toutes choses, et, partout représente, répare incessamment, comme le Fabricateur lui-même, celles qui sont usées.

X

Du fait que ce monde universel se présente d’une triple nature, ainsi est-il divisé en trois régions, c’est-à-dire la super-céleste, la céleste et l’inférieure. La super-céleste, qui a été appelée (monde) intelligible, est la plus haute de toutes, étant entièrement spirituelle et immortelle : elle est toute voisine de la Majesté divine. La céleste est située entre les deux autres : là sont attachés ces corps d’une espèce très parfaite qui la font abonder en esprits, et répandre des vertus innombrables et des souffles vitaux par des canaux tout spirituels. Exempte de corruption, elle n’échappe cependant pas à la mutation, chaque fois que sa période est achevée. Enfin, la région inférieure, qui est appelée vulgairement l’élémentaire, occupe la plus infime et basse partie du Monde. Comme elle est en soi toute matérielle, elle ne possède que par emprunt les dons et les bénéfices spirituels, dont le principal consiste en la vie, et à charge d’en rendre le tribut au ciel. Dans son sein nulle génération n’a lieu sans corruption, nulle naissance ne se produit sans mort.

XI

Il est prévu par la loi de la Création que les choses inférieures obéissent et servent aux moyennes, les moyennes aux supérieures, et les supérieures au suprême Recteur sans autre médiation que la volonté de celui-ci. Tel est l’ordre et la commune mesure (symmetria) de l’Univers tout entier.

XII

Comme au seul Créateur il appartenait de créer de rien, et de créer ce qui lui plût, de même à lui seul est réservé le droit de faire retourner les choses créées au néant. Car tout ce qui porte le caractère de l’Etre ou de la substance, ne peut plus en être détaché, et par la loi de la Nature il lui est interdit de passer au non-être. C’est pourquoi le Trismégiste affirme justement que rien ne meurt dans le monde, mais que toutes choses passent et changent. Car les corps mixtes qui se composent des éléments, par la roue de la Nature se résolvent derechef en leurs éléments : « C’est la loi de la Nature, que de dissoudre à nouveau toute chose En ses éléments. Mais sans cependant l’abolir jusqu’au néant. »

XIII - La Matière première

Les Philosophes ont cru qu’il y a une Matière première, plus ancienne que les éléments. Mais comme ils en ont eu peu de connaissance, ils la décrivent peu, et comme sous un voile : (ils disent) qu’elle est exempte de qualités et d’accidents, mais qu’elle est le premier sujet des qualités et des accidents ; qu’elle est vide de quantité, mais que par elle toutes choses sont quantitatives ; qu’elle est simple, mais qu’en elle siègent les contraires ; qu’inconnue aux sens, elle est la base des choses sensibles ; qu’étendue partout, elle n’est perçue nulle part ; que toujours désireuse des formes, elle n’en retient aucune. Racine de tous les corps, elle ne peut être conçue que par une opération de l’entendement, sans aucunement tomber sous les sens. Enfin, n’étant rien en acte, elle est tout en puissance. Telle est la manière dont ils ont établi un fondement de la Nature fictif et chimérique.

XIV

Avec plus de prudence, Aristote, qui pourtant croyait à l’éternité du monde, a parlé d’une certaine matière première et universelle. Pour en éviter les replis, il en parle de façon sommaire et en termes ambigus : il dit qu’il vaut mieux croire qu’il y a une seule et même matière inséparable de toutes choses, mais qui en diffère selon la raison ; que les premiers corps (imperceptibles) et ceux qui sont perceptibles en sont composés, et qu’elle constitue leur premier principe ; qu’elle n’en est pas séparable mais qu’elle leur est toujours alliée avec répugnance ; qu’elle est la base et le sujet des contraires, et que d’elle sont issus les éléments.

XV

Mais il eût été meilleur Philosophe, s’il avait exempté cette matière première du combat des contraires, et s’il l’eût reconnue libre de toute répugnance. Car il n’y a aucune contrariété dans les éléments mêmes, celle-ci résultant seulement de l’excès des qualités, comme nous l’apprenons par l’expérience commune du feu et de l’eau, dans lesquels tout ce qu’il y a d’opposé procède de l’excès (infensio) des qualités. Mais dans les éléments purs, qui concourent en la génération des mixtes, ces qualités ne sont point contraires l’une à l’autre, parce qu’elles s’y trouvent au repos. Et les choses (bien) tempérées n’admettent point de contradiction (interne).

XVI

Thalès, Héraclite et Hésiode ont jugé que l’eau était la première matière des choses. L’écrivain de la sainte Genèse semble donner son assentiment à leur avis, en appelant cette matière un abîme et une eau. On peut soupçonner qu’il entendait par-là non notre eau (ordinaire), mais une sorte de fumée ou de vapeur humide et ténébreuse, qui errait ça et là, et qui était agitée d’un mouvement incertain, sans aucune loi.

XVII

Il n’est guère facile de rien déterminer de certain touchant cet antique principe des choses ; car, ayant été créé dans les ténèbres, il rie saurait aucunement émerger à la lumière de l’esprit humain. Donc, si tout ce qu’en ont dit les Philosophes et les Théologiens jusqu’à ce jour est vrai ou non, seul l’auteur de la Nature le sait. Et c’est assez pour qui traite de ces sujets obscurs, que d’en dire le plus vraisemblable.

XVIII - La création du monde.

Certains, qui s’accordent en cela avec l’opinion des Rabbins, ont cru qu’il y a eu d’abord un certain principe matériel, très ancien mais obscur et ineffable, nommé (d’un nom peu propre) Hyla, qui précéda la matière première ; qu’il peut être dit moins un corps qu’une ombre immense, moins une chose que l’image très opaque des choses, ou une sorte de masque fuligineux de l’Etre, nuit pleine de ténèbres, et cachette des ombres ; qu’il n’est rien en acte, tout en puissance : ce que l’entendement humain ne saurait se figurer qu’en rêvant. Notre imagination ne peut nous montrer ce principe ambigu, ce ténébreux Orcus, autrement que ses oreilles ne montrent le Soleil à un aveugle de naissance.

XIX

Ils ont cru aussi que, de ce principe très éloigné, Dieu a tiré et créé un certain abîme couvert de brume, informe et sans ordonnance, qui aurait été la matière prochaine des éléments et du Monde. Or le texte sacré appelle cette masse tantôt « terre vide et déserte », tantôt « eau », quoiqu’elle ne fût en acte ni l’une ni l’autre, mais parce qu’elle était les deux en puissance et en destination. Or nous pouvons conjecturer que la matière de cette masse était assez semblable à une fumée ou vapeur noire, à laquelle était mêlée un certain esprit tout engourdi de froid et de ténèbres.

XX

La division des eaux supérieures d’avec les inférieures, telle qu’elle est évoquée dans la Genèse, semble se faire par la séparation du subtil d’avec l’épais, et comme celle de l’esprit ténu d’avec le corps fuligineux. Ce fut là l’ouvrage d’un esprit lumineux qui émana du Verbe divin. Car la lumière, qui en tant qu’esprit est ignée, en séparant les hétérogènes, repoussa vers le bas les ténèbres les plus denses et les écarta de la région supérieure, tandis qu’en se répandant sur la matière homogène, plus ténue et plus spirituelle, elle l’a allumée comme une huile incombustible pour être une lumière immortelle devant le trône de la Majesté divine. C’est le Ciel empyrée, le milieu entre le monde intelligible et le monde matériel, qui est comme l’horizon et la frontière des deux. Car il reçoit du monde intelligible les qualités spirituelles, qu’il communique au ciel inférieur, le plus proche de nous, qui tient le milieu (entre nous et l’empyrée).

XXI

La raison exigeait que cet abîme ténébreux, ou cette matière prochaine du monde, fût aqueuse ou du moins humide, afin que la masse entière des cieux et de toute leur machine pût être équilibrée plus commodément, et par cet équilibre de la matière devenir étendue en un corps continu. Car c’est le propre de l’humide que d’être fluide, et la continuité de tout corps provient du bienfait de la seule humeur, laquelle est comme la colle ou la soudure des éléments et des corps. Mais le feu, agissant contre l’humeur par la caléfaction, la raréfie. La chaleur est en effet l’organe du feu, qui opère par elle deux choses contraires en une seule action : en séparant l’humide du terrestre, il raréfie celui-là et condense celui-ci. Ainsi s’opère, par la séparation des hétérogènes, la congrégation des homogènes. C’est par cet art chimique initial (hac arte protochimica) que l’esprit incréé, fabricateur du monde, distingua les natures des choses (auparavant) confondues.

XXII - La matière et la forme sont les deux anciens principes des choses.

L’esprit, Architecte du Monde, commença l’OEuvre de la création par deux principes universels, l’un formel, l’autre matériel ; à quoi d’autres répondent en effet ces paroles du Prophète : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, etc. » ? Si ce n’est que Dieu, au commencement de la mise en forme de la matière, la distingua en deux grands principes qui, l’un formel, l’autre matériel, sont le ciel et la terre. Or par le nom de « terre », il faut entendre cette masse ténébreuse et encore sans forme des eaux et de l’abîme, ce qu’indiquent les paroles qui suivent (« La terre était vide et déserte, et les ténèbres étaient répandues sur la face de l’abîme, etc. »). C’est elle que le Créateur a renfermée et bornée par le ciel suprême c’est-à-dire l’Empyrée, qui est dans la Nature le premier principe formel, encore que lointain.

XXIII

Car l’Esprit de Dieu, qui est la splendeur même de la divinité, s’étant épandu à ce moment de la création au-dessus des eaux, c’est-à-dire sur la face humide et opaque de l’abîme, aussitôt est apparue la lumière, laquelle en un clin d’œil envahit la partie la plus haute et la plus subtile de la matière, et la ceignit d’une circonférence lumineuse, comme d’une auréole, à la manière d’un éclat de foudre, qui de l’Orient jette une lumière de feu jusqu’à l’Occident, ou comme la flamme, qui allume avec rapidité la fumée qui l’environne. Ainsi commença le premier jour, mais la partie la plus basse des ténèbres, vide de lumière, resta nuit. Ainsi les ténèbres furent divisées en jour et en nuit.

XXIV

De ce premier Ciel (qui est) le principe formel, il n’est pas dit qu’il fut vide, désert et enseveli dans les ténèbres. Ce qui indique assez qu’il a été distingué de la masse ténébreuse subjacente par la lumière subite qui s’y répandit, à cause du voisinage de la gloire et de la majesté divine, et de la présence de l’esprit lumineux qui en découlait.

XXV

Il y a eu donc deux principes des choses créées dès le commencement, l’un lumineux et proche de la nature spirituelle, l’autre entièrement corporel et ténébreux. Celui-là pour être le principe du mouvement, de la clarté et de la chaleur, celui-ci pour être le principe de l’engourdissement, de l’opacité et du froid ; celui-là actif et masculin, Celui-ci passif et féminin ; du premier procède dans le Monde élémentaire le mouvement vers la génération, d’où procède la Vie ; du second, le mouvement vers la corruption, d’où la mort tire son origine. Là est le double terme du monde inférieur.

XXVI

Mais, parce que l’Amour tend toujours à s’étendre hors de lui-même, la Divinité impatiente par nature de sa solitude, et considérant sa (propre) beauté, dans la lumière qu’elle venait de créer, comme reflétée dans un miroir, voulut que pour son extension et la multiplication de son image cette très ardente lumière fût à son tour dilatée et communiquée. Alors la lumière, par l’effet de cet esprit igné qui partait de la pensée divine, et qui tourbillonnait en cercle, commença d’agir sur les ténèbres les plus proches. Celles-ci une fois vaincues et repoussées vers le centre (de l’abîme), un second jour brilla, et ce fut la deuxième demeure (mansio) de la lumière, ou le deuxième ciel. Celui-ci embrasse toute la région éthérée, dans la partie supérieure de laquelle tant de flambeaux furent ensuite semés et fixés, tandis qu’en la plus basse sept astres errants furent placés en ordre, qui, par leur lumière, leur mouvement et leur influence, dictent sa loi à toute la nature inférieure et sublunaire, comme des recteurs et ses gouverneurs.

XXVII

Et afin qu’il ne manquât rien à un si grand ouvrage, tracé depuis longtemps dans la pensée, divine, ce même Esprit combattit d’un glaive igné et scintillant les ténèbres condensées et l’ombre gisant par en dessous du côté opposé, et les repoussa vers le centre de l’Abîme. Ainsi fut rendu vivant grâce à la lumière le dernier espace des Cieux, que nous nommons air, ou le Ciel inférieur. Et le troisième jour parut. Or les ténèbres qui couvraient au commencement toute la face de l’abîme, ayant été abaissées dans la région infime pendant ces trois jours par la lumière qui survenait, y furent à tel point condensées, à cause de l’étroitesse du lieu et du resserrement dû au froid, qu’elles furent transmuées en la nature et en la masse de l’eau, au milieu de laquelle le corps solide et opaque de la terre a été équilibré, endurci (qu’il est) des excréments et de la crasse de l’abîme, de manière à être le noyau et le centre de tout l’ouvrage, tout aussi bien que le val funéraire et le tombeau des Ténèbres. À la suite de quoi, par la poussée de ce même Esprit, les eaux quittèrent la face de la terre et se rejetèrent à ses alentours. Ainsi elle apparut sèche, afin de pouvoir produire un nombre presque infini de sortes de plantes, et autant d’espèces d’animaux, et afin aussi qu’elle pût servir de domicile à l’homme qui devait leur commander, fournissant à ceux-ci la nourriture, et à l’homme un abondant réservoir d’ustensiles. La terre et l’eau ne composèrent donc qu’un seul globe, dont l’opacité ou l’ombre, qui est une image de l’abîme, assiège continuellement et enveloppe tout le voisinage de l’air qui est opposé au soleil. Elle fuit en effet la lumière qui la force dans l’espace opposé qu’elle occupe, et « Toujours fugitive se retire semblable à qui s’évanouit ».

XXVIII - La création du Soleil.

Cette lumière, qui était répandue dans tous les espaces de l’abîme après la défaite et l’engloutissement des ténèbres, il parut concevable au suprême Ouvrier de la rassembler en un globe lumineux et très noble, (celui) du soleil, d’une grandeur et d’une forme excellente, afin que la lumière y étant resserrée y agît plus efficacement et émît ses rayons avec plus de force ; et afin que cette lumière créée (mais) dont la nature approche de la gloire divine, procédant de l’unité incréée, se répandît dans les créatures à partir de l’unité.

XXIX

Tous les autres corps tirent leur lumière de ce flambeau lumineux du Monde, car l’opacité que nous apercevons dans le globe de la Lune, à cause du voisinage de la Terre et de l’extension de son ombre, nous persuade qu’il y en a une semblable dans tous les autres globes, quoique la distance nous empêche de l’apercevoir. Car cette première et suréminente nature, source de lumière de tous les êtres sensibles, se devait d’appartenir à l’Unité, elle dont les choses d’ici-bas devaient tirer le souffle de la vie. C’est pour cela qu’un (ou : que le) Philosophe dit fort bien : « Le soleil et l’homme engendrent l’homme ».

XXX

Ce n’est pas sans probabilité que certains philosophes ont dit que l’Ame du Monde était dans le soleil, et que le soleil était placé au centre de l’Univers. En effet il semble que la justice de la Nature, et la proportion qui s’ensuit, réclament que le corps du Soleil soit également distant de la source et de l’origine de la lumière créée, c’est-à-dire du Ciel empyrée, et du centre ténébreux (que constitue) la Terre, qui sont les extrémités de tout l’ouvrage. Afin que ce Flambeau du Monde, en tant que nature mitoyenne et conciliatrice de ces deux extrêmes, tienne sa place au milieu pour recevoir plus commodément du pôle (supérieur) les immenses richesses des vertus qu’il possède, et les transmettre sur une égale distance à la Terre inférieure.

XXXI

Avant que la lumière créée fût rassemblée dans le corps du Soleil, la Terre était oisive et solitaire dans l’attente du mâle, afin qu’étant rendue féconde par sa copulation, elle enfantât tous les genres d’animaux. Car jusque là, elle n’avait produit que des ouvrages avortés et en quelque sorte imparfaits, comme sont les végétaux. Car la chaleur de la lumière était auparavant débile et impuissante pour triompher de la matière humide et froide, et n’aurait pu étendre plus loin ses forces.

XXXII - La lumière est la forme universelle.

La matière première a donc reçu sa forme de cette lumière, ainsi que les éléments. Elle leur est commune, et passant en eux, y remplit la même fonction que le sang (dans notre organisme) ; elle établit entre eux un amour étroit, et non la haine et le combat comme le veut l’opinion vulgaire. De sorte que s’étreignant par le lien naturel de la nécessité, ils se coagulent dans les corps variés des mixtes, selon leurs espèces. Et c’est la lumière du Soleil, beaucoup plus forte qu’elle n’était auparavant, autrement dit la forme universelle, qui verse toutes les formes naturelles dans l’œuvre de la génération, dans la matière prédisposée et dans les semences des êtres. Car, quelque individu que ce soit recèle en lui une étincelle de la nature de cette lumière, dont les rayons communiquent secrètement une vertu active et motrice à la semence.

XXXIII

Il a été nécessaire que cette portion de la matière première, qui fut laissée dans la région inférieure, et aussi bien les éléments qui en ont procédé, fussent imbus dès le commencement d’une légère teinture de cette première lumière, afin qu’ils fussent capables de recevoir une lumière plus grande et plus forte lors de la formation des mixtes. C’est ainsi que le feu avec le feu, l’eau avec l’eau, la lumière avec la lumière, se joignent parfaitement et s’unissent, parce qu’ils sont de nature homogène.

XXXIV

Nous pouvons inférer de la situation et de la vertu efficace du Soleil, qu’il fait en l’Univers la fonction du cœur, duquel la vie se répand de toutes parts. Car la lumière est le véhicule de la vie, comme elle en est la source et la cause prochaine . Et les âmes des êtres vivants sont des rayons de la lumière céleste, qui inspirent la vie aux choses, à la seule exception de l’âme de l’homme, qui est un rayon de la lumière sur céleste et incréée.

XXXV

Dieu a exprimé sa divinité dans le Soleil par une triple image. D’abord, par l’Unité ; car la Nature ne souffre pas plus la multiplicité des Soleils que la divinité la pluralité des Dieux, afin que d’un seul toutes choses partent et dépendent. Ensuite, par la Trinité, ou la triple fonction ; car le Soleil, comme un vicaire de Dieu, distribue tous les bienfaits de la Nature par sa lumière, son mouvement et sa chaleur, d’où procède la vie, qui est le dernier acte, et le plus parfait de la Nature dans notre Monde, au-delà duquel elle ne peut passer outre, mais seulement revenir sur elle-même, Or de la lumière et du mouvement procède la chaleur, comme la troisième personne de la Trinité procède de la première et de la seconde. En dernier lieu, en ce que Dieu, qui est une lumière éternelle, infinie et incompréhensible, ne peut se manifester et se faire voir au Monde que par la lumière. Que personne donc ne s’étonne si le Soleil éternel a voulu revêtir de tant de privilèges son image très parfaite, le Soleil céleste, dont il fut le sculpteur, car il y a posé son tabernacle.

XXXVI

Le Soleil est un miroir limpide de la Gloire divine ; car cette gloire étant élevée au-dessus des sens et des forces des créatures matérielles, elle s’est fabriqué un miroir dont la splendeur pût réfléchir les rayons de sa lumière éternelle sur tous ses ouvrages, et la faire reconnaître par cette réflexion, puisqu’il est interdit à la nature mortelle de regarder immédiatement la lumière divine. Le Soleil est l’œil royal de la divinité, qui par sa présence accorde la liberté et la vie à ceux qui l’en supplient.

XXXVII - La création de l’homme.

Le suprême travail de l’Artisan, et en quelque sorte le nombril ou la couronne de tout l’ouvrage, consista à produire l’homme, résumé de la fabrication du monde et image de la nature divine. Le créateur plaça sa naissance à la sixième partie de la lumière, qui fut la dernière de l’œuvre, comme étant le riche meuble de la nature tout entière, où vinrent confluer dans la nature humaine tous les dons des puissances supérieures et inférieures, comme dans une autre Pandore. Ainsi aux choses de l’univers déjà ordonnées, l’homme s’est ajouté comme le seul complément qui manquait à l’OEuvre, celui pour lequel elle donna un limon plus pur, afin de modeler un vase d’argile aussi précieux. Le globe d’ici-bas et ses habitants demandaient un tel Recteur, dont ils puissent ne pas se lasser de porter le joug.

XXXVIII

Au sixième jour de la création et au troisième après la naissance du Soleil, l’homme surgit de la Terre. Le plus grand mystère répandit son ombre sur le temps de cette production, et sur ce nombre de jours. De même, en effet, qu’au quatrième jour de la création tout ce qu’il y avait de lumière dans le ciel se coagula en un seul Soleil, au troisième jour de la naissance de ce Soleil, qui fut le sixième de la création, le limon de la Terre reçut le souffle de vie et l’éleva sous forme d’un homme vivant, image de Dieu. Ainsi au quatrième jour, c’est-à-dire au quatrième millénaire après l’origine du monde, le Soleil non créé, c’est-à-dire la nature divine infinie, qui auparavant ne pouvait être contenue par aucun terme, a voulu être rétrécie et en quelque manière limitée au corps humain. Et le troisième jour, c’est-à-dire le troisième millénaire (car mille années devant Dieu ne comptent que pour un jour) après la naissance et le premier avènement de ce Soleil non créé, et sur la fin du sixième jour, c’est-à-dire du sixième millénaire depuis la création, se fera la glorieuse résurrection de la nature humaine dans le second avènement du Juge suprême : ce qui nous a été encore figuré par sa bienheureuse Résurrection, qui eut lieu le troisième jour. C’est ainsi que le Prophète a caché la destinée et la durée mystérieuse du monde dans la Genèse.

XXXIX

Quoique le Tout-Puissant ait pu créer le monde quand il lui a plu, voire en un moment et en un clin d’œil, s’il l’eût voulu ainsi, car il a dit, et toutes choses ont été faites, néanmoins l’ordre des principes de la création et des éléments de la nature, qui présente une succession (des créatures) avec relation des premières aux dernières, était tracé dans l’entendement divin avant que la nature fût créée : ordre que le Philosophe sacré semble avoir exposé dans la Genèse, plutôt que l’ouvrage de la création.

XL - Trois sortes d’informations de la matière première.

Il semble que la matière première ait été informée de trois façons générales. La première information a été faite en ce lieu où la forme lumineuse irraisonnable s’est rencontrée avec une portion de la matière plus faible qu’elle incomparablement, et sans aucune proportion des forces de l’une et de l’autre, comme dans le ciel empyrée, où elle a commencé d’agir sur la matière. Car ayant là une vertu presque infinie, elle a comme englouti la matière, et l’a changée en une nature presque toute spirituelle, et exempte de tout accident.

XLI

La seconde information a été faite dans le lieu où les forces de la forme et de la matière se sont rencontrées avec justesse et égalité. C’est de cette manière que le ciel éthéré et les corps qui le peuplent ont été informés : pour lors l’action de la lumière, dont la force est très puissante, a atteint un tel point qu’en illuminant et en subtilisant merveilleusement la matière, elle l’a exemptée de toute tare, et même du venin de la corruption et de la mort. Ce devait être et ce fut là une information (véritable et) pleine.

XLII

La troisième façon dont la matière a été informée, c’est celle où la forme s’est trouvée la plus faible, comme il est arrivé en notre région élémentaire, bien que de différente manière : là, l’appétit insatiable de la matière, qui s’irrite et devient violente à sa base par son excès et sa surabondance (ce qui est une marque de défaut et d’imperfection) ne peut être jamais satisfaite, ni son infirmité guérie, à cause de l’éloignement et de la distance du principe formel. C’est de là que vient que la matière, n’étant point ici-bas à son gré et pleinement informée, soupire toujours après une nouvelle forme : lorsqu’elle l’a enfin reçue, elle lui communique comme une dot à un mari un ample partage de corruption et d’imperfections. Cette chagrine, opiniâtre, rebelle et inconstante (matière) brûle toujours pour de nouveaux embrassements, désire toutes les formes, ne se satisfait d’aucune et hait, lorsqu’elles sont présentes, celles qu’elle désire absentes.

XLIII - La corruption ne procède pas de la contrariété des qualités.

Il est correct de conclure que l’origine et le ferment de l’altération et de la corruption, voire le venin fatal de la mort, arrivent aux éléments et aux mixtes d’ici-bas, non à cause de la contradiction de leurs qualités, mais plutôt à cause de la matrice et de la menstrue vénéneuse de la matière ténébreuse. Car la forme s’étant trouvée débile et impuissante dans l’union qui s’en est faite ici, où la matière a prévalu comme première et radicale, elle n’a pu la purger de sa tare et de son imperfection. Ce que nous confirme le texte sacré, où il faut remarquer qu’il est dit que notre premier père fut créé non immortel à cause de sa matière, et qu’afin qu’il fût exempt de la corruption terrestre et de la tache originelle de cette matière, Dieu mit dans le paradis terrestre un arbre abondant en fruits de vie et qui était comme un rempart et un remède contre la fragilité de la matière et la servitude de la caducité et de la mort. L’usage et l’approche lui en furent interdits après sa chute et la sentence qui le rendit mortel.

XLIV

Il n’y a eu donc dès le commencement que deux principes simples de la nature dont toutes les autres choses ont procédé, sans qu’aucune fût antérieure : c’est-à-dire la matière première, et sa forme universelle, de l’accouplement desquelles naquirent les éléments, comme de seconds principes qui ne sont rien d’autre que la matière première diversement informée ; elle devient par leur mélange la matière seconde des choses, qui est la plus prochaine ment sujette aux accidents, et qui souffre les vicissitudes de la génération et de la corruption. Tels sont les degrés, tel est l’ordre des principes de la nature.

XLV

Ceux qui admettent un troisième principe, outre la matière et la forme, à savoir la privation, font injure à la Nature : vu que ce serait contre son dessein qu’elle admettrait quelque principe qui serait contraire à sa fin : car la fin qu’elle s’assigne en engendrant étant l’acquisition d’une nouvelle forme, à laquelle la privation est contraire, il s’ensuit que ce principe ne peut être dans l’intention de la Nature. Ils eussent parlé plus véridiquement s’ils avaient reconnu l’amour, et l’inclination de la matière à la forme, pour un principe de la Nature. Car la matière étant privée de sa première forme, soupire après une nouvelle : mais la privation n’est purement rien d’autre que l’absence de la forme, à qui pour cet effet le nom auguste de principe de la Nature n’est pas dû. Il est dû bien mieux à l’amour, qui est le médiateur entre ce qui désire et ce qui est désirable, entre le difforme et le beau, et entre la matière et la forme.

XLVI

La corruption approche et participe davantage de la génération que ne fait la privation, vu que la corruption est un mouvement qui dispose la matière à la génération par des degrés successifs d’altération qu’elle y introduit. Mais la privation n’agit pas, et n’exécute rien dans l’ouvrage de la génération, au contraire de la corruption qui émeut la matière et la prépare afin qu’elle devienne susceptible de la forme, et comme une médiatrice, elle lui rend un service d’entremetteuse (lenocinium) afin que la matière puisse plus facilement assouvir sa convoitise naturelle, et par son ministère obtenir l’accouplement de la forme. C’est pourquoi la corruption est une cause instrumentale et nécessaire de la génération, tandis que la privation n’est rien d’autre qu’une pure carence du principe actif et formel, ou encore les ténèbres sur la face de l’Abîme, c’est-à-dire de la matière informe et ténébreuse.

XLVII

L’harmonie de l’Univers consiste en l’information diverse et graduée de la matière. Car du mélange pondéré de la matière première et de la forme a procédé la différence des éléments, puis celle des régions du Monde. Ce qu’en peu de mots, mais très véridiques, nous a indiqué Hermès, quand il a dit que ce qui est haut est comme ce qui est en bas. En effet les choses tant supérieures qu’inférieures sont faites de la même matière et de la même forme, mais elles diffèrent en raison de leurs mélanges, de leur situation et de leur perfection. C’est de là que dérivent la distinction des parties du Monde et la hiérarchie de l’ensemble de la Nature.

XLVIII

Il faut donc croire que la matière première, après qu’elle ait reçu de la lumière l’information et la distinction des choses, a tout entière émigré hors de soi-même et que, transmise dans les éléments et les mixtes qu’ils formèrent, elle a été totalement épuisée dans l’achèvement de l’œuvre de l’Univers ; il faut dire que dès que les choses qui étaient auparavant cachées en elle ont été manifestées, et produites, elle a commencé elle-même à s’y cacher, et ne peut aucunement en être séparée.

XLIX

Il nous reste une copie de cette ancienne masse confuse, ou de la matière première, dans cette eau sèche qui ne mouille pas, et qui se trouve dans les grottes souterraines ou même au bord des lacs ; elle imprègne toutes choses d’une semence abondante et devient volatile à la moindre chaleur ; si l’on savait en tirer les éléments intrinsèques alors qu’elle est étroitement unie à son mâle, et les séparer artistement, puis les conjoindre derechef, on pourrait se vanter d’avoir découvert un arcane très précieux de la Nature et de l’Art, et même un résumé de l’essence céleste.

L - Les éléments.

Celui qui cherche les éléments simples des corps, séparés de tout mélange, se fatigue en un vain labeur, car ils sont inconnus à l’esprit humain. En effet, ce qu’on tient couramment pour des éléments, ce ne sont pas des simples, mais ce sont des mixtes, quoique liés inséparablement à eux-mêmes. La Terre, l’Eau, l’Air sont plutôt des parties intégrantes de l’Univers que des éléments, mais à bon droit ; on peut dire qu’ils sont les matrices (des corps purs).

LI

Les corps de la Terre, de l’Eau et de l’Air qui sont séparés dans leur sphère sensible, sont différents des éléments dont la nature se sert dans l’ouvrage de la génération, et qui composent les corps mixtes. Car ces derniers sont imperceptibles à nos sens dans le mélange que la nature en fait, à cause de leur ténuité et subtilité, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la consistance d’un corps palpable, et se convertissent en une matière dense, ce qui est l’opinion de Lucrèce : « Il faut admettre que toutes les choses sont composées de principes insensibles ». Ceux qui composent la région inférieure de l’univers ne sont point admis dans l’ouvrage d’une génération parfaite parce qu’ils sont trop épais et impurs, non assez digérés, et sont plutôt des ombres et des simulacres d’éléments que de vrais éléments.

LII

Néanmoins nous pouvons appeler des mêmes noms que les nôtres ces éléments imperceptibles avant leur mélange dans l’œuvre absolue et parfaite, et dont l’industrieuse nature se sert pour façonner ses ouvrages ; car les parties du mixte répondent dans une certaine proportion aux parties du monde et leur sont en quelque manière analogues : on peut nommer les parties les plus solides « terre », les plus humides « eau », les plus déliées « air », la chaleur naturelle « feu » de la nature et les vertus occultes et essentielles sans inconvénient « natures célestes et astrales », ou encore « quintessence ». Et ainsi quelque mixte que ce soit se glorifiera par analogie du nom de « microcosme ».

LIII

Celui qui pourrait tirer les premiers éléments qui servent à la génération des choses pourrait aussi en composer les individus de ces mêmes choses, et derechef résoudre ces individus en leurs éléments.

LIV

Ceux donc qui travaillent à chercher les éléments de la nature pour en composer un corps, ou après l’avoir composé avec l’artifice dont la nature se sert, le résoudre derechef en ses éléments, qu’ils aient recours à l’Auteur de la nature même : car ces premiers éléments sont tout à fait du domaine et de la connaissance de la nature, et ont été laissés dès l’origine à son discernement, tout en demeurant inconnus à l’art et à l’industrie humaine.

LV

L’élément de la nature dans les mixtes est précisément une portion très simple et très pure de la matière première, distinguée par sa propre différence et ses qualités, et qui forme la partie essentielle dans leur composition matérielle.

LVI

Par éléments de la nature, on entend les principes matériels, dont les uns sont plus purs que les autres et plus parfaits selon que la vertu de la forme y est plus grande et plus forte. On distingue la plupart par la rareté et la densité : ceux qui sont les plus rares et les plus proches d’une nature spirituelle, ceux-là sont les plus purs, les plus légers, les plus aptes à l’action et au mouvement.

LVII

La vénérable antiquité a partagé l’empire du monde entre trois frères, tous fils et cohéritiers de Saturne, parce qu’elle reconnaissait trois natures des éléments ou plus véritablement trois parties dans l’univers. En effet par Jupiter tout-puissant ayant obtenu du sort l’empire du ciel, armé d’un triple foudre, supérieur à ses autres frères, les initiés à ses arcanes ont compris la région éthérée, qui est le lieu des corps célestes, et qui s’arroge l’empire sur les régions inférieures. Au dessous de lui, ils ont placé Junon, épouse de Jupiter, comme maîtresse de la région inférieure du ciel, c’est-à-dire de notre air : parce que cette région est toute troublée par des vapeurs, humide, froide, et en quelque manière impure et très proche du tempérament féminin. Mais aussi parce qu’elle est soumise aux décrets des corps supérieurs, qu’elle est susceptible de leurs impressions, et nous les communique, s’insinuant dans les choses dont la nature est épaisse pour les fléchir et les assouplir aux ordres imprimés par les choses célestes, et enfin parce que le mâle et la femelle diffèrent seulement de sexe, et non pas d’espèce, ils n’ont pas voulu que l’air ou le ciel inférieur fût un élément différent du ciel supérieur en essence et en espèce, mais seulement différent quant au lieu et aux accidents. À Neptune, divinité de la mer, ils ont assigné l’empire des eaux. Par Pluton, roi des Enfers et dieu des richesses, ils ont voulu entendre le globe terrestre empli de trésors, après lesquels les hommes soupirent et travaillent, les poursuivant comme un fantôme de gloire. Ces sages donc n’ont admis que trois parties de l’Univers, ou trois éléments, si on veut les nommer ainsi. Et parce qu’ils ont voulu subsumer l’élément du feu sous la région éthérée, ils ont dépeint leur Jupiter armé d’un foudre.

LVIII

L’expérience nous apprend que tous les corps des mixtes se résolvent en sec et en humide, comme aussi tout excrément animal. Ce qui prouve que les corps mixtes sont composés de deux éléments sensibles seulement, répondant à notre terre et à notre eau, dans lesquels néanmoins les autres résident en vertu et en puissance. Car l’air, ou élément du ciel inférieur, échappe à nos sens, parce qu’à notre égard il est en quelque façon de la nature des choses spirituelles. Quant au feu de la nature, parce que c’est un principe formel, il ne peut aucunement par quelque résolution que l’on en fasse, malgré tous les secrets de l’art, être aperçu séparément des choses, car la nature des formes n’est pas soumise à l’appréciation des sens, car elle est toute spirituelle.

LIX - La Terre

La terre est le corps et le limon de l’Univers condensé ; aussi est-elle très pesante, et en occupe-telle le centre. Or il faut tenir pour constant que si elle est d’une nature sèche, c’est par accident, en dépit de l’opinion commune. Il faut aussi tenir pour constant qu’elle est froide, parce qu’elle retient plus que les autres (éléments) quelque chose de la nature opaque et ténébreuse de la matière première. Car l’ombre et les ténèbres sont les réceptacles et les retraits du froid ; aussi fuient-elles la lumière, et de crainte d’être violées par elle, elles lui sont toujours opposées diamétralement. Or la terre, grâce à son extrême densité, est la mère et la base des ténèbres, étant très difficilement accessible à la lumière et à la chaleur. C’est pour cela qu’elle devient toute transie par un froid violent. La bile noire est jugée la plus froide de toutes les humeurs parce qu’elle participe de la terre, et appartient à son domaine, comme la terre relève de Saturne qui donne un tempérament froid et mélancolique. De même, les productions qui se forment dans le sein de la terre, et qui sont d’une substance terrestre, comme le marbre et les pierres, sont de nature très froide ; bien qu’il faille juger autrement des métaux, qui sont davantage de la nature de l’air, et contiennent en eux beaucoup de feu, à cause des étincelles du feu caché de la Nature qui leur sont infuses, et de l’esprit sulfureux qui coagule leur matière humide et fluide : cependant le mercure, qui l’emporte sur les autres par son humidité et sa froideur, rend tribut de son froid à la terre, et de son humidité à l’eau. Il en va autrement dans les productions qui se font dans la mer, comme on peut le constater assez dans l’ambre, le corail et diverses autres choses qui naissent dans la mer et dans les fleuves, et qui sont d’un tempérament chaud. C’est pourquoi nous savons par le raisonnement et par l’expérience que le froid souverain est dû à la terre et non à l’eau.

61

Tout ce qui est froid, & sec,est contraire à la génération ; si ce n’est qu’il y survienne un secours étranger. C’est pourquoi, fort à propos l’Auteur très-sage de la Nature, a voulu que le sein froid & transi de la terre, fut réchauffé d’un feu Céleste, & a allié à son globe sec la nature humide de l’eau, afin que, par le mélange de ces deux causes de la génération, le chaud, & l’humide, il en aidait la fertilité de la terre ; & qu’ainsi par le moyen, & le concours de tous les Elements, la terre devint un vaisseau physique, & fécond de génération. Il faut donc avouer, que dans la terre se trouvent toutes les qualités, & tous les Eléments.

62

L’Autheur du monde a formé très-sagement le corps de la terre tout spongieux ; afin qu’il fut accessible, 8c ouvert à l’air, aux pluies, & aux influences Célestes ; comme aussi afin que par la force de la chaleur interne, les vapeurs humides, étant chassées du centre à la superficie, par les pores, & les canaux de la terre, elles puissent corrompre les semences des choses par le moyen d’une putréfaction tempérée, & les préparer à la génération ; lesquelles semences étant par ce moyen disposées, reçoivent la chaleur vivifiante du Ciel. Car la nature a mis, & caché au profond des choses, un amour attrayant, & aimantin, par la vertu duquel elles attirent les vertus, & les propriétés des choses supérieures, & Célestes, lesquelles aident, & hâtent leur information, concourant avec le souffle fécond, qui inspire la vie aux choses.

63

La chaleur, qui sort des entrailles de la terre humide, & impure, corrompt à cause de l’imperfection de la terre, & de l’eau, avec qui elle est mêlée : mais la chaleur Céleste qui est très-pure, engendre en excitant, en dilatant, & en provoquant la chaleur naturelle, qui est dans les semences des choses, & cachée dans leur centre, ainsi qu’un trésor précieux & rare, de la nature : & parce que ces deux chaleurs font de même nature, elles concourent fort doucement par ensemble en l’ouvrage de la génération, s’unissant inséparablement, jusque à tant que par leur alliance elles aient donné la vie, & l’accroissement aux choses.

64 - L’eau.

L’Eau, est d’une nature qui tient le milieu entre le dense, & le subtil, encre la terre & l’air. C’est le menstrue de la nature ; c’est un corps volatil, qui fuit, qui ne peut compatir avec le feu, qui s’exhale en vapeur par la moindre chaleur, qui prend toutes les figures possibles, & se change en plus de façons qu’un Prothée.

65

L’Humide Elément est un mercure, qui prenant tantôt la nature d’un corps, tantôt celle d’un esprit, attire en soi par ses résolutions les vertus des choses supérieures, & des inférieures ; & comme s’il en prenoit les commandements, & les ordres, il en devient le négociateur, & fait en cette qualité d’agent, qu’il y ait commerce entre les natures éloignées l’Univers ; & ne discontinuera point les pratiques jusques à tant que tous les Eléments de la Nature corruptible soient purgés, & desséchés par le feu, & que le Sabat général arrive.

66

D’autant que l’eau approche fort de la nature de la matière première, elle en devient facilement l’image, & le crayon. Car le chaos qui a enfanté toutes choses, ne fut autrefois qu’une certaine vapeur subtile, & ténébreuse, ou bien une certaine substance humide de ténèbres, semblable à une fumée déliée, de la portion plus subtile de laquelle les Cieux ont été faits, & étendus, ayant été encore distingués en trois ordres, & en trois régions, à raison de la qualité différente de leur matière : L’ordre plus haut est aussi le plus noble ; le second tient le second rang en dignité, le dernier au dessous du second, le cède aux deux supérieurs, & en dignité, & en situation. La substance, plus dense de la matière est restée comme une masse aqueuse, & d’une nature mitoyenne entre celle des Cieux, & celle qui étant très condensée a pris le centre comme la lie de toute la masse, & a été changée au globe solide de la terre : & ainsi les extrémités de tout ce grand chef-d’œuvre, c’est à savoir, le Ciel, & la terre, ont été ceux-là, qui ont moins retenu de la nature, & de la figure de la matière première. Le Ciel à cause de la parfaite rareté, & légèreté, & la terre à cause de son extrême densité, & pesanteur : mais l’eau qui tient le milieu entre l’un, & l’autre, est restée d’une nature plus approchante du chaos, & de l’abîme sans forme, d’où vient qu’elle se change facilement par la raréfaction en une fumée ou vapeur, qui est un crayon, ou une image de cette Hyla ancienne.

67

L’Humidité est plus propre à l’eau que la froideur ; parce que l’eau est plus rare, & plus susceptible de la lumière que la terre. Car les choses qui participent plus de la lumière, sont moins capables d’être froides, comme font les corps rares ; à cause qu’ils approchent, & qu’ils ont de la ressemblance avec son éclat. Or l’eau a reçu de la matière première, ou abîme son humidité, comme la terre sa froideur : & l’esprit Architecte du monde a divisé ces deux enfers, & crasses parties en ces deux natures, qui ont de l’affinité, & du rapport par ensemble.

68

La froideur est amie de la sécheresse, & l’introduit partout où elle règne, & où elle a le dessus en resserrant, & desséchant les choses humides ; comme l’expérience de la neige, de la glace, & de la grêle, nous le fait voir. Car c’est de l’ouvrage de la Nature de resserrer, & dessécher l’eau, hors laquelle il n’y a rien de plus humide, par le moyen du froid, comme par un organe propre : & même le principal, & le commun sujet de la chaleur, & du froid c’est l’eau qui est fort combattue par l’un, ou par l’autre, jusques à tant qu’elle cède à leurs efforts ; d’où vient qu’aux premiers froids d’Automne, il tombe tant de feuilles sèches, & que les tiges des petites plantes par l’injure de l’hiver se sèchent, et se voient privées d’humeur, & d’aliment. C’est en cette sorte que Virgile a entendu que le froid pénétrant brûle, & attaque en ennemi impitoyable l’humeur vitale des choses, d’où provient que la vieillesse flétrit, & s’abat. Enfin, c’est delà d’où provient la mort qui moissonne tout ce qu’elle trouve de sec, avec un froid très âpre, comme avec une faux d’acier, & le porte dans ses greniers. Or comment est-ce donc après cela que l’on pourroit assurer que le froid sympathise avec l’eau, & qu’il y réside comme en son sujet propre, & convenable ; voir que la Nature ne souffre pas mêmes que les éléments agitent l’un contre l’autre, de peur qu’ils ne se détruisent, & que le plus fort n’opprime le plus faible. Et de vérité, le froid qui est de sa nature ordinairement intense, & très-violent, auroit sans doute bien-tôt triomphé de l’humidité, qui est d’elle même tempérée, & incapable de résister, l’affaiblissant, ou même l’épuisant bien vite en la desséchant, & referrant. Ainsi l’un des éléments de la Nature étant détruit, il s’ensuivroit que l’action & l’ouvrage des autres, seroit imparfaite & insuffisante pour la génération. Affleurons donc plutôt qu’il feroit contraire aux lois de la Nature, de donner la froideur souterraine à l’eau.

69

La Nature puise ses éléments plus généraux de ces deux denses parties, c’est à savoir de la terre, & de l’eau, avec lesquelles elle façonne ses vaisseaux & les organes corporels ; car par le mélange des deux, il se fait un limon : or ce limon est la matière plus prochaine des choses engendrées ; car il est comme un petit chaos, dans lequel tous les éléments se trouvent confondus, & en puissance. Notre premier père même fut créé du limon, & en fuite toute génération humaine a procédé du limon. Dans la génération des animaux du sperme, & du menstrue, il se fait un limon, d’où naît l’animal. Dans la production des végétaux, les semences se changent premièrement par la putréfaction en un limon subtil : après elles prennent consistance, & se changent au corps du végétal. Dans la génération des métaux du soufre, & du mercure mélangés avec proportion, & resous en une eau grasse, il en vient un limon, dont les corps métalliques étant cuits longtemps, s’endurcissent à la fin: dans la dissolution chimique des métaux, & dans la création de la pierre, & du secret philosophal, l’on tire tout premier un limon de la semence purgée, & mélangée de l’un, &: de l’autre sexe.

70

L’Eau est la base, & la racine de l’humide, ou plus véritablement c’est l’humeur même, de laquelle tout ce qui est humide prend son nom. L’on peut donc fort bien définir l’eau ainsi, disant que c’est le principe, & la source de l’élément humide, ou de l’humeur, dont le propre est de mouiller par la liqueur. Or les choses sont appelées humides, selon qu’elles ont plus ou moins d’humeur, ou de liqueur aqueuse. Or l’humeur est susceptible de toutes les qualités. Ainsi le sang pur, & le bilieux sont des humeurs, qui ont une qualité chaude, quoi qu’ils aient leur base dans l’élément de l’eau. L’eau forte, & semblables, ont une vertu brillante & caustique. L’eau de vie, & plusieurs essences que l’on tire sous la consistance d’un corps huileux, ou aqueux, abondent en chaleur, quoi que l’eau qui est leur racine soit froide, d’autant que la Nature a imprimé dans l’élément humide divers caractères, & signatures de ses vertus, & lui a imprimé ses premières qualités : elle est le premier sujet où elle s’occupe, où elle met ses soins, & où elle travaille. C’est avec sa liqueur qu’elle détrempe, & délaye ses diverses couleurs, & teintures ineffaçables ; & c’est aussi l’eau qui reçoit la première l’influence des dons spirituels ; c’est chez elle où ils font leur premier séjour et où ils commencent à déployer leurs forces.

71

Les eaux inférieures sont séparées en deux, & occupent différentes régions car la partie qui est contigue à la terre, y repose comme sur sa propre base, ne composant qu’un globe avec elle : l’autre partie, qui prend son essor en haut, se promène par des routes incertaines dans l’empire de l’air, qui lui est voisin, & là suspendue qu’elle est, elle se façonne, & se change en mille figures, & en mille fantômes des choses qu’elle représente.

72

De tout temps une grande partie des eaux a habité dans les airs, où étant poussées par les vents ça et là, elles en parcourent les diverses contrées : ce que Dieu a voulu dés le jour de sa création par un décret de sa Sagesse ; afin que la face de la terre étant par ce moyen découverte, & dégagée de la tyrannie des eaux, devint un lieu commode pour la génération des choses ; car le lit de la mer, ni celui des fleuves, & des rivières, ne seroient pas capable de recevoir toute l’eau du monde ; & si toute celle qui est dans les airs tomboit, les digues, & les cataractes du Ciel étant lâchées, peut-être qu’après avoir couvert toute la planissure de la terre, quelle arriveroit jusque au sommet des plus hautes montagnes ; d’où l’on peut conjecturer que le déluge autrefois arriva peut-être de cette sorte.

73

Ce n’est pas seulement par la chaleur que l’eau est ainsi sublimée en vapeurs, & élevée en l’air, ni par le froid aussi seulement qu’elle s’y resserre en nuée ; les vertus du Soleil, & des autres astres contribuent beaucoup & en l’un, & en l’autre, non seulement en multipliant les forces des éléments : mais aussi en attirant ou retenant plus ou moins l’humeur par une certaine amorce & vertu aimantine, selon leur diverses disposition, & aspects dans le Ciel ; d’où vient cette constitution différente que nous remarquons dans les années. Car cette masse d’eau est-là balancée, non seulement par le froid, & la solidité de l’air ; mais encore par le froid, les ordres des corps Célestes.

74

Afin que les outils des supplices qui sont dus à nos crimes ne manquassent point à la justice divine, elle a voulu que l’Océan devint volatil, & fut balancé fur nos têtes : & y a mis encore par dessus des carreaux, & des foudres enflammées, afin que l’audace, & l’indolence des hommes, qui ne pouvoient être fléchie par l’amour, fut retenue par la crainte.

75 - L’air.

Ceux qui attribuent à l’air une humidité extrême, & au dernier degré, à cause que difficilement il est contenu par ces propres termes, & facilement par d’étrangers, se trompent fort : Car c’est-là une propriété des corps subtils, & liquides, & non pas des humides : & elle convient mieux au feu, & à la substance céleste qu’à l’air, & à l’eau. Car les corps les plus rares, parce qu’ils sont lâches, & fluides, ne peuvent point retenir une consistance ferme dans leurs termes propres, mais ils ont besoin de termes étrangers ; & les corps denses, & solides au contraire, s’arrêtent dans les bornes de leur contour & de leur superficie, ce que ne peuvent pas les corps subtils, qui à cause de leur ténuité se liquéfient, & s’épanchent : & d’autant qu’ils sont plus rares, d’autant aussi plus facilement sortent-ils hors d’eux-mêmes, & ont moins de consistance : d’où il s’enfuit que l’air, à la vérité, en est bien plus rare, mais non pas plus humide.

76

L ’Air de soi-même n’a point de qualités extrêmes, il en emprunte néanmoins quelquefois d’ailleurs. Sa nature tient le milieu entre les corps supérieurs & les inférieurs. C’est pour cela qu’il épouse facilement les qualités, & les impressions des choses, qui l’avoisinent ; d’où vient que la plus basse région de l’air, selon les vicissitudes des temps, & du Ciel, devient plus ou moins tempérée, & cette altération lui arrive du changement des corps voisins, &: plus crasses que lui ; c’est à savoir, de la terre, & de l’eau dont la chaleur & le froid en troublent facilement l’état, & la constitution.

77

L’air se peut aussi appeler un Ciel, c’est la basse court de l’Univers, & le crible de la Nature, au travers duquel les influences, & les vertus des corps célestes, se frayent un passage, c’est une nature mitoyenne, qui conjoint toutes les autres natures de l’Univers dispersées, c’est une fumée très-déliée, que le feu Céleste à allumé en guise d’une flamme immortelle, c’est le sujet commun de la lumière & de l’ombre, du jour & de la nuit, sa nature ne peut souffrir le vide, il est le premier des diaphanes, il est très-susceptible de presque toutes les qualités, & impressions possibles, il n’en retient néanmoins aucune opiniâtrement, & étant d’une nature presque spirituelle, les Philosophes l’appellent dans leur ouvrage miraculeux, du nom d’esprit.

78

Cette région inférieure de l’air, est semblable au col, & à la partie supérieur d’un alambic. Car les vapeurs montant par l’air, & étant portées tout au haut, y sont condensées par le froid, & à l’instant, étant là résolues en eau, elles retombent par leur propre poids. Ainsi la nature par ses distillations fréquentes, élevant et sublimant l’eau, & la cohobant la rectifie. En ces opérations de la nature la terre est la cucurbité, & le récipient tout ensemble. Or l’air de cette basse région qui est une voûte, & un lambris humide, est plus condensé, & plus impur que l’air qui est par dessus.

79

La moyenne région de l’air n’est pas ce lieu où se forment les nues, les éclairs, & les tonnerres. Car toutes ces choses se font dans la partie plus haute, & dans les limites de l’inférieure : mais c’est le lieu qui est justement par-dessus les nues, où les vapeurs aqueuses ne peuvent arriver, à cause de leur pesanteur, dans laquelle néanmoins montent des exhalaisons ensoufrées, dégagées de la pesanteur des vapeurs, où étant arrivées, elles s’y échauffent, soit par leur propre mouvement, soit par un étranger, & ensuite s’y enflamment : tels font divers météores de feu que nous voyons, qui sont véritablement en la moyenne région : d’où nous pouvons conjecturer, que la matière dont elle est remplie, est une matière chaude, & humide, & non point aqueuse, mais grasse, telle qu’est l’aliment du feu. En cette région là règne un calme, & une tranquillité merveilleuse : par ce que les vents n’en troublent point le repos, & que là seulement sont portés les plus légers excréments de la nature inférieure.

80

La région supérieure voisine à la Lune, est toute purement air, non pas pleine de feu : comme l’on la crû faussement depuis longtemps dans les Écoles. Elle est la paisible demeure de l’air le plus purifié : & comme voisine de la région éthérée, elle approche aussi de sa nature : car ce lieu n’est souillé d’aucunes vapeurs impures de l’abîme inférieur : Là est une température parfaite, & sa pureté n’est guère éloignée de celle du Ciel. Un Philosophe devrait avoir honte d’y forger la Sphère du feu, qui violant les lois de la nature, aurait bientôt ravagé la machine de l’Univers.

81 - Le feu.

Les Philosophes anciens, ont placé le feu de la Nature, comme un quatrième élément au-dessus de la suprême région de l’air, comme en sa sphère : ce qu’ils ont dit plutôt par conjecture, & à cause de l’ordre, que porté d’un esprit de vérité à l’assurer ainsi. Car que personne ne s’imagine que le feu de la nature soit autre que la lumière Céleste ; & c’est pour cela que le Philosophe sacré dans la Genèse, ne fait point mention du feu de la nature, parce qu’il avait déjà dit, que la lumière, qui est le vrai feu de la nature, avait été créée dès le premier jour. Or il n’aurait point oublié le feu en cet endroit, comme étant un des principes de la nature, lorsqu’il parle de la terre, de l’eau, & du Ciel des oiseaux.

82

À moins que de rêver, l’on ne peut pas se figurer une région d’un feu ardent, qui soit contigu à la région de la Lune. Car l’air ne serait pas capable de soutenir une si grande abondance de feu très intense, & très violant, & d’empêcher qu’il n’eût déjà dès longtemps ravagé toute la masse de la terre. Car ce tyran consume tout ce qu’il touche, étant destiné à la ruine, & à la destruction du monde, & de la nature.

83

L’air, ni la terre, n’ont donc point reçu, ni baillé de rang à ce destructeur de la nature, en qualité d’élément. Néanmoins il y exerce ses tyrannies le plus souvent, soit dans la région plus haute de l’air, soit dans le centre de la terre, & soit sur sa surface, où il soit allumé. C’est pour cela que le docte Lulle le met au nombre des tyrans du monde. Et de vérité l’on peut dire, qu’il est contre-nature : parce que ce qui la détruit, lui est contraire.

84

Notre feu vulgaire est en partie naturel, & en partie artificiel : peut-être que l’homme l’a emprunté du Ciel, pour la commodité, & la nécessité de la vie, unissant ses rayons, & augmentant ses forces, ou bien par l’heurt, & le choc des deux corps durs : ce qu’il faut croire avoir été suggéré par l’Esprit de Dieu.

85

Le Souverain Créateur de toutes choses, a mis dans le globe du Soleil un esprit de feu, dont la chaleur est bénigne, & bienfaisante ; afin qu’il inspira une lumière, & une chaleur vivifiante dans tous les corps de l’Univers, d’où il est arrivé que plusieurs ont pensé qu’il était le cœur de toute la fabrique du monde : & de fait, de lui procède le principe de la génération, & de la vie de toutes choses : & ceux qui cherchent un autre élément de feu dans la nature, ceux-là sont aveugles, parce qu’ils ignorent qu’il y ait un Soleil.

86

La source donc du feu de la nature réside dans le Soleil, dont la chaleur en soi est toujours égale, & très tempérée : quoique nous la sentions plus ou moins forte, & relâchée, selon que le Soleil s’approche ou s’éloigne de nous, ou selon que ses rayons tombent droit ou de biais, ou bien à raison de la situation, & de la nature des lieux, & des climats. Plusieurs Philosophes l’ont considéré comme l’âme du monde, qui inspirait à la nature le mouvement, & la faculté d’engendrer.

87

Le Soleil n’est pas l’œil de l’Univers, comme l’ont voulu dire quelques Anciens : mais il est l’œil du Créateur de l’Univers, par lequel il regarde d’une façon sensible ses créatures sensibles, par qui il leur envoie les doux rayons de son amour, & dans qui il se fait voir clairement. Car autrement, à peine la nature, qui est sensible eût-elle pu remarquer des traces, & des vestiges ailleurs de son auteur insensible pour le connaître : & c’est pour cela qu’il a voulu revêtir un corps si beau de sa gloire, pour y loger, & pour nous faire du bien, versant par ses divins rayons l’esprit, & la vie.

88

Dans ce principe universel de la nature, procède toute la chaleur naturelle, qui est tant dans les éléments, que dans les mixtes, laquelle chaleur a mérité justement le nom de feu de la nature. Car puisque nous y remarquons une chaleur naturelle, & empreinte, un mouvement naturel, & la vie même, nous devons croire, que dans ces mixtes, & ces éléments, la nature a renfermé son feu, qui est le premier principe, & le premier moteur des éléments, qui sert même d’élément à nos éléments sensibles, & impurs, pour les animer, s’il faut ainsi parler néanmoins dans la terre, il y réside plus opiniâtrement, & y est plus resserré, à cause de sa condensité, & de sa froideur, qui y excite une antipéristase.

89

Le feu de la nature enté dans les mixtes, a son siège naturel dans l’humide radical, & le siège principal de celui-ci, est particulièrement dans le cœur (quoiqu’il soit répandu dans tout le corps) comme étant le premier organe de la vie, & le centre du microcosme ; d’où ce Prince de la nature donne des lois, & des ordres comme dans son fort, & d’où il fait mouvoir avec harmonie, & proportion toutes les facultés, & les autres organes ; ce feu inspire aux humeurs du mixte, aux esprits, & enfin à toute la masse élémentaire, le mouvement, la chaleur & la vie : & parce qu’il est le fils, & le Lieutenant du Soleil, il fait dans le petit monde, ce que le Soleil fait dans le grand.

90

De même que le Soleil qui tient le milieu entre les autres planètes, leur envoie des rayons de sa lumière, leur communique des forces, & des vertus, & les anime d’un esprit vivifiant, afin qu’ils puissent concourir unanimement à donner la vie aux choses ; ainsi son esprit, & un de ses rayons étant placé au milieu de la nature élémentaire, ou du mixte, lui influe la lumière, rassemble les éléments dans l’ouvrage de la génération, les unit, & les vivifie.

91

Le premier agent dans le monde, c’est ce feu de la nature, qui ayant sa source dans le globe du Soleil, envoie par ses rayons une chaleur vivifiante par tout l’empire de la nature, élevant de la puissance à l’acte les semences des choses, & y introduisant le principe du mouvement, & de l’action, d’où étant éloigné tout mouvement cesse, la faculté de l’action, & de la vie, n’ayant plus aucune fonction.

92

La chaleur de la nature, & la lumière de la nature, sont en effet la même chose ; car elles coulent incessamment, & uniformément d’une même source ; à savoir du Soleil : néanmoins elles sont distinguées par leurs fonctions différentes. Car l’office de la chaleur est de pénétrer jusque dans l’intérieur de la nature : mais celui de la lumière est de faire voir les choses extérieures. Le propre de la chaleur est d’émouvoir les vertus cachées dans l’essence des choses, & celui de la lumière, de mettre devant nos yeux les accidents sensibles. Or les rayons du Soleil font l’un, & l’autre. Le Soleil est donc le premier organe de la nature, qui par son approchement ou éloignement gouverne, augmente, ou diminue les forces de toutes les opérations de la nature par sa lumière, & sa chaleur.

93

Le second agent universel, c’est cette même lumière, non pas néanmoins en tant qu’elle coule immédiatement de son origine, mais en tant qu’elle est réfléchie par les corps denses, ou qu’elle est reçue, comme sont les globes célestes ; & mêmement la terre. Car la lumière du Soleil en frappant ces corps, émeut leurs dispositions, & leurs facultés, & dans cet attouchement, & ce mélange elle s’altère, & ses rayons qui en sont réfléchis, portent avec eux dans tout l’Univers, au travers de l’étendue de l’air, les différentes vertus de ces globes ; car par ces rayons comme par autant de canaux, sont portées de toutes parts les diverses impressions, & affections de tant de divers corps, pour le salut, & l’harmonie de toute la nature : & c’est ce que nous appelons les influences des Astres. Ces agents sont donc les véritables, & premiers éléments de la nature, lesquels étant tous spirituels, se communiquent à nous sous une substance, & nature aérienne ou aqueuse : & d’iceux dépend premièrement tout ce qui est produit, & qui a vie, comme étant les racines des éléments.

94 - L’amour est le génie de la Nature.

Platon a dit, que l’amour était le plus ancien des Dieux. Or il a été inspiré en la Nature dès sa naissance, par l’esprit divin, & lui a été baillé comme son génie & son bon Ange. En la division du chaos, & dans le partage que ces premiers frères les éléments firent de cette grande famille de l’Univers, il fit la fonction de Juge, & depuis il présida à la génération des choses.

95

Le premier lien d’amour que la Nature a reçu de son Auteur, a été celui qui est entre la matière première, & la forme universelle, le ciel, & la terre, la lumière, & les ténèbres, l’abondance, & la disette, le beau, & le difforme, ou défectueux. Le second lien d’amour, a passé, & coulé dans les éléments de cette première union de la matière & de la forme, par laquelle comme par la copule, & par l’embrassement de leurs parents se trouvant noués d’un amour fraternel, ils se sont partagé équitablement l’héritage de la Nature. Le troisième, & dernier lien d’amour se trouve dans les mixtes, qui par le moyen de ces étincelles de feu d’amour, que la Nature y a renfermé & caché, se portent à la multiplication de leur semblable. L’amour divin a mis ce triple lien d’amour dans les choses créées, comme un nœud enchanté, afin de s’étendre, & de se rendre présent, & sensible dans chaque pièce, & partie de son ouvrage comme par des rejetons ; car de fait, l’amour est la base de l’Univers, le cube de la Nature, & le lien très fort, qui conjoint les choses supérieures avec les inférieures.

96 - La contrariété ne se rencontre point dans les éléments.

C’est être antipode au sens commun, que d’assurer que la discorde règne dans les mouvements harmonieux de la Nature. Car elle est toute pacifique, & douce dans ses actions : & même elle est piquée d’un mouvement d’amour violent dans la génération ; & les éléments des choses dans la copule s’épanchent, & nagent tous dans des appétits lascifs, & voluptueux ; afin que, par leurs mutuels embrassements, ils puissent demeurer unis, & que de plusieurs qu’ils sont, il n’en résulte qu’un composé.

97

Faisons ressusciter l’Académie, afin qu’elle nous dise comment est-ce que la matière première peut-être le premier sujet des contraires ; & comment est-ce que parmi les débats de choses contraires, l’amour ou bien cet appétit véhément, que le Prince de l’Académie a reconnu être caché dans les sein de cette matière, par laquelle elle ne souhaite pas moins la forme, que la femme soupire après le mâle, se tient en repos, & dans la quiétude. Ces ennemis tumultueux, qui sont dans les semences des choses, & dans les mixtes, n’en banniront-ils pas enfin cet amour, & cette concorde par leurs combats éternels ?

98

Ceux qui confessent qu’il y a véritablement un amour entre la matière, & la forme ; mais qui admettent aussi la haine, & la répugnance dans cette matière, & dans les éléments, sont en cet établissement de contraires, tout à fait contraires à eux-mêmes : vu qu’en tout ce qui est engendré, si l’on en exempte l’homme, la forme, selon l’opinion de l’Académie, est tirée de la puissance, ou d’une force secrète de la matière. Or comment se ferait cela, si ce n’est par amour ? Si la matière souffre intérieurement, & dans sa racine, les combats des contraires, la forme ne les souffrir a-elle pas aussi, qui procède du plus profond de son essence ? Ou bien ne serait-elle pas opprimée ou suffoquée dans sa naissance par ces désaccords ? Après cela, faut-il avoir l’entendement bien sain de vouloir dans le point du mélange des éléments, & de l’information de la matière, faire présider & combattre tels gladiateurs en ce mariage de l’amour, & de la Nature ? Ne devrions-nous pas attendre une lignée, & une production monstrueuse de cette semence hétérogène, diverse & de cet accouplement de parents contraires entre eux ?

99

Il ne faut plus chercher la cause de l’altération des éléments, & de la corruption & caducité des mixtes dans la répugnance de leurs éléments : mais en rejeter la faute sur la disette, la défectuosité, & l’imbécillité de la matière première : car il n’est pas vrai, comme l’on a cru vulgairement qu’il y eût un combat dans le chaos des choses froides contre les chaudes, & des humides contre les sèches, ainsi que chante le Poète. Les choses froides livrent une rude guerre contre les chaudes, & les humides, contre les sèches, vu que de quatre qualités qui sont à présent, il n’y en avait là que deux ; & encore n’étaient-elles aucunement contraires ; c’est à savoir l’humidité, & la froideur, qui conviennent à la matière, comme à la femelle : & les autres deux, c’est à savoir le chaud & le sec, qui sont masculines, & formelles, procédèrent après de la lumière informante : car la terre n’a point été appelée aride & sèche, qu’après que les eaux s’en furent retirées, & qu’elle eût reçu la lumière ; car auparavant elle était humide & sous la servitude des eaux.

100

La raison nous enseigne donc, que ces quatre qualités que le vulgaire croit être contraires, n’ont été introduites dans la matière première, qu’après qu’elle a été informée : & assurément dans sa solitude elle n’était point sujette à cette contrariété. Elle avait bien à la vérité d’autres défauts : c’est à savoir l’opacité, la confusion, la difformité, la froideur, une humidité crue, & indigeste, & l’impuissance, qui sont toutes des marques d’un corps malade, & languissant. Elle a donc reçu dès sa création la tache de la corruption, qu’elle a communiquée, & fait passer à sa postérité, & à ses enfants, qui séjournèrent dans cette basse, & infirme contrée des éléments ; & c’est pour cela qu’il n’est pas dit dans la Genèse de cet abîme ténébreux, qu’il fut fort bon ; mais cet éloge fut seulement don né à la lumière, & aux autres corps après qu’ils furent créés.

101

Or faudrait-il avoir la lumière naturelle, que de penser que de la forme reçue dans la matière, soit procède ce désaccord de qualités, après qu’elles ont été unies à la matière informée : vu que c’est de l’essence, & de l’intention de la forme de perfectionner la matière, & d’y établir autant quelle peut un concert harmonieux, & un tempérament parfait.

102

Les premiers contraires qui l’ont été dans la nature, à raison de leurs qualités ennemies, ont été la lumière, & les ténèbres : la lumière avait deux qualités, à savoir, le chaud, & le sec, les ténèbres tout autant, à savoir le froid, & l’humide, qui étaient entièrement contraires par ensemble, parce qu’elles y étaient extrêmes, & dans le dernier degré d’excès : mais après que ces deux anciens principes de la nature se sont alliés ; & que le principe ténébreux, matériel, & féminin, a été informe par le principe lumineux, formel, & masculin, & qu’il a été fécondé, & en grossi de lumière ; alors toute la matière de l’Univers, & toutes ses régions ont participé au bénéfice de la lumière : néanmoins avec distinction, & chaque pièce en a reçu par proportion, selon ses degrés, & ses différences. Car la teinture de feu de cet esprit lumineux n’a rien laissé sans le pénétrer, & les quatre qualités, qui auparavant étaient extrêmes, étant restées tempérées dans l’information de la matière par ce mélange, elles ont dès lors noué une parfaite alliance, & ont pris un juste tempérament, étant donc ainsi devenues amies, elles passèrent dans la famille des éléments ; afin que dorénavant dans la génération des mixtes, il n’y eût rien d’ennemi, & de répugnant, dont les mouvements, & les fonctions paisibles de la nature puissent être interrompues.

103 - La contrariété procède de ce que les qualités sont plus ou moins intenses les unes que les autres.

Or dans la nature ces quatre principales qualités, ne sont point contraires entre elles ; mais seulement dissemblables, & diverses, ni ne se combattent point mutuellement : mais au contraire, elles s’unissent, & s’efforcent de nouer une étroite alliance par ensemble. C’est ainsi que que la chaleur, & le froid dans un degré modéré s’accordent fort bien, & se mêlent dans le sujet, afin d’y produire une qualité mitoyenne, & tempérée ; c’est à savoir ; la tiédeur : que si se rencontrant extrêmes, & dans le dernier degré de leurs forces, elles ne s’allient pas sans combat, cela procède de l’excès, & de la tyrannie de leurs forces trop violentes, lesquelles ne peuvent point compatira en même temps avec d’autres qualités autant fortes, & contraires sans tumulte, & combat. Or la nature désavoue ces qualités intempéries, & extrêmes, comme des avortons, & des étrangers.

104 - Les qualités des éléments sont tempérées.

Que personne ne s’imagine donc pas, que la nature admette en la famille de ses éléments le feu intense, & dévorant. Car un tel feu détruirait plutôt ses ouvrages, que servir à leur génération, n’étant pas selon, mais contre la nature, laquelle abhorre tout ce qui est violent, & aime les choses tempérées, où l’on ne remarque aucun combat, ni aucune contrariété. Son empire ne peut souffrir la rage d’une chaleur brûlante, & dévorante, ou les ravages d’un froid violent, ni l’intempérie de l’humide, & du sec, se plaisant dans la paix, & dans la douceur. Que l’on ne cherche donc plus les qualités extrêmes dans les éléments des choses. Car elles y sont seulement modérées, selon le plus, & le moins.

105

Celui donc qui dira que le chauds le froid, l’humide, & le sec, sont purement, & simplement contraires entre eux, se trompe fort. Car la terre qu’Aristote assure être sèche au dernier degré, ne pourrait point compatir avec l’air, qu’il dit aussi être extrêmement humide : l’eau pareillement selon son opinion, qui est extrêmement froide, aurait de la répugnance avec le feu, chaud aussi au dernier degré. Et cette contrariété retiendrait chacun de nos éléments vulgaires dans sa région, & dans son lieu naturel. Et ainsi par le moyen de cette antipathie, l’un n’empiéterait point dans le domaine, & dans la juridiction de son contraire : néanmoins la raison, & l’expérience, nous font voir tout le contraire. Car dans les grottes souterraines, & même dans les entrailles de la terre, & dans tous ses pores, l’on sait que l’air s’y coule, & s’y insinue : & cette humeur interne de la terre, dont tous les végétaux se nourrissent comme du propre lait de leur mère, n’est rien autre qu’un air chaud, & humide, qui adhère très étroitement à la terre, qui lui fournit, & lui prête l’aliment, & la nourriture qu’elle redonne : les pores de la terre étant les mamelles de cet air humide, & lui le lait, avec lequel la mère nourricière des choses nourrit ses productions, & leur donne l’accroissement.

106

Ceux qui veulent que les quatre éléments se rencontrent dans les quatre humeurs de l’homme, reconnaissent que l’humide est susceptible des quatre qualités élémentaires ; & mêmes qu’il en est le sujet. Comment est-ce donc qu’ils entendent que ces quatre qualités sont contraires, vu qu’ils les accordent dans un même sujet. Car bien que ces quatre humeurs soient distinguées par leur différence : néanmoins elles n’ont qu’une base, & racine commune à toutes, c’est à savoir l’humide. Car la bile qui représente le feu n’est pas moins humeur, que le flegme qui représente l’eau. L’on peut faire le même jugement de la mélancolie, & du sang, bien qu’ils ne confondent les quatre éléments, que par comparaison d’une humeur à l’autre, & non pas absolument.

107

Or s’il y avait quelque contrariété dans les éléments, & les qualités, ce serait particulièrement entre le chaud, & le froid, après entre l’eau, & le feu : mais les diverses générations qui se font dans les eaux, prouvent assez que la nature du feu, & de l’eau ne sont point contraires entre elles. Car partout où il y a génération, & vie, nécessairement il doit y avoir du feu, comme en étant la cause très prochaine, interne, efficiente, mouvante, & celle qui altère la matière pour la disposer à la génération, comme le dit fort bien Virgile, c’est le feu naturel qui est le principe de la vie dans les hommes, dans les animaux, & dans les oiseaux du Ciel ; & mêmes les poissons, & les monstres qui vivent dans la mer, ont une étincelle de ce feu, leur semences ayant par ce moyen une origine toute céleste.

108

Il faut donc établir que ces quatre premières qualités sont naturelles, & essentielles aux choses, & aux éléments des choses, quelles se mêlent aux ordres de la nature, & partant qu’elles ne sont aucunement contraires. Car elles sont comme autant d’organes, & d’instruments, dont la nature se sert dans ses altérations, & dans ses générations.

109

La nature exerce l’art de potier, en ce qu’elle met tous ses soins à façonner sa matière circulairement. Ces quatre qualités, sont comme autant de petites roues, au moyen desquelles, elle donne la forme, & la dernière main à ses ouvrages petit à petit, & avec beaucoup de circonspection, par un mouvement circulaires lent.

110

Deux de ces quatre roues, à savoir, celle de l’humide, & celle du sec conviennent mieux à la matière que les autres : parce que la nature promène la matière entre ces deux termes, & y achève ses vicissitudes. Ces deux qualités sont plus proches de la matière ; parce qu’elles sont plus sujettes à la passion, & au changement. Les autres deux, à savoir, celles du chaud, & du froid, sont plus actives : parce que dans leurs vicissitudes elles altèrent, & changent ces premières. Celles-là souffrent plus, celles-ci agissent davantage, & sont comme les instruments actifs de la nature, dont elle se sert quand elle manie la matière passible.

111

Rejetons donc cette doctrine de contraires, comme répugnante à l’harmonie de la nature, & qu’il nous soit permis, avec le bon congé de l’Académie, de l’effacer du Livre de la Philosophie, & d’y faire succéder en sa place le symbole de la concorde, que la nature reconnaît lui être sortable, & contemporaine, par le moyen de laquelle l’accouplement des choses actives, avec les passives est facilité.

112 - Le cinquième élément.

Ceux qui selon l’opinion communément reçue, admettent de la contrariété dans les quatre éléments, doivent nécessairement en admettre un cinquième qui soit comme un nœud, & un lien de concorde, & comme un Héros, & un Ambassadeur qui annonce la paix : autrement ils ne pourraient point être capables de recevoir aucun parfait mélange, ni aucun tempérament dans l’ouvrage de la génération : mais ils erreraient vagabonds, se promenant dans le vaste Océan de la nature, sans gouvernail ni pilote, & sans pouvoir arriver à port : C’est-à-dire, sans pouvoir jamais faire naître aucune production de leur mélange : & ainsi ils frustreraient de sa fin le génie second de la nature.

113

Car s’il est vrai, ce que l’on suppose, que les quatre éléments à cause de leur qualités répugnantes, se livrent incessamment des batailles, jamais ils ne se pourront unir dans la génération des mixtes, & calmer leurs inimitiés : au contraire s’assaillants ainsi par des chocs mutuels, ils feraient faire à la nature des avortons plutôt que des productions parfaites, si ce n’est que l’on admette une cinquième nature céleste, qui corrigeât leur inclination contraire, laquelle les fit pencher à la concorde, & à l’amour, & y introduisit un tempérament qui ne fut ni chaud, ni froid, ni humide.

114

Ce cinquième élément, qu’ils appellent, est un esprit éthéré, incorruptible, lequel est porté ici bas par la lumière, le mouvement, & la vertu des corps célestes, & lequel prépare les aliments pour le mélange, & pour recevoir le souffle de vie, préservant les individus de la ruine, & de la corruption autant que leur stabilité, & leur constance le peut souffrir : d’où vient que les Sages de la Philosophie cachée, & mystérieuse, l’ont appelée le sel de la nature, le nœud des éléments, & l’esprit de l’Univers.

115 - La première contrariété a été entre l’ombre & la lumière.

Or s’il y a eu quelque contrariété entre les principes des choses, cela a été sans doute entre la lumière, & les ténèbres ; à cause de leurs qualités opposées de part, & d’autre : mais il est tout vrai que ces qualités par l’alliance de ces deux principes, ont reçu un tempérament, & d’extrêmes qu’elles étaient, elles sont restées dans le milieu, & dans une juste modération de leurs forces : & toutes telles elles ont passé de ces deux premiers principes dans les seconds ; c’est à savoir dans les éléments.

116

Les éléments extrêmes sont contraires entre eux seulement ; à cause de l’excès, & de l’intempérie de leurs qualités opposées : mais les choses qui procèdent du mélange de ces extrêmes, ne peuvent être nullement contraires entre elles : parce qu’elles tiennent le milieu : c’est pourquoi il ne faut point penser que les éléments de la nature soient contraires, d’autant qu’ils tiennent le milieu : qu’ils procèdent de l’union & du tempérament de deux extrêmes, à savoir de la lumière, & des ténèbres.

117

Le Prophète Royal nous apprend assez dans ses Psaumes, que du mélange des contraires, à savoir de la lumière, & des ténèbres, il n’en résulte pas des choses contraires, mais des choses tempérées ; vu qu’il parle de la lumière éternelle en ses termes : Il a abaissé les Cieux pour descendre : & il a voulu qu’un voile, & qu’une nuit obscure fut sous ses pieds, etc. Il a voulu loger dans les ténèbres, & il a environné son trône glorieux, & lumineux de leur noirceur, etc. Lui qui était une source de lumière incréée, afin de pouvoir présenter aux yeux des hommes, la splendeur de sa gloire infinie, il l’a voilé d’un nuage, & d’une nuit de ténèbres, comme d’un affublement, afin que de l’un & de l’autre extrême, il en résultât une lumière tempérée, & que mous pussions dessiller nos yeux à cet éclat, que leur faiblesse ne pouvait pas supporter auparavant. Les Philosophes disent, que l’arc-en-ciel que Dieu fit voir au Ciel en signe, & en symbole de paix, & de l’alliance qu’il faisait avec les hommes, est formé du mélange des ténèbres, & de la lumière ; afin qu’elle fut un symbole de la vengeance Divine calmée, en ce qu’elle résultat de couleurs, qui bien que différentes, y paraissent néanmoins si artistement diversifiées, que de leur désaccord il en naît une harmonie, & un tempérament qui est admirable.

118 - Les parties du monde ne sont ni éléments ni ne changent l’une en l’autre.

Ceux qui ont dit que la terre, l’eau, l’air & le feu, que nous voyons distingués dans leurs sphères, & régions, sont les purs éléments du monde, & qu’ils se convertissent réciproquement l’un en l’autre ; ont mal pénétré les secrets de la Nature. L’on dira mieux, si l’on assure que ce sont plutôt des parties du monde, que l’École appelle intégrantes, ou les matrices des éléments. Car les purs éléments du monde, séparés chacun dans sa région, ne paraissent pas à nos sens : mais ils sont cachés dans ce que nous appelons éléments comme dans leur écorce, jusqu’à tant que se mêlant dans la génération du mixte, ils forment un corps. Or ces parties du monde ne peuvent aucunement être changées, & converties l’une en l’autre ; à cause qu’elles sont trop différentes par ensemble ; & ces natures n’ont point de qualités commune, qui les lie par ensemble, pour pouvoir opérer un tel changement ; en sorte qu’elles puissent passer d’une substance en une autre.

119

Si ces quatre éléments que l’on croit être les éléments du monde changeaient ainsi tour à tour leurs propres natures, & leurs domiciles, toute cette masse du monde étant ainsi sujette au hasard, & à un mouvement fortuit, serait toujours flottante, & agitée, laquelle néanmoins, ainsi que nous le devons croire, Dieu a affermie, l’a distinguée en ses parties, lui a baillé un lieu fixe, & veut qu’elle soit gouvernée par des lois constantes & stables. Et certes sans cela la terre deviendrait bientôt eau, l’eau passerait en la nature de l’air, l’air en celle du feu, & réciproquement au contraire : & par ce moyen le centre s’étendrait en la circonférence, & la circonférence se réunirait au centre. Les parties extrêmes & mitoyennes du monde changeraient de lieu ; en sorte qu’après une longue suite de siècles, l’ordre de la nature serait entièrement changé, si ce qui est en haut se confondait avec ce qui est en bas, & ce qui est en bas en ce qui est en haut. Certes ceux qui forgent en leur esprit, que la bâtisse du monde a été ainsi ordonnée, font un chaos, & un abîme, & non pas un monde, d’un ouvrage si admirable, ce que la Nature qui est amie de l’ordre abhorre trop.

120 - La terre & le feu ne se changent point l’une en l’autre.

Ceux qui disent que ces deux corps qui sont dans les extrémités du monde inférieur ; à savoir la terre, & le feu (soit que l’on accorde, ou que l’on nie la sphère du feu) passent, & se changent réciproquement l’un en l’autre, se trompent fort ; & épargnent la vérité ; car leurs natures ont trop de disproportion, & sont trop répugnantes pour souffrir de telles vicissitudes ; car l’extrême froideur de la terre, son extrême épaisseur & pesanteur est tellement contraire à l’extrême chaleur du feu, à sa subtilité, & à sa légèreté, qu’il ne peuvent endurer aucunement cette naturelle, & réciproque conversion de leur nature. De plus, la terre qui est fixe, résiste au feu, & se moque de ses efforts, si nous en croyons à l’opinion des Chimistes, & à la commune expérience ; & il n’en sort rien qu’une humeur grasse ou aqueuse, qui sont toutes deux étrangères à la terre. Or si quelque chose se changeait au feu élémentaire, il faudrait nécessairement qu’elle devint légère & volatile, afin qu’elle put être portée en sa sphère, & passer en sa nature : mais la terre étant le plus pesant de tous les corps, & partant le centre de L’Univers, de plus étant très fixe, & partant nullement volatil, comment se pourrait-elle convertir au feu, & être portée en sa sphère ? & le feu, qui est le plus haut, & le plus léger de tous, comment pourrait-il descendre en terre, & occuper sa place, contre toutes les lois de la nature, & lui être uni essentiellement ? Le changement de l’eau & du feu serait bien plus facile, parce qu’ils sont plus proches d’un degré que la terre, & le feu.

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Or ceux qui ont crû que les exhalaisons qui s’élèvent de terre, & qui sont sublimées en l’air ; dans lequel elles s’allument, & s’enflamment, qu’à cause de cela quelque chose de terrestre se change en l’élément du feu, se sont fort abusés en l’un, & en l’autre point. Car ces exhalaisons ne sont point pour cela de nature terrestre, mais plutôt aérienne. Car notre air qui est humide, à cause du commerce, & de l’alliance qu’il a avec l’eau, croupissant longtemps dans le sein sec de la terre, y devient gras, & par ce séjour, & cette accointance qu’il a avec la sécheresse de la terre, il tempère l’humide de l’un par le sec de l’autre. Or lorsque par les pores, & les fentes de la terre, la chaleur le chassant, il s’exhale, ou bien que par l’abondance de sa matière il augmente ses forces, il ne sort point de sa prison qu’il rompt, sans faire un grand éclat, & un grand bruit ; d’où vient que nous voyons arriver tant de tremblements de terre, & d’ouvertures qui causent tant de ravages. Cette exhalaison se voyant donc libre, prend son essor vers la région des corps légers, & là par le mouvement vagabond, dont elle est portée, & par la chaleur qu’elle excite, étant ainsi mieux digérée, & pétrie en une matière ensoufrée, elle s’allume, & s’enflamme. Cette matière n’est donc pas véritablement terrestre : puisqu’elle n’en a ni le poids, ni la froideur, mais seulement à cause qu’elle est devenue grasse, & combustible, par le concours du chaud, du sec, & de l’humide, elle doit être appelée plutôt aliment, & fomentation d’un feu accidentel, que feu de la nature, ou feu élémentaire. Cela s’appelle une génération bâtarde qui ne mérite pas d’être mise entre les éléments, ni d’en porter le nom. C’est pourquoi Aristote fort à propos appelle ces feux, & embrasements des mixtes imparfaits. Il faut faire le même jugement de la fumée des choses qui brûlent. Car la fumée parce qu’elle est grasse reçoit facilement la flamme, qui n’est rien autre qu’une fumée allumée.

122

Le feu se nourrit de choses grasses, la graisse est son aliment. Or l’humide gras n’est rien qu’une matière aérienne tempérée par le sec, d’où vient que nous voyons le soufre vulgaire ordinairement sec au dehors, comme aussi la poudre à canon, & semblables corps, lesquels quoiqu’ils paraissent tels extérieurement ; néanmoins ils cachent au-dedans un gras humide, & y approchant le feu se résolvent en icelui.

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Mais ceux-là se trompent bien lourdement, qui se sont persuadés que les pierres, & certains corps pesants, qui s’engendrent quelque fois dans l’air, & qui retombent par après parmi les éclairs, les foudres, & les fracassements des nuées, sont ou un feu changé en pierre, & en terre, ou veulent que la terre soit montée dans la sphère du feu : mais il n’en va point ainsi ; car cette matière endurcie ne fut jamais ni feu, ni terre, ni ne part aucunement de la sphère du feu, si tant est qu’il y en ait, ni n’est aucunement terrestre : mais c’est seulement une humeur grasse, & visqueuse, qui renfermée dans la nue, comme une brique jetée dans la fournaise, tout ainsi qu’un ouvrage de poterie se resserre, & se cuit tellement par l’ardeur des exhalaisons enflammées, qu’elle devient pierre, d’où sont formés les foudres, & les carreaux. Or ces météores sont des tumeurs, des morfondures, & des maladies de la nature, & non point des éléments. Par semblable moyen, mais plus lent, & plus tardif, la pierre s’engendre du flegme dans les reins, dans la vessie, & même quelquefois dans l’estomac. Car le petit monde a ses météores aussi bien que le grand.

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Le feu de la nature est bien autre que notre feu artificiel, ou accidentel, & il y a une grande différence de l’un à l’autre. Or il y a de deux sorte de feu de la nature, l’universel, & le particulier, ou l’individuel : l’universel se répand dans toutes les parties de l’Univers, il excite, & provoque doucement les inclinations, & les vertus des corps Célestes, il remplit, & engrossit notre globe terrestre, destiné pour la génération des choses, d’une semence féconde, il donne des forces aux semences, il vient au secours de la nature, & l’aide dans ses fonctions, il mêle les éléments, il informe la matière ; enfin, il met en évidence tout ce que la nature avait de secret. Or sa source est dans le Soleil, qui comme le cœur de l’Univers, envoie partout sa chaleur vitale, comme des traits de son amour : mais, le feu particulier de la nature, est enté, & empreint naturellement dans chaque mixte, & individu, & procède de l’universel, comme un ruisseau de sa source, & fait dans le petit monde avec rapport, & analogie, ce que le Soleil son père fait dans le grand monde. Mais pour notre feu, voyant qu’il est contraire à la génération, qu’il ne vit que de proie, qu’il ne subsiste, & ne s’établit que sur la ruine d’autrui, qu’il détruit la vie, qu’il destine toutes choses à être réduites en cendre ; qui est-ce qui ne dira pas qu’il est plutôt l’ennemi de la nature que son hôte, & la ruine de la vie que le soutien ? Or pour les feux qui s’engendrent dans la région de l’air, ceux-là doivent plutôt être attribués, au hasard, & à la fortune, qu’aux sages desseins de la nature.

125 - La terre & l’eau ne se convertissent point l’une en l’autre.

La terre même, & l’eau qui sont voisines, ne se se convertissent pas l’une en l’autre : mais se mêlent seulement par ensemble : en sorte que l’eau délave la terre, & la terre épaissit l’eau : d’où vient le limon qui n’est ni eau, ni terre, mais l’un, & l’autre également ; dont, si par la force de la chaleur, l’on fait la résolution, on séparera ces deux natures parfaitement, l’eau s’évaporant, & la terre restant au fond. Or cette conversion mutuelle de l’une en l’autre, ne se peut point faire, vu que la froideur, qui est une qualité commune, ne le peut pas même : parce que l’aversion de la sécheresse de la terre, contre l’humidité de l’eau, oppose une résistance qui n’est pas moins puissante pour, empêcher leur conversion, que l’accord mutuel des deux froideurs de l’eau, & de la terre a de pouvoir pour la faciliter, & la procurer : vu encore que la fixation de la terre est contraire à la nature humide, & volatile de l’eau. Ainsi l’on ne peut assigner qu’une qualité, qui puisse introduire l’altération, & il y en a plusieurs qui sont antipathiques, & désaccordantes, qui prévaudront dans leur résistance : la nature aussi y viendra au secours pour l’empêcher, laquelle étant toujours sur pieds pour veiller à sa conservation, ne penche jamais à ce qui la peut détruire, & l’altérer, que forcée, & vaincue.

126

Nous devons conjecturer que tout le globe de la terre, n’est pas d’une nature moins constante que le Ciel, ou autre corps de cet Univers, & mêmes la terre est à présent la même sans aucun changement essentiel, qu’elle a été au commencement, & qu’elle sera à la fin des siècles : que si elle reçut une fin générale par le déluge, ou qu’elle en reçoive quelques particuliers, ou accidentaires par les ouvertures de la terre, ou par les ravages de la mer, & des fleuves ; cela arrive plutôt par des causes étrangères, comme par le commandement absolu de celui, qui gouverne, & donne des lois telles qu’il veut au monde, ou à ses contrées, ou par le désaccord de l’harmonie de ce même monde, ou par une infirmité, & une maladie de la nature, que par aucun défaut de son côté. Car tous les corps de l’Univers sont sujets à leurs infirmités, & maladies : quoique diversement, selon que la nature es; détraquée, ou selon la différence de perfection qui est en chaque chose : néanmoins ce n’est point à l’égard du tout, que les accidents en altèrent la nature, & la constance. Or à Dieu seul Éternel, convient la constance, & l’impassibilité absolue : mais le Ciel, l’eau, & la terre, & tous les autres corps de l’Univers, dureront selon leur essence, jusqu’à cette période que Dieu leur a donné.

127 - L’eau & l’air ne se convertissent point l’une en l’autre.

Si l’on établit quelque inclination de ses quatre natures à se convertir mutuellement, sans doute l’inclination des mitoyennes sera bien plus forte. Car l’eau, & l’air ont bien plus d’affinité par ensemble, qu’ils n’en ont avec les autres, ou que les autres n’en ont entre elles. Car il semble que ces deux natures ne sont pas tant différentes par leurs qualités, que par l’excès, ou la modération de leurs qualités, ni tant selon leur essence, que selon leurs accidents. Car l’eau, qui par le droit de nature s’arroge la froideur, & l’humidité, communique ces deux qualités à la contrée, & région inférieure de l’air ; à cause du voisinage, & du commerce qu’ils ont par ensemble : mais l’air n’a presque aucune qualité particulières ce n’est qu’il est extrêmement subtil : néanmoins il est susceptible de toutes. C’est pourquoi il est de nature Céleste, laquelle étant de soi très tempérée, & n’ayant aucune qualité affectée, & particulière, reçoit facilement les étrangères ; c’est à savoir, les dispositions, & impressions des corps célestes, leurs influences, & leurs vertus, & les communique pareillement. La densité, & la rareté, qui sont fort approchantes quand elles sont modérées, semblent faire toute la différence qui se rencontre entre l’eau, & l’air : c’est par cette raison que dans la sacrée Genèse, il est dit que Dieu sépara les eaux des eaux, comme voulant témoigner que ces deux corps n’étant qu’une même nature, furent bien divisés quant au lieu, & à la situation, mais non point distingués, & séparés quant à l’essence.

128

Néanmoins ces deux natures ne souffrent point une véritable, & essentielle réciprocation de l’une en l’autre : mais leur conversion est imparfaite, & défectueuse, & l’une ne se change point entièrement en l’autre, mais en quelque façon seulement : & encore cette sorte de changement se fait dans la basse région de l’air seulement, qui est terminée par la rondeur, & la voûte des nues, ne passant point en la moyenne, bien moins en la supérieure. Ce qui se fait ainsi ; l’eau, à cause que par le moyen de la raréfaction elle se change en vapeur ; elle s’élève en haut, & se mêle plutôt parmi l’air, qu’elle ne se change pas véritablement en lui. Or cette vapeur étant condensée, & résoute en eau, retombe en terre. Or cette simple circulation de l’eau a passé dans l’opinion des Anciens pour une conversion de l’eau en l’air, & de l’air en l’eau ; guidés plutôt par l’erreur des sens, qu’éclairés de la lumière de l’entendement. Car ceux qui ont des yeux plus pénétrants, pour découvrir & discerner les secrets de la Nature, jugent bien que la chose va tout autrement. Et qui dirait que l’air est simplement une vapeur très déliée, se tromperait fort ; vu que la vapeur est un corps imparfait, & mitoyen entre les deux sortes d’eaux, à savoir les supérieures ; & inférieures, ou entre l’air, & l’eau, n’étant ni l’un ni l’autre ; car tant raréfiée soit cette vapeur, elle n’arrivera jamais à ce degré sublime de la noblesse de l’air : mais sera un air bâtard, & non point naturel, & légitime. Il ne faut non plus penser que la nature pure, & limpide de l’air, s’abaisse jusque là, que quittant sa pureté, elle s’épaississe en vapeur, en nue, ou en eau, vu qu’il n’est pas du ressort de la nature de pouvoir confondre, & faire passer ces eaux l’une dans l’autre, lesquelles l’Esprit architecte de l’Univers a voulu séparer réellement, & de fait ; & de faire que des natures différentes changeassent, & outrepassassent les limites que Dieu a marqué avec son sceau.

129 - L’eau seule se circule.

Ceux qui prennent la chose de plus haut, reconnaîtront que la terre est comme le ventre, & la matrice de ce monde ici, que c’est un vaisseau de génération, & qu’elle est la mère commune d’une lignée diverse, & presque infinie, laquelle au commencement de la création ayant été délivrée de la tyrannie des eaux, qui surnageaient, & étant devenue sa maîtresse, resta sèche, & aride, & son corps devenu dense, & pressé ; servit de centre, & comme de fondement à toute la machine de l’Univers, & découvrit une spacieuse, & large basse-cour aux végétaux, & aux animaux. Or afin qu’elle fut propre pour la génération fréquente qui s’y devait faire, elle avait besoin d’humeur : & la Sagesse Divine pourvut à sa nécessité, en ce qu’il fit que l’eau dès lors devint volatile, afin qu’elle put s’élever en vapeurs, lesquelles étant amassées en nues par le froid, se résolurent derechef en eau par la tiédeur, & par cet artifice de la Providence Divine, fut pourvu à la fertilité de la terre. La sécheresse qui semblait la menacer de stérilité, fut tempérée par cette humeur, & le ventre de cette bonne mère rendu fécond. L’eau donc toute seule est circulée pour arroser le sein de la terre, ou plus véritablement elle est distillée dans la région inférieure de l’air comme dans un alambic ; afin qu’étant rectifiée par diverses cohobations, & par distillations réitérées, elle fut plus susceptible des propriétés, & des vertus des choses inférieures, & supérieures, & afin qu’étant ainsi empreinte d’un céleste nectar, elle amollit plus efficacement le sein de la terre, & la rendit féconde. L’ouvrier suprême de toutes choses, ayant fait la nature avec art, & symétrie, n a pas voulu qu’en son ouvrage, il y eût quelque chose de superflu ou de défectueux.

130

Or parce que l’eau est le menstrue du monde, elle contient, & fomente en soi les semences, & les éléments des choses. Lors donc qu’elle est circules, par même moyen sont aussi circulées les véritables, & les purs éléments de la nature, qui sont renfermés dans la terre, comme dans leur matrice, & dans un vaisseau de génération, & dans l’eau comme dans leur menstrue. Il est donc tout constant que dans la vapeur se trouvent l’élément de la terre, de l’eau, & de l’air, tous lesquels éléments sont sublimés, & rectifiés avec elle, & par lesquels il ne faut pas entendre les corps de la terre, de l’eau, & de l’air que nous voyons distingués dans leurs sphères, partageant la famille du monde en autant de régions, mais les éléments de la nature tout purs, & spirituels, qui résident, & sont cachés dans ceux-là, & d’où s’engendrent les pierres, & autres corps, qui se forment dans l’air, & qui y sont cuits par le feu. Car par tout où les éléments se rencontrent mélangés parfaitement, comme il arrive dans la vapeur, alors il s’en peut engendrer des corps : néanmoins lorsque ces sortes de générations se font hors de leur matrice propre, comme dans l’air, les mixtes en sont imparfaits ; non tant à cause du mélange, que de la matrice.

131

L’eau étant d’une nature mitoyenne entre la terre, & l’air, & étant placée au milieu des deux, elle y cause des dégâts par sa mobilité, & par son inconstance, souillant la pureté de l’air par des brouillards épais, & par des vapeurs malignes, & ravageant assez ordinairement la terre par ses inondations : elle produit dans le calme des airs des tourbillons, & fait sur terre des ruines fort dommageables ; enfin, elle procure la corruption dans l’un, & dans l’autre, se servant de sa légèreté pour attaquer l’ennemi, qui est au-dessus d’elle, & de sa pesanteur, comme d’armes, & d’outils, pour endommager la terre. C’est elle qui change les saisons de l’année, & l’ordre de la nature, selon que la terre a été arrosée plus ou moins : enfin cette impérieuse ébranle, & abat avec tumulte, & grand bruit, tout ce qui est autour de soi. Or comme sa nature est toute féminine, il semble que Dieu l’ait donné au monde, comme sa femme, & partant comme un mal nécessaire qu’il doive souffrir. Ainsi elle s’arroge tout impérieusement, & les forces qu’elle a reçues pour le bien, & pour l’utilité de la nature, elle s’en sert souvent pour sa ruine ; enfin elle est le fléau de la Justice Divine ; c’est une furie vengeresse, qui étant destinée à la punition des crimes du genre humain, se met en devoir de leur en faire porter la peine ; elle fait que l’espoir du Laboureur, & les trésors des campagnes fertiles, deviennent le jouet du Ciel, & de l’inconstance de l’air, soit par les pluies, les grêles, les tempêtes, & par d’autres choses, sous lesquelles elle se transforme.

132

Les choses du monde à mesure qu’elles sont plus crasses, & plus épaisses, aussi d’autant plus sont-elles impures ; & d’autant qu’elles sont plus déliées, & plus subtiles, d’autant sont-elles plus pures. La terre, parce qu’elle est plus dense que l’eau ; aussi est elle plus vile, & l’eau que l’air, & l’air que le Ciel; & encore par une suite de raison, la plus sublime région du Ciel, est plus noble que la plus basse. Car c’est une chose qui ne souffre point de controverses, que les natures spirituelles sont bien plus relevées en dignité que les corporelles ; & partant, que celles qui approchent plus de la spiritualité approchent plus aussi de la perfection.

CXXXIII

Le fondement et la base de la génération, aussi bien que de la corruption sont dans l’humide. Car lorsque la nature travaille à l’un ou à l’autre, l’humeur est le premier patient d’entre tous les éléments, et celui qui reçoit le premier le sceau de la forme. Les esprits naturels s’y unissent facilement, parce qu’ils en proviennent comme de leur racine, et y retournent facilement : en elle et par elle les autres éléments sont mêlés. L’eau, cet élément moite, ne circule pas moins dans les mixtes et les individus, qu’elle ne le fait dans l’ensemble du monde, lorsqu’elle s’élève en l’air et qu’elle en retombe, tant pour l’ouvrage de la génération que pour celui de la corruption. Car en l’un et l’autre, la nature a voulu que la raréfaction et la condensation se fassent par les mêmes instruments et les mêmes moyens, à savoir par les esprits.

CXXXIV

La terre sert de vaisseau pour la génération : l’eau est le menstrue de la nature, qui renferme en soi-même les vertus séminales, et même les vertus formelles, qu’elle tire du Soleil comme d’un principe masculin et formel universel. Car il insuffle dans les semences de toute chose un feu naturel, et des esprits informants, qui contiennent en eux tout ce qui est nécessaire pour la génération, la chaleur naturelle demeurant cachée sous l’humidité. C’est pour cela que, fort à propos, Hippocrate a dit que le feu et l’eau peuvent tout, et qu’ils contiennent toute chose, parce que les deux qualités masculines du chaud et du sec, qui procèdent de l’eau, concourent à la génération du mixte par leur mélange. À ces deux natures, comme aux deux principaux éléments, président les deux grands luminaires, le Soleil et la Lune : le Soleil est l’auteur du feu de la nature, et la Lune préside aux humeurs.

CXXXV - Trois cercles ou roues de la circulation

La nature accomplit la circulation de l’élément volatil par trois opérations, à savoir par sublimation, par descente (ou réinfusion), et par décoction, ces trois moyens exigeant tous diverses températures. Ainsi la nature ayant des desseins bien arrêtés, et marchant néanmoins sur différentes brisées, conduit ses ouvrages interrompus au but qu’elle se propose, et y arrive par des moyens opposés.

CXXXVI - Le premier cercle

La sublimation est une conversion d’une nature humide et pesante en une plus légère, ou encore c’est une exhalaison vaporeuse, dont le but et l’utilité sont de trois sortes : premièrement que le corps épais et impur se purifie en se subtilisant, et qu’il abandonne petit à petit sa boue et sa lie ; ensuite que par cette sublimation, il devienne plus susceptible de l’incessant afflux des vertus célestes ; enfin que la terre soit déchargée par cette évacuation de l’humeur superflue qui la détrempait, et qui, bouchant ses pores et ses canaux, empêchait l’action de la chaleur et le passage des esprits naturels, au point de les suffoquer et de les éteindre. Ce dégagement d’humide, supprimant la cause des obstructions, soulage l’estomac fatigué de la terre et le rend plus propre à la digestion.

CXXXVII

L’humeur se sublime avec l’aide de la chaleur. Car la nature se sert de son feu, comme d’un instrument propre à raréfier les corps humides, de là vient qu’il s’élève plus fréquemment en hiver et au printemps que dans les autres saisons, des vapeurs dont s’engendrent les nuages et les pluies : cela arrive parce que le sein de la terre abonde alors en chaleur et en humidité. Or l’humeur est la cause matérielle des vapeurs et des exhalaisons, comme la chaleur leur cause efficiente. La nature dans la sublimation pousse l’activité de son feu aussi loin que possible.

CXXXVIII - Le second cercle

La démission ou descente, qui est la seconde roue de la nature dans la circulation, c’est quand la vapeur toute spirituelle, se réduisant en un corps dense et aqueux, retombe aussitôt en terre ; ou bien, c’est une rechute de l’humeur d’abord raréfiée et sublimée, puis derechef condensée, afin que la terre qui suce cette liqueur, soit lavée et imbue de ce nectar, et de ce breuvage céleste parfaitement rectifié.

CXXXIX

La nature a trois buts dans la circulation : le premier est qu’en arrosant la terre, elle ne verse pas cependant ses eaux tout d’un coup dans son sein, mais qu’elle les distille, toutes rectifiées qu’elles sont, petit à petit, de peur qu’elles ne regorgent sur terre, et que cette trop grande quantité d’eau ne bouche le passage à l’esprit vivifiant, qui se coule dans les entrailles du sol, et n’en étouffe et éteigne la chaleur interne. Car cette prudente et juste gouvernante répartit ses bienfaits avec poids, nombre et mesure. Le second but c’est que par différents canaux et égouts, et de diverses manières, elle puisse distribuer l’humeur tantôt plus tantôt moins, en versant une pluie parfois plus forte, parfois plus menue, quelquefois de la rosée, quelquefois de la gelée blanche afin d’abreuver plus ou moins la terre suivant qu’elle est plus ou moins altérée. Le troisième but est que ces arrosages ne soient pas continuels mais par intervalles, et qu’il y ait entre eux d’autres opérations : car après la pluie vient le beau temps, et après le beau temps la pluie.

CXL

Un froid très faible, ou plutôt une chaleur qui expire et s’éteint, relâche et libère les vapeurs auparavant coagulées et figées, qui sont presque portées jusque dans la moyenne région de l’air et les fait tomber en pluie. Car une chaleur trop grande les dissiperait, et empêcherait leur condensation : de même qu’un froid violent les resserrerait, et les congèlerait tellement qu’elles ne pourraient point se résoudre en pluie.

CXLI - Le troisième cercle

La dernière roue du cercle de la nature est la décoction qui n’est rien autre qu’une digestion de l’humeur toute crue, qui, distillée dans les entrailles de la terre, s’y mûrit et se convertit en aliment. Or il semble que cette dernière opération soit le but et la fin des deux précédentes parce qu’elle est un relâchement du travail, et une jouissance de la nourriture, recherchée par les travaux et les actions des deux premières roues. Car ayant reçu cette humeur crue, elle la mâche et la broie par le moyen de la chaleur interne, la cuisant et la digérant presque sans mouvement et sans peine, et comme ensevelie dans le repos et dans le sommeil, en excitant doucement et sans bruit le feu secret qui est l’instrument spécifique de la nature ; afin qu’il convertisse en nourriture cette liqueur crue, tempérée par le sec. C’est là le cercle achevé et parfait de la nature, qu’elle fait tourner par divers degrés de travail et de chaleur.

CXLII

Ces trois opérations de la nature sont tellement enchaînées et ont tant de rapports l’une avec l’autre, que la fin de l’une est le commencement de l’autre, et que par un ordre nécessaire elles se succèdent tour à tour selon ses desseins. Ainsi les lois de la vicissitude sont tellement entre-tissées et enlacées qu’elles se prêtent de mutuels offices en conspirant toutes au bien de l’Univers.

CXLIII

Cependant la nature est quelquefois entraînée contre son gré hors de ses bornes et ne garde pas une route certaine, particulièrement dans la direction et le régime de l’élément humide, dont les lois interrompues sont trompeuses, et facilement commettent ou souffrent la violence, aussi bien à cause de l’inconstance de sa nature volatile qu’à cause de la disposition variable des corps célestes, lesquels modifient les choses d’ici-bas, et spécialement l’eau : il la détourne de ses voies et de ses lois, afin qu’elle soit plus souple aux commandements du souverain moteur, qui s’en sert comme d’un instrument et d’un organe pour mouvoir la machine de l’univers. De là vient que la température de l’air de notre séjour terrestre est trompeuse et inconstante, et que les saisons de l’année en sont changées. De même aussi le ventre de la terre, selon qu’il est disposé et affecté par l’eau, enfante plus ou moins de productions et de fruits beaux ou maladifs. Ainsi l’air que nous respirons, selon qu’il est pur ou qu’il est infesté, donne la santé ou cause les maladies, la nature humide faisant toutes les révolutions que nous voyons ici-bas.

CXLIV

Comme les choses inférieures subissent la loi des supérieures, dont la nature et les modifications sont entièrement inconnues à l’homme, nous ne pouvons établir de règle certaine et indubitable touchant notre ciel inférieur. Cependant, pour en donner quelque précepte général, que le philosophe regarde toujours plutôt l’intention de la nature que l’action produite, et qu’il en ait toujours devant les veux plutôt l’ordre que la perturbation.

CXLV - La circulation de l’humeur dans les mixtes.

La nature fait remarquer, aussi bien dans l’économie particulière des mixtes que dans le monde en général, la volubilité de la nature humide ; car les mixtes s’engendrent, se nourrissent, et se développent par la révolution de l’humide, à savoir par dessèchement, humectation et digestion. C’est pourquoi ces trois opérations de la nature sont comparées à la viande, au breuvage et au sommeil : la viande répondant au sec, le breuvage à l’humide et le sommeil à la digestion.

CXLVI

Que l’homme ne se flatte plus de titres vains et qu’il ne se fabrique plus de rêves, comme s’il pouvait revendiquer pour lui seul comme sa propriété le nom de microcosme, parce que, dans sa matière et dans sa construction, se perçoivent par analogie tous les mouvements naturels du macrocosme. En effet, chaque animal, même un vermisseau, chaque plante, même une algue, est un petit monde qui se réfère à l’image du grand. Que l’homme cherche donc le monde hors de lui, et il le trouvera partout. Car c’est le même archétype qui a formé toutes les créatures, et à partir duquel d’une même matière ont été formés des mondes presque infinis (en nombre) bien qu’ils soient dissemblables dans leur forme. À l’homme donc l’abaissement et l’humilité, et qu’à Dieu seul appartienne la gloire.

CXLVII - La fermentation ou le levain de l’eau

Les natures inférieures sont pétries et mélangées du ferment des supérieures. C’est pour cela que l’eau, qui ne peut souffrir de retard, va au-devant des dons célestes : l’air ouvre le passage à la vapeur volatile de l’eau, et la reçoit comme son hôtesse dans la région des nuages, comme dans une salle magnifique. Avant que d’y arriver, son corps se spiritualise en quelque sorte, son humidité perd son poids, afin que grâce à sa légèreté, elle accomplisse plus vite son dessein et jouisse par ce moyen du privilège de deux natures différentes.

CXLVIII - La fermentation des autres éléments par le moyen de l’eau

Cependant le Soleil, ce prince de la troupe céleste, comme aussi les natures supérieures qui prennent soin des inférieures, insufflent et distillent par un continuel écoulement des esprits vivifiants qui sont comme des petits ruisseaux qui jaillissent d’eux ainsi que de sources extrêmement limpides. Or les vapeurs qui sont suspendues et éparses dans l’air, quand elles se resserrent et se condensent en nuages, sucent comme des éponges avec plaisir ce nectar spirituel et l’attirent comme par une force aimantée. Après qu’elles l’ont reçu, elles s’enflent, et rendues fécondes par cette semence, elles retombent au sein de la terre, dissoutes en rosée, en gelée blanche, en pluie ou en un autre phénomène humide comme si leur premier poids leur était rendu. Cette mère commune des éléments, recevant dans ses entrailles cette humeur qui en était partie, est rendue féconde par elle comme par une semence céleste, produit avec le temps des fruits innombrables, plus ou moins parfaits, selon la vertu de la semence et la disposition de la matrice. Nos eaux inférieures participent aussi à ces bienfaits du ciel, car, ne composant qu’un globe avec la terre, elles reçoivent en commun avec elle ces dons. Et tous les autres éléments sont de même pétris de leur ferment au moyen de la nature de l’eau.

CXLIX

Or ce ferment des éléments est un esprit vivifiant qui, procédant des natures supérieures, se trouve distillé et insufflé dans les inférieures, et sans lequel la terre deviendrait vide et déserte : car il est la semence de vie, sans laquelle ni l’homme, ni aucun animal, ni quelque végétal que ce soit, ne jouirait du bienfait de la génération et de l’existence. Car l’homme ne vit pas seulement de pain, mais particulièrement de cette nourriture céleste, à savoir d’un air mélangé et pétri du souffle de cet esprit vivifiant.

CL - Trois féconds éléments.

Comme dans la génération des choses les trois éléments purs de la matière sont éloignés, ils ne relèvent que de Dieu et de la nature, n’étant point sujets à l’art et aux lois de l’esprit humain. Néanmoins, de l’accouplement de ces trois principes lointains il en résulte trois autres, qui, étant tirés par résolution chimique des mixtes, montrent une grande ressemblance et analogie avec les premiers, et qui sont le sel, le soufre et le mercure. Ainsi l’on voit manifestement que la trinité est le sceau des éléments et de toute la nature.

CLI

Les espèces de ces trois derniers éléments naissent du triple mariage et de l’alliance des trois premiers. Car le mercure est engendré du mélange de la terre et de l’eau, le soufre de l’étreinte et de l’accouplement de la terre et de l’air, et le sel de la condensation (réciproque) de l’air et de l’eau. On ne peut indiquer davantage d’accouplements et de conjugaisons entre eux. Le feu de la nature réside en eux tous, comme leur principe formel, parce que les vertus célestes y sont encore influentes et coopérantes.

CLII

Il ne faut pas penser que, du concours fortuit de ces premiers corps, et de ces premiers éléments, les seconds s’engendrent aussitôt. Car il faut pour former le mercure une terre grasse, parfaitement délavée et délayée avec une eau limpide. Le soufre se fait d’une terre très subtile et très sèche, et du commerce d’un air humide. Et le sel s’endurcit à partir d’une eau grasse et marine, et d’un air cru qui s’y trouve saisi et engagé.

CLIII

Nous pouvons assurer que l’opinion de Démocrite, que tous les corps sont composés d’atomes, n’est pas éloignée de la nature : la raison comme l’expérience le garantissent de la calomnie. Car sur ce point, cet ingénieux Philosophe a parlé fort sincèrement et ouvertement, n’ayant pas voulu nous taire, ni nous cacher sous le voile d’un langage obscur et énigmatique le mélange des éléments, qui pour s’accorder à l’intention de la Nature a dû se faire par des petits corpuscules indivisibles. Autrement les éléments ne s’uniraient jamais, et ne pourraient composer un corps naturel continu, l’expérience nous apprenant que dans la résolution et la composition artificielle’ des mixtes, qui se fait par distillation, jamais deux ou plusieurs corps ne se mêlent mieux qu’en étant résolus en une vapeur subtile. Or nous devons croire que la nature fait des mélanges encore bien plus déliés et plus subtils, et même, en quelque façon spirituels, et c’est ce qu’a pensé à ce sujet Démocrite. En effet l’épaisseur et l’opacité des corps est un obstacle au mélange : c’est pourquoi les choses sont d’autant plus propres à se mêler qu’elles sont plus déliées et subtiles.

CLIV - Trois souverains genres des mixtes

Les trois degrés de l’être et de l’existence des mixtes en établissent trois genres souverains, à savoir celui des minéraux, celui des végétaux et celui des animaux. La nature a voulu que la terre fût le lieu où devraient s’engendrer les minéraux ; la terre et l’eau, celui des végétaux ; et pour les animaux, elle a voulu qu’ils naquissent et vécussent sur la terre, dans l’eau et dans l’air. Cependant l’air est le principal aliment et entretien de tous.

CLV - Les minéraux

On croit que les minéraux ont seulement l’être et non pas la vie, quoiqu’on puisse dire que les métaux, qui sont les principaux des minéraux, vivent de quelque manière ; du fait que dans leur génération a lieu une sorte d’accouplement, et un mélange de deux semences, la masculine qui est le soufre, et la féminine qui est le mercure. Lesquelles, agitées par une circulation longue et réitérée, étant purifiées, assaisonnées et pétries du sel de la nature, et mélangées parfaitement en une vapeur très subtile, se forment en un limon et en une masse molle. Après quoi l’esprit du soufre congelant insensiblement le mercure, cette masse s’endurcit enfin, et prend la consistance et la fermeté d’un corps métallique.

CLVI

C’est aussi du fait que les métaux, principalement les parfaits, renferment en eux les principes de vie, à savoir ce feu empreint et insufflé par le Ciel, qui, étant devenu comme engourdi et émoussé sous l’écorce du métal, et même privé de mouvement, y est caché comme un trésor enchanté, jusqu’à ce que, libéré par la résolution philosophique et par l’esprit clairvoyant de l’artisan, il fasse entrevoir un esprit subtil et une âme céleste par le mouvement végétatif, et les déploie enfin dans la production merveilleuse du secret de l’art et de la nature. [Les végétaux sont également pourvus d’une âme, et leur semence est toujours hermaphrodite. Les animaux possèdent, en plus de l’âme végétative, une âme sensitive et « les plus parfaits d’entre eux » contiennent un symbole de la Trinité, à savoir la génération de l’enfant par sexes séparés. Quant à l’homme, non seulement son âme est un rayon de la lumière divine, mais ses facultés intérieures sont comparables à des astres et à des météores : « ses passions sont comme les vents, les tourbillons, les éclairs, les tonnerres… ». Toutefois, même un animal ou une plante quelconque peut se glorifier d’être un microcosme, idée sur laquelle d’Espagnet reviendra plusieurs fois. Les mixtes vivants sont composés d’un corps, d’un esprit et d’une âme ; l’étude des « formes spécifiques », où d’Espagnet suit pas à pas le néoplatonisme et la scolastique, ne réserve guère de surprise. On peut cependant relever que les pierres précieuses passent à ses yeux pour « des gouttes très pures d’une rosée distillée (…) et comme des larmes du ciel endurcies », ce qui leur vaut de posséder d’éminentes vertus occultes. Ensuite, d’Espagnet se prononce prudemment pour la métempsycose, qu’il ramène à la renaissance indéfinie des formes, à partir de la destruction des formes précédentes, et qui, dit-il, « n’a peut-être été si violemment rejetée que pour n’avoir pas été bien comprise ». Il réexpose la doctrine selon laquelle « l’esprit de l’Univers » serait de nature à la fois toute spirituelle et solaire, et compare la nature des mixtes à celle des corps diaphanes qui répercutent, prétend-il, les rayons lumineux.]

157 - Les végétaux

Les végétaux aussi jouissent d’une âme, & d’un esprit végétal, ils croissent, & se multiplient par un mouvement de végétation : mais ils n’ont pas le sentiment, & le mouvement animal. Leurs semences sont de nature hermaphrodite ; car chaque grain contient une semence seconde sans copule, & sans le mélange d’autres semences, quoi que l’expérience nous enseigne, que dans presque toutes les espèces de végétaux l’on remarque les deux sexes.

158

Dieu a aussi caché dans les semences des végétaux un esprit secret, qui est l’auteur de leur génération, lequel est tout à fait céleste, & un rayon de la lumière éthérée, lequel est exempt de corruption, & conserve même la forme spécifique, tout engagé qu’il est dans le corps de chaque individu, qui étant ramolli & résout par la corruption cet esprit immortel, réveillé & excité qu’il est par la chaleur du Soleil vivifiante, & homogène, fait germer une nouvelle plante comme un rejeton, où il introduit la forme de l’ancienne, & première.

159 - Les animaux

Les animaux outre l’être, & la faculté végétative, ont encore l’âme sensitive, qui dans eux est le principe de la vie, & du mouvement. L’animal donc, qui tient le premier rang entre les choses inférieures, est le chef-d’œuvre, & la perfection des ouvrages de la nature en son empire élémentaire, il vit d’une façon propre, il engendre aussi de même façon : & la nature y a véritablement distingué les deux sexes, afin que des deux il en naquit un troisième, c’est à savoir une lignée. Ainsi dans les plus parfaits l’on découvre aussi plus parfaitement le symbole de la Trinité.

160 - L’Homme est un petit monde

L’Homme, le Prince des animaux, & du monde inférieur, est un raccourci, & un abrégé de la nature universelle. Car son âme est un rayon immortel de la lumière Divine, son corps est un assemblage merveilleux des éléments. Les facultés intérieures, & imperceptibles des sens, par lesquels l’homme découvre tout ce qui se présente devant lui, sont tout à fait célestes, & comme tout autant d’astres qui influent les connaissances des choses ; ses mouvements déréglés, & ses passions sont comme les vents, les tourbillons, les éclairs, les tonnerres, & les météores qui bouillent dans la région aérienne des esprits, & agitent le cœur, & le sang. C’est donc à bon droit que l’homme a été appelé un petit monde, & une image parfaite de l’Univers.

161 - Chaque mixte est un petit monde

Non seulement l’homme, mais encore quelque animal, ou quelque plante que & soit ; se peut glorifier d’être un petit monde, ainsi chaque grain semence est un petit chaos, dans lequel les semences de tout le monde général sont en abrégé, & duquel en son temps doit naître un petit monde.

162 - Les mixtes vivants sont composés de corps, d’esprit & d’âme

Tout mixte parfait qui a vie est composé de corps, d’esprit, & d’âme ; le corps se fait du limon dans lequel tout ce qu’il y a de matériel nécessaire à la génération se rencontre. Or il est juste, & raisonnable que ces corps se composent principalement de deux éléments, qui soient aussi corporels ; c’est à savoir de la terre, & de l’eau.

163 - L’esprit.

L’Esprit est une petite portion de l’air très pur, & même d’un air éthéré, étant d’une nature mitoyenne entre l’âme, & le corps. Il est le nœud, & le lien des deux, il est la demeure de l’âme, & son véhicule, s’attachant aux plus subtiles, & plus spirituelles parties du corps.

164

L’Âme, ou la forme du mixte est une étincelle du feu de la nature, & un rayon imperceptible de la lumière céleste, tirée de la puissance de la matière ou semence à l’acte, laquelle est jointe au corps élémentaire par l’entremise de l’esprit, donnant l’être spécifique au mixte, où elle est la cause efficiente, & le principe très prochain de la vie. Or elle agit selon la disposition de la matière, & la portée des organes.

165

L’Âme ou la nature de la forme : parce qu’elle est toute lumière, dans les animaux particulièrement, elle est tellement éloignée, & différente de la matière terrestre, & opaque des corps, qu’il n’y a aucune proportion entre elle, & sa matière : mais elle est sans comparaison plus noble : & partant elle ne pourrait aucunement être liée à ce corps d’un nœud très étroit ; comme est celui dont la nature étreint ses ouvrages ; à cause de la distance, & de la disproportion qui s’y rencontre, si l’union & la cimentation ne s’en faisait par la vertu, & l’entremise de quelque milieu convenable, & puissant. C’est pourquoi le provident Créateur de toutes choses, a fait un milieu subtil entre l’un, & l’autre ; c’est à savoir un esprit éthérée, qui peut recevoir, & retenir la forme naissante, & qui fut comme un nœud, qui la lia avec son corps, participant de la nature de l’un, & de l’autre : néanmoins il faut entendre ce qui a été dit, de l’âme céleste des choses naturelles, & non point de l’âme surnaturelles divine, laquelle néanmoins son Créateur a voulu avoir commerce avec son corps par des milieux matériels.

166

Les formes spécifiques ont été gravées, & marquées dans les premiers individus dès le jour de la création, du caractère qui était dans l’idée de leur archétype : & le Créateur a voulu que ce sceau divin, & ineffaçable passât à leur postérité, par le moyen de la génération ; afin que par cette succession d’individus, les espèces pussent jouir du privilège de l’immortalité.

167

Il ne faut pas croire que les formes dans la matière en engendrent d’autres semblables. Car c’est le propre des corps d’engendrer : mais l’on peut bien dire qu’en remuant les organes de cette matière avec harmonie, & proportion, elles la disposent à la génération par leur moyen, & y renferment un rayon de lumière, & une étincelle de la vie, comme un trésor précieux. Car tout cela est du devoir, & de l’office de la forme, comme encore d’imprimer en cet esprit vivifiant, qu’elle met dans la semence, son caractère spécifique, qui dans l’ouvrage de la génération, par une chaleur seconde, & en certain temps, s’éclôt en une âme, soit végétale, ou animale : en sorte, que ce qui avait été esprit secret, & formel dans la semence y devient forme dans le mixte. Ainsi ce qui était caché dans le sein de la nature devient manifeste, & est tiré de la puissance à l’acte.

168

La forme ne procède pas de la seule vertu & puissance de la semence, ou matière, les vertus célestes influent encore à la naissance des choses, qui augmentent les forces de la matière, les redoublent, & rendent un office secourable de mère sage à la nature qui enfante, se mêlant encore, s’insinuant, & apportant des forces, & du secours à l’esprit formel, & séminal renfermé, & enté dans la matière, & semence.

169

Les éléments corporels ne concourent pas seuls à la génération du mixte ; mais ensemblement toutes les vertus, & les puissances de la nature universellement qui y donnent quelque chose du leur ; toutes les pièces de l’Univers étant étreintes de telle sorte, qu’elles conspirent toutes unanimement à la vie ; & s’unissent d’un amour mutuel.

170

Les formes naturelles des choses quoiqu’elles résident par puissance dans les semences, ne sont pas néanmoins de la substance des éléments inférieurs, ni n’en ont point été engendrées : mais elles descendent d’une tige bien plus belle, & plus noble, leur origine étant toute céleste. Car leur père est le Soleil, & le lien par lequel elles sont attachées à la matière est une nature, & une substance éthérée.

171

Les formes spécifiques des mixtes ; retiennent une connaissance, & un sentiment confus, & imparfait de leur origine, & par leurs propres forces, ou mouvement secret, elles se portent, & s’élèvent vers leur source, à la façon des eaux, qui retournent dans la mer : ainsi l’âme de l’homme, parce qu’elle tire son origine de la source divine, & de la lumière incréée, se porte aussi, & se réfléchit à elle par la vigueur de son esprit, & par la contemplation : mais les formes des autres animaux étant parties des trésors secrets du Ciel, s’y portent, & y retournent ; d’où vient tant de présages fréquents des animaux touchant le mouvement du Soleil, & les changements du Ciel qu’ils pronostiquent : mais pour les formes des végétaux ; parce qu’elles sont pour la plupart aériennes, & inspirées de la basse région de notre air ; à cause de cela elles ne peuvent point étendre leurs forces au delà de cette région ; elles élèvent bien leur tête en l’air autant qu’elles peuvent, comme si elles voulaient retourner dans leur patrie : mais elles ne peuvent pas passer les bornes étroites de leur corps : elles sont privées du sentiment, & du mouvement animal ; parce qu’elles ont reçu si peu de la vertu solaire, qu’elle ne leur fournit pas de quoi aller plus avant que le mouvement végétal. Car par l’ordre de la création, les végétaux ont précède le Soleil. C’est pourquoi ils ne lui sont point redevables légitimement de leur naissance, & des premiers principes de vie qu’ils ont reçu, mais ils en doivent ce tribut à l’air lumineux, comme au plus prochain agent. Car la nature n’a pas jugé que la disposition de leur matière, fût capable de soutenir une forme plus sublime.

172

Or pour les roches, & les pierres : parce qu’elles ne sont pas tant engendrées d’un véritable mélange des éléments, que du concours de la terre, & de l’eau, cuits par la force d’une chaleur extérieure, tout ainsi qu’un ouvrage de terre, & de poterie. C’est pour cela que leur forme est tout à fait faible, & engourdie, l’ayant reçu de la nature ténébreuse, & froide de la terre, & de l’eau.

173

Nous devons néanmoins faire un autre jugement des pierres précieuses. Car elles tirent leurs vertus des pures sources du Ciel, & du Soleil, & leurs corps sont des gouttes très pures d’une rosée distillée, & circulée, lesquelles sont engrossies des influences célestes, & sont comme des larmes du Ciel endurcies, d’où vient qu’elles possèdent beaucoup d’excellentes vertus.

174

Mais pour la matière des métaux, parce quelle est aqueuse, & terrestre, & parfaitement solide, & consistante, à cause du très parfait, & très subtil mélange de ces éléments pesants. C’est pour cela qu’elle est fort engourdie, pesante au dernier point, & incapable de soi-même d’aucun mouvement : néanmoins parce qu’elle est sublimée, & purifiée dans les matrices de la terre, & des rochers, comme dans des alambics par un artifice merveilleux de la nature, & que son mélange se fait en une vapeur très déliée, & très subtile, par le moyen de plusieurs distillations fréquentes ; à cause de cette parfaite subtilité, & circulation de leur matière, les richesses, & les trésors du Soleil, & des corps célestes s’y insinuent, & s’y coulent ; particulièrement dans la génération des métaux plus parfaits. C’est pour cette raison, que quoiqu’ils tirent leur corps de l’eau, & de la terre, néanmoins la nature faisant la fonction de potier, elle façonne si artistement ces corps, principalement ceux des métaux parfaits qu’elle les dispose, & les rend dignes de recevoir du Ciel une forme très parfaite. Il est vrai, que c’est un ouvrage qui demande un grand travail : mais aussi il est achevé, & la nature y a déployé toutes ses forces à le polir ; & il semble que le Ciel ne se soit pas seulement trouvé d’accord en cette production avec la terre : mais encore qu’ils se sont mêlés, & embrassés. Or parce que les esprits formels des métaux, sont resserrés sous une écorce très dure, comme dans une prison, ils sont aussi engourdis, & sans mouvement, jusqu’à tant que par le feu des Philosophes, ayant brisés leurs liens, ils produisent de leur semence céleste dans la, matière, un fils du Soleil, qui ne dégénère point du lieu de sa naissance : & enfin, une cinquième essence de vertu, admirable, faisant habiter ainsi tout le Ciel avec nous.

175

Le Créateur suprême n’a pas voulu qu’une créature plus noble passât en une qui le fut moins, ou une meilleure en une pire, & qu’ainsi quittant le droit de sa naissance, elle s’assujettit à la condition d’esclave. Or les choses supérieures s’unissent, & s’accouplent à la vérité avec les inférieures, & les plus puissantes avec les plus faibles, afin de les informer, & de les perfectionner par les émissions de leurs esprits, qui pour cela ne dérogent point à leur origine, & à leur naissance, & pour s’insinuer, & se mêler dans les semences, & dans les mixtes, ne se soumettent pas pour cela à un joug servile : mais ils acquièrent une nouvelle dignité, & un droit d’empire, Car chaque individu de quelle sorte qu’il soit, est un petit empire, & même un monde entier, à qui la forme spirituelle est donnée pour le gouverner, dont l’office est de commander aux organes, & aux facultés de la matière, & enfin, à tout ce petit monde. Ainsi cette matière, & ce chaos, qui au commencement flottait dans le vaste Océan de la nature universelle sans ordre est maintenant soumise à l’obéissance.

176

L’acte formel de la matière première, & des éléments n’informe rien autre que ces principes mêmes de la nature : La forme donc spécifique fait la génération d’un mixte, & il ne faut pas penser pour cela qu’il y ait plusieurs formes : vu que les éléments dans leur mélange ne prennent le soin, & la charge que de façonner, & composer le corps, & non pas de l’informer.

177 - La vertu de multiplier procède de la forme.

Il est probable, que cette vertu de multiplier, qui réside dans les semences des choses ne flue pas de la matière élémentaire, mais de la forme céleste, comme de sa cause efficiente ; car la multiplication est une action fort propre à la lumière ; vu que d’un seul rayon de lumière, il en coule presque une infinité d’autres, qui se multiplient prodigieusement ; d’où vient que le Soleil qui est la source d’une lumière immatérielle, est aussi dans la nature la cause efficiente de la génération, & de la multiplication. C’est donc une probabilité très forte, que chaque forme ait reçu sa vertu, & sa force naturelle de multiplier, de la lumière céleste, dont elle est un rayon ; car l’on peut aussi conclure fort bien, que puisqu’elle est accompagnée des dons, & des prérogatives de sa naissance, qu’elle a aussi celles qu’a la lumière ; & partant qu’elle a le pouvoir de multiplier comme la lumière. Or elle est lumineuse en ce qu’elle éclaire de ses rayons, & de sa splendeur la faculté sensitive, & imaginative dans les animaux ; en sorte que de cette double faculté, il se fait aussi de deux sortes d’appréhensions, & connaissances des choses. La connaissance extérieure se fait par les sens, & l’intérieure par l’imagination. Or toute connaissance est lumière, ainsi que l’ignorance sont des ténèbres ; car lorsque nous appréhendons les images des choses, & que ce qui était caché sous le voile des ténèbres, nous est révélé, & connu, cette connaissance nous vient en quelque façon d’un certain éclat, & illumination ; car seulement par la lumière, les choses obscures nous sont rendues manifestes. Dieu a mis aussi dans notre âme une troisième sorte de lumière, c’est à savoir l’intellect, par le secours duquel l’homme acquière la connaissance des choses par leurs causes bien plus parfaitement que par les deux lumières précédentes. Or toutes ces choses sons produites par l’opération de la lumière, & de la clarté, qui part, & coule de l’âme lumineuses. Cette dernière action de lumière convient à l’homme seulement, & les deux précédentes lui sont communes avec les brutes, dont les âmes sont aussi participantes de la lumière céleste. Nous sommes donc suffisamment convaincus par la raison, que cette vertu multiplicative dans les individus des animaux, même des végétaux, procède de la lumière de l’âme, qui se multiplie, & que cette lumière imprime quelques-uns de ses rayons par l’entremise de l’esprit éthérée dans la semence, jusqu’à tant que le Soleil de la vie venant à naître, ils soient manifestés.

178 - La lumière & les ténèbres sont les principes de la vie & de la mort.

La lumière & les ténèbres sont les principes de la vie, & de la mort. Car les formes principes des mixtes sont des rayons de lumière : mais les corps retiennent des ténèbres de l’abîme. Toutes les choses vivent par la lumière, & même toute vie est une pure lumière, & les choses qui cessent de vivre, sont privées en même temps de lumière, & retournent dans le chaos, & dans l’abîme des premières ténèbres, dans lesquelles elles étaient ensevelies auparavant que de venir à la jouissance du jour, & auparavant qu’elles fussent tirées à la lumière par la roue fatale de la prédestination Divine.

179 - Les formes des animaux & des végétaux sont raisonnables.

Les formes spécifiques des animaux comme aussi des végétaux, sont raisonnables : mais en en une manière qui leur est propre, & selon les forces de leur nature, & selon leur caractère. Car elles ont leurs dons, & prérogatives vitales. Leurs connaissances, leur science, & leur prédestinations : les dons vitaux des végétaux sont le désir, & une inclination d’engendrer leur semblable, les vertus, & les facultés de multiplier, de se nourrir de croître, de se mouvoir, de sentir, & autres semblables. Or leurs connaissances, & leurs sciences s’aperçoivent dans un avant sentiment merveilleux, qu’ils ont des saisons, & des temps avenir, dans une étroite, & ponctuelle constance de leurs changements, comme si c’étaient des lois que la nature leur eût prescrites, dans une variété, & révolution parfaite conforme au mouvement du Soleil, & du Ciel, comme aussi a prendre racines, à redresser leur tige, à étendre leurs rameaux, à déployer leurs feuilles, & épanouir leurs fleurs, à former leurs fruits, à leur bailler la couleurs à les mûrir, à changer les éléments en aliment, à inspirer une vertu vivifiante à leurs semences, enfin à établir plusieurs différences d’eux-mêmes, & de leurs parties, selon les influences du Ciel ; & la nature du terroir.

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Or pour les formes des brutes, leurs copulations, & générations qui se font à temps préfixé, montrent assez qu’elles sont douées de sciences, comme encore ces distributions égales, & justes, pour former, & nourrir les parties des individus, les offices distincts de chacune de ces parties sans confusion, les divers mouvements de leur âme, & appétit, les facultés exquises des sens, ces esprits secrets qui remuent avec harmonie leurs membres, tout ainsi que des organes, une disposition docile à la discipline, une obéissance de respect entiers leurs maîtres, un instinct qui présage les choses avenir, un culte religieux en plusieurs, un art & une industrie à chercher leur vie, à se choisir des gîtes & des retraites, à pourvoir à leur défense, leur prudence à éviter les périls ; enfin beaucoup d’autres choses que l’on peut attribuer à la science, & à la raison, lesquelles la nature leur a données. Or la nature en chaque individu n’est rien autre que leur forme même, qui est le principe du mouvement ; du repos, de l’action, & de la vie de la chose où elle est, au soin ; à la direction, & conservation de laquelle le corps qu’elle informe a été commis, de même que si c’étaient des poupées qu’elle eût à gouverner. Qui est-ce qui niera que le temps de la naissance des choses n’ait été prédestiné, à moins que de se persuader que la nature de l’Univers est confuse, & sans ordre ? Car cette nature fait tout éclore de son sein avec ordre certain, & détermine : vu que la loi de cet ordre, & le temps des productions lui ont été prescrits par son auteur ; la conception, l’enfantement, la vie ; & la mort ont leur cours, & s’achèvent dans de certains espaces de temps. Le sort des choses qui prennent naissance, ou qui meurent cette année ici, ou une autre, a été prédestiné devoir arriver de la sorte. Ce que la nature qui tient la place de Dieu dans le Royaume de l’Univers, a su auparavant qu’il arrivât, l’esprit Divin le lui ayant révélé, afin que de son côté, & par son ministère, elle fit que les choses eussent un tel succès. Car elles n’arrivent point par hasard : mais elles ont une cause certaine, & nécessaire, quoiqu’elle nous soit cachée. Néanmoins il ne faut pas penser pour cela que le suprême Modérateur de toutes choses, souffre aucunes lois de nécessité : mais il faut dire qu’il ordonne de toutes choses, & les change selon son bon plaisir ; qu’il délibère même des moindres, & qu’il ne fait point de décrets témérairement, & sans les avoir bien concertés : néanmoins l’ordre que Dieu leur a donné, qui coule successivement ; & qui consiste dans la suite réglée des temps, où les choses doivent arriver, quoi qu’établi par les décrets volontaires de Dieu, devient pourtant nécessaire.

182 - La naissance & la destruction des choses.

De mêmes que toutes les parties de l’Univers étaient en puissance dans le chaos selon la matière, qui après en furent séparées ; & tirées actuellement : ainsi chaque individu des choses est en puissance dans tout le monde matériel, auparavant que de venir au jour d’où ils doivent éclore en leur temps, & en leur ordre, & en être tirés actuellement, & lorsque ces individus défaillent, & qu’il meurent ils retournent dans leur première masse universelle dont ils étaient partis, comme des fleuves dans la mer. Car chaque chose reprend sa région, d’où cent fois elles retournent dans la boutique de la nature, pour y être derechef forgées par les mains de la nature, pour servir à nouvel ouvrage : & il semble que cela a été là l’opinion de Pythagore, touchant la Métempsycose, laquelle a été si fort rejetée peut-être pour n’avoir pas été bien entendue.

183 - La corruption.

Le mixte étant résout, & détruit parle défaut, & le vice des éléments corruptibles, l’esprit éthérée, & empreint, retourne dans sa patrie, & alors il se fait dans le cadavre un trouble, & une confusion des éléments par la perte de leur gouverneur. Ainsi la corruption, la mort, & les ténèbres règnent dans cette matière abandonnée, jusqu’à tant que par cette corruption elle devienne propre pour une nouvelle génération, & que selon sa disposition la vertu céleste y influe derechef, laquelle réveillant, & mêlant ces éléments vagabonds y allume une débile lumière d’une nouvelle forme qui s’y découvre, & s’y fait voir (les forces des éléments étant accrues) dans l’achèvement, & la perfection d’un mixte nouveau.

184 - La génération.

Mais dans la corruption générative qui est modérée, & qui se fait avec la conservation même de la forme spécifique, résidant en puissance dans la matière ou semence, cet esprit sublime qui y est enté, & empreint n’en sort pas, lequel, bien que débile, & impuissant, étant néanmoins excité par une chaleur étrangère, extérieure, commence à se mouvoir, & mouvait tout ensemble la matière, jusqu’à tant enfin qu’il déployé ses forces plus puissamment, & qu’il informe parfaitement le mixte.

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Les éléments comme aussi les aliments commencent à causer les uns la génération, les autres la nutrition (qui font deux actions, presque de même sorte) lorsqu’ils commencent à se putréfier ; car il faut nécessairement que cela arrive aux uns, & aux autres, & que par cette putréfaction, ils soient résous en une matière humide, comme s’ils retournaient en la matière première, & pour lors il se fait un petit chaos, dans lequel tout ce qui est nécessaire pour la génération, ou pour la nutrition se rencontre, ainsi la génération, & la réparation de chaque petit monde, répond à la création, & à la conservation du grand.

186 - Les semences des choses.

Les semences sensibles des choses, & les mixtes qui en naissent, sont composés de choses de trois natures, de la céleste, de l’élémentaire, & d’une mêlée des deux : elles ont du Ciel un rayon de la lumière solaire revêtu de toute sorte de vertus éthérées, qui est le principe de l’action, du mouvement, de la génération, & de la vie, par lequel les semences imitent la constance, & la stabilité des astres, par leur vertu de renaître, & de reprendre la vie : & ce rayon de lumière, comme un greffe immortel de ces célestes plantes, étant enté sur une nature corruptible, comme sur une souche étrangère, l’exempte des lois de la mort, par le moyen d’une succession éternelle, dont il la perpétue. La portion élémentaire, corporelle, & sensible, qui dans les animaux est dite sperme, n’est seulement que le réservoir, & la, boîte de la semence spirituelle, & imperceptible. Et c’est là ce corps, & cet écorce qui se putréfie, & se corrompt : mais quant à la semence invisible qui y est cachée, c’est-elle qui engendre. L’humeur radicale, où le levain de la nature, dans qui l’esprit réside, est une substance mitoyenne, qui unit la céleste, & l’élémentaire, répondant selon ce qu’elle a de matériel aux éléments, & selon ce qu’elle a de spirituel à la forme, semblable à l’Aurore, laquelle ne paraissant qu’avec une lumière obscure, unit les extrémités de la lumière, & de l’ombre ; & n’étant ni l’un, ni l’autre, nous fait voir l’un, & l’autre ensemble.

187 - La vie & la mort.

La vie est un acte harmonieux procédant de l’union de la matière, & de la forme, & établissant l’être parfait de l’individu : mais la mort est le terme, & la fin de cet acte, la séparation de la matière, & de la forme, & la résolution du mixte.

188 - Les natures spirituelles.

Les natures spirituelles dans les mixtes, ont les racines de leur génération, & leur vie dans le Ciel, d’où procèdent leurs causes, & leurs principes, d’où comme des arbres renversés, elles tirent un suc, & un aliment céleste. Et certes l’intellect qui est d’une nature spirituelle, n’a pas du être assujetti à l’autorité, & à la nécessité des sens, qui ne peuvent juger que des choses sensibles. Or pour l’entendement raisonnable il est bien au-dessus de leur ressort, & recherche bien plus haut que par les sens les fins, & les lois de la nature. Or pour les corps, ils sont tout ainsi que les écorces, les plus crasses parties des éléments, & les accidents des choses, sous lesquels les pures, & efficaces essences, qui ne reconnaissent point la censure des sens, sont cachées : & en effet il a été convenable qu’elles aient été ainsi voilées, & couvertes de ces écorces corporelles : puisqu’elles avaient à séjourner en cette contrée, qui est toute corporelle, & terrestre. Le souverain Créateur a voulu ordonner ce mariage des choses spirituelles avec les corporelles, afin que son esprit incréé, qui se communique premièrement aux natures plus spirituelles, & plus simples, descendit de celles-là, comme par des milieux, & par degrés dans les corporelles : & qu’ainsi par degrés, & par ordre, s’épanchât dans toutes choses, & dans toutes les parties du monde, il pût soutenir par sa présence tout l’ouvrage de la Divinité : & aussi afin que le Créateur, dont l’essence s’échappe à nos sens, se fît connaître à la créature sensible par des images corporelles, & sensibles.

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Toute chose vivante, soit végétaux, ou animaux, a besoin de nourritures afin de refaire les esprits naturels, qui se dissipent continuellement par les pores, & de réparer ainsi la perte de la nature. Car de la substance plus succulente de la viande, il s’en fait un suc nourrissant, duquel toutes les parties du corps sont entretenues : mais de la partie plus pure des humeurs, particulièrement du sang pur (une influence éthérée, s’y venant mêler par le moyen de la respiration,) l’humide radical se répare, & se refait.

190 - Deux sortes d’aliments, le corporel & le spirituel.

Les choses vivantes se nourrissent de deux sorte d’aliment, c’est à savoir d’un corporel, & d’un autre spirituel : & certes sans celui-ci, celui-là contribuerait peu a la vie, car nous voyons manifestement que les végétaux sont redevables de leur accroissement, & de leur nutrition, non moins à l’air, & au Ciel qu’à la terre, si elle n’était abreuvée d’un lait éthérée, ses mamelles flétriraient bientôt. Ce que le Philosophe sacré, & savant dans les secrets de la nature a assez exprimé, en donnant sa bénédiction à Joseph. La terre tirera sa bénédiction de Dieu, elle devra l’hommage de sa fécondité aux fruits, & aux pommes du Ciel, à la rosée aux eaux de l’abîme, élevées dans les nues, & imbues des influences célestes. C’est aux pommes, & aux fruits du Soleil, & de la Lune, qu’elle rendra tribut des siens ; car ceux que notre terre nous donne, on été comme premièrement semés dans les hautes montagnes du Ciel, & dans les collines éternelles, où le Prophète par ce langage mystique, promet la fécondité de la terre de la part du Soleil, de la Lune, & de l’influence des corps célestes.

191

La fréquente respiration ou attraction de l’air extérieur oblige les moins savants à avouer combien est-ce que cet aliment spirituel contribue à la vie des animaux : & la nature n’a pas fait ses soufflets avec tant d’art proche du cœur, pour le rafraîchir seulement, comme le vulgaire des Médecins le pense ; mais encore afin que par leur soufflement, & agitation fréquente, ils lui inspirent un souffle, & des esprits éthérés, par le moyen desquels il répare, & multiplie les siens.

192

Les Philosophes appellent natures spirituelles, non seulement celles qui étant créées sans matière, ne sont conçues que par l’intellect, telles que sont les Intelligences, les Anges, les démons : mais encore celles, qui bien qu’elles tirent leur origine de la matière, néanmoins à cause de leur extrême subtilité, & noblesse, s’échappent à nos sens, & lesquelles approchants fort des spirituelles, se conçoivent bien mieux par la raison, quelles ne sont aperçues par les sens. Telles natures sont un air pur ou l’éther, les influences des corps célestes, le feu naturel, & les esprits séminaux ; les esprits végétaux, animaux, & vitaux, & autres choses semblables, dans lesquelles la nature des choses consiste, & réside plus véritablement que dans les corps crasses. Ces sortes de nature tirent leur origine du Ciel, & à raison des choses sensibles, elles peuvent s’arroger le titre, & le droit d’esprit.

193 - Le feu de la nature est spirituel.

Nous pouvons rapporter le feu de la nature entre les choses spirituelles, car il ne peut être aperçu de soi par aucun des sens : mais il se manifeste par la chaleur, & par autres effets, & accidents dans les corps, comme l’on peut voir dans les animaux, dans lesquels le feu de la nature, tout imperceptible qu’il est, répand une chaleur sensible : & lorsqu’il s’en retire, avec la vie comme à la dérobée, le corps élémentaire, ou le cadavre demeure entier, quoi que néanmoins le mixte soit véritablement dissout par cette séparation. Or dans les végétaux, parce que ce feu est débile, il ne s’y fait point sentir par aucune chaleur.

194 - Le feu commun peut aussi être dans le rang des choses spirituelles.

La raison nous prouve aussi suffisamment, que notre feu commun est plutôt du rang des choses spirituelles, que des corporelles. Car s’il était corporel, il aurait un corps propre, & inséparable de soi, tout ainsi que la terre, l’eau, & l’air, & les autres natures sensibles qui ont consistance, & qui sont terminés par leurs propres corps, subsistent en elles, & par elles, exerçant leur forces, & se découvrant a nos sens. Or le feu n’a point de corps propre, & sensible ; mais seulement adhère-il en un étranger. Car le charbon n’est pas feu, mais un bois ardent, & la flamme n’est pas feu, mais une fumée allumée. Enfin, ce ravisseur consume toujours tout ce qui n’est point à lui, il ne vit que de proie, laquelle lui manquant il s’éteint, n’ayant pas de soi de quoi se nourrir. De plus, un corps étant ajouté à un autre corps augmente la quantité : mais le feu étant ajouté au bois, & à la fumée, ne produit point cet effet. Car le bois, ni la fumée par la survenue d’un autre feu, ne s’augmente pas selon la quantité. D’où il est manifeste que c’est plutôt un esprit, qui s’attache, & dévore le bois, & la fumée, qu’un corps de feu : une épée qui se liquéfie, sans que le fourreau en soit endommagé, les os qui sont froissés, sans blesser la chair par le feu de la foudre, & du tonnerre, prouvent fort bien que la nature de ce feu-là est aussi spirituelle : néanmoins il faut confesser que le feu n’est pas entièrement immatériel. Mais il est composé d’une matière très-déliée, & très subtile, par laquelle il adhère a l’air, qui l’environne, ce qui se recueille, de ce qu’il peut être retenu ; & arrêté par quelque chose de plus crasse : néanmoins il mérite mieux le titre d’esprit que de corps : parce qu’il est exempt de quantité sensible, & qu’il ne peut être aperçu si ce n’est qu’il se revête d’un corps étranger.

195 - La lumière est dans le rang des choses spirituelles.

Qu’il faille mettre l’éclat, & la lumière au rang des choses véritablement spirituelles, son origine nous convainc de cette vérité. Car auparavant l’information de la matière première, & la naissance du monde, hors de Dieu, il n’y avait aucune lumière : mais aussitôt que la nature fût née, la lumière spirituelle commença dès lors à couler d’un esprit de feu de la Divinité, & à s’attacher à la matière, tout ainsi qu’à une mèche. Or ce fut-là la création, & l’origine de la lumière, ce fut-là le premier acte de la Divinité sur la matière, le premier mariage du Créateur avec la créature, & de l’esprit avec le corps, d’où l’on recueille que la première lumière, & celle qui a commencé à informer la matière, a été purement un esprit, qui par sa vertu de feu, comme par une chaleur ayant raréfié parfaitement la matière plus prochaine l’a allumé, & éclairé ensuite ; & ainsi il a converti les ténèbres en lumières. Le Ciel, qui le premier reçut la lumière, quoiqu’il soit matériel, & d’une nature de feu, est néanmoins tout à fait invisible : parce que du côté de la matière il a atteint le suprême degré de subtilité, & du côté de la forme il est spirituel. Mais dans le Ciel des astres, la lumière qui était éparse étant recueillie s’unit au globe du Soleil, lequel il a fallu nécessairement avoir été d’une matière condensée, comme une fumée inflammable, mais incombustible, afin qu’allumé de cette lumière immortelle, il l’arrêtât, & la rendit fixe, & servit à toute la nature de flambeau pour l’éclairer. La lumière solaire, n’est donc rien autre qu’un esprit lumineux, tirant son origine d’un esprit de la lumière éternelle, lequel est collé, & uni à son corps inséparablement comme sa forme devenue sensible par la condensation de ce même corps, & lequel communique sa lumière, & sa vertu à toutes les natures de l’Univers, étant par son flux, & écoulement continuel l’esprit du monde, & n’étant attaché à un corps que pour la commodité, & le bien de la nature corporelle.

196

Néanmoins les rayons solaires qui viennent à nos yeux, ne sont pas de purs esprits. Car sortant continuellement du Soleil ; ils sont porter jusqu’à nous revêtus d’une substance éthérée, & approchant de la leur, par laquelle ils passent. Ils ne sont donc rien autre qu’un flux continuel d’esprits de lumière, qui coulant de leur source intarissable, comme des ruisseaux, & qui s’insinuants dans la nature éthérée, tout ainsi que la flamme dans une fumée très-déliée, répandent la lumière au large dans toute la vaste étendue du monde.

197

La nature de la lumière, consiste à couler incessamment de sa source ; les esprits qui en partent, & qui se mêlent à une substance éthérée nous les appelons rayons, & ce sont les premiers actes de l’éclat, & de la splendeur, & les canaux ou véhicules de la lumière. Car c’est le propre du corps luisant d’agir par rayons, & de répandre la chaleur, & la splendeur, afin de verser ainsi h lumière par tout le monde, par l’envoi, & la multiplication de ses rayons. Par l’éclat, & splendeur, l’on doit entendre simplement le premier acte du corps lumineux : mais par la lumière le second qui procède du premier.

198

Une chandelle de cire étant consumée, ou éteinte par le souffle de quelque vent, il ne faut croire pour cela que l’esprit de feu, & lumineux, qui allumait la mèche, & la fumée périsse en même temps, ou s’éteigne, comme le vulgaire croit ; mais cela arrive à cause qu’étant destitué d’aliment, ou bien en étant arraché, il se dissipe, & s’évanouit dans l’air, qui est l’abîme, & le réceptacle général des lumières, & des natures spirituelles du monde matériel, d’où nous recueillons que la nature de la lumière est spirituelle, & procède d’une source spirituelle ; aussi bien que les formes naturelles, lesquelles procèdent de leur matrice spirituelle, qui n’est autre que l’esprit de l’Univers, coulant sans cesse du Soleil, comme de sa source immortelle. Car tout ainsi que les corps des mixtes naissants proviennent de la matière première, & des éléments, & que défaillant ils retournent insensiblement dans ces mêmes principes : ainsi les formes naturelles des individus survenant partent de la forme universelle, qui comme la forme des formes inspire aux semences une vertu formelle, & y retournent aussi lorsqu’elles se retirent de leur sujet. Or cette forme universelle, est l’esprit de la lumière auquel retournent comme à leur principe, & comme à une nature homogène, & conforme à la leur toutes les formes, & toutes les étincelles de lumière désunies de leur support, & détachées du nœud de leur corps. Ainsi tous les mixtes se résolvent en leurs principes, & leurs principes retournent en la source éternelle de leur nature comme à leur propre centre, & à leur patrie.

199 - L’esprit de l’Univers.

L’esprit de l’Univers est à la vérité solaire, & procède du Soleil : néanmoins il ne faut pas penser pour cela, que ce soit cet éclat, & cette lumière du Soleil qui se fait voir à nos yeux par la présence du Soleil sur notre hémisphère : mais c’est cet esprit invisible qui est épanché par les rayons du Soleil par toute la région éthérée, & par communication dans notre Ciel, & mêmes jusqu’au centre de la terre : & ce en l’absence même du Soleil, & dans la nuit la plus opaque, versant tous les dons, & toutes les prérogatives nécessaires pour la génération, & pour la vie, & se répandant dans tous les corps de l’Univers.

200

L’amour Divin n’a pas pu se contenir en lui-même, mais il a voulu sortir tout hors de soi dans la création, comme si en quelque façon il s’était multipliés & en la conservation de ses créatures dedans soi-même, il s’est comme répandu, & épanché en elles. La lumière qui est une copie, & un tableau de la Divinité fort naïf, imite aussi cet amour Divin : Car elle ne peut point être retenue dans les limites de son corps lumineux ; mais elle s’épanche au long, & au large par l’immense multiplication de ses rayons pour le bien, & la commodité d’autrui, n’étant pas faite, tant pour elle, que pour les autres : & comme le symbole de la divine charité, elle se communique à qui elle peut, & pour cet effet, elle porte ses rayons jusque dans les lieux les plus reculés, & éloignés, si elle n’en est empêchée par quelque corps dense interposé.

201

La lumière nous donne aussi une connaissance & une idée de la Nature infinie de Dieu. Car la flamme d’une lampe, ou d’une chandelle, nonobstant le flux infatigable, & interressable de ses rayons, & même quand elle se communiquerait jusqu’à l’infini, ne peut en aucune façon être épuisée, ou diminuée, tant qu’elle aura nourriture ; autant de rayons sont autant de ruisseaux, qui en coulent : quoique l’on lui ajoute, & quoi que l’on lui ôte elle n’en croît, ni elle n’en souffre de déchet. Ce qui convient à la seule nature spirituelle, & nullement à la nature corporelle ; de telle sorte sont les dons intellectuels, comme les sciences, & les connaissances des choses, que l’on peut appeler avec juste raison des lumières spirituelles : en sorte que bien qu’elles soient communiquées mille fois, elles demeurent néanmoins toutes entières dans leur possesseur : & de vérité il faut confesser qu’il y a là assurément quelque chose de la lumière Divine.

202

Les rayons d’un corps lumineux & éclatant, quoiqu’ils soient d’une nature spirituelle, néanmoins ils sont arrêtés par l’opposition d’un corps dense, & épais ; d’autant qu’ils se servent de l’air comme d’un véhicule, sans lequel nous ne saurions les apercevoir, & par l’alliance duquel ils deviennent eux-mêmes en quel que façon corporels. C’est pourquoi ils ne pénètrent que les corps poreux : Ainsi les choses spirituelles agissent parmi nous par quelque milieu sensible, afin de se faire apercevoir en leurs actions. Le corps lumineux étant absent les rayons se retirent en même temps, & ils ne l’abandonnent point, d’autant qu’ils en coulent immédiatement.

203

Non seulement l’air éloigné de nous est éclairé par la présence du corps du Soleil, & par ses rayons, mais il l’est aussi en son absence, & dans l’éloignement de ses rayons, par le moyen de l’esprit lumineux qui sort de ces mêmes rayons ; ainsi que l’on le remarque dans une grande éclipse du Soleil, & dans le Ciel tout couvert de nuages épais, & lors mêmes qu’il est voilé des sombres ténèbres de la nuit, comme aussi lorsque le Soleil est descendu sous l’horizon : car cet acte de lumière qui éclaire un peu pour lors, le corps éclatant & ses rayons étant absents, ne provient d’aucune autre cause que de la présence de ces esprits de lumière, partis des rayons du Soleil, & répandus dans l’air.

204 - Le corps diaphane.

Tout corps diaphane comme est le verre, étant frappé des rayons du Soleil, les unit, & en exprime dans soi l’image, devenant luisant comme un autre petit Soleil en terre, qui darde aussi ses rayons, lesquelles passent outre en la partie opposée au Soleil ; d’où vient qu’il semble que les rayons solaires, rompus par la rencontre du verre, y passent au travers, & le pénètrent : ce qui néanmoins n’est pas en effet : mais les rayons qui sont dardés de l’autre côté opposé au Soleil, sont des rayons du petit Soleil de verre, allumé, & rendu lumineux par les rayons du Soleil.

205

Tout corps diaphane, principalement le verre, est un milieu propre de la lumière, car il la reçoit dedans soi, & l’ayant reçu, la communique à l’air opposé, non par la transmission d’un air lumineux, qui ait passé au travers ; car c’est une chose qui répugne à la nature : mais cela arrive par deux autres voies. La première, parce que le corps diaphane est accessible, & ouvert à l’esprit de la lumières qu’elle le transmet, l’ayant reçu dans soi ; car cet esprit en étant sorti, s’insinue dans l’air, d’où il naît une grande lumière. La seconde, parce que tout milieu diaphane, par le moyen de la lumière qu’il a reçu, devient non seulement illuminé, mais encore lumineux, & allumé par l’esprit de la lumière (qui sympathise fort bien avec les corps diaphanes), tout ainsi qu’une mèche. Or tout corps lumineux a droit d’épancher la lumière : ce qui n’est pas permis aux corps épais, & opaques, si ce n’est par réflexion.

206

Les pures natures des mixtes sont aussi spirituelles, les corps n’en sont que les écorces, & comme des vaisseaux d’argile, où elles reposent, d’autant que ces natures sublimes n’eussent jamais pu séjourner dans le centre de cet abîme, & passer dans cette basse mer du chaos ; si ce n’est qu’étant attachées à des éléments corporels, elles y fussent arrêtées par ces poids. Or elles se font sentir par les corps, & les corps se meuvent & agissent par elles. Ainsi ils se rendent d’offices mutuels : & c’est là le secret de la Junon d’Homère, que Jupiter fît descendre, lui ayant attaché le poids d’une enclume aux pieds.

207

La machine de l’Univers n’étant qu’un corps, & qu’une nature universelle, composée de plusieurs natures, & corps, comme de ses parties, unies ensemble par leurs milieux, & leurs liens, il ne faut pas trouver étrange, si les membres de ce tout sont étreints par un nœud si fort, quoique secrets qu’ils se prêtent de secours mutuels ; car il n’y a pas seulement relation entre eux : mais encore une étroite communication, par laquelle ces diverses natures, & parties exercent une sorte de commerce par ensemble ; c’est à savoir celles qui sont dans les extrémités, par les mitoyennes, & les mitoyennes par leurs voisines. Or cette communication se fait par des esprits, qui vont, & viennent. Car toutes les contrées du monde, & toutes les natures, mêmes les individuelles sont pleines d’esprits, dont la plupart s’écoulant sans cesse ; quittent la place à d’autres qui y surviennent : & ainsi par ce continuel flux, & reflux d’esprits, il se fait un certain renouvellement du monde, & des natures. Or c’est là cette échelle de la nature de l’Univers, révélée en vision à Jacob le Patriarche. Ce sont là les ailes de Mercure ; par le moyen desquelles, ce messager des Dieux, ainsi que l’a crû mystérieusement la sage antiquité, visitait sans relâche les divinités d’en haut, & d’en bas.

208 - Les principes actifs sont spirituels.

Les principes actifs, de quelque sorte qu’ils soient, ou de végétaux, ou d’animal, sont toujours spirituels. Les corps sont les organes passifs des esprits, par le moyen desquels ils exercent les facultés des sens, & déploient leurs forces en différentes manières d’agir, comme étant les auteurs des actions : en sorte que la vie en général peut être dite un concert d’actions, ou bien un acte continuel, & multiplié d’actions diverses, procédant d’une source spirituelle, & faisant ses fonctions par ses organes corporels.

209

Le propre de la nature spirituelle est d’agir, & de la corporelle de souffrir ; où donc se fait un concours des deux comme dans les mixtes ; celle-là comme la plus noble agit, & ordonne celle-ci souffre, & obéit car la faculté d’agir est une marque d’empire : mais le joug de la souffrance en est une de servitude. Ainsi le feu naturel, & empreint dans la semence, est un principe de génération ; & de vie, & l’économe, & le maître d’hôtel, pour préparer, & façonner la matière dans le mélange, & la distribution des éléments ; c’est ainsi que la forme dans le mixte exerce avec empire toutes ses forces, & facilités, comme étant la source des actions du mixte : & c’est encore en cette sorte que les vertus célestes disposent, & impriment leur sceau, & leur caractère sur les éléments inférieurs, & sur la matière corporelle qui en résulte, comme une troisième matière.

210 - Les qualités sont les instruments, non pas les causes des actions.

Les corps naturels qui possèdent une force active, & une cause secrète de leurs actions, n’agissent pas par leur seules qualités comme le vulgaire le pense, mais par des esprits secrets : & le feu ne réchauffe pas, ou ne brûle pas par la simple qualité de sa chaleur : mais par un continuel flux d’esprits, & de rayons : & la terre, ou l’eau ne refroidissent, ou n’humectent pas par les seules qualités de leur froideur, & de leur humidité : mais par des vapeurs déliées, & par des esprits naturellement, empreints, qu’elles envoient, & qui se font sentir même de loin : ni les venins ne donnent pas la mort, ni la corruption plus vite, ou plus tard par leurs seules qualités chaudes ou froides : mais par des esprits malins. Or l’on peut faire le même jugement des plantes, & des herbes ; car leurs vertus actives ne résident pas dans leurs qualités, mais dans leur essence, que la nature a pourvu, & enrichi d’esprits, dont la base, & les forces principales consistent en ce qui est en elles de spirituel ; vu que les corps ne sont que les ombres, & les écorces des choses, sous lesquelles la nature invisible est cachée ; & les qualités n’étant que des accidents des choses, n’en peuvent faire l’essence, ni par leurs actions, faire éclore ces vertus admirables, que ces choses possèdent, étant seulement dans la matière les instruments des actions, & passions, dont les esprits qui sont les architectes, & les artisans des actions, se servent pour agir ; car la nature ne permet pas que des qualités soient les principes, & les causes efficientes des actions.

211 - Les teintures, les odeurs & les saveurs.

Les teintures naturelles des choses, les odeurs, & les saveurs sont des dons de la nature spéciaux, & spirituels, dont elle a enrichi ses productions, lesquelles choses ne servent pas seulement pour l’ornement, ou ne leur sont pas données comme des accidents extérieurs, mais elles ont une cause radicale, & entée dans la substance des choses, & ne doivent pas être appelées tant accidents que des signes des vertus intérieures, par lesquelles les signatures cachées, & formelles des choses se manifestent.

212 - La raréfaction & la condensation sont les instruments de la nature.

La raréfaction, & la condensation sont les deux instruments de la nature, par lesquels les corps se convertissent en esprits, & les esprits derechef en corps : ou bien par lesquels les éléments corporels se changent en des spirituels, & de spirituels en corporels, car les éléments dans les mixtes souffrent toutes ces vicissitudes. Ainsi la terre fournit de son sein une nourriture spirituelle aux racines des végétaux, laquelle en ayant été sucée, s’y change en tige, en écorce, en rameaux, en feuilles, en fleurs, & enfin passe, & retourne de la sorte en substance corporelle. La nature fait le même dans les animaux ; car la viande, & le breuvage dont ils se nourrissent, ou du moins la meilleure part, se change en humeurs, & enfin en esprits ; lesquels se coulants dans les pores, & se collants à la chair, aux nerfs, aux os, & aux autres parties corporelles, les nourrissent, & les augmentent, & suppléants ainsi sans relâche aux pertes de la nature, la réparent, & la conservent. Ainsi la portion spirituelle de la plus pure substance se coagule, & s’épaissit en un corps écumeux de semence. L’art qui imite la nature, éprouve le semblable dans ses dissolutions, & dans ses compositions.

CCXIII - L’humide radical.

La vie des individus consiste en une union étroite et proportionnée de la matière et de la forme. Or le nœud et la base de ces deux essences prend sa consistance dans l’accouplement et dans l’alliance étroite de l’humide radical avec la chaleur, ou le feu naturel : car ce feu formel est un rayon céleste, qui se lie et s’unit à l’humide radical, et celui-ci est une portion très pure de la matière, parfaitement digérée, et comme une huile purifiée et rectifiée, et changée en quelque sorte en essence spirituelle, dans les organes de la nature aussi bien que dans les alambics.

CCXIV

Beaucoup d’humide radical subsiste dans les semences des choses : une certaine étincelle de feu céleste y est contenue comme dans son aliment et y opère tout ce qui est nécessaire à la génération, dès qu’elle est reçue dans la matière convenable. Or on doit supposer que là où est le principe constant de la chaleur, là aussi se trouve le feu, et nous devons certainement tenir l’humide radical pour le principe constant de la chaleur, puisque c’est là qu’elle se rencontre de la façon la plus naturelle.

CCXV - L’humeur radicale est immortelle.

On peut remarquer dans l’humide radical quelque chose d’immortel, qui ne s’évanouit point par la mort, et qui ne se consume point par tous les efforts du feu le plus violent, mais qui demeure dans les cadavres, et dans les cendres des corps brûlés, sans pouvoir être détruit par le feu.

CCLVI - Deux sortes d’humeurs dans les mixtes.

Il y a dans chaque mixte deux sortes d’humeur, l’élémentaire et la radicale. L’élémentaire, qui est d’une nature moitié aqueuse, et moitié aérienne, ne résiste pas au feu et s’envole en fumée ou en vapeur, et lorsqu’elle est épuisée, le corps se résout en cendres : car les éléments sont liés par elle dans leur mélange, comme par une colle. Mais la radicale résiste à la tyrannie de notre feu, car elle ne s’évapore pas, même lorsque les corps sont brûlés, mais survivant à la destruction du mixte, elle demeure opiniâtrement attachée aux cendres. Ce qui est une preuve de sa parfaite pureté.

CCXVII - Le verre se fait de l’humide radical.

Bien qu’ils soient peu versés dans la science de la nature, l’expérience a découvert aux verriers le secret de l’humide radical dissimulé dans les cendres. Car ils tirent le verre des cendres qu’ils font fondre au moyen de la flamme, dont la pointe aiguë, réussissant à diviser les corpuscules de la matière, rend manifeste cet humide qui y était caché. Toutes les forces de l’art et du feu ne peuvent en effet faire descendre ou monter la matière à un degré plus éminent ou plus bas. Comme il est nécessaire que les cendres coulent de manière qu’il s’en forme une quantité continue et un corps solide comme est le verre, et cette fluidité ne pouvant nullement être obtenue sans humeur, il faut donc que ce soit cet humide inséparable de la matière qui s’achève en ce beau corps diaphane comme un corps éthéré.

CCXVIII - L’humide radical réside dans les cendres.

Le sel que l’on retire des cendres, dans lequel réside la vertu puissante des mixtes, et aussi bien la fertilité des campagnes qui résulte de l’incendie et des cendres des épis et des étoupes, sont un indice assuré que cette humeur inviolable par le feu est le principe de la génération et la base de la nature ; quoique cette vertu n’ait aucun effet tant qu’elle demeure cachée dans ces mêmes cendres, jusqu’à ce qu’étant reçue par la terre, cette commune matrice des principes naturels, elle déploie ses facultés génératives et secrètes, y étant provoquée par la vertu de la terre, avec laquelle les cendres ont conformité, de même que cela se passe pour les semences des êtres vivants.

CCXIX

Ce baume radical est le ferment de la nature, dont la masse des corps est pétrie et assaisonnée. C’est une teinture ineffaçable et indivisible, qui s’insinue dans toute la substance des choses. Car elle teint, et pénètre même les excréments les plus sales. La génération fréquente qui s’y forme, quoique imparfaite, en est une preuve, comme le fait de fumer les terres, que les laboureurs pratiquent assez souvent, afin que leurs champs leur rendent avec usure ce qu’ils y ont semé.

CCXX - L’humide racidal est la racine du monde matériel.

Il y a quelque apparence que cette racine de la nature, qui demeure inviolable après la ruine, et la destruction du mixte, soit un vestige et une portion très pure et immortelle de la matière première, telle qu’elle était immédiatement, après qu’elle fût informée et imprimée par le caractère divin de la lumière. Car ce mariage antique de la matière première avec sa forme est indissoluble : c’est de lui qu’ont pris naissance les autres éléments corporels ; et même il a été nécessaire que la base des choses corruptibles fût incorruptible, et qu’à l’intérieur le plus profond des corps fût cachée une racine ferme, qui y trouvât pour ainsi dire son assiette cubique, toujours stable et indestructible : afin que le principe matériel, qui est capable et susceptible de la vie, fût constant et perpétuel, lui autour duquel comme autour d’un axe immuable, se fait la vicissitude des éléments et des choses. Et s’il est permis de tirer quelque conjecture vraisemblable de choses qui sont obscures en elles-mêmes, cette substance immortelle est le fondement du monde matériel, et le ferment de son immortalité, qu’au jour de l’embrasement universel, les éléments étant purifiés par le jugement du feu, l’Eternel qui équilibre tout par poids et mesures, aura voulu faire survivre à la ruine du monde. Afin de pouvoir renouveler et séparer son ouvrage grâce à cette pure et inviolable matière, le garantissant ainsi de la corruption et des imperfections de son origine, pour le rendre éternellement glorieux, et incorruptible.

CCXXI

II est évident que cette base radicale n’est pas de la nature des formes spécifiques. Car chaque individu possède sa forme particulière et individuelle, qui se retire du corps après la résolution du mixte. Ce principe radical subsiste néanmoins, et ne s’éteint point, bien que fort affaibli à cause de l’absence de la forme, et presque sans effet. Cependant il lui reste encore certains petits feux vitaux, capables de donner naissance à des productions plus viles et imparfaites, lesquelles sont moins des ouvrages de la nature que de la matière, qui s’efforce d’engendrer mais ne le peut pas, n’ayant point d’être avec qui elle puisse s’accoupler, vu l’absence de la vertu formelle et spécifique. Par exemple le cadavre d’un homme ou d’un cheval, par le défaut de semence, peut bien engendrer des vers puants, et quelques insectes, mais non pas un homme ou un cheval. On peut conjecturer de là que ce principe inerte de la vie procède de la disette et de l’insuffisance de la matière première, et qu’il appartient plutôt à la famille des éléments inférieurs qu’à celle des supérieurs et des célestes, bien qu’il ne laisse pas d’avoir quelque teinture de la lumière.

CCXXII

Car cette faible étincelle de la première lumière, qui informa au commencement la matière ténébreuse de l’abîme, suffit à elle seule à la génération des insectes. Elle agite en effet la matière avec désordre et confusion, afin de l’élever de la puissance à un acte débile. Mais elle, à cause de la modicité de ce feu, étant à demi refroidie et languissante, plutôt étreinte par une image du mâle que mêlée avec lui en un véritable accouplement, et se trouvant en vérité prise d’un désir d’engendrer, mais incapable de concevoir (à elle seule) un fruit qui puisse passer pour un ouvrage légitime de la Nature, elle ne forme que des fantômes immondes et des simulacres d’animaux, tels que les vermisseaux, les bourdons, les scarabées et ce qui leur ressemble, dans les excréments et les matières putrides. Cette humeur radicale est donc le vrai et prochain sujet de la génération et de la vie : le feu de la nature s’y allume d’abord et l’acte formel s’y produit, lorsque la matière est bien disposée et ordonnée. Mais dans une matière confuse et sans ordre, et lorsque l’humide fait la fonction de mâle, il ne s’enfante que des avortons et des bâtards de la Nature. Car la génération qui se fait sans semence spécifique semble plutôt arriver par hasard que par le conseil de la nature, quoique en son intérieur il se produise une copulation imparfaite et difficile à discerner, laquelle est nécessaire pour la fabrication de quelque mixte que ce soit, même imparfait.

CCXXIII - L’humide racidal est le lien de la matière et de la forme.

II semble enfin que ce ferment radical, qui est caché au plus profond des mixtes, soit le lien du mariage contracté entre la lumière et les ténèbres, entre la matière première et la forme universelle ; qu’il soit le nœud des contraires, le siège des formes, et leur amarre dans les mixtes. Autrement en effet, la matière et la forme, à cause de leurs natures antinomiques, ne s’allieraient jamais. Or cette ténébreuse sauvagerie de la matière première, comme l’aversion qu’elle avait de la lumière, a été domptée, et sa haine changée en amour par le moyen de la première teinture lumineuse. qui réconcilie les choses opposées.

CCXXIV - La chaleur naturelle et l’humide radical.

La chaleur naturelle et l’humide radical sont de nature différente, car celle-là est toute solaire, et toute spirituelle, alors que celui-ci est mi-spirituel, mi-corporel, participant de la nature éthérée et de la nature élémentaire : celle-là est du rang des choses supérieures, celui-ci appartient davantage aux choses inférieures. Mais c’est en lui que le mariage du ciel et de la terre a été fêté pour la première fois, et c’est par lui que le ciel demeure dans le centre de la Terre. Ils se trompent donc, ceux qui confondent la chaleur naturelle et l’humide radical. Car ils ne diffèrent pas moins l’un de l’autre que la fumée et la flamme, la lumière solaire et l’air, le soufre et le mercure, vu que dans les mixtes l’humeur radicale est le siège et l’aliment du feu naturel et céleste, et le nœud qui le lie au corps élémentaire ; mais ce feu naturel est lui-même l’âme et la forme des mixtes. Cette humeur, dans les semences, est la gardienne immédiate et le réceptacle de l’esprit de feu, qui y est emprisonné jusqu’à ce qu’une chaleur d’origine extérieure survienne, qui le reçoive dans une matrice propre à la génération, où il soit réveillé et excité. Enfin cette substance radicale dans chaque mixte est l’officine de Vulcain. C’est le foyer qui conserve ce feu immortel, qui est le premier moteur de toutes les facultés de l’individu.

CCXXV

L’humide radical constitue le baume universel et le très précieux élixir de la nature ; c’est par excellence le mercure de la vie sublimé par la même Nature, qui en a fourni une dose exactement pesée avec justesse à chaque individu de la famille. Que ceux donc qui savent extraire un tel trésor du sein et des entrailles des productions naturelles où il est caché, et le développer hors des écorces des éléments où il est enfoui dans l’ombre, que ceux-là, dis-je, se glorifient d’avoir retrouvé le remède suprême de la vie humaine et l’universelle panacée. [L’harmonie de l’Univers repose sur la distinction classique entre les premiers et les seconds exemplaires des choses, distinction subsumée par la présence dans les « choses inférieures » de la signature secrète des espèces supérieures. Cette harmonie est comparée par d’Espagnet tour à tour à un animal hermaphrodite, la vigueur étant du côté du mâle et la corruption du côté de la femelle, puis, de manière assez désordonnée, à une « musique naturelle » reposant sur les quatre qualités radicales des éléments, qualités analogues à quatre tons harmonieux « qui ne sont pas contraires les uns aux autres, mais divers et distants ». Le mouvement de la Nature s’exprime cependant d’une façon plus manifeste dans celui des astres, et dans les différentes influences qu’ils produisent.]

226 - Les premiers et second exemplaires des choses.

La raison, et l’ordre de la création veulent que le premières idées, et exemplaires des choses, ayant été gravées, premièrement dans les natures célestes, qu’après delà elles aient été transmises aux inférieures ; car là les choses sont beaucoup plus parfaites, tant à cause de la plus grande subtilité, & excellence de la matière, qu’à cause qu’elles ont leur demeure plus proche de la source éternelle : mais parmi nous elle sont beaucoup plus vile, parce qu’elles sont empreintes sur une matière plus crasse, & de plus basse étoffe, & qu’elles sont plus éloignées du principe éternel. Il n’y a donc rien ici-bas marqué de quelque caractère, qui ne l’ait été premièrement dans le Ciel, & il n’y a point d’espèce des natures inférieures, qui ne relève de l’empire de quelqu’autre supérieure, qui a de la convenance avec elle, & qui n’en ait le sceau, & la signature secrète empreinte. Ainsi les choses inférieures dépendent des supérieures.

227 - L’harmonie de l’Univers.

Le monde est comme un animal hermaphrodite, & de double nature. Car il est de l’un et l’autre sexe. La partie supérieure ; c’est-à-dire la céleste, est active, & masculine, & l’inférieure, & élémentaire, passive & féminine, le globe de la terre en est la matrice, où est reçue et fomentée la semence féconde du Ciel ; du coté mâle, procède la vie & la vigueur, & du coté de la femme la corruption, & la mort.

228

Or puis que les corps supérieurs, & inférieures ont tiré leur origine de mêmes principes, comme de pères communs, & que néanmoins ils n’ont pas été partagés également, il étoit raisonnable que ceux qui avoient été avantagés de substances plus nobles, & de prérogatives plus belles, secoururent aussi de quelque chose leurs frères de la plus basse fortune, pauvres, & accablés de nécessité & qu’ils eussent soin du moins de leur vie, & de leur considération. Car ayant été nécessaire que le monde fut composé de divers natures inégales, la Divine providence aussi à pourvue à ce que les plus puissantes aidassent les plus débiles, & donnassent des forces à la faiblesse des languissantes. Et c’est pour cela que l’amour des parties de l’Univers est un lien indissoluble.

229

Dans cette région sublunaire, soit par défaut de proportion, ou de tempérament des éléments, soit à raison de la quantité, ou soit à raison des qualités, c’est à savoir lorsqu’elles sont excessives & intempérées, ou trop relâchées, & modérées, la nature pour lors devient malade, & il se fait une mauvaise harmonie dans la Musique naturelle, & une intempérie dans les corps. Ce concert des éléments, étant donc rompu, lequel résulte de la proportion qui en fait le juste tempérament, la matière & la forme du mixte sont mal alliées, et unies par ensemble, la nature est troublée, & chancelante dans la perplexité, & dans la confusion d’où lui viennent les maladies, & enfin, la mort lors qu’elle est ainsi désaccordée, & dans le penchant de sa ruine.

230

Or ce désaccord des principes à une cause ou intrinsèque, & radicale, comme quand il provient du défaut & du vice de la semence d’une mauvaise génération, ou de vieillesse ; ou bien la cause est extrinsèque, & accidentelle, comme quand il arrive de trop grande réplétions ou d’un jeune trop long, d’où procède l’excès ou le défaut dans les semences, ou dans les esprits, comme aussi quand il provient de la putréfaction, du venin mortel, de pourriture, de tristesse, de blessure, ou de quelque empêchement survenu aux organes de la vie, ou d’autres semblables causes, qui violentent la nature.

231 - Les quatre qualités sont comme les tons harmonieux de la nature.

Les quatre qualité radicales des éléments, sont comme les tons harmonieux de la nature, qui ne sont pas contraires entre eux, mais divers et distants les uns des autres par de certains intervalles, & poses : de la raisonnable différence desquels, de l’excès, ou du relâche de leur forces, il en résulte le concert parfait de la nature, qui se discerne seulement par l’intellect, ayant du rapport à la Musique vocale, qui est soumise à la censure des sens : le ton grave & aigu, quoiqu’ils soient extrêmes dans la Musique, ils ne sont pas contraires pour cela : mais les termes des mitoyens, & de ceux qui sont entre-deux, lesquels sont comportez avec divers tempéraments de ces deux extrêmes. Ainsi la chaleur, & la froideur, la sécheresse, & l’humidité sont dans la nature des qualités extrêmes : mais ne sont pas pour cela contraires, seulement sont-ils les termes des qualités mitoyennes, qui procèdent de leur mélange, & de leur tempérament.

232 - Le mouvement de la nature.

Le mouvement de la nature est continuel, & infatigable, non moins dans les parties, que dans le tout. Car elle agit toujours, & ne peut demeurer dans la quiétude, en sorte que si elle se reposoit un moment, toute la fabrique de l’Univers crouleroit ayant été soumise aux lois d’un mouvement perpétuel : & il ne faut pas penser que parce que nous voyons apparemment la terre stable, la Mer dans le calme, l’air tranquille, que pour cela ils ne se meuvent point, parce que nous ne les apercevons pas, non plus qu’il ne faut pas penser qu’un homme qui sort soit sans action : ce repose est un relâche d’action, mais il n’en est pas la privation, ou la cessation. La nature agit intérieurement en quelque temps que ce soit, elle meut ses organes et ne désiste jamais d’agir. Les cadavres mêmes souffrent le moment de la corruption & dans les choses vivantes, quoiqu’elles ne soient pas toujours un mouvement de la corruption : & dans les choses vivantes, quoi qu’elles ne soient pas toujours dans un mouvement local : néanmoins il se fait un continuel mouvement en leurs organes.

233

La nature meut la machine de l’Univers, avec ordre et également, & uniformément, de telle sorte néanmoins qu’elle meut les choses inégales & dissemblables d’un mouvement aussi inégal, & dissemblable, & certes l’&quité Géométrique demande cette loi d’inégalité. Ainsi l’on peut dire, que les mouvements de tous les corps célestes sont égaux par raison géométrique ; c’est à savoir, ayant égard à la différence de grandeur, de leur distance, & de leur nature.

234

La nature non moins ingénieuse que puissante à façonner ses ouvrages, & à les gouverner parvient à sa fin fixe, & certaine, par des détours, & par des opérations interrompues, & vagabondes. Ce qui se voit très clairement dans les productions de la terre. Car maniant les éléments avec inégalité de tempérament, elle remplit principalement l’Hyuer le sein de la terre d’une semence féconde, au Printemps elle rend l’enfantement facile ; l’été elle mûrit les fruits & dans l’Autumne elle le fait tomber.

235

Or cette diversité procède principalement de l’approche ou de l’éloignement du Soleil, établi pour cette fin par le Créateur de l’Univers, qui a voulu que le Soleil gouverna les éléments ; afin que selon qu’il seroit inégalement distant, & que selon diverses postures, & déclinaisons qu’il les regarderoit, & les échauffeoit, ils éprouvassent aussi un tempérament divers, & inégal, & qu’ainsi la nature dans ses différentes, & dissemblables fonctions, se trouvât par ce moyen secourue, et fit ses vicissitudes avec celles des saisons. Cette vérité de la nature mérite la considération d’un Philosophe sérieux.

236

Les corps célestes, quoiqu’ils ne relèvent point des lois de l’altération : néanmoins leurs effet, & leurs influence dissemblables, le divers mouvements des Planètes qui changent leur situation, & la distance qu’ils ont l’un à l’autre, qui donne différentes figures au Ciel, causent dans cette contrée élémentaire beaucoup de changements, & y inspirent beaucoup d’affections, & d’impressions : en sorte qu’ils façonnent diversement comme de la cire les nature des éléments, les inclinant, & ne cessant de les altérer par leurs influences continuelles.

CCXXXVII - Le ciel est continu.

La substance universelle des deux a ses parties continues et d’un seul tenant, et non pas contiguës. Qu’on ne s’imagine donc pas que le monde soit pareil à un ouvrage mécanique ajusté avec art : car la nature ne connaît point ces sections fictives en sphères et en cercles, et ceux qui les premiers ont divisé la région éthérée en une pluralité d’orbites et de circonférences, se sont proposé un moyen facile d’enseigner, plutôt que la vérité du savoir, car la nature divine aime l’unité, et étant elle-même unité, ne supporte point la multiplicité. Il ne faut pas penser qu’elle ait créé plusieurs cieux de matière différente et de surface distincte, vu qu’un corps seulement continu, et possédant néanmoins des parties différentes en excellence et en vertu, a été suffisant : cette continuité ne répugne d’ailleurs en rien aux lois des mouvements célestes, qui, nous étant inconnues, font que notre ignorance se fabrique une astrologie chimérique, qui soumet impudemment la puissance divine à la faiblesse de notre entendement.

CCXXXVIII

S’imaginer qu’il y ait un premier mobile au-delà des cieux, dont le mouvement très rapide fasse faire un tour par jour aux cieux inférieurs, c’est plutôt une échappatoire pour notre ignorance, qu’une invention de la sagesse divine. Car si nous voulons assigner un principe de mouvement à ce premier moteur, pourquoi ne l’accorderons-nous pas plutôt au globe du Soleil ? Pourquoi donnerons-nous témérairement au ciel une cause externe de mouvement, puisque elle peut être interne ?

CCXXXIX

De même que la basse région de l’univers est soumise à la médiane, ainsi la région médiane, à savoir l’éthérée, relève de l’empire de la région suprême et supra-céleste : et c’est en son nom qu’elle gouverne le monde inférieur. Car le ciel empyrée, et le chœur des Intelligences, inspirent successivement à tout l’ordre des globes célestes les vertus qu’ils ont reçues de l’Archétype, et meuvent ces natures immédiatement sous-jacentes, non sans entente, comme les premiers organes du monde matériel. Les choses inférieures étant pareillement mues, elles accomplissent tour à tour leurs vicissitudes comme des cadences exécutées avec mesure, étant redevables de tout ce qu’elles ont de maille-leur aux choses supérieures.

CCXL - Les Intelligences.

Or les Intelligences sont illuminées immédiatement selon leur rang par l’entendement divin, comme par une source de lumière éternelle, lumière dont elles se nourrissent comme d’une nourriture immortelle, et dans laquelle elles lisent les volontés et les commandements de la majesté divine, au service de laquelle elles s’échauffent jusqu’à la gloire. Telle est la façon dont la triple nature de l’univers est unie, l’amour divin en étant le lien et le nœud indissoluble. Ainsi cette république du monde se résout dans et par le nombre ternaire, dont le créateur n’est aucunement une partie, non plus que l’unité n’est un nombre ou une partie de nombre, mais le principe et la mesure du nombre, non plus aussi que le musicien (compositeur) ou le joueur de lyre n’est une partie du concert, bien qu’il en soit l’auteur.

CCXLI

Ceux qui croient que cette multitude presque innombrable de corps célestes que nous voyons a été créée seulement en considération du globe terrestre et pour l’utilité de ses habitants, comme s’ils en étaient le but, me paraissent se faire des illusions. La raison en effet interdit de penser que des natures aussi nobles et aussi augustes aient été créées simplement pour servir à de plus basses et de plus viles qu’elles. Il y aurait même plus de vraisemblance à croire que chaque globe est un monde particulier et que tout autant que sont ces mondes, ils sont autant de fiefs relevant de l’empire divin et éternel, et répandus dans le vaste espace de l’éther : liés par celui-ci comme par un lien commun, ils demeureraient suspendus, et l’immensité de tout l’univers serait composée de leurs multiples natures. Quoique ces corps soient bien différents entre eux et bien éloignés, ils sympathisent tellement ensemble par un amour mutuel, qu’ils font une parfaite harmonie dans l’univers, le ciel étant en quelque sorte leur salle commune. Cependant autour des plus parfaits, ce ciel est beaucoup plus pur, et d’autant plus subtil, plus respirable, et plus spirituel, pour recevoir plus vite les impressions et les affections secrètes des autres corps, et les communiquer également aux corps qui en sont éloignés. Car le ciel est comme le véhicule de la nature, par le moyen duquel toutes ces cités de l’univers font commerce ensemble, et deviennent participantes réciproques de leurs facultés. Ainsi elles s’étreignent mutuellement par un très puissant lien d’amour et de nécessité, comme par quelque vertu magnétique.

CCXLII - La terre.

Qu’est-ce qui interdit de compter le globe de la Terre, au même titre que la Lune, parmi les astres ? Ces deux corps sont de nature opaque ; l’un et l’autre empruntent leur lumière au Soleil ; l’un et l’autre sont solides et réfléchissent les rayons solaires ; l’un et l’autre émettent des esprits et des vertus ; l’un et l’autre sont un pendule dans son ciel ou dans son air. On doute du mouvement de la Terre, mais en quoi ce mouvement est-il indispensable ; pourquoi même ne serait-elle pas stable parmi tant de corps fixes ? Et peut-être la Lune a-t-elle ses habitants, car il n’y a pas d’apparence que des masses si grandes de globes soient oisives et stériles, que nulle créature ne les habite, et que leurs mouvements, leurs actions et leurs travaux ne convergent que pour la commodité de ce seul globe inférieur ; c’est pourquoi Dieu lui-même, ne pouvant supporter la solitude, s’est épanché tout entier hors de lui-même par la création en se transportant dans les créatures, et leur a donné la loi de se multiplier. N’est-il pas plus convenable pour la bonté et la gloire divine, d’avoir embelli toute la fabrique de l’univers, comme un empire, de quantité de mondes aux natures variées comme d’autant de provinces et de cités ? Et que tous ces mondes soient les demeures de divers et innombrables genres d’habitants, toutes ces choses étant créées pour la plus grande gloire de leur éternel créateur ?

CCXLIII

Qui ne révérera le Soleil, suspendu comme une lampe immortelle au milieu de la cour du souverain monarque, dont elle éclaire tous les coins et les retraites les plus cachées, ou bien comme un lieutenant de la majesté divine, qui verse à toutes les créatures de l’univers la lumière, l’esprit et la vie ? Il était en effet raisonnable que Dieu, qui était très éloigné de la matière, gouvernât et manipulât ses ouvrages matériels grâce à un organe et à un milieu lui aussi matériel, mais qui fût néanmoins très excellent, et tout rempli d’un esprit vivifiant : tel est le monarque sensible qu’il a établi sur les peuples sensibles de ses créatures.

CCXLIV

Or il semble que cette opinion de la pluralité des mondes ne répugne pas à la doctrine des saintes Écritures, lesquelles nous parlent seulement de notre genèse. Et tout ce qu’elle en rapporte encore, c’est dans un langage plutôt mystérieux que clair, qui ne fait- que toucher un mot en passant des autres natures, afin que les faibles esprits des hommes, transportés par la curiosité et le désir de savoir, aient plus à admirer qu’à connaître. Ce voile de la vérité cachée et ces ténèbres de notre entendement furent une partie de la punition du péché, par lequel l’homme fut privé des voluptés du Paradis terrestre, des ravissements que l’on trouve dans les sciences, et de la connaissance de la nature des êtres célestes : afin que celui qui s’était livré au désir coupable d’une science défendue, fût puni par la juste privation de celle qui lui était permise, et, ainsi châtié, après la perte de la vraie science (qui n’était qu’une et la même pour toutes choses) par l’introduction de la multiplicité des sciences. C’est là le chérubin, tenant une épée flamboyante, qui a été établi à la porte du Paradis, et qui aveugle par l’éclat de sa lumière l’esprit des hommes coupables, pour leur interdire l’accès aux secrets et aux vérités de la Nature et de l’Univers.

CCXLV

Bien que la divinité soit une unité toute parfaite, elle paraît en quelque sorte être composée de deux éléments, à savoir l’intellect et la volonté. Par l’intellect, Dieu connaît toutes choses de toute éternité. Par la volonté, il opère tout. L’un et l’autre attribut vont en lui à leur degré le plus absolu. Sa science et sa sagesse appartiennent à l’intellect, mais sa bonté, sa justice, sa clémence, et les vertus qui sont en nous des vertus morales, regardent sa volonté et même sa toute-puissance, laquelle n’est rien que sa toute-puissante volonté. La nature intelligible, c’est-à-dire l’angélique, et l’âme de l’homme, qui sont (l’une et l’autre) des images de la Divinité, sont douées de ces deux facultés, mais à leur propre mesure et avec pondération. Car en elles l’intellect est l’organe du savoir, la volonté celui de l’opération, sans pouvoir rien au-delà.

FIN