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L’Oeuvre Secret de la Philosophie d’Hermès🔗 cataloguesEntrée Data.Bnf absente Rechercher sur Sudoc Rechercher sur Openlibrary Rechercher sur Worldcat
Arcanum Hermeticae Philosophiae Opus


AuteursDatesTypeLieuThèmesStatut
attr. Jean d’Espagnetpubl. 1623Littératureecr. Bordeaux (France)Alchimie
Hermésisme
Non applicable

► Il s’agit d’un texte majeur de l’alchimie, Pernety, Fulcanelli et Newton le tenaient en haute estime, Philalèthe en a réceptionné l’influence.

► La Philosophie naturelle restituée du même auteur peut être considéré comme le volet théorique de ce texte.

🕮 Caillet, ref.3670 : […] Cet ouvrage dit Lenglet-Dufresnoy passe pour être de la composition du Chevalier-Impérial J. d’Espagnet n’en serait que l’éditeur. Excellents traités précieux à consulter par tous ceux qui s’occupent de la pierre philosophale.

🕮 Dorbon-Aîné, ref.1206, 1207, 5681 :

1. […] Suivant Longlet-Dufresnoy, le second traité, qui porte un titre séparé, serait d’un adepte, connu sous le nom de « Chevalier Impérial » et d’Espagnet n’en aurait été que l’éditeur. Ceci est très vraisemblable puisqu’on lit, à la page 375 : « Ne m’estant pas arrivé de rencontrer aucun Escrivain plus véritable, plus net et plus clair iusques à présent que l’autheur de ces deux traitez, qui est à la vérité sans nom, mais qui mérite la qualité d’un véritable Philosophe, j’ai trouvé à propos et ay creu que ie n’obligerois pas peu les sectateurs de la Philosophie d’Hermez, si derechef ie mettois au iour l’un et l’autre ouvrage. » La traduction de l’ouvrage entier est de Jean Bachou.

2. […] Il contient en regard du texte latin de Jean d’Espagnet une traduction française qui diffère entièrement de celle publiée en 1651 par Jean Bachou. […]

3. (dans l’ouvrage) Jean d’Espagnet […] a adopté cet […] anagramme « Penes nos vnda tangit » […]

🕮 Guaita, ref.1309 (recueil),1884 :

1. Traduction française de Jean Bachou beaucoup plus recherchée que le texte latin et qui jouit d’une grande réputation parmi les adeptes de la philosophie hermétique.

2. Excellents traités traduits par Jean Bachou, précieux à consulter par tous ceux qui s’occupent de la Pierre philosophale.


Texte et traduction : de l’ancien français au français moderne, UBI, PSI.

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1
Exhortation.

Le commencement de cette Science divine, c’est la crainte et le respect de Dieu ; sa fin, c’est la charité et l’amour du prochain. La mine d’or qu’elle nous fait découvrir doit être employée à renter des temples et des établissements hospitaliers (xenodochiis) et à fonder des Messes, afin qu’hommage soit rendu à Dieu de ce qu’on tient de sa libéralité. On doit encore user de cette mine pour secourir sa patrie lorsque elle est victime de quelque calamité publique, racheter des prisonniers et des captifs, et soulager la misère des pauvres.

2
La connaissance et la lumière de cette science sont un don de Dieu, qu’il révèle par une grâce spéciale à qui lui plaît. Que personne donc n’embrasse cette étude s’il n’a le cœur pur, et si, dégagé de l’attachement aux choses de ce monde et de tout désir coupable, il ne s’est entièrement voué à Dieu.

3
Les conditions de l’Œuvre.

La Science de faire la Pierre philosophale réclame une connaissance parfaite des opérations de la Nature et de l’Art concernant les métaux : sa pratique consiste à chercher les principes des métaux par résolution, et, une fois ces principes rendus beaucoup plus parfaits qu’ils ne l’étaient auparavant, à les rassembler derechef, afin qu’il en résulte une médecine universelle, (à la fois) très propre et très efficace à perfectionner les métaux imparfaits, et à rendre la santé au corps indisposé de quelque sorte de maladie que ce soit.

4
Ceux qui occupent un haut rang dans les charges et les honneurs, comme ceux qui sont continuellement embarrassés de leurs occupations particulières et nécessaires, ne doivent point prétendre à cette science. Elle veut l’homme tout entier, étant capable de le posséder à elle seule. Et certes, on ne songe plus à se lancer sérieusement dans des affaires de longue haleine, quand on y a pris goût : car elle fait mépriser comme fétu de paille tout ce qui n’est pas elle.

5
Que ceux qui entreprennent d’étudier cette doctrine se dépouillent de leurs mauvaises mœurs, et particulièrement qu’ils bannissent l’orgueil, qui est l’abomination du Ciel et la porte de l’Enfer ; qu’ils adressent à Dieu d’incessantes prières ; qu’ils multiplient les actes de charité ; qu’ils s’attachent peu aux choses de ce monde ; qu’ils fuient la conversation des autres hommes ; et qu’ils s’appliquent à jouir d’une tranquillité d’esprit parfaite, afin que leur entendement puisse raisonner plus librement dans la solitude, et placer plus haut ses efforts, car s’ils ne sont éclairés d’un rayon de la lumière divine, ils ne pénétreront jamais les arcanes de la vérité de cette science.

6
Les Alchimistes qui n’appliquent leurs pensers qu’à de continuelles sublimations, distillations, résolutions, congélations : qu’à extraire de différentes manières les esprits et les élixirs, et à bien d’autres opérations plus subtiles qu’utiles, qui les engagent dans autant d’erreurs diverses, se mettent au supplice pour leur seul plaisir ; jamais ils ne feront réflexion par leur propre génie sur la simple voie qu’emprunte la Nature, et jamais un rayon de Vérité ne viendra les éclairer et les guider. Cette trop laborieuse subtilité les écarte de la vérité, et submerge leur esprit dans des embarras, pareils aux Syrtes. Toute l’espérance qui leur reste, c’est de trouver un bon guide et un précepteur fidèle, qui, les ayant retirés de ces ténèbres, leur fasse apercevoir la pure clarté du Soleil de la vérité.

7
Un débutant en cette étude, s’il se sent doué d’un esprit clairvoyant, d’un jugement solide et arrêté, d’une inclination à l’étude de la philosophie, particulièrement à celle de la Physique ; s’il a, de plus, le cœur pur, les mœurs bonnes, et s’il est, en outre, étroitement uni à Dieu — même s’il n’est pas versé dans la Chimie — qu’il entre néanmoins dans la voie royale de la Nature, qu’il lise les livres des plus fameux auteurs en cette science, qu’il cherche un compagnon qui ait comme lui l’esprit juste et soit également porté d’inclination à l’étude, et ensuite, qu’il ne désespère point de réussir en son dessein.

8
Que celui qui recherche ce secret se garde bien de la lecture, et de la conversation des faux Philosophes. Car il n’y a rien de plus dangereux à ceux qui embrassent quelque science que le commerce d’un ignorant, ou d’un fourbe, qui veut faire passer pour des principes authentiques ses principes faux, par lesquels un esprit sincère et de bonne foi devient imbu d’une doctrine mauvaise.

9
Que celui qui aime la vérité ait peu de livres entre les mains, mais des meilleurs et des plus fidèles ; qu’il tienne pour suspect tout ce qui est facile à comprendre, particulièrement en ce qui concerne les noms qui sont mystérieux, et tout ce qui concerne les opérations secrètes. Car la vérité est cachée sous ces voiles, et jamais les Philosophes n’écrivent plus trompeusement que lorsqu’ils semblent écrire trop ouvertement, ni plus véritablement que lorsqu’ils cachent ce qu’ils veulent dire sous des termes obscurs.

10
Parmi les auteurs les plus célèbres qui ont écrit le plus subtilement, et le plus véridiquement, sur les secrets de la Nature et de la Philosophie occulte, Hermès (Trismégiste) et Morien entre les Anciens, semblent à mon avis, tenir le premier rang ; parmi les nouveaux, Bernard le Trévisan, et Raymond Lulle, pour lequel j’ai une vénération plus grande que pour tous les autres car, ce que ce Docteur très subtil a omis, personne d’autre ne l’a dit. Que l’on explore donc, et qu’on lise souvent son Premier Testament, et aussi son Codicille, comme si l’on devait en retirer un legs de grande valeur. Qu’à ces deux volumes, on ajoute les deux Pratiques du même auteur, ouvrages dont on peut tirer tout ce que l’on désire, particulièrement l’authenticité de la matière (première), le degré du feu, et en général tout le régime pour l’accomplissement du Grand-Œuvre ; et c est (précisément) ce en quoi les Anciens, dans le dessein de nous cacher le secret, ont été trop obscurs et trop réticents. Certes, on ne trouvera nulle part ailleurs démontrées plus fidèlement et plus clairement les causes cachées des choses, et les mouvements occultes de la Nature. Il traite peu, dans ses ouvrages, de l’eau première des Philosophes ; mais le peu qu’il dit de cette eau mystérieuse est très significatif.

11
Touchant donc cette eau limipide que beaucoup cherchent, et que peu rencontrent, bien qu’elle soit familière, s’offrant à tout le monde et servant à tout le monde, qui est la base de l’ouvrage philosophique, un gentilhomme Polonais anonyme, non moins plein d’érudition que de vivacité d’esprit, et dont le nom néanmoins a été indiqué par deux anagrammes qui en ont été faites, en a parlé dans sa Nouvelle Lumière Chimique, dans sa Parabole Enigmatique, et même dans son Traité du Soufre, assez au long et fort subtilement : il en a dit tout ce qui pouvait s’en dire, si clairement qu’on ne peut rien souhaiter de plus.

12
Les philosophes s’expriment plus librement et plus significativement par des caractères et des figures énigmatiques, comme par un langage muet, que par des paroles : témoin la table de Senior, les peintures allégoriques du Rosaire, et, dans Nicolas Flamel, les figures d’Abraham Juif ; et, parmi les œuvres modernes, les emblèmes secrets du très docte Michel Maier, dans lesquels les mystères des Anciens sont si clairement révélés et dévoilés qu’ils en sont comme des lunettes neuves, qui nous feraient paraître proche de nos yeux, et de la manière la plus lumineuse, la vérité antique et reculée par l’intervalle de plusieurs années.

13
Celui qui assure que le secret de la Pierre Philosophale surpasse les forces de la Nature et de l’Art, celui-là, dis-je, est entièrement aveugle, car il ignore le Soleil et la Lune.

14
La Matière de la Pierre.

Les philosophes, sous un langage varié, ont dit néanmoins la même chose en ce qui concerne la matière de cette Pierre ; de sorte que plusieurs, qui ne se ressemblent point en paroles, tombent d’accord cependant sur la chose elle-même. Leur façon de parler, pour être discordante, ne laisse pour autant aucune tache de fausseté ou d’ambiguïté à notre Science : vu qu’une même chose peut être exprimée en plusieurs langues, énoncée de diverses façons, représentée par des effigies différentes, et même, sous divers aspects, elle peut être nommée tantôt d’une façon, tantôt d’une autre.

15
Qu’on prenne donc garde à la signification diverse des mots. Car les Philosophes ont coutume d’expliquer leurs mystères par des détours trompeurs, et sous des termes douteux, et même le plus souvent, contradictoires en apparence, afin de protéger par des embarras et des voiles l’étude de ces vérités, mais non pour les falsifier ni pour les détruire. C’est pour cette raison que leurs écrits sont pleins de mots ambigus, dont le sens est équivoque. Certes, ils n’ont pas de plus grand soin que de dissimuler leur rameau d’or, qui est caché, comme dit le Poète ’, dans les retraites secrètes d’une sombre forêt, laquelle est toute environnée de vallons qui y font régner des ténèbres éternelles ; et qui résiste à quelque force que ce soit. Il se laisse arracher seulement à celui qui pourra reconnaître les oiseaux maternels, et vers qui deux colombes, venant du ciel, dirigeront leur vol.

16
Celui qui cherche l’art de perfectionner et de multiplier les métaux imparfaits hors des métaux eux-mêmes, chemine dans l’erreur. Car il faut chercher dans la nature des métaux l’espèce métallique, comme dans l’homme celle de l’homme, et dans le bœuf celle du bœuf.

17
L’art et la nature.

Il faut confesser que les métaux ne peuvent se multiplier par l’instinct et par les forces de la seule nature ; que, cependant, la vertu de multiplier est cachée dans la profondeur de leur substance ; et qu’elle est manifestée et mise en évidence par le secours de l’art, dont la nature a besoin en cet ouvrage. Car l’un et l’autre sont requis pour le mener à bien.

18
Les corps les plus parfaits sont doués aussi d’une semence plus parfaite ; ainsi, sous la dure écorce des métaux les plus parfaits est cachée également une semence plus parfaite.
Si quelqu’un sait l’en tirer, il peut se vanter qu’il est dans le bon chemin ’ : dans l’or est la semence de l’or, bien qu’elle soit cachée dans sa racine, et dans la profondeur de sa substance, plus fortement que dans les autres métaux.

19
Quelques Philosophes ont dit que leur ouvrage était composé du Soleil et de la Lune seulement ; quelques autres ajoutent Mercure au Soleil, d’autres veulent que ce soit du soufre et du mercure ; quelques-uns soutiennent que le sel de la nature, mêlé aux deux derniers nommés, n’occupe pas un moindre rang dans l’œuvre. Or, tous ces Philosophes, bien qu’ils aient écrit que leur Pierre était produite, tantôt à partir d’une seule chose, tantôt de deux, de trois, de quatre ou de cinq, néanmoins dans leur langage divers n’ont tous qu’une même intention et qu’un même but.

20
Pour nous, afin de lever toutes ces embûches et ces pièges, et pour parler sincèrement de bonne foi, nous assurons que l’ouvrage entier s’accomplit parfaitement grâce à deux corps seulement, à savoir le Soleil et la Lune dûment préparés. Car la Nature effectue avec ces deux corps une véritable génération naturelle, avec le secours de l’art, par l’intervention de l’accouplement entre le mâle et la femelle, d’où procède une lignée beaucoup plus noble que ses parents.

21
Or il faut que ces (deux) corps soient vierges et non corrompus, vivants et animés, et non pas morts comme ceux dont le vulgaire se sert : car comment peut-on attendre la vie de choses mortes ! On appelle corrompues les choses qui ont déjà souffert la copulation, et mortes celles qui, martyrisées par la violence du feu, ce tyran du Monde, ont rendu l’âme avec le sang : fuis donc ce fratricide qui, dans toute la conduite de l’ouvrage, cause ordinairement de grands maux.

22
Le Soleil est le mâle du Grand-Œuvre, car c’est lui qui donne la semence active et informante ; la Lune est la femelle, qui est aussi nommée la matrice et le vaisseau de la Nature, parce qu’elle reçoit en elle la semence du mâle, et la fomente au moyen de son menstrue. Néanmoins elle n’est pas entièrement privée de vertu active ; car c’est elle qui, la première, furieuse et aiguillonnée par l’amour, assaille le mâle, et se mêle avec lui, jusqu’à ce qu’elle ait satisfait ses amoureux désirs, et qu’elle en ait reçu la semence féconde : et elle ne se désiste pas de l’étreindre, jusqu’à ce qu’en étant engrossée, elle se retire tout doucement.

23
Par le nom de la Lune, les Philosophes n’entendent pas la Lune vulgaire, laquelle dans leur ouvrage est mâle, et fait dans l’accouplement la fonction de mâle. Qu’on ne soit pas malavisé au point de faire ainsi une alliance criminelle et contre nature de deux mâles et qu’on n’attende aucune lignée d’un tel accouplement. Mais que l’adepte joigne en un mariage légitime, avec la formule d’usage, Gabritius à Béia, le frère et la sœur, afin qu’il puisse en naître un glorieux fils du Soleil.

24
Ceux qui disent que le soufre et le mercure sont la matière de la pierre, comprennent par le soufre le Soleil et la Lune vulgaire, et par le mercure la Lune des philosophes. Ainsi le pieux Lulle parlant sans fard et sans déguisement, conseille à son ami, de n’opérer pour l’argent qu’avec le Mercure et la Lune, et pour l’or, avec le Mercure et le Soleil.

25
Que l’on ne se trompe donc point, en ajoutant à deux un troisième, car l’amour ne souffre point de compagnon et de tiers, et le mariage s’accomplit seulement entre deux : l’amour que l’on cherche au-delà n’étant plus un mariage, mais un adultère.

26
Néanmoins l’amour spirituel ne pollue point la virginité : Béia a donc pu sans crime, avant de donner sa foi à Gabritius, avoir contracté un amour spirituel, afin d’en devenir plus vigoureuse, plus blanche et plus propre aux choses du mariage.

27
La procréation des enfants est la fin d’un mariage légitime. Or, afin que l’enfant en naisse plus robuste et plus généreux, il faut que les deux époux soient nets de toute lèpre et de toute tache, avant que d’entrer dans le lit nuptial ; et il faut qu’il n’y ait en eux rien d’étranger ou de superflu, parce que d’une semence pure, procède une génération également pure. Par ce moyen, le chaste mariage du Soleil et de la Lune sera parfaitement bien consommé lorsqu’ils seront montés sur le lit d’amour, et qu’ils se seront mêlés. Celle-ci reçoit de son mari l’âme par ses caresses, et à l’issue de leur accouplement il naît un Roi très puissant, dont le père est le Soleil, et la Lune, la mère.

28
Celui qui cherche la teinture philosophique en dehors du Soleil et de la Lune, perd son huile et sa peine : car le Soleil fournit une teinture très abondante en rougeur, comme la Lune en blancheur. Ces deux corps sont les seuls que l’on nomme parfaits, parce qu’ils sont pleins de la substance d’un soufre très pur, parfaitement mondé par l’industrie ingénieuse de la nature. Teins donc ton mercure avec l’un ou l’autre de ces deux luminaires, car il est nécessaire qu’il soit teint au préalable, afin que lui-même puisse teindre.

29
Les métaux parfaits.

Les métaux parfaits contiennent en eux deux choses qu’ils peuvent communiquer aux imparfaits, à savoir la teinture et la fixation. Car pour autant qu’ils sont teints d’un soufre pur, c’est-à-dire d’un soufre blanc, et d’un (autre) rouge, et qu’ils sont fixés, autant leur teinture teint parfaitement, et ils fixent aussi parfaitement étant bien préparés avec leur propre soufre et leur propre arsenic. Autrement, ils n’ont pas la faculté de multiplier leur teinture.

30
Parmi les métaux parfaits, le mercure est le seul qui soit propre à recevoir la teinture du Soleil et de la Lune et à s’en imprégner, dans l’ouvrage de la Pierre philosophale ; afin qu’en étant pleinement imbus, ils puissent teindre suffisamment les autres métaux. Néanmoins, il doit être au préalable imprégné et pénétré de leur soufre invisible, afin d’être plus abondamment imbu de la teinture visible de ces corps parfaits, et qu’il puisse la communiquer avec usure.

31
Cependant, la foule des philosophes transpire et se torture à extraire la teinture de l’or lui-même. En effet, ils croient que la teinture se sépare du Soleil, et qu’une fois séparée, on peut en augmenter les vertus : mais « enfin l’espérance trompe les laboureurs avec des épis vides ».
Car il ne peut se faire que la teinture du Soleil se sépare aucunement de son corps naturel, à cause de la perfection de celui-ci —, nul corps élémentaire plus parfait que l’or n’ayant été façonné par la nature —, laquelle procède de l’union forte et inséparable de son soufre tant pur que teignant avec son mercure, l’un et l’autre étant pour cela parfaitement préparés par la nature, qui ne permet pas que l’art puisse les séparer d’une vraie séparation. Si l’on tire par la violence du feu, ou celle des eaux corrosives, un peu de liqueur permanente du Soleil, il faut croire que l’on obtient une portion de son corps liquéfié par force, et non la séparation de la teinture. Car toute teinture suit son corps, et ne s’en sépare jamais. C’est là une illusion de l’art inconnue aux artisans eux-mêmes.

32
Même si l’on accorde que la teinture est séparable de son corps, il faut avouer cependant que cette séparation ne peut pas s’opérer sans la corruption du corps lui-même, et celle de la teinture ; vu que l’on violente l’or ou bien par le feu de fusion, ce destructeur de la Nature, ou bien par les eaux fortes, qui rongent plutôt qu’elles ne dissolvent. C’est pourquoi il faut nécessairement que le corps dépouillé de sa teinture et de sa toison d’or devienne en quelque sorte une chose vile et comme un poids inutile pour le désespoir de l’artisan, sa teinture toute corrompue ayant moins de force pour opérer.

33
Que ces philosophes-là jettent donc leur teinture dans le mercure, ou dans n’importe quel autre corps imparfait, et qu’ils les unissent aussi étroitement que les forces de l’art le permettent, ils seront cependant par deux fois frustrés de leur espoir : d’abord parce qu’ils expérimenteront que cette teinture ne pénétrera ni ne teindra ce corps, ce qui serait au-dessus des forces et du poids de la nature ; ce pourquoi, ils ne recevront par ce moyen aucun gain dont ils puissent réparer la dépense et l’abjection du corps ainsi dépouillé. Ainsi que le dit le proverbe : « la pauvreté mortelle croît lorsque le travail est à perte ». De plus cette teinture étrangère appliquée à un corps étranger ne lui donnera pas la fixation et la permanence parfaites nécessaires à ce qu’il puisse soutenir la touche, et résister à l’épreuve de Saturne.

34
Qu’ils changent donc tout de suite de route, et qu’ils ménagent mieux leur temps et leur dépense, les étudiants de l’alchimie qui se sont laissé mener jusqu’à présent par les vagabonds et les imposteurs ; qu’ils s’appliquent avec zèle à un ouvrage vraiment philosophique, afin qu’ils ne soient point sages trop tard comme les Phrygiens, et ne soient point forcés de s’exclamer avec le Prophète (Osée, VII) : « des étrangers ont dévoré le fruit de ma force ».

35
Plus de travail et plus de temps s’emploient dans l’Œuvre philosophique qu’il ne s’y fait de dépenses. Car il reste peu de frais à soutenir à celui qui possède la matière convenable. C’est pourquoi ceux qui tâchent d’accaparer de grandes sommes d’argent, et placent dans les dépenses le plus difficile secret de l’Œuvre, montrent plus de confiance en la bourse d’autrui qu’en leur savoir propre. Que l’apprenti trop crédule se garde donc de ces voleurs, car lorsqu’ils promettent des montagnes d’or, ils ne font que des embûches à votre or : ils réclament qu’un Soleil marche devant eux, parce qu’eux-mêmes déambulent dans les ténèbres.

36
Le Mercure philosophique.

De même que ceux qui naviguent entre Charybde et Scylla risquent le naufrage aussi bien ici que là, de même ils ne sont pas menacés d’un moindre péril ceux qui, aspirant à la conquête de la Toison d’or, flottent entre les équivoques du soufre et du mercure des Philosophes, ces deux écueils. Les plus perspicaces, par la lecture assidue des auteurs les plus graves et les plus sincères, et par la lumière d’un rayon du Soleil, ont acquis la connaissance du soufre, mais ils sont restés suspendus au seuil du mercure des Philosophes. Car les auteurs en ont parlé avec tant de détours et de méandres, et l’ont appelé de tant de noms ambigus, qu’on le découvre plutôt par une impétuosité d’esprit, et sans y penser, que lorsqu’on le cherche à force de raison et de sueur.

37
Pour immerger plus profondément leur mercure dans les ténèbres, les philosophes l’ont fait multiple, et en chaque partie et chaque régime du Grand Œuvre ils apportent le mercure, qui cependant est toujours différent. Ainsi n’en obtiendra jamais la connaissance parfaite quiconque ignorera l’une des parties de l’Œuvre.

38
Les philosophes ont reconnu principalement trois sortes de mercure : à savoir, après que soit accomplie la préparation du premier degré, et la sublimation philosophique, ils appellent alors cette matière leur mercure ou mercure sublimé.

39
Secondement, dans la seconde préparation, que les auteurs nomment la première (parce qu’ils omettent la première), le Soleil étant redevenu cru, et, dissous en sa première matière, ils appellent cette matière ainsi crue ou dissoute, le mercure des corps, ou des Philosophes. Alors cette matière s’appelle (aussi) Rebis ou Chaos, ou Monde entier, parce que tout ce qui est nécessaire pour l’œuvre s’y trouve et qu’elle suffit seule pour faire la pierre philosophale.

40
Enfin ils appellent quelquefois mercure des Philosophes, l’élixir parfait et la médecine teignante, quoique de manière impropre, car le nom de mercure ne convient qu’à ce qui est volatil (c’est pourquoi tout ce qui se sublime à quelque stade de l’ouvrage que ce soit, ils l’appellent aussi mercure) : mais l’élixir, parce qu’il est très fixe, ne doit pas être appelé du simple nom de mercure. Aussi l’ont-ils appelé leur mercure, à la différence du volatil. La voie droite pour étudier et discerner tant de mercures des Philosophes ne se montre vraiment qu’à ceux-là, « que chérit le juste Jupiter, ou qu’une ardente vertu a élevés jusqu’aux deux ».

41
L’élixir s’appelle mercure des Philosophes, à cause de sa ressemblance et de sa grande conformité avec le mercure céleste ; car celui-ci, bien que privé des qualités élémentaires, est néanmoins très propre à les influer : ce Protée versatile emprunte et accroît la nature et le génie des diverses planètes, à raison de l’opposition, de la conjonction, ou de l’aspect. L’élixir ambigu opère de même, car n’ayant aucune qualité particulière, il embrasse la qualité et la nature de la chose à laquelle il se mêle, et en multiplie les vertus et les qualités d’une façon merveilleuse.

42
Dans la sublimation philosophique du mercure, ou première préparation, un travail d’Hercule incombe (aussitôt) à celui qui travaille. En effet, sans Alcide, Jason eût tenté en vain son expédition en Colchide ; « À l’un des princes de montrer la toison dorée du célèbre bélier, comme s’il pouvait l’enlever ; à l’autre de soulever un tel fardeau ! »
Car le seuil est gardé par des bêtes à cornes furieuses, qui écartent, non sans dommage, ceux qui s’approchent témérairement. Seuls les insignes de Diane, et les colombes de Vénus adouciront leur férocité, si les destins t’y appellent.

43
Le Poète semble avoir voulu décrire la qualité naturelle de la terre philosophique et la manière de la cultiver, lorsqu’il chante « un sol gras que de forts taureaux retournent aussitôt, dès les premiers mois de l’année » et « la glèbe désagrégée qui se dissout grâce au zéphyr ».

44
Celui qui désignera la Lune des philosophes ou le mercure des Philosophes comme étant le mercure vulgaire, ou bien trompe sciemment (autrui), ou bien se trompe lui-même. En effet Geber nous enseigne que le mercure des Philosophes est bien en vérité un vif-argent, non cependant le vulgaire, mais celui qui en est extrait par le savoir philosophique.

45
L’expérience confirme l’opinion des plus graves philosophes, selon laquelle leur mercure n’est pas dans toute sa nature et dans toute sa substance le vif-argent vulgaire, mais qu’il en est l’essence la plus centrale et la plus pure qui puisse en tirer son origine, et être créée à partir de lui.

46
On nomme le mercure des Philosophes de différents noms ; tantôt on l’appelle terre, tantôt on l’appelle eau, pour divers motifs, et surtout parce qu’il est composé naturellement de l’une et de l’autre. Cette terre est subtile, blanche, sulfureuse : les éléments y sont fixes et l’or philosophique y est à l’état de semence. Tandis que l’eau est une eau-de-vie, c’est-à-dire ardente, permanente, extrêmement limpide, qu’on appelle aussi eau de l’or et de l’argent. Le mercure dont il est question ici, parce qu’il contient encore son soufre, qui se multiplie par le moyen de l’art, peut aussi s’appeler soufre de vif-argent. Enfin cette substance si précieuse est la Vénus des anciens, l’hermaphrodite douée des deux sexes.

47
Le vif-argent est en partie naturel, et en partie artificiel : sa part intrinsèque et occulte a sa racine dans la nature, et ne se peut tirer que par une purification préalable, et une sublimation faite avec science. La part intrinsèque est étrangère à la nature et accidentelle. Sépare donc le pur de l’impur, la substance des accidents, et rends manifeste ce qui était caché par les voies de la nature, ou bien désiste-toi entièrement. Car tel est le premier fondement de l’art et de tout l’ouvrage.

48
Cette liqueur sèche et très précieuse constitue l’humide radical des métaux ; c’est pourquoi quelques anciens l’ont appelée verre. Car le verre se tire de l’humide radical, qui adhère opiniâtrement aux cendres des choses et qui ne cède qu’à la violence d’un feu extrême ; cependant notre mercure naturel et central se manifeste grâce au feu très bénin, quoique assez long de la nature.

49
Les uns par la calcination, les autres par la sublimation, quelques-uns par le moyen de vases vitrifiants, d’autres d’entre le vitriol et le sel, comme d’entre ses vaisseaux naturels, ont voulu obtenir la terre philosophique et latente. D’autres ont enseigné qu’il fallait sublimer la chaux et le verre (dans le même but).
Mais nous, nous avons appris de la bouche du Prophète ’ que Dieu au commencement créa le ciel et la terre, que la terre était stérile et déserte, que les ténèbres étaient sur la face de l’abîme et que l’esprit de Dieu était porté au-dessus des eaux ; et que Dieu dit que la lumière soit, et que la lumière fut ; et que Dieu vit la lumière, qui était bonne et qu’il sépara la lumière des ténèbres, etc. La bénédiction qui fut donnée à Joseph, rapportée par le même Prophète J, ce sera assez pour le sage : sa terre tirera sa bénédiction de Dieu, elle devra l’hommage de sa fécondité aux fruits du ciel, à la rosée, et aux eaux de l’abîme ; c’est aux fruits du Soleil et de la Lune, aux sommets des montagnes antiques, aux fruits des collines éternelles qu’elle rendra tribut. Prie donc Dieu de tout ton cœur, mon fils, afin qu’il te donne une portion de cette terre bénie.

50
Le vif-argent est tellement infecté par le défaut et le vice de son origine, qu’il en garde deux traces remarquables : la première, il l’a contractée par l’impureté de la terre qui s’est mêlée à sa génération, et qui continue à y adhérer par la congélation. L’autre, pareille à une hydropisie, est une maladie d’eau entre chair et cuir, qui provient d’une eau grasse et impure mélangée à la limpide, et que la nature n’a pas pu épuiser et séparer par contraction : cependant parce qu’elle est étrangère elle s’évapore à la moindre chaleur. Cette lèpre qui infeste le corps du mercure ne gît ni dans sa racine, ni dans sa substance, mais elle est accidentelle : c’est pour cela qu’elle s’en sépare facilement. L’imperfection terrestre s’en va grâce à un bain et à un lavage humide. L’imperfection aqueuse s’en va grâce à un bain sec, avec le secours du feu bénin de la génération. Ainsi par une triple ablution et purgation, le dragon dépouillé de ses écailles anciennes et de sa peau rugueuse se renouvelle.

51
La sublimation philosophique du mercure s’accomplit par deux moyens, en faisant sortir ce qui est superflu, et en faisant entrer ce qui manquait ; les choses superflues sont les accidents externes qui voilent l’étincelant Jupiter de la sombre sphère de Saturne. Ote donc cette écorce livide de Saturne, jusqu’à ce que l’astre pourpre de Jupiter brille à tes yeux. Ajoutes-y le soufre de la nature, dont le mercure possède déjà un grain, et comme un ferment, dont il contient autant qu’il lui en faut : mais fais aussi en sorte qu’il y en ait autant qu’il en faut pour les autres. Multiplie donc ce soufre invisible des philosophes, jusqu’à ce que le lait de la Vierge en soit exprimé : alors s’ouvre à toi la première porte.

52
Un dragon digne des Hespérides garde la porte du jardin des Philosophes, à l’entrée duquel une fontaine d’une eau très limpide, jaillissant de sept fissures, s’épanche tout autour. Il faut faire boire le dragon dans cette fontaine jusqu’au nombre magique de trois fois sept, et il faut le faire boire jusqu’à ce que, devenu ivre, il dépouille sa peau écailleuse : puissent être propices les divinités de Vénus lumineuse et de Diane cornue.

53
Trois espèces de très belles fleurs doivent être cherchées et trouvées au fond de ce jardin des philosophes : des violettes rouge vif, un lys blanc et l’amarante pourpre et immortelle. Non loin de la fontaine du seuil, les violettes printanières se présenteront d’abord à toi, et étant arrosées par des canaux d’un large fleuve doré, prendront la couleur très nette d’un saphir à peine obscur : le Soleil t’en donnera des présages. Tu ne cueilleras point ces fleurs si précieuses jusqu’à ce que tu aies composé la Pierre, car, cueillies fraîchement, elles ont plus de suc et de teinture : à ce moment-là, arrache-les avec soin, d’une main adroite et ingénieuse : en effet, si les destins n’y font point obstacle, elles suivront facilement, et une fleur étant arrachée, il en naîtra aussitôt une autre à sa place. Pour le lys et l’amarante, il faudra plus de soin et un plus long travail.

54
Les philosophes ont aussi leur Mer, où s’engendrent de petits poissons gras, qui brillent en écailles d’argent : si l’on sait les prendre et les envelopper dans un filet délié, on sera tenu pour un pêcheur très expert.

55
La Pierre des philosophes ’ se trouve dans des montagnes très anciennes et coule de ruisseaux éternels. Ces montagnes sont d’argent, et ces ruisseaux sont d’or. C’est de là que proviennent et l’or et l’argent et tous les trésors des rois.

56
Quiconque voudra trouver la Pierre des philosophes devra entreprendre un long voyage : il lui est en effet nécessaire d’aller visiter les deux Indes, afin d’en rapporter des pierres très précieuses, et un or très pur.

57
Les philosophes tirent leur pierre de sept autres pierres, dont les principales sont d’une nature et d’une vertu opposées : l’une donne le soufre invisible, l’autre le mercure spirituel ;
celle-ci communique la chaleur et la sécheresse, l’autre la froideur et l’humidité. Ainsi, par leurs moyens, les forces des éléments sont redoublées et multipliées dans la Pierre. La première se trouve dans l’Orient, la seconde dans l’Occident ; l’une et l’autre ont la faculté de teindre et de multiplier et si la Pierre philosophale n’en puise sa première teinture, elle ne teindra, ni ne multipliera.

58
Pratique.

Prenez la Vierge ailée après qu’elle aura été très bien lavée, purifiée et engrossée de la semence spirituelle d’un premier mâle, restant néanmoins encore vierge et impolluée, bien qu’elle soit enceinte. Tu la découvriras à ses joues teintes d’une couleur vermeille ; allie-la, et accouple-la à un second mâle (sans que pour autant elle doive être soupçonnée d’adultère) de la semence corporelle duquel elle concevra à nouveau. Ensuite elle enfantera une lignée vénérable, qui sera de l’un et de l’autre sexe, et où prendra son origine une race immortelle de Rois très puissants.

59
Ayant parfaitement purgé l’Aigle et le Lion, renferme-les dans leur enclos transparent, et accouple-les, ayant étroitement fermé le vestibule, et en prenant soigneusement garde que leur baleine ne s’en exhale ou qu’un air étranger ne s’y insinue. Dans leur saillie, l’aigle déchirera et dévorera le lion et sera saisie ensuite d’un long sommeil, puis devenue hydropique par l’enflure de son estomac, elle se changera grâce à une merveilleuse métamorphose en un corbeau très noir, qui déployant petit à petit ses ailes, commencera à voler et dans son vol fera tomber l’eau des nuages, jusqu’à ce que, mouillé plusieurs fois, il quitte de lui-même ses plumes, et retombant en bas se change en un cygne très blanc. Que ceux qui ignorent les causes des choses, admirent cela dans leur étonnement, en considérant que le monde n’est rien d’autre qu’une métamorphose continuelle ; qu’ils admirent comment les semences des choses, lorsque elles sont parfaitement digérées, se changent en blancheur parfaite. Et que le philosophe imite la Nature dans son œuvre.

60
Les milieux et les extrêmes.

Pour donner la forme et la perfection à ses ouvrages, la Nature y procède de telle sorte qu’elle conduit la chose depuis le commencement de la génération jusqu’au dernier terme de la perfection par divers milieux, comme par divers degrés. Elle parvient donc à sa fin et à son but petit à petit et par degrés plutôt que par interruptions et par bonds, en limitant et en renfermant son ouvrage entre deux extrêmes distincts, et séparés par plusieurs milieux. Or, la pratique philosophique, qui doit imiter la nature dans la marche de son ouvrage, et dans la recherche de la Pierre, ne doit point s’écarter de la voie et de l’exemple de la Nature : car tout ce qui se fait hors de ses routes, constitue une erreur ou l’approche de l’erreur.

61
Les deux extrêmes de la pierre sont le vif-argent naturel, et l’élixir parfait : et les milieux par lesquels s’effectue tout le progrès de l’ouvrage, sont de trois sortes ; car ou bien ils regardent la matière, ou bien les opérations, ou bien les signes démonstratifs. Sur ces extrêmes et ces milieux roule tout l’accomplissement de l’œuvre.

62
Quant aux milieux matériels, ou qui concernent la matière de la pierre, il y en a divers degrés ; car les uns se tirent successivement des autres. Les premiers sont le mercure, sublimé philosophiquement, et les métaux parfaits. Bien que ceux-ci soient les derniers dans l’opération de la nature, ils tiennent lieu de milieux dans l’opération philosophique. De ces premiers sont tirés les seconds, à savoir les quatre éléments, qui sont tour à tour circulaires et fixes ; de ces seconds en sont encore issus les troisièmes, à savoir les deux sortes de soufre, dont la multiplication est le terme du premier régime de l’ouvrage. Les quatrièmes et derniers milieux sont les ferments et les onguents, avec leur poids et leur proportion justes, qui sont produits successivement dans « Enfin du régime parfait de toutes ces choses se crée l’élixir parfait, qui est la dernière étape et le ternie de tout l’Œuvre… » l’ouvrage de l’élixir par le mélange des premiers. Enfin, du régime parfait de toutes ces choses se crée l’élixir parfait, qui est la dernière étape et le terme de tout l’Œuvre, où la Pierre des Philosophes se repose comme en son centre, et dont la multiplication n’est rien qu’un bref renouvellement des opérations susdites.

63
Les milieux qui regardent l’opération ou le régime (et qui sont également nommés les clés de l’œuvre) sont premièrement la dissolution ou liquéfaction ; deuxièmement, l’ablution ; troisièmement, la réduction ; quatrièmement, la fixation. Par la liquéfaction, les corps sont rendus à leur première matière, qui est fluide ; les choses cuites redeviennent crues, et alors (vient) l’accouplement du mâle et de la femelle, d’où s’engendre le corbeau ; et enfin la Pierre, par cette même liquéfaction, retourne en ses quatre éléments, ce qui se produit par le mouvement rétrograde des luminaires. L’ablution enseigne à blanchir le corbeau, et à changer Saturne en Jupiter, ce qui se fait par la conversion du corps en esprit. La fonction de la réduction est de rendre l’âme à la Pierre morte et inanimée, et de la nourrir d’un lait de rosée, tout spirituel, jusqu’à ce qu’elle ait pris vigueur. Dans ces deux dernières opérations, le Dragon se fait violence à lui-même, et se dévorant la queue, il se consume et s’épuise totalement, et enfin se change en la Pierre. En dernier lieu, l’opération de la fixation fixe les deux soufres dans leur corps : ceux-ci étant fixés, elle cuit graduellement au moyen de l’esprit qui est le médiateur des teintures, cette fermentation ; elle mûrit ce qui est cru, et adoucit ce qui est amer. Enfin, l’élixir fluide, en pénétrant et en léchant, engendre, perfectionne, et apporte le suprême degré de sublimité et d’excellence.

64
Les milieux qui concernent les signes démonstratifs, sont les couleurs qui apparaissent successivement et en ordre dans la matière, et qui en indiquent les affections et les passions, dont trois sont tenues pour les principales et critiques (quelques-uns en admettent une quatrième). La première, c’est la noire, qui est appelée la tête de corbeau, à cause de l’extrême noirceur qui arrive avec elle dans la matière ; son crépuscule et sa blancheur défaillante indiquent le commencement de l’action du feu de la nature, ou le commencement de la dissolution ; mais sa nuit la plus noire indique la perfection de la liquéfaction et de la confusion des éléments. Alors le grain commence à pourrir et à se corrompre, afin d’être plus propre à la génération. À la couleur noire succède la blanche, où gît la perfection du premier degré, celle du soufre blanc : alors, c’est là ce qu’on appelle la pierre bénie : c’est la terre blanche et feuilletée dans laquelle les Philosophes sèment leur or. La troisième couleur est la couleur citrine, qui se produit quand le blanc passe au rouge, et qui est comme un intermédiaire entre ces deux couleurs, étant mêlée de l’une et de l’autre, et pareille à l’aurore aux cheveux dorés, cette avant courrière du Soleil. La quatrième couleur, rouge ou sanguine, se tire de la blanche par le feu seul. Or, la blancheur, parce qu’elle est facilement altérée par toute autre couleur, commence aussi à s’effacer et à passer dès que l’aurore commence à y naître. Et la rougeur sombre accomplit l’ouvrage du soufre solaire, qui s’appelle la semence masculine, le feu de la pierre, la couronne royale, le fils du Soleil, et dans lequel se termine le premier travail de l’opérateur.

65
Outre ces signes essentiels et décisifs, qui adhèrent radicalement à la matière, et en indiquent les changements les plus importants, il y a encore une infinité d’autres couleurs apparentes et trompeuses, qui se font voir dans les vapeurs, comme l’arc-en-ciel dans les nuées, et se dissipent aussitôt, s’effaçant pour laisser place à d’autres, qui sont plutôt dans l’air que dans la terre. L’opérateur ne doit pas se mettre beaucoup en peine de celles-là, d’autant qu’elles ne sont pas permanentes, et ne sont pas issues de la disposition intrinsèque de la matière, mais du feu, qui peint et colore à son gré l’humide subtil, par hasard même ; bien que ce soit l’effet de sa chaleur.

66
Néanmoins, quelques-unes de ces couleurs étrangères, quand elles surviennent hors du moment propice, présagent à l’ouvrage quelque chose de sinistre. Ainsi, sa noirceur réitérée : il ne faut jamais souffrir qu’après que les petits des corbeaux aient quitté leurs nids, ils y retournent. Ou encore, une rougeur qui vient trop vite, car cette couleur-là ne doit apparaître qu’une fois, et seulement à la fin, car alors elle fait concevoir une sûre espérance de moisson. Si elle rougit la matière plutôt, elle est un signe de grande sécheresse, ce qui ne va pas sans un péril que seul le Ciel en répandant une pluie soudaine, peut détourner.

67
Les digestions de la Pierre.

Par digestions successives, comme par degrés, la Pierre philosophale acquiert de nouvelles forces, et enfin son entière perfection. L’ouvrage s’accomplit par quatre digestions, qui répondent et conviennent aux quatre opérations et régimes susdits, dont le feu est l’auteur, et le maître : c’est lui qui y fait et y introduit toutes les différences grâce auxquelles nous les avons distinguées.

68
La première digestion opère la dissolution du corps, au cours de laquelle a lieu le premier accouplement du mâle et de la femelle, le mélange de leurs deux semences, la putréfaction et la résolution des éléments en une eau homogène, l’éclipse du Soleil et de la Lune en la tête du Dragon. Enfin par elle le monde retourne à l’ancien chaos et à l’abîme ténébreux. Cette première digestion s’opère comme celle qui a lieu dans l’estomac par un temps de chaleur cuisante et débilitante, qui est plus propre à la corruption qu’à la génération.

69
Pendant la seconde digestion, l’esprit de Dieu vole au-dessus des eaux : la lumière commence à paraître et les eaux commencent à se séparer des eaux. Le Soleil et la Lune se renouvellent, les éléments sont tirés du chaos, afin que mélangés avec proportion par la vertu de l’esprit qui les gouverne, ils puissent refaire un monde nouveau ; un nouveau ciel et une nouvelle terre se forment. Ensuite tous les corps deviennent spirituels ; les petits des corbeaux ayant changé de plumes commencent à devenir colombes ; l’aigle et le lion s’embrasassent d’un nœud éternel. Cette régénération du monde se fait par le moyen d’un esprit de feu qui descend en forme d’eau et efface le péché originel : car l’eau des philosophes est le feu même, quand elle est émue et élevée par la chaleur du bain. Mais prenez garde que la séparation des eaux ne se fasse selon leur poids et leur mesure, de peur que celles qui restent sous le ciel ne noient la terre, ou que celles qui sont emportées au-dessus le ciel ne la laissent aride. « Qu’une eau trop avare n’imprègne pas ici le sable stérile ! » (Virgile.)

70
La troisième digestion donne à la terre qui vient d’être renouvelée un lait de rosée, et lui communique toutes les vertus spirituelles de la quintessence ; elle lie au corps l’âme vivifiante par l’entremise de l’esprit. Alors la terre possède en elle un riche trésor, et devient d’abord semblable à la Lune éblouissante, puis au Soleil rougeoyant : elle est dite d’abord terre de Lune, puis terre de Soleil, car elle naît, dans un cas comme dans l’autre, du mariage de l’un et de l’autre. Ni l’une ni l’autre terre ne craignent plus les rigueurs du feu, car toutes deux sont exemptes de toute tache, parce qu’elles ont été purifiées plusieurs fois de leur tare par ce feu (même), et en ont souffert un grave martyre, jusqu’à ce que tous les éléments aient été digérés ensemble.

71
La quatrième digestion est la consommation de tous les mystères du monde : par elle la terre étant changée en un très excellent ferment, fait lever elle-même tous les autres corps changés en un corps parfait, parce qu’elle a passé en la nature céleste de la quintessence, de sorte que sa vertu inspirée par l’esprit de l’univers est la panacée et la médecine générale de toutes les maladies de toutes les créatures. Le fourneau secret des philosophes te découvrira ce miracle de la nature et de l’art par des digestions renouvelées du premier régime de l’ouvrage. Sois juste dans tes œuvres afin que Dieu te soit propice, sans quoi le labourage de ta terre sera vain, car « cette moisson ne répondra pas aux vœux du paysan avare ».

72
Tout le processus de l’Œuvre philosophique, n’est rien d’autre que solution et congélation. La solution est du corps, la congélation, de l’esprit, mais l’opération de l’un et de l’autre est une. Or le fixe et le volatil se mêlent et s’unissent parfaitement dans l’esprit, ce qui ne pourrait se faire, si d’abord le corps fixe n’avait été dissous et rendu volatil. Par la réduction, le corps volatil se fixe en un corps permanent, et la nature volatile passe en une nature fixe, tout comme la fixe était devenue volatile. Mais tout autant que les natures errent confuses même dans l’esprit, cet esprit qui leur est mêlé n’est pas pur et garde une nature moyenne entre le corps et l’esprit, le fixe et le volatil.

73
La génération de la Pierre se fait à l’exemple de la création du monde. En effet, il faut qu’elle ait d’abord son chaos et sa matière première, dans laquelle les éléments confus flottent jusqu’à ce que l’esprit de feu les sépare ; que des éléments séparés les plus légers soient portés en haut, et les plus lourds en bas ; que la lumière une fois née, les ténèbres reculent ; enfin que les eaux se rassemblent, et qu’apparaisse la terre sèche. Alors deux grands luminaires émergent successivement, et dans la terre philosophique sont produites les vertus minérales, végétales et animales.

74
Dieu créa Adam du limon de la terre, dans lequel étaient entées les vertus de tous les éléments, principalement celles de la terre et de l’eau qui constituent surtout la masse sensible et corporelle : dans cette masse Dieu souffla un souffle de vie, et la vivifia du Soleil de l’esprit saint ; au mâle il donna Eve pour femme, et les bénissant, il leur donna le précepte et la faculté de se multiplier. La génération de la Pierre philosophale n’est pas dissemblable de la création d’Adam : car il se forme d’abord un limon composé d’un corps terrestre et pesant, dissous par l’eau, et qui pour cela a mérité le nom célèbre de terre adamique : toutes les qualités et les vertus des éléments s’y trouvent. Puis une âme céleste lui est infusée par l’esprit de la quintessence et l’influx du Soleil, et enfin, grâce à la bénédiction et à la rosée du ciel, la vertu de se multiplier à l’infini, par le moyen de l’accouplement des deux sexes, lui est communiquée.

75
Le grand secret de l’ouvrage tient à la façon d’opérer, qui consiste tout entière dans le parfait régime des éléments. Car il faut que la matière de la pierre passe d’une nature en une autre : les éléments en sont tirés successivement et règnent tour à tour. Or chaque élément est sans cesse agité par les cercles de l’humide et du sec, jusqu’à ce que toutes choses, étant digérées par cette circulation, se reposent et prennent leur place.

76
Dans l’ouvrage de la Pierre, les autres éléments circulent sous la figure de l’eau, parce que la terre est résolue en eau, dans laquelle se trouvent tous les autres éléments : l’eau est sublimée en vapeur, la vapeur retombe en eau. Ainsi l’eau est agitée par un cercle infatigable, jusqu’à ce que, devenue fixe, elle cesse son agitation, et prenne sa place inférieure. Quand elle est devenue fixe, tous les autres éléments le deviennent avec elle. Ainsi ils se mêlent tous en elle, ils sont attirés par elle, ils vivent avec elle, et meurent en elle. La terre est donc leur tombeau commun et leur terme dernier.

77
L’ordre de la nature demande que toute génération commence par l’humide et se fasse dans l’humide ; donc dans l’ouvrage de la Pierre philosophale, la Nature doit être réduite en un ordre tout semblable. De sorte qu’il faut que la matière de la pierre, qui est terrestre, compacte et sèche, soit dissoute avant toute chose, et qu’elle s’écoule en l’élément de l’eau, qui est le plus proche d’elle : et alors Saturne sera engendré par le Soleil.

78
À l’eau agitée par sept tours ou révolutions, succède l’air, qui doit lui aussi circuler par autant de cercles et de réductions, jusqu’à ce qu’il se fixe et se dépose, et que Saturne étant chassé, Jupiter se saisisse des insignes et du gouvernement du Royaume. Par son avènement l’enfant philosophique est formé et nourri dans la matrice, et il vient ensuite au jour avec une face blanche et une teinte sereine, semblable à la splendeur de la Lune.

79
Enfin le feu de la Nature, qui aide les éléments dans leurs fonctions, de caché qu’il est devient manifeste, y étant excité et provoqué par un feu (à lui-même) interne. Alors le Safran teint le Lys, la rougeur se mêle à la blancheur sur les joues de l’enfant devenu plus robuste, et l’on prépare une couronne au Roi futur. Telle est la consommation du premier régime de l’ouvrage, et l’achèvement de la circulation des éléments, dont un signe apparaît quand toutes choses deviennent sèches, et que le corps vide d’esprit gît abattu, privé de pouls et de mouvement. Ainsi la Terre tient enfin dans le repos tous les autres éléments.

80
Le feu enté sur la Pierre est le maître qui préside à la Nature : il est le fils du Soleil, et son lieutenant, qui meut et digère la matière. Et c’est lui qui, en elle, achève et perfectionne tout, s’il réussit à obtenir la liberté : car y étant caché sous une écorce dure, il n’a point de forces. Procure-lui donc la liberté, afin qu’il puisse te servir. Mais prends garde de trop le presser, car ne pouvant supporter la tyrannie, il s’échapperait sans te laisser aucun espoir de retour. Attire-le donc tout doucement en le flattant, et après l’avoir attiré, conserve-le avec beaucoup de prudence.

81
Le premier moteur de la Nature est le feu externe, modérateur du feu interne et de tout l’ouvrage. Que le Philosophe en connaisse donc bien le régime, qu’il en observe les degrés et les points, car de lui dépend le salut ou la ruine de l’œuvre. Ainsi l’art vient au secours de la nature, et le philosophe est l’administrateur de l’un et de l’autre.

82
Par ces deux instruments de l’art et de la nature, la Pierre s’élève doucement avec beaucoup d’adresse, de la Terre vers le Ciel, et du Ciel redescend vers la Terre, parce que la Terre est sa nourrice, et que, portée dans sa matrice, elle reçoit à la fois la force des choses supérieures et des choses inférieures.

83
Les roues et les cercles.

La circulation des éléments se fait par deux sortes de roues, la majeure (ou étendue) et la mineure (ou étroite). La roue étendue fixe dans la Terre tous les éléments, et son cercle ne s’achève pas sans qu’elle soit venue à bout de l’ouvrage entier du soufre. La révolution de la roue mineure se termine par l’extraction et la préparation de chaque élément. Or dans cette roue il y a trois cercles, qui, par un certain mouvement inégal et confus, agitent la matière incessamment et diversement, et font tourner chaque élément plusieurs fois, et au moins sept. Ces cercles se succèdent néanmoins en ordre et tour à tour : et ils sont tellement bien accordés entre eux, que si l’un défaille, c’est en vain que les deux autres travaillent. Ce sont là les instruments de la Nature par lesquels les éléments sont préparés. Que le Philosophe considère donc le progrès de la Nature tel que je l’ai décrit à cette fin plus au long dans mon traité de Physique.

84
Chaque cercle a son mouvement propre. Les mouvements de ces cercles se produisent à l’endroit de l’humide et à l’endroit du sec, et ils sont tellement enchaînés les uns aux autres, qu’ils ne produisent tous ensemble qu’une opération, et ne font qu’un seul concert avec la Nature. Deux d’entre eux sont opposés, tant par leurs termes qu’à raison de leurs causes, et de leurs effets : car l’un, en desséchant, meut la matière vers le haut par la chaleur, l’autre, en humectant, la meut vers le bas par le froid. Le troisième cercle, qui représente le repos et le sommeil, cause la cessation des deux autres, en digérant (la matière) par une température parfaite.

85
De ces trois cercles, le premier est l’évacuation, dont le rôle est de bannir l’humide superflu de la matière, et d’en séparer le pur, le net et le subtil des lies grasses et terrestres. Or, dans le mouvement de ce cercle, peuvent naître de grands inconvénients et de graves dangers, parce qu’il concerne des choses toutes spirituelles, et qu’il rend exubérante la Nature.

86
En faisant mouvoir ce cercle, il y a deux choses auxquelles il faut prendre garde. La première, qu’il ne soit pas mû trop âprement, et l’autre, qu’il ne le soit pas plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Le mouvement précipité cause dans la matière une confusion telle que la portion épaisse, impure et indigeste, et le corps qui n’est pas encore bien dissous, s’envolent avec l’esprit, et s’évaporent avec ce qui est dissous, pur et subtil. Par ce mouvement précipité les natures terrestre et céleste sont confondues, et l’esprit de la quintessence, corrompu par le mélange de la terre, perd sa pointe et devient débile. Tandis que par un mouvement trop long, la terre, trop vidée de son esprit, devient tellement languissante et sèche, qu’elle ne peut plus être facilement réparée et rendue à sa température. L’une et l’autre faute brûlent les teintures, et les font même s’évanouir.

87
Le second cercle, c’est la restauration, dont le rôle est de rendre par la boisson des forces au corps pantelant et débile. Le premier cercle a été un organe de sueur et de travail ; celui-ci est un organe de rafraîchissement et de consolation. Il agit en pétrissant et en ramollissant la terre, à la façon des potiers, afin qu’elle se mêle mieux.

88
II faut que le mouvement de ce cercle soit plus léger que le mouvement du premier, principalement dans le commencement de sa résolution et de son tour : de peur que les petits des corbeaux ne soient submergés dans leur nid par le regorgement des eaux, et que le monde naissant ne soit englouti par le déluge. Ce cercle est celui qui pèse l’eau et qui en examine la mesure, car il le distribue par la raison et la proportion géométriques. À la vérité, il n’y a presque point de plus grand secret dans toute la pratique de l’ouvrage, que le mouvement juste et équilibré de ce cercle : car c’est lui qui informe l’enfant philosophique, et lui insuffle l’âme et la vie.

89
Les lois du mouvement de ce cercle sont qu’il tourne lentement et par degrés, et qu’il répande (l’humide) avec retenue, de peur que s’il était trop précipité, il ne s’éloigne de sa juste mesure, et que le feu, tant naturel qu’enté, qui est l’architecte de tout l’ouvrage, une fois recouvert par les eaux ne perde sa vigueur, ou même ne s’éteigne. Il faut aussi que la nourriture solide et la liquide soient prises tour à tour, afin que la digestion se fasse mieux, et que la proportion du sec et de l’humide soit plus parfaite, car leur liaison indissoluble est la fin et le corps de l’ouvrage. Prends garde donc de mettre autant d’humide lorsque tu arroses, qu’il ne s’en est consumé dans la chaleur de l’évacuation, afin que la restauration, qui est corroborative, restitue autant de forces perdues que l’évacuation débilitante en aura enlevées.

90
Le troisième cercle, qui est la digestion, agit par un mouvement tacite et insensible : c’est pourquoi les philosophes disent qu’il s’accomplit dans un fourneau secret. Elle cuit la nourriture qu’elle a reçue et la change en parties homogènes du corps ; c’est pourquoi on l’appelle putréfaction parce que, comme la nourriture dans l’estomac, elle est corrompue avant de passer dans le sang et les parties similaires : de même cette opération broie l’aliment par une chaleur cuisante et stomacale, et la putréfie en quelque sorte afin qu’elle se fixe mieux et passe de la nature du mercure à celle du soufre. On l’appelle aussi inhumation, parce que l’esprit est par elle inhumé et enseveli comme un mort dans la terre. Parce qu’elle agit fort lentement, elle a besoin d’autant plus de temps. Les deux premiers cercles travaillent surtout à dissoudre, et celui-ci à congeler, bien que tous opèrent l’un et l’autre.

91
Les lois de ce cercle veulent qu’il soit mû par une chaleur de fumier très lente et néanmoins subtile, afin que les éléments volatils ne s’enfuient pas et que l’esprit ne soit pas troublé, au moment de sa conjonction très étroite avec le corps : tout se passe alors dans un loisir parfaitement tranquille. C’est pourquoi il faut surtout prendre garde que la terre ne soit troublée par aucun vent ni aucune pluie. Enfin il faut que ce troisième cercle succède sur le champ et dans son ordre toujours au second, comme le second au premier. Ainsi par des travaux interrompus et par des détours, ces trois cercles errants accomplissent une seule et entière circulation, qui répétée plusieurs fois convertit toute chose en terre et met la paix entre les ennemis.

92
La nature use du feu, de même que l’art à son exemple, comme d’un instrument et d’un marteau pour forger leurs ouvrages : donc dans les opérations de l’une et de l’autre, le feu est maître et magistrat. C’est pourquoi la connaissance des feux est par-dessus tout nécessaire à un philosophe, sans quoi, comme un autre Ixion, il tournera en un vain travail la roue de la nature à laquelle il est attaché.

93
Le nom de feu est homonyme parmi les philosophes, car il se prend quelquefois par métonymie pour chaleur, et ainsi il y a autant de feux que de chaleurs. Dans la génération des métaux et des végétaux la nature reconnaît un triple feu, à savoir le céleste, le terrestre et le greffé. Le premier coule du Soleil comme de sa source dans le sein de la terre : il émeut les fumées ou vapeurs du mercure et du soufre, desquelles sont créés les métaux, et se mêle à elles ; il excite le feu greffé dans les semences des végétaux, où il dort, et lui ajoute de petits feux pareils à des éperons, pour développer la végétation. Le second feu est caché dans les entrailles de la terre : par son impulsion et son action, les vapeurs souterraines sont poussées en haut par des pores et de petits tuyaux, et chassées du centre vers la surface du sol, aussi bien pour la composition des métaux là où la terre est comme enflée, que pour la production des végétaux, en putréfiant, en amollissant, et en préparant pour la génération leurs semences. Quant au troisième, qui est engendré du premier, c’est-à-dire du feu solaire, dans la fumée vaporeuse des métaux, s’étant mêlé dans leur menstrue, il forme une concrétion avec cette matière humide et y demeure comme retenu prisonnier par force, ou plutôt il y est attaché comme la forme du mixte. Il demeure là enté dans les semences des végétaux, jusqu’à ce qu’étant sollicité et ému par les rayons paternels, il agite et informe la matière intérieure, et devienne ainsi le sculpteur et l’économe du mixte tout entier. Mais dans la génération des animaux, le feu céleste coopère aussi insensiblement avec l’animal, car il est le premier agent dans la nature. La chaleur de la femelle répond à la chaleur terrestre, lorsque elle putréfie, fomente et prépare la semence : mais le feu enté dans la semence est le fils du Soleil, qui dispose la matière, et l’ayant disposée, l’informe.

94
Le triple feu.

Les Philosophes ont observé un triple feu dans la matière de leur Œuvre : le feu naturel, le non naturel, et le contre nature. Ils appellent feu naturel cet esprit de feu tout céleste qui est enté et gardé dans la profondeur de la matière, et qui lui est très étroitement attaché : à cause de la force du métal il devient hébété et inerte, jusqu’à ce qu’excité par l’artifice philosophique et une chaleur externe, il obtienne sa liberté et recouvre en même temps la faculté de se mouvoir. Car alors, en pénétrant, en dilatant et en congelant, il informe enfin la matière humide. Or, dans quelque mixte que ce soit où ce feu naturel soit mêlé, il y est le principe de la chaleur et du mouvement. Ils appellent feu non naturel celui qui, attiré d’ailleurs et survenant du dehors, a été introduit dans la matière par un artifice admirable, de sorte qu’il augmente et multiplie les forces du feu naturel. Mais ils appellent feu contre nature celui qui putréfie les corps composés, et qui corrompt le tempérament de la Nature. Celui-ci est imparfait, parce que trop faible et insuffisant pour la génération, il ne peut pas franchir les bornes de la corruption. Tel est le feu, ou la chaleur, du menstrue : néanmoins, c’est de manière impropre qu’on lui donne le nom de feu contre nature, puisqu’il est plutôt en quelque sorte conforme à la nature, après la forme spécifique : il corrompt en effet la matière, mais de telle sorte qu’elle soit disposée à la génération.

95
Cependant il est croyable que le feu corrupteur, qu’on appelle contre nature, ne soit autre que le feu naturel, mais seulement au premier degré de sa chaleur, car l’ordre de la nature requiert que la corruption précède la génération. Le feu naturel donc, conformément aux lois de la nature, fait l’une et l’autre, en excitant deux sortes de mouvements tour à tour dans la matière. Le premier est un mouvement lent de corruption, suscité par une chaleur débile, pour amollir et préparer le corps. L’autre mouvement est celui de la génération, plus vigoureux et plus fort, excité par une chaleur plus violente, afin d’animer et d’informer pleinement le corps déjà disposé par le premier. Deux sortes de mouvements se font donc, à deux degrés différents de chaleur, du même feu. Et il ne faut pas penser pour autant qu’il y ait deux sortes de feu, mais avec beaucoup plus de raison, il faut donner le nom de feu contre nature à celui qui détruit par la violence.

96
Le feu non naturel se convertit par des degrés successifs de digestion en le feu naturel, qu’il augmente et multiplie. Tout le secret consiste en la multiplication du feu naturel, qui ne peut seul, par ses propres forces, ni agir ni communiquer une teinture parfaite aux corps imparfaits ; car il se suffit seulement à lui-même, et n’a pas de quoi donner du sien. Mais, multiplié par le feu non naturel qui abonde merveilleusement en vertu de multiplier, il agite avec beaucoup plus de force et s’étend bien au-delà des bornes de la nature, teignant et perfectionnant les corps étrangers et imparfaits, par le moyen de la teinture qu’il a sucée, et de ce feu précieux qui lui a été ajouté.

97
Les philosophes appellent aussi leur eau un feu, parce qu’elle est souverainement chaude et pleine d’un esprit de feu : aussi la nomment-ils encore eau de feu : car elle brûle et consume les corps des métaux parfaits plus que le feu ordinaire. Cette eau les dissout parfaitement, alors même qu’ils résistent à notre feu, sans pouvoir aucunement être dissous par lui : pour cette raison, elle est aussi appelée eau ardente. Or ce feu de teinture est caché dans la racine et dans le centre de l’eau, où il se manifeste par deux sortes d’effet, à savoir par la dissolution du corps et par la multiplication.

98
La nature se sert de deux sortes de feu dans l’ouvrage de la génération, d’un interne et d’un autre externe. Le premier, ou feu naturel, qui gît dans les semences des choses et dans les mixtes, est caché dans leur centre, d’où il meut et vivifie le corps, en tant que principe du mouvement et de la vie. Mais l’autre, ou feu étranger, soit qu’il vienne du ciel, soit qu’il parte de la terre, réveille le premier, qui est comme enseveli dans le sommeil, et le pousse à agir ; car les petits feux vitaux qui sont empreints dans les semences, ont besoin d’un moteur externe afin de pouvoir eux-mêmes se mouvoir et agir.

99
II en va de même dans l’ouvrage philosophique ; car la matière de la pierre possède son feu intérieur et naturel, qui est en partie augmenté et accru d’un feu externe et étranger, grâce à la science philosophique. Ces deux feux s’unissent et s’allient fort bien intérieurement, d’autant qu’ils sont conformes et homogènes : l’interne a besoin de l’externe, que le philosophe lui ajoute selon les préceptes de l’art et de la nature, celui-ci provoque celui-là au mouvement. Ces feux sont comme deux roues, dont celle qui est cachée se meut plus vite ou plus lentement, selon la manière dont elle est poussée et incitée par celle qui est manifeste. Et ainsi l’art vient au secours de la nature.

100
Le feu interne tient le milieu entre le feu externe, son moteur et sa matière : de là vient que, de même qu’il est mû par celui-là, il meut pareillement celle-ci, et que s’il en est poussé avec véhémence ou avec modération, il opère de la même manière dans sa matière. Enfin, l’information de tout l’ouvrage dépend de la mesure du feu externe.

101
Celui qui ignorera les degrés et les points dans le régime du feu externe, qu’il n’entreprenne pas l’ouvrage philosophique. Car jamais il ne tirera la lumière des ténèbres, s’il ne sait conduire si bien les chaleurs, qu’elles ne passent d’abord par les moyennes, ainsi qu’il en va dans les éléments, dont les extrêmes ne se convertissent qu’en passant par les moyens.

102
Parce que tout l’ouvrage consiste dans la séparation et dans la parfaite préparation des quatre éléments de la pierre, il est nécessaire qu’il s’y trouve autant de degrés de feu, qu’il y a d’éléments, car chacun s’obtient grâce à un degré de feu qui lui est propre.

103
Ces quatre degrés de feu s’appellent le feu du bain, le feu des cendres, le feu de charbon, et le feu de flamme, lequel s’appelle aussi le feu de réverbération (opteticus). Or chaque degré possède ses points, au moins deux, et quelquefois trois ; car il faut régir le feu petit à petit, et par points, soit qu’on l’augmente, soit qu’on le diminue, afin qu’à l’imitation de la nature, la matière parvienne peu à peu et par degrés à son information et à son accomplissement ; car il n’y a rien de si contraire à la nature que ce qui est violent. Que le philosophe se propose donc pour objet de sa considération, l’approche ou l’éloignement lent du Soleil, qui nous verse la chaleur peu à peu selon le besoin des saisons, et qui tempère ainsi toutes choses, conformément aux lois de l’Univers.

104
Le premier point de la chaleur du bain s’appelle chaleur de la fièvre, ou chaleur du fumier. Le second point, simplement chaleur du bain. Le premier point du second degré du feu, c’est la chaleur simple des cendres, le second point, c’est la chaleur du sable. Mais les points du feu de charbon et du feu de la flamme n’ont point de nom particulier : ils se distinguent grâce à l’entendement, selon qu’ils sont plus ou moins violents ou modérés.

105
On ne trouve quelquefois que trois degrés de feu chez les Philosophes, à savoir le feu du bain, le feu des cendres et le feu ardent, qui comprend le feu de charbon et le feu de la flamme. Le feu de fumier est aussi quelque fois distingué de degré d’avec le feu du bain. Ainsi les auteurs, par une façon différente de parler, enveloppent souvent dans les ténèbres la lumière du feu des Philosophes, car la connaissance du feu passe parmi eux pour l’un des principaux secrets.

106
Dans l’œuvre au blanc, comme on ne tire que trois éléments, on n’a besoin que des trois premiers degrés de feu, car le dernier, c’est-à-dire le feu de la flamme, est réservé au quatrième élément qui achève l’œuvre au rouge. Par le premier degré se fait l’éclipse du Soleil et de la Lune. Au second, la lumière de la Lune commence à lui être rendue. Par le troisième la Lune retrouve la plénitude de sa clarté, et au quatrième, le Soleil est élevé au sommet suprême de la gloire. Que l’on donne donc, et que l’on administre le feu à chacune de ces parties selon la raison et la règle géométrique, de sorte que l’agent réponde à la disposition du patient, et que leurs forces soient également en balance réciproque.

107
Les Philosophes ont toujours eu grand soin de cacher la connaissance de leur feu, de sorte qu’ils n’en parlent presque jamais ouvertement, mais nous l’indiquent plutôt par la description de ses qualités et de ses propriétés que par son nom, l’appelant tantôt aérien, vaporeux et humide, tantôt sec et clair, et tenant de la Nature des Astres, d’autant mieux qu’il se peut augmenter ou diminuer facilement par degré selon la volonté de l’opérateur. Celui qui voudra avoir une connaissance plus parfaite du feu la trouvera dans les ouvrages de (Raymond) Lulle, qui découvre aux esprits sincères les secrets de la pratique, avec beaucoup d’ingénuité.

108
La Proportion.

Quant au conflit de l’aigle et du lion, il en est parlé diversement chez les auteurs. Comme le lion est le plus robuste de tous les animaux, il faut plusieurs aigles pour en venir à bout. Quelques-uns disent qu’il en faut trois pour le moins, ou même davantage, et même jusqu’à dix. Moins il y en a, plus la victoire est disputée et tardive, mais à mesure qu’il y en a beaucoup, la lutte dure moins, et le lion est plus tôt déchiqueté. Mais que l’on prenne le nombre de sept aigles, qui est le plus chanceux, selon Lulle, ou celui de neuf, en suivant Senior.

109
Les vaisseaux.

Il y a deux sortes de vaisseaux, dans lesquels les Philosophes font cuire leur ouvrage : l’un est le vaisseau de la nature, l’autre celui de l’art. Le vaisseau naturel, que l’on appelle aussi vaisseau philosophique, est la terre même de la pierre, qui est comme la femelle et la matrice où est reçue la semence du mâle, où elle se putréfie, et où elle reçoit la préparation pour la génération. Quant aux vaisseaux artificiels il en est de trois sortes, puisque le secret se cuit dans autant de vaisseaux.

110
Le premier vaisseau artificiel est fait d’une pierre transparente, ou d’un verre pétrifié. Quelques Philosophes en ont caché la forme et la figure sous une description énigmatique, en disant qu’il est composé tantôt de trois et tantôt de deux pièces, c’est-à-dire de l’alambic et de la cucurbite, et pour qu’il soit composé de trois, ils y ajoutent un couvercle.

111
Plusieurs auteurs ont inventé divers noms pour exprimer une multiplicité de vaisseaux qui seraient nécessaires à l’ouvrage philosophique, les appelant de différentes manières selon la diversité des opérations, afin de nous en dissimuler le secret. Car ils ont appelé les uns vaisseaux à dissoudre, les autres vaisseaux à putréfier, à distiller, à sublimer, à calciner, et autres dénominations semblables.

112
Mais à en parler franchement et sans supercherie, un seul vaisseau artificiel suffit pour tirer et obtenir les deux sortes de soufre, et un pour l’élixir : car la diversité des digestions ne réclame pas une diversité de vaisseaux. Il faut même prendre bien garde que l’on ne change ou que l’on n’ouvre les vaisseaux jusqu’à la fin du premier ouvrage.

113
II faut que la forme du vaisseau de verre soit ronde dans la cucurbite, ou bien ovale. Il faut que son col soit haut au moins d’une paume, ou davantage ; qu’il soit assez large au commencement, mais qu’il, aille en se rétrécissant vers l’ouverture, à la manière d’une fiole. Il faut qu’il ne comporte point d’aspérité ou d’inégalité, mais qu’il soit partout d’une épaisseur égale, afin de pouvoir résister à un feu long et aigu. La cucurbite s’appelle borgne parce qu’on la bouche et qu’on la lute exactement sur son pourtour avec le sceau hermétique, de peur que rien d’étranger n’y entre, ou que l’esprit ne s’en échappe.

114
II faut que le second vaisseau artificiel soit de bois, fait d’un tronc de chêne coupé en deux hémisphères concaves, où il faut fomenter l’œuf des Philosophes jusqu’à ce qu’il produise son poussin : voyez à ce sujet la Fontaine du Trévisan.

115
Les praticiens ont appelé leur fourneau le troisième vaisseau, parce qu’il contient les autres vaisseaux, où est toute la matière de leur œuvre. Les philosophes ont aussi tâché de nous en dissimuler le mystère et le secret.

116
L’Athanor.

Ce fourneau, qui est le gardien et le dépositaire de tous les mystères de l’ouvrage, a été appelé athanor ou immortel, à cause du feu perpétuel qu’il conserve. Car c’est en lui qu’on entretient un feu continuel, quoique parfois inégal, pour le régime de l’ouvrage. Il faut en effet que ce feu soit tantôt plus grand et tantôt plus petit, selon la quantité de la matière et la capacité du fourneau.

117
La matière du fourneau se fait de brique cuite, ou d’une terre grasse comme l’argile, parfaitement broyée, et préparée avec du fumier de cheval où on mêlera du crin, afin qu’elle n’éclate ni ne se fende sous l’effet d’une longue chaleur. Les murailles latérales de ce fourneau doivent être de l’épaisseur de trois ou quatre doigts, afin qu’ils puissent retenir la chaleur, et aussi mieux lui résister.

118
La forme du fourneau doit être ronde, et sa hauteur intérieure de deux pieds environ. On doit placer au milieu une lame de fer ou d’airain, également ronde, de l’épaisseur du dos d’un couteau, qui occupe presque la largeur intérieure du fourneau. Néanmoins elle doit être un peu plus étroite, et n’en doit point toucher les murailles, mais être appuyée sur trois ou quatre broches de fer jointes aux murailles. Il faut aussi qu’elle soit toute trouée à l’entour, afin que la chaleur passe à travers, et entre les flancs du fourneau et les bords de cette grille. Et il faut pratiquer dans les flancs, tant au-dessous qu’au-dessus de la grille, de petites portes, afin de pouvoir allumer le feu par celle d’en bas, et connaître la température de la chaleur par celle du dessus. À l’opposite de celle-ci, il faut faire une petite fenêtre de forme rhomboïde, garnie d’un verre, afin qu’en y approchant l’œil, on puisse apercevoir les couleurs que la lumière placée en face fera apercevoir. Que l’on mette sur le milieu de cette grille un trépied portant le vaisseau. Enfin il faut entièrement couvrir et boucher le fourneau, en bâtissant à tenons autour de ses flancs, une voûte faite de la même matière de brique cuite : il faut aussi clore fort bien la petite porte du dessus, de peur que la chaleur ne s’exhale.

119
Tu as là tout ce qui est nécessaire au premier ouvrage, dont la fin est la génération des deux soufres. Voici comment tu parviendras à leur composition et à leur perfection.
(Règle.) Prends un Dragon roux, généreux et belliqueux, ayant toute sa force native. Prends ensuite sept ou neuf aigles généreuses et vierges, dont la vivacité du regard ne s’émousse point aux rayons du Soleil. Place ces oiseaux avec le Dragon dans une prison claire et bien fermée, sous laquelle il faut allumer le bain, afin qu’ils soient excités au combat par cette tiède vapeur. Et bientôt ils se livreront une longue et rude bataille, jusqu’à ce que, vers le quarantième jour, les aigles commencent à déchirer la bête, laquelle en mourant souillera toute la prison d’une bave noire et venimeuse, dont les aigles, étant contaminées, seront contraintes de mourir. De la putréfaction de ces cadavres, il s’engendrera un corbeau, qui petit à petit dressera la tête, et, la chaleur du bain une fois augmentée, commencera à étendre ses ailes et à voler : il rôdera longtemps pour tâcher de trouver quelque faîte, grâce aux vents et aux nuages qui s’y soulèveront, mais prends bien garde qu’il n’en trouve pas. Enfin, blanchi par une pluie lente et longue et par la rosée du ciel, il se changera en cygne étincelant (de blancheur). Que la naissance du Corbeau soit pour toi la preuve de la mort du Dragon. En blanchissant le corbeau, tires-en les éléments, et distille-les selon la forme dans l’ordre prescrit, jusqu’à ce qu’ils soient fixes dans leur terre, et deviennent une sorte de poussière très blanche, très subtile, et très déliée. Ceci fait, tu posséderas ce que tu désires, en ce qui regarde l’œuvre au blanc.

120
Si, passant outre, tu veux obtenir l’œuvre au rouge, ajoutes-y l’élément du feu, qui manque à l’œuvre au blanc, sans remuer aucunement le vaisseau, et, le feu étant peu à peu renforcé par ses points, presse la matière jusqu’à ce que ce qui était caché devienne manifeste. Un indice en est quand la couleur citrine commence à apparaître. Réagis le feu du quatrième degré par ses points, jusqu’à ce qu’avec l’aide de Vulcain il naisse du Lys des rosés empourprées, et enfin l’amarante teinte d’une sombre rougeur de sang. Mais ne cesse point de réveiller le feu par le feu, jusqu’à tant que tu voies la matière s’achever en des cendres très rouges et impalpables. Que cette pierre rouge exalte ton esprit à continuer encore plus loin, sous les auspices de la Sainte Trinité.

121
L’Elixir.

Ceux qui ignorent les secrets de la Nature et de l’Art, croyant qu’ils ont mené leur ouvrage jusqu’au bout et ont accompli tous les préceptes du secret, lorsqu’ils ont trouvé le soufre, se trompent fort. En vain tenteront-ils la projection : car la pratique de la Pierre ne peut être achevée que par deux opérations, dont la première est la création du soufre ; mais la seconde, c’est la confection de l’élixir.

122
Le soufre des Philosophes est une terre très subtile, très chaude et très sèche, dans la racine et le centre de laquelle le feu naturel se cache et se multiplie merveilleusement. C’est pour cette raison qu’on a appelé ce soufre ou cette terre le feu de la pierre. Car il a en lui la vertu d’ouvrir et de pénétrer les corps des métaux, et de les convertir en son tempérament, et de produire son semblable : de là vient qu’il est pris pour le Père, et la semence masculine.

123
Afin que nous ne laissions rien en arrière sans en parler, qu’on sache que de ce premier soufre, il s’en engendre un second, et qu’il se multiplie ainsi jusqu’à la fin. Que le sage garde donc bien cette mine éternelle de feu céleste : car de la même matière dont s’engendre le soufre, il se multiplie aussi avec la même, en ajoutant une petite portion du soufre susdit dans la matière que l’on veut multiplier, à condition toutefois que cela se fasse avec pondération et mesure. Qu’on aille lire le reste dans Lulle, et qu’il suffise ici de l’avoir indiqué.

124
L’élixir se compose de trois sortes de matière, à savoir une eau métallique, ou un mercure sublimé, ainsi qu’il a été dit, un ferment blanc ou rouge selon l’intention de l’opérateur, et de la matière du deuxième soufre, le tout pris avec pondération et mesure.

125
Dans l’élixir parfait se rencontrent cinq qualités particulières et nécessaires, qui sont d’être fusible, permanent, pénétrant, teignant et (se) multipliant. Il emprunte la qualité de teindre et de fixer au ferment, celle de pénétrer au soufre, celle d’être fusible au vif-argent, qui est un milieu par lequel les teintures, à savoir celles du ferment et celles du soufre, se joignent et s’unissent. Quant à la vertu de multiplier, elle lui est versée et communiquée par l’Esprit de la quintessence.

126
Les deux métaux parfaits donnent aussi une teinture parfaite, parce qu’ils sont teints du pur soufre de la nature. Qu’on ne cherche donc point d’autres ferments des métaux ailleurs qu’en ces deux corps. Teins donc ton élixir blanc et rouge avec la Lune et le Soleil, car le mercure en reçoit le premier la teinture, et l’ayant reçue, la communique.

127
En composant l’élixir, prends garde de ne pas confondre les ferments, et de ne pas les mêler l’un pour l’autre, car chaque élixir veut être avec son ferment spécial et particulier, et avec ses propres éléments. Car naturellement les deux luminaires ont leur soufre différent, et leurs teintures distinctes.

128
Le second ouvrage se cuit dans un vaisseau pareil ou identique, dans le même fourneau, et avec les mêmes degrés de feu que le premier, mais il s’achève en bien moins de temps que le premier.

129
II y a trois humeurs dans la pierre, qu’il faut extraire successivement : à savoir l’aqueuse, l’aérienne et la radicale. Tout le soin et tout le travail de l’opérateur concernent l’humeur, et dans l’ouvrage de la pierre, il ne circule pas d’autre élément : car il faut avant toute chose que la terre soit résolue en humeur, et qu’elle se liquéfie. Quant à l’humeur radicale, qui passe pour un feu, elle est la plus gluante et la plus opiniâtre de toutes, parce qu’elle est comme ligotée, au centre de la Nature et de la substance, dont elle ne se sépare pas facilement. Tire donc ces trois humeurs par leurs roues, peu à peu et successivement, par dissolution et congélation. Par la réitération de la dissolution et la congélation, alternative et successive, s’accomplit en effet la roue étendue (cf. ci-dessus, ch. 83) et s’achève tout l’Œuvre.

130
La perfection de l’élixir consiste en l’union étroite et le mariage indissoluble du sec et de l’humide, de sorte qu’ils ne se séparent jamais : si bien qu’il faut que le sec s’écoule en une matière humide par la moindre chaleur, et devenue inaltérable à toutes les violences du feu. C’est une marque de sa perfection si, en en jetant tant soit peu sur une lame de fer ou d’airain chauffée au rouge, il y coule sans fumer.

131
Prends trois livres de terre rouge, ou ferment rouge, d’eau et d’air, autant de l’un que de l’autre le double, mêle bien et broie toutes ces choses, les réduisant en un amalgame qui devienne comme du beurre, ou comme une pâte métallique de sorte que la terre soit tellement ramollie qu’elle ne se sente pas sous les doigts. Ajoutes-y une livre et demie de feu, et fais digérer ces choses dans leur vaisseau bien bouché par un feu de premier degré, autant qu’il est nécessaire. Il faut ensuite tirer les éléments avec ordre chacun par leurs degrés de feu, lesquels par un mouvement lent seront enfin digérés et fixés dans leur terre, en sorte que rien de volatil ne pourra s’en échapper. Enfin la matière deviendra comme une roche claire, rouge et diaphane, dont tu prendras à plaisir une partie que, jetée dans un creuset sur un feu lent, tu abreuveras goutte à goutte de son huile rouge, jusqu’à ce qu’elle fonde entièrement et s’écoule, sans fumer. Ne crains pas qu’elle s’enfuie, car la terre, ramollie par ce doux breuvage, la retiendra dans ses entrailles. Et alors garde et retiens bien chez toi cet élixir parfait, réjouis-toi en Dieu, et sois discret.

132
Dans le même ordre et par la même méthode, on fait l’élixir blanc, pourvu qu’on se serve seulement dans sa composition des éléments blancs. Car son corps étant cuit et achevé, deviendra pareillement comme une roche blanche, resplendissante et pareille au cristal, qui, étant abreuvée et imprégnée de son huile blanche, deviendra fusible. Jette de l’un et de l’autre élixir une livre sur dix de vif-argent lavé, et tu en admireras l’effet.

133
Comme dans l’élixir les forces du feu naturel sont multipliées et redoublées merveilleusement, à cause de l’esprit de la quintessence qui y est insufflé, et que les accidents vicieux et adhérant aux corps, qui en ternissaient la pureté, enveloppant ainsi dans les ténèbres la vraie lumière de la Nature, en sont bannis par de longues et diverses sublimations et digestions. C’est pour cela que le feu naturel y étant comme dégagé de ses liens, et aidé du secours des forces célestes, agit très puissamment, renfermé qu’il est dans le cinquième élément. Qu’on ne trouve donc pas étrange s’il possède la vertu, non seulement de perfectionner les choses imparfaites, mais encore s’il a la faculté de se multiplier et de se perfectionner lui-même. Or la source de la multiplication est dans le Prince des luminaires, qui par la multiplicité infinie de ses rayons, engendre toutes choses en ce monde, et les ayant engendrées les multiplie, en versant dans leurs semences une vertu multipliante.

134
La méthode et la voie de multiplier l’élixir est triple. Pour la première prends une livre de l’élixir rouge, que tu mêleras dans neuf de son eau rouge, et mets-le tout à dissoudre dans un vaisseau approprié. Cette matière étant parfaitement dissoute et mêlée, coagule-la en la cuisant par un feu lent, jusqu’à ce qu’elle devienne ferme et semblable à un rubis ou à une lame (métallique) rouge, qu’il faut alors abreuver d’huile rouge de la manière susdite, jusqu’à ce qu’elle s’écoule. Ainsi tu obtiendras une médecine dix fois plus forte que la première, et qui pourtant se fait facilement, et en peu de temps.

135
Pour la seconde façon, prends une portion de ton élixir à volonté, mélange-la avec son eau en observant le poids et la proportion et place-la dans un vaisseau de réduction bien bouché, et dissous-la dans le bain par inhumation. Une fois qu’elle est dissoute, distille-la en séparant les éléments l’un après l’autre par leur propre feu, en faisant qu’ils se fixent à la fin comme dans le premier et le second ouvrage, — jusqu’à ce qu’elle se pétrifie. Abreuve-la d’huile alors, et projette. Cette voie est la plus longue mais la plus riche, car la vertu de l’élixir croît au centuple, vu que plus il devient subtil par opérations réitérées, plus il reçoit de forces et de vertus célestes et inférieures, et opère plus puissamment.

136
Pour la troisième manière, prends une once de l’élixir dont les vertus ont été ainsi multipliées, et jette-la sur cent de mercure lavé. En peu de temps, le mercure échauffé sur la braise se changera en un pur élixir dont, si tu jettes de même une once sur cent autres du même mercure, un Soleil très pur en naîtra aussitôt. La multiplication de l’élixir blanc doit se faire de la même manière. Cherche d’autre part les vertus de cette médecine pour guérir toutes les maladies et conserver la santé, ainsi que ses autres usages, dans Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle et autres Philosophes.

137
Le Zodiaque des Philosophes t’enseignera à chercher les époques de la Pierre. Car la première opération, et le régime pour obtenir le blanc, doit se commencer dans la maison de la Lune, et la seconde se terminer dans la seconde maison de Mercure. Mais la première opération pour parvenir au rouge se commence dans la seconde maison de Vénus, et la dernière se termine au second tribunal royal de Jupiter, de qui notre Roi très puissant recevra une couronne tressée de très précieux rubis. C’est ainsi que l’année, repassant sur ses propres traces, recommence ses révolutions.

138
Un Dragon à trois têtes garde cette Toison d’or. La première tête est issue des eaux, la seconde de la terre, la troisième de l’air. Néanmoins il faut que ces trois têtes n’en forment qu’une très puissante, qui dévorera tous les autres Dragons, et alors le chemin te sera frayé pour accéder à la Toison d’or. Adieu, lecteur studieux ! En lisant ce qui précède, invoque l’Esprit de la lumière éternelle, parle peu, raisonne beaucoup, et juge droitement.




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Maj : 20/12/2024