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Le minéral

Gemmes merveilleuses

Les lapidaires

1. Point historique

► L’origine des lapidaires remonte aux anciennes civilisations de la Mésopotamie, l’Égypte et l’Inde qui, héritage de la préhistoire, plaçaient des gemmes près de leurs morts afin d’écarter les mauvais esprits. Les premières données qui nous sont parvenues sont d’une part, celles plus naturalistes, compilées par Théophraste (Sur les Pierres), Dioscoride (Sur la Matière médicale, V) puis Pline (Histoire naturelle, 3237) et d’autre part, celles, plus franchement magiques, contenues dans les manuscrits des Cyranides et de Damigéron-Evax. Le genre fut très populaire en antiquité mais nombre de manuscrits furent perdus ou détruits, notamment lors de l’incendie du Mouseîon.

► Passant par les arabes, le genre obtient un nouveau souffle au moyen-âge avec l’apport d’Isidore de Séville au VI, (Étymologies(1)) qui devient une source incontournable pour les lapidaires médiévaux comme celui de Marbode (XI).

► Ils glissent ensuite vers la symbolique païenne puis chrétienne, à l’aide de l’Exode et le hoshen d’Aaron gravé des douze tribus d’Israël et contenant l’Ourim et Thoummim et l’Apocalypse qui décrit l’enceinte de la Jérusalem céleste. Cette transition s’observe dans la littérature courtoise(2) avant que le genre du lapidaire trouve de nouvelles récapitulations avec Camillo Leonardi (XVI) puis Mandeville (XVIII), à l’époque duquel, on trouvait encore chez l’apothicaire, des gemmes en poudres avant l’avènement de la discipline pharmaceutique.

2. Classifications

► De nombreuses incertitudes règnent dans les lapidaires et certaines gemmes sont difficiles à différencier ou même simplement à identifier.

↳ Les lapidaires sont, à l’instar des herbiers ou des bestiaires, une littérature vivante et même les différentes éditions d’un texte peuvent comporter modifications et fusions, ajouts et suppressions. Les dénominations des gemmes peuvent en effet d’une part évoluer, en fonction de leur apparence, de leur origine, de leur utilité et bien sûr de la langue utilisée. D’autre part, ces dénominations ou même les caractéristiques d’un minéral peuvent se transférer d’une pierre à l’autre lorsque leur apparence ou symbolisme, trop proche, sème la confusion.

↳ Heureusement, à l’instar des grimoires, les traités s’inspirent des précédents et il est parfois possible de suivre l’évolution des noms d’une pierre bien que des interpolations plus ou moins heureuses puissent perdre le chercheur. Ces évolutions et transferts peuvent se recouper et se combiner avec différents minéraux, donnant lieu à des enchevêtrements complexes.

↳ Parmi les confusions les plus notables : le diamant, le cristal de roche, la magnétite et l’hématite glissent l’un vers l’autre. Le rubis, le grenat, la cornaline et la spinelle sont difficile à différencier. Le Lapidaire d’Alphonse X fait enfin figure d’exemple, dans ce que l’apport des langues moyen-orientales amène en confusion.

► Deux classes spécifiques de gemmes merveilleuses sont remarquables : les bézoards, qui sont les gemmes qui croissent au sein des animaux comme la chélidoine (hirondelle), l’alectoire (coq) et la draconite (dragon) et les pierres de foudre envoyées par quelque dieu fulminateur, qui étaient des silex vénérés comme étant l’extrémité de l’éclair ou des météorites.

↪ Notons encore que l’ambre ou le corail, qui sont respectivement des matières matière végétales et animales sont considérées comme des minéraux par les anciens.

↪ Certaines gemmes obtiennent enfin un statut mythique, la plus connue étant l’escarboucle et bien sûr, la pierre philosophale qui toutes deux, se confondent plus ou moins avec le grenat.

𝕍 le tableau synthétique des lapidaires utilisé dans l’encyclopédie. On approfondira avantageusement le sujet avec les travaux du médiéviste Claude Lecouteux qui furent pour nous un gain de temps considérable, 𝕍 notablement son Dictionnaire des pierres magiques et médicinales ainsi que ses publications sur le site du Centre d’études des langues et littératures anciennes et modernes Lien vers le site.

Les gemmes

1. Caractéristiques

► D’un point de vue mythique, les pierres sont considérées comme les os de la Terre ou bien plus largement comme des parties plus ou moins nobles de la Nature, la gemme étant la meilleure. Ainsi, Ymir ou Balāsura, géants sacrifiés pour manifester la création, sont à l’origine des pierres qui sont, pour chaque espèce, leur sang, leur nerfs, leur yeux ou leur cœur.

► Aussi, aux temps bibliques, des pierres précieuses étaient placées dans les fondations des temples, servant de pierre d’angle mystique. Inaltérable et brillantes, elles passent pour une combinaison de la terre et de l’eau. À la terre elles empruntent sa vertu organisatrice et à l’eau, celle de stocker la lumière : ce sont des grains de lumière condensée. Elles peuvent aussi représenter la lumière céleste cristallisée et tenir leur origine des cieux et des étoiles comme lorsque tombant du front de Lucifer, l’émeraude (ou le rubis) atterrit sur terre et sert à façonner le Graal.

► La gemme, pour faire montre de toute sa splendeur et passer de l’opaque au translucide doit être taillée. De ce fait, elle symbolise, comme la pierre maçonnique, l’effort de l’âme vers la perfection, ici, vers sa capacité à quitter l’étroitesse de ses conceptions afin de se laisser traverser par la lumière de Dieu.

↪ Ainsi, l’illustre Le Chant de la perle dans le chapitre du vêtement royal : mon (vêtement) resplendissant orné / de couleurs superbes (et), / d’or et de béryles, / de calcédoines et de (pierres) chatoyantes / et de de variées. / Il était aussi ouvragé selon sa grandeur, / avec des pierres de diamant, / toutes ses coutures bien cousues ; / et l’image du Roi des Rois / était peinte sur toute son étendue, / et les pierres de saphir, / ainsi était-il, dans sa hauteur, de couleurs variées.. Et Ézéchiel (28:13) à propos d’Adam : Tu étais en Eden, le jardin de Dieu; tu étais couvert de toute espèce de pierres précieuses, De sardoine, de topaze, de diamant, De chrysolithe, d’onyx, de jaspe, De saphir, d’escarboucle, d’émeraude, et d’or; tes tambourins et tes flûtes étaient à ton service, Préparés pour le jour où tu fus créé. On voit ici que les gemmes, une fois combinées et portées, sont lumineuses et multicolores tel un corps de gloire.

► Par l’entremise de la philosophie naturelle, on voit dans les traités, les mythes ou le folklore, que la pierre est considérée, comme toute la création du reste, comme pourvue d’une âme et d’un corps. Cette âme et ce corps, entre en analogie avec les autres règnes et en fait un être à part entière, loin de l’idée d’inertie que s’en fait la pensée mécaniste.

↳ Les gemmes ont ainsi des sexes(3), des sympathies et des antipathies, des façons de se reproduire et même des caractères. Elles sont capables de sentiments et d’actions empathiques, sont marquées par des signes qui sanctionnent leurs défauts ou leurs vertus.

↳ Bien que dotées d’un mouvement infiniment plus long que celle des autres règnes, elles poussent, croissent et se perfectionnent en terre et en sont arrachées quant on les en tire, comme on arracherait une racine.

↳ Elles sont ainsi dignes d’être considérées comme vivantes, en particulier si on désire s’approprier leurs pouvoirs : la pierre est plus propice à celui qui l’aime et qui est un être de bien soit parce qu’il fait montre de vertus(4), soit parce qu’il connaît le rituel, les combinaisons sympathiques et/ou les sceaux permettant de prouver sa qualité et ainsi la consacrer correctement, comme il le ferait avec les plantes.

2. Pouvoirs

► Bien des gemmes en effet, pour révéler leur pouvoirs ont besoin d’être influencées non seulement par un état d’esprit correct, mais aussi par la proximité d’un autre élément de la nature, un certain nombre de formules ou de gravures réalisées en intailles ou en camées comme on peut en observer au Cabinet des médailles. En sus, ces gravures doivent, dans des traités influencés par l’astrologie, être pratiqués durant une configuration optimale du ciel et/ou être portée par des personnes ayant le thème adéquate selon l’action que l’on se propose de mener. Ces traités offrent également des correspondances entre les pierres, les planètes, les signes et les métaux, mais évidemment, tous proposent leurs propres tableaux.

● En orient, commun à l’hindouisme, au bouddhisme et au jaïnisme, ces analogies astrologiques trouvent deux expressions unifiées.

↳ Tout d’abord, dans le navaratna {neuf gemmes}, bijou (bague ou pendentif) oriental peut-être d’origine mongole qui était serti de douze gemmes, ce talisman avait pour vertu de neutraliser les mauvaises influences astrales.

↳ Ensuite, dans le Kalpavriksha, arbre à souhaits divin qui est constitué de métaux précieux et de gemmes.

● Ces analogies, se prolongent également dans le christianisme oriental avec les croix de bénédiction qui sont fréquemment ornées de gemmes disposées analogiquement en fonction des douze apôtres et dans le christianisme en général où les gemmes ornent mobilier, parements et objets liturgiques.

● L’hermétisme enfin, confine à la théosophie, lorsque par le biais de la théorie des signatures, la gemme devient l’opportunité de se mettre au diapason des forces universelles.

↳ Une pierre peut voir son pouvoir activé ou démultiplié lorsqu’elle est en présence d’autres gemmes on bien si on l’enchâsse dans l’argent ou l’or. Son pouvoir peut aussi être épuisé à force d’une mauvaise utilisation ou de sollicitations trop nombreuses et divers méthodes sont consignées afin de leur rendre leur opérativité.

Les effets thérapeuthiques (la plupart), apotropaïques (certaines) et magiques (moindres), sont très variés et fonction des intérêts et inquiétudes de l’époque qui voit naître le traité. Conformément à la méthode des anciens, les capacités de la gemme, son rayonnement, sont déterminés par ses différentes caractéristiques physiques : poids et solidité, fusibilité et réfraction, forme, texture et surtout couleur.

● Une caractéristique commune des gemmes taillées est de favoriser la mystique, sinon la divination ou la mancie.

↳ D’une part, la gemme est un outil de méditation, car belle et brillante, composée de motifs géométriques en son sein, elle fixe la conscience et délivre un message comme le ferait un yantra.

↳ D’autre part, la lécanomancie, en usage dans le monde antique était pratiquée en faisant tomber des gemmes dans l’eau, l’on interprétait les sons et les réfractions lumineuses émises par cette chute qui stimulaient alors l’imagination.

↪ Autrement, les gemmes taillées partagent encore et de façon générale, la faculté d’accroître la santé et les facultés cognitives, de prémunir des maladies et du poison puis également des ennemis et des accidents, en outre, elles ont un effet bénéfiques sur les maladies oculaires. Les occultistes estiment ainsi que la présence d’une gemme taillé accroît le champ magnétique Humain en prenant le relais des cristaux de magnétite présents dans le corps.

Concernant la thérapeuthique, on distingue quatre méthodes principales dont on peut voir un exemple dans le Livre des Subtilités d’Hildegarde :

↳ Par la vue de la pierre. D’une façon étendue, une pierre polie peut devenir un miroir ;

↳ Par l’ingestion en boisson. Soit qu’elle est réduite en poudre, soit qu’elle communique sa vertu au liquide par contact prolongé, eau, alcool ou salive généralement ;

↳ Par le toucher ;

↳ Et par le simple port.

↪ La pierre, doit avant utilisation, être excitée par la chaleur, du soleil, du feu ou Humaine selon les situations, afin d’éveiller la pierre et de lui faire suinter ses forces intérieures.

Tableau analogique

Pierre Bélier Taureau Gémeaux Cancer Lion Vierge Balance Scorpion Sagittaire Capricorne Verseau Poissons Soleil Lune Mercure Jupiter Vénus Mars Saturne
Chrysolite D DPDP
Sélénite DP D
Hématite D DD
Céraunie D D
Mède D D
Arabique D D
Ostracite D D
Héliotrope DP
Agate PD
Sarde D
Herbeuse D
Egyptilla D
Cristal de roche P
Béryl PPP
Cornaline PP
Zinsie P
Camoin P
Saphir PPP
Jaspe brun P
Calcédoine P
Aimant PP
Hyacinthe PP
Tuthia P
Émeraude PPP
Jaspe vert PP
Diamant P
Jaspe P
Sanguinaire P
Améthyste P
Aétite PP
Lazulite P
Corail P
Porphyre P
Topaze PP
Œil du soleil P
Escarboucle P
Iris P
Pyrophilos P
Panthère P
Rubis P
Chrysopase P


1. 𝕍 La Réception d’Isidore de Séville durant le Moyen Âge tardif in Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes (N°16), dir. Jacques Elfassi & Bernard Ribémont, 2008. Lien vers le document sur OpenEditions.

2. Du Parsifal d’Eschenbach jusqu’à la Pléiade avec Rémy Belleau et ses Amours et nouveaux eschanges des pierres précieuses, 1576 Lien vers le catalogue Lien vers l’œuvre sur la Bibliothèque Nationale de France.

3. Claire est féminin, sombre est masculin.

4. Les gemmes noircissent et se figent en présence des méchants.